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Document 62005CJ0279

Arrêt de la Cour (première chambre) du 11 janvier 2007.
Vonk Dairy Products BV contre Productschap Zuivel.
Demande de décision préjudicielle: College van Beroep voor het bedrijfsleven - Pays-Bas.
Agriculture - Organisation commune des marchés - Fromage - Articles 16 à 18 du règlement (CEE) nº 3665/87 - Restitutions à l'exportation différenciées - Réexportation presque immédiate à partir du pays d'importation - Preuve d'une pratique abusive - Répétition de l'indu - Article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement (CE, Euratom) nº 2988/95 - Irrégularité continue ou répétée.
Affaire C-279/05.

Recueil de jurisprudence 2007 I-00239

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:18

Affaire C-279/05

Vonk Dairy Products BV

contre

Productschap Zuivel

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le College van Beroep voor het bedrijfsleven)

«Agriculture — Organisation commune des marchés — Fromage — Articles 16 à 18 du règlement (CEE) nº 3665/87 — Restitutions à l'exportation différenciées — Réexportation presque immédiate à partir du pays d'importation — Preuve d'une pratique abusive — Répétition de l'indu — Article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement (CE, Euratom) nº 2988/95 — Irrégularité continue ou répétée»

Conclusions de l'avocat général Mme E. Sharpston, présentées le 7 juin 2006 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 11 janvier 2007 

Sommaire de l'arrêt

1.     Agriculture — Organisation commune des marchés — Restitutions à l'exportation — Restitution différenciée

(Règlement de la Commission nº 3665/87)

2.     Ressources propres des Communautés européennes — Règlement relatif à la protection des intérêts financiers de la Communauté

(Règlement du Conseil nº 2988/95, art. 3, § 1, al. 2)

1.     Dans le cadre d'une procédure de retrait et de récupération de restitutions à l'exportation différenciées payées à titre définitif sur le fondement du règlement nº 3665/87, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles, la constatation du caractère indu desdites restitutions doit être étayée par la preuve d'une pratique abusive de l'exportateur, rapportée conformément aux règles du droit national.

Ladite preuve comporte, d'une part, un ensemble de circonstances objectives d'où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation communautaire, l'objectif poursuivi par cette réglementation n'a pas été atteint et, d'autre part, un élément subjectif consistant dans la volonté d'obtenir un avantage résultant de la réglementation communautaire en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention. L'existence de cet élément subjectif peut être établie, notamment, par la preuve d'une collusion entre l'exportateur, bénéficiaire des restitutions, et l'importateur du produit dans un pays tiers autre que le pays d'importation.

Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si les éléments constitutifs d'une pratique abusive sont réunis dans le litige au principal conformément aux règles de preuve du droit national, pour autant qu'il ne soit pas porté atteinte à l'efficacité du droit communautaire.

(cf. points 33-34, 38, disp. 1)

2.     Au sens de l'article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement nº 2988/95, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, une irrégularité est continue ou répétée lorsqu'elle est commise par un opérateur communautaire qui tire des avantages économiques d'un ensemble d'opérations similaires qui enfreignent la même disposition du droit communautaire. Le fait que l'irrégularité porte sur une part relativement faible de l'ensemble des opérations réalisées dans une période déterminée et que les opérations pour lesquelles l'irrégularité est constatée concernent toujours des lots différents est sans incidence à cet égard.

(cf. points 41-42, 44, disp. 2)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 janvier 2007 (*)

«Agriculture – Organisation commune des marchés – Fromage – Articles 16 à 18 du règlement (CEE) nº 3665/87 – Restitutions à l’exportation différenciées – Réexportation presque immédiate à partir du pays d’importation – Preuve d’une pratique abusive – Répétition de l’indu – Article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 – Irrégularité continue ou répétée»

Dans l’affaire C-279/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le College van Beroep voor het bedrijfsleven (Pays-Bas), par décision du 30 juin 2005, parvenue à la Cour le 11 juillet 2005, dans la procédure

Vonk Dairy Products BV

contre

Productschap Zuivel,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. K. Lenaerts, J. N. Cunha Rodrigues, M. Ilešič (rapporteur) et E. Levits, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 mars 2006,

considérant les observations présentées:

–       pour Vonk Dairy Products BV, par Me J. H. Peek, advocaat,

–       pour le Royaume des Pays-Bas, par Mmes H. G. Sevenster et M. de Mol, en qualité d’agents,

