Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62010CC0139

    Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 16 juin 2011.
    Prism Investments BV contre Jaap Anne van der Meer.
    Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.
    Coopération judiciaire en matière civile - Règlement (CE) nº 44/2001 - Exequatur - Motifs de refus - Exécution dans l’État d’origine de la décision judiciaire faisant l’objet de la demande de déclaration constatant la force exécutoire.
    Affaire C-139/10.

    Recueil de jurisprudence 2011 I-09511

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:401

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    MME JULIANE KOKOTT

    présentées le 16 juin 2011 (1)

    Affaire C-139/10

    Prism Investments BV

    contre

    J. A. Van der Meer, en qualité de syndic de la faillite de Arilco Holland BV

    [demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

    «Règlement (CE) n° 44/2001 – Reconnaissance et exécution de décisions judiciaires – Motifs de refus – Moyens de défense au fond concernant le droit constaté par un titre»





    I –    Introduction

    1.        La demande de décision préjudicielle dont il s’agit en l’espèce a pour objet le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2). Elle porte sur la question de savoir si les juridictions de l’État requis peuvent, dans le cadre d’un recours contre une déclaration constatant la force exécutoire, examiner un moyen de défense tiré par le débiteur du fait qu’il aurait satisfait aux obligations imposées par la décision judiciaire étrangère après le prononcé de cette décision.

    II – Cadre juridique

    2.        Le chapitre III du règlement n° 44/2001 énonce les règles relatives à la reconnaissance et à l’exécution de décisions. 

    3.        L’article 38, paragraphe 1, concerne l’exécution de décisions:

    «Les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.» 

    4.        Aux termes de l’article 41, la décision est déclarée exécutoire dès l’achèvement des formalités prévues à l’article 53, sans examen des motifs de refus visés aux articles 34 et 35. La partie contre laquelle l’exécution est demandée ne peut, en cet état de la procédure, présenter d’observations. L’article 43 permet à toute partie de former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire.

    5.        L’article 45 du règlement n° 44/2001, qui a pour objet la procédure de recours, dispose: 

    «1. La juridiction saisie d’un recours prévu à l’article 43 ou 44 ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35. Elle statue à bref délai.

    2. En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.»

    6.        L’article 34 dispose:

    «Une décision n’est pas reconnue si: 

    1)      la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis; 

    2)      l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire; 

    3)      elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis; 

    4)      elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause, lorsque la décision rendue antérieurement réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre requis.»

    7.        L’article 35 dispose:

    «1. De même, les décisions ne sont pas reconnues si les dispositions des sections 3, 4 et 6 du chapitre II ont été méconnues, ainsi que dans le cas prévu à l’article 72. 

    2. Lors de l’appréciation des compétences mentionnées au paragraphe précédent, l’autorité requise est liée par les constatations de fait sur lesquelles la juridiction de l’État membre d’origine a fondé sa compétence. 

    3. Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine. Le critère de l’ordre public visé à l’article 34, point 1, ne peut être appliqué aux règles de compétence.»

    III – Les faits et la question préjudicielle

    8.        Par arrêt du 5 décembre 2006, la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) a condamné la SA Prism Investments (ci-après «Prism») à payer à la société Arilco Holland BV (ci-après «Arilco») la somme de 1 048 230,30 euros.

    9.        En août 2007, Arilco a été déclarée en faillite et placée sous le contrôle de M. van der Meer, en qualité de syndic. Le 3 septembre 2007, ce dernier a demandé au Rechtbank ’s-Hertogenbosch (Pays-Bas) de prononcer, sur la base de l’article 38 du règlement n° 44/2001, l’exequatur de l’arrêt précité, afin de pouvoir l’exécuter aux Pays-Bas. Cette demande a été accueillie.

    10.      Par recours fondé sur l’article 43 du règlement n° 44/2001, Prism a sollicité l’annulation de la déclaration d’exequatur en alléguant qu’elle avait déjà exécuté, par voie de compensation, la condamnation figurant dans l’arrêt déclaré exécutoire.

