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Document 62002CJ0183

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 11 novembre 2004.
Daewoo Electronics Manufacturing España SA (Demesa) (C-183/02 P) et Territorio Histórico de Álava - Diputación Foral de Álava (C-187/02 P) contre Commission des Communautés européennes.
Pourvoi - Aides d'État - Mesures fiscales - Confiance légitime - Moyens nouveaux.
Affaires jointes C-183/02 P et C-187/02 P.

Recueil de jurisprudence 2004 I-10609

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2004:701

Arrêt de la Cour

Affaires jointes C-183/02 P et C-187/02 P


Daewoo Electronics Manufacturing España SA (Demesa)etTerritorio Histórico de Álava - Diputacíon Foral de Álava
contre
Commission des Communautés européennes


«Pourvoi – Aides d'État – Mesures fiscales – Confiance légitime – Moyens nouveaux»

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 6 mai 2004
    
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 11 novembre 2004
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Aides accordées par les États – Récupération d'une aide illégale – Aide octroyée en violation des règles de procédure de l'article 93 du traité (devenu article 88 CE) – Confiance légitime éventuelle dans le chef des bénéficiaires – Protection – Conditions et limites

(Traité CE, art. 93, § 3 (devenu art. 88, § 3, CE))

2.
Pourvoi – Moyens – Moyen présenté pour la première fois dans le cadre du pourvoi – Irrecevabilité

(Statut de la Cour de justice, art. 58)

1.
Compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l’article 93 du traité (devenu article 88 CE), les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ledit article et un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale en vertu de l’article 93, paragraphe 3, du traité, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci.

(cf. points 44-45)

2.
Permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges.

(cf. point 59)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
11 novembre 2004(1)


«Pourvoi – Aides d'État – Mesures fiscales – Confiance légitime – Moyens nouveaux»

Dans les affaires jointes C-183/02 P et C-187/02 P,ayant pour objet deux pourvois au titre de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, introduits respectivement les 15 et 16 mai 2002,

Daewoo Electronics Manufacturing España SA (Demesa), établie à Vitoria (Espagne), représentée par Mes A. Creus Carreras et B. Uriarte Valiente, abogados,

partie requérante dans l'affaire C-183/02 P,

Territorio Histórico de Álava – Diputación Foral de Álava, représenté par Mes A. Creus Carreras, B. Uriarte Valiente et M. Bravo-Ferrer Delgado, abogados,

partie requérante dans l'affaire C-187/02 P,

soutenu parComunidad Autónoma del País Vasco, représentée par Me E. Garayar Gutiérrez, abogado,

partie intervenante au pourvoi,

les autres parties à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Santaolalla Gadea et J. L. Buendía Sierra, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

Asociación Nacional de Fabricantes de Electrodomésticos de Línea Blanca (ANFEL), établie à Madrid (Espagne),etConseil européen de la construction d'appareils domestiques (CECED), établi à Bruxelles (Belgique),

parties intervenantes en première instance,



LA COUR (deuxième chambre),,



composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. C. Gulmann (rapporteur) et Mme N. Colneric, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme M. Múgica Arzamendi, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 11 mars 2004,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 mai 2004,

rend le présent



Arrêt



1
Par leurs pourvois, Daewoo Electronics Manufacturing España SA (ci-après «Demesa») et le Territorio Histórico de Álava – Diputación Foral de Álava (ci-après le «Territorio Histórico de Álava») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T-127/99, T-129/99 et T-148/99, Rec. p. II-1275, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé partiellement la décision 1999/718/CE de la Commission, du 24 février 1999, concernant l’aide d’État mise à exécution par l’Espagne en faveur de Daewoo Electronics Manufacturing España SA (Demesa) (JO L 292, p. 1, ci-après la «décision attaquée»), et, pour le surplus, rejeté leurs recours en annulation dirigés contre cette décision.


Le cadre juridique

2
Le cadre fiscal en vigueur au Pays basque espagnol (ci-après le «Pays basque») relève du régime de la concertation économique mis en place par la loi espagnole n° 12/1981, du 13 mai 1981, ultérieurement modifiée par la loi n° 38/1997, du 4 août 1997.

