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Document 61980CC0150

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 20 mai 1981.
Elefanten Schuh GmbH contre Pierre Jacqmain.
Demande de décision préjudicielle: Hof van Cassatie - Belgique.
Convention de Bruxelles: prorogation de compétence.
Affaire 150/80.

Recueil de jurisprudence 1981 -01671

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1981:112

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL SIR GORDON SLYNN

PRÉSENTÉES LE20 MAI 1981TRADUIT DE L'ANGLAIS.

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Cette affaire est déférée à la Cour par la Cour de cassation de Belgique, à Bruxelles, par une ordonnance rendue le 9 juin 1980 en application de l'article 3 du protocole du 3 juin 1971, concernant l'interprétation par la Cour de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après «la convention»). Elle a trait à trois articles de la convention: les articles 17 et 18, relatifs à la prorogation de compétence; et l'article 22, sur la jonction d'affaires connexes.

La partie demanderesse dans la procédure devant la juridiction de renvoi, la Elefanten Schuh GmbH, est une société anonyme de droit allemand. Nous appellerons la partie demanderesse «la société allemande». Elle a son siège à Clèves et exerce son activité dans le secteur de la chaussure. La partie défenderesse en cassation, Pierre Jacqmain, est domiciliée à Schoten en Belgique.

Le 1er février 1970, la société allemande a engagé M. Jacqmain comme représentant de commerce en Belgique (à l'exception des provinces de Luxembourg, Namur et Hainaut). Le contrat de travail n'a pas été produit devant la Cour, mais les parties s'accordent à dire qu'il était rédigé en allemand et qu'il stipulait que tout différend surgissant dans le cadre de celui-ci relèverait de la compétence exclusive des juridictions de Clèves en Allemagne.

A partir d'une certaine date en 1974, le salaire de base de M. Jacqmain a été payé par Elefant NV, la filiale belge de la partie demanderesse au principal, que nous appellerons «la société belge». A partir de la fin de 1974, la société belge a également payé ses commissions. A compter du 1er septembre 1975, il a travaillé sous l'autorité, la direction et le contrôle de la société belge. En décembre 1975 il a été licencié sans préavis.

M. Jacqmain a alors attrait les sociétés allemande et belge devant le tribunal du travail d'Anvers. Il a intenté son action au titre de la législation belge. Il a réclamé une indemnité pour la résiliation de son contrat au titre de l'article 20 du décret royal du 20 juillet 1955 (Moniteur Belge des 3-4 octobre 1955) et l'indemnité d'éviction, conformément à l'article 15 de la loi du 30 juillet 1963 (Moniteur Belge du 7 août 1963), ainsi que les adaptations de son salaire au coût de la vie, les intérêts, le pécule de vacances, la rémunération des jours fériés rémunérés et le remboursement des frais de téléphone.

La société allemande a fait valoir que le tribunal du travail n'était pas compétent au regard de la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de travail. Le tribunal a rejeté cet argument en s'appuyant sur les articles 627 (9) et 630 du Code judiciaire belge. La première disposition confère une compétence exclusive dans des litiges du travail à la juridiction du lieu où l'entreprise en question exerce son activité ou du lieu où l'activité professionnelle commerciale en question est exercée. La seconde prévoit que toute convention contraire à l'article 627 est considérée comme nulle et non avenue.

Le tribunal du travail a également rejeté un argument avancé par la société belge et selon lequel le contrat de M. Jacqmain avait été conclu avec la seule société allemande. Citant de nombreuses décisions de la jurisprudence, le tribunal a estimé qu'aux termes de la législation belge, toute personne sous l'autorité, la direction ou le contrôle de laquelle un employé travaille contre rémunération est considérée comme une partie à son contrat de travail; et le tribunal a conclu que, dans les circonstances de l'espèce, les sociétés allemande et belge étaient solidairement responsables. Il a accordé à M. Jacqmain des dommages et intérêts d'un montant de 3064160 BFR majoré des intérêts, ainsi que des indemnités accessoires.

