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Document 62023CC0453
Opinion of Advocate General Kokott delivered on 17 October 2024.#E. sp. z o.o. v Prezydent Miasta Mielca.#Request for a preliminary ruling from the Naczelny Sąd Administracyjny.#Reference for a preliminary ruling – Aid granted by a Member State – Article 107(1) TFEU – Concept of ‘State aid’ – Selectivity of a tax measure – Criteria for assessment – Determination of the reference framework – Property tax – Exemption for land, buildings and structures forming part of railway infrastructure.#Case C-453/23.
Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 17 octobre 2024.
E. sp. z o.o. contre Prezydent Miasta Mielca.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny.
Renvoi préjudiciel – Aides accordées par les États membres – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’“aide d’État” – Sélectivité d’une mesure fiscale – Critères d’appréciation – Détermination du cadre de référence – Impôt foncier – Exonération pour les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire.
Affaire C-453/23.
Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 17 octobre 2024.
E. sp. z o.o. contre Prezydent Miasta Mielca.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny.
Renvoi préjudiciel – Aides accordées par les États membres – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’“aide d’État” – Sélectivité d’une mesure fiscale – Critères d’appréciation – Détermination du cadre de référence – Impôt foncier – Exonération pour les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire.
Affaire C-453/23.
Recueil – Recueil général – Partie «Informations sur les décisions non publiées»
Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2024:898
CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 17 octobre 2024 ( 1 )
Affaire C‑453/23
E. sp. z o.o.
contre
Prezydent Miasta Mielca
autre partie à la procédure :
Rzecznik Małych i Średnich Przedsiębiorców
[demande de décision préjudicielle formée par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)]
« Renvoi préjudiciel – Aide d’État – Avantage sélectif du fait d’une exonération fiscale légale – Distorsion de la concurrence – Détermination du système de référence – Exonérations fiscales légales en tant que partie du système de référence – Critère d’examen – Cohérence – Justification par des raisons extrafiscales »
I. Introduction
1. |
Dans quelles conditions une exonération fiscale prévue par le droit national et portant sur l’impôt foncier constitue-t-elle une aide d’État interdite au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ? La présente demande de décision préjudicielle offre à la Cour l’occasion de se pencher, une fois de plus, sur l’importance du droit des aides d’État de l’Union pour le droit fiscal des États membres. À la différence d’autres affaires récemment tranchées par la Cour, la présente affaire ne concerne toutefois pas une aide individuelle accordée par une décision fiscale anticipée ( 2 ), mais au contraire une disposition législative prévoyant une exonération fiscale. Il n’en va pas non plus d’un recours contre une décision de la Commission européenne en matière d’aide d’État, mais de manière atypique d’une demande de décision préjudicielle présentée par une juridiction nationale. Concrètement, la question qui se pose est celle de savoir si une exonération de l’impôt foncier pour des terrains sur lesquels se trouve une infrastructure ferroviaire effectivement utilisée doit être considérée comme une aide d’État non notifiée. |
2. |
La demande de décision préjudicielle a pour contexte la loi polonaise relative à l’impôt foncier qui prévoit une telle exonération fiscale. Celle-ci a été étendue avec effet au 1er janvier 2017 et elle recouvre depuis les infrastructures ferroviaires, non seulement publiques, mais également privées. L’exonération peut être utilisée par tout propriétaire d’un terrain s’il met cette infrastructure à la disposition d’une entreprise de transport ferroviaire. La requérante remplit elle aussi les conditions nécessaires pour faire valoir l’exonération fiscale. Les autorités fiscales polonaises lui ont néanmoins refusé le bénéfice de l’exonération parce qu’il s’agit, selon elles, d’une aide d’État illégale au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE qui, en violation de l’article 108, paragraphe 1, première phrase, TFUE, n’a pas été notifiée à l’avance. |
3. |
Les critères développés par la Cour dans les affaires mentionnées à la note en bas de page 2 des présentes conclusions, relatives aux aides individuelles, doivent être transposés ici à une disposition d’exonération fiscale prévue par la loi. Il faut à cet égard préciser, en particulier, avec quel niveau de détail il convient de déterminer le système de référence pertinent pour les dispositions législatives générales relatives aux exonérations fiscales. Il y a lieu d’établir à cette occasion dans quelle mesure les juridictions de l’Union peuvent contrôler les exonérations fiscales introduites par le législateur national. |
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. |
Le cadre juridique au titre du droit de l’Union est dessiné par les articles 107 et suivants TFUE. |
B. Le droit polonais
5. |
En droit polonais, l’Ustawa o podatkach i opłatach lokalnych (loi relative aux impôts et redevances locales), du 12 janvier 1991, tel que modifié (Dz. U. de 2019, position 1170, ci-après le « KSAG »), est particulièrement important. |
6. |
L’article 2, paragraphe 1, du KSAG prévoit que les terrains, les bâtiments ou leurs éléments ainsi que les constructions ou leurs éléments destinés à une activité économique sont soumis à l’impôt foncier polonais. |
7. |
L’article 2, paragraphe 3, du KSAG prévoit des exceptions au champ d’application de l’impôt foncier. Ne sont pas imposés d’après le point 4 de cette disposition, notamment, les terrains qui sont utilisés pour le transport public par route. Cette exception ne vaut cependant que pour les terrains qui sont liés à l’exercice d’activités économiques autres que l’entretien de la voie publique ou l’exploitation d’autoroutes à péage. |
