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Document 62000CC0096

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 13 décembre 2001.
Rudolf Gabriel.
Demande de décision préjudicielle: Oberster Gerichtshof - Autriche.
Convention de Bruxelles - Demande d'interprétation des articles 5, points 1 et 3, ainsi que 13, premier alinéa, point 3 - Droit pour le consommateur destinataire d'une publicité trompeuse de revendiquer en justice le prix apparemment gagné - Qualification - Action de nature contractuelle visée par l'article 13, premier alinéa, point 3 - Conditions.
Affaire C-96/00.

Recueil de jurisprudence 2002 I-06367

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2001:690

62000C0096

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 13 décembre 2001. - Rudolf Gabriel. - Demande de décision préjudicielle: Oberster Gerichtshof - Autriche. - Convention de Bruxelles - Demande d'interprétation des articles 5, points 1 et 3, ainsi que 13, premier alinéa, point 3 - Droit pour le consommateur destinataire d'une publicité trompeuse de revendiquer en justice le prix apparemment gagné - Qualification - Action de nature contractuelle visée par l'article 13, premier alinéa, point 3 - Conditions. - Affaire C-96/00.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-06367


Conclusions de l'avocat général


1 Dans cette affaire, l'Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) a demandé à la Cour de justice des éclaircissements sur la classification exacte au regard de la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (1) d'une action intentée en vertu d'une loi nationale qui est destinée à protéger les consommateurs et qui les autorise, s'ils reçoivent des promesses d'attribution de prix ou d'autres messages libellés de façon à leur donner l'impression qu'ils ont gagné un prix particulier, à introduire une action en justice pour réclamer le prix en cause à l'entreprise auteur du message, et en particulier sur le point de savoir si une telle action constitue une procédure en matière de contrat conclu avec un consommateur au sens de l'article 13, point 3, de la convention.

La convention de Bruxelles

2 La convention de Bruxelles s'applique en matière civile et commerciale. Son titre II répartit la compétence internationale entre les États contractants et, dans certains cas, confère la compétence internationale à des juridictions locales au sein des États contractants. Il n'est pas contesté que l'objet de la procédure au principal relève des matières «civiles et commerciales».

3 La règle de base de la convention est que les juridictions de l'État contractant dans lequel le défendeur a son domicile sont compétentes (article 2).

4 Cependant, par dérogation à cette règle, d'autres juridictions peuvent ou doivent être compétentes pour connaître de certains types d'actions.

5 L'article 5, point 1, de la convention donne compétence, «en matière contractuelle [au] tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée». L'article 5, point 3, donne compétence «en matière délictuelle ou quasi délictuelle [au] tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit». Dans les deux cas, ce chef de compétence s'ajoute plutôt qu'il ne remplace celui prévu à l'article 2.

6 La section 4 du titre II de la convention, qui comprend les articles 13 à 15, est intitulée «Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs».

7 L'article 13 prévoit, pour ce qui nous intéresse ici:

«En matière de contrat conclu par une personne pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ci-après `le consommateur', la compétence est déterminée par la présente section [...]:

1) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels;

2) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente de tels objets;

3) pour tout autre contrat ayant pour objet une fourniture de services ou d'objets mobiliers ou corporels si:

a) la conclusion du contrat a été précédée dans l'État du domicile du consommateur d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité

et que

b) le consommateur a accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion de ce contrat.

[...]»

8 Il ressort des documents soumis à la Cour que M. Gabriel, le demandeur au principal, a agi en tant que consommateur au sens de l'article 13.

9 L'article 14 prévoit que l'action intentée par un consommateur «contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domicilié le consommateur».

10 L'article 15 prévoit qu'il ne peut être dérogé aux dispositions de la section 4 que par des conventions remplissant certaines conditions. Rien ne permet de penser que l'on soit en présence d'une telle convention dans cette affaire.

La législation nationale

11 L'article 5 j de la loi autrichienne sur la protection des consommateurs (2) a été introduit dans cette loi par la loi autrichienne sur les contrats à distance, qui transpose la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (3).

12 L'article 5 j est libellé comme suit:

«Les entreprises qui adressent à un consommateur déterminé des promesses d'attribution de prix ou d'autres messages similaires, libellés de sorte à lui laisser croire qu'il a gagné un prix déterminé, doivent remettre ce prix au consommateur; ce prix peut également être réclamé devant les tribunaux.»