    11.      Par décision du 22 juillet 2008, le Rechtbank a rejeté ce recours au motif que, selon l’article 45 du règlement n° 44/2001, une déclaration constatant la force exécutoire ne peut être révoquée que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35 de ce règlement. La satisfaction des obligations en cause ne ferait pas partie de ces motifs et ne pourrait dès lors être prise en compte dans le cadre de la procédure de recours contre la déclaration constatant la force exécutoire, mais uniquement au stade ultérieur de l’exécution proprement dite.

    12.      Prism a réagi à cette décision par un pourvoi en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden, qui est la juridiction de renvoi. Cette dernière juridiction a sursis à statuer et a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:

    «L’article 45 du règlement n° 44/2001 s’oppose-t-il à ce que le juge saisi d’un recours prévu à l’article 43 ou 44 de ce règlement refuse ou révoque l’exequatur pour un motif autre que ceux prévus aux articles 34 et 35 du règlement, qui s’est produit après que cette décision a été rendue, tel que le motif selon lequel cette décision a déjà été exécutée?»

    13.      Des observations écrites ont été déposées dans la procédure devant la Cour par le syndic de la faillite d’Arilco, par les gouvernements belge, allemand, néerlandais, suédois et tchèque, par le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que par la Commission européenne. Les gouvernements néerlandais, tchèque et allemand ainsi que la Commission ont pris part à la procédure orale du 10 février 2011.

    IV – Appréciation

    14.      La demande de décision préjudicielle a pour objet la question de savoir si l’article 45 du règlement n° 44/2001 fait obstacle à la prise en compte de moyens de défense au fond invoqués par le débiteur dans une procédure d’exequatur. Par «moyens de défense au fond», il faut entendre des moyens de défense apparus après l’établissement du titre et qui rendent caduc le droit constaté par ce titre. Il peut s’agir, par exemple, d’un paiement ou d’une compensation. C’est ainsi que le débiteur de la procédure au principal fait valoir que l’obligation pécuniaire imposée par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles aurait déjà été exécutée dans l’intervalle par voie de compensation. La juridiction de renvoi s’interroge maintenant sur le point de savoir si cet argument tiré de la compensation est recevable dans une procédure de recours contre l’exequatur.

    15.      Avant d’aborder l’interprétation de l’article 45 du règlement n° 44/2001, il convient d’examiner un argument du gouvernement du Royaume-Uni relatif au caractère exécutoire de l’arrêt en cause.

    A –    Caractère exécutoire de la décision au sens de l’article 38 du règlement n° 44/2001

    16.      Le Royaume-Uni est d’avis que la satisfaction du droit consacré par la décision à exécuter fait d’emblée perdre à cette décision son caractère exécutoire dans l’État d’origine et s’oppose donc à la déclaration d’exequatur.

    17.      Il faut certes concéder au Royaume-Uni que le caractère exécutoire de la décision dans l’État d’origine constitue une condition de l’exécution de cette décision dans l’État membre requis (3). Cela découle d’emblée de l’article 38 du règlement n° 44/2001, selon lequel les décisions rendues dans un État membre «et qui y sont exécutoires» peuvent être mises à exécution dans un autre État membre (4). Il est en outre vrai qu’il n’y a pas lieu d’attribuer à un jugement, lors de son exécution, des effets juridiques qu’il n’a pas dans l’État membre d’origine (5).

    18.      Cependant, la seule satisfaction de la revendication consacrée dans un titre n’enlève nullement son caractère exécutoire à la décision judiciaire et ne conduit pas non plus à lui reconnaître, lors de son exécution à l’étranger, des effets juridiques qu’elle n’aurait pas dans l’État d’origine.

    19.      Le terme «exécutoires» figurant à l’article 38 du règlement vise en effet uniquement le caractère exécutoire, du point de vue formel, des décisions étrangères (6). Ce caractère fait défaut, par exemple, lorsque la décision fait l’objet d’un recours ou est encore susceptible de l’être si elle n’a pas été déclarée exécutoire par provision (7).

