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Document 61989CC0351

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 7 mars 1991.
Overseas Union Insurance Ltd et Deutsche Ruck Uk Reinsurance Ltd et Pine Top Insurance Company Ltd contre New Hampshire Insurance Company
Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal - Royaume-Uni.
Convention de Bruxelles - Litispendance - Prise en considération du domicile des parties - Pouvoirs de la juridiction saisie en deuxième lieu - Compétences en matière d'assurances - Réassurance.
Affaire C-351/89.

Recueil de jurisprudence 1991 I-03317

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1991:105

61989C0351

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 7 mars 1991. - Overseas Union Insurance Ltd et Deutsche Ruck Uk Reinsurance Ltd et Pine Top Insurance Company Ltd contre New Hampshire Insurance Company - Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal - Royaume-Uni. - Convention de Bruxelles - Litispendance - Prise en considération du domicile des parties - Pouvoirs de la juridiction saisie en deuxième lieu - Compétences en matière d'assurances - Réassurance. - Affaire C-351/89.

Recueil de jurisprudence 1991 page I-03317


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . En vertu du protocole du 3 juin 1971 concernant l' interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale ( ci-après "convention d' exécution "), la Court of Appeal du Royaume-Uni a posé, à titre préjudiciel, à la Cour un certain nombre de questions relatives à l' interprétation de certaines dispositions de cette convention, spécialement l' article 21, qui est relatif à la litispendance .

2 . Ces questions sont apparues dans le cadre d' un litige opposant trois sociétés de réassurances (( Overseas Union Insurance Limited ( ci-après "OUI "), Deutsche Ruck UK Reinsurance Limited ( ci-après "Deutsche Ruck ") et Pine Top Insurance Company Limited ( ci-après "Pine Top ") )) et la compagnie d' assurances New Hampshire Insurance Company ( ci-après "New Hampshire "), au sujet de l' effet d' un contrat de réassurance .

OUI est une société constituée selon le droit de Singapour et enregistrée en Angleterre en tant qu' "overseas company ". Deutsche Ruck et Pine Top sont des sociétés de droit anglais, ayant leur siège social à Londres . New Hampshire est une société constituée selon le droit du New Hampshire ( États-Unis d' Amérique ), où elle a aussi son établissement principal . En dehors des États-Unis, New Hampshire exerce également ses activités en France et en Angleterre . En Angleterre, elle est enregistrée en tant qu' "overseas company ". En France, elle est enregistrée en tant que société étrangère et elle y a plusieurs agences . Elle exerce ses activités en France par l' intermédiaire de (" through the agency of ") la société de droit français American International Underwriters SARL .

3 . Les faits qui sont à la base du litige principal et le déroulement de la procédure sont décrits comme suit dans l' ordonnance de renvoi . En septembre 1979, New Hampshire a établi une police d' assurance au profit de la société française des Nouvelles Galeries réunies, en vue de couvrir les risques auxquels cette société s' expose du fait de la garantie de cinq ans qu' elle accorde lors de la vente d' appareils électriques . En décembre 1980, New Hampshire a réassuré une partie de ce risque auprès de OUI, Deutsche Ruck et Pine Top . En juillet 1986, les réassureurs ont cessé de payer des indemnités après s' être plaints, à plusieurs reprises, du fonctionnement et de la gestion du compte d' assurance .

Le 4 juin 1987, New Hampshire a assigné Deutsche Ruck et Pine Top devant le tribunal de commerce de Paris, demandant l' exécution du contrat de réassurance . Le 9 février 1988, elle a engagé une procédure analogue contre OUI devant la même juridiction . Dans la procédure française, Deutsche Ruck, Pine Top et OUI ont formellement contesté la compétence de la juridiction française .