13 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que le but de cette disposition était de supprimer les obstacles de droit civil empêchant les demandes en justice fondées sur de telles promesses. Le législateur autrichien avait considéré que les motifs qui l'avaient conduit à déclarer irrecevables certaines demandes en justice ne devraient pas pouvoir être invoqués par ceux qui agissent de façon contraire à l'éthique dans les relations commerciales et n'honorent pas les promesses faites. En particulier, s'il a été admis que les dettes de jeu ne devraient pas pouvoir être réclamées en justice, parce que la justice n'a pas à accorder la même protection qu'à d'autres contrats à des accords souvent caractérisés par «l'imprudence et le manque de réflexion», le législateur a estimé que cette analyse ne devait pas s'appliquer dans le cas d'entreprises promettant des prix à des consommateurs qu'elles ont personnellement contactés.

Les faits et la procédure au principal

14 Selon l'ordonnance de renvoi, M. Gabriel, qui a son domicile en Autriche, affirme avoir reçu en 1999 une lettre à son adresse personnelle envoyée par Schlank & Schick, société de vente par correspondance ayant son siège en Allemagne, qui donnait l'impression que, à la suite d'un tirage, un prix en numéraires de 49 700 ATS l'attendait, et qu'il n'avait qu'à le réclamer en passant une commande pour une valeur minimale. Seul le «règlement» imprimé en assez petits caractères au dos du «document certifié garantissant le paiement du prix» précisait qu'il ne s'agissait pas d'une promesse de prix ferme. Ce règlement indiquait que le montant du prix à attribuer était à la discrétion de la société auteur de la promotion, et que tout recours judiciaire était exclu. M. Gabriel estime que cette promesse d'attribution de prix est incontestablement de nature à induire en erreur et qu'un consommateur «normalement avisé» considérerait avoir gagné le prix.

15 Les autres documents soumis à la Cour contiennent de plus amples détails sur l'opération qui est à l'origine de l'action introduite par M. Gabriel. En octobre et en novembre 1999, la société Schlank & Schick lui a envoyé deux messages personnalisés comportant un catalogue de vente par correspondance et un formulaire de commande. Les messages indiquaient qu'il avait gagné par tirage un prix de 49 700 ATS, payable s'il le réclamait et s'il commandait des marchandises pour une valeur minimale de 200 ATS; un chèque lui serait alors envoyé en retour. Des lettres personnalisées demandaient à M. Gabriel pourquoi il n'avait pas réclamé son prix, en mentionnant son «droit» absolu de l'obtenir, et comportant en annexe une photocopie d'un «bon de paiement» en sa faveur du montant de 49 700 ATS. D'autres lettres personnalisées du European Credit portant l'intitulé «Confirmation officielle de paiement» ont confirmé que la somme de 49 700 ATS attendait M. Gabriel, et comportaient en annexe des copies du même bon. Ces messages évoquaient également ce qui semblait être des livrets d'épargne numérotés émis par le European Credit, indiquant M. Gabriel comme détenteur, et faisant apparaître comme solde créditeur la somme de 49 700 ATS.

16 À l'audience, l'avocat de M. Gabriel a contesté que, ainsi qu'indiqué dans l'ordonnance de renvoi, la documentation incluait une déclaration précisant que le montant du prix à remettre était à la discrétion de la société auteur de la promotion. En réalité, le verso des bons de paiement comporterait un avis indiquant que les prix en numéraires pouvaient être divisés en plusieurs lots inégaux en fonction du nombre de réponses. Les documents annexés aux observations écrites de M. Gabriel semblent le confirmer, bien que tout doute ne soit pas complètement écarté. En tout état de cause, il ressort clairement de l'ordonnance de renvoi que la juridiction nationale demande à la Cour de justice de supposer que la société Schlank & Schick a donné l'impression à M. Gabriel qu'il avait gagné un prix déterminé au sens de l'article 5 j de la loi sur la protection des consommateurs.

17 M. Gabriel a dûment rempli et retourné les deux formulaires de commande par lettres recommandées, la première comportant une commande pour une valeur de 79 ATS et la seconde, pour une valeur de 249 ATS. Schlank & Schick a envoyé les marchandises commandées accompagnées d'une facture relative au prix et aux frais accessoires d'envoi, de conditionnement et d'assurance; aucun chèque correspondant au prix en numéraires n'a cependant jamais été envoyé.

18 M. Gabriel entend réclamer le prix à la société Schlank & Schick. La juridiction nationale indique qu'il a déjà préparé un acte introductif d'instance concluant à la condamnation de Schlank & Schick à lui payer 49 700 ATS, outre les intérêts et dépens, en se fondant sur l'article 5 j de la loi sur la protection des consommateurs.

