Affaire T-260/97

Camar Srl

contre

Conseil de l’Union européenne       et Commission des Communautés européennes

« Organisation commune des marchés — Bananes — Régime d’importation — Responsabilité non contractuelle de la Communauté — Évaluation du préjudice »

Arrêt du Tribunal (quatrième chambre) du 13 juillet 2005 

Sommaire de l’arrêt

1.     Responsabilité non contractuelle — Illégalité de la décision de la Commission portant rejet d’une demande de mesures transitoires — Préjudice — Réparation — Opérateurs privés illégalement de certificats d’importation — Reconstitution de la situation financière — Évaluation du préjudice au moyen de la valeur d’échange des certificats

(Art. 288 CE ; règlement du Conseil nº 404/93, art. 30)

2.     Responsabilité non contractuelle — Préjudice — Réparation — Prise en compte de l’érosion monétaire — Droit à la réévaluation monétaire — Dies ad quem pour le calcul de celle-ci — Droit à des intérêts moratoires — Dies a quo

(Art. 288 CE)

1.     La réparation d’un préjudice dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté doit en principe permettre que la personne lésée soit mise financièrement dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l’institution en cause s’était abstenue du comportement illégal constituant la source du préjudice.

Lorsque le préjudice consiste en l’attribution d’un nombre de certificats d’importation de bananes pays tiers et non traditionnelles ACP réduit par rapport à celui que l’opérateur concerné aurait reçu si la Commission n’avait pas illégalement refusé d’adopter à son égard des mesures transitoires au titre de l’article 30 du règlement nº 404/93, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, la détermination de ce préjudice implique, en premier lieu, la détermination du nombre de certificats d’importation supplémentaires qui auraient dû être attribués à celui-ci et, en second lieu, la reconstitution de la situation financière dans laquelle il se serait trouvé s’il avait reçu et exploité ces certificats.

À ce dernier égard, étant donné que, à l’époque où cet opérateur aurait dû en recevoir un nombre supplémentaire, lesdits certificats pouvaient non seulement être utilisés pour l’importation de bananes pays tiers ou non traditionnelles ACP dans la Communauté mais également être cédés à d’autres opérateurs, et qu’ils faisaient concrètement l’objet de transactions sur le marché, et même s’il est possible que ledit opérateur se soit trouvé dans une situation financière différente selon le choix qu’il aurait fait quant à l’exploitation concrète des certificats, il est loisible d’avoir recours, pour évaluer le préjudice, à la valeur d’échange de ceux-ci. En effet, cette valeur représente une donnée proprement commerciale, établie par les opérateurs économiques intéressés selon les lois de l’offre et de la demande, censée refléter, au moins d’une manière approximative, la valeur économique des certificats échangés.

(cf. points 72, 97, 99, 101, 107, 109, 116-117)

2.     Dès lors que sont remplies les conditions de la responsabilité extracontractuelle, les conséquences défavorables résultant du laps de temps qui s’est écoulé entre la survenance du fait dommageable et la date du paiement de l’indemnité ne sauraient être ignorées, dans la mesure où il y a lieu de tenir compte de l’érosion monétaire.

La date à laquelle le calcul de la réévaluation monétaire doit s’arrêter doit être appréciée en même temps que le moment à partir duquel il y a lieu de calculer les intérêts moratoires. En effet, le montant de l’indemnité due doit être assorti d’intérêts moratoires à compter de la date du prononcé de l’arrêt constatant l’obligation de réparer le préjudice. Néanmoins, dans la mesure où la créance principale, à la date du prononcé de cet arrêt, n’est ni certaine quant à son montant ni déterminable sur la base d’éléments objectifs établis, les intérêts moratoires ne sauraient courir à compter de cette date, mais seulement, en cas de retard et jusqu’à complet paiement, de la date du prononcé de l’arrêt portant liquidation du dommage.

(cf. points 138, 142-144)




ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

13 juillet 2005 (*)

« Organisation commune des marchés – Bananes – Régime d’importation – Responsabilité non contractuelle de la Communauté – Évaluation du préjudice »

Dans l’affaire T-260/97,

Camar Srl, établie à Florence (Italie), représentée par Mes W. Viscardini Donà, M. Paolin et S. Donà, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par MM. J. P. Hix et A. Tanca, puis par MM. Hix et F. Ruggeri Laderchi, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

et

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. H. van Vliet, puis par MM. C. Van der Hauwaert et L. Visaggio, en qualité d’agents, assistés de Me A. Dal Ferro, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties défenderesses,

soutenues par

République française, représentée par Mmes K. Rispal-Bellanger et C. Vasak, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet de déterminer le montant du préjudice que la Commission a été condamnée à payer à la requérante à la suite de l’annulation, par arrêt interlocutoire du Tribunal du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil (T-79/96, T-260/97 et T-117/98, Rec. p. II-2193), de la décision de la Commission du 17 juillet 1997 portant rejet d’une demande de mesures transitoires introduite par la requérante en vertu de l’article 30 du règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de MM. H. Legal, président, P. Mengozzi et Mme I. Wiszniewska-Białecka, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 février 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       Le règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1), a substitué un régime commun des échanges avec les pays tiers aux différents régimes nationaux antérieurs. Ce règlement prévoyait, dans la version en vigueur à l’époque des faits à l’origine de la présente affaire, l’ouverture d’un contingent tarifaire annuel pour les importations de bananes en provenance des pays tiers et en provenance des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Son article 15, devenu article 15 bis après sa modification par le règlement (CE) n° 3290/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif aux adaptations et aux mesures transitoires nécessaires dans le secteur de l’agriculture pour la mise en œuvre des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay (JO L 349, p. 105), établissait une distinction entre les bananes dites « traditionnelles ACP » et dites « non traditionnelles ACP », selon qu’elles relevaient, ou non, des quantités, telles qu’elles étaient fixées en annexe au règlement n° 404/93, exportées traditionnellement par les États ACP vers la Communauté.

2       L’article 17, premier alinéa, du règlement n° 404/93 prévoyait que toutes les importations de bananes dans la Communauté étaient soumises à la présentation d’un certificat d’importation.

3       L’article 18, paragraphe 1, du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 3290/94, précisait que, pour les importations de bananes de pays tiers autres que les pays ACP (ci-après les « bananes pays tiers ») et de bananes non traditionnelles ACP, un contingent tarifaire de 2,1 millions de tonnes (poids net) était ouvert pour l’année 1994 et de 2,2 millions de tonnes (poids net) pour les années suivantes. Dans le cadre de ce contingent tarifaire, les importations de bananes pays tiers étaient assujetties à la perception d’un droit de 75 écus par tonne et les importations de bananes non traditionnelles ACP à un droit nul. En outre, l’article 18, paragraphe 2, prévoyait que les importations effectuées en dehors du contingent, qu’il s’agisse d’importations non traditionnelles provenant des pays ACP ou des pays tiers, étaient soumises à un droit calculé sur la base du tarif douanier commun.

4       L’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 404/93, répartissait le contingent tarifaire ainsi ouvert en affectant 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes pays tiers et/ou des bananes non traditionnelles ACP (catégorie A), 30 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes communautaires et/ou des bananes traditionnelles ACP (catégorie B) et 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui avaient commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP à partir de 1992 (catégorie C).

5       Selon l’article 19, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 404/93, pour le second semestre de l’année 1993, chaque opérateur obtenait la délivrance de certificats d’importation sur la base de la moitié de la quantité moyenne annuelle commercialisée pendant les années 1989 à 1991.

6       L’article 30 du règlement n° 404/93 prévoyait :

« Si des mesures spécifiques sont nécessaires, à compter de juillet 1993, pour faciliter le passage des régimes existants avant l’entrée en vigueur du présent règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés sensibles, la Commission, selon la procédure prévue à l’article 27, prend toutes les mesures transitoires jugées nécessaires. »

7       L’article 27 du règlement n° 404/93 établissait une procédure dite « du comité de gestion ». L’article 20 du même règlement appelait la Commission à adopter les modalités du régime des échanges avec les pays tiers selon cette procédure.

