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Document 61977CC0009

Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 16 juin 1977.
Bavaria Fluggesellschaft Schwabe & Co. KG et Germanair Bedarfsluftfahrt GmbH & Co. KG contre Eurocontrol.
Demandes de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne.
Affaires jointes 9 et 10-77.

Recueil de jurisprudence 1977 -01517

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1977:107

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 16 JUIN 1977

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le 14 octobre 1976, dans l'affaire préjudicielle 29-76 qui vous avait été renvoyée par la cour d'appel de Düsseldorf à propos d'un litige opposant Eurocontrol à la société Lufttransport-Unternehrnen en matière de recouvrement des redevances de route réclamées par l'organisation de Bruxelles, vous avez considéré (Recueil, p. 1550) que l'expression «en matière civile et commerciale», employée à l'article 1er de la Convention européenne du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ne dépendait pas de la qualification donnée par la juridiction ayant rendu la décision faisant l'objet d'une requête en exécution, mais devait avoir un contenu communautaire autonome.

Sur cette base, vous avez jugé que, «si certaines décisions, rendues dans des litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé, peuvent entrer dans le champ d'application de la Convention, il en est autrement lorsque l'autorité publique agit dans l'exercice de la puissance publique». «Tel est le cas, avez-vous ajouté, dans un litige qui, comme celui engagé entre les parties au principal, concerne le recouvrement de redevances dues par une personne de droit privé à un organisme national ou international de droit public, en vertu de l'utilisation des installations et services de celui-ci, notamment lorsque cette utilisation est obligatoire et exclusive» (Recueil, p. 1551). «Il en est d'autant plus ainsi, poursuit votre arrêt, lorsque le taux des redevances, les modes de calcul et les procédures de perception sont fixés de manière unilatérale vis-à-vis des usagers, comme c'est le cas dans l'espèce, où l'organisme a unilatéralement fixé le lieu d'exécution de l'obligation à son siège et choisi les juridictions nationales compétentes pour juger de son exécution».

Votre arrêt, qui nous paraît une illustration de la théorie des contrats administratifs comportant des clauses exorbitantes du droit commun, rejetait donc nécessairement la thèse du tribunal de commerce de Bruxelles, devant lequel l'affaire avait été portée par Eurocontrol et qui, pour affirmer sa compétence, avait jugé, le 7 mars 1974, que les redevances réclamées n'étaient pas assimilables à des taxes et étaient de nature commerciale.

Mais, du même coup, vous avez clairement rejeté la thèse soutenue par la Cour de cassation allemande dans une ordonnance rendue antérieurement, le 26 novembre 1975, entre les mêmes parties, Eurocontrol et LTU, ordonnance qui se bornait à renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Düsseldorf et à la suite de laquelle cette juridiction vous avait saisis, le 16 février 1976, de la question que vous avez tranchée dans votre arrêt du 14 octobre 1976.

Considérant que «sa décision ne concernait pas une interprétation de la Convention de 1968», la Cour de cassation de Karlsruhe ne s'était pas estimée tenue de vous saisir, conformément à l'article 3, paragraphe 1, du protocole concernant l'interprétation par la Cour de justice de la Convention de 1968, pourtant entré en vigueur le 1er septembre 1975, et avait retenu que, pour savoir si une décision étrangère a été rendue «en matière civile et commerciale», c'est la qualification de la juridiction ayant rendu la décision dont l'exécution est requise, qui est déterminante aux fins de la procédure d'exécution. Cette décision de la Cour de cassation a été approuvée par la Cour constitutionnelle fédérale dans une ordonnance du 23 juin 1976.