3
En vertu de cette législation, la Diputación Foral de Álava peut, sous certaines conditions, organiser le régime fiscal applicable sur son territoire.

4
À ce titre, elle a pris, notamment, une mesure fiscale sous la forme d’un crédit d’impôt de 45 % du montant de l’investissement (ci-après le «crédit d’impôt de 45 %» ou la «mesure fiscale litigieuse»).

5
La sixième disposition additionnelle de la Norma Foral n° 22/1994, du 20 décembre 1994, portant exécution du budget du Territorio Histórico de Álava pour l’année 1995 (Boletín Oficial del Territorio Histórico de Álava, n° 5, du 13 janvier 1995), dispose:

«Les investissements en immobilisations corporelles neuves, effectués entre le 1er janvier et le 31 décembre 1995, qui excèdent 2,5 milliards de ESP selon l’accord de la Diputación Foral de Álava, bénéficieront d’un crédit d’impôt de 45 % du montant de l’investissement déterminé par la Diputación Foral de Álava, applicable au montant final d’impôt à payer.

La déduction non appliquée pour insuffisance d’impôt pourra être appliquée dans les neuf ans qui suivent l’année durant laquelle l’accord de la Diputación Foral de Álava a été conclu.

Cet accord de la Diputación Foral de Álava fixera les délais et les restrictions applicables dans chaque cas.

Les avantages reconnus en vertu de la présente disposition seront incompatibles avec tout autre avantage fiscal existant en raison de ces mêmes investissements.

La Diputación Foral de Álava déterminera également la durée du processus d’investissement, lequel pourra englober des investissements réalisés durant la phase de préparation du projet à la base des investissements.»

6
La validité de cette disposition a été prorogée pour les années 1996 et 1997, puis le crédit d’impôt de 45 % a été maintenu, sous une forme modifiée, pour les années 1998 et 1999, par des Normas Forales ultérieures.


Les faits à l’origine du litige

7
Le 13 mars 1996, les autorités basques et Daewoo Electronics Co. Ltd (ci-après «Daewoo Electronics») ont signé un accord de coopération par lequel cette dernière s’engageait à créer une usine de production de réfrigérateurs au Pays basque. De leur côté, les autorités basques s’engageaient à soutenir ce projet par l’octroi de subventions.

8
L’entreprise créée par Daewoo Electronics était tenue de rédiger un plan d’entreprise dont l’approbation par les autorités basques était une condition préalable à la mise en œuvre de l’accord. Ce plan, relatif à la période comprise entre 1996 et 2001, a été présenté aux autorités basques en septembre 1996. Il prévoyait un investissement de 11 835 600 000 ESP et la création de 745 emplois.

9
Le 7 octobre 1996, a été constituée Demesa, société de droit espagnol, filiale à 100 % de Daewoo Electronics.

10
En vertu de l’accord n° 737/1997, du 21 octobre 1997, de la Diputación Foral de Álava, Demesa a obtenu le crédit d’impôt de 45 % prévu par la sixième disposition additionnelle de la Norma Foral n° 22/1994.

11
Le 11 juin 1996, l’Asociación Nacional de Fabricantes de Electrodomésticos de Línea Blanca (ANFEL) a adressé à la Commission des Communautés européennes une plainte dirigée contre le royaume d’Espagne. Elle reprochait à cet État membre d’avoir mis à exécution une aide en faveur de Demesa sous la forme, notamment, de mesures fiscales. Le Conseil européen de la construction d’appareils domestiques (CECED) a adressé à la Commission une plainte dans le même sens.

12
Après un échange de courriers, la Commission a, par lettre du 16 décembre 1997, informé les autorités espagnoles de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) en ce qui concerne, en particulier, le crédit d’impôt de 45 % accordé à Demesa.

13
Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision attaquée.

14
À l’article 1er, sous d), de celle-ci, le crédit d’impôt de 45 % accordé à Demesa est qualifié d’aide d’État incompatible avec le marché commun.

