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Document 61984CC0148

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 14 mai 1985.
Deutsche Genossenschaftsbank contre SA Brasserie du Pêcheur.
Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Colmar - France.
Convention judiciaire du 27 septembre 1968, article 36.
Affaire 148/84.

Recueil de jurisprudence 1985 -01981

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1985:196

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

CARL OTTO LENZ

présentées le 14 mai 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A. 

La procédure au principal, qui est à l'origine de la présente demande de décision à titre préjudiciel, porte sur l'exequatur en France d'un acte authentique reçu par un notaire allemand.

Cet acte authentique reçu le 5 avril 1972 par un notaire de Neuss comporte, pour ce qui nous intéresse en l'espèce, les éléments suivants :

1)

il est constitué une dette foncière de plus de 2 millions de DM, payables avec intérêt de 10 %;

2)

la société Deutsche Getreideverwertung und Rheinische Kraftfutterwerke GmbH (ci-après: DGV) ainsi que des propriétaires du fonds grevé déclarent se soumettre immédiatement à l'exécution forcée de cette dette foncière;

3)

la société DGV se porte désormais garante à l'égard du titulaire de la dette foncière;

4)

la société DGV déclare se soumettre à l'exécution forcée immédiate de l'acte authentique précité sur l'ensemble de ses biens.

Cette dette foncière — d'abord constituée au nom du propriétaire — a été cédée en janvier 1976 par acte notarié authentique à la Deutsche Gewerbe — und Landkreditbank AG. Son ayant cause, la Deutsche Genossenschaftsbank, poursuit à présent l'exécution forcée de cet acte. A cette fin, elle s'est fait délivrer, le 8 février 1982, par un successeur du notaire de Neuss, une grosse de cet acte authentique et a ensuite demandé au président du tribunal de grande instance de Strasbourg de le revêtir de la formule exécutoire en France.

Par ordonnance du 24 mars 1982, le président du tribunal de grande instance de Strasbourg a revêtu de la formule exécutoire la traduction française de l'acte notarié. Une autre créancière de la société DGV, la Brasserie du Pêcheur SA a alors engagé auprès de ce même tribunal une action en rétractation de cette ordonnance. Par ordonnance de référé rendue le 13 octobre 1983, le président de ce tribunal a rétracté son ordonnance du 24 mars 1982 et condamné la Deutsche Genossenschaftsbank aux dépens. Cette dernière a interjeté appel de cette décision en faisant valoir que la Brasserie du Pêcheur ne dispose d'aucun moyen de recours. En dehors de la voie de recours prévue à l'article 36 de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, aucune autre voie de recours extraordinaire n'est ouverte. Toujours selon l'appelante, la société DGV aurait tout au plus pu former un recours devant la cour d'appel de Colmar, compétente en vertu de l'article 37 de cette convention. En revanche, la Brasserie du Pêcheur a défendu la thèse selon laquelle le droit français ouvre d'autres voies de recours extraordinaires outre celles prévues à l'article 36 de ladite convention.

Comme, selon la cour d'appel, la décision sur l'appel interjeté dépend de l'interprétation de l'article 36 de la convention en question, elle a saisi la Cour à titre préjudiciel de la question suivante:

« L'article 36 de la convention qui, au cas où l'exécution est autorisée, ne prévoit un recours qu'en faveur de la partie contre laquelle l'exécution est demandée, exclut-il de ce fait tout recours de la part des tiers intéressés, même lorsque le droit interne de l'un des États contractants accorde à ceux-ci la faculté de se pourvoir contre l'ordonnance ayant fait droit à une requête? »

B. 

Notre position sur cette question sera la suivante.

La Cour pourrait donner une réponse théorique à cette question et décider si l'article 36 de cette convention exclut ou non tout autre recours de droit interne. C'est ce que proposent, tout en en tirant des conclusions différentes, les parties à l'instance principale, les gouvernements allemand et italien ainsi que la Commission des Communautés européennes.

Néanmoins, la Cour pourrait également se borner à fournir au juge national les éléments d'interprétation du droit communautaire lui permettant de trancher le litige qui lui est soumis en l'espèce. C'est à notre avis la solution que devrait retenir la Cour.

Pour la réponse que nous proposons en l'espèce, il nous suffit de renvoyer à l'article 54, paragraphe 1, de la convention visée. Celui-ci stipule que :

« Les dispositions de la présente convention ne sont applicables qu'aux actions judiciaires intentées et aux actes authentiques reçus postérieurement à son entrée en vigueur. »

Comme nous le savons, l'acte authentique qui doit être exécuté a été reçu le 5 avril 1972. Or, conformément à son article 62, la convention de Bruxelles n'est entrée en vigueur que le 1er février 1973 à la suite de sa ratification par les six États membres à titre originaire de la Communauté (voir note 1 à la convention, JO 1972, L 299, p. 32, ainsi que décret no 73/63 du 13 janvier 1973 relatif à la publication de cette convention, JORF du 17. 1. 1973, p. 677, note 1).