Apparemment, la haute juridiction civile allemande a changé d'avis puisqu'elle considère à présent que la décision qu'elle est appelée à rendre dans deux affaires parallèles, mais en tous points identiques, sous réserve de la dénomination des sociétés de transport aérien et du montant des redevances réclamées à ces sociétés par Eurocontrol, met bien en cause l'interprétation de la Convention de 1968. Elle vous demande donc si, aux termes de l'article 55 de la Convention, les traités et conventions mentionnés à cet article 55 continuent à produire leurs effets pour les décisions qui, tout en ne relevant pas de l'article 1, alinéa 2, de la Convention, sont exclues de son champ d'application en vertu de l'article 1, alinéa 1, tel qu'il a été interprété par votre arrêt du 14 octobre 1976.

En réalité, par cette question, le «dialogue» instauré entre la Cour de cassation de Karlsruhe et la cour d'appel de Düsseldorf qui, à juste titre, avait fait application du droit illimité que vous avez reconnu aux juridictions nationales de vous saisir (arrêt du 16. 1. 1974, Rheinmûhlen, Recueil, p. 37, et arrêt du 12. 2. 1974, Rheinmühlen, Recueil, p. 147), se poursuit à présent directement entre la haute juridiction allemande et votre Cour. C'est dire l'importance de la décision que vous allez rendre, qui devrait fournir les éléments utiles à la solution de trois litiges opposant Eurocontrol à trois sociétés allemandes: sans parler des deux affaires qui ont donné lieu au présent renvoi de la Cour de cassation elle est attendue avec intérêt par la cour d'appel de Düsseldorf, qui a fait savoir qu'elle n'avait toujours pas statué «en considération» de votre arrêt du 14 octobre 1976 et qu'elle attendait pour ce faire que vous vous soyez prononcés sur la procédure parallèle dont nous avons à nous occuper aujourd'hui.

Ajoutons que votre décision ne manquera pas non plus d'avoir une incidence sur le sort de certains litiges portés devant des juridictions administratives de la république fédérale d'Allemagne: il s'agit de la requête formée par LTU devant l'Oberverwaltungsgericht de la Rhénanie-du-Nord-Westfalie, tendant à faire déclarer que les redevances qui lui sont réclamées par Eurocontrol ne sont pas dues, et du pourvoi en révision formé par cette même société devant le Bundesverwaltungsgericht contre la décision de l'Oberverwaltungsgericht précité, qui avait déclaré irrecevable le recours en annulation formé par LTU en tant que les états de redevance présentés par Eurocontrol ne constituaient pas des actes administratifs attaquables au sens du droit allemand.

1. 

En matière d'interprétation préjudicielle, vous vous refusez toujours en principe à apprécier la pertinance ou le caractère nécessaire de la question que vous pose le juge national aux fins de la solution du litige dont il est saisi. Cependant, vous vous attachez à dégager les éléments de réponse qui vous paraissent «utiles» à la solution de ce litige. C'est dans cet esprit que nous ferons observer qu'il ne s'agit pas de savoir si, dans l'abstrait, toutes les conventions mentionnées à l'article 55 de la Convention de 1968 continuent de produire leurs effets pour les décisions à rendre dans toutes les matières qui sont exclues expressément par l'alinéa 2 de l'article 1 (état des personnes, faillites, sécurité sociale, arbitrage).

Bien que la Cour de cassation allemande ne mentionne pas, dans son ordonnance de renvoi, la convention signée à Bonn le 30 juin 1958 entre la république fédérale d'Allemagne et le royaume de Belgique concernant la reconnaissance et l'exécution réciproques, en matière civile et commerciale, des décisions judiciaires, sentences arbitrales et actes authentiques, il est évident que, lorsqu'elle parle des «traités et conventions mentionnés à l'article 55», elle songe, en tout premier lieu, à cette convention bilatérale germano-belge et que, puisque la décision litigieuse ne saurait relever de la Convention de 1968 selon votre arrêt LTU, il lui importe de savoir si certaines décisions — à l'exception bien sûr de celles mentionnées à l'alinéa 2 de l'article 1 —, tout en ne relevant pas de la matière civile et commerciale au sens de la Convention de 1968, pourraient en relever au sens de la convention bilatérale de 1958. Le seul élément qui importe à la haute juridiction est donc de savoir si la Convention de 1968 a remplacé, entre la Belgique et la république fédérale d'Allemagne, la convention bilatérale signée entre ces deux États en 1958, dans la matière très spéciale des décisions relatives au recouvrement des redevances d'Eurocontrol, ou s'il ne subsisterait pas, en quelque sorte, une matière civile et commerciale «résiduelle», qui pourrait relever de la convention bilatérale.

