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Document 61990CC0183

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 11 juillet 1991.
B. J. van Dalfsen et autres contre B. van Loon et T. Berendsen.
Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas.
Convention de Bruxelles - Interprétation des articles 37 et 38.
Affaire C-183/90.

Recueil de jurisprudence 1991 I-04743

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1991:316

61990C0183

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 11 juillet 1991. - B. J. van Dalfsen et autres contre B. van Loon et T. Berendsen. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas. - Convention de Bruxelles - Interprétation des articles 37 et 38. - Affaire C-183/90.

Recueil de jurisprudence 1991 page I-04743


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La présente affaire concerne une demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden ( ci-après "juridiction de renvoi ") conformément au protocole du 3 juin 1971, relative à l' interprétation des articles 37, paragraphe 2, et 38, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale ( ci-après "convention de Bruxelles ") ( 1 ). Les questions posées à la Cour ont été soulevées dans le cadre d' un pourvoi en cassation formé devant la juridiction de renvoi par B . J . Van Dalfsen, J . Timmerman, H . Van Dalfsen, J . Harmke et G . Van Dalfsen ( ci-après "Van Dalfsen e.a .") contre un jugement de l' arrondissementsrechtbank te Zwolle ( Pays-Bas ). Elles concernent la procédure prévue aux articles précités de la convention de Bruxelles relativement au recours contre l' autorisation d' exécution de décisions judiciaires qui ont été rendues dans un autre État contractant .

2 . Par les deux premières questions, dont la formulation est générale, le Hoge Raad der Nederlanden entend en réalité savoir, aux fins d' apprécier la recevabilité du pourvoi en cassation, si un pourvoi en cassation, tel qu' il est prévu à l' article 37, paragraphe 2, de la convention de Bruxelles, peut être formé contre le refus de l' arrondissementsrechtbank de surseoir à statuer sur le recours contre l' autorisation d' exécution . Par la troisième question, le Hoge Raad entend savoir, pour apprécier le moyen de cassation soulevé par Van Dalfsen e.a ., pour autant que celui-ci soit recevable, quels sont les arguments dont l' arrondissementsrechtbank aurait pu tenir compte dans le cadre d' une décision au titre de l' article 38, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, par laquelle il décide de surseoir ou non à statuer sur le recours .

Le contexte juridique

3 . Les articles 37, paragraphe 2, et 38, de la convention qui sont en discussion en l' espèce font partie du titre III, section 2, de la convention de Bruxelles ( articles 31 à 45 ), concernant l' exécution des décisions de justice qui sont exécutoires dans l' État où elles ont été rendues . Conformément à l' article 31 de cette convention, de telles décisions judiciaires sont mises à exécution dans un autre État contractant après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée, par l' autorité judiciaire compétente selon l' article 32 de la convention et conformément aux règles inscrites aux articles 33 à 35 et 42 à 45 de cette convention de Bruxelles . Il est particulièrement important d' observer qu' à ce stade de la procédure devant l' autorité judiciaire précitée, la partie contre laquelle l' exécution est demandée ne peut pas présenter d' observation, qu' une requête en exécution ne peut être rejetée que pour l' un des motifs prévus aux articles 27 et 28 de la convention et qu' en aucun cas la décision étrangère ne peut faire l' objet d' une révision au fond ( article 34 ).

4 . Si l' exequatur est refusé, le requérant peut, conformément à l' article 40 de la convention de Bruxelles, former un recours devant les juridictions mentionnées dans cet article dont, conformément à l' article 41 de cette convention, la décision peut, à son tour, faire l' objet d' un pourvoi en cassation ou d' un recours analogue .

Si toutefois l' exequatur est autorisé, la partie contre laquelle l' exécution est demandée peut, conformément à l' article 36 de la convention, former un recours contre la décision dans le mois de sa signification auprès des juridictions mentionnées à l' article 37, paragraphe 1, de la convention . Étant donné qu' en vertu de l' article 34, la demande d' exécution n' avait pu être rejetée que pour l' un des motifs prévus aux articles 27 et 28 de la convention, le recours contre la décision autorisant l' exécution devra lui aussi être fondé sur l' un de ces motifs . Conformément à l' article 39 de la convention, pendant le délai du recours et jusqu' à ce qu' il ait été statué sur celui-ci, il ne peut être procédé qu' à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l' exécution est demandée; la décision qui accorde l' exécution emporte l' autorisation de procéder à ces mesures .