Les deux sociétés ont interjeté appel devant la cour du travail d'Anvers où elles ont de nouveau invoqué la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de travail. Cette juridiction a admis que l'article 17 de la convention autorise les parties à convenir par écrit d'attribuer compétence à une juridiction d'un État contractant nonobstant les articles 627 (9) et 630 du Code judiciaire belge. Elle a constaté que le contrat de travail écrit conclu entre M. Jacqmain et la partie appelante était nul en ce qu'il n'était pas conforme aux articles 5 et 10 d'un décret du 19 juillet 1973, arrêté par le Conseil culturel de la communauté culturelle néerlandaise régissant l'emploi des langues. L'article 5 dispose que les employeurs de toute personne travaillant dans les régions linguistiques néerlandaises de Belgique doivent utiliser la langue néerlandaise dans tous les documents adressés à leur personnel ou prescrits par la loi (y compris, semble-t-il, les contrats d'emploi). L'article 10 prévoit la nullité de tout document qui n'est pas conforme aux dispositions précitées. Sur le fond de l'affaire, la Cour a confirmé le jugement du tribunal du travail en n'y apportant qu'une modification mineure.

Les deux sociétés se sont pourvues devant la Cour de cassation. Cette cour a jugé que le pourvoi de la société belge était irrecevable parce qu'il était tardif.

La Cour de cassation a estimé, en faveur de la société allemande, qu'une clause contractuelle, par laquelle les parties conviennent de soumettre les litiges à une juridiction particulière, ne pouvait pas être affectée par les règles adoptées par un État membre en ce qui concerne les relations entre employeurs et travailleurs puisque l'article 17 de la convention du 27 septembre 1968 s'applique uniformément dans tous les États contractants.

Il a cependant été soutenu au nom de M. Jacqmain que le tribunal du travail d'Anvers était compétent en vertu de l'article 18 de la Convention parce que la comparution devant cette juridiction de la partie demanderesse en cassation avait pour objet de conclure tant sur la compétence que sur le fond de l'affaire.

En outre, l'avocat de M. Jacqmain a posé la question de savoir s'il était permis à la société allemande d'invoquer la clause attributive de compétence étant donné que l'action avait, à l'origine, été engagée contre deux sociétés, dont l'une (la société belge) n'était pas partie au contrat dans lequel cette clause figurait. Il a été suggéré que, puisque l'action engagée contre la société belge était recevable, M. Jacqmain pouvait se prévaloir, contre la société allemande, de l'article 22 de la Convention. Celui-ci stipule que, lorsque des demandes connexes sont formées devant des juridictions d'États contractants différents, la juridiction saisie en second lieu peut se dessaisir à condition que sa loi permette la jonction d'affaires connexes et que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des deux demandes. La législation belge, et spécialement les articles 566 et 634 du Code judiciaire, autorise la jonction d'affaires connexes.

A la lumière des problèmes soulevés, la Cour de cassation a déféré à la Cour de justice six questions. La première est libellée comme suit:

«1. a)

L'article 18 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale est-il applicable lorsque les parties ont conventionnellement désigné un juge compétent au sens de l'article 17?»

Les articles 17 et 18 stipulent, pour autant qu'ils nous intéressent en l'espèce:

«Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État contractant, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont seuls compétents.

Les conventions attributives de juridiction ... sont sans effet si elles sont contraires aux dispositions des articles 12 et 15 ou si les tribunaux à la compétence desquels elles dérogent sont exclusivement compétents en vertu de l'article 16.

Outre les cas où sa compétence résulte d'autres dispositions de la présente convention, le juge d'un État contractant devant lequel le défendeur comparaît est compétent. Cette règle n'est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s'il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l'article 16.»

Dans les observations qu'ils ont présentées à la Cour, la Commission et le gouvernement du Royaume-Uni ont soutenu que cette question appelait une réponse affirmative. Nous partageons cette opinion.

Il nous semble que les premiers mots de l'article 18, «apart from» dans la version anglaise, «outre les cas» dans la version française, indiquent clairement que l'article établit un fondement de compétence qui s'ajoute à ceux qui résultent des ispositions de la convention. Il n'est pas limité aux cas dans lesquels la compétence ne résulte pas d'autres dispositions de la convention. Les versions allemande et italienne donnent, à notre avis, la même indication.