    20.      C’est pourquoi, dans l’affaire Apostolides, la Cour a statué que les possibilités effectives d’exécution dans l’État d’origine sont sans pertinence au regard de la question du «caractère exécutoire». La circonstance que les requérants pouvaient rencontrer des difficultés pour faire exécuter les jugements en cause dans la zone nord de Chypre ne saurait priver ceux-ci de leur caractère exécutoire et, partant, n’empêche pas les juridictions de l’État membre requis de déclarer l’exequatur de tels jugements (8).

    21.      Il faut, au même titre, écarter comme dépourvu d’importance pour la question de l’existence du caractère exécutoire au sens de l’article 38 du règlement le point de savoir si le fait que la créance est éteinte dans l’État d’origine peut y être opposé à l’exécution effective. Le caractère exécutoire ne disparaît pas automatiquement du fait que l’obligation imposée par la décision judiciaire a été satisfaite.

    22.      Contrairement aux allégations du gouvernement du Royaume-Uni, l’exécution par compensation n’est en l’espèce pas incontestée. Dans ses observations écrites, le syndic de la faillite d’Arilco la nie avec véhémence. Au demeurant, l’appréciation juridique de la compensation alléguée semble très complexe. La question de savoir si cette compensation a satisfait à l’obligation devrait donc, tout d’abord, également être clarifiée d’une façon ou d’une autre par une juridiction de l’État d’origine. Force est donc de retenir à ce stade que cette compensation ne fait pas automatiquement disparaître, même dans l’État d’origine, les effets juridiques de la décision à exécuter.

    23.      Le caractère exécutoire formel de la décision au sens de l’article 38 du règlement n° 44/2001 subsiste donc, en dépit de la satisfaction de l’obligation invoquée par le débiteur (9). Derrière l’argument du Royaume-Uni, on perçoit la préoccupation que le débiteur ne soit contraint de payer sa dette une seconde fois. C’est pourquoi il importe de souligner d’emblée que l’irrecevabilité dans la procédure d’exequatur de l’argument tiré de la satisfaction de l’obligation en cause ne signifie pas que le débiteur peut être actionné plusieurs fois, sans aucune protection.

    24.      La question n’est, en effet, pas de savoir si la satisfaction de l’obligation peut être opposée à l’exécution, mais uniquement de savoir si cela peut déjà être fait au stade de la déclaration d’exequatur par la juridiction saisie du recours dans l’État requis.

    B –    Portée du contrôle exercé par la juridiction saisie d’un recours, article 45 du règlement n° 44/2001

    25.      Selon l’article 45 du règlement n° 44/2001, la juridiction saisie d’un recours prévu à l’article 43 ou 44 ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35.

    26.      Selon la juridiction de renvoi, aucun des motifs visés aux articles 34 ou 35 du règlement n° 44/2001 n’est pertinent dans la procédure au principal. Le débiteur s’est en effet borné à faire valoir l’extinction par compensation de la créance pour laquelle la décision judiciaire à exécuter forme titre.

    27.      Il faut donc déterminer si cet argument peut être pris en considération par la juridiction saisie du recours.

    1.      Interprétation littérale

    28.      Le libellé de l’article 45, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 44/2001 exclut expressément la prise en compte de motifs autres que ceux indiqués aux articles 34 et 35 du règlement. Il prévoit en effet que la juridiction saisie «ne peut» refuser ou révoquer une déclaration d’exequatur «que» (10) pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35. Le moyen de défense tiré de la satisfaction de l’obligation ne figure pas dans ces articles.

    29.      La portée limitative de l’article 45 est corroborée par le dix-huitième considérant, selon lequel le défendeur peut former un recours s’il considère «qu’un des motifs de non-exécution est établi» (11). Le fait que le règlement n° 44/2001 ne parle pas d’«un motif de non-exécution» montre qu’il considère que les motifs de refus sont énumérés de façon exhaustive dans le règlement et que le refus ne peut être fondé que sur l’un des motifs prévus.