Si la décision dont l' exequatur est demandé fait entre-temps, dans l' État d' origine, l' objet d' un recours ordinaire ou si le délai pour le former n' est pas expiré, la juridiction saisie du recours peut, à la requête de la partie qui l' a formé et conformément à l' article 38, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, surseoir à statuer sur le recours . Toutefois, conformément à l' article 38, dernier alinéa, de la convention, cette juridiction peut également subordonner l' exécution à la constitution d' une garantie au profit de la partie contre laquelle l' exequatur est accordé .

Conformément à l' article 37, paragraphe 2, de la convention, la "décision rendue sur le recours" ne peut faire l' objet que d' un pourvoi en cassation ou d' un recours analogue .

Les faits et la procédure

5 . Par jugement rendu le 21 octobre 1986 par le vrederechter van het kanton Herentals ( Belgique ), Van Dalfsen e.a . ont été condamnés au paiement à B . Van Loon et T . Berendsen ( ci-après "Van Loon e.a .") d' arriérés de loyer d' un montant de 2 700 000 BFR, à majorer des intérêts . Dans le même jugement, le vrederechter reconnaissait en principe le droit de Van Dalfsen e.a . au remboursement des coûts des investissements durables qu' ils avaient effectués dans l' immeuble loué et ordonnait une expertise pour fixer le montant de ces coûts . Le vrederechter a déclaré le jugement "exécutoire par provision, sans préjudice de tout moyen de droit et sans caution" ( 2 ).

6 . Le 17 décembre 1986, Van Dalfsen e.a . ont interjeté appel de ce jugement devant le rechtbank van eerste aanleg te Turnhout ( Belgique ). De leur côté, Van Loon e.a . ont demandé au président de l' arrondissementsrechtbank précité, conformément à l' article 31 de la convention de Bruxelles, l' exequatur aux Pays-Bas du jugement déclaré exécutoire par provision en Belgique . Par décision du 23 janvier 1987, le président de l' arrondissementsrechtbank a autorisé l' exécution . Conformément à l' article 36 de la convention de Bruxelles, le 2 avril 1987, Van Dalfsen e.a . ont formé un recours contre cette autorisation d' exécution devant l' arrondissementsrechtbank . Ils ont toutefois demandé à cette dernière juridiction de surseoir à statuer sur le recours étant donné que le jugement rendu par le juge de paix avait entre-temps fait l' objet d' un appel en Belgique, et étant donné le fait que la demande d' indemnisation des coûts des investissements durables qui avait été admise en principe par le vrederechter, avait entre-temps été évaluée, dans le cadre d' une expertise provisoire, à 477 954 BFR .

7 . Par jugement rendu le 13 avril 1988, soit la "décision rendue sur le recours" au sens de l' article 37, paragraphe 2, l' arrondissementsrechtbank a constaté que manifestement, ce n' était pas une contestation de la légalité de l' autorisation d' exécution qui avait été délivrée mais uniquement la demande de sursis à statuer sur le recours qui était à la base du recours de Van Dalfsen e.a . L' arrondissementsrechtbank a déclaré le recours non fondé, a rejeté la demande de sursis, en subordonnant toutefois, d' office, l' exécution à la constitution, par Van Loon e.a ., d' une garantie bancaire d' un montant de 478 000 BFR jusqu' à ce que la juridiction étrangère ait statué sur la demande introduite à titre subsidiaire par Van Dalfsen e.a .

8 . Van Dalfsen e.a . se sont pourvus en cassation contre ce jugement devant la juridiction de renvoi . Dans leur pourvoi, Van Dalfsen e.a . soutiennent que l' arrondissementsrechtbank s' est fondé sur une appréciation incorrecte de l' étendue du pouvoir que l' article 38 de la convention de Bruxelles confère à la juridiction saisie du recours . Selon Van Dalfsen e.a ., dans ses décisions sursoyant à statuer sur le recours et subordonnant l' exécution à la constitution d' une garantie, l' arrondissementsrechtbank pouvait prendre en compte des circonstances que le juge étranger avait déjà pu prendre en considération dans sa décision et pouvait fonder ( notamment ) ces décisions sur son évaluation des chances de succès du recours ordinaire déjà introduit ou à introduire encore à l' étranger ( 3 ).