La compétence établie par l'article 18 n'est pas censée s'appliquer lorsqu'une autre juridiction détient la compétence exclusive au titre de l'article 16. Une telle restriction explicite n'existe pas en ce qui concerne l'article 17 et nous ne voyons aucun motif d'en supposer l'existence. On ne saurait envisager que les articles 17 et 18 s'excluent mutuellement ou qu'ils soient applicables alternativement puisqu'ils constituent deux voies par lesquelles une partie peut reconnaître la compétence d'une juridiction, l'une par contrat, l'autre par l'acte de la comparution.

L'idée qu'il s'agit là de l'approche correcte dans l'interprétation de la Convention peut, comme on l'a suggéré dans les observations présentées à la Cour, être étayée par le fait que, dans un certain nombre de conventions bilatérales entre États membres qui sont citées dans les observations, il est supposé ou admis que la comparution d'un défendeur peut être attributive de compétence, même lorsque les parties sont convenues de soumettre leurs litiges à une autre juridiction. A notre connaissance, ce principe est également admis dans le droit national de nombreux voire de l'ensemble des États membres.

La deuxième question posée par la Cour de cassation est libellée comme suit:

«Le régime de compétence de l'article 18 est-il applicable lorsque le défendeur a non seulement contesté la compétence, mais aussi conclu en outre sur l'affaire même?»

Telle que nous l'avons comprise, cette question trouve apparemment son origine ans le fait que, dans les versions néerlandaise, allemande et italienne, la deuxième phrase de l'article 18 contient des termes qui vont dans le même sens que la version anglaise, à savoir qu'il n'y a pas attribution de compétence si la comparution a pour objet «solely to contest the jurisdiction» (si la comparution a uniquement pour objet de contester la compétence). Ces termes laisseraient à supposer que la comparution du défendeur ne doit pas avoir eu d'autre objet que de contester la compétence. Si la comparution a un objet supplémentaire, encore qu'accessoire, la première phrase de l'article 18 continue de s'appliquer. D'autre part, le texte français stipule «cette règle n'est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence». Il ne comporte pas d'équivalent au mot «solely» (uniquement). Si nous avons bien compris, le texte irlandais va dans le même sens.

On peut évidemment soutenir que, correctement interprétés, ces termes clans la version française aboutissent au même résultat et que l'intention est que la comparution doit avoir pour seul objet de contester la compétence. Nous ne sommes pas certains qu'il en soit nécessairement ainsi.

La Cour a déjà relevé que la convention de Bruxelles doit être interprétée au regard tant de ses principes que de ses finalités et de son rapport avec le traité CEE (voir, par exemple, l'affaire 12/76, Tessili/Dunlop, Recueil 1976, p. 1473 à 1884). Lorsqu'il existe un doute sur les termes spécifiques utilisés et lorsqu'il y a, ou qu'il risque d'y avoir, une divergence entre les différentes versions de la convention, il est à l'évidence correct de tenir compte des finalités et de l'objet de la convention.

Il paraîtrait contraire à l'esprit et à la finalité de la convention de créer des difficultés pour les parties au litige. D'importantes difficultés peuvent surgir en pratique si l'objet de la comparution d'un défendeur est limité à la seule question de la compétence. S'il échoue sur ce problème, il peut se priver de la possibilité de réfuter sur le fond, voire sur la base d'autres moyens de forme, l'action engagée contre lui. Il ne peut pas non plus les invoquer si une procédure en exécution du jugement rendu contre lui est entamée dans l'État où il réside ou dans lequel il possède des actifs, puisque l'article 28 de la convention dispose, sous réserve d'exceptions, qu'il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l'État d'origine. En outre, il peut se produire des cas dans lesquels le problème juridictionnel est complexe alors que le problème de fond est simple. Il semble que l'on aboutirait à un résultat insatisfaisant si un défendeur qui entend contester la compétence était empêché de soulever un problème de fond qui pourrait être rapidement examiné s'il échouait sur le plan de la compétence. Il en est particulièrement ainsi lorsqu'un défendeur souhaite obtenir une mesure conservatoire sur une propriété saisie ou menacée de saisie, notamment dans le domaine commercial. Un résultat tout aussi insatisfaisant serait qu'une juridiction, qui se déclare incompétente au cours de la discussion, soit obligée de se considérer comme compétente simplement parce que le défendeur a, lors de sa comparution, soulevé un problème de fond accessoire ou quelque autre moyen de forme.