15
À l’article 2 de la même décision, la Commission enjoint au royaume d’Espagne de retirer l’avantage procuré par l’aide en cause illégalement mise à la disposition de son bénéficiaire.


Les recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

16
Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 25 mai, 26 mai et 18 juin 1999, le Territorio Histórico de Álava (affaire T‑127/99), la Comunidad Autónoma del País Vasco et Gasteizko Industria Lurra SA (affaire T-129/99) ainsi que Demesa (affaire T‑148/99) ont introduit des recours dirigés contre la Commission.

17
Chacune de ces parties requérantes a conclu à l’annulation, totale ou partielle, de la décision attaquée.

18
Par ordonnances du président de la troisième chambre du Tribunal du 25 février 2000, l’Asociación Nacional de Fabricantes de Electrodomésticos de Línea Blanca et le Conseil européen de la construction d’appareils domestiques ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

19
Par ordonnance du 5 juin 2001, les trois affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

20
Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a notamment:

rejeté les recours du Territorio Histórico de Álava et de Demesa en tant qu’ils visaient à l’annulation de la décision attaquée en ce qui concerne le crédit d’impôt de 45 %;

déclaré irrecevables les recours de la Comunidad Autónoma del País Vasco et de Gasteizko Industria Lurra SA en tant qu’ils tendaient à obtenir la même annulation;

condamné chaque partie à supporter ses propres dépens.


Les pourvois

21
Par ordonnance du 23 octobre 2002, la Cour a admis la Comunidad Autónoma del País Vasco à intervenir au soutien des conclusions du Territorio Histórico de Álava.

22
Par ordonnance du président de la Cour du 6 mars 2003, une demande d’intervention au soutien des conclusions de Demesa, présentée par le Gobierno Foral de Navarra (gouvernement de Navarre), a été rejetée.

23
Demesa conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

annuler l’arrêt attaqué;

statuant elle-même sur le litige, annuler les articles 1er, sous d), et 2 de la décision attaquée;

subsidiairement, renvoyer l’affaire devant le Tribunal;

condamner la Commission aux dépens de la procédure de première instance et à ceux de la procédure de pourvoi.

24
Le Territorio Histórico de Álava conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

annuler l’arrêt attaqué;

statuant elle-même sur le litige, annuler la décision attaquée en tant qu’elle concerne le crédit d’impôt de 45 %;

subsidiairement, renvoyer l’affaire devant le Tribunal;

condamner la Commission aux dépens de la procédure de première instance et à ceux de la procédure de pourvoi.

25
La Comunidad Autónoma del País Vasco conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

annuler partiellement l’arrêt attaqué dans la mesure où il conclut que le crédit d’impôt de 45 % constitue une aide d’État;

condamner la Commission aux dépens de la procédure.

26
Ayant renoncé, lors de la procédure orale, à une exception d’irrecevabilité du pourvoi formé par le Territorio Histórico de Álava, la Commission conclut en définitive, dans chacune des deux affaires C‑183/02 P et C-187/02 P, à ce qu’il plaise à la Cour:

rejeter le pourvoi;

condamner la partie requérante aux dépens.


Les moyens d’annulation de l’arrêt attaqué

27
Dans sa requête, Demesa soulevait cinq moyens d’annulation de l’arrêt attaqué, tirés:

d’une qualification erronée de la mesure fiscale litigieuse en tant qu’aide d’État incompatible avec le marché commun;

d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il a jugé que la mesure litigieuse n’était pas une aide existante;

d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il a jugé que le principe de protection de la confiance légitime n’était pas applicable.

28
Par mémoire déposé le 20 février 2004, elle a informé la Cour qu’elle maintenait uniquement son moyen tiré du principe de protection de la confiance légitime et qu’elle renonçait à ses autres moyens.

29
Dans sa requête, le Territorio Histórico de Álava soulevait six moyens d’annulation de l’arrêt attaqué, tirés:

d’une qualification erronée de la mesure fiscale litigieuse en tant qu’aide d’État incompatible avec le marché commun;

d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il a jugé que la mesure litigieuse n’était pas une aide existante;

d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il n’a pas reconnu l’existence d’un détournement de pouvoir de la Commission;

d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point.