9 . Les questions suivantes ont été posées par la juridiction de renvoi :

"1 ) La décision de 'la juridiction saisie du recours' de faire usage ou non, le cas échéant d' une manière déterminée, des pouvoirs qui lui sont conférés par l' article 38 de la convention de Bruxelles, peut-elle être considérée comme une 'décision rendue sur le recours' contre laquelle, conformément à l' article 37, paragraphe 2, de la convention de Bruxelles, un pourvoi en cassation est ouvert aux Pays-Bas?

2 ) Le point de savoir si les décisions fondées sur l' article 38 de la convention de Bruxelles, au sens de la première question, sont inscrites ou non dans le jugement ( définitif ) par lequel il est statué sur le recours peut-il influencer la réponse à donner à la première question?

3 ) 'La juridiction saisie du recours' peut-elle faire usage des pouvoirs qui lui sont conférés par l' article 38, premier alinéa, de la convention de Bruxelles

a ) même lorsque la partie appelante n' invoque, à l' appui de sa demande invitant la juridiction à surseoir à statuer ou à subordonner l' exécution à la constitution d' une garantie, pas d' autres moyens que ceux auxquels le juge étranger a pu répondre dans sa décision,

b ) uniquement lorsque le recours est fondé en partie ou exclusivement sur des moyens qui n' ont pas été invoqués dans la procédure devant le juge étranger ou

c ) uniquement lorsque le recours est fondé en partie ou exclusivement sur des moyens qui n' ont pas pu être invoqués au cours de la procédure devant le juge étranger parce qu' à l' époque la partie appelante n' avait pas encore connaissance des faits sur lesquels lesdits moyens sont fondés?"

L' article 37, paragraphe 2, de la convention de Bruxelles

10 . Pour apprécier la recevabilité du pourvoi en cassation porté devant la juridiction de renvoi, celle-ci entend savoir si l' article 37, paragraphe 2, de la convention autorise la formation d' un pourvoi en cassation contre une décision rendue, sur la base de l' article 38, par le juge saisi du recours, par laquelle celui-ci a refusé de surseoir à statuer et a ordonné la constitution d' une garantie .

L' article 37, paragraphe 2, prévoit que la "décision rendue sur le recours" peut faire l' objet d' un pourvoi en cassation ( ou d' un recours analogue ). Dans son arrêt du 27 novembre 1984, Brennero/Wendel ( 258/83 ) ( 4 ), la Cour a affirmé que ces termes étaient de stricte interprétation et a dit pour droit qu' une décision provisoire ou interlocutoire qui imposait ( à tort, selon la Cour ( 5 )) au créancier la constitution d' une garantie ne constituait pas une "décision rendue sur le recours" et ne pouvait donc pas être attaquée par un pourvoi en cassation ( en l' espèce par une "Rechtsbeschwerde "). A cet égard, la Cour a déclaré :

"Dans le cadre de l' économie générale de la convention, et à la lumière d' un de ses objectifs principaux qui est de simplifier les procédures dans l' État où l' exécution est demandée, cette disposition ne saurait être étendue de façon à permettre un pourvoi contre une autre décision que celle statuant sur le recours, comme par exemple un pourvoi contre une décision préparatoire ou interlocutoire ordonnant des mesures d' instruction ." ( au point 15 )

11 . A notre sens, il résulte de l' arrêt précité qu' une décision de la juridiction saisie du recours par laquelle celle-ci sursoit à statuer ne saurait pas non plus être considérée comme une "décision rendue sur le recours" étant donné que pareille décision de sursis à statuer ne peut évidemment être prise que par une décision interlocutoire . Il en va toutefois autrement dans le cas d' une décision refusant de surseoir à statuer ou ordonnant la constitution d' une garantie, étant donné que de telles décisions supposent que la juridiction statue sur le recours et sont donc normalement inscrites ( comme c' est également le cas en l' espèce ) dans la décision définitive déclarant le recours non fondé et autorisant l' exécution .

La question se pose alors de savoir si, à la lumière de l' arrêt Brennero, il convient de conclure que ces décisions, qui ne sont pas des décisions interlocutoires mais qui font partie formellement de la décision définitive, peuvent être considérées comme des "décisions rendues sur le recours ". En d' autres termes, résulte-t-il de l' arrêt Brennero qu' un pourvoi en cassation peut être formé contre toute décision définitive de la juridiction saisie du recours ( critère formel ) ou un pourvoi en cassation ne peut-il être formé contre la décision définitive que dans la mesure où celle-ci concerne réellement le recours, c' est-à-dire dans la mesure où elle concerne le bien-fondé en l' espèce du rejet du recours, ce qui implique une décision sur l' un des motifs prévus aux articles 27 et 28 ( critère matériel )?