–       pour la République hellénique, par M. I. Chalkias et Mme S. Papaioannou, en qualité d’agents,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes C. Cattabriga et M. van Heezik, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 juin 2006,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 16 à 18 du règlement (CEE) nº 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles (JO L 351, p. 1), et 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO L 312, p. 1).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vonk Dairy Products BV au Productschap Zuivel (groupement professionnel de l’industrie laitière) au sujet du retrait et de la récupération, avec une majoration de 15 %, d’une restitution à l’exportation différenciée reçue par la requérante au principal.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

 Le règlement nº 3665/87

3       L’article 1er du règlement nº 3665/87 prévoit:

«Le présent règlement établit, sans préjudice de dispositions dérogatoires prévues dans la réglementation communautaire particulière à certains produits, les modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation, ci-après dénommées restitutions, institué ou prévu par:

[…]

–       l’article 17 du règlement (CEE) nº 804/68 (lait et produits laitiers),

[…]»

4       Les articles 4 à 6 du même règlement énoncent:

«Article 4

1.      Sans préjudice des dispositions des articles 5 et 16, le paiement de la restitution est subordonné à la production de la preuve que les produits pour lesquels la déclaration d’exportation a été acceptée ont, au plus tard dans un délai de soixante jours à compter de cette acceptation, quitté en l’état le territoire douanier de la Communauté.

[…]

Article 5

1.      Le paiement de la restitution différenciée ou non différenciée est subordonné, en sus de la condition que le produit ait quitté le territoire douanier de la Communauté, à la condition que le produit ait été […] importé dans un pays tiers et, le cas échéant, dans un pays tiers déterminé dans les douze mois suivant la date d’acceptation de la déclaration d’exportation:

a) lorsque des doutes sérieux existent quant à la destination réelle du produit […]

[…]

Les dispositions de l’article 17, paragraphe 3, et de l’article 18 sont applicables dans les cas visés du premier alinéa.

En outre, les services compétents des États membres peuvent exiger des preuves supplémentaires de nature à démontrer à la satisfaction des autorités compétentes que le produit a été effectivement mis en l’état, sur le marché du pays tiers d’importation.

[…]

Lorsque des doutes sérieux existent quant à la destination réelle des produits, la Commission peut demander aux États membres d’appliquer les dispositions du paragraphe 1.

[…]

Article 6

Si, avant de quitter le territoire douanier de la Communauté, un produit pour lequel la déclaration d’exportation a été acceptée traverse des territoires communautaires autres que celui de l’État membre sur le territoire duquel cette déclaration a été acceptée, la preuve que ce produit a quitté le territoire douanier de la Communauté est apportée par la production de l’original dûment annoté de l’exemplaire de contrôle T5 visé à l’article 1er du règlement (CEE) nº 2823/87.

[…]»

5       Les articles 16 et 17 du règlement 3665/87disposent:

«Article 16

1.      Dans le cas de différenciation du taux de la restitution selon la destination, le paiement de la restitution est subordonné aux conditions supplémentaires définies aux articles 17 et 18.

[…]

Article 17

1.      Le produit doit avoir été importé en l’état dans le pays tiers ou dans l’un des pays tiers pour lequel la restitution est prévue dans les douze mois suivant la date d’acceptation de la déclaration d’exportation;

[…]

3.      Le produit est considéré comme importé lorsque les formalités douanières de mise à la consommation dans le pays tiers ont été accomplies».

6       L’article 18 du même règlement contient la liste exhaustive de toutes les preuves documentaires que les exportateurs doivent produire afin de démontrer que le produit a fait l’objet de toutes les formalités douanières de mise à la consommation. Au nombre des preuves exigées par cette disposition figure une copie du document de transport.

7       Des amendements ont été apportés à plusieurs reprises audit article 18, durant la période à laquelle se rapportent les faits au principal, mais ces amendements n’ont pas d’incidence sur l’issue de l’affaire au principal.

8       L’article 23 du règlement 3665/87 dispose:

«1.      Lorsque le montant avancé est supérieur au montant effectivement dû pour l’exportation en cause ou pour une exportation équivalente, l’exportateur rembourse la différence entre ces deux montants majorée de 15 %.

[…]»

 Le règlement n° 2988/95

9       L’article 1er du règlement n° 2988/95 prévoit:

«1.      Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.

2.      Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue.»

10     Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95:

«Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er, paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans.

Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l’irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s’étend en tout cas jusqu’à la clôture définitive du programme.