8       Les modalités du régime des échanges avec les pays tiers étaient inscrites, à l’époque des faits à l’origine de la présente affaire, dans le règlement (CEE) n° 1442/93 de la Commission, du 10 juin 1993, portant modalités d’application du régime d’importation de bananes dans la Communauté (JO L 142, p. 6). Selon les articles 4 et 5 de ce règlement, la répartition du contingent tarifaire entre les opérateurs de la catégorie A (66,5 %) s’effectuait sur la base des quantités de bananes pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP commercialisées pendant les trois années antérieures à l’année précédant celle pour laquelle le contingent tarifaire était ouvert. La répartition du contingent entre les opérateurs de la catégorie B (30 %) était faite, quant à elle, sur la base des quantités de bananes communautaires ou traditionnelles ACP commercialisées au cours d’une période de référence déterminée de la même manière que pour la catégorie A.

9       En vertu des dispositions de l’article 19, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 404/93, ainsi que des articles 4 et 5 du règlement n° 1442/93, la période de référence se décalait, annuellement, d’un an. En conséquence, si pour les importations à réaliser en 1993, la période de référence comprenait les années 1989, 1990 et 1991, pour celles devant être effectuées en 1997 et en 1998, elle comprenait, respectivement, les années 1993, 1994 et 1995 et les années 1994, 1995 et 1996.

10     En outre, conformément à l’article 13 du règlement n° 1442/93, les opérateurs des catégories A ou B pouvaient, pendant la durée de validité des certificats d’importation qui leur étaient délivrés en cette qualité, céder les droits découlant de ces certificats à des opérateurs des catégories A, B ou C.

11     Le régime établi par le règlement n° 404/93 et par le règlement n° 1442/93 est désigné ci-après comme le « régime de 1993 ».

12     Le règlement (CE) n° 1637/98 du Conseil, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement n° 404/93 (JO L 210, p. 28), applicable à partir du 1er  janvier 1999, a abrogé l’article 15 bis et a modifié les articles 16 à 20 du règlement n° 404/93.

13     L’article 18 du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, ouvrait, en sus du contingent tarifaire de 2,2 millions de tonnes, consolidé dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (paragraphe 1), un contingent tarifaire additionnel pour les importations de bananes pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP (paragraphe 2).

14     L’article 19, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, prévoyait que désormais « [l]a gestion des contingents tarifaires visés à l’article 18, paragraphes 1 et 2, et des importations de bananes traditionnelles ACP s’effectue[rait] par l’application de la méthode fondée sur la prise en compte des courants d’échanges traditionnels (selon la méthode dite ‘traditionnels/nouveaux arrivés’) ».

15     L’article 20 du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, chargeait la Commission d’arrêter les modalités d’application du nouveau régime d’importation, lesquelles devaient comporter notamment, en vertu du même article, sous d), « les mesures spécifiques nécessaires pour faciliter le passage du régime d’importation applicable à compter du 1er  juillet 1993 au [nouveau] régime ».

16     Sur la base de cet article 20, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 2362/98, du 28 octobre 1998, portant modalités d’application du règlement n° 404/93 en ce qui concerne le régime d’importation de bananes dans la Communauté (JO L 293, p. 32), lequel a remplacé, à compter du 1er  janvier 1999, le règlement n° 1442/93.

17     L’article 3, premier alinéa, du règlement n° 2362/98 définissait les opérateurs traditionnels dans les termes suivants :

« Aux fins du présent règlement, on entend par ‘opérateur traditionnel’ l’agent économique, établi dans la Communauté pendant la période qui détermine sa quantité de référence, ainsi que lors de son enregistrement en application de l’article 5, qui pour son propre compte, a importé effectivement pendant une période de référence, une quantité minimale de bananes originaires des États tiers et/ou des États ACP en vue d’une mise en vente ultérieure sur le marché communautaire. »

18     L’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2362/98 prévoyait que « [c]haque opérateur traditionnel, enregistré dans un État membre conformément à l’article 5, [obtenait], pour chaque année, pour l’ensemble des origines mentionnées à l’annexe I [pays tiers et États ACP], une quantité de référence unique déterminée en fonction des quantités de bananes qu’il a[vait] effectivement importées pendant la période de référence ». L’article 4, paragraphe 2, précisait que, pour les importations à réaliser en 1999 dans le cadre des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP, la période de référence était constituée par les années 1994, 1995 et 1996.

19     Le régime établi par les modifications introduites par le règlement n° 1637/98 et par le règlement n° 2362/98 est désigné ci-après comme le « régime de 1999 ».

20     Sous le régime de 1999, le recours aux quantités de référence notifiées aux opérateurs traditionnels pour l’année 1999 a été successivement confirmé, jusqu’au 30 juin 2001, par le règlement (CE) n° 2268/1999 de la Commission, du 27 octobre 1999, relatif à l’importation de bananes dans le cadre des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP, pour le premier trimestre 2000 (JO L 277, p. 10), le règlement (CE) n° 250/2000 de la Commission, du 1er  février 2000, relatif à l’importation de bananes dans le cadre des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP, et fixant les quantités indicatives pour le deuxième trimestre de l’année 2000 (JO L 26, p. 6), le règlement (CE) n° 1077/2000 de la Commission, du 22 mai 2000, portant fixation de certaines quantités indicatives et de plafonds individuels pour la délivrance de certificats à l’importation de bananes dans la Communauté pour le troisième trimestre de l’année 2000, dans le cadre des contingents tarifaires et de la quantité de bananes traditionnelles ACP (JO L 121, p. 4), le règlement (CE) n° 1637/2000 de la Commission, du 25 juillet 2000, portant fixation de quantités à l’importation de bananes dans la Communauté pour le quatrième trimestre de l’année 2000, dans le cadre des contingents tarifaires et de la quantité de bananes traditionnelles ACP (JO L 187, p. 36), le règlement (CE) n° 2599/2000 de la Commission, du 28 novembre 2000, portant fixation de certaines quantités indicatives et de plafonds individuels pour la délivrance de certificats à l’importation de bananes dans la Communauté pour le premier trimestre de l’année 2001, dans le cadre des contingents tarifaires et de la quantité de bananes traditionnelles ACP (JO L 300, p. 8), et enfin le règlement (CE) n° 395/2001 de la Commission, du 27 février 2001, portant fixation de certaines quantités indicatives et de plafonds individuels pour la délivrance de certificats à l’importation de bananes dans la Communauté pour le deuxième trimestre de l’année 2001 dans le cadre des contingents tarifaires et de la quantité de bananes traditionnelles ACP (JO L 58, p. 11).

21     Le régime d’importation de bananes dans la Communauté a été ultérieurement modifié, à compter du 1er juillet 2001, à la suite de l’adoption du règlement (CE) n° 216/2001 du Conseil, du 29 janvier 2001, modifiant le règlement n° 404/93 (JO L 31, p. 2), dont notamment ses articles 16 à 20, et de l’adoption du règlement (CE) n° 896/2001 de la Commission, du 7 mai 2001, portant modalités d’application du règlement n° 404/93 en ce qui concerne le régime d’importation de bananes dans la Communauté (JO L 126, p. 6). Le régime établi par les modifications introduites par le règlement n° 216/2001 et par le règlement n° 896/2001 est désigné ci-après comme le « régime de 2001 ».

 Procédure et conclusions des parties

22     Par arrêt du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil (T‑79/96, T‑260/97 et T‑117/98, Rec. p. II‑2193, ci-après l’« arrêt du 8 juin 2000 »), rendu notamment dans la présente affaire, le Tribunal a annulé la décision de la Commission du 17 juillet 1997, portant rejet de la demande du 21 janvier 1997 introduite par la requérante sur la base de l’article 30 du règlement n° 404/93, et condamné la Commission à réparer le préjudice subi par la requérante du fait de cette décision.

