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Document 62003CC0327

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 9 décembre 2004.
Bundesrepublik Deutschland contre ISIS Multimedia Net GmbH und Co. KG, représentée par ISIS Multimedia Net Verwaltungs GmbH (C-327/03), et Firma O2 (Germany) GmbH und Co. OHG (C-328/03).
Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht - Allemagne.
Services de télécommunications - Directive 97/13/CE - Article 11, paragraphe 2 - Redevance pour l'attribution de nouveaux numéros de téléphone - Stock gratuit de numéros à la disposition de l'entreprise ayant succédé à l'ancien monopole.
Affaires jointes C-327/03 et C-328/03.

Recueil de jurisprudence 2005 I-08877

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2004:787

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 9 décembre 2004 (1)

Affaires jointes C-327/03 et C-328/03

République fédérale d’Allemagne

contre

ISIS Multimedia Net GmbH und Co. KG, représentée par ISIS Multimedia Net Verwaltungs GmbH,

Firma O2 (Germany) GmbH u. Co. OHG

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne)]

«Télécommunications – Autorisations générales et licences individuelles – Directive 97/13/CE – Article 11 – Taxes et Redevances applicables aux licences individuelles – Licences individuelles en cas de ressources rares – Conditions – Numéros de téléphone – Acquisition gratuite par l’entreprise qui a succédé à l’ancien monopole d’État – Attribution aux nouveaux opérateurs soumise à une redevance»





1.      Le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne) demande à la Cour, par le présent renvoi préjudiciel, de statuer sur l’interprétation de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 97/13/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications (2).

2.     Ladite juridiction de renvoi souhaite savoir si les autorités réglementaires nationales (3) peuvent imposer aux nouveaux opérateurs une redevance pour l’attribution de numéros de téléphone fondée sur leur valeur économique, alors que l’entreprise dominante sur le marché en cause a repris gratuitement les numéros dont disposait l’ancien monopole d’État auquel elle a succédé.

I –    La réglementation applicable

A –    Le droit communautaire: la directive 97/13

1.      Introduction

3.     Au cours des années 90, les télécommunications sont devenues l’un des moteurs de l’économie, au potentiel de croissance considérable. Le développement technologique a permis l’introduction de nouveaux services, essentiellement dans le domaine des téléphonies mobile et par satellite, utilisant la technique numérique, où les progrès en matière de communications multimédia ont ouvert la voie à une grande variété de prestations (4).

4.     La Communauté européenne réunissait les conditions d’un tel essor, de sorte que les institutions ont décidé de libéraliser ce secteur; en effet, la Commission des Communautés européennes a proposé l’établissement d’un marché unique dans un livre vert publié en 1987, dans lequel elle a invité tous les opérateurs à participer à un débat sur ce thème et a réclamé une large ouverture du secteur qui garantirait également au citoyen le droit de bénéficier des systèmes de communication modernes (5).

5.     Toutefois, introduire la flexibilité souhaitée n’impliquait pas de retirer aux États membres les pouvoirs de contrôle dont ils disposaient au travers des procédures d’autorisation pertinentes. Précisément, dans un autre livre vert (6), la Commission a fait valoir que ces procédures constituent une méthode essentielle pour créer les conditions favorables au développement de la concurrence, par l’application de principes communs lors de l’octroi de licences.

6.     La directive a prévu à cet effet, comme je l’ai souligné dans les conclusions dans les affaires jointes Albacom et Infostrada (7) un cadre unique, fondé sur les principes de proportionnalité, de transparence et de non-discrimination, dont l’objectif est d’établir un régime réglementaire compatible avec les libertés d’établissement et de prestation de services (premier, deuxième, quatrième et onzième considérants; article 3, paragraphe 2).

7.     Conformément à cet objectif, la libre prestation des services de télécommunications et la libéralisation de l’exploitation des réseaux président à la réglementation instituée par la directive. Le législateur communautaire souhaite que ces services soient distribués et utilisés sans entrave ou, le cas échéant, en vertu d’autorisations générales (8), et que les licences individuelles (9) ne soient attribuées qu’exceptionnellement ou en vue de compléter les autorisations générales.

8.     Pour mettre cette règle libéralisatrice en œuvre, la directive applique aussi le principe directeur de non-limitation du nombre de licences individuelles que les États membres peuvent accorder, sauf si cela s’avère nécessaire pour garantir l’utilisation efficace du spectre des radiofréquences ou pour permettre l’attribution de numéros en nombre suffisant. Ainsi, toute entreprise qui remplit les conditions fixées par les États membres a le droit d’obtenir d’office une licence de ce type (articles 10, paragraphe 1, et 9, paragraphe 3).

2.      Dispositions fiscales

9.     Les articles 6 et 11 de la directive s’inscrivent dans la même ligne et visent à favoriser la concurrence sur le marché des télécommunications et à ne pas imposer aux entreprises plus de restrictions ou de charges que nécessaire (10), respectant ainsi le principe de proportionnalité. Ils sont respectivement intitulés «Taxes et redevances applicables aux procédures d’autorisations générales» et «Taxes et redevances applicables aux licences individuelles».

10.   L’article 6 de la directive dispose:

«[…]

Sans préjudice des contributions financières à la fourniture du service universel conformément à l’annexe, les États membres veillent à ce que les taxes imposées aux entreprises au titre des procédures d’autorisation aient uniquement pour objet de couvrir les frais administratifs afférents à la délivrance, à la gestion, au contrôle et à la mise en oeuvre du régime d’autorisations générales applicable. Ces taxes sont publiées d’une manière appropriée et suffisamment détaillée pour que les informations soient facilement accessibles.»