Par lettre de fin mars 1988, OUI, Deutsche Ruck et Pine Top ont annoncé qu' elles ne se considéraient plus comme liées par le contrat de réassurance, parce qu' elles estimaient que New Hampshire retenait des informations et/ou fournissait des informations inexactes et/ou avait commis une faute dans le cadre du placement et de la gestion du contrat . Le 6 avril 1988, elles ont assigné New Hampshire devant la Commercial Court de la Queen' s Bench Division, en demandant à la juridiction anglaise de constater que c' est à juste titre qu' elles avaient déclaré ne plus être liées par le contrat de réassurance . New Hampshire a alors demandé à la juridiction anglaise de surseoir à statuer . La Commercial Court a fait droit à cette demande et, conformément à l' article 21, deuxième alinéa, de la convention d' exécution, elle a décidé de surseoir à statuer dans la procédure anglaise jusqu' à ce que la juridiction française se soit prononcée sur l' exception d' irrecevabilité . OUI, Deutsche Ruck et Pine Top ont interjeté appel de cette décision devant la Court of Appeal . C' est dans le cadre de cet appel que la Court of Appeal a déféré à la Cour un certain nombre de questions à titre préjudiciel sur l' interprétation de la convention d' exécution ( 1 ).

La première question

4 . La première question concerne le champ d' application de l' article 21 de la convention d' exécution . La Court of Appeal cherche plus particulièrement à savoir si l' article 21 est applicable indépendamment du domicile des parties .

L' article 21 de la convention d' exécution dispose ce qui suit :

"Lorsque les demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d' États contractants différents, la juridiction saisie en second lieu doit, même d' office, se dessaisir en faveur du tribunal premier saisi .

La juridiction qui devrait se dessaisir peut surseoir à statuer si la compétence de l' autre juridiction est contestée ."

5 . La Cour a déjà rendu deux arrêts relatifs à l' article 21 de la convention d' exécution .

Dans l' arrêt Gubisch ( 2 ), la Cour a précisé ce qu' il fallait entendre par "demande ayant le même objet et la même cause ". Dans cet arrêt, elle a dit pour droit que la notion de litispendance visée à l' article précité recouvrait le cas dans lequel une partie avait introduit devant une juridiction italienne une demande visant à l' annulation ou à la résolution d' un contrat, alors qu' une demande de l' autre partie visant à l' exécution de ce même contrat était pendante devant une juridiction allemande . Les parties dans la procédure principale ne sont pas en désaccord sur ce point . Dans l' ordonnance de renvoi, la Court of Appeal considère comme établi que les demandes, pendantes devant les juridictions française et anglaise, ont le même objet et la même cause au sens de l' article 21 de la convention d' exécution, tel qu' il est interprété par la Cour dans l' arrêt Gubisch .

Dans l' arrêt Zelger ( 3 ), la Cour a interprété l' expression "tribunal premier saisi ". Elle a dit pour droit qu' il faut entendre par cette expression

"la juridiction devant laquelle ont été remplies en premier lieu les conditions permettant de conclure à une litispendance définitive, ces conditions devant être appréciées selon la loi nationale de chacune des juridictions concernées ".

Dans l' ordonnance de renvoi, la Court of Appeal considère comme établi que c' est la juridiction française qui a été la première saisie du litige principal .

6 . Par la première question, la Court of Appeal cherche à savoir si le domicile des parties - et, le cas échéant, de laquelle - a une influence sur l' applicabilité de l' article 21 de la convention d' exécution . Cette question a été posée à la suite d' un argument avancé par OUI, Deutsche Ruck et Pine Top devant la Court of Appeal : elles prétendent que l' article 21 de la convention d' exécution ne trouve pas application en l' espèce, parce que New Hampshire n' aurait pas son domicile sur le territoire d' un État contractant, en particulier pas en France .

La Cour n' a pas été saisie de la question de savoir si une société telle que New Hampshire a effectivement son domicile en dehors des États contractants . Toutefois, nous voudrions nous pencher brièvement sur cette question, parce que, eu égard à l' article 4 de la convention d' exécution, sur lequel nous reviendrons plus loin, elle est à l' origine du différend entre les parties en ce qui concerne l' applicabilité de l' article 21 .

L' article 53, premier alinéa, de la convention d' exécution dispose ce qui suit :

"Le siège des sociétés et des personnes morales est assimilé au domicile pour l' application de la présente convention . Toutefois, pour déterminer ce siège, le juge saisi applique les règles de son droit international privé ."