23     Le Tribunal a en outre condamné la Commission et le Conseil à supporter respectivement 90 et 10 % des dépens de l’affaire T‑260/97 et la République française, en tant que partie intervenante, à supporter ses propres dépens.

24     Selon le point 5 du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, les parties devaient transmettre au Tribunal, dans un délai de six mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt, les montants à payer, établis d’un commun accord, ou, à défaut d’accord, faire parvenir au Tribunal, dans le même délai, leurs conclusions chiffrées.

25     Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 août 2000, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt du 8 juin 2000 (affaire C‑312/00 P).

26     En application de l’article 77, sous b), du règlement de procédure du Tribunal, celui-ci a décidé, par ordonnance du 7 février 2001, de suspendre la procédure dans l’affaire T-260/97 jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C-312/00 P.

27     Par arrêt du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico (C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355), la Cour a rejeté le pourvoi pour autant qu’il était dirigé contre la partie de l’arrêt du 8 juin 2000 relative à l’affaire T‑260/97.

28     Par lettre du greffe du Tribunal du 9 janvier 2003, les parties ont été informées de la reprise de la procédure dans l’affaire T-260/97 et du fait que le délai de six mois prévu au point 5 du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000 avait recommencé à courir et arriverait à expiration le 10 juin 2003.

29     La requérante et la Commission ont ainsi engagé des négociations en vue de l’évaluation du préjudice. N’étant pas parvenues à un accord dans le délai imparti, elles ont déposé au greffe du Tribunal leurs propositions pour l’évaluation du préjudice le 10 juin 2003.

30     La requérante a présenté ses observations sur la proposition de la Commission le 18 juillet 2003, et cette dernière a ultérieurement formulé ses observations sur la proposition ainsi que sur les observations de la requérante le 5 septembre 2003.

31     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé par écrit des questions à la requérante et à la Commission, qui ont déféré à cette invitation dans le délai imparti.

32     La requérante et la Commission ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 24 février 2005.

33     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       constater la justesse des montants auxquels la requérante a évalué le préjudice subi, soit, hors intérêts, 2 771 132 euros pour 1997, 2 253 060 euros pour 1998, 7 190 000 euros pour 1999, 7 190 000 euros pour 2000 et 4 399 200 euros pour le premier semestre 2001 ;

–       condamner la Commission à régler intégralement la somme correspondant à ces montants ainsi qu’aux montants dus au titre de la réévaluation monétaire et des intérêts moratoires calculés selon les critères suggérés par la requérante ou selon tout autre critère éventuel que le Tribunal jugerait plus approprié ;

–       condamner la Commission aux dépens résultant de cette nouvelle phase de la procédure.

34     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal déterminer les montants à payer à la requérante selon les indications suivantes :

–       la réparation est due pour la période comprise entre le 1er  janvier 1997 et le 31 décembre 1998 ;

–       la période à prendre en considération pour le calcul de la quantité de référence de la requérante correspond aux années 1989 et 1990 ;

–       le montant de l’indemnité doit être calculé sur la base du manque à gagner constitué par la différence entre les revenus que la requérante aurait tirés du commerce des bananes pendant la période comprise entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 1998, si la Commission avait répondu favorablement à sa demande de mesures transitoires du 21 janvier 1997, et les revenus effectifs tirés de ce commerce pendant la période considérée, majorés de ceux qu’elle a tirés ou aurait pu tirer pendant cette même période d’éventuelles activités de remplacement ;

–       les quantités de bananes supplémentaires que la requérante aurait pu commercialiser, si la Commission avait répondu favorablement à sa demande de mesures transitoires du 21 janvier 1997, s’élèvent à 13 855,66 tonnes pour 1997 et à 11 265,30 tonnes pour 1998 ;

–       le montant de l’indemnité ainsi obtenu sera réévalué suivant les indices officiels disponibles pour l’Italie et applicables à la période considérée ; à ce montant réévalué seront ajoutés les intérêts moratoires à compter de la date du prononcé de l’arrêt du 8 juin 2000 jusqu’à la date du paiement, intérêts calculés sur la base du taux légal en vigueur en Italie.

 En droit

 Remarques liminaires

35     À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, par lettre du 21 janvier 1997, la requérante avait demandé à la Commission, sur la base de l’article 175 du traité CE (devenu article 232 CE), que, en application de l’article 30 du règlement n° 404/93, les certificats d’importation de bananes pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP devant lui être attribués en tant qu’opérateur de catégorie B pour l’année 1997 et pour les années suivantes, jusqu’au rétablissement de ses quantités de référence normales, soient déterminés sur la base des quantités de bananes commercialisées au cours des années 1988, 1989 et 1990.

36     Ainsi qu’il résulte du point 208 de l’arrêt du 8 juin 2000, le dommage à réparer consiste en l’attribution à la requérante d’un nombre de certificats d’importation réduit par rapport à celui qu’elle aurait obtenu si l’article 30 du règlement n° 404/93 avait été correctement appliqué.

37     Or, si la requérante et la Commission s’accordent sur les années à prendre en considération pour calculer la quantité de référence de la requérante devant intervenir dans le calcul du nombre de certificats d’importation qu’elle aurait dû obtenir en plus, elles s’opposent, en revanche, en ce qui concerne trois points principaux :

–       la période pour laquelle le préjudice doit être indemnisé ;

–       les critères généraux à retenir pour l’évaluation du préjudice ;

–       les critères de prise en compte de l’érosion monétaire et des intérêts moratoires.

 Sur les années à prendre en considération pour calculer la quantité de référence

 Arguments des parties

38     La Commission indique que la période à prendre en considération pour le calcul de la quantité de référence de la requérante, c’est-à-dire la période de référence, devrait en principe comprendre les trois années précédant l’entrée en vigueur de l’organisation commune des marchés, instituée par le règlement n° 404/93, pour lesquelles des données étaient disponibles, c’est-à-dire les années 1989 à 1991. Cependant, le déclenchement de la guerre civile en Somalie justifierait qu’il ne soit pas tenu compte, à l’égard de la requérante, de l’année 1991. Elle souligne que la période restante, recouvrant les années 1989 et 1990, peut être définie comme une période d’activité normale pour la requérante, laquelle aurait en effet reconnu que l’année 1988 avait été caractérisée par une importante augmentation de ses importations par rapport à la moyenne de ses importations. La période à retenir comme période de référence recouvrirait donc les années 1989 et 1990.

39     La requérante accepte de se référer, aux fins de l’évaluation du préjudice à réparer, à la période de référence indiquée par la Commission, au lieu de la période triennale allant de 1988 à 1990 visée par sa demande au titre de l’article 30 du règlement n° 404/93.

 Appréciation du Tribunal

40     Dans son arrêt du 8 juin 2000, le Tribunal, tout en constatant que le refus de la Commission d’adopter des mesures transitoires pour faire face aux difficultés rencontrées par la requérante était illégal, n’a pas indiqué que la Commission se devait, en particulier, de tenir compte à l’égard de la requérante précisément de la période allant de 1988 à 1990 en tant que période de référence aux fins du calcul du nombre de certificats d’importation devant être attribués à celle-ci en tant qu’opérateur de catégorie B.

41     Compte tenu, d’une part, de ce que rien, dans la réglementation pertinente, n’impose que, dans un cas de rigueur comme celui de l’espèce, la période de référence soit nécessairement redéfinie par rapport à une période triennale et, d’autre part, du fait que la requérante accepte l’exclusion de l’année 1988, l’approche convenue par les parties peut être approuvée. La période par rapport à laquelle doit être calculée la quantité de référence de la requérante aux fins de l’évaluation du préjudice recouvre ainsi les deux années 1989 et 1990.

 Sur la période pour laquelle le préjudice doit être indemnisé

42     La requérante estime que la période concernée par le préjudice subi du fait du rejet de sa demande de mesures transitoires est la période allant du 1er janvier 1997 au 30 juin 2001.