30
Par mémoire déposé le 20 février 2004, il a informé la Cour qu’il:

maintenait partiellement les premier et deuxième moyens tirés, respectivement, d’une qualification erronée de la mesure fiscale litigieuse en tant qu’aide d’État incompatible avec le marché commun et d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

maintenait ses cinquième et sixième moyens tirés, respectivement, de l’existence d’un détournement de pouvoir et d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

renonçait à ses autres moyens.


Sur les pourvois

31
Les parties et Mme l’avocat général ayant été entendues sur ce point, il y a lieu, pour cause de connexité, de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 43 du règlement de procédure de la Cour.

Sur le moyen tiré par Demesa du principe de protection de la confiance légitime

Argumentation des parties

32
Devant le Tribunal, Demesa a invoqué le principe de protection de la confiance légitime. Elle s’est référée à la décision 93/337/CEE de la Commission, du 10 mai 1993, concernant un système d’aides fiscales à l’investissement au Pays basque (JO L 134, p. 25). Elle a fait valoir que cette décision avait qualifié d’aides incompatibles avec le marché commun, en tant que contraires à l’article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), des crédits d’impôt pour des investissements réalisés. Demesa a soutenu que les dispositions nécessaires pour adapter la législation régionale à la décision 93/337 avaient été arrêtées et que la Commission avait marqué son accord quant à la solution adoptée. Dès lors, tant les autorités espagnoles que la Commission elle-même auraient considéré que le problème était clos. Pour cette raison, la Commission n’aurait jamais ouvert de procédure relative aux aides d’État ni soulevé d’objection contre les normes fiscales similaires adoptées par la suite. Elle aurait donc créé une attente légitime dans le chef de Demesa, ainsi que dans celui de tout opérateur soumis à la réglementation régionale concernée, selon laquelle les mesures fiscales prises par la Diputación Foral de Álava étaient autorisées par la Commission dès lors qu’elles ne comportaient aucune violation de l’article 52 du traité.

33
Demesa fait grief au Tribunal d’avoir, aux points 234 et suivants de l’arrêt attaqué, rejeté son moyen au motif que la mesure fiscale litigieuse n’avait pas fait l’objet d’une notification préalable, contrairement aux exigences de l’article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE).

34
Selon elle, dans le contexte de la politique suivie par la Commission au moment de la demande d’application du crédit d’impôt de 45 %, il était excessif d’exiger d’un opérateur qu’il vérifiât si la mesure fiscale qui lui était applicable réunissait les conditions de l’article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) et devait, par conséquent, être notifiée à la Commission.

35
Demesa aurait donc été fondée à invoquer le principe de protection de la confiance légitime.

36
La requérante soutient que la déclaration d’incompatibilité contenue dans la décision 93/337 était fondée sur la constatation d’une violation de l’article 52 du traité, et non pas également, comme l’a considéré le Tribunal au point 237 de l’arrêt attaqué, sur la constatation d’une violation de la réglementation communautaire en matière d’aides d’État.

37
En toute hypothèse, les mesures mises en cause dans la décision 93/337 auraient été qualifiées d’aides d’État sur le fondement de trois critères de sélectivité (sélectivité régionale, sectorielle et matérielle) qui, selon Demesa, ne pouvaient être retenus en ce qui concerne la mesure fiscale litigieuse. Partant, ladite décision ne pourrait être invoquée pour soutenir qu’elle aurait dû considérer que le crédit d’impôt de 45 % constituait une aide d’État et aurait dû, en conséquence, être notifié à la Commission.

38
La Commission fait valoir que, lorsque le crédit d’impôt a été accordé à Demesa, certains éléments montraient clairement qu’il s’agissait d’aides d’État.

39
En particulier, la décision 93/337 aurait considéré des mesures comparables comme des aides incompatibles avec le marché commun. Cette déclaration d’incompatibilité n’aurait pas été liée uniquement à une violation de la liberté d’établissement, mais, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 237 de l’arrêt attaqué, également à la violation des différentes disciplines des aides.