    2.      Le régime antérieur, prévu par la convention de Bruxelles

    30.      Les États membres qui plaident en l’espèce pour la prise en compte du moyen de défense tiré de la satisfaction de l’obligation renvoient aux deux rapports explicatifs joints à la convention de Bruxelles, qui a précédé le règlement n° 44/2001 en cette matière. Ces rapports affirment – sans en préciser les raisons, il est vrai – que le recours prévu à l’article 36 de la convention de Bruxelles peut, dans le cadre de la procédure d’exequatur, reposer sur l’argument que la créance a déjà été réglée (12).

    31.      Toutefois, la référence à ce point de vue juridique relatif au régime antérieur au règlement n° 44/2001 n’est pas de nature à emporter la conviction. En effet, les rapports explicatifs joints à la convention de Bruxelles ne peuvent être invoqués à l’appui de l’interprétation du règlement n° 44/2001 que pour autant que le texte et la teneur dudit règlement concordent avec ceux de la convention.

    32.      Il n’en est rien en ce qui concerne l’article 45, paragraphe 1, première phrase. Dans la convention de Bruxelles, la procédure de recours contre la déclaration d’exequatur était régie par l’article 36, qui ne prévoyait pas, pour la portée du contrôle exercé dans le cadre de la procédure de recours, de restriction équivalente à celle induite par les termes «ne peut [...] que» employés à l’article 45 du règlement n° 44/2001. À la différence du règlement, la convention prévoyait, dès le premier stade de la procédure d’exequatur, une vérification par le juge des raisons de refuser le prononcé de celui-ci. C’était là la seule restriction de la portée du contrôle qui soit comparable à l’actuel article 45 (13). Pour la procédure de recours, la convention de Bruxelles ne disait en revanche rien de l’objet et de la portée du contrôle.

    33.      Même indépendamment du libellé des dispositions en cause, la procédure d’exequatur prévue par le règlement n° 44/2001 est clairement différente de celle prévue par la convention. L’objectif central du nouveau régime institué par le règlement n° 44/2001 est d’accélérer et de formaliser la procédure d’exequatur (14).

    34.      Tant la procédure d’exequatur que les motifs de refuser la reconnaissance ont été remaniés en profondeur (15). La modification déterminante est que, au cours de la première phase de la déclaration d’exequatur, le juge saisi ne contrôle désormais plus les motifs de refus. Le règlement n° 44/2001 ne permet plus de contrôler les motifs de refus que dans le cadre de la procédure de recours. Ces modifications apportées par le règlement ont permis de rationaliser et d’accélérer dans une mesure notable la procédure d’exequatur.

    35.      Il faut également noter que, dans son commentaire du règlement n° 44/2001, l’auteur de l’un des deux rapports explicatifs sur la convention de Bruxelles s’est départi du point de vue qu’il avait défendu au sujet de cette convention pour se rallier à la thèse que les moyens de défense au fond sont irrecevables dans une procédure au titre des articles 43 et suivants du règlement, la protection juridique du débiteur pouvant au contraire également être assurée dans le cadre de la procédure d’exécution proprement dite (16).

    36.      Les différences évoquées ci-dessus entre la convention de Bruxelles et le règlement n° 44/2001 suffisent déjà à exclure que l’on puisse tirer des conclusions utiles au présent litige de l’arrêt Coursier (17), invoqué en particulier par le gouvernement du Royaume-Uni.

    37.      Cette affaire concernait le point de savoir si une décision prononcée dans une procédure de liquidation pouvait être prise en compte dans le cadre de la déclaration d’exequatur d’un jugement de condamnation à payer rendu dans un autre État membre. Concrètement, il s’agissait de l’exécution au Luxembourg d’un jugement de condamnation à payer rendu en France. Après ce dernier jugement, un autre jugement français avait déclaré la clôture de la liquidation judiciaire du débiteur pour insuffisance d’actif. Cela avait pour conséquence en droit français que le jugement de condamnation à payer ne pouvait plus être exécuté en France.