11.   L’article 11 de la directive prévoit:

«[...]

1. Les États membres veillent à ce que les taxes imposées aux entreprises au titre des procédures d’autorisation aient uniquement pour objet de couvrir les frais administratifs afférents à la délivrance, à la gestion, au contrôle et à l’application des licences individuelles applicables. Les taxes applicables à une licence individuelle sont proportionnelles au volume de travail requis et sont publiées d’une manière appropriée et suffisamment détaillée pour que les informations soient facilement accessibles.

2. Nonobstant le paragraphe 1, dans le cas de ressources rares, les États membres peuvent autoriser leurs autorités réglementaires nationales à imposer des redevances afin de tenir compte de la nécessité d’assurer une utilisation optimale de ces ressources. Ces redevances sont non discriminatoires et tiennent compte notamment de la nécessité de promouvoir le développement de services innovateurs et de la concurrence.»

B –     Le droit allemand

12.   En Allemagne, la réglementation permettant le prélèvement d’une redevance pour l’attribution de numéros de téléphone est constituée par la Telekomunikationsgesetz (loi sur les télécommunications; ci-après le «TKG») (11) et la Telekomunikations-Nummerngebührenverordnung (règlement sur les redevances applicables aux numéros de télécommunications; ci-après la «TNGebV») (12).

13.   L’article 43 du TKG habilite l’autorité de la gestion de la numérotation à imposer une redevance pour l’attribution de numéros et renvoie au règlement susmentionné pour la détermination des critères de calcul de cette redevance. 

14.   L’annexe de la TNGebV prévoit que l’attribution d’un bloc de mille numéros à 10 chiffres dans les secteurs de la boucle locale donne lieu à une redevance de 1 000 DEM (correspondant à 500 EUR), alors que la redevance est réduite à 250 DEM (correspondant à 125 EUR) en cas de rejet de la demande de numéros.

II – Les faits, les litiges au principal et les questions préjudicielles

15.   Les entreprises ISI Multimedia Net GmbH und Co. KG et Firma O2 (Germany) GmbH u. Co. OHG (ci-après «Isis» et «Firma» respectivement) ont sollicité de la Regulierungsbehörde für Telekomunikation und Post (autorité allemande de régulation des postes et télécommunications, ci-après l’«autorité de régulation») l’octroi d’un certain nombre de blocs de numéros pour des réseaux locaux. Isis a obtenu 37 des 43 blocs demandés, tandis que Firma s’est vu attribuer 2 303 blocs sur les 2 324 qui l’intéressaient.

16.   Par décisions du 25 octobre 1999 et du 21 juin 2000, l’autorité de régulation a imposé à Firma et à Isis, en application de la TNGebV, une redevance de 2 308 250 DEM et de 38 500 DEM respectivement.

17.   Deutsche Telekom AG (ci-après «Deutsche Telekom»), qui a succédé à l’opérateur historique, et autrefois monopoliste, sur le marché allemand, a acquis  gratuitement, avant l’entrée en vigueur du TKG, une réserve de 400 millions de numéros, dont elle dispose encore, et n’est soumise en droit national à aucune obligation de paiement ou de restitution.

18.   Les deux entreprises demanderesses ont attaqué les décisions qui leur avaient été respectivement adressées et, après le rejet de leurs prétentions en première instance, ont obtenu gain de cause en appel devant l’Oberverwaltungsgericht, qui a condamné l’administration défenderesse à rembourser les redevances perçues, avec les intérêts échus.

19.   Saisi d’un pourvoi par ces deux entreprises,  le Bundesverwaltungsgericht a sursis à statuer pour déférer à la Cour, dans ces deux procédures,  les questions préjudicielles suivantes:

«La directive 97/13/CE doit-elle être interprétée en ce sens que l’attribution de numéros de téléphone peut faire l’objet d’une redevance tenant compte de leur valeur économique, alors même qu’une entreprise exerçant son activité sur le même marché et y jouissant d’une position dominante a repris gratuitement un très grand nombre de numéros de téléphone dont disposait l’ancien monopole d’État auquel elle a succédé, et que des raisons tenant au droit national excluent d’imposer a posteriori des redevances au titre de cette ancienne réserve de numéros?».

20.   En cas de réponse affirmative à la première question:

«Peut-on, dans une telle situation, imposer aux nouveaux entrants sur le marché une redevance unique pour l’attribution d’un numéro de téléphone, égale à un certain pourcentage (en l’espèce 0,1 %) du chiffre d’affaires annuel jugé réalisable si ce numéro est transmis à un client final, sans tenir compte de leurs autres coûts d’entrée sur le marché et sans analyser, sur la base de ces coûts, leurs chances de pouvoir faire concurrence à l’entreprise dominante?»

III – La procédure devant la Cour

21.   Par ordonnance du 16 septembre 2003, le président de la Cour a décidé de joindre les deux affaires, en raison des liens objectifs qu’elles présentent.

22.   La Commission, les gouvernements allemand et du Royaume-Uni ainsi que les deux entreprises demanderesses dans les procédures au principal ont présenté des observations écrites dans le délai prévu à l’article 20 du statut de la Cour de justice.

23.   Les représentants des parties ayant déposé des observations écrites ont comparu à l’audience du 11 novembre 2004 pour présenter leurs arguments oralement, à l’exception du gouvernement du Royaume-Uni.

IV – Analyse des questions préjudicielles

A –    L’interprétation des règles fiscales de la directive

24.   Les questions déférées par le Bundesverwaltungsgericht offrent à la Cour l’occasion de préciser les limites que la libre concurrence impose aux États membres lorsqu’ils soumettent à redevance l’octroi de licences individuelles dans le secteur de la téléphonie. Elles peuvent également contribuer à définir le statut des successeurs des anciens monopoles d’État et leurs rapports avec les nouveaux concurrents, à la suite de la libéralisation des télécommunications en 1998.