43     La requérante fait valoir que, sous le régime de 1999, en dépit de la suppression de la distinction entre les certificats de catégorie A et B, l’obtention de certificats d’importation de bananes pays tiers était, comme sous le régime précédent, fonction notamment des quantités de bananes traditionnelles ACP importées au cours de la période de référence. Elle souligne, en effet, que les bananes traditionnelles ACP étaient prises en compte, parmi les bananes de toutes les origines, aux fins de la détermination de la quantité de référence unique établie par le règlement n° 2362/98, laquelle était toujours calculée sur la base de la période de référence recouvrant les années 1994 à 1996.

44     En outre, le fait que la requérante, dans sa demande du 21 janvier 1997 adressée à la Commission, se soit référée aux certificats de catégorie B n’empêcherait nullement de conclure à l’existence d’un préjudice devant être réparé par la Commission également pour la période postérieure au 31 décembre 1998. En effet, la requérante fait observer que si, dans cette demande, elle avait mentionné les certificats de catégorie B, c’était seulement pour caractériser les certificats qui étaient attribués sur la base d’une quantité de référence constituée d’importations de bananes traditionnelles ACP. Par son action ayant abouti à l’arrêt du 8 juin 2000, elle aurait visé à obtenir une adaptation de ses quantités de référence, ce que le Tribunal aurait reconnu au point 194, troisième à cinquième phrases, dudit arrêt.

45     Le préjudice doit dès lors être indemnisé, selon la requérante, pour toutes les années au cours desquelles, sur le fondement de la législation communautaire, elle aurait pu se prévaloir, en tant qu’opérateur traditionnel de bananes ACP, de ses quantités de référence normales, c’est-à-dire jusqu’au 1er juillet 2001, date d’entrée en vigueur du régime de 2001. Ce régime aurait établi de nouveaux critères de calcul des quantités de référence servant à l’attribution de certificats d’importation de bananes pays tiers ou non traditionnelles ACP ayant pour effet que, pour un opérateur comme la requérante, ce calcul devrait désormais être effectué sur la base des seules importations réalisées, pendant la période de référence, en tant qu’opérateur de catégorie A.

46     La requérante précise, par ailleurs, que, aux fins de l’évaluation du préjudice pour ce qui concerne les années 1999 et 2000 et le premier semestre 2001, il faudrait tenir compte des importations qu’elle aurait pu effectuer de 1994 à 1996, si la Commission avait pris les mesures nécessaires pour lui permettre de remplacer les bananes somaliennes qui n’étaient plus disponibles à cette époque.

47     La Commission estime que la période pour laquelle la requérante a droit à la réparation du préjudice doit être limitée à la période allant du 1er  janvier 1997 au 31 décembre 1998.

48     Elle rappelle que le préjudice à réparer est celui qui découle de son refus d’octroyer à la requérante, conformément à l’article 30 du règlement n° 404/93, un nombre plus important de certificats d’importation de catégorie B, calculé sur la base des importations de bananes effectuées par la requérante avant la guerre civile en Somalie.

49     Or, la Commission fait observer que le 1er janvier 1999 est entrée en vigueur une importante réforme du régime des échanges prévu dans le cadre de l’organisation commune des marchés de la banane qui a notamment supprimé la répartition des importateurs dans les catégories A, B et C et instauré une gestion commune des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP. Elle souligne que, sous le régime de 1999, la requérante n’a jamais demandé de disposition de faveur particulière, alors que les mesures demandées sous le régime précédent, ayant expiré le 31 décembre 1998, n’auraient pas pu avoir d’effet sous le nouveau régime.

50     La Commission fait remarquer que, à partir du 1er janvier 1999, la base juridique des mesures demandées par la requérante a elle-même changé. En effet, si la requérante estimait se trouver dans une situation particulièrement défavorable, elle aurait dû demander à nouveau à la Commission d’adopter des mesures appropriées sur la base, cette fois, du nouvel article 20, sous d), du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98.

 Appréciation du Tribunal

51     Il convient de constater que la Commission reconnaît être tenue de réparer le préjudice que la requérante a subi en 1997 et en 1998 du fait de son refus de faire droit à la demande du 21 janvier 1997. En revanche, la Commission conteste la prétention de la requérante de voir imputer à ce refus le préjudice que cette dernière allègue avoir subi pour la période pendant laquelle le régime de 1999 a été en vigueur, à savoir celle allant du 1er janvier 1999 au 30 juin 2001.

52     Cette prétention de la requérante ne saurait être retenue.

53     Il est vrai que la demande de la requérante du 21 janvier 1997 peut être interprétée en ce sens qu’elle visait, en substance, à obtenir une mesure autorisant les autorités nationales compétentes à établir la quantité de référence servant de base pour l’attribution à la requérante, en tant qu’opérateur de catégorie B, de certificats d’importation de bananes pays tiers ou non traditionnelles ACP, en tenant compte des quantités de bananes traditionnelles ACP commercialisées au cours d’une période de référence autre que celle découlant de la réglementation applicable.

54     Il résulte, notamment, de ladite demande que la substitution de la période de référence allant de 1993 à 1995 servant sous le régime de 1993 à l’attribution de certificats d’importation en 1997 se justifiait, aux fins de l’attribution à la requérante de certificats d’importation de bananes pays tiers ou non traditionnelles ACP, au regard du niveau anormalement bas des importations de bananes traditionnelles ACP effectuées par la requérante au cours de cette même période, dû à l’effet combiné de la guerre civile ayant éclaté en Somalie et de l’institution de l’organisation commune des marchés.

55     La requérante demandait que l’on tienne compte des années 1988 à 1990, en tant que période de référence, « jusqu’au rétablissement de ses quantités de référence normales », ce qui signifie, dans le contexte de ladite demande, jusqu’à ce que, par effet du décalage annuel prévu par la réglementation en vigueur (voir les points 8 et 9 ci-dessus), la période de référence ne comprenne que des années non caractérisées par les difficultés d’approvisionnement en bananes traditionnelles ACP à l’origine de la demande de la requérante.

56     Ainsi, les mesures que la Commission aurait dû adopter pour faire droit à ladite demande auraient dû permettre également pour l’année 1998 de prendre en compte les quantités de bananes traditionnelles ACP commercialisées par la requérante au cours de la période proposée par celle-ci, aux fins du calcul du nombre de certificats d’importation de catégorie B devant lui être attribués. En effet, pour cette année-là, la période de référence pertinente au titre du règlement n° 1442/93 (1994 à 1996) continuait à comprendre – ainsi que le Tribunal l’a expressément constaté au point 148, in fine, de l’arrêt du 8 juin 2000 – des années au cours desquelles la requérante avait subi lesdites difficultés d’approvisionnement.

57     Si le régime de 1993 avait perduré jusqu’en 1999, les mesures que la Commission aurait dû adopter pour faire droit à la demande de la requérante auraient permis la même substitution de période de référence également pour l’année 1999, étant donné que la période de référence issue des règlements n° 404/93 et n° 1442/93, décalée d’une année supplémentaire (1995 à 1997), aurait encore couvert des années (1995 et 1996) affectées par les difficultés en question.

58     Cependant, le régime de 1993 a été réformé à compter du 1er  janvier 1999. Or, il y a lieu de constater que cette réforme était de nature à faire cesser, au 31 décembre 1998, les effets des mesures que la Commission aurait dû adopter pour faire droit à la demande de la requérante du 21 janvier 1997.

59     Une telle conclusion ne saurait toutefois s’appuyer, comme le prétend la Commission, sur la raison d’ordre formel de l’introduction, par l’article 20, sous d), du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, d’une nouvelle base juridique pour l’adoption de mesures transitoires.