8. |
L’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2021 et applicable au litige au principal, disposait ce qui suit : « 1. Sont exonérés de l’impôt foncier :
|
9. |
Depuis le 1er janvier 2017, pour pouvoir faire valoir l’exonération fiscale, l’infrastructure en question doit être effectivement mise à la disposition d’un exploitant ferroviaire, et donc utilisée par celui-ci. |
III. Les faits
10. |
La société E. sp. z o.o. (ci-après la « requérante ») est propriétaire de plusieurs terrains sur lesquels se trouve une infrastructure ferroviaire sous forme d’embranchements. Ceux-ci relient différentes entreprises au réseau ferroviaire principal. La requérante n’utilisait pas elle-même cette infrastructure qui constitue son unique actif. Son activité commerciale se limitait au contraire, d’après ses déclarations faites lors de l’audience, à mettre les voies à la disposition de différentes entreprises de transport pour qu’elles les utilisent. Elle envisageait en outre d’acquérir des terrains supplémentaires avec une infrastructure ferroviaire similaire pour les utiliser de la même manière. |
11. |
La requérante estime que, à compter du moment où l’embranchement est mis à la disposition d’une entreprise de transport, une exonération de l’impôt foncier pour le terrain sur lequel se trouve l’infrastructure ferroviaire peut être invoquée. Cela vaudrait également pour les terrains encore à acquérir à l’avenir. Pour assurer juridiquement sa position, la requérante a demandé au maire de la ville de Mielec (ci‑après le « défendeur ») une décision fiscale anticipée. |
12. |
Le défendeur a adopté le 14 juin 2021 une telle décision fiscale anticipée à l’égard de la requérante. Il a toutefois refusé dans ce document l’exonération de l’impôt foncier. Les conditions de l’exonération seraient certes remplies sur le plan formel, mais l’exonération ne pourrait pas être appliquée, car elle violerait les dispositions du droit de l’Union en matière d’aides d’État. La loi ayant introduit l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG n’aurait en effet pas été notifiée à la Commission. |
13. |
La requérante a alors formé un recours contre la décision fiscale anticipée auprès de la juridiction de première instance, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Rzeszowie (tribunal administratif de voïvodie de Rzeszów, Pologne), qui a rejeté le recours. La requérante a ensuite formé un pourvoi en cassation devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne, ci-après la « juridiction de renvoi »). |
14. |
Il est constant entre les parties que la requérante remplit les conditions requises à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG. Le litige est circonscrit à la question de savoir si le droit de l’Union en matière d’aides d’État s’oppose à l’application de l’exonération fiscale. La juridiction de renvoi a des doutes à ce sujet. La disposition en cause s’appliquerait en effet à un groupe illimité de destinataires. Tout propriétaire de terrain (indépendamment de la région, du secteur ou d’autres caractéristiques) qui dispose d’une infrastructure ferroviaire et qui la met à la disposition d’une entreprise ferroviaire pourrait invoquer l’exonération fiscale. |
IV. La procédure devant la Cour et les questions préjudicielles
15. |
La juridiction de renvoi a par conséquent sursis à statuer et soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
|
16. |
Au cours de la procédure devant la Cour, outre la requérante et le défendeur, le gouvernement polonais, le gouvernement espagnol, la Commission et le Médiateur pour les petites et moyennes entreprises (Rzecznik Malych), en tant que partie intervenante au soutien de la requérante, ont présenté des observations écrites. À l’exception du Médiateur, toutes les parties citées ont participé à l’audience qui s’est tenue le 8 juillet 2024. |
V. Appréciation en droit
17. |
De l’avis du gouvernement espagnol, la demande de décision préjudicielle est dans son ensemble irrecevable. L’exonération fiscale prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG s’appliquerait en effet à une « infrastructure ferroviaire ». Du fait de la directive 2012/34/UE ( 3 ), cette notion devrait être comprise en ce sens qu’elle ne couvrirait pas l’infrastructure privée exploitée par la requérante. Il conviendrait, déjà pour cette raison, de refuser à la requérante l’exonération fiscale invoquée de sorte que la question préjudicielle concernerait une situation hypothétique. |
18. |
Cette opinion ne saurait cependant convaincre. La directive 2012/34 n’a, d’une part, aucune importance pour la définition des notions dans une loi nationale relative à l’impôt foncier. L’Union européenne n’a, d’autre part, aucune compétence réglementaire pour le domaine de l’impôt foncier. Le législateur polonais pouvait donc définir la notion d’« infrastructure ferroviaire » à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG de manière autonome afin de couvrir également les infrastructures ferroviaires privées, comme celle de la requérante. |
19. |
La demande de décision préjudicielle est donc recevable. |
A. Sur la première question préjudicielle
20. |
La première question préjudicielle concerne la qualification de l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG comme « aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. |
21. |
En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, la qualification comme « aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE requiert qu’il s’agisse, premièrement, d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Elle doit, deuxièmement, être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Elle doit, troisièmement, accorder au bénéficiaire un avantage sélectif. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence ( 4 ). |