25.   Comme je l’ai déjà indiqué, la création d’un marché unique européen dans ce secteur n’aurait pas été possible si l’on n’avait pas établi au niveau communautaire des règles fondamentales de nature à garantir l’égalité des chances entre les différents concurrents. Il s’agit des principes de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité, que l’article 11 de la directive mentionne expressément aux fins de l’organisation des procédures d’autorisation, étape particulièrement délicate et importante car ce sont les licences individuelles qui permettent aux opérateurs d’accéder au marché. Tout obstacle érigé au cours de ces procédures renforce le status quo et restreint la concurrence (13).

26.   Or, ledit article 11 (à l’instar de l’article 6) contient des règles fiscales, insérées dans un texte de nature procédurale, qui entendent contribuer à cette libéralisation en supprimant les obstacles à l’accès des nouveaux opérateurs. Comme je l’ai exposé au point 28 des conclusions que j’ai présentées dans les affaires jointes Albacom et Infostrada, précitées, ces règles doivent être interprétées conformément à cet objectif: les charges fiscales imposées aux entreprises dans le cadre de ces procédures ne doivent pas les dissuader de pénétrer sur le marché.

27.   L’article susmentionné vise deux types de prélèvement: une «taxe» applicable aux licences individuelles, au paragraphe 1, et une «redevance» lorsque l’autorisation concerne des ressources rares, au paragraphe 2. Le premier, dont le fait imposable réside dans les démarches administratives qu’impliquent la délivrance, la gestion, le contrôle et l’exécution de la licence, a pour objectif de couvrir les frais liés à l’accomplissement de la procédure. Le second, dont les titulaires des licences individuelles doivent également s’acquitter, vise à assurer une utilisation optimale des ressources limitées. Ces deux prélèvements doivent être imposés conformément aux principes d’objectivité, de non-discrimination et de transparence et, en ce qui concerne le second, le type de redevance et son montant ne doivent pas décourager l’accès de  nouveaux concurrents au marché ou l’introduction de services de télécommunications inédits. Je me suis exprimé dans les mêmes termes aux points 36 à 43 des conclusions dans les affaires jointes Albacom et Infostrada, précitées.

28.   Les décisions litigieuses et la réglementation allemande qui en est la base légale, dans la mesure où elles imposent le paiement d’un montant supérieur au coût de la prestation fournie, ne sauraient être justifiées que par l’article 11, paragraphe 2, de la directive. Il convient donc en premier lieu de déterminer si les numéros de téléphone constituent des ressources rares au sens de cette disposition.

B –    Les  numéros de téléphone, une «ressource rare»

29.   L’application uniforme de la directive exige d’établir une définition commune des termes «ressources rares», question sur laquelle la Cour n’a pas eu l’occasion de se prononcer jusqu’à présent. Cette notion doit selon moi recouvrir toutes les ressources qui doivent être préservées parce que, pour des raisons techniques, économiques ou pratiques, elles ne sont pas indéfiniment reproductibles (14). L’accroissement exponentiel du nombre d’utilisateurs et celui, corrélatif, du nombre de fournisseurs, réduit d’autant la quantité de numéros disponibles, qui deviennent une ressource rare dont l’attribution équitable (15) requiert des procédures et des critères adéquats afin que tous les concurrents partent de la même ligne de départ lors de leur entrée sur le marché, moment décisif pour assurer l’égalité de traitement dans le cadre d’une libre concurrence (16).

30.   Cette approche semble d’ailleurs être conforme à l’intention des autorités communautaires, qui ont exprimé à plusieurs reprises, expressément ou implicitement, leur préoccupation quant à une future pénurie et leur souhait d’éviter une restructuration de la numérotation. Ainsi, dans le Livre vert sur une politique de numérotation dans le domaine des services de télécommunications en Europe, la Commission a fait observer que, au cours de la période de transition vers la libéralisation totale, cette ressource deviendrait aussi importante que les fréquences ou les droits de passage car même si, contrairement à ces derniers, elle ne semble pas techniquement limitée, ses modifications sont onéreuses et peu appréciées des utilisateurs (17). Trois ans plus tard, la Commission a clairement affirmé dans la communication citée en note 6 que cet instrument était un bien rare (p. 26).

31.   La directive elle-même semble, bien qu’implicitement, retenir une telle interprétation en distinguant, comme je l’ai déjà relevé, entre, d’une part, les autorisations générales, permissions prédéfinies de caractère générique qui permettent aux entreprises d’opérer sur le marché des télécommunications sans devoir obtenir une décision expresse de l’organe compétent, mais moyennant un éventuel contrôle ultérieur et, d’autre part, les licences individuelles, autorisations spécifiques qui permettent aux titulaires d’opérer et qui sont soumises à une décision ad hoc de l’administration (18). Or, il ressort du treizième considérant, lu conjointement avec les articles 7, paragraphe 1, sous a) et 10, paragraphe 1, ainsi qu’avec les points 4.1 et 4.2 de l’annexe, que le champ d’application de ce second type d’autorisation comprend l’exploitation des ressources rares, parmi lesquelles figurent, outre les radiofréquences, les numéros de téléphone, interprétation confirmée par la directive 2002/20/CE (19), qui permet de soumettre à une redevance l’utilisation des radiofréquences  (article 13).

