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Document 62011CC0332

    Conclusions de l'avocat général Jääskinen présentées le 6 septembre 2012.
    ProRail BV contre Xpedys NV et autres.
    Demande de décision préjudicielle: Hof van Cassatie - Belgique.
    Règlement (CE) nº 1206/2001 - Coopération dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale - Exécution directe de l’acte d’instruction - Désignation d’un expert - Mission effectuée partiellement sur le territoire de l’État membre de la juridiction de renvoi et partiellement sur le territoire d’un autre État membre.
    Affaire C-332/11.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:551

    Conclusions de l'avocat général

    Conclusions de l'avocat général

    I – Introduction

    1. La demande de décision préjudicielle formée par le Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique) requiert une interprétation des articles 1 er et 17 du règlement (CE) n o  1206/2001 du Conseil, du 28 mai 2001, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale (2) .

    2. Il s’agit de savoir si une mesure d’expertise ordonnée en cette matière par une juridiction d’un État membre (3) qui doit être réalisée en partie sur le territoire de celui-ci et en partie sur le territoire d’un autre État membre doit, s’agissant de l’exécution directe de cette dernière partie de la mission confiée à un expert national, obligatoirement être mise en œuvre conformément au mécanisme de coopération judiciaire prévu à l’article 17 du règlement n o  1206/2001.

    3. Cette question est posée dans le cadre d’un litige opposant des sociétés de droits belge, allemand et néerlandais, à la suite d’un accident subi à proximité d’Amsterdam par un train en provenance de Belgique et à destination des Pays-Bas, dont a été saisi un tribunal belge. Celui-ci, statuant en référé, a désigné, en application des règles de procédure nationales, un expert belge ayant reçu pour mission d’enquêter non seulement en Belgique, mais aussi aux Pays-Bas, volet qui a fait l’objet d’une contestation par l’une des sociétés néerlandaises concernées.

    4. La Cour doit ainsi se prononcer sur le champ d’application matériel du règlement n o  1206/2001 ainsi que sur le caractère obligatoire de l’application de ce dernier, en particulier lorsqu’une juridiction entend procéder à un acte d’instruction dans un autre État membre de façon directe et non par le truchement d’une juridiction requise relevant de cet État.

    5. Toutefois, la question préjudicielle fait aussi référence au principe de la reconnaissance des décisions rendues dans les autres États membres, qui est énoncé à l’article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) n o  44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (4), principe à la lumière duquel la Cour pourrait être amenée à interpréter les articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001.

    II – Le cadre juridique

    A – Le règlement n o  1206/2001

    6. Le préambule du règlement n o  1206/2001 expose:

    «(2) Le bon fonctionnement du marché intérieur exige d’améliorer, et en particulier de simplifier et d’accélérer, la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention de preuves.

    […]

    (7) Étant donné que, en matière civile et commerciale, pour statuer sur une affaire engagée devant une juridiction d’un État membre, il est souvent nécessaire de procéder à des actes d’instruction dans un autre État membre […] Il est donc nécessaire de continuer à améliorer la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention de preuves.

    (8) Pour qu’une procédure judiciaire en matière civile ou commerciale soit utile, il faut que la transmission et le traitement des demandes visant à faire procéder à un acte d’instruction se fassent de manière directe et par les moyens les plus rapides entre les juridictions des États membres.

    […]

    (15) Afin de faciliter l’obtention des preuves, il importe qu’une juridiction d’un État membre puisse, conformément au droit de l’État membre dont elle relève, procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre, si ce dernier l’accepte, et dans les conditions définies par l’organisme central ou l’autorité compétents de l’État membre requis.

    […]

    (17) Il y a lieu que le présent règlement prévale sur les dispositions visant la matière qu’il couvre contenues dans des conventions internationales conclues par les États membres. Il ne fait pas obstacle à la conclusion entre États membres d’accords ou d’arrangements visant à améliorer davantage la coopération dans le domaine de l’obtention de preuves.»

    7. L’article 1 er , paragraphes 1 et 2, du règlement n o  1206/2001, intitulé «Champ d’application», dispose:

    «1. Le présent règlement est applicable en matière civile ou commerciale, lorsqu’une juridiction d’un État membre, conformément aux dispositions de sa législation, demande:

    a) à la juridiction compétente d’un autre État membre de procéder à un acte d’instruction ou

    b) à procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre.

    2. La demande ne doit pas viser à obtenir des moyens de preuve qui ne sont pas destinés à être utilisés dans une procédure judiciaire qui est engagée ou envisagée.»

    8. Les articles 10 à 16, figurant à la section 3 du même règlement, fixent les modalités d’exécution de l’acte d’instruction par une juridiction requise d’un autre État membre (méthode de coopération dite «indirecte»).

    9. L’article 10, paragraphe 2, du règlement n o  1206/2001 précise que «[l]a juridiction requise exécute la demande conformément au droit de l’État membre dont cette juridiction relève».

    10. L’article 17 dudit règlement, qui régit l’exécution directe de l’acte d’instruction par la juridiction requérante (méthode de coopération dite «directe»), prévoit:

    «1. Lorsqu’une juridiction souhaite procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre, elle présente une demande à l’organisme central ou à l’autorité compétente de cet État […]

    2. L’exécution directe de l’acte d’instruction n’est possible que si elle peut avoir lieu sur une base volontaire, sans qu’il soit nécessaire de recourir à des mesures coercitives.

    Lorsque, dans le cadre de l’exécution directe d’un acte d’instruction, une personne est entendue, la juridiction requérante informe cette personne que l’acte sera exécuté sur une base volontaire.

    3. L’acte d’instruction est exécuté par un magistrat ou par toute autre personne, par exemple un expert, désignés conformément au droit de l’État membre dont relève la juridiction requérante.

    […]

    5. L’organisme central ou l’autorité compétente ne peuvent refuser l’exécution directe de la mesure d’instruction que si:

    a) la demande sort du champ d’application du présent règlement tel que défini à l’article 1 er , ou

    b) la demande ne contient pas toutes les informations nécessaires en vertu de l’article 4, ou

    c) l’exécution directe demandée est contraire aux principes fondamentaux du droit de l’État membre dont ils relèvent.

    6. Sous réserve des conditions fixées conformément au paragraphe 4, la juridiction requérante exécute la demande conformément au droit de l’État membre dont elle relève.»

    B – Le règlement n o  44/2001

    11. L’article 31 du règlement n o  44/2001 dispose que «[l]es mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond».

    12. L’article 32 dudit règlement, qui figure au début du chapitre III, intitulé «Reconnaissance et exécution», indique qu’«[o]n entend par décision, au sens du présent règlement, toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès».

    13. Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, du règlement n o  44/2001, «[l]es décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure».

    III – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

    14. Le 22 novembre 2008, un train de marchandises en provenance de Belgique et à destination de Beverwijk (Pays-Bas) a déraillé près d’Amsterdam.

    15. À la suite de cet accident, des procédures judiciaires ont été engagées tant devant les juridictions belges que devant les juridictions néerlandaises.

    16. Le litige au principal, dont les juridictions belges ont été saisies en référé, oppose ProRail NV (ci-après «ProRail») à quatre autres sociétés ayant un rapport avec l’accident susmentionné, à savoir Xpedys NV (ci-après «Xpedys»), FAG Kugelfischer GmbH (ci-après «FAG»), DB Schenker Rail Nederland NV (ci-après «DB Schenker») et Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen NV (la Société Nationale des Chemins de fer Belges, ci-après la «SNCB»).

    17. ProRail est une société ayant son siège à Utrecht (Pays-Bas) qui assure la gestion des principales voies ferrées aux Pays-Bas et qui, à ce titre, passe des contrats d’accès avec des entreprises de transport ferroviaire, notamment avec DB Schenker.

    18. DB Schenker, qui a aussi son siège à Utrecht, est un transporteur privé dont le parc ferroviaire se compose de wagons ayant été pris en location initialement auprès de la SNCB, société anonyme de droit public dont le siège est établi à Bruxelles (Belgique).

    19. Selon DB Schenker et la SNCB, Xpedys, dont le siège est situé dans une commune de Bruxelles à savoir Anderlecht (Belgique), aurait repris la qualité de bailleur des wagons détenus par DB Schenker à partir du 1 er  mai 2008.

    20. FAG, qui a son siège à Schweinfurt (Allemagne), est un constructeur de pièces de wagons.

    21. Le 11 février 2009, le transporteur, DB Schenker, a assigné en référé, devant le président du rechtbank van koophandel te Brussel (tribunal de commerce de Bruxelles), Xpedys et la SNCB en leur qualité de bailleurs d’une partie des wagons impliqués dans l’accident susmentionné, en vue d’obtenir la désignation d’un expert. ProRail et FAG sont intervenues à la procédure. Au cours de cette dernière, ProRail a demandé à ladite juridiction de déclarer la demande de désignation d’un expert non fondée ou, dans l’hypothèse où un expert serait désigné, de limiter sa mission à la constatation de l’avarie subie par les wagons, de ne pas ordonner d’enquête portant sur l’ensemble du réseau ferroviaire néerlandais et d’ordonner qu’il effectue sa mission conformément aux dispositions du règlement n o  1206/2001.

    22. Le 26 mars 2009, ProRail a engagé devant une juridiction néerlandaise, à savoir le Rechtbank Utrecht, une procédure au fond à l’encontre de DB Schenker et de Xpedys, aux fins d’obtenir que ce transporteur et ce propriétaire bailleur des wagons accidentés soient déclarés responsables du dommage subi par son réseau ferroviaire et l’indemnisent à ce titre.

    23. Par ordonnance du 5 mai 2009, le président du rechtbank van koophandel te Brussel a déclaré fondée la demande de DB Schenker et a désigné l’expert en définissant l’ampleur de sa mission, qui devait être effectuée en majeure partie aux Pays-Bas. Dans le cadre de celle-ci, après avoir invité les parties à assister à ses diligences, l’expert devait se rendre sur le lieu de l’accident aux Pays-Bas ainsi qu’à tous les endroits où il pourrait effectuer des constatations utiles. En outre, il a été appelé à déterminer le fabricant et l’état de certains éléments techniques des wagons. Il lui a aussi été demandé de donner son avis sur les avaries subies par les wagons et sur l’étendue du dommage. Enfin, l’expert devait examiner le réseau et l’infrastructure ferroviaires gérés par ProRail et se prononcer sur la question de savoir si et dans quelle mesure cette infrastructure pourrait avoir également été à l’origine de l’accident.

    24. ProRail a interjeté appel contre ladite ordonnance, devant le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles), en demandant, à titre principal, que la désignation d’un expert soit jugée non fondée ou, à titre subsidiaire, que la mission de l’expert belge soit limitée au constat du dommage dans la mesure où elle pouvait être effectuée en Belgique et, à tout le moins, qu’il soit ordonné que l’expert n’exécuterait ses diligences aux Pays-Bas que dans le cadre de la procédure prévue par le règlement n o  1206/2001.

    25. Le 20 janvier 2010, le hof van beroep te Brussel a rejeté ce recours, aux motifs que le règlement n o  1206/2001 n’était pas applicable puisque, d’une part, aucune des hypothèses visées à son article 1 er ne se présentait en l’espèce et, d’autre part, l’affirmation de ProRail selon laquelle un expert ne pourrait pas être chargé d’effectuer une enquête aux Pays-Bas autrement qu’en application dudit règlement était dénuée de fondement.

    26. ProRail s’est pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi contre cette décision du hof van beroep te Brussel, en invoquant la violation de dispositions du droit de l’Union, et particulièrement des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001 ainsi que de l’article 31 du règlement n o  44/2001.