[…]»

 La réglementation nationale

11     L’article 9 de la loi contenant réglementation en matière d’importation et d’exportation de biens (Wet houdende een regeling op het gebied van de invoer en de uitvoer van goederen), du 5 juillet 1962 (Stb. 1962, n° 295), telle que modifiée par la loi du 4 juin 1992 (Stb. 1992, n° 422), dispose:

«1.      Le ministre compétent peut annuler toute autorisation, restitution, subvention ou exonération lorsque les données qui ont été fournies en vue de leur obtention s’avèrent à ce point inexactes ou incomplètes que la demande aurait fait l’objet d’une décision différente si les circonstances exactes avaient été parfaitement connues lors de son examen.

2.      Toute subvention ou restitution octroyée dans le cadre de l’exécution d’un règlement adopté par une institution des Communautés européennes peut également être annulée s’il résulte d’une disposition applicable adoptée par une telle institution que son bénéficiaire n’y avait pas droit.»

12     Conformément aux articles 1, 85 et 118 ainsi qu’à l’annexe I du règlement relatif à l’importation et à l’exportation des produits agricoles (Regeling in- en uitvoer landbouwgoederen), du 9 mars 1981 (Stcrt. 1981, nº 50), dispositions adoptées sur la base de l’article 11 de la loi mentionnée au point précédent du présent arrêt, le Productschap Zuivel est compétent pour octroyer et annuler les restitutions applicables en ce qui concerne le fromage.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13     De 1988 à 1994, la requérante au principal a exporté chaque année vers les États-Unis d’Amérique 300 lots de fromage italien «pecorino», soit, au total, 2 100 lots.

14     Pour ces exportations, elle a reçu du défendeur au principal les restitutions différenciées accordées sur le fondement du règlement nº 3665/87, lesquelles ont été rendues définitives par suite de la mainlevée des garanties constituées lorsque le défendeur au principal a reçu les documents démontrant que lesdits lots avaient été mis en libre pratique aux États-Unis.

15     Le montant desdites restitutions pour le fromage concerné était plus élevé pour les exportations vers les États-Unis que pour celles vers le Canada.

16     Il ressort du dossier soumis à la Cour que l’Algemene Inspectiedienst (service général d’inspection, ci-après l’«AID») du Ministerie van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij (ministère de l’Agriculture, de la Nature et de la Pêche) a mené une première enquête concernant les exportations de fromage en cause au principal.

17     Cette enquête ayant révélé des irrégularités dans le chef de la requérante au principal, l’AID a demandé aux US Customs (autorités douanières des États-Unis) de New York d’ouvrir une enquête administrative sur lesdites exportations durant la période de 1988 à 1994.

18     Cette seconde enquête a révélé que, pendant ladite période, 75 lots de fromage (soit environ 1,47 million de kilogrammes) ont été presque immédiatement réexportés vers le Canada par Orlando Food Corporation, intermédiaire aux États-Unis de la requérante au principal, dans la plupart des cas à destination de National Cheese & Food Company, entreprise établie dans l’Ontario. La même enquête a également démontré que le rôle de la requérante au principal ne s’est pas limité à exporter les lots de fromage concernés vers les États-Unis, puisque celle-ci était informée des transferts vers le Canada et était également impliquée dans la vente desdits lots dans ce pays. En outre, une correspondance a été échangée à ce propos entre la requérante au principal et (l’entreprise) National Cheese & Food Company.

19     À la suite de cette seconde enquête, l’Officier van Justitie (procureur) de Roermond (Pays-Bas) a ouvert une enquête judiciaire contre la requérante au principal et ses responsables du chef de faux en écritures, les demandes de restitution différenciée étant présumées constitutives de faux dès lors qu’elles mentionnaient les États-Unis comme destination pour la consommation, alors que certains lots de fromage ont été envoyés au Canada où ils ont été commercialisés. L’AID a consigné les résultats de la première enquête dans un procès-verbal du 5 mars 1997.

20     Par lettre du 18 septembre 1997, le défendeur au principal a fait savoir à la requérante au principal qu’il avait reçu le procès-verbal mentionné au point précédent du présent arrêt, dont une copie était annexée à cette lettre.

21     Par décision du 18 avril 2001, le défendeur au principal a rapporté ses décisions d’octroi de restitutions en ce qui concerne les 75 lots litigieux et a réclamé le remboursement d’une somme de 2 795 841,72 NLG correspondant à la différence entre les restitutions différenciées applicables, d’une part, pour les États-Unis et, d’autre part, pour le Canada, majorée de 15 %.

