EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61976CC0025

Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 17 novembre 1976.
Galeries Segoura SPRL contre Société Rahim Bonakdarian.
Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne.
Convention judiciaire du 27 septembre 1968 - Article 17 (prorogation de for).
Affaire 25-76.

Recueil de jurisprudence 1976 -01851

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1976:154

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 17 NOVEMBRE 1976 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. 

Cette affaire, comme l'affaire 24-76, a trait à l'interprétation de l'article 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 sur la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Il est donc question, ici aussi, des conditions de validité que doit remplir une convention de prorogation de compétence (invoquée en 1 espèce par le vendeur à l'égard de l'acquéreur). Mais, à la différence de l'affaire 24-76, les questions préjudicielles posées par le Bundesgerichtshof allemand ont trait cette fois à l'hypothèse d'un contrat verbal. Les problèmes ainsi soulevés concernent tant les conditions nécessaires pour qu'un accord verbal sur la prorogation de compétence puisse être réputé existant que les modalités de cette confirmation écrite de la convention de prorogation, que l'article 17 requiert pour que la validité puisse en être reconnue.

Un contrat de vente a été conclu verbalement, le 14 septembre 1971, entre l'entreprise Bonakdarian ayant son siège à Hambourg, le vendeur, et l'entreprise Segoura ayant son siège à Bruxelles, l'acquéreur. A cette occasion, l'acquéreur a versé un acompte. Le jour même, il a reçu la marchandise faisant l'objet du contrat accompagnée d'un document ayant valeur de «lettre de confirmation et facture», et qui se référait formellement aux conditions générales de vente, de livraison et de paiement imprimées au verso. Parmi ces conditions figurait une clause attribuant compétence exclusive au tribunal de Hambourg pour statuer sur tout litige éventuel. L'acquéreur n'a pas réagi.

Un litige étant survenu par la suite à propos du paiement de la somme restante, le juge allemand de première instance a condamné en un premier temps par contumace l'entreprise Segoura au paiement d'une somme correspondant à sa dette, majorée des intérêts y relatifs mais, ensuite, cette entreprise ayant formé opposition, il a annulé ce jugement en se déclarant incompétent pour cause de défaut de convention sur la prorogation de compétence conforme à l'article 17, alinéa 1, de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. Le tribunal a exclu l'existence de cette convention en l'absence d'éléments susceptibles de prouver que la clause de prorogation avait fait l'objet d'un accord verbal. Quant à la thèse du vendeur, selon laquelle le consentement de l'acquéreur à la prorogation de compétence résulterait de son silence après réception de la lettre-facture qui se référait aux conditions générales de vente, le tribunal a observé que, dans cette perspective, la lettre-facture qui se référait pour la première fois à la clause de prorogation de compétence aurait eu tout au plus la valeur d'une proposition contractuelle modifiant le contrat originel. Mais l'acceptation écrite requise par l'article 17 ferait également entièrement défaut à cet égard.

Le juge de l'appel a été toutefois d'un autre avis; il a considéré la référence aux conditions générales de vente contenue dans la facture envoyée à l'acquéreur comme constituant la confirmation d'un accord verbal portant également sur les conditions générales de vente, en ce compris la clause de prorogation de compétence. Cette confirmation n'ayant pas été contestée, elle suffirait, selon le juge de l'appel, pour que les conditions de forme requises par l'article 17 soient remplies à cet égard.

La divergence de vues qui subsiste entre les deux juges du fond quant à l'appréciation des faits et à l'existence d'un accord verbal sur la compétence dans le cas d'espèce explique peut-être pourquoi le Bundesgerichtshof, auprès duquel l'acquéreur s'est pourvu de l'arrêt de la cour d'appel, a posé au sujet de l'article 17, deux questions d'interprétation distinctes se rapportant à deux hypothèses différentes, la première correspondant à l'interprétation des faits donnée par le juge de l'appel et la seconde semblant viser en revanche la manière différente dont le premier juge a apprécié les faits. Il s'agit des questions suivantes:

1.

La condition prévue a l'article 17 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des jugements en matière civile et commerciale est-elle remplie, lorsque, lors de la conclusion verbale d'un contrat d'achat, le vendeur a indiqué qu'il entendait traiter à ces conditions générales de vente et lorsqu'il a ensuite confirmé ce contrat d'acheteur par écrit, en joignant à cette confirmation ses conditions générales de vente qui contiennent une clause attributive de juridiction?

2.