    27. La juridiction de renvoi relève qu’il découle des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001 que lorsqu’une juridiction d’un État membre souhaite procéder à un acte d’instruction – tel qu’une enquête effectuée par un expert – directement dans un autre État membre, une autorisation préalable doit être demandée auprès de ce dernier État. Elle mentionne que les moyens de cassation présentés par ProRail se fondent aussi sur une lecture a contrario de l’article 31 du règlement n o  44/2001, dont il résulterait qu’un tel acte d’instruction n’aurait pas d’effet extraterritorial en l’absence d’une autorisation émanant de l’État dans lequel il doit être accompli. Enfin, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’incidence, dans le cadre de la présente affaire, de l’article 33, paragraphe 1, du règlement n o  44/2001, selon lequel les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

    28. Dans ce contexte, par décision déposée le 30 juin 2011, le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

    «Les articles 1 er et 17 du règlement [n o  1206/2001] doivent-ils, eu égard notamment à la réglementation européenne concernant la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires en matière civile et commerciale ainsi qu’au principe suivant lequel les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans autre forme de procès, principe énoncé à l’article 33, paragraphe 1, du règlement [n o  44/2001], être interprétés en ce sens que le juge qui ordonne une enquête judiciaire confiée à un expert dont la mission doit être exécutée en partie sur le territoire de l’État membre auquel appartient le juge, mais également en partie dans un autre État membre doit, pour l’exécution directe de cette dernière partie, uniquement et donc exclusivement faire usage de la procédure instituée par le règlement précité et visée à l’article 17, ou bien doivent-ils être interprétés en ce sens que l’expert désigné par cet État peut également être, en dehors des dispositions du règlement [n o  1206/2001], chargé d’une enquête qui doit être réalisée partiellement dans un autre État membre de l’Union européenne?»

    29. Des observations écrites ont été fournies à la Cour par ProRail, par Xpedys, DB Schenker et la SNCB conjointement (ci-après «Xpedys e.a.»), par les gouvernements belge, tchèque, allemand et portugais, par la Confédération suisse ainsi que par la Commission européenne. Il n’a pas été tenu d’audience.

    IV – Analyse

    A – Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

    30. Xpedys e.a. mettent en cause la recevabilité de la demande de décision préjudicielle en arguant qu’elle présenterait un caractère purement hypothétique et serait dénuée de pertinence aux fins de la solution du litige au principal, dès lors que le règlement n o  1206/2001 ne serait pas applicable en l’espèce.

    31. Au soutien de leur contestation, Xpedys e.a. invoquent quatre griefs. Le premier d’entre eux repose sur le fait que l’initiative de l’expertise transfrontalière a ici été prise par l’une des parties au litige, et non par le juge, tandis que le libellé des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001 imposerait que cette initiative émane d’une «juridiction» de l’État membre requérant. Le deuxième est tiré de ce que seule la désignation d’un expert a été sollicitée auprès du juge saisi en référé, alors que ces articles et le septième considérant dudit règlement exigeraient que l’acte d’instruction soit nécessaire pour permettre au juge de statuer au fond. Le troisième s’appuie sur l’idée qu’il n’y aurait pas lieu d’appliquer ce règlement lorsque, comme en l’espèce, n’est pas en jeu l’exercice de la puissance publique sur le territoire d’un autre État membre, l’autorisation de ce dernier n’étant alors pas nécessaire pour exécuter la mission d’expertise. Le quatrième est fondé sur le constat que l’application du règlement n o  1206/2001 dans le cadre du litige au principal aurait prolongé la durée de la procédure, ce qui serait diamétralement opposé aux objectifs énoncés au deuxième considérant dudit règlement, à savoir la simplification et l’accélération de l’obtention des preuves.

    32. Je considère que ces deux derniers griefs renvoient à des considérations qui sortent de la problématique d’une éventuelle irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle et relèvent plutôt du fond de la présente affaire.

    33. S’agissant des deux premiers griefs formulés par Xpedys e.a., je rappelle qu’il est de jurisprudence constante (5) que, dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel, la juridiction nationale est, au regard des particularités de l’affaire, la mieux placée pour apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence de la question qu’elle entend poser. Dès lors que celle-ci porte sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer, sauf s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, ou lorsque le problème soumis est de nature purement hypothétique.

    34. Or, tel n’est pas le cas en l’occurrence, à mon avis. En effet, la demande de décision préjudicielle expose de façon suffisante en quoi l’interprétation des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001 pourrait s’avérer utile pour statuer sur le litige au principal dans la mesure où l’arrêt à venir de la Cour éclairerait la juridiction de renvoi sur le point de savoir si la partie de l’expertise diligentée aux Pays-Bas, aux fins de déterminer l’origine de l’accident ferroviaire en cause au principal et l’ampleur de l’avarie qui en a résulté, devrait être effectuée en application des règles de procédure belges ou du règlement n o  1206/2001. 

    35. J’ajoute qu’il m’apparaît que les articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001 n’imposent nullement que la décision de procéder à un acte d’instruction directement dans un autre État membre ait été prise d’office par la juridiction de l’État requérant qui l’ordonne. Ils n’excluent pas qu’un tel acte ait à l’origine été sollicité auprès de cette juridiction par les parties au litige, ce qui est généralement le cas en pratique, l’une d’entre elles ayant intérêt à faire établir l’existence de faits qui sont contestés par l’autre aux fins de démontrer le bien-fondé de ses prétentions.

    36. Par ailleurs, je considère qu’il est indifférent que l’acte d’instruction ait été décidé non pas au cours d’une procédure au fond, mais dans le cadre d’une procédure de référé ayant pour seul objet la désignation d’un expert. L’article 1 er , paragraphe 2, du règlement n o  1206/2001 exige uniquement que les moyens de preuves dont l’obtention est recherchée soient «destinés à être utilisés dans une procédure judiciaire qui est engagée ou envisagée». Comme l’a indiqué à juste titre la Commission dans son guide pratique, ce dernier terme permet d’inclure les actes d’instruction préalables à l’ouverture éventuelle de la procédure au fond, au cours de laquelle les éléments de preuves seront effectivement utilisés, notamment dans les cas où il serait nécessaire d’obtenir des preuves susceptibles d’être inaccessibles par la suite (6) . Une mesure d’instruction transfrontalière in futurum telle que celle en cause au principal (7) relevant bien du champ d’application du règlement n o  1206/2001, la demande de décision préjudicielle n’est donc pas irrecevable à ce titre.

    B – Sur le fond

    1. Sur l’absence d’incidence des dispositions du règlement n o  44/2001

    37. Selon les termes de sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001. Néanmoins, elle fait aussi référence aux dispositions du règlement n o  44/2001 et, en particulier, au principe de reconnaissance mutuelle et de plein droit des décisions rendues en matière civile et commerciale par les juridictions des divers États membres, qui est énoncé à l’article 33, paragraphe 1, de ce dernier règlement (8) . Elle interroge ainsi la Cour sur le point de savoir si les deux premiers articles doivent être interprétés en tenant compte «notamment» des dispositions du règlement n o  44/2001 et dudit principe.

    38. Il ressort de la décision de renvoi que le rapprochement entre le règlement n o  1206/2001 et le règlement n o  44/2001 a été initié par ProRail, dont le pourvoi, selon le Hof van Cassatie, invoque la violation non seulement des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001, mais également de l’article 31 du règlement n o  44/2001, qui prévoit que des mesures provisoires ou conservatoires peuvent être demandées aux autorités judiciaires d’un État membre même si une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond. Il apparaît que ProRail entendrait déduire de ce dernier article que le pouvoir d’ordonner une mesure d’expertise appartiendrait uniquement aux juridictions du lieu où elle doit être exécutée et, a contrario, qu’une telle mesure n’aurait pas d’effet extraterritorial en l’absence d’une autorisation émanant de l’État membre dans lequel cet acte d’instruction doit être accompli.

    39. La Confédération suisse, intéressée par une éventuelle interprétation par la Cour du règlement n o  44/2001 en raison de la similarité existant entre les dispositions de celui-ci et celles de la convention dite de Lugano (9), n’a pris position qu’à cet égard. Elle soutient que la mesure par laquelle une juridiction charge un expert d’exécuter une enquête sur le territoire d’un autre État membre n’est ni une mesure provisoire ou conservatoire au sens de l’article 31 du règlement n o  44/2001, au motif qu’une telle mesure ne pourrait pas produire d’effets extraterritoriaux, ni une décision susceptible de faire l’objet d’une reconnaissance ou d’une exécution au sens de l’article 32 de ce même règlement (10) .

    40. Toutefois, ni l’un ni l’autre de ces articles n’étant expressément visés par la juridiction de renvoi dans la question préjudicielle qu’elle a posée et les motifs qu’elle a retenus au soutien de celle-ci, j’estime qu’il n’y a pas lieu que la Cour se prononce sur ces points, conformément à une jurisprudence constante (11) .

    41. S’agissant de l’article 33, paragraphe 1, du règlement n o  44/2001, seule disposition de celui-ci citée dans la question préjudicielle, je considère, de même que les parties au principal et les gouvernements des États membres ayant fourni des observations à la Cour, que ce texte n’est pas susceptible d’apporter des éléments adéquats pour procéder à l’interprétation des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001 en l’espèce.

    42. En effet, la problématique soulevée par la présente affaire porte uniquement sur le champ et les modalités d’application du règlement n o  1206/2001 et non du règlement n o  44/2001. Sachant que le premier de ces instruments constitue par rapport au second une lex posterior (12) ainsi qu’une lex specialis, en ce qui concerne l’entraide judiciaire dans le domaine spécifique de l’obtention des preuves, il n’est à mon avis pas pertinent d’interpréter le règlement n o  1206/2001 à la lumière du règlement n o  44/2001 (13) .

    2. Sur l’interprétation des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001

    43. Je relève d’emblée qu’il est indéniable qu’un acte d’instruction tel que l’expertise judiciaire relève du champ d’application matériel du règlement n o  1206/2001, même si la notion de preuve dont l’obtention peut être obtenue en vertu de ce règlement (14) n’est pas définie par celui-ci (15) . Cela ressort clairement de l’article 17, paragraphe 3, dudit règlement, aux termes duquel un acte d’instruction peut être exécuté directement dans un autre État membre par la juridiction requérante qui est susceptible d’être représentée par toute personne, «par exemple un expert» (16), désignée conformément au droit de l’État membre dont relève cette juridiction.

    44. La question qui se pose dans la présente affaire est de savoir s’il ressort d’une lecture combinée des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001 que lorsqu’une juridiction d’un État membre entend procéder à un acte d’instruction tel qu’une mission d’enquête confiée à un expert directement sur le territoire d’un autre État membre, elle doit nécessairement demander une autorisation préalable auprès de ce dernier État conformément audit article 17 ou si elle peut choisir d’ordonner une telle expertise sur le fondement de règles de procédure nationales du for (17) .

    45. Les avis des observateurs ayant pris position sur ce point sont divergents. Tandis que ProRail et les gouvernements des États membres qui sont intervenus dans la procédure devant la Cour soutiennent qu’il conviendrait alors de faire application uniquement de l’article 17 du règlement n o  1206/2001, Xpedys e.a. et la Comm ission font valoir que d’autres modalités d’exécution directe d’un tel acte d’instruction doivent rester possibles dans certains cas de figure.