La question posée à titre préjudiciel

19 En vertu de l'article 28, paragraphe 1, premier alinéa, de la loi autrichienne sur la compétence d'attribution et la compétence territoriale des juridictions ordinaires statuant en matière civile (4), l'Oberster Gerichtshof doit désigner la juridiction territorialement compétente dans un litige civil lorsque la juridiction autrichienne territorialement compétente n'est désignée ni par les règles de compétence ni par aucune autre disposition, mais que c'est le juge autrichien qui doit statuer en application d'une convention internationale.

20 Il semble que les règles de compétence autrichiennes ne déterminent pas la juridiction compétente pour connaître d'une action intentée en vertu de l'article 5 j de la loi sur la protection des consommateurs. Pour déterminer si l'Oberster Gerichtshof doit désigner la juridiction territorialement compétente pour connaître d'une action de ce type, il faut par conséquent savoir si «une autre disposition», y compris en particulier la convention de Bruxelles, donne compétence territoriale à une juridiction.

21 Si une action introduite en vertu de l'article 5 j doit être considérée comme relevant de la «matière contractuelle» au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la convention ou de la «matière délictuelle ou quasi délictuelle» au sens de l'article 5, point 3, de la convention, celle-ci donne alors compétence au «tribunal du lieu d'exécution de l'obligation en question» ou au «tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit». Si l'article 2 de la convention, en énonçant le principe général selon lequel ce sont les tribunaux de l'État contractant dans lequel le défendeur a son domicile qui sont compétents, et qu'il laisse à chaque État contractant le soin de déterminer quelle juridiction nationale est compétente pour connaître du litige, il est admis que l'article 5, point 1 et point 3, a pour effet de donner compétence à une juridiction déterminée sur le plan territorial au sein d'un État contractant. Dès lors, si l'article 5, point 1 et point 3, s'applique dans la présente affaire, l'Oberster Gerichtshof n'a pas à désigner la juridiction territorialement compétente.

22 Si, en revanche, une action intentée en vertu de l'article 5 j doit être considérée comme une action «en matière de contrat conclu par [un consommateur]» au sens de l'article 13 de la convention, celle-ci donne simplement compétence aux tribunaux autrichiens, sans apporter davantage de précision, et l'Oberster Gerichtshof doit donc désigner la juridiction territorialement compétente.

23 M. Gabriel a demandé à l'Oberster Gerichtshof de désigner le tribunal territorialement compétent pour connaître de sa demande. Ayant des doutes sur la classification exacte de l'action au regard de la convention de Bruxelles, et par conséquent sur la nécessité de désigner une juridiction territorialement compétente, l'Oberster Gerichtshof a posé à la Cour la question suivante:

«Au regard de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, le droit d'action conféré au consommateur par l'article 5 j de la loi autrichienne sur la protection des consommateurs (publiée au BGBl. 1979/140) dans la version résultant de l'article 1er, paragraphe 2, de la loi autrichienne sur les contrats à distance (publiée au BGBl. I 1999/185), permettant au consommateur de réclamer en justice, à l'encontre des entreprises, le prix apparemment gagné dans le cas où celles-ci adressent (ou ont adressé) à un consommateur déterminé une promesse d'attribution de prix ou d'autres messages similaires dont la formulation est (ou était) de nature à laisser croire au consommateur qu'il a gagné un prix déterminé, constitue-t-il

1) un droit de nature contractuelle au sens de l'article 13, point 3)?

ou

2) un droit de nature contractuelle au sens de l'article 5, point 1)?

ou

3) un droit de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3)?»

24 M. Gabriel, les gouvernements autrichien et allemand, ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites. M. Gabriel et la Commission étaient représentés à l'audience.

Sur la recevabilité

25 M. Gabriel et le gouvernement autrichien évoquent - sans soutenir cette thèse - l'éventuelle irrecevabilité de la demande préjudicielle.

26 M. Gabriel rappelle la règle (5) d'après laquelle, avant qu'une juridiction nationale puisse [ou doive] demander à la Cour de justice de statuer en interprétation sur la convention de Bruxelles, il faut qu'une affaire soit pendante devant elle. On peut se demander si l'action au principal dans la présente affaire peut être considérée à bon droit comme étant pendante devant l'Oberster Gerichtshof. M. Gabriel fait néanmoins valoir que la procédure nationale par laquelle la juridiction territorialement compétente est désignée n'est possible que dans le cadre d'une affaire déterminée. L'action est par conséquent pendante et la demande de décision préjudicielle, recevable.