La Court of Appeal précise, dans son ordonnance de renvoi, que la section 42 du Civil Justice and Judgments Act 1982 contient les règles de droit national qui permettent de déterminer le siège d' une personne morale au sens de l' article 53 de la convention d' exécution . Selon cette disposition, une personne morale n' a son domicile dans un autre État contractant que si :

- elle a été constituée ou créée (" incorporated or formed ") selon le droit de cet État et y a son siège social statutaire ou une autre adresse officielle, ou

- si la direction centrale et le contrôle de la personne morale sont exercés dans cet État .

En vertu du droit international privé qui lui est applicable, la Court of Appeal estime, dès lors, que New Hampshire n' a pas de siège dans un autre État contractant au sens de l' article 53 de la convention d' exécution . Toutefois, la juridiction de renvoi ajoute que les parties s' opposent sur la question de savoir si New Hampshire doit être considérée en vertu du droit français comme ayant son siège en France .

7 . Nous revenons, maintenant, sur l' argument avancé par OUI, Deutsche Ruck et Pine Top, tel qu' elles l' ont précisé dans leurs observations présentées à la Cour . Selon elles, l' article 21 de la convention d' exécution ne trouve application que lorsque le défendeur a son domicile sur le territoire d' un État contractant, mais ne s' applique pas lorsque, comme l' admet la juridiction de renvoi, il n' y a pas son domicile . Alors que, dans la première hypothèse, l' article 2 et les articles cités à l' article 3 de la convention d' exécution indiquent directement la juridiction compétente, dans la seconde hypothèse, la compétence est, selon l' article 4 de la convention d' exécution, réglée dans chaque État contractant par la loi de cet État . Dans le cas de la législation anglaise, le principe "forum conveniens" trouverait alors application, ce qui veut dire que la juridiction anglaise peut connaître elle-même du litige si, eu égard aux circonstances du cas d' espèce, elle est la juridiction la plus appropriée .

Dans les observations qu' ils ont présentées devant la Cour, New Hampshire, le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement allemand et la Commission contestent la thèse selon laquelle l' article 21 de la convention d' exécution ne trouve pas application dans la situation du cas d' espèce, c' est-à-dire lorsque l' on admet avec la juridiction de renvoi que New Hampshire n' a pas son domicile dans un État contractant . Nous partageons ce point de vue pour les raisons développées ci-après .

8 . L' article 21 de la convention d' exécution règle la situation dans laquelle des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d' États contractants différents . Selon cette réglementation, la juridiction saisie en second lieu ( ci-après "deuxième juridiction ") doit se dessaisir en faveur du tribunal premier saisi ( ci-après "première juridiction "), à moins qu' elle préfère surseoir à statuer si la compétence de la première juridiction est contestée .

En matière de litispendance, l' article 21 de la convention d' exécution n' établit aucune distinction selon la réglementation qui, conformément à la convention, détermine la compétence d' une juridiction . Plus particulièrement, il ne prévoit aucune dérogation, comme l' avocat des réassureurs l' a soutenu à l' audience, pour l' hypothèse où l' article 4 de la convention d' exécution est applicable . Il doit, dès lors, être interprété en ce sens que ses dispositions trouvent application tant dans le cas où la compétence du tribunal est déterminée par les dispositions de la convention elle-même, conformément aux articles 2 et 3 de celle-ci ( c' est-à-dire dans le cas où le défendeur a son domicile sur le territoire d' un autre État contractant ) que dans le cas où cette compétence est réglée, conformément à l' article 4 de la convention d' exécution, par la législation de l' État contractant concerné ( c' est-à-dire dans le cas où le défendeur n' a pas son domicile sur le territoire d' un État contractant ). Il ressort dès lors des termes de l' article 21 de la convention d' exécution que cet article est applicable, quel que soit le domicile des parties .

9 . Cette interprétation est conforme au but poursuivi par la disposition . Dans l' arrêt Gubisch, la Cour a défini ce but dans les termes suivants ( point 8 ):

"L' article 21 figure, ensemble avec l' article 22, relatif à la connexité, à la section 8 du titre II de la convention, section qui tend, dans l' intérêt d' une bonne administration de la justice au sein de la Communauté, à éviter des procédures parallèles pendantes devant les juridictions de différents États contractants et les contrariétés de décisions qui pourraient en résulter . Ainsi, cette réglementation vise à exclure, dans toute la mesure du possible, dès le départ, une situation telle que celle visée à l' article 27, troisième alinéa, à savoir la non-reconnaissance d' une décision en raison de son incompatibilité avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l' État requis ."