12 . Dans l' arrêt Brennero, la Cour justifie la stricte interprétation des termes "décision rendue sur le recours" qu' elle préconise en faisant référence à l' un des objectifs principaux de la convention, qui est de simplifier les procédures d' exécution dans l' État où celle-ci est demandée . Ainsi que les gouvernements néerlandais et allemand le soutiennent à juste titre, cette considération plaide également pour ne faire relever de l' expression "décision rendue sur le recours" que les décisions qui concernent le recours lui-même et pas les décisions visées à l' article 38 de la convention .

Le rapport Jenard ( 6 ) souligne lui aussi la nécessité d' une interprétation stricte de l' article 37, paragraphe 2, et relève :

"La multiplicité des voies de recours, en permettant à la partie perdante de les utiliser à des fins purement dilatoires, constituerait, en définitive, une entrave à la libre circulation des jugements vers laquelle tend la convention ."

13 . Dans ses observations déposées devant la Cour, la Commission préconise une autre conception . Elle estime que la décision de la juridiction saisie du recours de surseoir à statuer n' est manifestement pas une décision rendue sur le recours . En revanche, la décision refusant de surseoir à statuer de même que la décision subordonnant l' exécution à la constitution d' une garantie constituent effectivement, selon la Commission, des décisions rendues sur le recours, parce qu' elles impliquent la possibilité de procéder à l' exécution .

Nous ne nous rallions pas à ce dernier point de vue . A notre sens, la conception adoptée par la Commission méconnaît le fait que les secondes décisions, bien que coïncidant normalement avec la décision sur le bien-fondé du recours et, partant, contenues dans une même décision, portent néanmoins sur un objet différent . La procédure de recours prévue à l' article 36 de la convention concerne le bien-fondé du recours et porte sur un objet nettement juridique : il s' agit en l' occurrence de la question de savoir si l' exequatur doit être retiré parce qu' il n' aurait pas pu être accordé à la lumière des motifs énumérés de manière limitative aux articles 27 et 28, auxquels l' article 34 renvoie . La possibilité de surseoir à statuer ou d' ordonner la constitution d' une garantie prévue à l' article 38 vise en revanche une mise en balance des intérêts du créancier et du débiteur : en sursoyant à statuer, la juridiction saisie du recours empêche le créancier de procéder à des mesures allant au-delà de mesures conservatoires; en subordonnant l' exécution à la constitution d' une garantie, elle sauvegarde les intérêts du débiteur en cas d' exécution, dans la perspective d' une modification éventuelle, en appel, de la décision judiciaire étrangère . En d' autres termes, les décisions prises en la matière par la juridiction saisie du recours assortissent l' exécution de modalités . En conséquence, si elle refuse de surseoir à statuer ou ordonne la constitution d' une garantie, elle prend une décision relative aux modalités d' exécution . Une telle décision suppose certes qu' une décision soit prise au même moment sur le bien-fondé du recours mais doit en être distinguée .

14 . Eu égard à la nécessité de maintenir la procédure dans l' État où l' exécution est demandée aussi simple que possible et eu égard à l' objet différent des procédures visées respectivement à l' article 36 et à l' article 38, nous estimons donc pouvoir affirmer, en réponse à la première question préjudicielle, que les termes "décision rendue sur le recours" renvoient aux décisions qui concernent directement le bien-fondé du recours . Celles-ci nous paraissent d' ailleurs être les seules décisions qui se prêtent pleinement à un pourvoi en cassation étant donné qu' elles concernent des questions de droit au sens strict du terme alors que les décisions prises dans le cadre des procédures visées à l' article 38 visent en substance une mise en balance d' intérêts .

Nous opterons dès lors pour un critère matériel de préférence à un critère fondé uniquement sur la nature formelle de la décision . Il convient dès lors de répondre à la deuxième question préjudicielle en ce sens que, même lorsqu' une décision fondée sur l' article 38 est contenue dans la même décision ( définitive ) que la décision qui concerne réellement le recours, un pourvoi en cassation n' est ouvert contre pareille décision définitive que dans la mesure où celle-ci concerne le bien-fondé du recours .