27 Le gouvernement autrichien fait observer que, conformément à la jurisprudence de la Cour, une demande de décision préjudicielle n'est recevable que si l'arrêt apporte une solution à la question de droit soulevée dans le cas spécifique dont est saisi la juridiction de renvoi (6). En droit autrichien, la procédure destinée à désigner la juridiction territorialement compétente n'est possible que si une procédure a été introduite ou est sur le point de l'être. Il ne fait dès lors aucun doute que la question déférée à la Cour en l'espèce est recevable.

28 Nous estimons que le présent renvoi préjudiciel est sans conteste recevable. L'article 3 du protocole (7) prévoit qu'une juridiction d'un État membre peut ou doit saisir la Cour de justice lorsqu'une question portant sur l'interprétation de la convention est soulevée dans une affaire pendante devant elle et qu'elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement. Nous ne pensons pas qu'il soit toujours nécessaire que l'action principale soit pendante devant la juridiction qui opère le renvoi préjudiciel pour que celui-ci soit recevable. En particulier, lorsqu'une procédure est engagée devant une juridiction nationale en vue de déterminer quelle juridiction est compétente pour trancher une affaire déterminée, une question peut être déférée à la Cour. En l'espèce, l'Oberster Gerichtshof est saisi par M. Gabriel d'une demande visant à déterminer la juridiction territorialement compétente pour connaître de son recours. Pour les raisons exposées ci-dessus, cette juridiction estime qu'elle doit disposer de la réponse à la question qu'elle a déférée pour lui permettre de statuer sur cette demande. Nous sommes par conséquent d'avis que les conditions de l'article 3 du protocole sont parfaitement remplies.

Analyse

29 La juridiction de renvoi demande tout d'abord si une action introduite en vertu de l'article 5 j de la loi autrichienne sur la protection des consommateurs constitue une action «en matière de contrat [...] ayant pour objet une fourniture [...] d'objets» au sens de l'article 13, point 3, de la convention.

30 Le droit d'action conféré par l'article 5 j peut être invoqué dans de nombreuses circonstances différentes et nous ne pensons pas qu'il soit adéquat, dans le cadre de la présente affaire, d'énoncer un principe général applicable à toutes ces actions. Nous aborderons dès lors la question de la juridiction de renvoi en partant de l'idée qu'elle concerne une action introduite en vertu de l'article 5 j lorsque i) une entreprise de vente par correspondance a donné l'impression dans une communication personnalisée que le consommateur avait gagné un prix payable à la réception d'une commande de marchandises pour un montant déterminé ii) le consommateur a passé cette commande et iii) les marchandises commandées ont été livrées.

31 L'article 13, point 3, rappelons-le, exige, en premier lieu, que la procédure concerne un contrat concernant une fourniture d'objets, en deuxième lieu, que «la conclusion du contrat a été précédée dans l'État du domicile du consommateur d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité» et, en troisième lieu, que «le consommateur a accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion de ce contrat». L'objet des deuxième et troisième conditions cumulatives est de s'assurer de l'existence de liens étroits entre le contrat et le pays du domicile du consommateur (8).

32 Cette disposition semble à première vue taillée sur mesure pour la situation de M. Gabriel. Schlank & Schick lui a envoyé, dans l'État de son domicile, une invitation précisant que, s'il commandait des marchandises pour une certaine valeur, il recevrait la somme de 49 700 ATS, et M. Gabriel a accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion de ce contrat en commandant les marchandises pour la valeur indiquée. Telle est pour l'essentiel la position défendue par M. Gabriel et le gouvernement autrichien: ils font en substance valoir tous deux que la contrepartie fournie par M. Gabriel (la commande de marchandises) et par Schlank & Schick (la promesse de verser 49 700 ATS) doit être considérée comme constituant un tout indissociable et que, dès lors que les autres conditions fixées par cette disposition sont manifestement remplies, l'article 13, point 3, s'applique.

33 Le gouvernement allemand soutient toutefois que l'article 13 suppose que l'action soit fondée sur un contrat déjà conclu («en matière de contrat conclu par une personne [...]»). Par ailleurs, l'article 5 j institue une responsabilité légale fondée sur des apparences, qu'un contrat ait ou non été conclu; les recours introduits en vertu de cette disposition ne relèvent donc pas du champ d'application de l'article 13. Adopter une approche différente impliquerait de donner à l'article 13 une interprétation plus large que celle envisagée par la convention: étant donné toutefois que l'article 13 est une dérogation à la règle normale en vertu de laquelle les juridictions de l'État du domicile du défendeur sont compétentes, il doit être interprété de façon restrictive et ne peut s'appliquer par analogie (9).