32.   Si l’on applique aux numéros de téléphone le même traitement que celui accordé aux radiofréquences, qui sont incontestablement limitées, il faut reconnaître la nécessité de leur protection, qui est l’un des éléments constitutifs de la notion de «ressources rares» au sens de l’article 11, paragraphe 2, de la directive.

C –    Les conditions énoncées à l’article 11, paragraphe 2, de la directive

33.   Cette disposition subordonne le pouvoir des États membres de percevoir une redevance pour l’exploitation des ressources rares à la satisfaction de trois conditions, puisque cette redevance 1) doit tenir compte de la nécessité de garantir leur utilisation optimale, 2) ne doit pas être discriminatoires, et 3) doit promouvoir le développement de services innovateurs et de la concurrence.

1.      L’utilisation optimale des ressources rares

34.   Comme je l’ai relevé au point 42 de mes conclusions dans les affaires jointes Infostrada et Albacom, précitées, ce prélèvement se distingue de la «taxe» prévue à l’article 11, paragraphe 1, en ce qu’il ne vise pas à couvrir les frais qu’a exposés l’administration pour la concession et la gestion de ces licences mais à rechercher le moyen le plus adéquat d’exploiter les ressources rares. Il est donc dépourvu de toute idée de contre-prestation et a la nature d’un impôt même s’il a une affectation particulière (point 35 des conclusions précitées).

35.   Cet objectif spécifique consiste à améliorer l’exploitation de ressources dont la pénurie justifie la perception d’une redevance puisque l’affectation des fonds ainsi obtenus au renforcement des infrastructures et à la recherche de nouvelles technologies serait conforme à l’objectif poursuivi par l’article 11. En tout état de cause, le législateur communautaire a laissé aux États membres le pouvoir de déterminer l’affectation des redevances (20), pouvoir qui n’est toutefois pas absolu puisque la nature du prélèvement commande de mettre son montant au service de cet objectif particulier. C’est ce que requiert l’harmonisation souhaitée.

36.   Le rapprochement des législations s’applique donc au fait imposable et au type de dépenses auquel les recettes doivent être affectées mais peut-être devrait-on aller plus loin et l’étendre au taux de la redevance. Par exemple, la taxe versée en Allemagne au titre de l’octroi d’une licence est quinze fois supérieure aux frais administratifs  y afférents et, même si on la considère élevée, le droit communautaire ne permet pas de la contester, à condition que les moyens financiers qu’elle fournit soient utilisés pour améliorer l’exploitation des ressources rares. Toutefois, on ne saurait ignorer que les disparités appréciables de pression fiscale entre les différents États membres peuvent sensiblement entraver les libertés de circulation en faussant la concurrence (21), alors que l’article 11, paragraphe 2, entend la promouvoir par les redevances qu’il régit (22).

37.   Par conséquent, un montant disproportionné ou excessivement élevé est non seulement contraire aux principes juridiques fondamentaux mais également susceptible d’enfreindre la directive, pour autant qu’il constitue un obstacle à l’accès de nouveaux opérateurs de télécommunications sur le marché.

2.      L’interdiction de tout traitement discriminatoire

38.   La notion de discrimination est bien établie dans la jurisprudence de la Cour; il y a discrimination lorsque des situations comparables sont traitées différemment sans que cette différence de traitement soit objectivement justifiée, entraînant un désavantage pour certains sujets par rapport à d’autres (23). En résumé, si, en application de l’article 11, paragraphe 2, de la directive, les États membres imposent des charges aux titulaires des licences individuelles en vue d’une utilisation optimale de certaines ressources, ils sont tenus de les réglementer de manière à ne pas établir de distinctions arbitraires entre les opérateurs du secteur.

39.   Ce principe confère de l’importance aux questions préjudicielles soulevées dans le présent litige, dont le cadre factuel correspond à la situation qui prévaut, à quelques nuances près, dans la majorité des États membres depuis l’achèvement du processus de libéralisation des services de télécommunications et l’abolition des monopoles d’État: la disparité des conditions de concurrence entre les sociétés qui ont succédé aux opérateurs historiques, en position dominante sur les marchés nationaux, et les nouveaux opérateurs, qui cherchent à s’établir sur un marché unique européen plus large.

40.   La directive exige que Deutsche Telekom, Isis et Firma se livrent concurrence sur un pied d’égalité; toutefois, alors que la première a obtenu une quantité considérable de numéros sans devoir payer quelque taxe que ce soit, les deux dernières ont payé une redevance en application de l’article 43, paragraphe 3, du TKG, bien que leurs situations respectives semblent comparables: les trois entreprises interviennent dans le même secteur, exercent une activité identique et, en conséquence, d’un point de vue économique, l’attribution de numéros de téléphone les affecte de la même manière.

41.   Le cadre de l’analyse étant ainsi posé, il convient d’examiner si la directive autorise une situation telle que celle à l’origine de la présente affaire.

42.   Cette question semble à première vue appeler une réponse négative: on ne saurait proposer l’application d’un traitement juridique différent à des situations comparables. En outre, il ne faut pas oublier le facteur temporel pertinent, à savoir que lorsque Deutsche Telekom s’est substituée à l’ancien monopole, le TKG n’était pas encore entré en vigueur. Il en résulte que l’acquisition par Deutsche Telekom de sa réserve de numéros appartient au passé, à une époque où la situation juridique était différente, et il n’est pas absurde de soutenir qu’elle ne peut pas, par conséquent, servir de terme de comparaison aux fins d’apprécier l’existence d’une inégalité de traitement.