    46. Je souligne qu’il existe une proximité mais non une identité entre la présente problématique et celle qui a été soumise à la Cour dans l’affaire Lippens e.a. (18), dans laquelle j’ai aussi présenté des conclusions. Même si ladite affaire porte également sur l’interprétation des dispositions du règlement n o  1206/2001, et en particulier sur le caractère obligatoire ou non de l’application des deux mécanismes de coopération – l’un direct et l’autre indirect – qui sont prévus par celui-ci, les enjeux sont quelque peu différents. En effet, dans ladite affaire Lippens e.a., le litige au principal concernait l’audition ordonnée par une juridiction d’un État membre de témoins résidant dans un autre État membre ayant été appelés à venir comparaître devant celle-ci. Au contraire, une mesure d’expertise qui, comme dans la présente affaire, doit être exécutée dans un autre État membre, est susceptible de requérir davantage d’intrusion sur ce territoire. Toutefois, je considère que le raisonnement à suivre concernant l’applicabilité systématique ou non du règlement n o  1206/2001 doit être le même, quel que soit le type d’acte d’instruction concerné.

    47. Le principe sous-jacent en ce domaine est celui de la souveraineté territoriale des États membres, comme je l’ai déjà indiqué dans mes conclusions dans l’affaire Lippens e.a., précitée (19) . Traditionnellement, l’exercice du pouvoir public a un caractère territorial. Il n’est en principe pas possible d’en faire usage en dehors de l’État membre dont relève la juridiction ou une autre autorité nationale, sauf avec l’accord du «souverain» local, à savoir avec l’accord des autorités de l’autre État membre sur le territoire duquel ce pouvoir doit être utilisé.

    48. Le règlement n o  1206/2001 tend à lutter contre ce cloisonnement des pouvoirs au sein de l’Union, en facilitant la circulation des personnes devant prendre part à des actes d’instruction et, par ce moyen, la transmission des preuves d’un État membre vers un autre, sur la base d’une confiance mutuelle. En particulier, il est apparu que la réalisation d’une mesure d’expertise dans un autre État membre qui serait menée en dehors de ce cadre pouvait se heurter au fait que certaines législations nationales limitent la participation active d’un membre ou d’un représentant de la juridiction requérante (20) .

    49. Au vu des deux objectifs principaux de ce règlement, à savoir, premièrement, simplifier la coopération entre les États membres et, deuxièmement, accélérer l’obtention des preuves (21), j’estime que lorsqu’il n’est pas concrètement nécessaire de faire usage du pouvoir judiciaire dans un autre État membre pour obtenir un moyen de preuve, il n’est pas obligatoire pour une juridiction ordonnant un acte d’instruction de mettre en œuvre l’un des deux mécanismes d’entraide judiciaire simplifiée qui sont prévus par ledit règlement (22) .

    50. Le libellé actuel des deux articles du règlement n o  1206/2001 dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi ne permet pas, selon moi, de contredire ce point de vue. L’article 1 er , paragraphe 1, sous b), dudit règlement indique que c’est seulement « lorsqu’ une juridiction d’un État membre […] demande […] à procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre» (23) que doivent être appliquées les dispositions pertinentes de ce règlement, à savoir celles de l’article 17 (24) . Celui-ci prévoit que l’exécution directe d’un tel acte par la juridiction requérante qui intervient dans ce cadre est précédée par une demande auprès de l’organisme central ou de l’autorité compétente de l’État membre où les preuves doivent être obtenues (25) . Au contraire, si une juridiction n’entend pas avoir recours à cette méthode de coopération judiciaire, parce qu’elle estime que l’aide des autorités locales n’est pas indispensable pour que l’acte d’instruction qu’elle diligente soit mené à bien, elle n’est pas tenue de respecter les formalités prévues par l’article 17 du règlement n o  1206/2001.

    51. Il ressort des travaux préparatoires du règlement n o  1206/2001 qu’il avait initialement été envisagé, dans la proposition de texte rédigée par la République fédérale d’Allemagne (26), que les mesures d’expertise devant être exécutées directement dans un autre État membre fassent l’objet d’un traitement particulier. En effet, l’article 1 er , paragraphe 3, de ladite proposition prévoyait qu’une expertise puisse être effectuée sur le territoire d’un autre État membre sans autorisation ni même information préalable de celui-ci par la juridiction ayant décidé d’ordonner cet acte d’instruction (27) . Malgré un rapport concordant du Parlement (28), ainsi que l’avis du Comité économique et social (29) et l’avis ultérieur du Parlement (30) également conformes, cette disposition a été supprimée de la version finale adoptée le 28 mai 2001 par le Conseil (31) .

    52. Contrairement à ce que certains des observateurs affirment, ces éléments concernant la genèse du règlement n o  1206/2001 ne remettent pas en cause l’analyse que je propose à la Cour de retenir. Même si ce n’est finalement pas l’approche initiale qui a été retenue par le législateur de l’Union, il n’est pas inconcevable que certaines mesures d’expertise à réaliser dans un autre État membre puissent néanmoins être exclues du champ d’application du règlement n o  1206/2001, à savoir celles pour lesquelles les experts ont été désignés aux fins d’effectuer une mission qui ne nécessite pas de faire appel au concours des autorités judiciaires locales pour pouvoir être pleinement exécutée.

    53. La jurisprudence antérieure de la Cour ne dément pas davantage mon analyse. J’observe que l’arrêt St. Paul Dairy (32) est invoqué par ProRail, qui estime que cet arrêt énoncerait une obligation d’appliquer le règlement n o  1206/2001 «pour obtenir une preuve (au moyen d’une audition de témoin et d’un transport sur les lieux, en l’espèce)». Néanmoins, une telle lecture dudit arrêt est selon moi erronée, comme je l’ai déjà démontré dans les conclusions présentées dans l’affaire Lippens e.a. (33) .

    54. Il est vrai que la procédure d’exécution directe prévue à l’article 17 du règlement n o  1206/2001 ne peut être mise en œuvre que sur une base volontaire (34), contrairement à la procédure d’exécution indirecte, où des mesures coercitives sont possibles, en application de l’article 13 de ce règlement. Nonobstant, les personnes concernées par une expertise peuvent accepter de se soumettre spontanément à cette mesure et de coopérer avec l’expert, même si cela n’apparaît pas être le cas dans le litige au principal s’agissant de ProRail.

    55. Le critère qui est déterminant pour savoir dans quels cas le règlement n o  1206/2001 doit nécessairement être appliqué par une juridiction d’un État membre est, à mon avis, celui tenant au besoin pour celle-ci d’obtenir la collaboration non pas des parties au litige, mais des pouvoirs publics de l’autre État membre dans lequel l’expertise doit être réalisée.

    56. Ainsi, je considère qu’il faut faire une distinction selon que l’expert désigné par une juridiction d’un État membre doit ou non utiliser les prérogatives de puissance publique d’un autre État membre, en fonction de l’appréciation in concreto qui sera effectuée par cette juridiction.

    57. Si un expert se trouve dans une situation où il est chargé d’accomplir des tâches d’inspection et de tirer des conclusions techniques dans des conditions qui sont permises à tout un chacun, parce qu’elles portent sur des choses, données ou lieux accessibles au public, il m’apparaît qu’il n’est pas nécessaire que de tels actes d’instruction soient exécutés en suivant la procédure prévue à l’article 17 du règlement n o  1206/2001. En effet, les actes qui ne mettent pas en jeu la souveraineté de l’État membre où les éléments de preuves doivent être recueillis et qui ne requièrent donc pas l’aide des autorités judiciaires locales sont susceptibles de ne pas relever du champ d’application du règlement n o  1206/2001. Il y a selon moi, en ce cas, une simple faculté de mettre en œuvre le mécanisme de coopération instauré par ledit article 17. Si la juridiction qui ordonne une expertise l’estime plus opportun que de recourir aux règles de procédure nationales, elle peut employer ce mécanisme, mais elle n’y est pas contrainte et peut s’en dispenser dès lors qu’elle n’a pas besoin de la coopération et du pouvoir coercitif de l’État membre du lieu où doit s’exécuter la mission confiée.

    58. Dans les observations qu’elle a fournies à la Cour, la Commission est aussi clairement d’avis que le règlement n o  1206/2001 n’a pas pour objectif d’exclure ou d’imposer a priori certaines formes ou modalités d’obtention de preuves. Elle en déduit à juste titre qu’une juridiction d’un État membre doit être libre d’ordonner qu’une expertise soit exécutée dans un autre État membre sans suivre la procédure prévue à l’article 17 dudit règlement, donc sans demander l’aide des autorités de l’autre État membre, «pour autant que» la réalisation de cette partie de l’expertise n’exige pas la collaboration des autorités de l’État membre où elle doit avoir lieu.

    59. En revanche, si, pour remplir sa mission, l’expert a besoin d’avoir accès à des objets, informations ou endroits non publics, il lui faut alors obtenir l’aide des autorités de l’autre État membre. Dans cette hypothèse, où il y a un exercice du pouvoir judiciaire avec un effet externe, à savoir sur le territoire d’un autre État membre, la procédure d’exécution directe (35) prévue à l’article 17 du règlement n o  1206/2001 doit nécessairement être appliquée afin d’obtenir une coopération de l’État membre requis et de bénéficier de tous les attributs du pouvoir qui en résultent (36) .

    60. Tel me paraît être le cas dans des circonstances telles que celles du litige au principal. En effet, l’accès aux installations du réseau ferroviaire, qui est certainement restreint par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, notamment pour des raisons de régulation du trafic et surtout de sécurité, requiert l’emploi de prérogatives de puissance publique. Même si ProRail dispose de l’usage de ce réseau en tant que gestionnaire de l’infrastructure concernée, l’accord éventuel de cette société de droit privé (37) ne suffit pas, vu le caractère public des actes nécessités par la réalisation d’une telle mission. Les juridictions belges ayant, selon moi, ainsi besoin du concours des autorités judiciaires néerlandaises pour que la mission confiée à l’expert puisse être exécutée directement sur le territoire du Royaume des Pays-Bas, je considère que le mécanisme de coopération prévu à l’article 17 du règlement n o  1206/2001 aurait dû être mis en œuvre en l’occurrence (38) .

    61. Il ne saurait y avoir un risque de perte d’effet utile de l’article 17 du règlement n o  1206/2001 si l’interprétation que je propose est retenue par la Cour. Je note que ProRail soutient que l’adoption dudit règlement n’aurait pas eu d’intérêt si les États membres n’étaient pas liés par celui-ci. Néanmoins, je considère que, prise en ces termes, la problématique serait déformée. Le règlement n o  1206/2001 a bien un effet obligatoire mais uniquement dans le domaine correspondant à son champ d’application, c’est-à-dire qu’il est selon moi applicable seulement dans les cas où la collaboration des autorités d’un autre État membre est concrètement nécessaire pour permettre ou améliorer l’obtention des preuves, et est donc demandée par une juridiction relevant d’un État membre.

    62. À mon avis, il serait erroné, et cela conduirait même à un contresens, de considérer, comme le prétend ProRail, qu’en raison de l’entrée en vigueur du règlement n o  1206/2001, il n’est plus possible désormais de désigner des experts chargés d’effectuer des enquêtes à l’étranger sans appliquer systématiquement les mécanismes prévus par ledit règlement. En effet, le règlement n o  1206/2001 a pour finalité non pas de restreindre les possibilités d’action des juridictions nationales en matière d’obtention des preuves, en excluant les autres méthodes d’instruction, mais au contraire de renforcer ces possibilités, en créant une alternative qui favorise la coopération entre ces juridictions en tant que de besoin, c’est-à-dire lorsque le juge saisi estime que les voies ouvertes par ce règlement seraient les plus efficaces.

    63. Une telle option découle notamment de ce qu’en vertu de l’article 21, paragraphe 2, du règlement n o  1206/2001 (39), les conventions internationales restent applicables entre les États membres si elles permettent une exécution des actes d’instruction qui soit «davantage» efficace que les mécanismes prévus par celui-ci, sous réserve qu’elles soient compatibles avec les dispositions dudit règlement, comme je l’ai déjà relevé dans les conclusions présentées dans l’affaire Lippens e.a., précitée.