Cette solution comporte l' avantage complémentaire de traiter sur un pied d' égalité les parties dans le cadre de la procédure de recours . Si l' on refusait la possibilité d' un pourvoi en cassation lorsqu' une décision prise dans le contexte de l' article 38 est rendue dans une décision interlocutoire ( ce qui est nécessairement le cas s' agissant d' une décision de sursis ) en l' autorisant toutefois lorsqu' une telle décision est inscrite dans une décision définitive ( ce qui est normalement le cas s' agissant d' une décision refusant de surseoir à statuer et autorisant l' exécution, moyennant, le cas échéant, constitution d' une garantie ), la partie qui a intenté le recours serait en mesure de former un pourvoi en cassation contre cette dernière décision définitive mais la partie contre laquelle le recours a été intenté ne serait pas en mesure de former un pourvoi en cassation contre la décision interlocutoire mentionnée en premier lieu ( 7 ).

L' article 38, premier alinéa, de la convention de Bruxelles

15 . L' arrondissementsrechtbank a rejeté la demande de sursis à statuer sur le recours au motif que Van Dalfsen e.a . n' ont soulevé, pour étayer ce recours, aucun autre motif que ceux que le juge étranger avait déjà pu examiner dans sa décision et que la prise en considération de pareils motifs impliquerait, en substance, la révision au fond de la décision étrangère par la juridiction saisie du recours . L' arrondissementsrechtbank a toutefois subordonné l' exécution à la constitution d' une garantie, et ce en prenant en considération un fait nouveau intervenu postérieurement à la décision étrangère, à savoir l' établissement entre-temps du rapport de l' expert judiciaire qui comportait l' évaluation de la demande reconventionnelle de Van Dalfsen e.a . ( 8 ).

Comme on l' a déjà mentionné, Van Dalfsen e.a . soutiennent, devant la juridiction de renvoi, que l' arrondissementsrechtbank s' est de la sorte fondé sur une conception erronée de l' étendue du pouvoir que l' article 38 de la convention de Bruxelles lui confère . Selon Van Dalfsen e.a ., la juridiction saisie du recours peut faire entrer en ligne de compte, dans ses décisions au titre de l' article 38, des circonstances que le juge étranger a déjà pu prendre en considération dans sa décision et la juridiction saisie du recours est tenue de fonder en particulier ces décisions sur son évaluation des chances de succès du recours ordinaire qui a été ou pourra encore être introduit à l' étranger contre le jugement .

16 . Par la troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour de prendre position sur ce point, tout en limitant la question à une décision prise relativement à une requête en sursis visée à l' article 38, premier alinéa .

Dans les observations qu' ils ont déposées devant la Cour, les gouvernements néerlandais et allemand se rallient sur ce point à la conception défendue par Van Dalfsen e.a . alors que la Commission opte pour l' autre conception . Pour les motifs mentionnés ci-après, nous rejoignons le point de vue adopté par la Commission .

17 . La possibilité prévue à l' article 38, premier alinéa, de surseoir à statuer sur le recours emportant comme conséquence que, conformément à l' article 39, le créancier ne peut plus procéder qu' à des mesures conservatoires, a ( tout comme la possibilité prévue à l' article 38, dernier alinéa, de subordonner l' exécution à la constitution d' une garantie ) pour but de

"protéger le débiteur contre les dommages qui pourraient résulter de l' exécution de décisions non encore coulées en force de chose jugée et qui viendraient à être modifiées"(9 ).

Dans son arrêt du 22 novembre 1977, Industrial Diamond Supplies/Luigi Riva ( 10 ), la Cour a déclaré, pour expliquer l' article 38 de la convention de Bruxelles, qu' il s' agit, pour le juge de l' État requis, "non d' une obligation de surseoir, mais d' une simple faculté" ( au point 32 ) et de permettre au juge de "réserver sa décision chaque fois que peut surgir un doute raisonnable au sujet du sort final de la décision dans l' État d' origine" ( au point 33 ).

Dans l' appréciation du préjudice qu' une partie peut subir par suite de l' exécution de la décision, le juge saisi du recours doit bien entendu prendre en compte les chances existant toujours, en théorie, de voir la décision étrangère entièrement ou partiellement réformée en appel . Il doit mettre en balance ces chances face à l' étendue et au caractère éventuellement irréversible du dommage que l' exécution peut infliger au débiteur . Dans cette mise en balance, la juridiction compétente peut-elle également prendre en compte des faits et arguments que le juge étranger a déjà pris en considération ou aurait déjà pu prendre en considération dans sa décision, de telle sorte qu' il puisse apprécier concrètement les chances de réformation de ce jugement en appel ou ne peut-il prendre en compte que des arguments et des faits qui n' étaient pas connus et n' auraient pas non plus pu être connus du juge étranger?