22. |
D’après son libellé, la première question préjudicielle concerne uniquement la quatrième condition, à savoir la (menace de) distorsion de la concurrence. Il ressort cependant d’autres développements de la juridiction de renvoi que celle-ci souhaiterait, en substance, savoir si la requérante s’est vu accorder un avantage sélectif au sens de la notion d’« aide d’État » à travers l’octroi de l’exonération de l’impôt foncier en vertu de l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG. Ce n’est que lorsque cela a été constaté que l’on peut examiner si cette exonération fausse ou menace de fausser la concurrence. Il convient donc de vérifier tout d’abord l’existence d’un avantage sélectif. |
1. Sur l’existence d’un avantage sélectif
23. |
D’après une jurisprudence constante de la Cour, la sélectivité de mesures fiscales doit être déterminée d’après un test en trois étapes. Il y a lieu à cet effet, dans une première étape, de déterminer le régime fiscal commun ou « normal » en tant que système de référence ( 5 ). Partant de ce régime fiscal commun ou « normal », il convient d’apprécier, dans une deuxième étape, si la mesure fiscale en cause déroge au régime commun dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans des situations factuelles et juridiques comparables ( 6 ). Si une dérogation au « régime fiscal normal » est constatée, il y a lieu de vérifier, dans une troisième et dernière étape, si cette dérogation est justifiée. |
a) Sur la détermination du système de référence
1) Principe : caractère contraignant de la détermination par l’État membre des caractéristiques essentielles d’un impôt
24. |
Nous nous sommes déjà exprimés ailleurs sur le critère d’examen à appliquer lors de la détermination du système de référence ( 7 ). Toute réglementation contenue dans une loi générale et favorable à l’assujetti ne constitue pas en soi une aide d’État au sens des traités. Même si une telle interprétation était couverte par les termes de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ce résultat irait à l’encontre du critère d’examen que la Cour a développé entre-temps pour les régimes d’aides d’État dans la législation fiscale générale ( 8 ). |
25. |
La Cour souligne ainsi que, en l’état actuel de l’harmonisation du droit fiscal de l’Union, les États membres sont libres d’établir le système de taxation qu’ils jugent le plus approprié ( 9 ). Cela doit être également pris en compte dans le domaine du contrôle des aides d’État ( 10 ). Cette marge d’appréciation des États membres recouvre la détermination des caractéristiques constitutives de tout impôt ( 11 ). |
26. |
C’est par conséquent en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union a été harmonisé qu’il appartient à l’État membre concerné de déterminer, sur le fondement de son autonomie fiscale, les caractéristiques constitutives des impôts qui définissent le système de référence « normal » ou le régime fiscal « normal ». D’après une jurisprudence plus récente de la Cour, il en va entre-temps, « notamment, ainsi de la détermination de l’assiette de l’impôt, de son fait générateur et des éventuelles exonérations dont il est assorti » ( 12 ). En ce sens, la Cour a également constaté que la sélectivité d’une mesure fiscale ne saurait être appréciée à l’aune d’un système de référence constitué de quelques dispositions seulement qui ont été artificiellement sorties d’un cadre législatif plus large ( 13 ). |
27. |
Il s’ensuit que, lors de la détermination du système de référence dans le domaine de l’imposition directe, il convient de ne tenir compte, en principe, que du droit national applicable dans l’État membre concerné. Par conséquent, et ainsi que la Cour l’a récemment jugé ( 14 ), les exonérations fiscales prévues par la loi [comme en l’espèce l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG] font en principe également partie du système de référence. |
28. |
La préoccupation exprimée par la Commission au cours de l’audience, et selon laquelle, du fait de cette jurisprudence récente et de l’intégration de toute exonération fiscale dans le système de référence, le test dit en trois étapes (voir point 23 des présentes conclusions) deviendrait obsolète, est infondée. D’une part, le test en trois étapes ne poursuit pas une fin en soi, mais sert au contraire à déterminer si un avantage sélectif a été accordé. Si une exonération prévue par la loi doit être considérée comme faisant partie du système de référence, un examen des deux étapes supplémentaires est logiquement sans objet. Si elle ne fait pas partie du système de référence, on en reste au test en trois étapes. Ce n’est ainsi que pour une loi fiscale générale que la première étape est pondérée et examinée différemment que par le passé. Cela est simplement dû au caractère contraignant de la détermination par l’État membre des caractéristiques constitutives d’un impôt – et donc de sa souveraineté fiscale. |
29. |
D’autre part, cette jurisprudence ne permet pas aux États membres d’introduire n’importe quelles exonérations de quelque nature que ce soit. La Cour a certes constaté dans l’affaire Engie que les exonérations fiscales font fondamentalement partie du système de référence ( 15 ). Elle a toutefois déclaré immédiatement à la suite de cela ( 16 ) que cette conclusion « est toutefois sans préjudice de la possibilité de constater, comme cela a été le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732), que le cadre de référence lui-même, tel qu’il découle du droit national, est incompatible avec le droit de l’Union en matière d’aides d’État, dès lors que le système fiscal en cause a été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires, destinés à contourner ce droit » ( 17 ). |
30. |