    64. J’ajoute que cette approche fonctionnelle de l’interprétation des articles 1 er et 17 du règlement n o  1206/2001 est conforme à la conception retenue dans un texte ultérieur, à savoir le règlement (CE) n o  861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (40), dont l’article 9 prévoit que la juridiction saisie détermine les moyens d’obtention des preuves et l’étendue des preuves indispensables à sa décision dans le cadre des règles applicables à l’admissibilité de la preuve et qu’à ce titre, elle doit opter pour le mécanisme d’obtention des preuves le plus simple et le moins contraignant. Il devrait selon moi en être de même s’agissant des modalités d’application du règlement n o  1206/2001.

    V – Conclusion

    65. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par le Hof van Cassatie:

    «Les articles 1 er et 17 du règlement (CE) n o  1206/2001 du Conseil, du 28 mai 2001, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale, doivent être interprétés en ce sens que lorsqu’une juridiction d’un État membre ordonne un acte d’instruction confié à un expert dont la mission doit être exécutée en partie sur le territoire de l’État membre dont elle relève et en partie dans un autre État membre, cette juridiction peut choisir de désigner l’expert, aux fins de procéder directement à cette dernière partie de sa mission, soit en faisant usage de la procédure d’exécution directe par la juridiction requérante qui est prévue audit article 17, soit sans appliquer les dispositions de ce règlement, pour autant que la réalisation de cette partie de l’expertise ne nécessite pas la coopération des autorités de l’État membre où elle doit avoir lieu.»

    (1) .

    (2)  – JO L 174, p. 1.

    (3)  – Dans les présentes conclusions, la notion d’«État membre» renverra aux États membres de l’Union européenne, à l’exception du Royaume de Danemark, conformément à l’article 1 er , paragraphe 3, du règlement n o  1206/2001.

    (4)  – JO 2001, L 12, p. 1.

    (5)  – Voir, notamment, arrêts du 16 juin 2011, Gebr. Weber et Putz (C-65/09 et C-87/09, Rec. p. I-5257, points 35 et suiv.), ainsi que du 21 juin 2012, Susisalo e.a. (C-84/11, points 16 et 17).

    (6)  – Point 10 du guide pratique pour l’application du règlement relatif à l’obtention des preuves, qui a été rédigé par les services de la Commission en consultation avec le réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale (ci-après le «guide pratique», document accessible sur Internet à l’adresse suivante: http://ec.europa.eu/civiljustice/evidence/evidence_ec_guide_fr.pdf).

    (7)  – La Cour a déjà été saisie de renvois préjudiciels concernant ce type de mesures. S’agissant de l’article 24 de la convention signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la «convention de Bruxelles»), voir arrêt du 28 avril 2005, St. Paul Dairy (C-104/03, Rec. p. I-3481, point 13), ainsi que conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans cette affaire (spécialement point 32, concernant les objectifs possibles de telles mesures au vu des législations des États membres). S’agissant du règlement n o  1206/2001, voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance de radiation du 27 septembre 2007, Tedesco (C-175/06, Rec. p. I-7929, points 76 et suiv.).

    (8)  – Le seizième considérant du règlement n o  44/2001 expose que «[l]a confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure».

    (9)  – Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 16 septembre 1988 (JO 1988, L 319, p. 9), telle que révisée par la convention signée à Lugano le 30 octobre 2007 [voir décision 2007/712/CE du Conseil, du 15 octobre 2007, relative à la signature de cette dernière au nom de la Communauté européenne (JO L 339, p. 1)], qui est entrée en vigueur le 1 er  mai 2011 et lie la Communauté, le Royaume de Danemark, la République d’Islande, le Royaume de Norvège et la Confédération suisse.

    (10)  – À cet égard, elle se fonde, par analogie, sur le rapport élaboré par M. P. Schlosser portant sur la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention de Bruxelles susmentionnée, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71, voir spécialement point 187), l’article 25 de cette convention étant équivalent audit article 32.

    (11)  – Voir, notamment, arrêts du 17 juillet 1997, Affish (C-183/95, Rec. p. I-4315, point 24), et du 14 décembre 2000, AMID (C-141/99, Rec. p. I-11619, point 18).

    (12)  – Au point 61 de ses conclusions dans l’affaire St. Paul Dairy, précitées, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer mentionne qu’«[e]n ce qui concerne l’éventuelle applicabilité résiduelle du règlement n o  44/2001, le nouveau règlement [n o  1206/2001] prévaut […] sur ce dernier, conformément au principe de la succession des règles juridiques (lex posterior derogat priori)».

    (13)  – Voir, par analogie, l’étude réalisée à la demande du Parlement européen intitulée «Interprétation de l’exception d’ordre public telle que prévue par les instruments du droit international privé et du droit procédural de l’Union européenne», Bruxelles, 2011, selon laquelle «il existe une tendance manifeste au référencement croisé entre les différents instruments en ce qui concerne l’interprétation des dispositions d’ordre public. […] Cependant, tout transfert nécessite des circonstances factuelles et juridiques sous-jacentes similaires», ce qui paraît ne pas être le cas s’agissant des règlements n os  44/2001 et 1206/2001 (disponible sur Internet à l’adresse suivante: http://www.europarl.europa.eu/studies, document 453.189, p. 14 et 137).

    (14)  – Dans son guide pratique susmentionné, la Commission a indiqué que cette notion «englobe entre autres les auditions de témoins, des parties ou d’experts, la production de documents, les vérifications, l’établissement des faits […]» (point 8 ainsi que, s’agissant des expertises, points 17, 37 et 55).

    (15)  – Cette absence de définition pose des problèmes en pratique, particulièrement en ce qui concerne les mesures d’expertise, selon le rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen sur l’application du règlement n o  1206/2001 [COM(2007) 769 final, point 2.9].

    (16)  – Voir également, concernant cette fois le mécanisme de l’exécution indirecte des actes d’instruction, article 12, paragraphe 2, du règlement n o  1206/2001.

    (17)  – Je rappelle que dans le litige au principal, la mesure d’expertise devant être effectuée principalement sur le territoire néerlandais a été ordonnée par une juridiction belge sur le fondement de l’article 962 du code judiciaire belge, qui prévoit que «[l]e juge peut, en vue de la solution d’un litige porté devant lui ou en cas de menace objective et actuelle d’un litige, charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d’ordre technique».

    (18)  – Arrêt du 6 septembre 2012 (C-170/11).

    (19)  – Voir point 54 ainsi que les sources citées dans la note en bas de page 40 desdites conclusions.

    (20)  – Ainsi, en Italie, au Luxembourg et en Suède, cette participation active est refusée, selon la note du Conseil datée du 28 juillet 2000 faisant la synthèse des réponses données par les délégations des États membres au questionnaire concernant un éventuel instrument de l’Union visant à améliorer la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale (10651/00 JUSTCIV 85, p. 10, point 9).

    (21)  – Comme le rappelle le rapport de la Commission susmentionné [COM(2007) 769 final]. Voir, également, deuxième considérant du règlement n o  1206/2001.

    (22)  – Pour un exposé de ces deux méthodes d’entraide judiciaire, voir, notamment, point 32 de mes conclusions dans l’affaire Lippens e.a., précitées.

    (23)  – Mots soulignés par mes soins.

    (24)  – Ces dispositions sont annoncées dans le quinzième considérant du règlement n o  1206/2001.

    (25)  – Sur les attributions respectives desdits organisme central et autorité compétente, voir article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement n o  1206/2001.

    (26)  – Initiative de la République fédérale d’Allemagne en vue de l’adoption d’un règlement du Conseil relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile et commerciale (JO 2000, C 314, p. 1).

    (27)  – «En règle générale, un acte d’instruction ne peut pas être demandé si la juridiction d’un État membre souhaite qu’un expert procède à des enquêtes dans un autre État membre. Dans ce cas, l’expert peut être désigné directement par la juridiction de cet État membre, sans qu’une autorisation ou une information préalable de l’autre État membre soit nécessaire».

    (28)  – Cette disposition, contrairement à d’autres, n’a pas fait l’objet d’une proposition d’amendement par le Parlement dans son rapport du 27 février 2001 portant sur ladite proposition allemande, dont l’exposé des motifs expose seulement que cet «article premier, paragraphe 3, prévoit que le règlement n’est pas applicable si la juridiction d’un État membre souhaite qu’un expert procède à des enquêtes dans un autre État membre. Dans ce cas, l’expert peut être désigné directement par la juridiction, sans qu’aucune autorisation ne soit nécessaire» (document de séance final 298.394, A5-0073/2001, p. 10, point 1.3.1).

    (29)  – Avis du Comité économique et social publié le 11 mai 2001 (JO C 139, p. 10).

    (30)  – Avis du Parlement en lecture unique, rendu le 14 mars 2001 (A5-0073/2001, JO C 343, p. 184).

    (31)  – Le Conseil avait déjà prévu cette modification dans la version révisée du projet de règlement ayant été publiée le 16 mars 2001, sans explication sur les raisons de la suppression en question (6850/01 JUSTCIV 28, p. 7).

    (32)  – Précité.

    (33)  – Voir point 36 de mes conclusions précitées.

    (34)  – Conformément au paragraphe 2 dudit article 17.

    (35)  – La juridiction requérante peut alternativement recourir à la procédure d’exécution indirecte prévue aux articles 10 et suivants du règlement n o  1206/2001 si elle ne tient pas absolument à procéder elle-même à l’acte d’instruction.

    (36)  – Selon l’étude relative à l’application du règlement n o  1206/2001 réalisée en 2007 à la demande de la Commission (accessible sur Internet en langue anglaise à l’adresse: http://ec.europa.eu/civiljustice/publications/docs/final_report_ec_1206_2001_a_09032007.pdf), bien que l’article 17, paragraphe 3, dudit règlement permette de désigner un expert pour représenter la juridiction requérante, «when it comes to determining who can take evidence it should be borne in mind that in those cases where the presence of a judge is required, if the judge of the requesting State does not agree to travel to the other Member State, he will need to ask for the foreign court’s help» (p. 88, point 4.1.10.2).

    (37)  – Son accord pourrait être donné par l’intéressée sous la pression de la possibilité qu’une juridiction belge qui serait saisie du fond du litige au principal tire ensuite des conséquences négatives du manque de coopération de cette partie. Voir, par analogie, point 64 de mes conclusions dans l’affaire Lippens e.a., précitées.

    (38)  – D’autant plus qu’il existe un risque de chevauchement entre les enquêtes réalisées par un expert dans le cadre d’une procédure civile, comme en l’espèce, et celles effectuées par un organisme spécial qui sont prévues pour les accidents graves ou potentiellement graves aux articles 19 à 24 – surtout à l’article 20, paragraphe 2, sous a) – et à l’annexe V de la directive 2004/49/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la sécurité des chemins de fer communautaires et modifiant la directive 95/18/CE du Conseil concernant les licences des entreprises ferroviaires, ainsi que la directive 2001/14/CE concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (directive sur la sécurité ferroviaire) (JO L 164, p. 44).

    (39)  – Voir, également, le dix-septième considérant de ce même règlement.

    (40)  – Règlement du Parlement Européen et du Conseil, du 11 juillet 2007 (JO L 199, p. 1). Le vingtième considérant de ce règlement énonce aussi que «[l]a juridiction devrait retenir le moyen d’obtention des preuves le plus simple et le moins onéreux».