Conformément à ce but, il est justifié d' interpréter l' article 21 de la convention d' exécution dans un sens aussi large que possible, de sorte qu' il trouve en principe application ( sous réserve d' une exception possible en cas de compétence exclusive : voir le point 13 ci-après ) dans tous les cas de litispendance devant des juridictions de différents États contractants, susceptibles de conduire à des décisions contradictoires et donc, ainsi qu' il est dit plus haut, indépendamment de la question de savoir si les juridictions concernées tirent ou non leur compétence de la réglementation des articles 2 et 3 ou de celle de l' article 4 de la convention d' exécution .

Le but poursuivi par cet article ne nous permet donc pas non plus de trouver une quelconque indication permettant d' écarter l' article 21 de la convention d' exécution dans l' hypothèse de l' article 4 de la convention d' exécution . Tant les termes que le but de l' article 21 de la convention d' exécution nous autorisent, dès lors, à conclure que l' article trouve application, quel que soit le domicile des parties ( 4 ).

Les deuxième et troisième questions

10 . Les deuxième et troisième questions concernent l' interprétation de l' article 21, deuxième alinéa, de la convention d' exécution .

Dans la deuxième question, la Court of Appeal part de l' idée que l' article 21 de la convention d' exécution est effectivement applicable, que la compétence de la première juridiction est contestée et que, conformément à la possibilité que lui offre l' article 21, deuxième alinéa, la deuxième juridiction ne s' est pas dessaisie en faveur de la première juridiction . La Court of Appeal souhaite savoir si, dans cette hypothèse, la deuxième juridiction est tenue de surseoir à statuer ou peut connaître elle-même immédiatement de l' affaire .

La troisième question est posée pour le cas où il convient de répondre à la deuxième question que la deuxième juridiction n' est pas tenue de surseoir à statuer, mais peut connaître elle-même de l' affaire . Par cette troisième question, la Court of Appeal souhaite savoir si, dans cette hypothèse, la deuxième juridiction a l' obligation ou le droit, afin de décider si elle surseoira à statuer ou connaîtra elle-même de l' affaire, d' examiner la compétence de la première juridiction et, le cas échéant, dans quelles conditions et dans quelle mesure elle doit/peut le faire .

11 . Ces questions découlent de l' argument avancé à titre subsidiaire par OUI, Deutsche Ruck et Pine Top, à savoir que l' article 21, deuxième alinéa, de la convention d' exécution ne trouve application que si la première juridiction est effectivement compétente, ce que la deuxième juridiction doit, dès lors, examiner . Or, si la juridiction anglaise examinait en l' espèce la compétence de la juridiction française, il en résulterait, selon lesdites sociétés, qu' en vertu de la convention d' exécution la juridiction française n' est pas compétente à l' égard de Deutsche Ruck et Pine Top, parce que ces dernières ont leur siège en Angleterre et auraient, dès lors, dû être assignées dans ce pays et qu' elle ne peut pas non plus se déclarer compétente à l' égard de OUI, qui est enregistrée en Angleterre en tant qu' "overseas company", ni sur la base de la convention d' exécution, ni sur la base du droit français . Ainsi qu' il ressort de l' ordonnance de renvoi, New Hampshire fait valoir que la juridiction française est compétente, parce que, en vertu du droit français, elle doit être réputée avoir son domicile en France aux fins de l' application de l' article 4, deuxième alinéa, de la convention d' exécution ( ou, éventuellement, de l' article 8, deuxième alinéa, de la convention d' exécution ), peut-être aussi en vertu de l' article 5, point 1, de la convention d' exécution .

12 . La question de savoir si la juridiction française est effectivement compétente ne se pose pas en l' espèce . La Cour est seulement invitée à répondre à la question de principe visant à savoir si la deuxième juridiction a la possibilité, voire l' obligation, d' examiner la compétence de la première juridiction .