    38.      Il s’est alors posé la question de savoir s’il fallait tenir compte au Luxembourg, dans le cadre de la procédure d’exequatur, de l’impossibilité d’exécuter en France par suite du jugement mettant fin à la procédure de liquidation. La Cour a constaté à cet égard qu’il s’agissait de la prise en compte éventuelle des effets d’un jugement dans une procédure de liquidation étrangère, c’est-à-dire dans une matière expressément exclue du champ d’application de la convention de Bruxelles. Or, il appartiendrait au juge de l’État requis, dans le cadre d’un recours présenté conformément à l’article 36 de la convention de Bruxelles, de déterminer, selon son propre droit, y compris les règles de droit international privé, quels sont les effets juridiques d’une décision judiciaire dans l’État requis (18).

    39.      Il paraît exclu de transposer cette déclaration telle quelle au présent cas d’espèce. Certes, dans les considérations introductives de son arrêt Coursier, la Cour a également évoqué l’hypothèse du règlement de la dette à propos de l’impossibilité d’exécuter un jugement étranger (19). Cependant, ainsi que nous l’avons vu et ainsi que le gouvernement suédois le souligne à juste titre, le cas concret concernait le domaine particulier qu’est le droit de la liquidation judiciaire. On ne saurait donc présumer que, avec cette mention incidente d’un règlement de la dette, la Cour ait voulu régler la question du moyen de défense tiré de la satisfaction de l’obligation. Partant, cette jurisprudence ne saurait être transposée au présent cas d’espèce, en particulier en raison des différences exposées ci-dessus entre la convention de Bruxelles et le règlement n° 44/2001.

    3.      Interprétation téléologique

    40.      Partant, outre par son libellé, l’interprétation de l’article 45 ne peut être déterminée que par le sens et l’objet de la procédure de déclaration d’exequatur prévue par le règlement n° 44/2001.

    41.      Le règlement n° 44/2001 veut assurer la libre circulation des décisions émanant des États membres en matière civile et commerciale en simplifiant les formalités en vue de leur reconnaissance et de leur exécution rapides et simples (20). Cela ressort en particulier de ses deuxième, sixième, seizième et dix-septième considérants. La confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure particulière (21).

    42.      Comme le souligne le dix-septième considérant du règlement n° 44/2001, cette confiance réciproque justifie que la procédure visant à rendre une décision exécutoire soit efficace et rapide: à cette fin, la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision doit, au premier stade de la procédure, être délivrée de manière quasi automatique, après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le règlement. Les motifs de refus ne peuvent être examinés que dans la procédure de recours.

    43.      La volonté de statuer rapidement résulte également de l’article 45, paragraphe 1, deuxième phrase, qui impose à la juridiction saisie d’un recours de statuer à bref délai.

    44.      Dans ce contexte, la décision de refuser ou de révoquer au titre de l’article 45 une décision constatant la force exécutoire constitue une exception, qui est d’interprétation stricte conformément à la jurisprudence de la Cour (22).

    45.      D’autre part, pour arriver à une reconnaissance et à une exécution «rapides et simples» (23) des décisions, il faut deux choses: d’une part, que la procédure d’exequatur soit mise en œuvre avec rapidité et simplicité et, d’autre part, qu’elle soit uniforme dans l’ensemble de l’Union.

    46.      Ces principes ne s’accordent pas avec la prise en compte dans une procédure d’exequatur d’un moyen de défense tiré de la satisfaction de l’obligation.

    47.      En effet, la prise en compte de moyens de défense au fond dans le cadre de la procédure d’exequatur ne pourrait qu’hypertrophier celle-ci, la compliquer et la prolonger. La présente affaire en constitue un bon exemple. L’argument opposé par le débiteur à la déclaration d’exequatur est tiré du prétendu règlement de la créance litigieuse par voie de compensation. Or, dans ses observations écrites, le syndic de la faillite conteste cette compensation de façon circonstanciée. La réponse à la question de savoir si les conditions de la compensation sont remplies ne sera donc ni simple ni rapide et elle pourra exiger une importante procédure de clarification des faits relatifs à la créance avec laquelle la compensation est effectuée. D’autre part, le juge néerlandais sera peut-être même contraint de recueillir un avis d’expert sur les conditions et les conséquences d’une compensation en droit belge.