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    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. NIILO JÄÄSKINEN

    présentées le 6 septembre 2012 ( 1 )

    Affaire C‑332/11

    ProRail NV

    contre

    Xpedys NV,

    FAG Kugelfischer GmbH,

    DB Schenker Rail Nederland NV,

    Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen NV

    [demande de décision préjudicielle formée par le Hof van Cassatie (Belgique)]

    «Coopération judiciaire en matière civile et commerciale — Obtention des preuves — Règlement (CE) no 1206/2001 — Article 1er — Champ d’application matériel — Article 17 — Exécution directe d’un acte d’instruction par la juridiction requérante — Désignation d’un expert et octroi à celui-ci, par une juridiction d’un État membre, d’une mission devant se dérouler en partie sur le territoire d’un autre État membre — Application obligatoire ou non du mécanisme d’entraide judiciaire prévu à l’article 17 dudit règlement»

    I – Introduction

    1.

    La demande de décision préjudicielle formée par le Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique) requiert une interprétation des articles 1er et 17 du règlement (CE) no 1206/2001 du Conseil, du 28 mai 2001, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale ( 2 ).

    2.

    Il s’agit de savoir si une mesure d’expertise ordonnée en cette matière par une juridiction d’un État membre ( 3 ) qui doit être réalisée en partie sur le territoire de celui-ci et en partie sur le territoire d’un autre État membre doit, s’agissant de l’exécution directe de cette dernière partie de la mission confiée à un expert national, obligatoirement être mise en œuvre conformément au mécanisme de coopération judiciaire prévu à l’article 17 du règlement no 1206/2001.

    3.

    Cette question est posée dans le cadre d’un litige opposant des sociétés de droits belge, allemand et néerlandais, à la suite d’un accident subi à proximité d’Amsterdam par un train en provenance de Belgique et à destination des Pays-Bas, dont a été saisi un tribunal belge. Celui-ci, statuant en référé, a désigné, en application des règles de procédure nationales, un expert belge ayant reçu pour mission d’enquêter non seulement en Belgique, mais aussi aux Pays-Bas, volet qui a fait l’objet d’une contestation par l’une des sociétés néerlandaises concernées.

    4.

    La Cour doit ainsi se prononcer sur le champ d’application matériel du règlement no 1206/2001 ainsi que sur le caractère obligatoire de l’application de ce dernier, en particulier lorsqu’une juridiction entend procéder à un acte d’instruction dans un autre État membre de façon directe et non par le truchement d’une juridiction requise relevant de cet État.

    5.

    Toutefois, la question préjudicielle fait aussi référence au principe de la reconnaissance des décisions rendues dans les autres États membres, qui est énoncé à l’article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 4 ), principe à la lumière duquel la Cour pourrait être amenée à interpréter les articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001.

    II – Le cadre juridique

    A – Le règlement no 1206/2001

    6.

    Le préambule du règlement no 1206/2001 expose:

    «(2)

    Le bon fonctionnement du marché intérieur exige d’améliorer, et en particulier de simplifier et d’accélérer, la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention de preuves.

    […]

    (7)

    Étant donné que, en matière civile et commerciale, pour statuer sur une affaire engagée devant une juridiction d’un État membre, il est souvent nécessaire de procéder à des actes d’instruction dans un autre État membre […] Il est donc nécessaire de continuer à améliorer la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention de preuves.

    (8)

    Pour qu’une procédure judiciaire en matière civile ou commerciale soit utile, il faut que la transmission et le traitement des demandes visant à faire procéder à un acte d’instruction se fassent de manière directe et par les moyens les plus rapides entre les juridictions des États membres.

    […]

    (15)

    Afin de faciliter l’obtention des preuves, il importe qu’une juridiction d’un État membre puisse, conformément au droit de l’État membre dont elle relève, procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre, si ce dernier l’accepte, et dans les conditions définies par l’organisme central ou l’autorité compétents de l’État membre requis.

    […]

    (17)

    Il y a lieu que le présent règlement prévale sur les dispositions visant la matière qu’il couvre contenues dans des conventions internationales conclues par les États membres. Il ne fait pas obstacle à la conclusion entre États membres d’accords ou d’arrangements visant à améliorer davantage la coopération dans le domaine de l’obtention de preuves.»

    7.

    L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1206/2001, intitulé «Champ d’application», dispose:

    «1.   Le présent règlement est applicable en matière civile ou commerciale, lorsqu’une juridiction d’un État membre, conformément aux dispositions de sa législation, demande:

    a)

    à la juridiction compétente d’un autre État membre de procéder à un acte d’instruction ou

    b)

    à procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre.

    2.   La demande ne doit pas viser à obtenir des moyens de preuve qui ne sont pas destinés à être utilisés dans une procédure judiciaire qui est engagée ou envisagée.»

    8.

    Les articles 10 à 16, figurant à la section 3 du même règlement, fixent les modalités d’exécution de l’acte d’instruction par une juridiction requise d’un autre État membre (méthode de coopération dite «indirecte»).

    9.

    L’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1206/2001 précise que «[l]a juridiction requise exécute la demande conformément au droit de l’État membre dont cette juridiction relève».

    10.

    L’article 17 dudit règlement, qui régit l’exécution directe de l’acte d’instruction par la juridiction requérante (méthode de coopération dite «directe»), prévoit:

    «1.   Lorsqu’une juridiction souhaite procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre, elle présente une demande à l’organisme central ou à l’autorité compétente de cet État […]

    2.   L’exécution directe de l’acte d’instruction n’est possible que si elle peut avoir lieu sur une base volontaire, sans qu’il soit nécessaire de recourir à des mesures coercitives.

    Lorsque, dans le cadre de l’exécution directe d’un acte d’instruction, une personne est entendue, la juridiction requérante informe cette personne que l’acte sera exécuté sur une base volontaire.

    3.   L’acte d’instruction est exécuté par un magistrat ou par toute autre personne, par exemple un expert, désignés conformément au droit de l’État membre dont relève la juridiction requérante.

    […]

    5.   L’organisme central ou l’autorité compétente ne peuvent refuser l’exécution directe de la mesure d’instruction que si:

    a)

    la demande sort du champ d’application du présent règlement tel que défini à l’article 1er, ou

    b)

    la demande ne contient pas toutes les informations nécessaires en vertu de l’article 4, ou

    c)

    l’exécution directe demandée est contraire aux principes fondamentaux du droit de l’État membre dont ils relèvent.

    6.   Sous réserve des conditions fixées conformément au paragraphe 4, la juridiction requérante exécute la demande conformément au droit de l’État membre dont elle relève.»

    B – Le règlement no 44/2001

    11.

    L’article 31 du règlement no 44/2001 dispose que «[l]es mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond».

    12.

    L’article 32 dudit règlement, qui figure au début du chapitre III, intitulé «Reconnaissance et exécution», indique qu’«[o]n entend par décision, au sens du présent règlement, toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès».

    13.

    Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, «[l]es décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure».

    III – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

    14.

    Le 22 novembre 2008, un train de marchandises en provenance de Belgique et à destination de Beverwijk (Pays-Bas) a déraillé près d’Amsterdam.

    15.

    À la suite de cet accident, des procédures judiciaires ont été engagées tant devant les juridictions belges que devant les juridictions néerlandaises.

    16.

    Le litige au principal, dont les juridictions belges ont été saisies en référé, oppose ProRail NV (ci-après «ProRail») à quatre autres sociétés ayant un rapport avec l’accident susmentionné, à savoir Xpedys NV (ci-après «Xpedys»), FAG Kugelfischer GmbH (ci-après «FAG»), DB Schenker Rail Nederland NV (ci-après «DB Schenker») et Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen NV (la Société Nationale des Chemins de fer Belges, ci-après la «SNCB»).

    17.

    ProRail est une société ayant son siège à Utrecht (Pays-Bas) qui assure la gestion des principales voies ferrées aux Pays-Bas et qui, à ce titre, passe des contrats d’accès avec des entreprises de transport ferroviaire, notamment avec DB Schenker.

    18.

    DB Schenker, qui a aussi son siège à Utrecht, est un transporteur privé dont le parc ferroviaire se compose de wagons ayant été pris en location initialement auprès de la SNCB, société anonyme de droit public dont le siège est établi à Bruxelles (Belgique).

    19.

    Selon DB Schenker et la SNCB, Xpedys, dont le siège est situé dans une commune de Bruxelles à savoir Anderlecht (Belgique), aurait repris la qualité de bailleur des wagons détenus par DB Schenker à partir du 1er mai 2008.

    20.

    FAG, qui a son siège à Schweinfurt (Allemagne), est un constructeur de pièces de wagons.

    21.

    Le 11 février 2009, le transporteur, DB Schenker, a assigné en référé, devant le président du rechtbank van koophandel te Brussel (tribunal de commerce de Bruxelles), Xpedys et la SNCB en leur qualité de bailleurs d’une partie des wagons impliqués dans l’accident susmentionné, en vue d’obtenir la désignation d’un expert. ProRail et FAG sont intervenues à la procédure. Au cours de cette dernière, ProRail a demandé à ladite juridiction de déclarer la demande de désignation d’un expert non fondée ou, dans l’hypothèse où un expert serait désigné, de limiter sa mission à la constatation de l’avarie subie par les wagons, de ne pas ordonner d’enquête portant sur l’ensemble du réseau ferroviaire néerlandais et d’ordonner qu’il effectue sa mission conformément aux dispositions du règlement no 1206/2001.

    22.

    Le 26 mars 2009, ProRail a engagé devant une juridiction néerlandaise, à savoir le Rechtbank Utrecht, une procédure au fond à l’encontre de DB Schenker et de Xpedys, aux fins d’obtenir que ce transporteur et ce propriétaire bailleur des wagons accidentés soient déclarés responsables du dommage subi par son réseau ferroviaire et l’indemnisent à ce titre.

    23.

    Par ordonnance du 5 mai 2009, le président du rechtbank van koophandel te Brussel a déclaré fondée la demande de DB Schenker et a désigné l’expert en définissant l’ampleur de sa mission, qui devait être effectuée en majeure partie aux Pays-Bas. Dans le cadre de celle-ci, après avoir invité les parties à assister à ses diligences, l’expert devait se rendre sur le lieu de l’accident aux Pays-Bas ainsi qu’à tous les endroits où il pourrait effectuer des constatations utiles. En outre, il a été appelé à déterminer le fabricant et l’état de certains éléments techniques des wagons. Il lui a aussi été demandé de donner son avis sur les avaries subies par les wagons et sur l’étendue du dommage. Enfin, l’expert devait examiner le réseau et l’infrastructure ferroviaires gérés par ProRail et se prononcer sur la question de savoir si et dans quelle mesure cette infrastructure pourrait avoir également été à l’origine de l’accident.

    24.

    ProRail a interjeté appel contre ladite ordonnance, devant le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles), en demandant, à titre principal, que la désignation d’un expert soit jugée non fondée ou, à titre subsidiaire, que la mission de l’expert belge soit limitée au constat du dommage dans la mesure où elle pouvait être effectuée en Belgique et, à tout le moins, qu’il soit ordonné que l’expert n’exécuterait ses diligences aux Pays-Bas que dans le cadre de la procédure prévue par le règlement no 1206/2001.

    25.

    Le 20 janvier 2010, le hof van beroep te Brussel a rejeté ce recours, aux motifs que le règlement no 1206/2001 n’était pas applicable puisque, d’une part, aucune des hypothèses visées à son article 1er ne se présentait en l’espèce et, d’autre part, l’affirmation de ProRail selon laquelle un expert ne pourrait pas être chargé d’effectuer une enquête aux Pays-Bas autrement qu’en application dudit règlement était dénuée de fondement.

    26.

    ProRail s’est pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi contre cette décision du hof van beroep te Brussel, en invoquant la violation de dispositions du droit de l’Union, et particulièrement des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 ainsi que de l’article 31 du règlement no 44/2001.

    27.