43.   Mais on ne saurait parvenir automatiquement à une telle conclusion, il convient d’examiner le cadre factuel dans son ensemble en appréciant tous ses aspects, même ceux apparemment dénués de pertinence. L’arrêt Connect Austria, précité, a déclaré que, pour déterminer si l’octroi à titre gratuit d’une licence à une entreprise publique avant la libéralisation satisfait à l’obligation d’assurer l’égalité des chances entre les opérateurs concernés, il convenait de tenir compte de la date à laquelle elle a été octroyée, de la réglementation en vigueur à l’époque, d’une éventuelle obligation d’exploitation et, le cas échéant, de la valeur de l’autorisation à compter de l’ouverture du secteur à la concurrence  (point 94) (24).

44.   Les entreprises qui ont succédé aux anciens monopoles d’État détiennent, en règle générale, une position dominante sur les marchés nationaux, en dépit des progrès réalisés dans la libéralisation des télécommunications (25). Le Bundesverwaltungsgericht reconnaît que Deutsche Telekom est en position dominante dans le secteur, position qui, contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, n’est pas affaiblie par les dettes que Deutsche Telekom a reprises de l’ancien monopole, car l’acquisition gratuite de 400 millions de numéros (26) contribue à l’évidence à renforcer son contrôle sur la possibilité réelle de libre concurrence et l’on peut présumer que, grâce à cette réserve considérable et à l’obligation corrélative de ses concurrents de payer une taxe élevée, elle consolidera son privilège au détriment d’une concurrence loyale (27).

45.   Par ailleurs, la réglementation allemande ne prévoit pas de mécanisme permettant de compenser les désavantages susmentionnés. Le gouvernement allemand a indiqué que son droit national en vigueur interdit d’imposer a posteriori à Deutsche Telekom le paiement d’une redevance au titre des numéros acquis avant l’entrée en vigueur du TKG, même si le législateur national a envisagé cette possibilité (28) avant de l’écarter, la jugeant juridiquement erronée (29).

46.   Il existe donc une inégalité de traitement susceptible de fausser les conditions de concurrence et le fonctionnement du marché, question qui, semble-t-il,  n’est pas réglée par le droit allemand.

47.   Il reste à déterminer si ce traitement différent est justifié. On ne saurait se prévaloir du passé pour soutenir qu’il est impossible de revenir sur l’acquisition gratuite de cette énorme réserve de numéros conformément au droit en vigueur à l’époque, puisque ses effets perdurent, les avantages accordés à l’ancien monopole d’État puis transmis à l’entreprise qui lui a succédé ayant actuellement des conséquences préjudiciables pour les tiers. Le législateur national doit, lorsqu’il réglemente une nouvelle situation, respecter le droit communautaire applicable, dont l’un des principes fondamentaux est l’interdiction des discriminations anticoncurrentielles qui, comme je l’ai indiqué, préside également au processus de libéralisation des marchés en matière de télécommunications, entamé avant l’adoption du TKG (30).

48.   Le gouvernement allemand tente de justifier ce traitement en faisant valoir que les numéros attribués à Deutsche Telekom sont ceux d’anciens clients et ne sont donc pas en circulation, à moins qu’ils ne soient libres, auquel cas ils reviennent à l’autorité de régulation qui, dans le nouveau cadre de ses compétences, peut les réattribuer à un opérateur, y compris à Deutsche Telekom, après versement de la redevance correspondante. Mais il n’en reste pas moins qu’en réalité cette entreprise, loin de se soumettre au même régime que les autres, bénéficie gratuitement de numéros pour lesquels ses concurrents ont dû payer une redevance.

49.   Il ajoute, à la décharge de cette entreprise, qu’elle a repris non seulement les numéros de téléphone mais également de nombreuses charges destinées à compenser les avantages obtenus, parmi lesquelles figurent les obligations  propres à la prestation du service universel dans le cadre d’un marché ouvert à la concurrence et la reprise d’environ 80 000 fonctionnaires (31); cette affirmation n’est toutefois pas suffisamment étayée et, en tout état de cause, il appartient au juge national de l’apprécier pour déterminer si le traitement différent réservé aux entreprises concurrentes est admissible.

50.   En résumé, je constate qu’il existe en l’espèce une différence de régime dont il appartient au Bundesverwaltungsgericht d’apprécier la justification, en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire. À cet égard, on ne saurait valablement faire valoir que 1) l’attribution de numéros de téléphone ne donnait lieu à aucune redevance à l’époque à laquelle l’entreprise actuellement dominante à succédé à l’ancien monopole ni que 2) cette société est, depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime, soumise à la redevance au titre de l’attribution de nouveaux numéros.

3.      La compatibilité avec le principe de libre concurrence

51.   L’article 11, paragraphe 2, de la directive subordonne enfin l’imposition de redevances aux titulaires de licences individuelles pour l’utilisation de ressources rares à une dernière condition: ces redevances doivent promouvoir le développement de services innovateurs et de la concurrence.

52.   La libéralisation des télécommunications implique l’ouverture des marchés, dont la réalisation ne saurait être entravée par des taxes qui restreignent la concurrence en raison des taux différents appliqués à des opérateurs se trouvant dans la même situation, dont certains sont ainsi privilégiés par rapport à d’autres. En effet, comme la Cour l’a jugé au point 83 de l’arrêt Connect Austria, précité, la libre concurrence requiert l’égalité des chances entre les concurrents. Par ailleurs, l’objectif et la nature dérogatoire de l’article 11, paragraphe 2, qui appelle une interprétation restrictive conformément aux règles générales d’interprétation juridique (32), interdisent d’appliquer aux nouveaux concurrents plus de restrictions ou de charges que celles qui sont strictement nécessaires, comme je l’ai indiqué au point 43 de mes conclusions dans les affaires jointes Albacom et Infostrada.