34 La Commission soutient de la même façon que l'application de l'article 13 est subordonnée à la question de savoir si la communication personnalisée de Schlank & Schick remplissait les conditions d'une offre ou si elle était simplement une invitation à soumettre une offre. C'est uniquement si l'offre a été acceptée par M. Gabriel que l'article 13, point 3, s'applique.

35 Nous partageons la thèse de M. Gabriel et du gouvernement autrichien, d'après lesquels une action introduite par un consommateur en vertu de l'article 5 j de la loi sur la protection des consommateurs dans des circonstances comme celles du présent cas d'espèce (10) constitue une procédure «en matière de contrat» (11) au sens de l'article 13, point 3, de la convention pour la simple raison que le droit d'action est intimement lié au contrat sous-jacent. L'action introduite par M. Gabriel vise à obtenir le paiement du prix qui lui a été promis et, dès lors que, en premier lieu, le fait qu'il passe une commande constituait une condition expresse de l'attribution du prix et que, en deuxième lieu, cette commande a été passée et exécutée, l'action concerne sans conteste un contrat.

36 Cette opinion est étayée par la jurisprudence de la Cour relative à la fois à l'article 13 et à l'article 5, point 1.

37 La Cour a donné quelques indications sur ce qu'il faut entendre par contrat pour les besoins de l'article 5, point 1, de la convention, qui s'applique «en matière contractuelle». Ces indications peuvent apporter une aide dans la détermination de ce qu'il faut entendre par le contrat conclu par un consommateur au sens de l'article 13 (12) (bien que, lorsque l'article 13 s'applique, il ressort clairement de l'économie générale de la convention et du libellé des articles 13 à 15 que seul l'article 14 (13) détermine la compétence, à l'exclusion de l'article 5, point 1).

38 La notion de matière contractuelle - comme de nombreuses autres notions utilisées dans la convention - est une notion autonome qu'il faut interpréter en se référant principalement au système et aux objectifs de la convention en vue d'assurer à celle-ci sa pleine efficacité (14).

39 Lorsqu'elle a interprété la notion «en matière contractuelle», la Cour a été guidée en particulier par les objectifs suivants de la convention.

40 Tout d'abord, la Cour a souligné que la convention a essentiellement pour objet de renforcer dans la Communauté la protection juridique des personnes qui y sont établies et que, à cette fin, elle prévoit un ensemble de règles visant à éviter la multiplication des procédures judiciaires concurrentes dans deux ou plusieurs États membres, et permettant, dans l'intérêt de la sécurité juridique et dans celui des parties, la détermination de la juridiction nationale territorialement la plus qualifiée pour connaître d'un litige (15).

41 Plus particulièrement, les objectifs de la convention impliquent la nécessité d'éviter, dans la mesure du possible, la multiplication des chefs de compétence judiciaire par rapport à un même contrat (16).

42 De plus, l'objectif consistant à renforcer la protection juridique des personnes établies dans la Communauté exige aussi que les règles de compétence qui dérogent au principe général de la convention soient interprétées de façon à permettre à un défendeur normalement averti de prévoir raisonnablement devant quelle juridiction, autre que celle de l'État de son domicile, il pourrait être attrait (17).

43 Le principe selon lequel il faut tenir compte du système et des objectifs de la convention et la nécessité d'assurer sa pleine efficacité exigent aussi, lors de l'interprétation de la notion de contrat dans le cadre de l'article 13, de tenir compte des objectifs particuliers de cette disposition.

44 Le principal objectif de la section 4 du titre II de la convention, qui inclut l'article 13, est la protection de la partie contractante la plus faible, à savoir le consommateur. La Cour a déclaré sans ambiguïté que «le régime particulier institué par les articles 13 et suivants de la convention est inspiré par le souci de protéger le consommateur en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant et que, dès lors, cette partie ne doit pas être découragée d'agir en justice en se voyant obligée de porter l'action devant les juridictions de l'État sur le territoire duquel son cocontractant a son domicile» (18).

45 Une interprétation technique ou littérale de la notion de contrat conclu avec un consommateur n'est donc pas adéquate si elle va à l'encontre de l'objectif qui consiste à protéger la partie la plus faible.