18 . Dans le cadre de la réponse à cette question, il convient en premier lieu de souligner que l' article 31, premier alinéa, de la convention part du principe que des décisions qui sont exécutoires dans l' État d' origine, même si elles n' ont pas force de chose jugée, sont également mises à exécution dans l' État requis . Cela implique, comme la Commission l' a soutenu dans ses plaidoiries à l' audience, que le régime applicable entre les États contractants soit aussi comparable que possible au régime qui s' applique sur leur territoire national relativement à une décision judiciaire déclarée exécutoire .

Le sursis à statuer sur le recours et l' interdiction de procéder à des mesures autres que conservatoires qui en découle ( tout comme, fût-ce à un moindre titre, le fait d' ordonner la constitution d' une garantie ) dérogent dans une certaine mesure à ce principe . Il en résulte que la faculté conférée à cette fin doit être utilisée avec parcimonie ou circonspection ( 11 ). Cela constitue déjà en soi une indication du fait que seuls peuvent entrer en ligne de compte des faits et arguments que le juge étranger ne connaissait pas et qu' il ne pouvait pas non plus connaître .

19 . Le fait qu' il en soit bien ainsi résulte toutefois en ordre principal ( comme l' arrondissementsrechtbank l' a lui aussi fait observer ) de la règle énoncée à l' article 34, troisième alinéa, selon laquelle "en aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l' objet d' une révision au fond" par les autorités judiciaires de l' État requis . Si le juge saisi du recours pouvait faire entrer en ligne de compte, dans le cadre de sa décision relative au sursis à statuer ( ou de sa décision d' ordonner la constitution d' une garantie ), des arguments et des faits que le juge étranger connaissait déjà, il existerait un risque réel de révision au fond de la décision étrangère et en particulier de la déclaration prononçant le caractère exécutoire par provision de celle-ci, déclaration inspirée notamment par la force de la conviction acquise par le juge étranger sur le fond de l' affaire .

Pour prévenir ce risque, nous estimons que la juridiction saisie du recours, qui met en balance les chances de succès du recours dirigé contre la décision étrangère face au préjudice résultant pour le débiteur de l' exécution intégrale ( et éventuellement non assortie d' une garantie ), peut uniquement s' inspirer de motifs que le juge étranger n' avait pas la possibilité ou la faculté de faire entrer en ligne de compte . Il s' agit, en premier lieu, de la circonstance que la décision étrangère a fait l' objet d' un recours, de l' irrecevabilité manifeste ( mais pas de l' absence manifeste de bien-fondé ) ( 12 ) du recours introduit à l' étranger ou du long délai à prévoir pour la procédure entamée à l' étranger sur le recours et, en second lieu, de la nature, de l' étendue et du caractère irréversible ou non du préjudice subi par la partie adverse en cas d' exécution intégrale ou, en revanche, du caractère insuffisant de mesures conservatoires pour la partie qui réclame l' exécution pour le cas où il est sursis à statuer ( 13 ). L' évaluation provisoire de l' indemnisation due à Van Dalfsen e.a . en raison d' investissements durables, prise en compte par l' arrondissementsrechtbank ( voir ci-avant au point 7 ) peut à notre avis être rangée dans la catégorie des motifs que le juge saisi du recours peut prendre en compte, étant donné qu' il s' agit en l' occurrence d' un élément relatif à l' étendue du dommage, dont le juge étranger n' avait pas connaissance et qui est de nature à influencer la mise en balance des intérêts en présence s' agissant de l' exécution de la décision .

20 . Un problème particulier se pose en ce qui concerne les faits et arguments qui n' étaient pas connus du juge étranger au moment où celui-ci a pris sa décision mais qui l' étaient de la partie qui intente présentement le recours, qui néanmoins ne les avait pas soulevés devant le juge étranger . Nous estimons que le juge saisi du recours ne saurait non plus faire entrer en ligne de compte ces faits et arguments . Comme la Commission le fait observer à juste titre, à notre sens, ce n' est que de cette manière qu' on peut éviter que l' exécution d' une décision rendue à l' étranger et qui y est déclarée exécutoire soit entravée par une négligence de la partie exerçant le recours et qu' il soit de la sorte porté préjudice à l' effet utile de l' article 31 de la convention de Bruxelles .