22     Le défendeur au principal ayant rejeté comme non fondée la réclamation introduite contre cette décision par la requérante au principal, celle-ci a formé un recours devant la juridiction de renvoi. À l’appui de ce recours, la requérante au principal fait valoir qu’elle a rempli toutes les conditions prescrites aux articles 4, 17, paragraphe 3, et 18 du règlement nº 3665/87 pour l’obtention des restitutions différenciées pour les lots de fromage concernés et que la réexportation postérieure de certains de ces lots vers le Canada n’avait aucune conséquence sur l’octroi de ces restitutions. Elle se réfère, à cet égard, à l’arrêt du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke (C‑110/99, Rec. p. I‑11569), estimant que le défendeur au principal n’a pas établi l’existence, dans son chef, d’une pratique abusive au sens dudit arrêt. Dès lors, la requérante au principal estime que les restitutions en cause au principal ne lui ont pas été payées indûment et sont devenues définitives après qu’elle a produit la preuve de l’importation ainsi que de la mise à la consommation aux États-Unis.

23     La requérante au principal soutient également que l’irrégularité qui lui est reprochée n’est ni continue ni répétée, car la plupart des lots qu’elle a exportés aux États-Unis n’ont pas été réexportés, et en déduit que le délai de prescription n’a pas été interrompu. En effet, l’enquête judiciaire porterait sur des faux en écriture et non sur l’annulation des restitutions ou sur la demande de remboursement. De surcroît, ladite enquête aurait été effectuée par d’autres autorités que le défendeur au principal, de sorte qu’elle ne pourrait pas être considérée comme un acte interruptif. La requérante au principal ajoute que ni le procès-verbal du 5 mars 1997 ni la lettre du défendeur au principal du 18 septembre 1997 ne précisaient les actes sur lesquels portaient les soupçons.

24     Enfin, la requérante au principal considère que le défendeur au principal n’a pas pu fonder sa décision de majorer de 15 % le montant à rembourser sur le règlement nº 3665/87, car la restitution différenciée n’a été instaurée que pour des motifs politiques.

25     Le défendeur au principal considère le recours comme infondé. Il soutient qu’il est essentiel, pour le paiement des restitutions différenciées, que les produits qui sont couverts atteignent effectivement leur marché de destination. Il en déduit que le fait qu’une certaine quantité du fromage concerné a été réexportée vers le Canada implique le remboursement des restitutions différenciées en cause au principal. S’appuyant sur l’arrêt du 31 mars 1993, Möllmann-Fleisch (C‑27/92, Rec. p. I‑1701), il estime que les documents d’importation ne constituent qu’un indice réfutable en ce qui concerne l’octroi des restitutions différenciées au sens du règlement nº 3665/87. Dès lors, il considère que lesdites restitutions ont été payées indûment.

26     S’agissant de la prescription, le défendeur au principal fait valoir que la décision du 18 avril 2001, par laquelle il a demandé le remboursement, est intervenue dans le délai requis par le règlement n° 2988/95. En effet, ledit délai n’a pas commencé à courir avant la dernière opération d’exportation, laquelle, conformément à la déclaration d’exportation, a eu lieu le 28 septembre 1994. Le délai de prescription aurait ensuite été interrompu au mois de juillet 1997, du fait de perquisitions menées à cette époque dans le cadre de l’enquête judiciaire, ainsi que le 18 septembre 1997, par l’envoi à la requérante au principal du procès-verbal du 5 mars 1997.

27     Dans ce contexte, le Collège van Beroep voor het bedrijfsleven a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Faut-il interpréter les articles 16 à 18 du règlement (CEE) nº 3665/87, tels qu’applicables au moment pertinent, en ce sens que, si des restitutions différenciées ont été payées à titre définitif après acceptation des documents d’importation, ce n’est qu’en cas de pratique abusive de l’exportateur que la réexportation des marchandises, révélée ultérieurement, pourra rendre indu le paiement de ces restitutions?

2)      Si la première question appelle une réponse négative, quels sont les critères qui permettent de déterminer dans quelles circonstances la réexportation de marchandises rend indues les restitutions différenciées payées à titre définitif?