Il faut donc toujours encore examiner, en ce qui concerne les exonérations fiscales légales qui doivent être considérées comme faisant partie du système de référence, si le système fiscal les concernant (y compris les exonérations) a été configuré d’après des paramètres manifestement discriminatoires. |
31. |
Le type d’exonération fiscale n’est à cet effet pas déterminant. Il a ainsi été tenté d’opérer une distinction au cours de l’audience entre exonérations fiscales et extrafiscales ainsi qu’entre exonérations systémiques et exonérations non systémiques. Une telle distinction d’après le type d’exonération – qui selon nous ne peut de toute façon pas vraiment être opérée avec une précision absolue – n’est toutefois pas nécessaire pour les raisons citées aux points précédents des présentes conclusions. La Commission n’a elle-même pas été en mesure de présenter des critères précis de distinction et la question décisive n’est d’ailleurs pas celle de savoir quelle qualité systématique présente l’exonération fiscale. |
32. |
Dans le domaine des impôts non harmonisés, les exonérations systémiques et les exonérations non systémiques sont en principe couvertes par la compétence législative nationale de la même manière que les exonérations motivées par des raisons fiscales ou extrafiscales tant qu’elles s’intègrent de manière cohérente dans le système de référence. Seul est déterminant pour le contrôle des aides d’État le point de savoir si, dans l’exercice de sa compétence législative, le législateur national a choisi des critères manifestement discriminatoires afin d’accorder, à l’aide du droit fiscal, un avantage sélectif en « contournant le droit des aides d’État ». |
33. |
Pour la question de déterminer si une exonération fiscale prévue par la loi fait partie du système de référence, le fait de savoir si cette exonération repose sur des raisons fiscales ou extrafiscales ne joue aucun rôle – contrairement à ce que semblait estimer la Commission lors de l’audience. Les exonérations fiscales motivées par des raisons extrafiscales ne sont pas toujours des dérogations au système de référence qui devraient être ainsi justifiées. Il est en effet admis que tout législateur peut poursuivre à travers le droit fiscal des objectifs non fiscaux (comme la protection de l’environnement). De tels objectifs sont également importants dans le droit des aides d’État ( 18 ). |
34. |
Les différenciations légales générales dans le cadre du système de référence ne peuvent donc constituer une mesure sélective que lorsqu’elles ne sont fondées sur aucune base rationnelle compte tenu de la finalité de la loi ( 19 ). Un tel fondement rationnel peut à cet égard découler de raisons fiscales ou extrafiscales tout comme de raisons systémiques ou non systémiques. |
2) Limite de la marge de manœuvre législative : l’incohérence manifeste
35. |
Les États membres ne dépassent donc les limites de cette marge de manœuvre pour la détermination du système de référence (que) lorsqu’ils abusent de leur droit fiscal pour accorder à certaines entreprises des avantages en « contournant le droit des aides d’État » ( 20 ). Un tel abus de l’autonomie fiscale peut être présumé en présence de modalités manifestement incohérentes de la loi fiscale ( 21 ). Une différenciation entre différents groupes d’assujettis est manifestement incohérente et ainsi discriminatoire si elle ne peut pas être expliquée de manière plausible à un tiers comme la Commission ou les juridictions de l’Union. La discrimination est alors aussi manifeste pour l’assujetti concerné ( 22 ). |
36. |
Cette limitation de l’examen des différenciations légales à un contrôle des incohérences manifestes permet d’éviter, d’une part, que la Commission et les juridictions de l’Union soient submergées par la recherche d’une interprétation correcte dans tous les détails de 27 régimes fiscaux différents ( 23 ). La Cour n’a donc pas besoin de procéder à des interprétations dans le détail du sens et du contenu d’une disposition du droit fiscal national. La Cour doit au contraire uniquement examiner la loi fiscale en cause au regard d’une incohérence manifeste. En effet, une disposition qui n’est pas manifestement incohérente et qui donc, à première vue, s’intègre de manière cohérente dans le système fiscal national peut difficilement constituer un contournement de l’interdiction des aides d’État par l’octroi d’un avantage sélectif. |
37. |
Cette approche prévient d’autre part une surcharge pour la Commission dans son contrôle des aides d’État. En effet, si toute différenciation légale dans une loi fiscale générale pouvait déjà potentiellement fonder une aide d’État, les États membres devraient logiquement notifier à la Commission toute différenciation dans une loi fiscale (de telles réglementations existent en grand nombre dans chaque État membre). La Commission ne pourrait pas vraiment procéder à un examen de toutes ces dispositions dans un délai raisonnable. En outre, les lois fiscales (dans le domaine non harmonisé) seraient de ce fait, en quelque sorte, soumises par une voie détournée à la réserve d’un « agrément » de la Commission. |
38. |
Une analyse des conséquences juridiques de l’admission d’un régime d’aide d’État expose enfin l’avantage d’un critère d’examen qui s’oriente vers l’incohérence manifeste d’une exonération fiscale. En effet, d’après l’article 16 du règlement 2015/1589 qui fixe la procédure en matière d’aides d’État ( 24 ), il convient de récupérer auprès de son bénéficiaire les aides d’État illégalement accordées. Il faudrait à cet effet collecter rétroactivement un impôt qui légalement n’avait pas été prévu ainsi. |
39. |
Le droit fiscal est cependant régi par le principe de légalité et le principe de non‑rétroactivité. Très récemment, la Cour a expressément souligné le principe de légalité de l’impôt en lien avec le contrôle des lois fiscales nationales au regard du droit de l’Union en matière d’aides d’État ( 25 ). Les deux principes sous-tendent également les droits constitutionnels des États membres. Dans le droit des aides d’État, l’effet rétroactif se trouve donc toujours à l’intersection entre l’objet de la récupération (l’élimination de l’avantage concurrentiel obtenu grâce à l’aide d’État) ( 26 ) et la confiance que l’assujetti peut légitimement placer dans le caractère contraignant d’une loi votée par le Parlement. |