Le droit anglais adopte, nous semble-t-il, sur cette question une position plus restrictive que le droit de certains autres États contractants où un défendeur n'est pas nécessairement considéré comme ayant reconnu la compétence simplement parce qu'il avance des arguments sur le fond. Il doit y avoir, en connaissance de cause, une acceptation consciente de la compétence. Nous renvoyons, sans les répéter, aux extraits des commentaires repris dans les observations du gouvernement du Royaume-Uni.

Il est peut-être exact d'observer que la Cour internationale de justice a retenu un point de vue similaire à celui adopté plus généralement par les États membres lorsqu'elle a été invitée à statuer, conformément aux principes généraux du droit, sur la question de savoir si le gouvernement iranien devait être considéré comme ayant attribué compétence à la Cour en lui demandant de se prononcer sur diverses questions qui ne constituaient pas des objections à sa compétence. La Cour a affirmé que «le principe du forum prorogatum devrait être fondé sur quelque acte ou déclaration du gouvernement de l'Iran impliquant un élément de consentement à l'égard de la compétence de la Cour» (affaire Anglo-Iranian Oil Company, 1952, ICJ, Rep. 89, p. 113-114).

A notre avis, la réponse à la deuxième question est qu'une juridiction d'un État contractant ne se voit pas attribuer la compétence en vertu de l'article 18 de la convention si, bien que la comparution du défendeur ait pour objet de contester cette compétence, il utilise cette possibilité pour soulever un problème subsidiaire ayant trait au fond de l'affaire. Tant que l'objet initial est de contester la compétence, le défendeur ne perd pas le droit de soulever l'exception d'incompétence en faisant valoir, à titre subsidiaire, des arguments sur le fond.

La Cour de cassation invite la Cour à ne répondre à sa troisième question qu'en cas de réponse affirmative à la deuxième:

«En cas de réponse affirmative, la compétence doit-elle alors être contestée in limine litis f»

D'une part, il est clair que la convention ne régit pas le domaine de la procédure. En principe, la lex fori doit donc déterminer à quel stade et de quelle manière une exception doit être soulevée. M. Jenard a explicitement évoqué ce point dans son rapport (JO 1979, C 59/1, p. 38). En effet, la législation des États contractants diverge considérablement sur ce point. A titre d'exemple, si nous l'avons bien compris, l'article 854 du Code judiciaire belge exige que le défendeur soulève toute exception d'incompétence in limine, alors que le Code de procédure civil allemand lui permet de soulever l'exception à tout moment avant la première audience orale. La convention de Bruxelles ne vise pas à harmoniser ces règles.

D'autre part, force est de reconnaître que, par ses termes mêmes, la deuxième phrase de l'article 18 exige que la comparution ait pour objet de contester la compétence. On ne saurait soutenir que la comparution avait cet objet lorsque la compétence est contestée après la comparution. En outre, un défendeur qui soulève une exception à un stade avancé de la procédure ne peut guère prétendre que ses arguments, qui visent le fond de l'affaire, ont un caractère subsidiaire ou alternatif par rapport au problème de la compétence. Il s'ensuit, si notre point de vue sur la deuxième question est admis, qu'un tel défendeur perdrait le droit d'exciper de l'incompétence. Il se verrait opposer l'objection que sa comparution antérieure équivalait à une acceptation volontaire de la compétence.

Ces considérations ne sont pas difficiles à concilier. La deuxième phrase de l'article 18 présuppose, à notre avis, que la comparution du défendeur ait eu pour objet de contester la compétence. En conséquence, la compétence doit être contestée au plus tard à la date à laquelle la comparution a lieu. Mais la question de savoir ce que constitue la comparution relève de la lex fori.