60     En effet, la situation de la requérante ne relève pas de l’article 20, sous d), susvisé, dans la mesure où le cas de rigueur excessive invoqué par celle-ci, à savoir ses difficultés d’approvisionnement en bananes traditionnelles ACP éprouvées au cours de la période allant de 1994 à 1996, n’est pas lié au passage du régime de 1993 à celui de 1999. En revanche, tout en étant connexe à la guerre civile survenue en Somalie à la fin de l’année 1990, il était une conséquence directe de la mise en place de l’organisation commune des marchés, dès lors que le régime de 1993 a, en fait, entraîné pour la requérante une diminution objective importante de la possibilité, offerte par le régime italien antérieur, de remplacer l’offre déficiente de bananes somaliennes par, notamment, d’autres bananes traditionnelles ACP (arrêt du 8 juin 2000, points 140 à 143). Découlant du passage des régimes nationaux au régime de 1993, ces difficultés relevaient donc encore, sous le régime de 1999, de l’article 30 du règlement n° 404/93, lequel n’a été ni abrogé ni modifié par le règlement n° 1637/98.

61     Les raisons qui s’opposent à ce que les mesures que la Commission aurait dû adopter pour faire droit à la demande du 21 janvier 1997 puissent perdurer au-delà du 31 décembre 1998 sont d’ordre substantiel et ont trait aux caractéristiques qui distinguent fondamentalement, au regard de l’objet de ladite demande, le régime de 1999 de celui de 1993.

62     Conformément au considérant 5 du règlement n° 2362/98, « une gestion commune des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP » était appropriée pour favoriser une évolution du commerce international et une plus grande fluidité des échanges et pour éviter des différenciations injustifiées. Ainsi, selon ledit considérant, les opérateurs traditionnels et les nouveaux arrivés devaient « être définis selon des critères uniques quels que soient les pays tiers ou ACP dont ils import[ai]ent », les droits des opérateurs traditionnels devaient « être déterminés sur la base d’importations effectives quelles que soient les origines et les sources d’approvisionnement » et devaient « conférer la possibilité d’importer de toutes les origines », cette même approche devant « se traduire dans le mode de gestion périodique des importations sans différenciation tenant aux origines des importations ».

63     Par conséquent, le régime de 1999 a supprimé la distinction qui était faite à l’article 19 du règlement n° 404/93, aux fins de la répartition du contingent tarifaire, entre opérateurs (et certificats) de catégorie A, B et C. Le régime de 1999 distinguait seulement les opérateurs dits traditionnels (voir point 17 ci‑dessus), tels que la requérante, des opérateurs nouveaux arrivés.

64     En outre, si, sous le régime de 1993, les quantités de référence étaient calculées pour les opérateurs de catégorie A, sur la base des quantités de bananes pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP commercialisées pendant une période de référence et, pour les opérateurs de la catégorie B, sur la base des quantités de bananes communautaires ou traditionnelles ACP commercialisées au cours de la même période de référence (voir point 8 ci-dessus), sous le régime de 1999, une « quantité de référence unique », établie par l’article 4 du règlement n° 2362/98 (voir point 18 ci-dessus), était calculée en tenant compte des importations dans la Communauté de toutes les origines, à savoir, de bananes traditionnelles et non traditionnelles ACP ainsi que de bananes pays tiers (annexe I du règlement n° 2362/98), effectuées par l’opérateur concerné pendant une période de référence.

65     Il est vrai que, en dépit de la suppression des catégories d’opérateurs et de certificats A, B et C, ainsi que de l’établissement d’une quantité de référence unique, les importations de bananes traditionnelles ACP effectuées pendant la période de référence continuaient à influencer, également sous le régime de 1999, le nombre de certificats pouvant être attribués à la requérante pour l’importation de bananes pays tiers et non traditionnelles ACP. Il est tout aussi vrai que la période de référence est restée fixée, pendant toute la durée du régime de 1999, aux années 1994 à 1996 (voir points  18 et 20 ci‑dessus), à savoir la même période triennale qui constituait la période de référence durant l’année 1998, dernière année du régime de 1993, et qui, à cause des difficultés d’approvisionnement découlant de la guerre civile somalienne et de l’instauration de l’organisation commune des marchés, n’était pas représentative du niveau normal d’activité de la requérante dans le domaine des bananes traditionnelles ACP.

66     Cependant, à supposer même qu’elle n’ait pas été totalement inconciliable avec les modalités de fonctionnement du régime de 1999, une prise en compte, aux fins de la fixation de la quantité de référence unique de la requérante, des années 1989 et 1990 au lieu de la période allant de 1994 à 1996, pour la seule composante de ladite quantité constituée par les importations de bananes traditionnelles ACP, n’aurait pas pu découler, sous le régime de 1999, des mesures que la Commission aurait dû prendre sous le régime de 1993 pour accueillir la demande de la requérante du 21 janvier 1997.

67     En effet, force est de constater que, sous le régime de 1993, les importations de bananes traditionnelles ACP effectuées par un opérateur pendant la période de référence ouvraient droit à la participation de celui-ci à la répartition d’une partie bien délimitée (30 %) du contingent tarifaire. C’est dans ce contexte que la substitution de la période de référence sollicitée par la demande de la requérante du 21 janvier 1997 avait vocation à opérer.

68     Or, sous le régime de 1999, les quantités de référence en bananes traditionnelles ACP ne servaient plus, comme c’était le cas sous le régime de 1993, pour calculer le nombre de certificats d’importation de bananes pays tiers ou non traditionnelles ACP à attribuer dans le cadre de la réserve de 30 % du contingent tarifaire allouée aux opérateurs de catégorie B, mais elles contribuaient à constituer la quantité de référence unique utilisée, d’une manière plus générale, pour calculer le nombre de certificats à attribuer aux opérateurs pour l’importation de toutes les origines dans le cadre d’une gestion commune des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP. Conformément au considérant 5 du règlement n° 2362/98, sous le régime de 1999, les droits des opérateurs traditionnels non seulement devaient « être déterminés sur la base d’importations effectives quelles que soient les origines et les sources d’approvisionnement », mais ils devaient également « conférer la possibilité d’importer de toutes les origines ».

69     Dès lors, sous le régime de 1999, les quantités de bananes traditionnelles ACP importées pendant la période de référence n’influençaient pas seulement, comme c’était le cas sous le régime de 1993, le concours des opérateurs à la répartition d’une partie bien délimitée du contingent tarifaire, mais à la répartition de la totalité des contingents tarifaires et, de surcroît, à la répartition des certificats d’importation de bananes traditionnelles ACP (articles 3, 4 et 6 du règlement n° 2362/98), alors que, sous le régime de 1993, l’importation de bananes traditionnelles ACP n’était pas conditionnée par la détention d’une quantité de référence (articles 14 à 16 du règlement n° 1442/93).

70     Ces modifications fondamentales des conditions d’accès aux bananes pays tiers ou non traditionnelles ACP et, surtout, aux bananes traditionnelles ACP marquent une discontinuité évidente entre le régime de 1993 et le régime de 1999 au regard de l’objet de la demande de la requérante du 21 janvier 1997. La thèse de la requérante selon laquelle, si les certificats de catégorie B n’existaient plus sous le régime de 1999, le mécanisme d’attribution de certificats de bananes pays tiers ou non traditionnelles ACP a continué à exister et était essentiellement le même que celui en vigueur sous le régime de 1993, est donc erronée.

71     Les mesures que la Commission aurait dû adopter pour faire droit à la demande de la requérante du 21 janvier 1997 ne pouvaient, ainsi, pas déployer leurs effets au-delà du 31 décembre 1998. Une substitution, dans le cadre du régime de 1999, de la période de référence pour la seule composante de la quantité de référence unique constituée par les importations de bananes traditionnelles ACP aurait une portée fort différente et beaucoup plus importante que celle des mesures qui étaient demandées par la requérante. Une telle substitution, à la supposer admissible dans le contexte de l’application du régime de 1999, n’aurait pu que faire l’objet d’une nouvelle décision de la Commission qu’il incombait à la requérante de solliciter par une nouvelle demande devant être introduite à la lumière des modalités spécifiques dudit régime.