46 Il en va ainsi bien que l'article 13 constitue une exception à la règle générale en vertu de laquelle les juridictions de l'État du domicile du défendeur sont compétentes. Nous rejetons l'argument du gouvernement allemand d'après lequel, dans la mesure où l'article 13 est une exception à cette règle, il doit être interprété de façon restrictive. L'interprétation restrictive d'une dérogation est parfois justifiée: par exemple, une dérogation à un droit fondamental doit, en tant que telle, être interprétée de façon restrictive. Selon nous, cette approche ne devrait toutefois pas être généralisée à toutes les exceptions. Une exception légale, à l'instar de toute autre disposition législative, doit recevoir sa signification propre, déterminée à la lumière de son objet et de son libellé, ainsi que de l'économie générale et de l'objet de l'instrument dont elle fait partie.

47 Quoi qu'il en soit, même si l'on considère que les exceptions aux règles générales doivent par nécessité être interprétées de façon restrictive, nous ne pensons pas que cette approche débouche sur l'interprétation préconisée par le gouvernement allemand. Nous nous rangeons pleinement à l'explication donnée par l'avocat général Reischl dans l'affaire Effer à propos de l'article 5, point 1, de la convention: «même si on doit admettre que l'article 5, paragraphe 1, constitue une exception à la règle générale de l'article 2 - compétence des tribunaux du domicile du défendeur - et qu'en conséquence il ne faut pas se fonder sur une interprétation large de la première disposition, de telles considérations ne doivent certainement pas conduire à une interprétation qui permettrait de priver pratiquement d'effet une disposition d'exception» (19).

48 Si, dans le présent cas d'espèce, on considérait que l'article 13 est inapplicable parce que, d'après l'analyse fondée sur les principes contractuels communs, il était possible que la communication de Schlank & Schick à M. Gabriel constituait techniquement une invitation à soumettre une offre et non une offre, et qu'elle n'était donc pas susceptible de faire l'objet d'une acceptation débouchant sur un contrat, les entreprises comme Schlank & Schick pourraient, par une simple manipulation du libellé de leurs messages, faire en sorte que le consommateur ne pourrait pas engager d'action en vertu de la législation nationale sur la protection du consommateur dans l'État de son domicile en invoquant les dispositions de la convention relatives à la protection du consommateur. Ce résultat serait diamétralement opposé à l'objectif de ces dispositions.

49 On peut faire observer que, d'après le gouvernement autrichien, les offres d'attribution de prix liées à la commande de marchandises - comme celles en cause dans la procédure au principal - sont de plus en plus courantes en Autriche et sont organisées de nombreuses façons différentes. Le gouvernement autrichien en conclut qu'il est donc difficile d'appliquer des principes généraux à tous ces procédés.

50 Exclure l'application de l'article 13 serait par ailleurs contraire à un objectif précité de la convention, à savoir la nécessité d'éviter la multiplication des chefs de compétence judiciaire. La Cour a déclaré dans son arrêt Peters qu'«il convient donc d'interpréter les dispositions de la convention de telle façon que la juridiction saisie ne se trouve pas amenée à se déclarer compétente pour statuer sur certaines demandes mais incompétente pour connaître de certaines autres pourtant très voisines. Le respect des finalités et de l'esprit de la convention exige en outre une interprétation de son article 5 qui permette au juge national de se prononcer sur sa propre compétence sans être contraint de procéder à un examen de l'affaire au fond» (20). Cette dernière phrase s'applique de la même façon, faut-il même le préciser, à l'interprétation de l'article 13.

51 Par ailleurs, nous partageons l'opinion de l'avocat général Darmon qui a déclaré dans l'affaire Shearson Lehman Hutton (21) que la multiplication des chefs de compétence pourrait porter tout particulièrement préjudice au consommateur.

52 Le contexte de l'action engagée dans l'affaire Peters était analogue à celui du présent cas d'espèce, en ce sens qu'il ne correspondait pas entièrement à la situation «classique» du contrat: l'action concernait l'obligation d'un membre de l'association de payer une somme d'argent en vertu des statuts de l'association et il n'était pas certain que cette obligation découlait simplement de l'adhésion à l'association ou tout à la fois de celle-ci et d'une décision d'un organe de l'association.