La Cour ne s' est pas encore prononcée sur ce problème mais, pour étayer la position que nous défendons en l' occurrence, nous pouvons renvoyer à l' arrêt du 4 février 1988, Hoffman/Krieg ( 14 ) dans lequel la Cour a dit pour droit :

"L' article 36 de la convention doit être interprété en ce sens que la partie qui n' a pas intenté le recours contre l' exequatur prévu par cette disposition ne peut plus faire valoir au stade de l' exécution de la décision une raison valable qu' elle aurait pu invoquer dans le cadre de ce recours contre l' exequatur ..."

Il en ressort que le fait qu' une partie omette d' utiliser un recours, quel qu' en soit la cause, prive par la suite cette même partie de la possibilité de se prévaloir encore d' un motif qui aurait étayé ce recours . Par analogie, en l' espèce, il convient à notre sens de déclarer qu' une partie qui s' est abstenue d' invoquer des faits et arguments devant le juge étranger ne peut plus les invoquer devant la juridiction qui prend une décision relativement au sursis à statuer ( ou à la constitution d' une garantie ).

21 . Eu égard aux éléments qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles :

"1 ) Une décision prise au titre de l' article 38 de la convention de Bruxelles par la juridiction saisie du recours ne saurait être considérée comme une "décision rendue sur le recours" au sens de l' article 37, paragraphe 2, de la convention de Bruxelles et ne saurait dès lors faire l' objet d' un pourvoi en cassation .

2 ) Lorsqu' une décision prise au titre de l' article 38 de la convention de Bruxelles et la "décision rendue sur le recours" sont inscrites dans un même jugement, un pourvoi en cassation n' est ouvert contre ce jugement que dans la mesure où ce jugement concerne la seconde décision .

3 ) Il convient d' interpréter l' article 38, premier alinéa, de la convention de Bruxelles en ce sens que la juridiction saisie du recours ne peut faire entrer en ligne de compte, dans sa décision relative au sursis à statuer, que des motifs étrangers à ceux que le juge étranger a pris en compte ou qu' il aurait pu prendre en compte si la partie qui intente le recours ne s' était pas abstenue de les invoquer ."

(*) Langue originale : le néerlandais .

( 1 ) JO 1972, L 299, p . 32 .

( 2 ) Pour un exposé plus détaillé de la procédure devant le vrederechter belge, nous renvoyons au rapport d' audience, aux pages 2 et 3 .

( 3 ) En ce sens, voir le point 7 des conclusions du procureur général près le Hoge Raad der Nederlanden, jointes au dossier .

( 4 ) Rec . p . 3971 .

( 5 ) En effet, la constitution de garantie était imposée ( et dès lors l' exécution était autorisée ) sans que la juridiction ait elle-même statué sur le recours ( aux points 10 à 13 ).

( 6 ) JO 1979, C 59, pp . 51 et 52 .

( 7 ) Au point 11 de ses conclusions, mentionnées ci-avant à la note 3, le procureur général près le Hoge Raad a attiré spécialement l' attention sur cette question d' égalité de traitement .

( 8 ) On trouvera les extraits concernés du jugement de l' arrondissementsrechtbank au point 3 des conclusions mentionnées dans la précédente note .

( 9 ) Rapport Jenard, JO 1979, C 59, p . 52 .

( 10 ) Points 32 et 33 ( 43/77, Rec . p . 2175 ).

( 11 ) Voir les points 14 et 15 des conclusions du procureur général près le Hoge Raad der Nederlanden, mentionnées à la note 3, ainsi que Mueller, G ., dans Buelow, A ., et Boeckstiegel, K . H .: Internationaler Rechtsverkehr in Zivil - und Handelssachen, n 606 256 .

( 12 ) Étant donné que cela impliquerait une révision au fond de la décision étrangère .

( 13 ) Voir Kaye, P .: Civil Jurisdiction and Enforcement of Foreign Judgments, 1987, p . 1643, O' Malley, S ., et Layton, A .: European Civil Practice, 1989, p . 770 et suiv . et Huet, A .: note sous l' arrêt 43/77, Journal de droit international, 1978, p . 403 .

( 14 ) Point 4 du dispositif ( Affaire 145/86, Rec . p . 645 ).

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