72     Il s’ensuit que le préjudice que la Commission est tenue de réparer en l’espèce est celui découlant de l’attribution à la requérante, pour les seules années 1997 et 1998, d’un nombre de certificats d’importation de bananes pays tiers et non traditionnelles ACP réduit par rapport à celui qu’elle aurait obtenu pour ces mêmes années si la Commission avait accueilli sa demande du 21 janvier 1997 en autorisant, en application de l’article 30 du règlement n° 404/93, la prise en compte des années 1989 et 1990 comme période de référence.

73     Une telle conclusion s’impose d’autant plus si l’on considère que, conformément à la jurisprudence, la possibilité pour les particuliers d’invoquer un préjudice futur dans le cadre d’une action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre la Communauté ne porte que sur un préjudice imminent et prévisible avec une certitude suffisante sur la base de la situation matérielle et réglementaire existante (arrêt de la Cour du 2 juin 1976, Kampffmeyer e.a./Conseil et Commission, 56/74 à 60/74, Rec. p. 711, points 6 à 8).

74     Dans ces conditions, la demande en indemnité introduite par la requérante dans la présente affaire ne pouvait avoir pour objet que la réparation du préjudice susceptible de se produire, en conséquence de la décision de la Commission du 17 juillet 1997, sur la base de la réglementation existante à l’époque de l’introduction de la demande, à savoir le régime de 1993. Or, le prétendu préjudice dont la requérante demande réparation pour la période allant du 1er janvier 1999 au 30 juin 2001 ne résulterait pas, en tout état de cause, de cette réglementation, mais d’une réglementation substantiellement différente adoptée postérieurement à l’introduction du recours et dont les caractéristiques n’étaient aucunement prévisibles au moment de l’introduction du recours.

 Sur les critères généraux à retenir pour l’évaluation du préjudice

 Arguments des parties

75     La requérante estime que le Tribunal, notamment aux points 194, 195 et 211 de son arrêt du 8 juin 2000, a déjà clairement indiqué le critère pour calculer les montants dus au titre de la réparation des dommages, notamment en se référant au critère proposé par la requérante elle‑même, à savoir la valeur d’échange des certificats d’importation non attribués, estimée à 200 euros par tonne dans une déclaration des services de la Commission au groupe de travail « Bananes » des 9 et 10 février 1998 du comité spécial « Agriculture » du Conseil. Par conséquent, selon la requérante, le préjudice doit être calculé en multipliant 200 euros par le nombre de tonnes représentées par les certificats qu’elle a reçus en moins par rapport à ceux qu’elle aurait dû obtenir si la période de référence retenue avait été la période précédant la guerre civile, au lieu des années 1993 à 1995 pour les importations à effectuer en 1997 et des années 1994 à 1996 pour les importations à effectuer au cours des années suivantes.

76     La requérante souligne que le Tribunal ne peut pas condamner une partie à réparer un préjudice si celui-ci n’est pas réel et s’il n’est pas déjà certain dans son principe et dans son quantum au moment de la condamnation (voir arrêt du Tribunal du 2 juillet 2003, Hameico Stuttgart e.a./Conseil et Commission, T‑99/98, Rec. p. II‑2195, point 67, et la jurisprudence citée), en ce sens que ce préjudice peut au moins être évalué avec exactitude selon des critères déjà établis. Or, la Commission, prétendant que le Tribunal n’a pas établi ces critères dans son arrêt du 8 juin 2000, voudrait à tort faire croire que le préjudice est non seulement indéterminé mais encore incertain.

77     La requérante fait remarquer que, si le Tribunal, dans son arrêt du 8 juin 2000, n’a pas expressément examiné le bien-fondé du critère de la valeur d’échange des certificats, qu’elle a proposé, il n’a pas non plus jugé ce critère infondé ou inapproprié pour chiffrer le préjudice. Si tel avait été le cas, il se serait abstenu d’affirmer, au point 195 dudit arrêt, qu’un tel critère permettait de prévoir l’étendue du préjudice « avec une certitude suffisante » et d’inviter les parties, au point 211, « à rechercher un accord, à la lumière [de cet] arrêt, sur le montant de l’indemnisation de l’intégralité du dommage allégué ».

78     En outre, la requérante met en exergue que, dans son mémoire en duplique présenté dans le cadre de la procédure principale, la Commission aurait pu contester le critère proposé par la requérante, mais qu’elle ne l’a pas fait. Par conséquent, la Commission ne pourrait plus remettre en cause ce critère.

79     En tout état de cause, la requérante affirme que la valeur d’échange des certificats est une donnée fondée et fiable pour chiffrer le préjudice en l’espèce. Elle rappelle, en effet, que le caractère cessible des certificats d’importation de bananes est expressément prévu par la réglementation communautaire depuis le début du régime de 1993 (article 20 du règlement n° 1442/93) et que les certificats de catégorie B étaient précisément ceux qui faisaient l’objet d’échanges, puisque, conformément à l’article 13, paragraphe 3, du règlement n° 1442/93, leur cession n’impliquait aucune réduction des quantités de référence du titulaire et permettait de compléter les faibles marges bénéficiaires permises par le commerce de bananes ACP. À cet égard, la requérante renvoie au point 86 de l’arrêt de la Cour du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C‑280/93, Rec. p. I‑4973). Le prix de cession des certificats représenterait donc une recette certaine et, plus particulièrement, un bénéfice minimal.

80     Pour étayer le bien-fondé du critère de la valeur d’échange des certificats d’importation, la requérante rappelle que, dans son arrêt du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission (C‑104/89 et C‑37/90, Rec. p. I‑203, point 79), la Cour a affirmé que des éléments statistiques et commerciaux pouvaient être pris en considération pour évaluer le préjudice.

81     La Commission soutient que l’arrêt du 8 juin 2000 n’a pas défini les critères pour chiffrer l’indemnisation due à la requérante. En effet, le critère suggéré par la requérante aurait été pris en considération par le Tribunal seulement pour apprécier la recevabilité de la demande en indemnisation, sans que pour autant il ait été jugé approprié. Il n’y aurait d’ailleurs eu aucune discussion contradictoire quant au bien‑fondé d’un tel critère.

82     La Commission n’admet pas que la réparation due puisse être calculée en fonction d’une hypothétique valeur d’échange des certificats d’importation en faisant totalement abstraction du fait que les marchandises en question sont importées ou non. Un tel élément n’aurait en effet aucun rapport avec l’événement ayant causé le préjudice et avec ses conséquences effectives sur la situation de la requérante (arrêt de la Cour du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission, 5/66, 7/66 et 13/66 à 24/66, Rec. p. 317).

83     Elle souligne que la cession des certificats d’importation par un opérateur à un autre ne se vérifie que rarement dans la pratique. En outre, elle rappelle que la cession des certificats impliquait, en principe, déjà sous le régime de 1993, en vertu de l’article 13 du règlement n° 1442/93, que les quantités cédées fussent déduites de la quantité de référence du cédant. Selon la Commission, les opérateurs de catégorie B, comme la requérante, échappaient certes à cette limitation, mais leur possibilité d’obtenir des certificats d’importation de bananes pays tiers et non traditionnelles ACP dépendait de la commercialisation effective de leur part de bananes communautaires et traditionnelles ACP pendant la période de référence.

84     Quant à la prétendue valeur d’échange des certificats d’importation de 200 euros par tonne, indiquée par la requérante sur la base de la déclaration des services de la Commission au groupe de travail « Bananes » du comité spécial « Agriculture » du Conseil des 9 et 10 février 1998, la Commission fait remarquer qu’elle ne constitue pas un élément significatif pour déterminer le préjudice. En effet, elle ne pourrait en aucun cas être retenue pour toute la période considérée, puisqu’il ne s’agissait que d’une indication relative à un moment spécifique, limitée aux certificats de catégorie B, et que le prix des certificats variait en fonction du prix des bananes. Par ailleurs, une telle indication ne proviendrait pas d’un relevé statistique et commercial officiel, dans la mesure où il n’existait pas de véritable marché des certificats d’importation.