3) Résultat intermédiaire
40. |
Eu égard notamment à la jurisprudence récente mentionnée dans les présentes conclusions (aux points 26 et suivants), nous sommes par conséquent d’avis ( 27 ) que l’examen d’une réglementation prévue par la loi comme une exonération fiscale légale doit se faire à l’aune d’un critère d’examen qui se limite à un contrôle de plausibilité. Seule une dérogation manifeste de la disposition en cause par rapport au système de référence sous la forme de l’impôt foncier national normal fonde un avantage sélectif au bénéfice de l’assujetti. Des dérogations au système de référence national applicable sont manifestes lorsqu’elles ne peuvent pas être expliquées de manière plausible à un tiers comme la Commission ou les juridictions de l’Union et sont donc également manifestes pour l’assujetti concerné. |
41. |
La Cour doit donc, en appréciant si l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG constitue une dérogation au système de référence (assujettissement à l’impôt de tous les terrains, article 2, paragraphe 1, du KSAG), uniquement examiner si l’exonération fiscale est manifestement incohérente. Ce n’est qu’en cas d’incohérence manifeste qu’il y a dérogation au système de référence général. En l’absence d’incohérence, l’exonération fiscale légale fait partie du système de référence (national) et elle ne peut donc pas constituer un avantage sélectif. Une disposition n’est pas manifestement incohérente dans ce sens si elle est configurée de manière compréhensible, c’est-à-dire qu’elle n’est pas configurée d’après des paramètres manifestement discriminatoires dans le but de contourner le droit des aides d’État. |
b) Sur l’existence d’une dérogation au système de référence
42. |
Il appartient certes à la juridiction nationale de décider si tel est le cas. La Cour peut néanmoins fournir à la juridiction de renvoi des éléments utiles pour répondre à cette question. Du point de vue de la Cour et partant de ce critère d’examen, l’exonération fiscale au titre de l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG ne devrait pas avoir été configurée d’après des paramètres manifestement discriminatoires. |
43. |
La juridiction de renvoi affirme en effet que l’exonération fiscale a été introduite à l’occasion d’une réforme complète de l’Ustawa o transporcie kolejowym (loi sur le transport ferroviaire). Le but de cette réforme était le développement du transport ferroviaire par une libéralisation des dispositions existantes et par des mesures concrètes de promotion. |
44. |
L’exonération fiscale au titre de l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2017, s’inscrit dans le cadre de cette réforme en exonérant également de l’impôt foncier les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire et qui sont mis à la disposition d’opérateurs ferroviaires. D’après les explications de la juridiction de renvoi, il s’agissait par là de créer pour les propriétaires de terrains concernés une incitation en vue d’une utilisation du réseau ferroviaire, plus faible en émissions et plus sûr. |
45. |
L’exonération fiscale apparaît ainsi compréhensible et ne semble donc pas manifestement discriminatoire. Elle encourage en effet les propriétaires de terrains soit à créer une nouvelle infrastructure ferroviaire, soit à entretenir l’infrastructure déjà existante et à l’utiliser effectivement. Étant donné que cela peut être lié le cas échéant à des coûts importants pour les propriétaires de terrains, l’exonération de l’impôt foncier opère une compensation au moins partielle. L’exonération fiscale s’inscrit ainsi de manière compréhensible dans l’impôt foncier polonais en tant qu’impôt général sur le patrimoine. Un patrimoine qui est grevé par de telles dépenses est en effet, objectivement, d’une valeur moindre qu’un patrimoine qui n’est pas soumis à de telles charges. |
46. |
Il est sans pertinence que le soutien au transport ferroviaire ainsi poursuivi soit réalisé en l’espèce à travers le droit fiscal. Même si la plupart des normes de droit fiscal servent au financement des budgets nationaux, il est admis, comme nous l’avons déjà indiqué (voir point 33 des présentes conclusions), que les lois fiscales peuvent poursuivre d’autres objectifs. Le législateur national peut ainsi inciter les assujettis à adopter un certain comportement par des exonérations ou des impositions ciblées ( 28 ). Une exonération de l’impôt foncier, comme celle prévue par l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG, peut donc aussi contribuer à soutenir le transport ferroviaire. Le législateur de l’Union vise d’ailleurs lui-même à une amélioration de l’efficacité et de la compétitivité du transport ferroviaire ( 29 ). |
47. |
Il est en outre logique que l’exonération fiscale puisse aussi exonérer des parties de l’infrastructure ferroviaire privée. D’autres dispositions d’exonération dans le droit polonais de l’impôt foncier – comme pour les ports et les routes – concernent certes uniquement l’infrastructure appartenant aux pouvoirs publics. L’entretien et le développement de l’infrastructure ferroviaire privée relèvent toutefois de l’intérêt général, compte tenu des objectifs d’un transport ferroviaire efficace et compétitif ainsi que d’une réduction des émissions nocives pour le climat. |
48. |