40
En outre, il serait évident que la décision 93/337 ne pouvait que se fonder sur la constatation préalable que les mesures en cause avaient un caractère d’aides d’État.

41
Pourtant, Demesa n’aurait pas vérifié si les aides qu’elle recevait avaient été autorisées par la Commission.

42
En tout état de cause, en l’absence de notification préalable de la mesure fiscale litigieuse, la requérante n’aurait pu tirer argument d’une inaction de la Commission.

43
Dès lors, le Tribunal aurait à bon droit écarté l’existence d’une confiance légitime.

Appréciation de la Cour

44
Il convient de rappeler, d’une part, que, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l’article 93 du traité, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ledit article et, d’autre part, qu’un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée (arrêts du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C-5/89, Rec. p. I-3437, point 14; du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C-169/95, Rec. p. I-135, point 51, et du 20 mars 1997, Alcan Deutschland, C-24/95, Rec. p. I‑1591, point 25).

45
En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale en vertu de l’article 93, paragraphe 3, du traité, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci (voir arrêt Alcan Deutschland, précité, points 30 et 31).

46
En l’espèce, le Tribunal a constaté, au point 235 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas contesté que le crédit d’impôt de 45 % avait été institué sans notification préalable, en violation de l’article 93, paragraphe 3, du traité.

47
Au point 236 de l’arrêt attaqué, se référant notamment à l’arrêt Commission/Allemagne, précité, il a déduit à bon droit de cette constatation que l’argumentation tirée du principe de protection de la confiance légitime ne pouvait être accueillie.

48
Au point suivant du même arrêt, il a énoncé à juste titre que cette argumentation de la requérante était fondée sur une lecture erronée de la décision 93/337. En effet, dans celle-ci, ainsi qu’il l’a souligné, la Commission avait qualifié les aides en cause d’incompatibles avec le marché commun non seulement parce qu’elles étaient contraires à l’article 52 du traité, mais également, au point V de ladite décision consacré à l’examen de la possibilité d’admettre l’une des dérogations prévues à l’article 92 du traité, parce qu’elles ne respectaient pas les diverses disciplines des aides.

49
Il convient d’ajouter que, plus précisément, dans la décision 93/337, la Commission:

avait relevé que les aides en cause comprenaient un crédit fiscal de 20 % des investissements (point I);

avait considéré que n’étaient pas remplies, aux fins de l’application de la dérogation prévue à l’article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, les conditions énoncées par l’encadrement communautaire des aides aux petites et moyennes entreprises, du 19 août 1992 (JO C 213, p. 2), encadrement qui, après avoir défini, à son point 2.2, les composantes de la catégorie des petites et moyennes entreprises, précisait, à son point 4.1, cinquième alinéa, que la Commission avait décidé de n’autoriser des aides à l’investissement que jusqu’à un niveau maximal de 15 % de l’investissement pour les petites entreprises et de 7,5 % de l’investissement pour les autres entreprises de la même catégorie (point V);

avait enjoint aux autorités espagnoles de veiller à ce que les aides fussent octroyées, notamment, dans les conditions prévues par l’encadrement communautaire des aides aux petites et moyennes entreprises (article 1er, paragraphe 4).

50
Il apparaît ainsi que Demesa ne pouvait pas déduire de la décision 93/337 qu’un crédit d’impôt de 45 %, octroyé à une entreprise d’une taille lui permettant de procéder à l’investissement minimal de 2,5 milliards de ESP exigé par la sixième disposition additionnelle de la Norma Foral n° 22/1994, ne pourrait pas être qualifié d’aide au sens de l’article 92 du traité.

51
Au regard du contenu de la décision 93/337, la requérante ne pouvait dès lors revendiquer la possibilité, qui ne saurait être exclue (voir arrêt Commission/Allemagne, précité, point 16), pour le bénéficiaire d’une aide illégale, d’invoquer des circonstances exceptionnelles ayant pu légitimement fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide.