Les quatrième et cinquième questions posées par la Cour de cassation sont libellées comme suit:

«a)

Des demandes connexes qui, formées séparément, devraient être portées devant les tribunaux d'États contractants différents peuvent-elles être formées simultanément, en application de l'article 22 de la convention, devant un de ces tribunaux, à condition que sa loi permette la jonction d'affaires connexes et que ce tribunal soit compétent pour connaître des deux demandes?

b)

En est-il également ainsi lorsque les parties à un des litiges, qui ont fait naître les demandes, ont conventionnellement désigné pour connaître de ce litige, conformément à l'article 17 de la convention, un tribunal d'un autre État contractant?»

Comme le gouvernement du Royaume-Uni l'a observé, les termes de ces questions soulèvent quelques difficultés. Celles-ci ne procèdent pas seulement du fait que la première part de la présomption que les demandes, si elles sont formées séparément, devraient avoir été portées devant des tribunaux d'États contractants différents, pour aboutir à l'idée qu'une seule juridiction est compétente pour connaître des deux demandes. Cet obstacle pourrait éventuellement être surmonté en considérant la disposition finale comme une référence au droit national qui «permet la jonction d'affaires connexes et que ce tribunal soit compétent pour connaître des deux demandes». La principale difficulté, à notre avis, est que les deux questions interrogent la Cour sur le point de savoir si l'article 22 autorise la présomption de compétence dans des circonstances déterminées.

Toutefois, l'article 22 n'a pas trait à la présomption de compétence dans le cas de demandes connexes. Pour ce qui est des règles régissant cette matière, il faut se reporter à l'article 6. L'article 22 vise les circonstances dans lesquelles une juridiction peut surseoir à statuer ou se dessaisir en faveur d'une autre, «le tribunal premier saisi». Il ne semble pas raisonnable de déduire des termes de ces questions que la Cour de cassation emande clés éclaircissements sur les circonstances dans lesquelles elle peut surseoir à statuer ou se dessaisir en faveur des juridictions de Clèves ou de tout autre «tribunal premier saisi», parce que rien dans le dossier ne laisse à penser que les juridictions d'un quelconque État contractant autre que la Belgique ont été saisies de l'affaire; au contraire.

Si la Cour est évidemment libre d'appréhender les questions qui lui sont posées en modifiant leurs termes dans la mesure nécessaire pour lui permettre d'exercer sa fonction, il nous semble qu'il ne serait pas approprié en l'espèce d'examiner le rapport entre les articles 6 et 17 de la convention puisque l'article 6 n'est pas mentionné dans les questions. Dans ces conditions, la bonne voie nous paraît être d'affirmer qu'en l'espèce les quatrième et cinquième questions n'appellent pas de réponse.

Par sa dernière question, la Cour de cassation interroge la Cour sur le point suivant:

«Est-il contraire à l'article 17 de la convention de décider qu'une convention attributive de juridiction est nulle, lorsque l'écrit qui contient la convention n'est pas établi dans la langue qui est prescrite sous peine de nullité par la législation d'un État contractant, et lorsque le tribunal de cet État, devant lequel la convention est invoquée, est tenu, en vertu de cette législation, de constater d'office la nullité de l'écrit?»

La Cour a déjà clairement indiqué que l'article 17 impose à la juridiction saisie l'obligation d'examiner d'abord si la clause qui lui a attribué sa compétence faisait, en fait, l'objet d'un consensus qui doit être démontré de façon claire et précise. Elle a également indiqué certains critères qui permettent d'établir, ou qui sont nécessaires pour établir, qu'il y a eu une convention conclue par écrit ou confirmée par écrit, (voir, par exemple, affaire 24/76, Estassis Salotti/BUWA, Recueil 1976, p. 1831, et affaire 25/76, Galeries Segoura SPRL/Rahim Bonakdarian, Recueil 1976, p. 1851). Dans la mesure où des conditions sont prescrites par la convention, elles doivent être interprétées indépendamment de toute législation nationale particulière. Toutefois, ainsi que l'avocat général Capotorti l'a déclaré dans ses conclusions dans l'affaire 25/76 à la page 1868, «tout cela sans préjudice, bien entendu, de la réglementation nationale des autres aspects de forme et de fond, lesquels sont étrangers au cadre des normes juridiques conventionnelles soumises à interprétation communautaire». La question posée en l'espèce, telle que nous la comprenons, est de savoir quelle est la législation nationale qui détermine les autres conditions permettant d'établir s'il existe une convention valide.