La juridiction de renvoi signale ainsi que l’infrastructure ferroviaire privée en Pologne est utilisée en particulier par des entreprises comme des mines, des usines ou des centrales électriques, qui sont le moteur de l’ensemble du transport ferroviaire de marchandises du pays. Il ne s’agit cependant pas là, comme l’a affirmé la Commission, d’un indice d’une discrimination dissimulée. L’exonération fiscale est au contraire une mise en œuvre cohérente de cet objectif, à la différence de ce qui avait été le cas, par exemple, pour le régime fiscal à apprécier dans l’affaire Gibraltar ( 30 ). Le gouvernement polonais a ainsi exposé de manière intelligible que l’exonération fiscale est supposée créer une incitation à mettre l’infrastructure ferroviaire à la disposition d’entreprises de transport. Il est plausible que ce système d’incitation rende le chemin de fer plus attractif comme voie de transport. |
49. |
Plaide en outre contre l’existence d’un paramètre manifestement discriminatoire le fait que l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG est une exonération fiscale objective. La seule condition pour invoquer l’exonération fiscale est qu’une infrastructure ferroviaire se trouve sur un terrain mis à la disposition d’un exploitant ferroviaire. Tout assujetti qui dispose d’une infrastructure correspondante et qui l’utilise peut donc se prévaloir de l’exonération fiscale. Par son rattachement objectif à l’utilisation d’un terrain, la disposition doit par ailleurs être considérée comme bénéficiant de manière non discriminatoire aux propriétaires tant privés que publics. |
50. |
Comme la requérante l’a souligné à juste titre lors de l’audience, de nombreux autres États membres exonèrent eux aussi les propriétaires d’infrastructures ferroviaires en tout ou partie de l’impôt foncier ( 31 ). Cela vient suggérer qu’une telle pratique fiscale est un standard international. Les paliers à franchir pour admettre l’existence d’une réglementation incohérente sont de ce fait plus élevés. Il en va a fortiori ainsi lorsque, comme en l’espèce, la Commission n’a jamais critiqué du point de vue du droit des aides d’État de telles réglementations existant de longue date. |
51. |
L’objection formulée par la Commission et selon laquelle il s’agirait d’un privilège accordé à certains assujettis est ainsi inopérante. L’exonération fiscale opère une distinction entre les propriétaires d’une infrastructure ferroviaire – qui ne doivent pas nécessairement être des entreprises – et les assujettis qui ne sont pas propriétaires de terrains correspondants et des installations qui s’y trouvent. Il ne s’agit pas d’une inégalité de traitement entre assujettis se trouvant dans la même situation étant donné que la réglementation s’attache à la propriété de l’infrastructure en tant que facteur de distinction. L’exonération fiscale est en particulier indépendante de l’appartenance à un secteur économique déterminé ou une activité commerciale particulière. |
52. |
Il n’y a là, contrairement à ce qu’estime la Commission, aucune discrimination dissimulée ou sélectivité de fait. Cela supposerait que les propriétaires de voies ferrées et autres propriétaires de terrains (par exemple, les propriétaires de terrains non bâtis) soient dans des situations de départ comparables. Cela n’est toutefois pas le cas parce que l’entretien d’infrastructures ferroviaires est lié à des efforts financiers particuliers (et à une restriction particulière de l’utilisation possible du terrain) qui ne se présentent pas chez les autres assujettis. |
53. |
Eu égard aux considérations qui précèdent, l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG n’est pas configuré d’après des paramètres manifestement discriminatoires, mais s’inscrit au contraire de manière compréhensible dans le droit polonais de l’impôt foncier. La disposition fait donc partie du système de référence et n’est pas une dérogation. Elle ne constitue pas un avantage sélectif. |
c) À titre subsidiaire : sur la justification d’une dérogation au système de référence
54. |
Même si la Cour devait partir du point de vue que l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG constitue une dérogation au système de référence, une telle dérogation serait en tout état de cause justifiée. Il y a en effet lieu d’admettre qu’elle l’est lorsque l’État membre peut démontrer que la différenciation découle de la nature ou de l’économie du système dans lequel la mesure s’inscrit ( 32 ). |
55. |
Le gouvernement polonais devrait pouvoir apporter cette preuve. Il convient de tenir compte du fait que l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG n’est qu’une disposition parmi d’autres exonérant les infrastructures de transport de l’impôt foncier. L’article 2, paragraphe 3, point 4, du KSAG prévoit ainsi une exonération de l’impôt foncier, notamment, pour les terrains utilisés pour le transport sur la voie publique. D’après l’article 7, paragraphe 1, points 2 et 3, du KSAG, sont en outre également exonérés les terrains, bâtiments et constructions qui servent aux infrastructures portuaires, permettent l’accès aux ports ou appartiennent à des zones aéroportuaires utilisées par le public. |
56. |
Il découle de l’examen global des exonérations fiscales citées au point précédent des présentes conclusions que, en Pologne, les infrastructures de transport sont exonérées de manière systématique de l’impôt foncier. Il s’agit d’un paramètre tenant à la nature et à l’économie du régime fiscal qui justifierait une dérogation (supposée) au système de référence. Dans ce contexte, le gouvernement polonais a signalé devant la Cour, à juste titre, que les exonérations de l’impôt foncier pour les infrastructures qui sont d’utilité publique forment un ensemble cohérent dans le système de référence. |
57. |
La Commission semble elle aussi considérer que les exonérations fiscales pour l’infrastructure routière, portuaire et aéroportuaire ne sont pas problématiques. On ne voit pas pourquoi précisément cela ne devrait pas valoir pour l’infrastructure ferroviaire. En définitive, une éventuelle dérogation au système de référence serait en tout cas justifiée de sorte que, pour cette raison aussi, il n’y aurait pas de violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. |
d) Résultat intermédiaire
58. |