52
Quant à l’inaction alléguée de la Commission, celle-ci fait valoir à juste titre que toute inaction apparente est dépourvue de signification lorsqu’un régime d’aide ne lui a pas été notifié.

53
Il s’ensuit que le moyen tiré par Demesa du principe de protection de la confiance légitime doit être rejeté.

Sur les moyens tirés par le Territorio Histórico de Álava, d’une part, d’une qualification erronée de la mesure fiscale litigieuse en tant qu’aide d’État incompatible avec le marché commun et, d’autre part, d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point

Argumentation des parties

54
Devant le Tribunal, le Territorio Histórico de Álava a soutenu que la Commission avait violé l’article 92 du traité en considérant comme aide d’État incompatible avec le marché commun le crédit d’impôt de 45 %, au motif que la Norma Foral n° 22/1994 constituait une mesure spécifique favorisant «certaines entreprises ou certaines productions». Il a fait valoir que, en toute hypothèse, l’éventuel caractère sélectif de cette mesure était justifié par la nature et l’économie du système fiscal.

55
Le Territorio Histórico de Álava fait grief au Tribunal d’avoir, aux points 148 à 170 de l’arrêt attaqué, rejeté cette argumentation et d’avoir ainsi commis une erreur de droit dans l’application de l’article 92 du traité.

56
Dans son mémoire déposé le 20 février 2004, il indique qu’il maintient son moyen d’annulation, mais à un stade antérieur à celui de la qualification de la mesure fiscale litigieuse comme aide d’État. Il fait valoir que, au cours de la procédure de première instance, il a soutenu que le crédit d’impôt de 45 % était exclu du domaine d’application de l’article 92 du traité, dans la mesure où, en tant que mesure fiscale, il était justifié en vue d’atteindre un objectif de politique économique. Le Tribunal aurait considéré que cela n’excluait pas la qualification d’aide d’État incompatible avec le traité. Cette conclusion serait erronée, parce que formulée à un mauvais endroit du processus interprétatif. En réalité, il aurait fallu considérer, en amont d’une éventuelle question de qualification d’aide d’État, qu’une mesure fiscale adoptée antérieurement aux conclusions du Conseil Ecofin du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale (JO 1998, C 2, p. 1) et à la communication de la Commission du 10 décembre 1998 sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO C 384, p. 3) était exclue du contrôle des aides d’État. En effet, dès lors qu’une telle mesure s’inscrivait dans le cadre de la politique industrielle mise en œuvre par l’État membre concerné, elle aurait été exclue ab initio du domaine d’application de l’article 92 du traité.

57
Dans le même mémoire, le Territorio Histórico de Álava ajoute qu’il maintient également son moyen tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne le point de droit soulevé.

58
La Commission considère que, tel qu’il est maintenu, le moyen tiré d’une qualification erronée de la mesure fiscale litigieuse en tant qu’aide d’État incompatible avec le marché commun nécessite toujours, nonobstant la modification de sa présentation, l’examen par la Cour de la question du caractère d’aide de cette mesure. En effet, l’analyse de l’article 92 du traité ne comporterait aucun stade antérieur à celui du débat sur la qualification d’aide d’État, la nature fiscale d’une mesure n’étant pas pertinente pour établir s’il s’agit ou non d’une aide. En outre, les conclusions du Conseil Ecofin du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale et le code de conduite y annexé n’auraient pu modifier la répartition des compétences établie dans le traité. Dans ces conditions, en contestant la compétence de la Commission, le Territorio Histórico de Álava persisterait à mettre en cause la qualification d’aide d’État retenue en ce qui concerne la mesure fiscale litigieuse.

Appréciation de la Cour

59
Il y a lieu de rappeler que permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges (voir, notamment, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 59; du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7/95 P, Rec. p. I-3111, point 62, et du 10 avril 2003, Hendrickx/Cedefop, C‑217/01 P, Rec. p. I -3701, point 37).