La première possibilité réside dans la loi nationale de la juridiction saisie des demandes, celle-ci étant une juridiction autre que celle qui est désignée par écrit et qu'un défendeur invoque pour contester la compétence. D'une manière générale, il ne nous semble pas que cela puisse être exact. Il se peut qu'une telle loi n'ait aucun rapport avec la convention conclue, et la juridiction peut avoir été choisie par un demandeur simplement parce qu'une telle loi nationale, si elle était appliquée, frapperait de nullité la convention invoquée. Une autre possibilité est que la juridiction saisie applique ses propres règles de droit international privé pour choisir la loi nationale appropriée en vue de résoudre la question. Il est clair que cette solution est plus satisfaisante puisqu'elle tend à retenir une loi qui a un rapport avec la convention alléguée. Elle a cependant pour résultat que différentes lois peuvent être choisies par les juridictions de différents États contractants en raison des règles différentes qu'elles appliquent en vertu de leurs propres règles régissant le conflit des lois. Cela est contraire à ce maximum de sécurité juridique nécessaire à ceux qui effectuent, entre les États contractants, des opérations civiles et commerciales et sur laquelle M. Jenard met l'accent dans son rapport sur la convention. Cela est également contraire au principe énoncé par l'avocat général Capotorti dans ses conclusions précitées, à savoir que «l'importance de l'uniformité de traitement dans tous les États contractants des sujets de droit privé entre lesquels sont conclues des conventions de prorogation de compétence tombe sous le sens; cette exigence serait méconnue en cas de renvoi à l'un ou l'autre droit matériel applicable à la forme des actes selon le droit international privé de chaque État membre» (p. 1845).

Le gouvernement du Royaume-Uni propose une solution de compromis — à savoir que, s'il existe une convention séparée attributive de juridiction ou une convention attributive de juridiction qui fait partie d'un contrat plus général, mais dont elle peut-être séparée, la juridiction devant laquelle la question est soulevée doit se dessaisir tant que les conditions spécifiées par l'article 17 sont réunies. Cela nous semble difficile à admettre, notamment parce qu'une telle approche ne précise pas le droit national sur la base duquel il y a lieu de trancher les litiges relatifs à la validité, sous réserve de ceux qui relèvent des règles de forme énoncées à l'article 17 lui-même. Cette solution soulève également des questions qui peuvent s'avérer difficiles et pour lesquelles différentes juridictions peuvent aboutir à des points de vue différents sur le point de savoir si la clause de prorogation est «clairement séparable». Elle laisse également subsister une catégorie résiduelle dans laquelle la validité de la clause attributive de compétence dépend de la validité du contrat dans son ensemble et doit être déterminée conformément aux règles de conflit des lois du tribunal premier saisi de la question. Cela plaide contre le «principe d'uniformité dont la convention vise à réaliser la mise en oeuvre» auquel l'avocat général Capotorti se réfère dans un autre contexte dans ses conclusions présentées dans l'affaire Segoura, à la page 1868.

A notre avis, compte tenu de l'objet et des finalités de la convention, l'article 17 doit être lu comme énonçant implicitement la règle selon laquelle, lorsqu'un tribunal particulier est désigné par écrit dans ce qui est prétendu être une convention valide ou la confirmation écrite d'une telle convention, la question de savoir si la convention est valide relève de la loi de ce tribunal. Cela seul permet de satisfaire à un principe d'uniformité quel qu'il soit.