Lors de l’examen du point de savoir si une exonération fiscale prévue dans le droit d’un État membre crée un avantage sélectif, il convient d’appliquer en raison de l’autonomie fiscale des États membres un critère d’examen limité. L’État membre définit le régime fiscal (et ainsi le système de référence) qui comprend aussi les exonérations fiscales. La Cour peut donc uniquement examiner si le régime fiscal en cause a été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires en vue de contourner le droit des aides d’État. |
59. |
Il n’y a en l’espèce aucun indice d’une configuration ainsi incohérente parce que l’exonération de l’impôt foncier en cause, consacrée dans la loi polonaise relative à l’impôt foncier, poursuit des objectifs compréhensibles et n’a ainsi pas été configurée de manière manifestement incohérente. L’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG n’est donc pas une dérogation au système de référence. Même si on devait admettre une dérogation, elle serait en tout cas justifiée. Cette exonération fiscale n’est donc pas un avantage sélectif au sens du droit des aides d’État. |
2. À titre subsidiaire : sur l’existence d’une distorsion de la concurrence
60. |
Ce n’est que pour le cas où la Cour devrait admettre l’existence d’une dérogation qui ne serait pas non plus justifiée qu’il faut encore examiner si une telle exonération objective, liée au terrain, peut entraîner une distorsion de la concurrence, pertinente du point de vue du droit des aides d’État. |
61. |
Une telle distorsion de la concurrence suppose que l’aide d’État accordée par l’État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres concurrents dans le marché intérieur ( 33 ). Il faut donc comparer la situation du bénéficiaire avant et après l’octroi de l’aide d’État. |
62. |
Au vu de ce critère, on ne saurait discerner de distorsion de la concurrence du fait de l’exonération fiscale. Les propriétaires de terrains sans infrastructure ferroviaire et les propriétaires possédant une telle infrastructure ne sont déjà pas en concurrence les uns avec les autres. L’exonération fiscale peut en outre avoir pour effet d’encourager la concurrence en ce qu’elle compense des désavantages découlant de frais d’entretien particuliers de l’infrastructure ferroviaire qui ne naissent pas pour les entreprises ne disposant pas de telles installations. |
63. |
Dans une procédure normale d’aide d’État, la Commission supporte en outre la charge de la preuve quant à la réunion des caractéristiques d’une aide d’État ( 34 ). Dans une procédure préjudicielle, cette charge de la preuve pesant sur la Commission n’existe pas. La procédure préjudicielle doit par conséquent offrir à tout le moins les indices correspondants d’une distorsion de la concurrence. Ils font ici défaut. La Cour ne peut donc pas par elle-même constater ou même présumer l’existence d’une possible distorsion de la concurrence. De ce point de vue également, la constatation d’une aide d’État interdite est exclue. |
B. Sur la seconde question préjudicielle
64. |
Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaiterait savoir si un entrepreneur peut être tenu de verser les arriérés d’impôt, majorés des intérêts, s’il a bénéficié d’une exonération fiscale qui a été introduite en violation de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, première phrase, TFUE. Il n’y a déjà pas lieu de répondre à cette question parce que la juridiction de renvoi ne la pose que dans l’hypothèse où il faudrait répondre par l’affirmative à la première question préjudicielle. |
65. |
Même si la Cour devait parvenir à un résultat différent en ce qui concerne la première question préjudicielle, il n’y aurait pas lieu de répondre à la seconde question préjudicielle parce qu’elle est en tout cas dénuée de pertinence pour la solution du litige. La question concerne en effet l’hypothèse où un entrepreneur aurait bénéficié de l’exonération fiscale. Or, ainsi que l’affirme elle-même la requérante, l’exonération au titre de l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), du KSAG ne lui a jusqu’à maintenant pas été accordée. Par conséquent, la question doit être, conformément à la position du gouvernement polonais et de la Commission, considérée comme irrecevable. |
VI. Conclusion
66. |
Par conséquent, nous proposons de répondre comme suit aux questions préjudicielles du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) : Il convient d’interpréter l’article 107, paragraphe 1, TFUE en ce sens qu’une exonération fiscale légale ne déroge au système de référence que si la disposition nationale en cause est manifestement incohérente. Si elle ne l’est pas, elle fait partie du système de référence (national) pertinent et ne saurait constituer un avantage sélectif. Une disposition est incohérente en ce sens si elle a été configurée selon des paramètres manifestement discriminatoires en vue de contourner l’interdiction des aides d’État en vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il appartient à la juridiction nationale de déterminer si tel est le cas. On ne saurait toutefois discerner d’indices que l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de l’Ustawa o podatkach i opłatach lokalnych (loi relative aux impôts et redevances locales), du 12 janvier 1991, tel que modifié, en vertu duquel les propriétaires de terrains avec des infrastructures ferroviaires sont exonérés de l’impôt foncier, ne s’inscrirait pas de manière cohérente dans la loi polonaise relative à l’impôt foncier. |
( 1 ) Langue originale : l’allemand.
( 2 ) Voir, sur les décisions fiscales anticipées, arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859) ; du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission (C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948), et du 14 décembre 2023, Commission/Amazon.com e.a. (C‑457/21 P, EU:C:2023:985).
( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen (JO 2012, L 343, p. 32).