    48.      Par ailleurs, l’instruction fréquemment nécessaire pour apprécier un moyen tiré de la satisfaction de l’obligation ne cadre pas avec la procédure de recours au titre de l’article 45 du règlement. Cela découle notamment du fait que les juridictions compétentes au titre du règlement sont en règle générale des juridictions d’appel (24), par exemple les Oberlandesgerichte pour l’Allemagne. Si des moyens de défense au fond étaient acceptés dans une procédure d’exequatur, la décision sur ces moyens serait prise en première instance par ces juridictions. En plus d’être contraire au système, cela priverait les parties d’une instance devant un juge des faits.

    49.      L’argument de l’économie de procédure, invoqué en particulier par le gouvernement allemand, n’est pas non plus apte à ébranler cette argumentation fondée sur l’efficacité de la procédure d’exequatur.

    50.      L’objection tirée de l’économie de procédure dit, en substance, que les parties n’auront pas à mener deux procès si on leur permet de faire valoir des moyens de défense au fond dans le cadre de la déclaration d’exequatur sans avoir à attendre le stade de l’exécution proprement dite.

    51.      À première vue, cet argument semble plausible. Cependant, un examen plus approfondi révèle qu’il ne s’applique d’emblée qu’au cas où le débiteur fait valoir, dans la procédure de recours, à la fois l’un des motifs de non-reconnaissance visés aux articles 34 et 35 du règlement n° 44/2001 et un moyen de défense au fond. Ce n’est que dans cette hypothèse que, en cas de négation de la possibilité d’invoquer le moyen de défense au fond dans la procédure d’exequatur, il faudra mener d’abord la procédure de recours sur la déclaration d’exequatur, puis une procédure dans le cadre de l’exécution. Cependant, il n’arrivera que très rarement que le débiteur invoque simultanément un des motifs de refus des articles 34 et 35 du règlement et le moyen de défense tiré de la satisfaction de l’obligation.

    52.      Si le débiteur n’invoque que le moyen de défense tiré de la satisfaction de l’obligation – comme en l’espèce, où le débiteur n’a fait valoir aucun des motifs visés aux articles 34 et 35 du règlement – et si ce moyen de défense au fond est déclaré irrecevable dans la procédure d’exequatur, il n’y aura également qu’un seul procès. Si le moyen en question est déclaré irrecevable dans la procédure d’exequatur, le débiteur devra non pas introduire de recours, mais faire valoir ses objections uniquement et exclusivement dans le cadre de l’exécution. Il n’y aura donc qu’un seul procès.

    53.      L’affirmation du caractère exhaustif, confirmé par les termes du texte, de la liste des motifs de refus de la déclaration d’exequatur permettra en outre de garantir l’uniformité de la procédure dans l’ensemble de l’Union. On évitera ainsi que des moyens de défense au fond puissent être pris en compte dans un État membre et pas dans d’autres. Une telle différence serait contraire à l’uniformité de la procédure d’exequatur dans l’ensemble de l’Union. Or, cette uniformité est un aspect important de la simplicité et de la prévisibilité de l’exécution de décisions judiciaires à l’étranger.

    54.      Ainsi que la Commission l’a exposé de façon concluante, si le règlement veut simplifier et rationaliser la procédure d’exequatur, c’est précisément pour que les titres étrangers dans l’État requis soient assimilés le plus rapidement possible aux titres nationaux. Il faut que, à l’issue d’une procédure d’exequatur rapide et formalisée, les titres étrangers et les titres nationaux soient sur un même pied. Le gouvernement belge, lui aussi, a souligné à juste titre que, dans le cadre du règlement n° 44/2001, les titres étrangers doivent dans toute la mesure du possible être mis sur le même plan que les titres nationaux (25). Toute discrimination par rapport à des situations purement nationales devrait donc être exclue. D’ailleurs, dans des situations de fait purement nationales, le débiteur serait également renvoyé à la procédure d’exécution proprement dite pour faire valoir le moyen tiré de la satisfaction de l’obligation en cause.