    La juridiction de renvoi relève qu’il découle des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 que lorsqu’une juridiction d’un État membre souhaite procéder à un acte d’instruction – tel qu’une enquête effectuée par un expert – directement dans un autre État membre, une autorisation préalable doit être demandée auprès de ce dernier État. Elle mentionne que les moyens de cassation présentés par ProRail se fondent aussi sur une lecture a contrario de l’article 31 du règlement no 44/2001, dont il résulterait qu’un tel acte d’instruction n’aurait pas d’effet extraterritorial en l’absence d’une autorisation émanant de l’État dans lequel il doit être accompli. Enfin, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’incidence, dans le cadre de la présente affaire, de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, selon lequel les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

    28.

    Dans ce contexte, par décision déposée le 30 juin 2011, le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

    «Les articles 1er et 17 du règlement [no 1206/2001] doivent-ils, eu égard notamment à la réglementation européenne concernant la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires en matière civile et commerciale ainsi qu’au principe suivant lequel les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans autre forme de procès, principe énoncé à l’article 33, paragraphe 1, du règlement [no 44/2001], être interprétés en ce sens que le juge qui ordonne une enquête judiciaire confiée à un expert dont la mission doit être exécutée en partie sur le territoire de l’État membre auquel appartient le juge, mais également en partie dans un autre État membre doit, pour l’exécution directe de cette dernière partie, uniquement et donc exclusivement faire usage de la procédure instituée par le règlement précité et visée à l’article 17, ou bien doivent-ils être interprétés en ce sens que l’expert désigné par cet État peut également être, en dehors des dispositions du règlement [no 1206/2001], chargé d’une enquête qui doit être réalisée partiellement dans un autre État membre de l’Union européenne?»

    29.

    Des observations écrites ont été fournies à la Cour par ProRail, par Xpedys, DB Schenker et la SNCB conjointement (ci-après «Xpedys e.a.»), par les gouvernements belge, tchèque, allemand et portugais, par la Confédération suisse ainsi que par la Commission européenne. Il n’a pas été tenu d’audience.

    IV – Analyse

    A – Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

    30.

    Xpedys e.a. mettent en cause la recevabilité de la demande de décision préjudicielle en arguant qu’elle présenterait un caractère purement hypothétique et serait dénuée de pertinence aux fins de la solution du litige au principal, dès lors que le règlement no 1206/2001 ne serait pas applicable en l’espèce.

    31.

    Au soutien de leur contestation, Xpedys e.a. invoquent quatre griefs. Le premier d’entre eux repose sur le fait que l’initiative de l’expertise transfrontalière a ici été prise par l’une des parties au litige, et non par le juge, tandis que le libellé des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 imposerait que cette initiative émane d’une «juridiction» de l’État membre requérant. Le deuxième est tiré de ce que seule la désignation d’un expert a été sollicitée auprès du juge saisi en référé, alors que ces articles et le septième considérant dudit règlement exigeraient que l’acte d’instruction soit nécessaire pour permettre au juge de statuer au fond. Le troisième s’appuie sur l’idée qu’il n’y aurait pas lieu d’appliquer ce règlement lorsque, comme en l’espèce, n’est pas en jeu l’exercice de la puissance publique sur le territoire d’un autre État membre, l’autorisation de ce dernier n’étant alors pas nécessaire pour exécuter la mission d’expertise. Le quatrième est fondé sur le constat que l’application du règlement no 1206/2001 dans le cadre du litige au principal aurait prolongé la durée de la procédure, ce qui serait diamétralement opposé aux objectifs énoncés au deuxième considérant dudit règlement, à savoir la simplification et l’accélération de l’obtention des preuves.

    32.

    Je considère que ces deux derniers griefs renvoient à des considérations qui sortent de la problématique d’une éventuelle irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle et relèvent plutôt du fond de la présente affaire.

    33.

    S’agissant des deux premiers griefs formulés par Xpedys e.a., je rappelle qu’il est de jurisprudence constante ( 5 ) que, dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel, la juridiction nationale est, au regard des particularités de l’affaire, la mieux placée pour apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence de la question qu’elle entend poser. Dès lors que celle-ci porte sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer, sauf s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, ou lorsque le problème soumis est de nature purement hypothétique.

    34.

    Or, tel n’est pas le cas en l’occurrence, à mon avis. En effet, la demande de décision préjudicielle expose de façon suffisante en quoi l’interprétation des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 pourrait s’avérer utile pour statuer sur le litige au principal dans la mesure où l’arrêt à venir de la Cour éclairerait la juridiction de renvoi sur le point de savoir si la partie de l’expertise diligentée aux Pays-Bas, aux fins de déterminer l’origine de l’accident ferroviaire en cause au principal et l’ampleur de l’avarie qui en a résulté, devrait être effectuée en application des règles de procédure belges ou du règlement no 1206/2001.

    35.

    J’ajoute qu’il m’apparaît que les articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 n’imposent nullement que la décision de procéder à un acte d’instruction directement dans un autre État membre ait été prise d’office par la juridiction de l’État requérant qui l’ordonne. Ils n’excluent pas qu’un tel acte ait à l’origine été sollicité auprès de cette juridiction par les parties au litige, ce qui est généralement le cas en pratique, l’une d’entre elles ayant intérêt à faire établir l’existence de faits qui sont contestés par l’autre aux fins de démontrer le bien-fondé de ses prétentions.

    36.

    Par ailleurs, je considère qu’il est indifférent que l’acte d’instruction ait été décidé non pas au cours d’une procédure au fond, mais dans le cadre d’une procédure de référé ayant pour seul objet la désignation d’un expert. L’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1206/2001 exige uniquement que les moyens de preuves dont l’obtention est recherchée soient «destinés à être utilisés dans une procédure judiciaire qui est engagée ou envisagée». Comme l’a indiqué à juste titre la Commission dans son guide pratique, ce dernier terme permet d’inclure les actes d’instruction préalables à l’ouverture éventuelle de la procédure au fond, au cours de laquelle les éléments de preuves seront effectivement utilisés, notamment dans les cas où il serait nécessaire d’obtenir des preuves susceptibles d’être inaccessibles par la suite ( 6 ). Une mesure d’instruction transfrontalière in futurum telle que celle en cause au principal ( 7 ) relevant bien du champ d’application du règlement no 1206/2001, la demande de décision préjudicielle n’est donc pas irrecevable à ce titre.

    B – Sur le fond

    1. Sur l’absence d’incidence des dispositions du règlement no 44/2001

    37.

    Selon les termes de sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001. Néanmoins, elle fait aussi référence aux dispositions du règlement no 44/2001 et, en particulier, au principe de reconnaissance mutuelle et de plein droit des décisions rendues en matière civile et commerciale par les juridictions des divers États membres, qui est énoncé à l’article 33, paragraphe 1, de ce dernier règlement ( 8 ). Elle interroge ainsi la Cour sur le point de savoir si les deux premiers articles doivent être interprétés en tenant compte «notamment» des dispositions du règlement no 44/2001 et dudit principe.

    38.

    Il ressort de la décision de renvoi que le rapprochement entre le règlement no 1206/2001 et le règlement no 44/2001 a été initié par ProRail, dont le pourvoi, selon le Hof van Cassatie, invoque la violation non seulement des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001, mais également de l’article 31 du règlement no 44/2001, qui prévoit que des mesures provisoires ou conservatoires peuvent être demandées aux autorités judiciaires d’un État membre même si une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond. Il apparaît que ProRail entendrait déduire de ce dernier article que le pouvoir d’ordonner une mesure d’expertise appartiendrait uniquement aux juridictions du lieu où elle doit être exécutée et, a contrario, qu’une telle mesure n’aurait pas d’effet extraterritorial en l’absence d’une autorisation émanant de l’État membre dans lequel cet acte d’instruction doit être accompli.

    39.

    La Confédération suisse, intéressée par une éventuelle interprétation par la Cour du règlement no 44/2001 en raison de la similarité existant entre les dispositions de celui-ci et celles de la convention dite de Lugano ( 9 ), n’a pris position qu’à cet égard. Elle soutient que la mesure par laquelle une juridiction charge un expert d’exécuter une enquête sur le territoire d’un autre État membre n’est ni une mesure provisoire ou conservatoire au sens de l’article 31 du règlement no 44/2001, au motif qu’une telle mesure ne pourrait pas produire d’effets extraterritoriaux, ni une décision susceptible de faire l’objet d’une reconnaissance ou d’une exécution au sens de l’article 32 de ce même règlement ( 10 ).

    40.

    Toutefois, ni l’un ni l’autre de ces articles n’étant expressément visés par la juridiction de renvoi dans la question préjudicielle qu’elle a posée et les motifs qu’elle a retenus au soutien de celle-ci, j’estime qu’il n’y a pas lieu que la Cour se prononce sur ces points, conformément à une jurisprudence constante ( 11 ).

    41.

    S’agissant de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, seule disposition de celui-ci citée dans la question préjudicielle, je considère, de même que les parties au principal et les gouvernements des États membres ayant fourni des observations à la Cour, que ce texte n’est pas susceptible d’apporter des éléments adéquats pour procéder à l’interprétation des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 en l’espèce.

    42.

    En effet, la problématique soulevée par la présente affaire porte uniquement sur le champ et les modalités d’application du règlement no 1206/2001 et non du règlement no 44/2001. Sachant que le premier de ces instruments constitue par rapport au second une lex posterior ( 12 ) ainsi qu’une lex specialis, en ce qui concerne l’entraide judiciaire dans le domaine spécifique de l’obtention des preuves, il n’est à mon avis pas pertinent d’interpréter le règlement no 1206/2001 à la lumière du règlement no 44/2001 ( 13 ).

    2. Sur l’interprétation des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001

    43.

    Je relève d’emblée qu’il est indéniable qu’un acte d’instruction tel que l’expertise judiciaire relève du champ d’application matériel du règlement no 1206/2001, même si la notion de preuve dont l’obtention peut être obtenue en vertu de ce règlement ( 14 ) n’est pas définie par celui-ci ( 15 ). Cela ressort clairement de l’article 17, paragraphe 3, dudit règlement, aux termes duquel un acte d’instruction peut être exécuté directement dans un autre État membre par la juridiction requérante qui est susceptible d’être représentée par toute personne, «par exemple un expert» ( 16 ), désignée conformément au droit de l’État membre dont relève cette juridiction.

    44.

    La question qui se pose dans la présente affaire est de savoir s’il ressort d’une lecture combinée des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 que lorsqu’une juridiction d’un État membre entend procéder à un acte d’instruction tel qu’une mission d’enquête confiée à un expert directement sur le territoire d’un autre État membre, elle doit nécessairement demander une autorisation préalable auprès de ce dernier État conformément audit article 17 ou si elle peut choisir d’ordonner une telle expertise sur le fondement de règles de procédure nationales du for ( 17 ).

    45.

    Les avis des observateurs ayant pris position sur ce point sont divergents. Tandis que ProRail et les gouvernements des États membres qui sont intervenus dans la procédure devant la Cour soutiennent qu’il conviendrait alors de faire application uniquement de l’article 17 du règlement no 1206/2001, Xpedys e.a. et la Commission font valoir que d’autres modalités d’exécution directe d’un tel acte d’instruction doivent rester possibles dans certains cas de figure.

    46.