85     Pour évaluer le préjudice en cause, la Commission suggère, en revanche, de se fonder sur la jurisprudence constante selon laquelle la réparation a pour objet de remettre, autant que possible, la victime du préjudice dans la situation où elle se serait trouvée si elle n’avait pas subi ce préjudice (arrêt de la Cour du 3 février 1994, Grifoni/CEEA, C‑308/87, Rec. p. I‑341, point 40). Il faudrait donc tenir compte, dans la mesure du possible, de la situation réelle de la victime du préjudice, en particulier lorsque la réparation est liée à l’exercice d’une activité économique qui, par sa nature, peut comporter non seulement des profits mais aussi des pertes (arrêt de la Cour du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C‑104/89 et C‑37/90, Rec. p. I‑3061, points 32 à 34, et arrêt du Tribunal du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, points 73 et suivants).

86     En se référant aux arrêts du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, précité (point 26), et du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission, précité, la Commission suggère de prendre en considération, en l’espèce, le manque à gagner constitué par la différence entre les revenus que la requérante aurait tirés du commerce des bananes pendant la période pertinente (recouvrant les années 1997 et 1998), si la Commission avait répondu favorablement à sa demande de mesures transitoires du 21 janvier 1997, et les revenus effectifs tirés de ce commerce pendant la même période, majorés de ceux qu’elle a tirés ou aurait pu tirer pendant cette même période d’éventuelles activités de remplacement. Afin d’évaluer les revenus supplémentaires que la requérante aurait pu obtenir pendant la période considérée en cas de réponse favorable à sa demande, la Commission estime raisonnable de prendre en considération les marges bénéficiaires que la requérante a tirées des importations de bananes effectivement réalisées au cours de cette période. La Commission précise aussi que, si le Tribunal retenait ce critère, il appartiendrait à la requérante de fournir tous les éléments de preuve nécessaires à la détermination exacte de ses marges bénéficiaires.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la question de savoir si le critère de la valeur d’échange des certificats a été entériné par l’arrêt du 8 juin 2000

87     Il convient, tout d’abord, de vérifier si le critère invoqué par la requérante a été jugé approprié, par l’arrêt du 8 juin 2000, aux fins de l’évaluation du préjudice de l’espèce.

88     À cet égard, force est de constater que, comme la Commission le fait valoir, les considérations du Tribunal relatives à la valeur d’échange des certificats d’importation comme critère de calcul du préjudice sont inscrites dans le cadre de l’analyse de la recevabilité du recours en indemnité (points 194 et 195 de l’arrêt du 8 juin 2000).

89     Or, il apparaît à l’évidence, à la lecture des points 194 et 195, que l’affirmation du Tribunal selon laquelle la requérante a indiqué les éléments permettant de prévoir l’étendue du préjudice invoqué avec une certitude suffisante signifie uniquement que la requérante a fourni au Tribunal des éléments grâce auxquels celui-ci a pu conclure que l’étendue du préjudice allégué était déterminable et que, par conséquent, le recours en indemnité était recevable.

90     Dans son analyse du bien-fondé du recours en indemnité, le Tribunal ne s’est aucunement prononcé sur l’étendue du préjudice à réparer, mais il s’est limité à constater, au point 211 de l’arrêt du 8 juin 2000, qu’« il conv[enait] d’inviter les parties à rechercher un accord, à la lumière [de cet arrêt], sur le montant de l’indemnisation de l’intégralité du dommage allégué ». Cela signifie que les parties devaient tenir compte, dans le cadre de leurs négociations, du fait que la Commission était responsable des conséquences préjudiciables de son comportement illégal tel que constaté dans l’arrêt et qu’elle devait réparer le préjudice tout entier, et lui seul, en tant qu’il présente un lien causal à ce même comportement. On ne saurait, en revanche, déduire du point précité de l’arrêt du 8 juin 2000, comme le fait la requérante, une référence aux considérations effectuées par le Tribunal dans le cadre de l’analyse de la recevabilité du recours et, notamment, à la valeur d’échange des certificats en tant que critère de détermination de l’étendue du préjudice.

91     La requérante s’appuie à tort sur l’arrêt Hameico Stuttgart e.a./Conseil et Commission, précité. En effet, le Tribunal, au point 67 de cet arrêt, a seulement rappelé que la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée que si le requérant a effectivement subi un préjudice « réel et certain ». Il s’agit là d’une condition d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté que le juge communautaire peut considérer comme étant remplie dans un cas d’espèce sans nécessairement avoir, au préalable, à examiner au fond l’étendue du préjudice allégué, dès lors qu’il ressort des circonstances concrètes de l’espèce que l’existence d’un préjudice ne fait pas de doute. Or, aux points 207 et 208 de l’arrêt du 8 juin 2000, le Tribunal a précisément constaté, en substance, la réalité des conséquences dommageables pour la requérante de la violation par la Commission de l’article 30 du règlement n° 404/93, conséquences que le Tribunal a identifiées dans l’attribution à la requérante d’un nombre de certificats d’importation réduit par rapport à celui qu’elle aurait obtenu si ledit article avait été correctement appliqué. Le fait qu’un tel préjudice ne pouvait pas encore être chiffré avec précision au moment de l’introduction du recours n’empêchait nullement de conclure au caractère certain de ce préjudice.

92     Il incombe dès lors au Tribunal, après l’échec des négociations menées par les parties, de se prononcer sur les critères devant être utilisés pour évaluer le préjudice subi par la requérante et fixer le montant de l’indemnisation.

–       Sur la question de savoir si la Commission est forclose à contester le critère de la valeur d’échange des certificats

93     Il y a lieu de rejeter également l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission, n’ayant pas contesté, dans son mémoire en duplique présenté au cours de la phase de la présente procédure ayant abouti à l’arrêt du 8 juin 2000, le bien-fondé du critère de la valeur d’échange des certificats d’importation que la requérante avait avancé dans son mémoire en réplique, serait désormais forclose à le faire lors de cette nouvelle phase de la procédure.

94     Il suffit de rappeler, à cet égard, que la requérante, dans sa requête, n’avait pas indiqué les critères devant être mis en œuvre pour la détermination du préjudice allégué. Elle s’était limitée à indiquer qu’il n’était pas possible à cette époque de quantifier ce préjudice, qui continuait de se produire, et à inviter par conséquent le Tribunal à se prononcer, dans un premier temps, sur l’existence du préjudice en réservant son évaluation à un accord extrajudiciaire entre les parties ou, à défaut d’un tel accord, à une décision du Tribunal dans le cadre d’une action ultérieure. Ce n’est que dans son mémoire en réplique, et en réponse à l’exception soulevée par le Conseil selon laquelle le recours en indemnité était irrecevable à défaut notamment de précisions quant à la nature et à l’étendue du préjudice allégué, que la requérante a fait référence à la valeur d’échange des certificats d’importation non attribués.

95     Dans ces circonstances particulières, la Commission n’était pas tenue, sous peine de forclusion, de formuler dans son mémoire en duplique ses observations quant au bien‑fondé du critère de chiffrage proposé par la requérante, mais elle a pu valablement le faire, après l’arrêt interlocutoire du 8 juin 2000, dans le cadre de l’étape de la procédure spécifiquement consacrée à l’évaluation du préjudice.

96     En tout état de cause, le Tribunal, appelé à examiner l’étendue de l’obligation de réparation d’un dommage dont la Communauté est responsable, ne saurait être lié au critère de détermination des montants à payer proposé par la requérante, au seul motif que la Commission n’a pas pris position sur le bien-fondé de ce critère à un stade précis de la procédure écrite.