3)      Quels sont les critères qui permettent d’apprécier si l’irrégularité est continue ou répétée au sens de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95? [P]lus particulièrement, […] l’irrégularité est-[elle] continue ou répétée lorsqu’elle porte sur une part relativement faible de l’ensemble des opérations [effectuées durant] une période déterminée et que les opérations pour lesquelles une irrégularité est constatée concernent toujours des lots différents?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

28     Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, dans le cadre d’une procédure de retrait et de récupération de restitutions différenciées qui ont été payées à titre définitif sur le fondement du règlement nº 3665/87, la constatation du caractère indu desdites restitutions nécessite que soit rapportée la preuve d’une pratique abusive de l’exportateur.

29     Il importe d’emblée de relever que l’octroi de restitutions différenciées est soumis à l’ensemble des conditions prévues par le règlement nº 3665/87, lesquelles sont énoncées à ses articles 4 à 6, d’une part, et 16 à 18, d’autre part. Or, il ressort du dossier soumis à la Cour que la requérante au principal a satisfait sur le plan formel à toutes les conditions prévues par ledit règlement, de sorte que les restitutions en cause lui ont été payées à titre définitif. En particulier, il ressort de la décision de renvoi que le défendeur au principal n’a pas fait usage de la faculté, prévue aux articles 5, paragraphe 1, sous a), et 18, paragraphe 2, du règlement nº 3665/87, de demander, avant que les restitutions en cause soient rendues définitives, des preuves supplémentaires de nature à démontrer que les produits concernés avaient été effectivement mis en l’état sur le marché du pays tiers d’importation.

30     Il importe de relever que, selon la décision de renvoi, la décision de réclamer le remboursement desdites restitutions n’est pas fondée sur le caractère défectueux des documents d’importation remis par la requérante au principal, mais sur la circonstance que certains lots de fromage ont été réexportés vers un autre pays tiers presque immédiatement après leur importation aux États-Unis.

31     À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’application des règlements communautaires ne saurait être étendue jusqu’à couvrir des pratiques abusives d’opérateurs économiques (arrêts du 11 octobre 1977, Cremer, 125/76, Rec. p. 1593, point 21, et Emsland-Stärke, précité, point 51).

32     La constatation du caractère indu des restitutions différenciées octroyées à titre définitif au sens du règlement nº 3665/87 exige donc, lorsqu’une partie de l’ensemble des produits concernés a été presque immédiatement réexportée vers un autre pays tiers, la preuve d’une pratique abusive dans le chef de l’exportateur.

33     Ladite preuve comporte, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation communautaire, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant dans la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation communautaire en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (arrêt du 21 juillet 2005, Eichsfelder Schlachtbetrieb, C‑515/03, Rec. p. I‑7355, point 39 et jurisprudence citée). L’existence de cet élément subjectif peut être établie, notamment, par la preuve d’une collusion entre l’exportateur, bénéficiaire des restitutions, et l’importateur du produit dans un pays tiers autre que le pays d’importation.

34     Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si les éléments constitutifs d’une pratique abusive sont réunis dans le litige au principal conformément aux règles de preuve du droit national, pour autant qu’il ne soit pas porté atteinte à l’efficacité du droit communautaire (arrêts Emsland-Stärke, précité, point 54 et jurisprudence citée, ainsi que Eichsfelder Schlachtbetrieb, précité, point 40).

35     Le gouvernement néerlandais soutient, à cet égard, que la preuve d’une pratique abusive, au sens de l’arrêt Emsland-Stärke, précité, de l’exportateur ne doit être rapportée que dans les cas où toutes les conditions formelles pour l’octroi des restitutions sont remplies, ce qui ne serait pas le cas dans l’affaire au principal, car, les lots de fromage réexportés vers le Canada n’ayant pas été mis à la consommation sur le marché des États-Unis, la condition de mise à la consommation dans le pays tiers au sens de l’article 17, paragraphe 3, du règlement nº 3665/87 n’a pas été remplie.

36     Cet argument ne saurait être admis. En effet, il ressort, d’une part, du point 29 du présent arrêt que la requérante au principal a satisfait sur le plan formel à l’ensemble des conditions prévues par le règlement n° 3665/87 pour l’octroi des restitutions différenciées en cause au principal, y compris à celles prévues à l’article 17, paragraphe 3, dudit règlement, de sorte que ces restitutions lui ont été payées à titre définitif sans que les services compétents de l’État membre concerné aient jugé opportun d’exiger au préalable, sur la base de l’article 5, paragraphe 1, quatrième alinéa, de ce règlement, des preuves supplémentaires que la produit a été effectivement mis en l’état sur le marché du pays tiers d’importation. D’autre part, ainsi qu’il a été précisé au point 32 du présent arrêt, l’État membre concerné au principal n’est pas fondé à exiger le remboursement de restitutions définitivement payées, à moins que ne soit établie une pratique abusive dans le chef de l’exportateur.