Le mandataire ad litem de la Deutsche Genossenschaftsbank, surpris par les questions de la Cour sur l'applicabilité de la convention de Bruxelles, ayant tenté d'établir qu'il ne s'agissait pas, en réalité, de poursuivre l'exécution de l'acte authentique de 1972, mais de l'acte de cession de 1976, étant donné que, en 1972, la société qu'il représente n'avait pas encore de créance à l'égard de la société DGV, il nous paraît nécessaire de faire un bref exposé du droit allemand en la matière. Dans ce cadre, il ne s'agit pas d'apprécier la validité de l'acte reçu en 1972, mais de déterminer à partir de quel moment un tel acte peut — dans l'abstrait — exister.

L'objet principal de l'acte du 5 avril 1972 était assurément la constitution de la dette foncière. Cet acte contenait cependant d'autres éléments qui entrent à présent en ligne de compte. En effet, il ne peut s'agir en l'espèce de poursuivre l'exécution de la dette foncière elle-même puisque le fonds grevé de la dette foncière est situé à Neuss et non en territoire français. Le titre qui doit recevoir exécution repose bien plus sur la déclaration de la société DGV se reconnaissant personnellement responsable du paiement de cette dette, ainsi que sur son engagement à se soumettre à l'exécution forcée immédiate.

En droit allemand, une telle reconnaissance de dette liée à une déclaration de soumission à l'exécution forcée immédiate peut aussi porter sur de simples droits virtuels ( 1 ). Dès lors qu'une personne constituant une dette foncière dans un acte exécutoire se déclare en même temps personnellement responsable du paiement du montant de cette dette et se soumet également dans ce cadre à l'exécution forcée immédiate, il y a lieu de considérer qu'il s'agit là d'une promesse de dette abstraite, licite au sens de l'article 780 du BGB, laquelle doit permettre au créancier de recouvrer plus facilement sa créance ( 2 ).

En conséquence, pour constituer une dette foncière, se porter personnellement garant de la créance qui a la dette foncière pour sûreté ainsi que pour se soumettre à cet égard à l'exécution forcée immédiate, le droit allemand ne requiert pas que la créance à garantir existe déjà. Sous cet angle, la dette foncière se distingue de l'hypothèque qui suppose l'existence préalable d'une créance ( 3 ).

Étant donné que, comme nous l'avons vu, l'acte authentique qui doit être muni de l'exequatur a été reçu le 5 avril 1972 alors que la convention de Bruxelles n'est entrée en vigueur que le 1er février 1973, cette convention n'est, en l'espèce, pas applicable en vertu de son article 54. Au cours de la procédure orale, le représentant de la Commission a, il est vrai, soulevé le problème de savoir si le fait d'admettre que la convention de Bruxelles est applicable en l'espèce a des conséquences aussi graves pour les actes authentiques que pour les décisions judiciaires. Nous souhaiterions donner à cette question une réponse affirmative qui nous paraît conforme à une interprétation littérale de la convention. L'acte par lequel une partie déclare se soumettre à l'exécution forcée immédiate, acte qui n'était d'abord supposé s'appliquer qu'au territoire d'un État membre déterminé, revêt une portée différente s'il peut être ensuite ultérieurement exécuté dans les autres États membres de la Communauté selon la procédure simplifiée prévue par la convention de Bruxelles. Nous sommes par conséquent d'avis que la convention de Bruxelles ne peut être appliquée qu'aux actes authentiques qui ont été reçus après son entrée en vigueur.

C. 

Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la question posée par la cour d'appel comme suit:

« Conformément à son article 54, la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale n'est applicable qu'aux actes authentiques qui ont été reçus après l'entrée en vigueur de celle-ci, soit après le 1er février 1973.»

D. 

Pour le cas où la Cour envisagerait malgré tout de donner une réponse sur le fond à la question posée par la cour d'appel de Colmar — qui est formulée en termes généraux et ne soulève pas le problème de l'applicabilité de la convention de Bruxelles —, nous nous permettons de présenter des observations complémentaires relatives aux voies de recours ouvertes dans le cadre de la délivrance de la formule exécutoire.

Les opinions des parties divergent quant au point de savoir si la voie de recours prévue à l'article 36 de la convention de Bruxelles exclut ou non tout autre recours de la part des tiers intéressés en droit national. La Deutsche Genossenschaftsbank, le gouvernement de la République fédérale ainsi que la Commission soutiennent que les articles 31 et suivants de la convention mettent en place un système limitatif des voies de recours admises et que les dispositions nationales ne sont applicables que dans la mesure où elles font l'objet d'un renvoi exprès, comme, par exemple, dans le cas de l'article 33, paragraphe 1. La Brasserie du Pêcheur et le gouvernement de la République italienne sont, au contraire, d'avis que les voies de recours nationales sont ouvertes simultanément à celles prévues à l'article 36 de la convention; rieri ne permet de supposer selon eux que la convention ait entendu assurer une voie de recours uniquement à la partie contre laquelle l'exécution est demandée et qu'elle ait entendu exclure de la sorte les recours des tiers qui pourraient être lésés dans leurs droits.