L'article 17 de la convention trouve-t-il application lorsque, entre commerçants, le vendeur, après la conclusion verbale d'un contrat d'achat, délivré à l'acheteur une confirmation écrite de la conclusion du contrat à ces conditions générales de vente, en joignant à cet écrit le texte de ses conditions de vente, y compris une clause attributive de juridiction, et lorsque l'acheteur ne contredit pas cette confirmation écrite?

2. 

Dans l'intérêt de la fluidité du commerce, l'article 17 considère que l'accord verbal sur la prorogation de compétence constitue un moyen valide de fonder la compétence exclusive du juge choisi à l'avance; mais, pour des raisons de sécurité des rapports juridiques et de protection de la partie la plus faible, cette convention produit seulement ses effets lorsqu'elle a été confirmée par écrit (l'article en question exige, textuellement, «une convention verbale confirmée par écrit»). Cette confirmation devra évidemment être de nature à satisfaire à l'exigence en vue de laquelle elle a été prévue. En outre, spécialement lorsque la clause de prorogation de compétence rentre dans un ensemble de conditions générales établies à l'avance par une des parties, il conviendra d'être particulièrement attentif à ce que la confirmation soit effectuée de manière à ne pas laisser de doutes sur le consentement de l'autre partie à la prorogation de compétence.

C'est ici que se profile le problème de la confirmation, laquelle provient d'une seule des parties en cause. Le rapport Jenard, accompagnant la convention de Bruxelles, affirme que la formulation de l'article 17 est «assez proche» de celle de la convention germano-belge, elle-même inspirée des règles de la convention de La Haye du 15 avril 1958 sur la compétence du for contractuel en cas de vente à caractère international d'objets mobiliers corporels. Or, en ce qui concerne l'effet des accords verbaux de prorogation de compétence, la convention germano-belge exige «une confirmation par écrit qui n'a pas été contestée» (art. 3, no 2) et la convention de La Haye, une confirmation «au moyen d'une déclaration écrite qui émane d'une des parties ou d'un intermédiaire, sans avoir été contestée» (art. 2); l'une et l'autre, bien entendu, se référant spécifiquement à la désignation du tribunal compétent. Le rapport Jenard ajoute que «la clause attributive de juridiction supposant un véritable accord entre les parties, le juge ne pourrait nécessairement déduire d'un écrit, émanant de la partie qui s'en prévaut, l'existence d'un accord verbal».

Compte tenu de ces éléments, nous croyons avant tout qu'il n'est pas justifié d'accueillir, en ce qui concerne les conditions de validité de la confirmation, une position aussi stricte que celle qui est proposée par l'entreprise Segoura, et qui porterait à exclure de manière générale et absolue la possibilité d'une confirmation valide provenant de la partie qui a établi à l'avance la clause de prorogation de compétence. Cette exclusion ne paraît pas exigée par le texte de l'article 17 et elle ne serait pas nécessaire non plus pour la protection de la partie à charge de laquelle la prorogation de compétence est invoquée, étant donné que celle-ci conserve toujours la possibilité, après réception de la lettre de confirmation, de s'opposer à ce qui y est affirmé à propos de l'accord verbal sur la prorogation.

La confirmation par écrit d'un accord verbal sur la prorogation de la compétence a essentiellement pour fonction de donner une formulation objectivement certaine à la clause verbale et d'en définir les termes exacts avec effet entre les parties et à l'égard du juge désigné, lequel acquiert, par la vertu de cette clause, compétence pour connaître des litiges relatifs à certains rapports juridiques déterminés. Cette fonction peut être remplie également lorsque l'acte écrit de confirmation provient de la partie qui a établi à l'avance la clause de prorogation, pourvu que cette façon d'agir soit de nature à équivaloir à une preuve objective du consensus obtenu sur la clause dont il est donné acte dans la «confirmation», compte tenu du comportement antérieur et ultérieur des deux parties à l'accord.

Mis à part l'hypothèse d'une confirmation bilatérale, qui ne soulève évidemment aucune difficulté, on peut donc poser deux hypothèses distinctes de confirmation écrite provenant d'une seule des deux parties, dans le cas de conditions générales comprenant prorogation de compétence et établies à l'avance par un des cocontractants dans son propre intérêt. La première hypothèse est celle dans laquelle la confirmation provient de la partie qui n'a pas fixé les conditions générales à l'avance et qui est désavantagée par la clause; on peut considérer que, même si elle se réfère aux conditions générales en bloc, cette confirmation suffit pour que la clause de prorogation produise effet. La seconde hypothèse est celle dans laquelle la confirmation provient de la partie même qui a établi à l'avance les conditions générales. Il est clair qu'il faudra ici être plus strict: la confirmation écrite devra donc donner acte non seulement de l'accord verbal au sujet des conditions générales, mais, spécifiquement, du consentement sur la clause de prorogation de compétence.