    55.      Dans ce contexte, il faut également évoquer la réponse du gouvernement allemand à une question posée lors de la procédure orale. Pour être exécutoire en droit allemand, un jugement requiert l’apposition au préalable d’une «clause» constatant le caractère exécutoire. Si l’on veut voir dans cette clause le pendant de l’exequatur exigé dans les situations transfrontalières, il faut se demander si ces deux cas de figure font l’objet d’un même traitement. Le gouvernement allemand a concédé que, de ce point de vue, le droit allemand peut aboutir à une inégalité de traitement des situations transfrontalières par rapport aux situations nationales. En effet, l’argument tiré de la satisfaction de l’obligation ne peut pas être pris en considération dans la procédure allemande d’apposition de la clause exécutoire: il ne peut être invoqué qu’au stade de l’exécution forcée proprement dite. Pour l’exécution de décisions étrangères, le droit allemand permet en revanche d’invoquer l’argument tiré de la satisfaction de l’obligation dans le cadre de la procédure d’exequatur.

    56.      Comme nous l’avons vu ci-dessus, l’argument de l’économie de procédure ne saurait justifier cette inégalité de traitement. Partant, le principe de l’égalité de traitement exige que seuls les motifs de refus expressément prévus par le règlement soient pris en considération dans la procédure d’exequatur, les autres moyens de défense étant, tout comme pour les jugements nationaux, renvoyés à la procédure d’exécution forcée proprement dite.

    4.      Cas particulier des moyens de défense non contestés – Juridictions compétentes pour faire valoir des moyens de défense au fond

    57.      Dans la procédure au principal, les parties sont en désaccord sur le point de savoir si la créance pour laquelle le jugement étranger forme titre a été réglée par voie de compensation. Lorsque l’exécution n’est pas contestée entre les parties ou est constatée par une décision devenue définitive, la dérogation au principe de la non-prise en compte dans les procédures d’exequatur pourrait se justifier, puisque le moyen tiré de la satisfaction de l’obligation ne peut entraîner aucun retard dans ces procédures s’il n’est pas contesté (26). Cependant, il n’y a pas lieu pour nous de nous prononcer à ce sujet, puisque cette question ne faisait pas l’objet de la présente procédure.

    58.      La question de savoir dans quel État membre le débiteur doit invoquer l’argument tiré de la satisfaction de l’obligation ne fait pas non plus partie de l’objet de la présente procédure. Il nous appartient simplement de déterminer si cet argument peut être invoqué dans la procédure d’exequatur. Toutes les parties qui sont intervenues dans la procédure ont estimé que le moyen tiré de la satisfaction de l’obligation doit être invoqué, sinon dans la procédure d’exequatur, en tout cas dans le cadre de la procédure d’exécution proprement dite dans l’État requis. Cependant, il y a également une partie de la doctrine pour se demander si la compétence à cet égard doit être réservée aux seules juridictions de l’État d’origine (27). La réponse à cette question pourrait découler de l’article 22, point 5, du règlement n° 44/2001, qui prévoit une compétence exclusive des tribunaux de l’État requis «en matière d’exécution des décisions».

    59.      Cependant, il n’y a pas lieu de statuer sur ce problème en l’espèce, puisque la juridiction de renvoi ne l’a pas soulevé et qu’il ne fait donc pas partie de l’objet de la procédure. Pour le cas où la Cour souhaiterait néanmoins examiner cette question, il conviendrait, selon nous, de rouvrir la procédure orale pour permettre aux intéressés de présenter leurs observations.

    60.      En résumé, nous réitérons que la prise en compte, dans la procédure de recours prévue aux articles 43 et suivants du règlement n° 44/2001, de moyens de défense au fond apparus après le prononcé du jugement qu’il s’agit d’exécuter et concernant le droit même pour lequel ce jugement forme titre conduirait à une procédure excessivement longue et hypertrophiée, inconciliable avec la façon dont le règlement conçoit la procédure d’exequatur. L’article 45, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 44/2001 s’oppose à la prise en compte de tels moyens de défense au fond.