Comme ni les termes ni la genèse de cette convention ne fournissent d'élément clair permettant de répondre à la question posée, nous devons nous en remettre au sens et à la finalité de la convention de Bruxelles. Dans l'arrêt qu'elle a rendu le 27 novembre 1984 ( 4 ), la Cour a souligné que: « La convention a pour but de limiter les exigences auxquelles l'exécution d'une décision judiciaire peut être soumise dans un autre État contractant. A cet effet, elle prévoit une procédure très sommaire afin d'obtenir l'exequatur tout en donnant à la partie contre laquelle l'exécution a été demandée à la possibilité de former un recours » ( 5 ). La Cour a, en outre, exposé ce qui suit:

« D'après le deuxième alinéa de l'article 37, la décision rendue sur le recours ne peut faire l'objet que d'un pourvoi en cassation (en République fédérale d'Allemagne: une Rechtsbeschwerde). Dans le cadre de l'économie générale de la convention, et à la lumière d'un de ses objectifs principaux qui est de simplifier les procédures dans l'État où l'exécution est demandée, cette disposition ne saurait être étendue de façon à permettre un pourvoi contre une autre décision que celle statuant sur le recours, comme, par exemple, un pourvoi contre une décision préparatoire ou interlocutoire ordonnant des mesures d'instruction ( 6 ). »

Cette argumentation de la Cour, qui revient à exclure toute voie de droit non prévue dans la convention, doit a fortiori s'appliquer en l'espèce. L'objectif de simplification de la procédure dans l'État où l'exécution est demandée, mais, surtout, d'uniformisation du droit des parties contractantes dans ce domaine disparaîtrait si, outre les voies de recours prévues dans la convention, il était possible d'emprunter celles du droit interne. L'assimilation des titres exécutoires étrangers aux titres exécutoires internes doit intervenir d'une manière rapide, simple et uniforme. Il serait contraire à cet objectif que l'octroi de la formule exécutoire puisse faire l'objet, en dehors du recours visé à l'article 36 de la convention, d'autres recours internes qui pourraient obéir à des règles différentes dans chaque État membre. En effet, une partie désirant obtenir l'exécution dans un autre État contractant d'un acte interne établi en sa faveur rencontrerait déjà, au cours de la procédure d'autorisation de l'exécution forcée, de multiples obstacles de procédure nationaux sous forme de voies de recours supplémentaires. Il ne serait, dans ce cas, plus possible de garantir une assimilation simplifiée des titres exécutoires étrangers aux titres internes.

Aux termes de l'article 220 du traité CEE, les États membres se sont engagés à assurer la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires ( 7 ). Le développement des échanges intracommunautaires a fatalement accru le volume des relations juridiques au-delà des frontières et, partant, celui des situations juridiques potentiellement conflictuelles. La reconnaissance et l'exécution simplifiées des décisions judiciaires — et des actes authentiques — constituent donc, dans les faits, un accessoire juridique essentiel à la création d'un marché commun réalisant des conditions aussi proches que possible de celles d'un marché intérieur ( 8 ).

L'exclusion des voies de recours de droit interne ne s'étend assurément pas au-delà du domaine d'application des règles uniformes de la convention de Bruxelles. Ces dernières ne portent que sur l'exequatur du titre étranger, mais non, en revanche, sur l'exécution proprement dite. Cette dernière est, au contraire, régie par le droit de l'État dans lequel l'acte doit être exécuté.

Pour le cas où la Cour déciderait de répondre sur le fond à la question posée par la cour d'appel de Colmar, nous souhaiterions proposer la formulation suivante:

« La seule voie de recours ouverte contre la décision autorisant l'exécution d'un titre d'un État contractant de la convention de Bruxelles dans un autre État contractant est celle prévue à l'article 36 de cette convention. Cela vaut également lorsque les règles internes de procédure d'un État contractant autorisent les tiers intéressés à se pourvoir contre la décision autorisant l'exécution. »


( *1 ) Traduit de l'allemand.

( 1 ) Voir Reichsgericht, arrêt rendu le 9 février 1931, Az IV 320/30, Entscheidungen des Reichsgerichts in Zivilsachen, volume 132, p. 6.

( 2 ) Bundesgerichtshof, arrêt rendu le 21 janvier 1976, Az VIII ZR 148/74, Neue Juristische Wochenschrift 1976, p. 567.

( 3 ) Voir article 1192, paragraphe 1, du BGB: « sauf dispositions contraires resultant du fait que la dette foncière ne requiert par l'existence préalable d'une créance, les dispositions relatives à l'hypothèque sont applicables par analogie i la dette foncière. »

( 4 ) Arrêt rendu le 27 novembre 1984 dans l'affaire 258/83, Fabrique de chaussures Brennero sas/Wendel GmbH, Rec. 1984, p. 3971.

( 5 ) Loc. cit., point 10 des motifs.

( 6 ) Loc. cit., point 15 des motifs.

( 7 ) Voir préambule de la convention.

( 8 ) Jurisprudence consunte: voir arrêt rendu le 5 mai 1982 dans l'affaire 15/81, Gaston Schul, Rec. 1982, p. 1409 et suiv. (point 33 des motifs).

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