( 4 ) Arrêts du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 40) ; du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53) ; du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 82), et du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 27).
( 5 ) Arrêts du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57), et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 53 et 55).
( 6 ) Arrêts du 8 septembre 2011, Paint Graphos (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49) ; du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57), et du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 36).
( 7 ) Voir nos conclusions dans les affaires Commission/Luxembourg e.a. (C‑457/21 P, EU:C:2023:466, points 91 et suiv.), Luxembourg/Commission et Engie Global LNG Holding e.a./Commission (C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:383, points 86 et suiv.) ainsi que Tesco-Global Áruházak (C‑323/18, EU:C:2019:567, points 147 et suiv.).
( 8 ) Arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 95 et suiv.) ; du 5 décembre 2023, Luxembourg e. a./Commission (C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, points 115 et suiv.), ainsi que du 14 décembre 2023, Commission/Amazon.com e.a. (C‑457/21 P, EU:C:2023:985, point 56).
( 9 ) Arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 37). Voir, en ce sens aussi, en ce qui concerne les libertés fondamentales, arrêts du 3 mars 2020, Vodafone Magyarország (C‑75/18, EU:C:2020:139, point 49), et du 3 mars 2020, Tesco-Global Áruházak (C‑323/18, EU:C:2020:140, point 69 et jurisprudence citée).
( 10 ) Arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 37), et du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar) (C‑705/20, EU:C:2022:680, point 59). Voir, en ce sens, notamment, arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑233/16, EU:C:2018:280, point 50 et jurisprudence citée).
( 11 ) C’est également dans ce sens que va l’arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 95 et suiv.).
( 12 ) Arrêts du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission (C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 112), et du 10 septembre 2024, Commission/Irlande et Apple Sales International (C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 81).
( 13 ) Arrêts du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 103), et du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission (C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793, point 62).
( 14 ) Arrêts du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission (C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 112), et du 10 septembre 2024, Commission/Irlande et Apple Sales International (C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 81).
( 15 ) Arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission (C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 112).
( 16 ) Arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission (C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 114, renvoyant à l’arrêt du 16 mars 2021, Commission/Hongrie, C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 49).
( 17 ) Dans ce sens, voir également arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande et Apple Sales International (C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 83).
( 18 ) Voir arrêts du 26 avril 2018, ANGED (C‑233/16, EU:C:2018:280, points 59 à 61) ; du 26 avril 2018, ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291, points 40 et suiv.), ainsi que ANGED (C‑234/16 et C‑235/16, EU:C:2018:281, points 45 et 46).
( 19 ) Voir nos conclusions dans l’affaire Tesco-Global Áruházak (C‑323/18, EU:C:2019:567, point 151).
( 20 ) Arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 72) ; voir, en outre, arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, points 42 et suiv., en particulier point 44) ; du 16 mars 2021, Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2021:202, points 48 et suiv., en particulier point 50), ainsi que du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar) (C‑705/20, EU:C:2022:680, point 61). Déjà, dans l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 101), la Cour parle des bases juridiques qui « opère[nt], en fait, une discrimination entre » assujettis (mise en italique par nos soins).
( 21 ) Comme dans le cas de Gibraltar : arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 101 et suiv.). Là aussi, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord n’avait pas été en mesure d’expliquer le sens des paramètres fiscaux utilisés (point 149).
( 22 ) Voir nos conclusions dans les affaires Luxembourg/Commission et Engie Global LNG Holding e.a./Commission (C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:383, point 92).
( 23 ) De telles difficultés sont apparues dans les affaires Amazon et Engie ainsi que nous l’avons exposé dans nos conclusions à ce sujet (Commission/Luxembourg e.a., C‑457/21 P, EU:C:2023:466, points 98 et suiv., ainsi que Luxembourg/Commission et Engie Global LNG Holding e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:383, points 94 et 95).
( 24 ) Note sans pertinence dans la version en langue française des présentes conclusions.
( 25 ) Arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 97).
( 26 ) Arrêt du 29 avril 2004, Allemagne/Commission (C‑277/00, EU:C:2004:238, point 76).
( 27 ) Voir aussi nos conclusions dans l’affaire Luxembourg/Commission et Engie Global LNG Holding e.a./Commission (C‑454/21 P et C‑451/21 P, EU:C:2023:383, point 101).
( 28 ) Voir nos conclusions dans l’affaire F (Mode de gestion d’un OPC) (C‑18/23, EU:C:2024:609, point 81).
( 29 ) Voir considérant 5 de la directive 2012/34.
( 30 ) Arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732).
( 31 ) Voir, par exemple, article 4, paragraphe 3, sous a), de la loi allemande relative à l’impôt foncier ; article 4, point 9, sous a), de la loi luxembourgeoise relative à l’impôt foncier, et article 2, paragraphe 1, sous b), de la loi autrichienne relative à l’impôt foncier.
( 32 ) Arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission (C‑88/03, EU:C:2006:511, point 81) ; du 26 avril 2018, ANGED (C‑233/16, EU:C:2018:280, point 43), et du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 32 et jurisprudence citée).
( 33 ) Arrêts du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission (730/79, EU:C:1980:209, point 11), et du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C‑156/98, EU:C:2000:467, point 33).
( 34 ) Voir, en ce sens, par exemple, arrêt du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 104).