    V –    Conclusion

    61.      Partant des considérations développées ci-dessus, nous proposons à la Cour de répondre à la question préjudicielle dans les termes suivants:

    «L’article 45 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, s’oppose à ce que le juge saisi d’un recours au sens de l’article 43 ou de l’article 44 de ce règlement examine un moyen de défense – contesté entre les parties – selon lequel le débiteur aurait exécuté les obligations imposées par le jugement étranger après le prononcé de ce jugement.»


    1 – Langue originale: l’allemand.


    2 – JO 2001, L 12, p. 1.


    3 – Arrêt du 28 avril 2009, Apostolides (C‑420/07, Rec. p. I‑3571, point 66).


    4 – Mis en italique par nos soins.


    5 – Arrêt Apostolides (précité à la note 3, point 66).


    6 – Voir en ce sens, pour l’article 31 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dite «convention de Bruxelles», arrêt du 29 avril 1999, Coursier (C‑267/97, Rec. p. I‑2543, point 29).


    7 – Voir point 97 de nos conclusions du 18 décembre 2008 dans l’affaire Apostolides, précitée.


    8 – Arrêt précité à la note 3, point 70.


    9 – Voir à ce propos, pour la convention de Bruxelles, arrêt Coursier (précité à la note 6, point 24).


    10 – Voir, notamment, «only on one of the grounds» dans la version anglaise, «nur aus einem der […] Gründe» dans la version allemande, «solo per uno dei motivi» dans la version italienne et «slechts op een van de […] genoemde gronden» dans la version néerlandaise.


    11 – Mis en italique par nos soins.


    12 – Rapport Jenard sur la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 1, 51) et rapport Schlosser sur la convention relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO 1979, C 59, p. 71, 134). 


    13 – Article 34, deuxième alinéa, de la convention de Bruxelles.


    14 – Voir deuxième, sixième, seizième et dix-septième considérants du règlement ainsi que les considérations que nous développerons dans le cadre de l’interprétation téléologique.


    15 – Voir Kohler, C., «Systemwechsel im Europäischen Anerkennungsrecht», dans Baur et Mansel (éd.), Systemwechsel im europäischen Kollisionsrecht, Munich, 2002, p. 147, 150.


    16 – Schlosser, P. F., EU-Zivilprozessrecht, 3e édition, Munich, 2009, article 43, point 14. 


    17 – Voir, à ce propos, également arrêt du 4 février 1988, Hoffmann (145/86, Rec. p. 645).


    18 – Arrêt Coursier (précité à la note 6, point 33).


    19 – Ibidem, point 24.


    20 – Voir arrêt du 14 décembre 2006, ASML (C‑283/05, Rec. p. I‑12041, point 23).


    21 – Voir seizième considérant du règlement.


    22 – Concernant le refus de la reconnaissance en raison d’une violation de l’ordre public, voir arrêts du 28 mars 2000, Krombach (C‑7/98, Rec. p. I‑1935); du 2 avril 2009, Gambazzi (C‑394/07, Rec. p. I‑2563), et Apostolides (précité à la note 3).


    23 – Voir point 41 des présentes conclusions.


    24 – Voir annexe III du règlement n° 44/2001.


    25 – Concernant les projets de réforme prévoyant la suppression de la procédure d’exequatur, voir le rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l’application du règlement n° 44/2001 [COM(2009) 174 final], à la page 4 duquel on peut lire ce qui suit: «Conformément au mandat politique donné par le Conseil européen dans les programmes de Tampere (1999) et de La Haye (2004), le principal objectif de la révision du règlement doit être la suppression de la procédure d’exequatur dans tous les domaines couverts par le règlement».


    26 – Voir, à ce propos, décision du Bundesgerichtshof du 14 mars 2007, Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht 2007, p. 445.


    27 – Hess, B., «Die Zulässigkeit materiellrechtlicher Einwendungen im Vollstreckbarerklärungsverfahren nach Art. 43 ff. EuGVO», Praxis des Internationalen Privat- und Verfahtrensrechts, 2008, p. 25, 28.

    Top