53 Se référant aux objectifs de la convention visés ci-dessus, la Cour a en premier lieu déclaré que l'adhésion à une association crée entre les associés des liens étroits de même type que ceux qui s'établissent entre les parties à un contrat et qu'il est, par suite, légitime de considérer ces obligations comme des «matières contractuelles» au sens de l'article 5, point 1, de la convention et, en deuxième lieu, que la circonstance que l'obligation découle simplement de l'adhésion ou résulte tout à la fois de celle-ci et d'une décision d'un organe de l'association est sans incidence sur l'application de cette disposition (22).

54 Il est vrai que, dans son arrêt Handte (23), la Cour a déclaré que la notion de «matière contractuelle» ne saurait être comprise comme visant une situation dans laquelle il n'existe aucun engagement librement assumé d'une partie envers une autre (24). Cette déclaration a cependant été faite dans le cadre d'un recours introduit par un sous-acquéreur de marchandises à l'encontre de leur fabricant: la Cour a fait observer qu'il n'existait aucun lien contractuel entre le sous-acquéreur et le fabricant, celui-ci n'ayant assumé aucune obligation de nature contractuelle envers le sous-acquéreur (25). Cette situation est manifestement tout à fait différente de celle qui nous occupe. En particulier, la Cour a souligné dans l'arrêt Handte que l'application de l'article 5, point 1, de la convention au litige opposant le sous-acquéreur d'une chose au fabricant n'était pas prévisible pour ce dernier et était, dès lors, incompatible avec le principe de sécurité juridique (26). Cette objection ne s'applique pas à des actions introduites par des consommateurs qui ont été la cible de communications personnalisées par des sociétés de vente par correspondance.

55 Si des recours introduits en vertu de l'article 5 j de la loi autrichienne sur la protection des consommateurs dans des circonstances comme celles du présent cas d'espèce sont - comme nous le pensons - introduits «en matière de contrat» au sens de l'article 13 de la convention, la société en question peut prévoir sans difficulté devant quelle juridiction, autre que celle de l'État dans lequel elle est domiciliée, elle est susceptible d'être attraite. Il n'en irait pas de même si des différences mineures dans la structure formelle du contrat avaient pour conséquence que différentes juridictions seraient compétentes pour connaître de tels recours. On se trouverait même dans une situation encore plus incompatible avec les objectifs de la convention si les juridictions d'un État contractant étaient compétentes pour connaître des actions relatives à un aspect de l'opération - la promesse d'attribuer un prix -, tandis que les juridictions d'un autre État contractant seraient compétentes pour connaître d'un autre aspect - la commande de marchandises qui a été passée en raison de l'assurance qu'elle constituait une condition nécessaire et suffisante à l'obtention du prix.

56 Il est important de garder à l'esprit que l'interprétation que nous proposons n'entraîne pas de charge déraisonnable pour les défendeurs qui peuvent se voir contraints de se défendre devant les juridictions d'un État dans lequel ils ne sont pas domiciliés. Ainsi, le deuxième alinéa de l'article 20 de la convention, qui précise que le juge surseoit à statuer aussi longtemps qu'il n'est pas établi que le défendeur a été mis à même de recevoir l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre, assure que le défendeur a l'occasion de faire valoir son point de vue.

57 Il ne faut pas oublier non plus - comme nous l'avons fait observer dans les conclusions que nous avons présentées dans l'affaire Handte (27) - que les règles de compétence de la convention traitent uniquement de la question de la compétence: elles n'affectent pas la classification des actions pour des questions telles que celle de la détermination des principes de responsabilité applicables. Le défendeur n'est donc en aucun cas empêché de soutenir qu'aucun contrat valable n'a été conclu (28).

58 En fin de compte, nous ne pouvons accepter - du moins en ce qui concerne des recours comme celui en cause dans l'affaire au principal - l'argument du gouvernement allemand (29) d'après lequel, étant donné que l'article 5 j de la loi autrichienne sur la protection des consommateurs prévoit un cas de responsabilité lorsque l'entreprise qui a émis le message donne l'impression qu'un prix a été gagné, et non une responsabilité fondée sur la conclusion d'un contrat, les recours introduits en vertu de cette disposition ne relèvent pas du champ d'application de l'article 13. Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, l'objet de cette disposition était d'écarter les obstacles de droit civil s'opposant à l'exécution en justice de promesses dans de telles circonstances; ainsi que le révèle l'ordonnance de renvoi, le législateur a considéré que la législation antérieure, qui interdisait expressément l'exécution en justice de ce qui était considéré comme des contrats de hasard, faisait l'objet d'abus préjudiciables aux intérêts des consommateurs de la part d'entreprises qui comptaient sur l'impossibilité d'introduire une demande en justice. Dès lors que la législation nationale a pour objectif clair de protéger les consommateurs, il est manifestement compatible avec l'économie générale et les objectifs de la convention dans son ensemble que les recours formés en vertu de cette législation dans des circonstances comme celle du présent cas d'espèce soient considérés comme des recours en matière de contrats conclus avec des consommateurs au sens de l'article 13 de la convention.