60
En l’espèce, le Territorio Histórico de Álava n’a pas soutenu en première instance que:

la mesure fiscale litigieuse serait soustraite en tant que telle au champ d’application du droit des aides d’État;

l’article 92 du traité ne s’appliquerait aux dispositions de droit fiscal que depuis les conclusions du Conseil Ecofin du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale et la communication de la Commission du 10 décembre 1998 sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises.

61
En réalité, il s’est référé aux objectifs de politique économique de la mesure fiscale litigieuse dans le cadre du débat sur la justification de celle-ci par la nature et l’économie du système fiscal, c’est-à-dire au stade du débat relatif à la qualification de ladite mesure en tant qu’aide d’État incompatible avec le marché commun au sens de l’article 92 du traité.

62
Le Tribunal a examiné l’argumentation correspondante aux points 167 et 168 de l’arrêt attaqué.

63
L’argument soumis à la Cour dans le cadre du présent pourvoi, selon lequel, en substance, la mesure fiscale litigieuse aurait été exclue ab initio, à un stade antérieur du raisonnement juridique, du domaine d’application de l’article 92 du traité et, par suite, du contrôle même de la Commission, constitue donc un moyen présenté pour la première fois dans le cadre du pourvoi.

64
Ce moyen nouveau doit être déclaré irrecevable, de même que celui tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur le point de droit soulevé, le second moyen étant indissociable du premier.

Sur les moyens tirés par le Territorio Histórico de Álava, d’une part, d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il n’a pas reconnu l’existence d’un détournement de pouvoir et, d’autre part, d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point

Argumentation des parties

65
Le Territorio Histórico de Álava affirme qu’il a fait valoir devant le Tribunal que la Commission avait utilisé la procédure des aides d’État, domaine dans lequel elle dispose d’une compétence exclusive et d’amples pouvoirs, pour réaliser une harmonisation fiscale. Or, une telle harmonisation relèverait en réalité de la procédure prévue aux articles 101 du traité CE (devenu, après modification, article 96 CE) et 102 du traité CE (devenu article 97 CE), laquelle donne compétence au Conseil de l’Union européenne.

66
Le Territorio Histórico de Álava fait grief au Tribunal de s’être limité à:

rappeler, au point 84 de l’arrêt du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T-92/00 et T-103/00, Rec. p. II-1385), relatif à une aide accordée à une autre entreprise, la jurisprudence selon laquelle une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise dans le but exclusif, ou tout au moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées;

énoncer que l’existence d’une harmonisation de fait réalisée par la décision attaquée n’était pas démontrée.

67
La Commission soutient que le moyen soulevé est manifestement irrecevable, n’ayant pas été invoqué devant le Tribunal.

68
Elle souligne que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la question d’un éventuel détournement de pouvoir. Le Tribunal aurait examiné cette question dans un autre arrêt, à savoir l’arrêt Diputación Foral de Álava e.a./Commission, précité, prononcé le même jour que l’arrêt attaqué.

Appréciation de la Cour

69
Il doit être constaté que le Territorio Histórico de Álava n’a pas soumis au Tribunal, dans le cadre de la procédure de première instance à l’origine du présent pourvoi, un moyen tiré d’un détournement de pouvoir.

70
Pour les motifs énoncés au point 59 du présent arrêt, le moyen examiné doit être déclaré irrecevable, en tant que moyen nouveau, de même que le moyen tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point, le second moyen étant indissociable du premier.

71
Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que les pourvois doivent être rejetés.


Sur les dépens

72
Selon l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

73
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les parties requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions en ce sens de celle-ci.

74
En application de l’article 69, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure de la Cour, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, il y a lieu de décider que la Comunidad Autónoma del País Vasco, partie intervenante au soutien des conclusions du Territorio Histórico de Álava dans l’affaire C‑187/02 P, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)
Les affaires C-183/02 P et C-187/02 P sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)
Les pourvois sont rejetés.

3)
Les parties requérantes supportent, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission des Communautés européennes.

4)
La Comunidad Autónoma del País Vasco supporte ses propres dépens.

Signatures.


1
Langue de procédure: l'espagnol.

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