53.   En outre, les entreprises qui souhaitent pénétrer dans ce secteur économique se voient contraintes de réaliser des investissements considérables, aussi la phase initiale de leur stratégie revêt-elle une importance particulière pour le développement de la concurrence, car les formalités administratives requises et les coûts y afférents (33) peuvent avoir pour conséquence indésirable de protéger et de renforcer la position des entreprises déjà établies (34).

54.   Toutefois, la distorsion de concurrence doit s’apprécier au regard non seulement de facteurs économiques mais également de facteurs techniques, deux éléments complémentaires qui réduisent la marge d’appréciation des autorités étatiques, qu’elles soient investies de pouvoirs normatifs ou de simple exécution (35). Parmi ces facteurs techniques figurent précisément les numéros de téléphone, ressource rare qui a acquis une grande importance puisque le libre jeu des forces du marché requiert au préalable la mise à disposition d’une quantité suffisante de numéros ainsi que leur répartition équitable entre les concurrents (36).

55.   Si l’on ajoute au fait que le successeur de l’ancien monopole s’est vu attribuer une énorme partie de cette ressource limitée la circonstance que les nouveaux opérateurs sont tenus de payer une somme largement supérieure au coût des démarches administratives accomplies pour l’attribution de numéros, il semble indiscutable que la différence de régime ici en cause contribue à renforcer la position dominante préexistante et entrave donc l’accès d’autres entreprises au marché au détriment de la libre concurrence, qui est l’objectif poursuivi par la directive en général et son article 11, paragraphe 2, en particulier. Non seulement Deutsche Telekom a reçu une part considérable du «gâteau» mais, de surcroît, elle l’a obtenue gratuitement alors que les autres entreprises doivent payer un prix élevé: force est donc de constater que l’égalité des chances requise pour la commercialisation du produit fait défaut.

56.   Par conséquent, la directive et son article 11, paragraphe 2, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’attribution de numéros de téléphone fasse l’objet d’une redevance fondée sur leur valeur économique et dont le montant est supérieur au coût des démarches administratives accomplies à cet effet, lorsqu’une entreprise qui détient une position dominante sur le marché en tant que successeur de l’ancien monopole d’État a reçu gratuitement les blocs de numéros de son auteur et que, selon le droit national, cette attribution, qui ne constitue pas la compensation des charges «héritées» de l’ancien monopole, ne peut être rétroactivement soumise à une redevance.

57.   La réponse négative que je propose d’apporter à la première question préjudicielle rend superflue toute réflexion quant à la seconde, car il ressort des considérations qui précèdent que l’on ne peut imposer aux nouvelles entreprises une redevance unique, égale à un certain pourcentage (0,1 % du chiffre d’affaires jugé réalisable si ces numéros sont transmis à un client final), sans analyser au préalable, sur la base de leurs autres coûts d’entrée sur le marché, leurs chances de pouvoir faire concurrence à l’entreprise dominante déjà présente sur le marché.

V –    Conclusion

58.   Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la première des deux questions préjudicielles déférées par le Bundesverwaltungsgericht dans les présentes affaires jointes que «la directive 97/13/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications, et, en particulier, son article 11, paragraphe 2, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’attribution de numéros de téléphone fasse l’objet d’une redevance fondée sur leur valeur économique et dont le montant est largement supérieur au coût des démarches administratives accomplies pour ladite attribution, lorsqu’une entreprise qui détient une position dominante sur le marché en tant que successeur de l’ancien monopole d’État a repris gratuitement les blocs de numéros dont disposait son auteur et que, selon le droit national, cette attribution, qui ne constitue pas la compensation des charges ‘héritées’ dudit monopole, ne peut être rétroactivement soumise à une redevance».


1 – Langue originale: l'espagnol.


2 – JO L 117, p. 15, ci-après la «directive».


3  – Selon l'article 2, paragraphe 1, de la directive, il s'agit d'organismes fonctionnellement indépendants chargés d'élaborer les autorisations et de veiller à leur respect.


4  – On se reportera utilement, pour connaître en quelques lignes cette évolution, au résumé introductif de la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen – consultation relative au Livre vert sur la libéralisation des infrastructures de télécommunications et des réseaux de télévision par câble, Bruxelles, 3 mai 1995, COM (95) 158 final.


5  – Livre vert sur le développement du marché commun des services et équipements des télécommunications, Bruxelles, 16 décembre 1987, COM (87) 290 final, p. 6, 16 et suiv. du document de synthèse.  


6  – Livre vert sur la libéralisation des infrastructures de télécommunications et des réseaux de télévision par câble – Partie II, Bruxelles, 25 janvier 1995, COM (94) 682 final, p. 61 et suiv. Voir également la communication de la Commission intitulée «Vers un nouveau cadre pour les infrastructures de communications électroniques et les services associés – Réexamen 1999 du cadre réglementaire des communications», Bruxelles, 10 novembre 1999, COM (1999) 539 final, p. 25.


7  – Conclusions présentées le 12 décembre 2002 dans les affaires jointes C-292/01 et C-203/01 (arrêt du 18 septembre 2003, Rec.,  p. I-9449), dont les points 2 à 7 sont presque littéralement identiques aux points 6 à 11 des présentes conclusions.


8  – Selon l'article 2, paragraphe 1, sous a), premier tiret,  de la directive, on entend par autorisation générale «une autorisation, qu'elle soit régie par une ‘licence par catégorie’ ou par des dispositions législatives générales et que ce régime prévoie ou non une obligation d'enregistrement, qui n'oblige pas l'entreprise concernée à obtenir une décision explicite de l'autorité réglementaire nationale avant d'exercer les droits découlant de cette autorisation».