2. 

Cette question doit donc, de toute évidence, être mise en rapport avec la réponse que vous avez donnée dans l'affaire 29-76.

Nous pensons que vous serez amenés, tout d'abord, à confirmer cette jurisprudence.

Plusieurs commentateurs ont critiqué en doctrine cet arrêt, rendu sur conclusions contraires de M. l'avocat général Reischl, mais nous nous y tiendrons jusqu'à nouvel ordre. D'ailleurs, eu égard aux «directives» tracées par votre arrêt, le groupe des négociateurs chargés d'apporter les adaptations nécessaires en vue de l'accession des nouveaux États membres à la Convention de 1968 a à présent spécifié à l'article 1, alinéa 1, que «les matières fiscales, douanières et administratives ne sont pas des matières civiles et commerciales au sens de la Convention».

3. 

Comme la Cour de cassation allemande pose comme prémisse qu'il existe des décisions qui, tout en ne relevant pas des domaines formellement exclus par l'alinéa 2 de l'article 1 de la Convention et tout en ne concernant pas la matière civile et commerciale au sens qu'il convient de donner à cette expression selon votre jurisprudence, pourraient continuer de relever du domaine civil et commercial au sens de la convention bilatérale; la question qui vous est posée appelle nécessairement, nous semble-t-il, une réponse quant au point de savoir quel est le champ d'application matériel respectif de la Convention de 1968 et celui de la convention bilatérale de 1958, eu égard aux redevances réclamées par Eurocontrol.

L'article 55 de la Convention européenne porte «qu'elle remplace entre les États qui y sont parties, les conventions conclues entre deux ou plusieurs de ces États», à savoir notamment la convention germano-belge de 1958. Cependant, cette «substitution» s'opère «sans préjudice de l'article 54, 2e alinéa, et de l'article 56».

L'article 56 porte que «les traités et les conventions mentionnés à l'article 55 continuent à produire leurs effets dans les matières auxquelles la présente convention n'est pas applicable».

En ce qui concerne les décisions rendues avant l'entrée en vigueur de la Convention, c'est-à-dire le 1er février 1973, même si elles ont été rendues dans les matières auxquelles la Convention est applicable, elles ne peuvent être remises en cause par les dispositions de la Convention de 1968 (art 56, 2e alinéa).

En ce qui concerne les décisions rendues après la date d'entrée en vigueur de la Convention de 1968, à la suite d'actions intentées avant cette date, elles «sont reconnues et exécutées conformément aux dispositions du titre III (de la Convention de 1968), si les règles de compétence appliquées sont conformes à celles prévues soit par le titre II (de la Convention), soit par une convention qui était en vigueur entre l'État d'origine et l'État requis lorsque l'action a été intentée» (art. 54, 2e alinéa). Il faut aussi, bien entendu, qu'il s'agisse de décisions rendues «en matière civile et commerciale» au sens de la Convention de 1968, mais ceci va tellement de soi que le texte ne le dit même pas.

En d'autres termes, pour savoir si la Convention européenne a «remplacé» la convention bilatérale ou si, au contraire, celle-ci «continue à produire ses effets», il faut savoir si les «matières» auxquelles ces deux types d'instruments sont respectivement applicables sont les mêmes, autrement dit si la «matière civile et commerciale» visée à l'article 1 de la Convention de 1968 est la même que la «matière civile et commerciale» visée à l'article 3 de la convention bilatérale.

4. 