En fait, ce qu'il s'agit d'éviter, c'est le risque que cette clause passe inaperçue ou ne soit pas mentionnée dans le cadre d'une référence globale aux conditions générales du contrat. Il ne faut pas oublier en effet que les règles conventionnelles citées ci-dessus prévoient toutes la confirmation écrite d'un accord verbal sur la prorogation de compétence; c'est donc de la conclusion de cet accord qu'il faut fournir la preuve. Et la partie la plus faible doit avoir concouru à la formation de cet accord, comme il est normal, non seulement en ayant pris connaissance de la clause de prorogation, mais également en ayant manifeste sa volonté d'accepter celle-ci.

3. 

A la lumière des considérations développées ci-dessus, nous examinerons maintenant l'hypothèse, visée dans la première question, dans laquelle, à l'occasion de la stipulation verbale d'un contrat de vente, le vendeur s'est limité à déclarer unilatéralement et de façon absolument générale qu'il entend stipuler sur la base des conditions générales fixées par lui. Dans un cas de ce genre, pourra-t-on estimer que la clause sur la compétence, tout en n'ayant jamais été mentionnée directement, est devenue partie de l'accord?

Il est à noter que l'hypothèse en question est bien différente de celle dans laquelle la référence globale aux conditions de vente établies à l'avance par le vendeur figure dans le texte d'un contrat écrit, le quel contient ces conditions, imprimées au verso, en ce compris la clause sur la compétence judiciaire. En ce cas, en effet, l'acheteur a la possibilité de prendre facilement connaissance de cette clause avant de conclure le contrat.

Quand se conclut un contrat verbal, en revanche, il est logique de supposer (et le vendeur dans le cas d'espèce le confirme lui-même dans ses observations) que l'attention des contractants se concentre sur les points essentiels de l'accord, tandis que les conditions générales ne sont pas spécifiquement considérées. L'acquéreur ne prend donc effectivement connaissance de ces conditions que lorsqu'il reçoit du vendeur la lettre de confirmation de l'accord verbal relatif aux points essentiels, accord auquel est annexé le texte des conditions générales. Or, si la clause de prorogation n'était pas connue de l'acquéreur, il est inconcevable que celle-ci ait été acceptée; admettre le consentement hypothétique de l'acquéreur à un nombre indéterminé de conditions générales signifierait laisser au vendeur le pouvoir de déterminer le juge compétent, ce qui est bien différent de l'accord relatif à la désignation précise du juge compétent, que prévoit l'article 17.

La situation pourrait être éventuellement différente dans l'hypothèse, sur laquelle il ne convient pas toutefois que nous prenions position ici, dans laquelle deux entreprises ont des relations commerciales continues, dans le cadre desquelles il est usuel de faire application de la clause de prorogation dans le sens établi par les conditions générales fixées à l'avance par une des parties. Il n'est pas à exclure dans ce cas qu'une simple référence verbale générale à ces conditions de la part du vendeur, acceptée par l'acquéreur, puisse avoir valeur de consentement de la part de ce dernier sur la clause de prorogation.

Alors que, dans la phase de stipulation de la vente, les faits se sont donc développés dans le sens indiqué dans la première question, le fait d'annexer le texte écrit des conditions de vente à la lettre de confirmation adressée ultérieurement à l'acheteur et qui y fait référence, ne saurait valoir confirmation au sens de l'article 17, parce qu'il manque la condition préalable indispensable: la préexistence d'un accord sur la prorogation de compétence. Cette lettre pourrait valoir proposition de modification du contrat verbal, mais elle ne saurait produire effet en tant que telle que si elle est acceptée par écrit par l'autre partie.

4. 

C'est vainement que l'on opposerait au raisonnement suivi jusqu'à présent qu'il va au-delà d'un examen des conditions formelles de l'article 17 de la convention et touche au problème des conditions mêmes d'existence d'un accord portant attribution de compétence à un juge déterminé. En réalité, les questions posées par le juge national concernent la conformité d'hypothèses déterminées aux conditions (toutes les conditions) fixées par l'article 17, le «caractère suffisant» de certains comportements aux fins du même article. L'article 17 doit ainsi être considéré dans sa totalité et il est évident qu'avant même d'énoncer certaines conditions de forme, il exige qu'il y ait une convention (ou une clause) conclue entre les parties en vue de désigner un tribunal compétent pour connaître des litiges qui ont déjà surgi entre parties, ou sont susceptibles de surgir entre elles à propos d'un rapport juridique déterminé. La norme juridique en question contient donc aussi des conditions de fond, dont la première est l'existence d'un accord de type déterminé, ayant une fonction déterminée.