9  – La licence individuelle est une autorisation «qui est accordée par une autorité réglementaire nationale et qui confère des droits spécifiques à une entreprise ou qui soumet ses activités à des obligations spécifiques, complétant l'autorisation générale, le cas échéant, lorsque l'entreprise n'est pas autorisée à exercer les droits concernés avant d'avoir reçu la décision de l'autorité réglementaire nationale» [article 2, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la directive].


10  – Les conditions qui peuvent être attachées aux autorisations sont énoncées dans l'annexe à la directive.


11  – BGBl. 1996, I, p. 1120.


12  – BGBl. 1999, I, p. 1887.


13  – Selon la Commission, «les licences dans le domaine des télécommunications restreignent de manière implicite la libre fourniture de services et peuvent fausser les structures du marché» (communication, citée à la note 4, p. vii).


14  – Telle est la définition qu'a retenue le Verwaltungsgericht Köln dans un arrêt du 15 décembre 2000, publié dans Multimedia und Recht, 5/2001, p. 327.


15  – Voir, également, dans ce sens, Gramlich, L., Rechtsfragen der Nummerierung nach § 43 Telekomunikationsgesetz, Archiv für Post und Telekommunikation 1998, p. 16; et Scherer, J., «Entwicklungslinien des Telekomunikationsrechts» dans Computer und Recht 2000, p. 42.


16  – Voir Polster, S., Das Telekomunikationsrecht der Europäischen Gemeinschaften, Vienne, 1999, p. 78.


17  – Livre vert sur une politique de numérotation dans le domaine des services de télécommunications en Europe, Bruxelles, 20 novembre 1996, COM (96) 590 final, p. 1, et note 3.


18  – Comme je l'ai affirmé aux points 30 et 31 de mes conclusions dans les affaires jointes Albacom et Infostrada, précitées, portant sur l'interprétation des articles 2, 5 et 9 de la directive.


19  – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive «autorisation») (JO L 108, p. 21).


20  – La directive «autorisation» indique en son trente-deuxième considérant qu'elle n'a pas pour objet de préciser dans quel but les redevances applicables aux droits d'utilisation doivent être perçues.


21  – Au point 51, in fine, des conclusions que j'ai présentées dans les affaires jointes Albacom et Infostrada, itérativement citées, j'ai relevé que «les disparités dans le traitement fiscal d'un même fait imposable par les États membres sont susceptibles de provoquer des distorsions significatives de la concurrence, tout en affectant la libre circulation des personnes, des capitaux et des marchandises, ainsi que la libre prestation de services». Scherer, J., op. cit., p. 42, critique la marge d'appréciation que laisse la directive aux États membres en leur permettant d'imposer des taxes de taux différents pour l'attribution de ressources rares et d'ériger ainsi de véritables barrières à l'entrée sur le marché. Polster, S., op. cit., p. 78, est du même avis et souligne le manque de précision avec lequel a été fixée la limite maximale de ces redevances. Le Bureau européen des télécommunications a quant à lui indiqué dans un rapport établi pour la Commission (Annexes to the second interim report – Fees for licensing telecommunications services and networks, juillet 1999, p. 5) que les disparités entre les charges imposées aux opérateurs peuvent avoir  des conséquences négatives sur le secteur, en défavorisant certains marchés nationaux par rapport à d'autres.


22  – Le trente et unième considérant de la directive «autorisation» rappelle que les taxes administratives qu'imposent les États membres ne doivent pas créer de distorsions de la concurrence ni de barrières à l'entrée sur le marché.


23  – L'arrêt du 13 juillet 1963, Klöckner-Werke et Hoesch (17/61 et 20/61, Rec. p. 615, 652) est l'un des plus anciens sur ce point; voir également arrêts du 26 septembre 2002, Espagne/Commission (C-351/98, Rec. p. I-8031, point 57), et  du 22 mai 2003, Connect Austria (C-462/99, Rec. p. I-5197, point 115), sur lesquels je reviendrai plus loin.


24  – La Cour a jugé, au regard de ces critères, que les articles 9, paragraphe 2, et 11, paragraphe 2, de la directive ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui attribue des fréquences supplémentaires dans la bande de fréquences DCS 1800 à une entreprise publique en position dominante, déjà titulaire d'une licence GSM 900, sans lui imposer une redevance distincte alors qu'un nouvel entrant sur le marché en cause doit payer une redevance pour l'octroi d'une licence DCS 1800,  si la redevance imposée à la première pour sa licence GSM 900, y compris l'attribution ultérieure, sans paiement complémentaire, de fréquences supplémentaires dans la bande DCS 1800, apparaît équivalente, en termes économiques, à celle imposée à l'entreprise concurrente (point 118).


25  – Selon la jurisprudence communautaire, une entreprise détient une position dominante lorsqu'elle a le pouvoir de faire obstacle au maintien de la concurrence sur un marché déterminé et la possibilité d'adopter un comportement indépendant vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs [arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche (85/76, Rec. p. 461, point 38; du 11 décembre 1980, L'Oréal (31/80, Rec. p. 3775, point 26), et du 9 novembre 1983, Michelin (322/81, Rec. p. 3461, point 30)].


26  – Il importe de relever que, pour l'attribution d'une quantité largement inférieure (230 300 numéros) et le refus de 21 000 numéros, Firma a dû verser une redevance de 2 308 250 DEM (actuellement 1 154 125 EUR).  La taxe afférente aux 400 millions de numéros attribués à  Deutsche Telekom équivaudrait à 400 millions de DEM (200 millions EUR).