En ligne générale, les dispositions figurant dans les accords bilatéraux ne peuvent être interprétées par la Cour de justice, sauf application de l'article 182 du traité, et la compétence de la Cour est limitée aux dispositions communautaires (art. 164). Cette règle, que vous avez développée à propos des règlements sur la sécurité sociale des travailleurs migrants, vaut également, nous semble-t-il, pour l'interprétation de la Convention de 1968. Vous étiez confrontés à un problème analogue dans le domaine de la sécurité sociale, où les règlements communautaires comportent également une disposition selon laquelle, «à moins qu'il n'en soit stipulé autrement d'une façon expresse …, leurs dispositions se sbustituent … aux dispositions des conventions … intervenues entre deux ou plusieurs États membres» (art. 5 du règlement no 3) et «leurs dispositions ne portent pas atteinte aux obligations découlant … des dispositions de certaines conventions … pour autant qu'elles soient énumérées en annexe» (art. 6 du règlement no 3).

Cette disposition, ainsi que vous l'avez jugé dans votre arrêt du 7 juin 1973, Walder (Recueil, p. 606), laisse clairement apparaître que le principe de la substitution du règlement no 3 aux dispositions des conventions de sécurité sociale intervenues entre États membres a une portée impérative, n'admet pas d'exception en dehors des cas expressément stipulés par le règlement; la circonstance que des conventions de sécurité sociale intervenues entre États membres comportent, pour les personnes auxquelles s'applique le règlement no 3, des avantages supérieurs à ceux qui découlent de ce règlement, ne saurait même pas suffire pour justifier une exception audit principe, pour autant que ces conventions ne sont pas expressément maintenues par le règlement. Cette circonstance, à laquelle vous avez refusé d'attacher une portée décisive en matière de sécurité sociale, ne saurait non plus jouer dans le domaine couvert par la Convention, si, comme nous le disions dans nos conclusions sous l'affaire De Wolf (arrêt du 30. 11. 1976, Recueil, p. 1774), la conclusion de la Convention entre les États contractants comporte, a priori, du moins peut-on le supposer, l'organisation d'un régime meilleur, dans l'ensemble, que les régimes bilatéraux ou multilatéraux préexistants.

Une confirmation de cette supposition est fournie par le fait que — sauf erreur de notre part — Eurocontrol a toujours exclusivement invoqué les dispositions de la Convention de 1968, et non celles de la convention bilatérale, pour obtenir l'exécution des décisions rendues à son profit en Belgique. En somme, Eurocontrol, qui avait engagé, avant l'entrée en vigueur de la Convention de 1968, une action judiciaire en recouvrement de ses redevances, a, munie du jugement du tribunal de commerce de Bruxelles rendu après cette date, tenté dans un premier temps d'en obtenir l'exécution en république fédérale d'Allemagne, en affirmant que cette décision avait été rendue conformément aux règles de compétence prévues par la convention bilatérale et en se prévalant de l'article 54, 2e alinéa, de la Convention de 1968; à présent, elle entend se rabattre sur la Convention de 1958, puisque vous avez jugé que le recouvrement de telles créances ne relève pas de la matière civile et commerciale au sens de la Convention européenne.

Or, comme nous le disions dans nos conclusions sous l'affaire De Wolf, il ne nous paraît pas possible de faire une application «à la carte» de la Convention de 1968: l'équilibre réalisé par la Convention serait rompu si une partie pouvait, selon ses convenances, recourir à la fois au régime communautaire de la Convention et aux droits conventionnels classiques des conventions bilatérales.

5. 

Il nous paraît néanmoins nécessaire de pousser plus loin l'analyse et de faire référence, au moins par la bande, aux dispositions de la convention bilatérale de 1958 pour donner une réponse utile au juge national.