    Je souligne qu’il existe une proximité mais non une identité entre la présente problématique et celle qui a été soumise à la Cour dans l’affaire Lippens e.a. ( 18 ), dans laquelle j’ai aussi présenté des conclusions. Même si ladite affaire porte également sur l’interprétation des dispositions du règlement no 1206/2001, et en particulier sur le caractère obligatoire ou non de l’application des deux mécanismes de coopération – l’un direct et l’autre indirect – qui sont prévus par celui-ci, les enjeux sont quelque peu différents. En effet, dans ladite affaire Lippens e.a., le litige au principal concernait l’audition ordonnée par une juridiction d’un État membre de témoins résidant dans un autre État membre ayant été appelés à venir comparaître devant celle-ci. Au contraire, une mesure d’expertise qui, comme dans la présente affaire, doit être exécutée dans un autre État membre, est susceptible de requérir davantage d’intrusion sur ce territoire. Toutefois, je considère que le raisonnement à suivre concernant l’applicabilité systématique ou non du règlement no 1206/2001 doit être le même, quel que soit le type d’acte d’instruction concerné.

    47.

    Le principe sous-jacent en ce domaine est celui de la souveraineté territoriale des États membres, comme je l’ai déjà indiqué dans mes conclusions dans l’affaire Lippens e.a., précitée ( 19 ). Traditionnellement, l’exercice du pouvoir public a un caractère territorial. Il n’est en principe pas possible d’en faire usage en dehors de l’État membre dont relève la juridiction ou une autre autorité nationale, sauf avec l’accord du «souverain» local, à savoir avec l’accord des autorités de l’autre État membre sur le territoire duquel ce pouvoir doit être utilisé.

    48.

    Le règlement no 1206/2001 tend à lutter contre ce cloisonnement des pouvoirs au sein de l’Union, en facilitant la circulation des personnes devant prendre part à des actes d’instruction et, par ce moyen, la transmission des preuves d’un État membre vers un autre, sur la base d’une confiance mutuelle. En particulier, il est apparu que la réalisation d’une mesure d’expertise dans un autre État membre qui serait menée en dehors de ce cadre pouvait se heurter au fait que certaines législations nationales limitent la participation active d’un membre ou d’un représentant de la juridiction requérante ( 20 ).

    49.

    Au vu des deux objectifs principaux de ce règlement, à savoir, premièrement, simplifier la coopération entre les États membres et, deuxièmement, accélérer l’obtention des preuves ( 21 ), j’estime que lorsqu’il n’est pas concrètement nécessaire de faire usage du pouvoir judiciaire dans un autre État membre pour obtenir un moyen de preuve, il n’est pas obligatoire pour une juridiction ordonnant un acte d’instruction de mettre en œuvre l’un des deux mécanismes d’entraide judiciaire simplifiée qui sont prévus par ledit règlement ( 22 ).

    50.

    Le libellé actuel des deux articles du règlement no 1206/2001 dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi ne permet pas, selon moi, de contredire ce point de vue. L’article 1er, paragraphe 1, sous b), dudit règlement indique que c’est seulement «lorsqu’une juridiction d’un État membre […] demande […] à procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre» ( 23 ) que doivent être appliquées les dispositions pertinentes de ce règlement, à savoir celles de l’article 17 ( 24 ). Celui-ci prévoit que l’exécution directe d’un tel acte par la juridiction requérante qui intervient dans ce cadre est précédée par une demande auprès de l’organisme central ou de l’autorité compétente de l’État membre où les preuves doivent être obtenues ( 25 ). Au contraire, si une juridiction n’entend pas avoir recours à cette méthode de coopération judiciaire, parce qu’elle estime que l’aide des autorités locales n’est pas indispensable pour que l’acte d’instruction qu’elle diligente soit mené à bien, elle n’est pas tenue de respecter les formalités prévues par l’article 17 du règlement no 1206/2001.

    51.

    Il ressort des travaux préparatoires du règlement no 1206/2001 qu’il avait initialement été envisagé, dans la proposition de texte rédigée par la République fédérale d’Allemagne ( 26 ), que les mesures d’expertise devant être exécutées directement dans un autre État membre fassent l’objet d’un traitement particulier. En effet, l’article 1er, paragraphe 3, de ladite proposition prévoyait qu’une expertise puisse être effectuée sur le territoire d’un autre État membre sans autorisation ni même information préalable de celui-ci par la juridiction ayant décidé d’ordonner cet acte d’instruction ( 27 ). Malgré un rapport concordant du Parlement ( 28 ), ainsi que l’avis du Comité économique et social ( 29 ) et l’avis ultérieur du Parlement ( 30 ) également conformes, cette disposition a été supprimée de la version finale adoptée le 28 mai 2001 par le Conseil ( 31 ).

    52.

    Contrairement à ce que certains des observateurs affirment, ces éléments concernant la genèse du règlement no 1206/2001 ne remettent pas en cause l’analyse que je propose à la Cour de retenir. Même si ce n’est finalement pas l’approche initiale qui a été retenue par le législateur de l’Union, il n’est pas inconcevable que certaines mesures d’expertise à réaliser dans un autre État membre puissent néanmoins être exclues du champ d’application du règlement no 1206/2001, à savoir celles pour lesquelles les experts ont été désignés aux fins d’effectuer une mission qui ne nécessite pas de faire appel au concours des autorités judiciaires locales pour pouvoir être pleinement exécutée.

    53.

    La jurisprudence antérieure de la Cour ne dément pas davantage mon analyse. J’observe que l’arrêt St. Paul Dairy ( 32 ) est invoqué par ProRail, qui estime que cet arrêt énoncerait une obligation d’appliquer le règlement no 1206/2001 «pour obtenir une preuve (au moyen d’une audition de témoin et d’un transport sur les lieux, en l’espèce)». Néanmoins, une telle lecture dudit arrêt est selon moi erronée, comme je l’ai déjà démontré dans les conclusions présentées dans l’affaire Lippens e.a. ( 33 ).

    54.

    Il est vrai que la procédure d’exécution directe prévue à l’article 17 du règlement no 1206/2001 ne peut être mise en œuvre que sur une base volontaire ( 34 ), contrairement à la procédure d’exécution indirecte, où des mesures coercitives sont possibles, en application de l’article 13 de ce règlement. Nonobstant, les personnes concernées par une expertise peuvent accepter de se soumettre spontanément à cette mesure et de coopérer avec l’expert, même si cela n’apparaît pas être le cas dans le litige au principal s’agissant de ProRail.

    55.

    Le critère qui est déterminant pour savoir dans quels cas le règlement no 1206/2001 doit nécessairement être appliqué par une juridiction d’un État membre est, à mon avis, celui tenant au besoin pour celle-ci d’obtenir la collaboration non pas des parties au litige, mais des pouvoirs publics de l’autre État membre dans lequel l’expertise doit être réalisée.

    56.

    Ainsi, je considère qu’il faut faire une distinction selon que l’expert désigné par une juridiction d’un État membre doit ou non utiliser les prérogatives de puissance publique d’un autre État membre, en fonction de l’appréciation in concreto qui sera effectuée par cette juridiction.

    57.

    Si un expert se trouve dans une situation où il est chargé d’accomplir des tâches d’inspection et de tirer des conclusions techniques dans des conditions qui sont permises à tout un chacun, parce qu’elles portent sur des choses, données ou lieux accessibles au public, il m’apparaît qu’il n’est pas nécessaire que de tels actes d’instruction soient exécutés en suivant la procédure prévue à l’article 17 du règlement no 1206/2001. En effet, les actes qui ne mettent pas en jeu la souveraineté de l’État membre où les éléments de preuves doivent être recueillis et qui ne requièrent donc pas l’aide des autorités judiciaires locales sont susceptibles de ne pas relever du champ d’application du règlement no 1206/2001. Il y a selon moi, en ce cas, une simple faculté de mettre en œuvre le mécanisme de coopération instauré par ledit article 17. Si la juridiction qui ordonne une expertise l’estime plus opportun que de recourir aux règles de procédure nationales, elle peut employer ce mécanisme, mais elle n’y est pas contrainte et peut s’en dispenser dès lors qu’elle n’a pas besoin de la coopération et du pouvoir coercitif de l’État membre du lieu où doit s’exécuter la mission confiée.

    58.

    Dans les observations qu’elle a fournies à la Cour, la Commission est aussi clairement d’avis que le règlement no 1206/2001 n’a pas pour objectif d’exclure ou d’imposer a priori certaines formes ou modalités d’obtention de preuves. Elle en déduit à juste titre qu’une juridiction d’un État membre doit être libre d’ordonner qu’une expertise soit exécutée dans un autre État membre sans suivre la procédure prévue à l’article 17 dudit règlement, donc sans demander l’aide des autorités de l’autre État membre, «pour autant que» la réalisation de cette partie de l’expertise n’exige pas la collaboration des autorités de l’État membre où elle doit avoir lieu.

    59.

    En revanche, si, pour remplir sa mission, l’expert a besoin d’avoir accès à des objets, informations ou endroits non publics, il lui faut alors obtenir l’aide des autorités de l’autre État membre. Dans cette hypothèse, où il y a un exercice du pouvoir judiciaire avec un effet externe, à savoir sur le territoire d’un autre État membre, la procédure d’exécution directe ( 35 ) prévue à l’article 17 du règlement no 1206/2001 doit nécessairement être appliquée afin d’obtenir une coopération de l’État membre requis et de bénéficier de tous les attributs du pouvoir qui en résultent ( 36 ).

    60.

    Tel me paraît être le cas dans des circonstances telles que celles du litige au principal. En effet, l’accès aux installations du réseau ferroviaire, qui est certainement restreint par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, notamment pour des raisons de régulation du trafic et surtout de sécurité, requiert l’emploi de prérogatives de puissance publique. Même si ProRail dispose de l’usage de ce réseau en tant que gestionnaire de l’infrastructure concernée, l’accord éventuel de cette société de droit privé ( 37 ) ne suffit pas, vu le caractère public des actes nécessités par la réalisation d’une telle mission. Les juridictions belges ayant, selon moi, ainsi besoin du concours des autorités judiciaires néerlandaises pour que la mission confiée à l’expert puisse être exécutée directement sur le territoire du Royaume des Pays-Bas, je considère que le mécanisme de coopération prévu à l’article 17 du règlement no 1206/2001 aurait dû être mis en œuvre en l’occurrence ( 38 ).

    61.

    Il ne saurait y avoir un risque de perte d’effet utile de l’article 17 du règlement no 1206/2001 si l’interprétation que je propose est retenue par la Cour. Je note que ProRail soutient que l’adoption dudit règlement n’aurait pas eu d’intérêt si les États membres n’étaient pas liés par celui-ci. Néanmoins, je considère que, prise en ces termes, la problématique serait déformée. Le règlement no 1206/2001 a bien un effet obligatoire mais uniquement dans le domaine correspondant à son champ d’application, c’est-à-dire qu’il est selon moi applicable seulement dans les cas où la collaboration des autorités d’un autre État membre est concrètement nécessaire pour permettre ou améliorer l’obtention des preuves, et est donc demandée par une juridiction relevant d’un État membre.

    62.

    À mon avis, il serait erroné, et cela conduirait même à un contresens, de considérer, comme le prétend ProRail, qu’en raison de l’entrée en vigueur du règlement no 1206/2001, il n’est plus possible désormais de désigner des experts chargés d’effectuer des enquêtes à l’étranger sans appliquer systématiquement les mécanismes prévus par ledit règlement. En effet, le règlement no 1206/2001 a pour finalité non pas de restreindre les possibilités d’action des juridictions nationales en matière d’obtention des preuves, en excluant les autres méthodes d’instruction, mais au contraire de renforcer ces possibilités, en créant une alternative qui favorise la coopération entre ces juridictions en tant que de besoin, c’est-à-dire lorsque le juge saisi estime que les voies ouvertes par ce règlement seraient les plus efficaces.

    63.