L' avocat de OUI, Deutsche Ruck et Pine Top a fait valoir à l' audience que la deuxième juridiction pourrait, dans certains cas de litispendance, connaître elle-même de l' affaire dont elle est saisie sans attendre une déclaration d' incompétence de la première juridiction . En effet, une partie de la doctrine ( 5 ) estime que l' article 21 de la convention d' exécution ne trouve pas application lorsque la deuxième juridiction a une compétence exclusive pour une des matières énumérées à l' article 16 de la convention d' exécution . Cela tendrait à démontrer que la deuxième juridiction doit toujours vérifier si c' est à juste titre que la demande a été formée devant la première juridiction .

13 . Nous ne nous prononcerons pas ici sur la question de savoir si l' article 16 de la convention d' exécution, ainsi que d' autres articles de celle-ci ( entre autres, l' article 17 ), qui confèrent une compétence exclusive, constituent une dérogation au régime de l' article 21 de la convention d' exécution . La juridiction de renvoi ne la soulève pas . Du reste, aucune des parties au principal ne soutient que le litige relève d' une compétence exclusive .

Quelle que soit la réponse à cette question, il nous semble excessif de déduire de l' existence ( possible ) d' une dérogation dans un cas de compétence exclusive que la deuxième juridiction peut ou doit aussi vérifier dans d' autres cas si la première juridiction est effectivement compétente . Les deux hypothèses sont fondamentalement différentes . Dans l' hypothèse d' une compétence exclusive, la deuxième juridiction se borne à examiner sa propre compétence ( exclusive ). Il en va différemment dans l' hypothèse où, comme c' est le cas en l' espèce, les demandes ne relèvent pas d' une compétence exclusive . Dans pareil cas, si l' on se rallie à la thèse des réassureurs, la deuxième juridiction serait amenée à examiner la compétence de la première juridiction en lieu et place de celle-ci pour en déduire sa propre compétence en cas d' incompétence présumée de la première juridiction . L' existence possible d' une dérogation à l' article 21 de la convention d' exécution dans le cas d' une compétence exclusive ne permet donc pas de dégager la solution dans la présente espèce .

14 . Quant aux questions qui sont effectivement posées dans la présente affaire, nous partageons le point de vue de New Hampshire, du gouvernement du Royaume-Uni, du gouvernement allemand et de la Commission, selon lequel l' interprétation de l' article 21, deuxième alinéa, de la convention d' exécution donnée par OUI, Deutsche Ruck et Pine Top ( voir le point 11 ci-avant ) doit être écartée . Cela ressort du but de cette disposition, comme nous l' indiquerons ci-après .

L' article 21, deuxième alinéa, de la convention d' exécution contient une dérogation à la règle générale prévue par le premier alinéa qui impose le renvoi à la première juridiction . Le but de cette disposition dérogatoire est défini comme suit dans le rapport Jenard ( 6 ):

"Cette règle a été introduite afin que les parties ne soient pas obligées de recommencer un nouveau procès si, par exemple, le juge premier saisi vient à se déclarer incompétent . Cette faculté permet ainsi d' éliminer le risque des conflits négatifs de juridiction ."

Selon nous, il ressort de ce but que, si la deuxième juridiction ne souhaite pas se dessaisir en faveur de la première juridiction dans le cas où la compétence de cette dernière est contestée, elle doit se borner à surseoir à statuer sans examiner elle-même l' affaire . En effet, en se bornant à surseoir à statuer, on réalise pleinement l' objectif consistant à éliminer dans toute la mesure du possible les conflits négatifs de juridiction ( c' est-à-dire éviter que, lorsque la première juridiction se déclare incompétente, la deuxième juridiction ne puisse plus être valablement saisie une seconde fois ). Pour atteindre cet objectif, il n' est pas nécessaire que la deuxième juridiction instruise le litige et le tranche ensuite . Au contraire, si elle devait le faire, un risque de décisions contradictoires apparaîtrait, dans l' hypothèse où la première juridiction se déclarerait également compétente et trancherait le litige, ce que la convention d' exécution vise à exclure dans toute la mesure du possible ( voir le point 9 ci-avant ).