Il y a d'ailleurs nécessairement lieu à interprétation, au moins sur certains points, des conventions bilatérales aux fins d'interprétation et d'application de la Convention de 1968. En effet, ainsi que nous l'avons rappelé, l'article 54, alinéa 1, de celle-ci, porte que ses dispositions ne sont applicables qu'aux actions judiciaires intentées postérieurement à son entrée en vigueur. Toutefois, selon son alinéa 2, en matière d'exécution, le fait qu'une action judiciaire aux fins d'exécution ait été engagée avant son entrée en vigueur n'a pas d'importance, pourvu que le tribunal de l'État d'origne ait rendu son jugement après cette date «si les règles de compétence appliquées sont conformes à celles prévues soit par le titre II de la Convention, soit par une convention qui était en vigueur entre l'État d'origine et l'État requis lorsque l'action a été intentée».

Dans l'affaire 29-76, la Commission et l'avocat général Reischl à sa suite s'étaient précisément basés sur l'existence de la convention germano-belge du 30 juin 1958 pour affirmer la compétence ratione loci du tribunal de commerce de Bruxelles (juridiction de l'État d'origine) en conformité de la Convention de 1958, ce qui implique à l'évidence une interprétation de cette convention. Vous avez vous-mêmes implicitement procédé de la même façon, car vous n'auriez pas répondu à la question qui vous était posée si vous n'aviez admis que les règles de compétence de la Convention de 1958 étaient applicables ratione temporis au cas d'espèce.

Nous autorisant de ce précédent, nous estimons qu'en matière de recouvrement des redevances d'Eurocontrol la Convention de 1968, telle que vous l'avez interprétée, a remplacé, dans les rapports entre la république fédérale d'Allemagne et la Belgique, la convention bilatérale signée en 1958 entre ces deux pays.

Non seulement parce que la Convention européenne a été signée entre ces deux mêmes États, signataires de la Convention de 1958, non seulement en raison, sur ce point, de l'identité des termes employés par ces deux instruments, mais encore et surtout parce que l'article 54, 2e alinéa, postule l'équivalence des règles de compétence prévues par la convention bilatérale avec celles qui sont prévues par le titre II de la Convention européenne, puisque c'est là la justification de l'exécution, en conformité des dispositions de la Convention européenne, des décisions rendues à la suite d'actions engagées même avant son entrée en vigueur.

6. 

En réalité, que ce soit par la voie de la Convention européenne ou par celle de la convention bilatérale, l'exécution de la décision rendue dans l'État d'origine se heurterait à des difficultés du même ordre.

Son exécution par la voie de la Convention européenne se heurte à votre arrêt du 14 octobre 1976. En effet, l'action judiciaire engagée dans l'État d'origine concernait le recouvrement de redevances dues par une personne de droit privé à un organisme national ou international de droit public, à raison de l'utilisation des installations et services de celui-ci, cette utilisation étant obligatoire et exclusive (attendu no 4 de votre arrêt). Dans le cas d'espèce, le taux des redevances, les modes de calcul et les procédures de perception étaient fixés de manière unilatérale vis-à-vis des usagers, l'organisme ayant unilatéralement fixé le lieu de l'exécution de l'obligation à son siège et choisi les juridictions nationales compétentes pour juger de son exécution. En un mot, le litige opposait une autorité publique à une personne privée, l'autorité publique ayant agi dans l'exercice de la puissance publique (attendu no 5).

S'agissant d'une requête en exécution d'une décision exécutoire rendue en matière civile et commerciale au sens de la Convention européenne, la procédure est très simplifiée: la partie contre laquelle l'exécution est demandée ne peut, au stade de la requête adverse, présenter d'observations; la décision ne peut en aucun cas faire l'objet d'une révision au fond (art. 34). Certes, la requête en exécution peut être rejetée pour (et seulement pour) l'un des motifs prévus aux articles 27 et 28 et donc, notamment, si l'exécution est contraire à l'ordre public de l'État requis (art. 27, 1o). Mais précisément, l'article 28, dernier alinéa, dispose «qu'il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l'État d'origine; les règles relatives à la compétence (c-a-d. celles visées au titre II) ne concernent pas l'ordre public visé à l'article 27, 1o».