37     Abondant dans le même sens que le gouvernement néerlandais, le gouvernement grec souligne que la circonstance qu’il n’a pas été satisfait à la condition de mise à la consommation sur le marché du pays tiers d’importation dans l’espèce au principal implique que le remboursement des restitutions différenciées payées indûment peut être demandé sur le fondement des dispositions du règlement nº 2988/95 sans qu’il soit exigé de démontrer une pratique abusive de l’exportateur. Cet argument ne saurait être retenu, car, ainsi qu’il a été relevé au point 32 du présent arrêt, le remboursement des restitutions différenciées payées indûment en ce qui concerne les opérations en cause au principal, qui remontent à la période entre 1988 et 1994, exige la preuve d’une pratique abusive dans le chef de l’exportateur. Par conséquent, la notion d’irrégularité au sens de l’article 1er du règlement nº 2988/95 ne saurait être prise en compte à cet égard.

38     Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question posée que, dans le cadre d’une procédure de retrait et de récupération de restitutions différenciées payées à titre définitif sur le fondement du règlement nº 3665/87, la constatation du caractère indu desdites restitutions doit être étayée par la preuve d’une pratique abusive de l’exportateur, rapportée conformément aux règles du droit national.

 Sur la deuxième question

39     Eu égard à la réponse affirmative apportée à la première question, il n’est pas nécessaire de répondre à la deuxième question.

 Sur la troisième question

40     Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à connaître les critères qui permettent d’apprécier si une irrégularité doit être considérée comme continue ou répétée au sens de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 2988/95. Ladite juridiction s’interroge, en particulier, à propos d’une situation où l’irrégularité porte sur une part relativement faible de l’ensemble des opérations réalisées sur une période déterminée et concerne toujours des lots différents.

41     Ainsi que l’a souligné, en substance, Mme l’avocat général au point 82 de ses conclusions, une irrégularité est continue ou répétée au sens de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 2988/95, lorsqu’elle est commise par un opérateur communautaire qui tire des avantages économiques d’un ensemble d’opérations similaires qui enfreignent la même disposition du droit communautaire.

42     Est dépourvu d’incidence à cet égard le fait que, comme en l’espèce, l’irrégularité porte sur une part relativement faible de l’ensemble des opérations réalisées dans une période déterminée et que les opérations pour lesquelles l’irrégularité est constatée concernent toujours des lots différents. En effet, lesdites circonstances ne sauraient être déterminantes pour constater l’existence d’une irrégularité continue ou répétée, ce sous peine d’inciter les opérateurs à chercher à échapper à l’application de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 2988/95 en procédant à une division artificielle de leurs opérations.

43     Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, conformément aux règles de preuve du droit national, pour autant qu’il ne soit pas porté atteinte à l’efficacité du droit communautaire, si les éléments constitutifs d’une irrégularité continue ou répétée sont réunis dans le litige au principal.

44     Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question posée que, au sens de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 2988/95, une irrégularité est continue ou répétée lorsqu’elle est commise par un opérateur communautaire qui tire des avantages économiques d’un ensemble d’opérations similaires qui enfreignent la même disposition du droit communautaire. Le fait que l’irrégularité porte sur une part relativement faible de l’ensemble des opérations réalisées dans une période déterminée et que les opérations pour lesquelles l’irrégularité est constatée concernent toujours des lots différents est sans incidence à cet égard.

 Sur les dépens

45     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      Dans le cadre d’une procédure de retrait et de récupération de restitutions à l’exportation différenciées payées à titre définitif sur le fondement du règlement (CEE) nº 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles, la constatation du caractère indu desdites restitutions doit être étayée par la preuve d’une pratique abusive de l’exportateur, rapportée conformément aux règles du droit national.

2)      Au sens de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, une irrégularité est continue ou répétée lorsqu’elle est commise par un opérateur communautaire qui tire des avantages économiques d’un ensemble d’opérations similaires qui enfreignent la même disposition du droit communautaire. Le fait que l’irrégularité porte sur une part relativement faible de l’ensemble des opérations réalisées dans une période déterminée et que les opérations pour lesquelles l’irrégularité est constatée concernent toujours des lots différents est sans incidence à cet égard.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.

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