    Une telle option découle notamment de ce qu’en vertu de l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1206/2001 ( 39 ), les conventions internationales restent applicables entre les États membres si elles permettent une exécution des actes d’instruction qui soit «davantage» efficace que les mécanismes prévus par celui-ci, sous réserve qu’elles soient compatibles avec les dispositions dudit règlement, comme je l’ai déjà relevé dans les conclusions présentées dans l’affaire Lippens e.a., précitée.

    64.

    J’ajoute que cette approche fonctionnelle de l’interprétation des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 est conforme à la conception retenue dans un texte ultérieur, à savoir le règlement (CE) no 861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges ( 40 ), dont l’article 9 prévoit que la juridiction saisie détermine les moyens d’obtention des preuves et l’étendue des preuves indispensables à sa décision dans le cadre des règles applicables à l’admissibilité de la preuve et qu’à ce titre, elle doit opter pour le mécanisme d’obtention des preuves le plus simple et le moins contraignant. Il devrait selon moi en être de même s’agissant des modalités d’application du règlement no 1206/2001.

    V – Conclusion

    65.

    Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par le Hof van Cassatie:

    «Les articles 1er et 17 du règlement (CE) no 1206/2001 du Conseil, du 28 mai 2001, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale, doivent être interprétés en ce sens que lorsqu’une juridiction d’un État membre ordonne un acte d’instruction confié à un expert dont la mission doit être exécutée en partie sur le territoire de l’État membre dont elle relève et en partie dans un autre État membre, cette juridiction peut choisir de désigner l’expert, aux fins de procéder directement à cette dernière partie de sa mission, soit en faisant usage de la procédure d’exécution directe par la juridiction requérante qui est prévue audit article 17, soit sans appliquer les dispositions de ce règlement, pour autant que la réalisation de cette partie de l’expertise ne nécessite pas la coopération des autorités de l’État membre où elle doit avoir lieu.»


    ( 1 ) Langue originale: le français.

    ( 2 ) JO L 174, p. 1.

    ( 3 ) Dans les présentes conclusions, la notion d’«État membre» renverra aux États membres de l’Union européenne, à l’exception du Royaume de Danemark, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 1206/2001.

    ( 4 ) JO 2001, L 12, p. 1.

    ( 5 ) Voir, notamment, arrêts du 16 juin 2011, Gebr. Weber et Putz (C-65/09 et C-87/09, Rec. p. I-5257, points 35 et suiv.), ainsi que du 21 juin 2012, Susisalo e.a. (C‑84/11, points 16 et 17).

    ( 6 ) Point 10 du guide pratique pour l’application du règlement relatif à l’obtention des preuves, qui a été rédigé par les services de la Commission en consultation avec le réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale (ci-après le «guide pratique», document accessible sur Internet à l’adresse suivante: http://ec.europa.eu/civiljustice/evidence/evidence_ec_guide_fr.pdf).

    ( 7 ) La Cour a déjà été saisie de renvois préjudiciels concernant ce type de mesures. S’agissant de l’article 24 de la convention signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la «convention de Bruxelles»), voir arrêt du 28 avril 2005, St. Paul Dairy (C-104/03, Rec. p. I-3481, point 13), ainsi que conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans cette affaire (spécialement point 32, concernant les objectifs possibles de telles mesures au vu des législations des États membres). S’agissant du règlement no 1206/2001, voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance de radiation du 27 septembre 2007, Tedesco (C-175/06, Rec. p. I-7929, points 76 et suiv.).

    ( 8 ) Le seizième considérant du règlement no 44/2001 expose que «[l]a confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure».

    ( 9 ) Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 16 septembre 1988 (JO 1988, L 319, p. 9), telle que révisée par la convention signée à Lugano le 30 octobre 2007 [voir décision 2007/712/CE du Conseil, du 15 octobre 2007, relative à la signature de cette dernière au nom de la Communauté européenne (JO L 339, p. 1)], qui est entrée en vigueur le 1er mai 2011 et lie la Communauté, le Royaume de Danemark, la République d’Islande, le Royaume de Norvège et la Confédération suisse.

    ( 10 ) À cet égard, elle se fonde, par analogie, sur le rapport élaboré par M. P. Schlosser portant sur la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention de Bruxelles susmentionnée, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71, voir spécialement point 187), l’article 25 de cette convention étant équivalent audit article 32.

    ( 11 ) Voir, notamment, arrêts du 17 juillet 1997, Affish (C-183/95, Rec. p. I-4315, point 24), et du 14 décembre 2000, AMID (C-141/99, Rec. p. I-11619, point 18).

    ( 12 ) Au point 61 de ses conclusions dans l’affaire St. Paul Dairy, précitées, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer mentionne qu’«[e]n ce qui concerne l’éventuelle applicabilité résiduelle du règlement no 44/2001, le nouveau règlement [no 1206/2001] prévaut […] sur ce dernier, conformément au principe de la succession des règles juridiques (lex posterior derogat priori)».

    ( 13 ) Voir, par analogie, l’étude réalisée à la demande du Parlement européen intitulée «Interprétation de l’exception d’ordre public telle que prévue par les instruments du droit international privé et du droit procédural de l’Union européenne», Bruxelles, 2011, selon laquelle «il existe une tendance manifeste au référencement croisé entre les différents instruments en ce qui concerne l’interprétation des dispositions d’ordre public. […] Cependant, tout transfert nécessite des circonstances factuelles et juridiques sous-jacentes similaires», ce qui paraît ne pas être le cas s’agissant des règlements nos 44/2001 et 1206/2001 (disponible sur Internet à l’adresse suivante: http://www.europarl.europa.eu/studies, document 453.189, p. 14 et 137).

    ( 14 ) Dans son guide pratique susmentionné, la Commission a indiqué que cette notion «englobe entre autres les auditions de témoins, des parties ou d’experts, la production de documents, les vérifications, l’établissement des faits […]» (point 8 ainsi que, s’agissant des expertises, points 17, 37 et 55).

    ( 15 ) Cette absence de définition pose des problèmes en pratique, particulièrement en ce qui concerne les mesures d’expertise, selon le rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen sur l’application du règlement no 1206/2001 [COM(2007) 769 final, point 2.9].

    ( 16 ) Voir également, concernant cette fois le mécanisme de l’exécution indirecte des actes d’instruction, article 12, paragraphe 2, du règlement no 1206/2001.

    ( 17 ) Je rappelle que dans le litige au principal, la mesure d’expertise devant être effectuée principalement sur le territoire néerlandais a été ordonnée par une juridiction belge sur le fondement de l’article 962 du code judiciaire belge, qui prévoit que «[l]e juge peut, en vue de la solution d’un litige porté devant lui ou en cas de menace objective et actuelle d’un litige, charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d’ordre technique».

    ( 18 ) Arrêt du 6 septembre 2012 (C‑170/11).

    ( 19 ) Voir point 54 ainsi que les sources citées dans la note en bas de page 40 desdites conclusions.

    ( 20 ) Ainsi, en Italie, au Luxembourg et en Suède, cette participation active est refusée, selon la note du Conseil datée du 28 juillet 2000 faisant la synthèse des réponses données par les délégations des États membres au questionnaire concernant un éventuel instrument de l’Union visant à améliorer la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale (10651/00 JUSTCIV 85, p. 10, point 9).

    ( 21 ) Comme le rappelle le rapport de la Commission susmentionné [COM(2007) 769 final]. Voir, également, deuxième considérant du règlement no 1206/2001.

    ( 22 ) Pour un exposé de ces deux méthodes d’entraide judiciaire, voir, notamment, point 32 de mes conclusions dans l’affaire Lippens e.a., précitées.

    ( 23 ) Mots soulignés par mes soins.

    ( 24 ) Ces dispositions sont annoncées dans le quinzième considérant du règlement no 1206/2001.

    ( 25 ) Sur les attributions respectives desdits organisme central et autorité compétente, voir article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1206/2001.

    ( 26 ) Initiative de la République fédérale d’Allemagne en vue de l’adoption d’un règlement du Conseil relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile et commerciale (JO 2000, C 314, p. 1).

    ( 27 ) «En règle générale, un acte d’instruction ne peut pas être demandé si la juridiction d’un État membre souhaite qu’un expert procède à des enquêtes dans un autre État membre. Dans ce cas, l’expert peut être désigné directement par la juridiction de cet État membre, sans qu’une autorisation ou une information préalable de l’autre État membre soit nécessaire».

    ( 28 ) Cette disposition, contrairement à d’autres, n’a pas fait l’objet d’une proposition d’amendement par le Parlement dans son rapport du 27 février 2001 portant sur ladite proposition allemande, dont l’exposé des motifs expose seulement que cet «article premier, paragraphe 3, prévoit que le règlement n’est pas applicable si la juridiction d’un État membre souhaite qu’un expert procède à des enquêtes dans un autre État membre. Dans ce cas, l’expert peut être désigné directement par la juridiction, sans qu’aucune autorisation ne soit nécessaire» (document de séance final 298.394, A5-0073/2001, p. 10, point 1.3.1).

    ( 29 ) Avis du Comité économique et social publié le 11 mai 2001 (JO C 139, p. 10).

    ( 30 ) Avis du Parlement en lecture unique, rendu le 14 mars 2001 (A5-0073/2001, JO C 343, p. 184).

    ( 31 ) Le Conseil avait déjà prévu cette modification dans la version révisée du projet de règlement ayant été publiée le 16 mars 2001, sans explication sur les raisons de la suppression en question (6850/01 JUSTCIV 28, p. 7).

    ( 32 ) Précité.

    ( 33 ) Voir point 36 de mes conclusions précitées.

    ( 34 ) Conformément au paragraphe 2 dudit article 17.

    ( 35 ) La juridiction requérante peut alternativement recourir à la procédure d’exécution indirecte prévue aux articles 10 et suivants du règlement no 1206/2001 si elle ne tient pas absolument à procéder elle-même à l’acte d’instruction.

    ( 36 ) Selon l’étude relative à l’application du règlement no 1206/2001 réalisée en 2007 à la demande de la Commission (accessible sur Internet en langue anglaise à l’adresse: http://ec.europa.eu/civiljustice/publications/docs/final_report_ec_1206_2001_a_09032007.pdf), bien que l’article 17, paragraphe 3, dudit règlement permette de désigner un expert pour représenter la juridiction requérante, «when it comes to determining who can take evidence it should be borne in mind that in those cases where the presence of a judge is required, if the judge of the requesting State does not agree to travel to the other Member State, he will need to ask for the foreign court’s help» (p. 88, point 4.1.10.2).

    ( 37 ) Son accord pourrait être donné par l’intéressée sous la pression de la possibilité qu’une juridiction belge qui serait saisie du fond du litige au principal tire ensuite des conséquences négatives du manque de coopération de cette partie. Voir, par analogie, point 64 de mes conclusions dans l’affaire Lippens e.a., précitées.

    ( 38 ) D’autant plus qu’il existe un risque de chevauchement entre les enquêtes réalisées par un expert dans le cadre d’une procédure civile, comme en l’espèce, et celles effectuées par un organisme spécial qui sont prévues pour les accidents graves ou potentiellement graves aux articles 19 à 24 – surtout à l’article 20, paragraphe 2, sous a) – et à l’annexe V de la directive 2004/49/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la sécurité des chemins de fer communautaires et modifiant la directive 95/18/CE du Conseil concernant les licences des entreprises ferroviaires, ainsi que la directive 2001/14/CE concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (directive sur la sécurité ferroviaire) (JO L 164, p. 44).

    ( 39 ) Voir, également, le dix-septième considérant de ce même règlement.

    ( 40 ) Règlement du Parlement Européen et du Conseil, du 11 juillet 2007 (JO L 199, p. 1). Le vingtième considérant de ce règlement énonce aussi que «[l]a juridiction devrait retenir le moyen d’obtention des preuves le plus simple et le moins onéreux».

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