Nous pourrions encore nous demander, à cet égard, si les aspects de fond de l'accord de prorogation de compétence doivent être déduits de l'article 17, interprété de manière autonome, ou si la réglementation de ces aspects n'est pas plutôt laissée aux divers droits nationaux. Le dilemme est semblable à celui que nous avons envisagé dans nos conclusions dans l'affaire 24-76 à propos de la forme de l'accord dont il s'agissait et, en particulier, de la possibilité que la portée de l'expression «forme écrite» doive se déterminer sur la base des divers droits nationaux applicables. La réponse doit ici obéir à la même logique: dans la mesure où certaines conditions — de fond ou de forme, peu importe — sont fixées par la convention comme des conditions préalables et nécessaires pour que se produisent les effets de droit procédural réglés par la convention, il faut rechercher une interprétation autonome en s'inspirant de la logique et du contexte de la convention. Tout cela sans préjudice, bien entendu, de la réglementation nationale des autres aspects de forme et de fond, lesquels sont étrangers au cadre des normes juridiques conventionnelles soumises à l'interprétation communautaire.

Or, il est évident qu'il existe un lien extrêmement étroit entre le problème de la confirmation écrite d'un accord verbal de prorogation de compétence et celui de l'existence d'un semblable accord. Séparer l'existence de l'accord verbal de sa confirmation, dans le sens de considérer la première comme soumise exclusivement au droit interne et par conséquent à des règles et à des jurisprudences différentes, tandis que l'autre serait réglée uniformément, risquerait de conduire à de graves divergences dans l'application de l'article 17 à l'intérieur des Etats contractants. On peut ajouter que si la définition des conditions requises pour qu'il y ait accord était étrangère au système de la convention, l'appréciation de la condition formelle de la confirmation écrite à charge de la Cour pourrait apparaître ou trop restrictive ou trop permissive du point de vue de tel ou tel système national jugé compétent pour régler l'existence de l'accord de prorogation. Il en résulterait une situation contraire à ce principe d'uniformité dont la convention vise à réaliser la mise en œuvre.

5. 

Parvenu à ce point de notre examen, point ne sera besoin d'un long discours pour rechercher la réponse qu'il convient de donner à la seconde question posée par le juge national. Vous vous souviendrez, Messieurs, que la différence entre l'hypothèse formulée dans la première question et celle qui est à la base de la seconde question tient en ceci: dans la première question, la déclaration du vendeur de vouloir appliquer au contrat ses propres conditions générales était supposée faite au moment de la stipulation verbale de ce contrat; dans la seconde question, cette déclaration est supposée faite par écrit seulement après la conclusion verbale du contrat et sans objection de la part de l'acquéreur. Cela dit, il paraît clair que, quand il n'est jamais fait mention des conditions générales comprenant la clause sur la compétence dans le cours des négociations qui aboutissent au contrat verbal de vente, le concours des volontés sur la prorogation de la compétence judiciaire, sans lequel il ne saurait y avoir aucune «confirmation» au sens de l'article 17, fait absolument défaut.

6. 

Nous proposerons par conséquent à la Cour de répondre aux questions du Bundesgerichtshof en disant pour droit que les conditions de l'article 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ne sont pas remplies lorsque, au moment de la stipulation verbale d'un contrat de vente, le vendeur indique sa volonté de traiter aux conditions générales de vente établies par lui-même en se limitant à faire une référence globale à ces conditions sans préciser la prorogation de compétence, et transmet ensuite au vendeur une confirmation écrite du contrat, à laquelle sont annexées les conditions générales comprenant une clause attributive de compétence judiciaire.

La réponse doit être la même lorsque, après conclusion d'un contrat verbal de vente entre commerçants, le vendeur confirme le contrat par écrit en déclarant en même temps pour la première fois que celui-ci doit être entendu comme soumis aux conditions générales du vendeur établies par lui-même et annexées au contrat de vente — conditions comprenant une clause attributive de compétence — et que l'acquéreur ne manifeste pas son désaccord à ce sujet.


( 1 ) Traduit de l'italien.

Top