27  – L'arrêt Connect Austria, précité, énonce aux points 85 et 86 que le fait qu'un nouvel entrant sur le marché en cause doive payer une redevance pour l'octroi d'une licence, alors que l'entreprise publique dominante peut l'obtenir gratuitement, constitue un avantage concurrentiel permettant à  cette dernière d'étendre sa position dominante en offrant des tarifs réduits.


28  – Le premier motif, quatrième paragraphe, de l'ordonnance de renvoi dans la présente affaire indique que «le pouvoir réglementaire était parti du fait que Deutsche Telekom AG acquitterait une redevance d'environ 386 000 000 DEM pour ces numéros qu'elle a repris. Cette redevance n'a cependant jamais été versée car Deutsche Telekom AG n'a jamais déposé de demande d'attribution des numéros en question; or l'obligation de payer la redevance est liée à la décision concernant une telle demande».


29  – Wissmann, M., (éditeur), Telekommunikationsrecht, Heidelberg 2003, p. 351 et 1219, évoque l'incertitude juridique qui règne en Allemagne concernant la valeur économique de la réserve dont dispose Deutsche Telekom. La question de savoir si l'on peut lui imposer une redevance pour les numéros attribués avant le 1er août 1996 au motif que le TKG a précisément pour objectif d'assurer l'égalité des conditions de concurrence est débattue en doctrine et a donné lieu à des divergences jurisprudentielles. En outre,  fait-on également valoir en ce sens, cette société ne doit pas tirer profit du monopole créé antérieurement dans le cadre d'un marché fermé. Selon les tenants de la thèse contraire, il convient de souligner que la transmission en question a eu lieu conformément au cadre juridique en vigueur à l'époque et à la répartition des compétences entre le Bundesministerium für Post und Telekommunikation (ministère fédéral des Postes et Télécommunications), Deutsche Telekom et son auteur. 


30  – Ce processus a débuté avec la directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunication (JO L 192, p. 10).  Elle a été modifiée en premier lieu par la directive 94/46/CE de la Commission, du 13 octobre 1994, modifiant les directives 88/301/CEE et 90/388/CEE en ce qui concerne en particulier les communications par satellite (JO L 268, p. 15). La directive 95/51/CE de la Commission, du 18 octobre 1995 (JO L 256,  p. 49), a supprimé les restrictions à l'utilisation des réseaux câblés de télévision pour la fourniture de services de télécommunications déjà libéralisés. Cette même année, la directive n° 95/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 1995 (JO L 321, p. 6) a fixé les conditions d'ouverture du marché de la téléphonie vocale fixe. La directive n° 90/388 a été de nouveau modifiée par la directive n° 96/2/CE de la Commission, du 16 janvier 1996 (JO L 20, p. 59), pour étendre son champ d'application  aux services et aux systèmes de communications mobiles et personnels. La directive n° 96/19/CE de la Commission, du 13 mars 1996 (JO L 74, p. 13), a modifié celle de 1990 afin de promouvoir la pleine concurrence sur les marchés des télécommunications. La dernière modification est intervenue avec la directive n° 1999/64/CE de la Commission, du 23 juin 1999 (JO L 175, p. 39), qui avait pour objet de garantir que les réseaux de télécommunications et les réseaux câblés de télévision appartenant à un seul et même opérateur constituent des entités juridiques distinctes. Cet acquis communautaire a été en partie abrogé et remplacé par la directive n° 2002/77/CE de la Commission, du 16 septembre 2002, relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques (JO L 249, p. 21). 


31  – Il est difficile de considérer que la reprise de 80 000 fonctionnaires représente une charge, à moins de partir de la vieille idée selon laquelle ils constituent un personnel privilégié, peu préparé et rarement efficace, qui est très présente dans la littérature du XIXe siècle, comme il ressort, par exemple, de la nouvelle de Tchékov, La salle n° 6 (Tchékov, A., «Cuentos imprescindibles», édition et préface de Richard Ford, Editorial Lumen, Barcelona 2002, p. 204), où Andréi Yefimych se lamente ainsi «[j]e sers une cause pernicieuse, je reçois mon traitement de personnes que je trompe, je ne suis pas honnête. Mais en réalité je ne suis rien, je ne suis qu'un élément d'un mal social inévitable: tous les fonctionnaires de province sont nocifs et payés à ne rien faire».


32  – Dans l'arrêt Albacom et Infostrada, précité, la Cour a dit pour droit que le libellé de l'article 11, paragraphe 2, appelle une interprétation restrictive (point 34).


33  – Dans la communication citée à la note 6, la Commission estime que l'octroi d'une licence peut devenir un obstacle injustifié à l'accès au marché lorsqu'il se caractérise par des réglementations et procédures administratives inutilement lourdes. Elle rappelle également que les charges fiscales doivent être réduites (p. 25 et 26). Si l'on analyse attentivement les faits des litiges au principal, il apparaît, comme je l'ai déjà relevé, que la taxe litigieuse est quinze fois supérieure aux coûts de l'activité accomplie.


34  – Heffermann, A., Telekommunikationsrecht, Liberalisierung und Wettbewerg, Vienne, 2002, p. 1, indique que les règles de concurrence ont acquis une grande importance avec la consolidation des forces du marché après la libéralisation du secteur, circonstance qui revêt, selon lui, un intérêt particulier en raison de la position dominante que détiennent actuellement les anciens monopoles d'État, comme le présent renvoi préjudiciel permet de le constater.


35  – Voir Möstl, M., «Lizenzgebühren im Bereich Von Post und Telekommunikation», dans Neue Zeitschrift für Verwaltungsrecht 2001, p. 738.


36  – On peut se reporter sur ce point à l'ouvrage précité de M. Wissmann, M, (éditeur), p. 326 et 1196.

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