15 . Il s' ensuit que, dans une situation telle que celle de l' espèce, la deuxième juridiction doit surseoir à statuer si elle ne s' est pas dessaisie en faveur de la première juridiction ( 7 ). Tel est aussi le cas lorsque la deuxième juridiction estime que la première juridiction n' est pas compétente . En effet, sans préjudice du cas de compétence exclusive ( voir le point 13 ci-avant ), il incombe non pas à la deuxième juridiction, mais à la première, de se prononcer sur sa propre compétence . En décider autrement constituerait une ingérence injustifiée de la deuxième juridiction dans le pouvoir juridictionnel de la première .

L' opinion reproduite ci-avant correspond aussi le mieux au texte de l' article 21, deuxième alinéa, de la convention d' exécution, qui cite comme seule alternative au dessaisissement en faveur de la première juridiction le sursis à statuer sans prévoir la possibilité supplémentaire pour la deuxième juridiction de connaître de l' affaire, si elle le souhaite .

La quatrième question

16 . La quatrième question concerne le champ d' application des dispositions du titre II, section 3, de la convention d' exécution, relatives aux contrats de réassurance . Étant donné que cette question est posée pour le cas où il ressort des réponses aux questions précédentes que la deuxième juridiction a l' obligation ou le droit d' examiner la compétence de la première juridiction, nous ne devons pas examiner cette question, eu égard aux réponses que nous proposons plus haut .

Conclusion

17 . Nous proposons à la Cour de répondre dans les termes suivants aux questions posées à titre préjudiciel :

"1 ) L' article 21 de la convention d' exécution trouve application quel que soit le domicile des parties qui ont formé des demandes ayant le même objet et la même cause devant des juridictions d' États contractants différents .

2 ) Lorsque, en cas d' applicabilité de l' article 21 de la convention d' exécution, la compétence de la juridiction saisie en premier lieu est contestée, la juridiction saisie en second lieu doit sans plus surseoir à statuer si, en application du deuxième alinéa de l' article précité, elle ne se dessaisit pas en faveur de la juridiction citée en premier lieu ."

(*) Langue originale : le néerlandais .

( 1 ) Eu égard à la date à laquelle la juridiction anglaise a été saisie du litige principal ( à savoir le 6 avril 1988 ), il faut, pour répondre à ces questions, tenir compte de la convention d' exécution telle qu' elle a été modifiée par le traité d' adhésion de 1978 ( JO 1978, L 304, p . 1 ) et qui est entrée en vigueur au Royaume-Uni le 1er janvier 1987 ( JO 1986, C 285, p . 1 ). La version de la convention d' exécution, telle qu' elle a été modifiée ultérieurement par le traité d' adhésion de 1982 ( JO 1982, L 388, p . 1 ), n' est entrée en vigueur au Royaume-Uni que le 1er octobre 1989 ( JO 1989, C 249, p . 1 ). Cela n' a toutefois pas d' importance pour l' interprétation des articles de la convention d' exécution que nous examinerons plus loin, étant donné qu' ils n' ont pas été modifiés .

( 2 ) Arrêt du 8 décembre 1987, Gubisch ( 144/86, Rec . p . 4861 ).

( 3 ) Arrêt du 7 juin 1984, Zelger ( 129/83, Rec . p . 2397 ).

( 4 ) En ce sens aussi, Droz, G .: Compétence judiciaire et effets des jugements dans le marché commun, 1972, p . 189; Gothot, P ., et Holleaux, D .: La convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, 1985, p . 123; Kaye, P .: Civil Jurisdiction and Enforcement of Foreign Judgments, 1987, p . 1221; Kropholler, J .: Europaeisches Zivilprozessrecht, 1987, p . 215 .

( 5 ) G . Droz, op . cit ., p . 192 à 194; P . Kaye, op . cit ., p . 1221 à 1223 .

( 6 ) Rapport de P . Jenard sur la convention concernant la compétence judiciaire et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale ( JO 1979, C 59, p . 1, à la p . 41 ).

( 7 ) En ce sens aussi : P . Gothot et D . Holleaux, op . cit ., p . 126; P . Kaye, op . cit ., p . 1219 .

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