Nous ne pensons pas que ce point de vue soit battu en brèche par l'argument selon lequel il anticipe sur la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ouvertes à la signature le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1) qui dispose, à l'article 8(1), que «l'existence et la validité du contrat ou d'une disposition de celui-ci sont soumises à la loi qui serait applicable en vertu de la présente convention si le contrat ou la disposition étaient valables», bien que cette convention ne traite pas du choix des clauses attributives de compétence. Notre thèse ne se heurte pas non plus au fait qu'elle aboutit au même résultat que celui qui est exposé dans le projet de la convention de La Haye sur le «for contractuel» : pour toutes les questions non réglées par les dispositions de la présente convention ... l'accord d'élection de for est régi par la loi interne de l'État du tribunal élu» (Actes et documents de la conférence de droit international privé de La Haye, 10e session 1964, t. IV, p. 18).

Une autre question surgit quant au point de savoir quelle juridiction statue sur la validité de la convention conclue sous l'empire de la loi nationale du tribunal désigné. Une première possibilité est que la juridiction devant laquelle la question est soulevée renvoie immédiatement l'affaire devant le tribunal désigné afin qu'il statue sur la base de son propre droit national. Cette solution présente certains avantages, mais nous ne pensons pas qu'elle soit correcte. Il nous semble que la juridiction saisie de l'exception d'incompétence doit elle-même statuer sur la validité de la convention (autrement qu'à la lumière des règles de forme prescrites dans l'article 17 lui-même) sur la base de la loi nationale du tribunal désigné. Si elle juge qu'au regard de cette loi la convention est valide, elle renverra le litige à ce stade, sous réserve que la compétence soit établie d'une autre manière par l'application de la convention. Si elle juge que la convention n'est pas valide, elle continuera à statuer sur le litige.

Il y a lieu d'observer que l'article 27 de la convention autorise la non-reconnaissance d'une décision si cette reconnaissance est contraire à l'ordre public de l'État requis. Aucune référence à «l'ordre public» n'est faite dans cette section de la convention consacrée aux compétences exclusives. Il nous semble que la juridiction saisie de la question de savoir si une convention valide existe n'est pas habilitée à refuser de lui donner effet si elle juge que la convention est valide en vertu de la loi nationale du tribunal désigné. Une fois que le jugement a été rendu par le tribunal désigné, «l'ordre public» peut revêtir de l'importance si la partie qui a gain de cause cherche à obtenir l'exécution de la décision dans un autre État contractant, y compris dans l'État dans lequel la question a été soulevée pour la première fois; mais ce n'est pas un problème qui doit être soulevé à un stade antérieur.

Pour ces raisons, nous concluons à ce que la Cour réponde comme suit aux questions posées par la Cour de cassation:

1.

a)

L'article 18 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale est applicable, même si les parties sont convenues d'attribuer la compétence à une juridiction au sens de l'article 17.

b)

Le régime de compétence de l'article 18 de la convention est applicable chaque fois que le défendeur manifeste par sa comparution devant la juridiction sa soumission à sa compétence. Il appartient à la juridiction nationale de se prononcer sur la question de fait de savoir si le défendeur a agi en ce sens. Le fait qu'un défendeur conclut sur le fond du litige ne signifie pas nécessairement qu'il a reconnu la compétence si ces arguments ont un caractère subsidiaire par rapport à sa conclusion principale selon laquelle la juridiction est incompétente.

c)

Pour exclure la règle énoncée dans la première phrase de l'article 18, la juridiction doit s'assurer que la comparution d'un défendeur avait pour objet de contester la compétence, même s'il ajoute des conclusions à titre subsidiaire. Il ne suffit pas que le défendeur décide de contester la compétence à un stade ultérieur. Le droit national détermine ce qui constitue une comparution, quelle preuve établit, et quelle est la procédure à suivre pour établir que la comparution du défendeur avait pour objet de contester la compétence..

2.

a)

...

b)

...

3.

Une juridiction d'un État contractant n'est pas habilitée à ne pas tenir compte d'une convention, répondant aux conditions de l'article 17 et valide en vertu du droit de l'État sur le territoire duquel se situe le tribunal désigné, qui attribue une compétence exclusive pour connaître d'un litige aux juridictions d'un autre État contractant, au motif qu'une telle convention est entachée de nullité en vertu du droit du premier de ces États.


( 1 ) Traduit de l'anglais.

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