La raison sous-jacente à votre arrêt du 14 octobre 1976 nous paraît donc être la suivante: inclure une demande en recouvrement telle que celle qui faisait l'objet du litige national parmi les matières civiles et commerciales aurait eu pour effet que la juridiction de l'État requis qui vous questionnait aurait été liée par la qualification donnée de sa compétence par la juridiction de l'État d'origine, et que le contrôle de cette compétence, étant étranger à l'ordre public (art. 28, 3e alinéa), n'aurait pu être exercé par la juridiction de l'État requis. Vous avez considéré, pour votre part, que le litige au principal soulevait en réalité une question d'ordre public, et c'est ainsi que vous avez été amenés à lui refuser la qualification de litige «civil ou commercial» au sens de la Convention européenne.

La voie de la convention bilatérale paraît à première vue plus aisée, mais il n'en est rien. Certes, à la différence de la Convention européenne, la convention bilatérale couvre l'exécution des sentences arbitrales, mais sous réserve de la conformité à l'ordre public (art. 13).

De même, la définition de ce qu'il faut entendre par décision (art. 1 (3), art. 2 (2)) ou par «matière» (art. 3, art. 4) au sens de la convention bilatérale, paraît être plus large que les termes de l'article 25 et de l'article 1 de la Convention européenne.

Mais ce libéralisme est tempéré par une restriction importante. D'après l'article 10, la décision dont l'exécution est demandée ne devra faire l'objet d'aucun examen autre que celui des conditions énumérées à l'article 2. Or, en vertu de cet article, même s'il ne peut procéder à un examen du fond de la décision (art. 10 (1), dernière phrase), le tribunal requis — à la différence de la matière de la reconnaissance (art. 5 (1) — n'est pas lié par les constatations de fait sur lesquelles le tribunal d'origine a fondé sa compétence et la reconnaissance ne pourra être refusée que, mais elle pourra l'être, si elle est contraire à l'ordre public de l'État où elle est invoquée (art. 2 (1), 1o), et si les tribunaux de l'État où la décision a été rendue ne sont pas reconnus compétents aux termes de la Convention (art. 2 (1), 3o): à cet égard, il faut se référer notamment aux dispositions de l'article 3 (1), 2o et de l'article 3 (2).

En matière d'exécution, le tribunal requis peut et doit donc contrôler la compétence de la juridiction d'origine et, contrairement à la Convention européenne, les règles de compétence sont mises sur le même plan que l'ordre public, et leur respect doit faire l'objet d'un examen d'office.

Par conséquent, le résultat pratique nous paraît être en fait le même, que la requête en exécution soit fondée sur la Convention européenne ou sur la convention bilatérale: par le biais de l'exception d'ordre public et du contrôle d'office de la compétence du tribunal d'origine, le tribunal requis en application de la convention bilatérale doit exercer un contrôle sur la qualification de la matière du litige porté devant le tribunal d'origine et, compte tenu des précisions fournies par votre arrêt du 14 octobre 1976, nous ne voyons pas comment les juridictions allemandes pourraient encore inclure, dans le champ d'application de la convention bilatérale, les requêtes tendant au recouvrement des redevances d'Eurocontrol sans mettre en cause l'ordre public allemand ou sans renoncer au contrôle de la compétence des tribunaux d'origine, ce qui revient au même. Il nous paraît que c'est en ce sens qu'a jugé la Cour constitutionnelle fédérale allemande dans une ordonnance du 2 décembre 1974.

Bien entendu, selon la formule traditionnelle, c'est au juge national qu'il appartiendra de se prononcer sur ce point.

Nous concluons à ce que vous disiez pour droit que l'article 56 de la Convention de 1968 doit être interprété en ce sens que la convention bilatérale visée au 6e alinéa de l'article 55 de ladite Convention continue à produire ses effets en ce qui concerne l'exécution des décisions judiciaires, même rendues après la date d'entrée en vigueur de la Convention à la suite d'actions intentées avant cette date, pourvu que cette application ne fasse pas échec à la qualification de «matière civile et commerciale» au sens de l'article 1, alinéa 1, de la Convention.

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