Conclusion

59 Nous concluons dès lors qu'il y a lieu de répondre comme suit à la question déférée par l'Oberster Gerichtshof:

«Lorsque i) un consommateur qui a reçu des notifications d'attribution de prix ou d'autres communications similaires libellées de façon à lui donner l'impression qu'il a gagné un prix déterminé peut, en vertu de la législation nationale relative à la protection des consommateurs, engager un recours juridictionnel pour réclamer ce prix à l'entreprise qui lui a adressé cette notification, ii) une entreprise qui vend des marchandises par correspondance donne l'impression dans une communication personnalisée qu'un consommateur a gagné un prix payable à la réception d'une commande de marchandises pour une valeur déterminée, iii) le consommateur passe une commande en ce sens et iv) les marchandises commandées sont livrées, le recours introduit par le consommateur en vertu de cette législation constitue une procédure en matière de contrat conclu par un consommateur au sens de l'article 13, point 3, de la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.»

(1) - Convention du 27 septembre 1968. Une version consolidée de la convention, telle que modifiée par les quatre conventions d'adhésion ultérieures - la version qui nous importe dans la présente affaire - est publiée au JO 1998, C 27, p. 1.

(2) - Konsumentenschutzgesetz, BGBl. 1979, p. 140, dans la version publiée à l'article I, paragraphe 2, de la loi sur la vente à distance (Fernabsatz-Gesetz), BGBl. 1999 I, p. 185.

(3) - Directive du 20 mai 1997 (JO L 144, p. 19).

(4) - Loi du 1er août 1895, RGBl. 111.

(5) - Visée à l'article 3 du protocole concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signé à Luxembourg le 3 juin 1971 (JO L 204, p. 28). Une version consolidée du protocole, tel qu'il a été amendé par les quatre conventions d'adhésion ultérieures, est publiée au JO 1998, C 27, p. 24.

(6) - Arrêts du 11 mars 1980, Foglia (104/79, Rec. p. 745), et du 16 juillet 1992, Meilicke (C-83/91, Rec. p. I-4871).

(7) - Cité à la note 6.

(8) - Arrêts du 27 avril 1999, Mietz (C-99/96, Rec. p. I-2277, point 69 des conclusions de l'avocat général Léger qui se réfère au point 158 du rapport du professeur Schlosser concernant la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO 1979, C 59, p. 71).

(9) - Arrêt du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton (C-89/91, Rec. p. I-139).

(10) - Voir point 30 ci-dessus.

(11) - Note sans objet en français.

(12) - Voir notamment l'arrêt Shearson Lehman Hutton, précité à la note 10, point 87 des conclusions de l'avocat général Darmon.

(13) - Ou l'article 15 dans le cas d'une convention attributive de compétence qui remplit les conditions de cette disposition.

(14) - Arrêts du 22 mars 1983, Peters (34/82, Rec. p. 987, point 10), et du 8 mars 1988, Arcado (9/87, Rec. p. 1539, point 11).

(15) - Arrêt du 4 mars 1982, Effer (38/81, Rec. p. 825, point 6); voir aussi l'arrêt Peters, précité à la note 15, points 11 à 14.

(16) - Arrêt du 6 octobre 1976, De Bloos (14/76, Rec. p. 1497, point 9).

(17) - Arrêt du 17 juin 1992, Handte (C-26/91, Rec. p. I-3967, point 18).

(18) - Arrêt Shearson Lehman Hutton, précité à la note 10, point 18.

(19) - Affaire précitée à la note 16, point 3 des conclusions; voir aussi le point 7 de l'arrêt.

(20) - Arrêt Peters, précité à la note 15, point 17.

(21) - Précité à la note 10, point 108 des conclusions.

(22) - Points 13, 15 et 18 de l'arrêt.

(23) - Précité à la note 18.

(24) - Point 15 de l'arrêt.

(25) - Point 16 de l'arrêt.

(26) - Point 19 de l'arrêt.

(27) - Précité à la note 18, point 24 des conclusions.

(28) - Voir arrêt Effer, précité à la note 16, en particulier point 7.

(29) - Voir point 33 ci-dessus.

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