–       Sur les critères à retenir pour chiffrer le préjudice à réparer

97     Il est de jurisprudence constante que la réparation du préjudice dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle a pour objet de reconstituer autant que possible le patrimoine de la victime (arrêts Grifoni/CEEA, précité, point 40, et du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission, précité, points 51 et 63).

98     Conformément à la jurisprudence, il incombe au requérant de prouver, d’une part, l’existence du préjudice subi ainsi que, d’autre part, les éléments constitutifs et l’étendue de celui-ci (arrêt du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission, précité, point 82).

99     Or, l’existence d’un préjudice a été constatée en l’espèce par l’arrêt du 8 juin 2000, par lequel le Tribunal a jugé que ce préjudice consistait en l’attribution d’un nombre de certificats d’importation réduit par rapport à celui que la requérante aurait reçu s’il avait été fait droit à sa demande du 21 janvier 1997 (point 208 dudit arrêt). La requérante est donc seulement tenue d’établir les différents éléments constitutifs et l’étendue de ce préjudice.

100   À cet égard, la requérante sollicite une réparation du préjudice fondée sur l’allocation de la contre-valeur économique des certificats d’importation non attribués, méthode qui, à son avis, permet seulement de réparer un « dommage minim[al] certain » représenté par la perte d’une « recette certaine » que constitue le prix de cession de ces certificats. Elle précise qu’une telle méthode sous-estime, en réalité, le préjudice globalement subi, lequel comprendrait des éléments tels que « la perte de clients et de canaux d’approvisionnement, jusqu’à la cessation quasi totale de l’activité ». Ces éléments sont par ailleurs évoqués pour la première fois seulement dans les observations de la requérante sur la proposition de dédommagement de la Commission et ne sont ni circonstanciés ni prouvés.

101   En l’espèce, la réparation du préjudice doit en principe permettre que la requérante soit mise financièrement dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si la Commission s’était abstenue du comportement illégal constituant la source du préjudice. Cela implique, en premier lieu, la détermination du nombre de certificats d’importation supplémentaires qui auraient dû être attribués à la requérante conformément à la décision que la Commission aurait dû prendre pour faire droit à sa demande du 21 janvier 1997 et, en second lieu, la reconstitution de la situation financière dans laquelle la requérante se serait trouvée si elle avait reçu et exploité ces certificats.

102   En ce qui concerne le nombre de certificats d’importation supplémentaires, il y a lieu de prendre en considération, conformément à ce qui a été constaté au point 72 ci-dessus, les seules années 1997 et 1998, celles-ci constituant la période pour laquelle le préjudice doit être indemnisé.

103   Selon le calcul qu’elle a effectué dans sa proposition sur le dédommagement, en tenant compte des années 1989 et 1990 comme période de référence, la requérante aurait dû recevoir, en sus de ce qu’elle avait effectivement obtenu, des certificats de catégorie B pour une quantité de 13 855,66 tonnes en 1997 et de 11 625,30 tonnes en 1998.

104   Dans sa proposition sur le dédommagement, la Commission, qui ne conteste pas la méthode et les données retenues par la requérante aux fins du calcul du nombre des certificats supplémentaires, a indiqué que, si elle avait répondu favorablement à la demande de la requérante du 21 janvier 1997, cette dernière aurait reçu, sur la base de la période de référence 1989-1990, des certificats de catégorie B supplémentaires pour 13 855,66 tonnes en 1997 et pour 11 265,30 tonnes en 1998.

105   L’absence de coïncidence, dans les propositions des deux parties, de la donnée relative aux certificats supplémentaires que la requérante aurait dû obtenir en 1998 (11 625,30 tonnes selon la requérante et 11 265,30 tonnes selon la Commission) procède manifestement d’une erreur de calcul ou de plume commise par la requérante. En effet, dans son calcul, cette dernière indique que, pour ladite année, elle aurait dû recevoir des certificats pour 15 610,39 tonnes et qu’elle en a reçu seulement pour 4 345,092 tonnes. La différence entre ces quantités s’élève à 11 265,298 tonnes, chiffre qui, arrondi, confirme la donnée indiquée par la Commission.

106   Il convient donc de constater que, si la Commission avait répondu favorablement à la demande de la requérante du 21 janvier 1997, cette dernière aurait reçu des certificats de catégorie B supplémentaires pour 13 855,66 tonnes en 1997 et pour 11 265,30 tonnes en 1998.

107   En ce qui concerne la reconstitution de la situation financière dans laquelle la requérante se serait trouvée si elle avait pu compter sur ces certificats supplémentaires, il y a lieu de relever que, sous le régime de 1993, les titulaires de certificats d’importation de catégorie B disposaient d’une double possibilité d’exploitation économique de ces certificats. En effet, non seulement ils pouvaient les utiliser pour l’importation de bananes pays tiers ou non traditionnelles ACP dans la Communauté, mais il leur était aussi expressément permis, par l’article 13 du règlement n° 1442/93 (voir point 10 ci-dessus), de les céder à d’autres opérateurs des catégories A, B ou C.

108   La Cour a d’ailleurs eu l’occasion de constater cette autre possibilité d’exploitation économique des certificats de catégorie B sous le régime de 1993 dans son arrêt Allemagne/Conseil, précité (points 84 à 86), dans lequel elle a remarqué que « le principe de transmissibilité des certificats […] abouti[ssait] au résultat pratique que le détenteur d’un certificat, au lieu de procéder lui-même à l’importation et à la vente de bananes pays tiers, [pouvait] céder son droit d’importation à un autre opérateur économique qui [voulait] procéder lui même à l’importation » et que « la cession des certificats d’importation constitu[ait] une faculté que le règlement [n° 1442/93] permet[tait] aux différentes catégories d’opérateurs économiques d’exercer en fonction de leurs intérêts commerciaux ». La Cour a également précisé que « [l]’avantage financier que ce type de vente [pouvait] le cas échéant procurer aux opérateurs de bananes communautaires et traditionnelles ACP constitu[ait] une conséquence nécessaire du principe de la transmissibilité des certificats et [devait] être apprécié dans le contexte plus général de l’ensemble des mesures adoptées par le Conseil en vue de garantir l’écoulement des produits communautaires et traditionnels ACP ». Dans ce contexte, a ajouté la Cour, « il [devait] être considéré comme un moyen destiné à contribuer à la capacité concurrentielle des opérateurs économiques commercialisant les bananes communautaires et ACP et à faciliter l’intégration des marchés des États membres ».

109   En outre, il est constant que les certificats d’importation de catégorie B faisaient concrètement l’objet de transactions sur le marché.

110   À cet égard, la requérante évoque à juste titre la déclaration du représentant de la Commission au sein du groupe de travail « Bananes » du comité spécial « Agriculture » du Conseil des 9 et 10 février 1998, selon laquelle les certificats d’importation de catégorie B étaient, à cette époque-là, négociés sur le marché au prix d’environ 200 euros par tonne.

111   L’allégation de la Commission selon laquelle la cession des certificats d’un opérateur à un autre ne se vérifiait que rarement dans la pratique est sans pertinence et elle est, de surcroît, démentie par la constatation figurant au considérant 4 du règlement n° 2362/98, dans lequel la Commission elle‑même faisait état du « nombre sensible de transmissions informelles et de cessions à titre onéreux des documents d’importation opérées pendant la dernière période d’application du régime initial établi par le règlement [...] n° 404/93 ».

112   Par ailleurs, les arguments de la Commission repris au point 83 ci‑dessus ne font pas obstacle au recours à la valeur d’échange des certificats en tant que critère d’évaluation du préjudice subi par la requérante. En effet, la Commission elle-même reconnaît que les opérateurs de catégorie B, comme la requérante, n’étaient pas soumis, jusqu’à l’entrée en vigueur du régime de 1999, au mécanisme de la réduction des quantités de référence par suite de la cession des certificats, lequel ne s’appliquait, conformément à l’article 13, paragraphe 3, du règlement n° 1442/93, que dans le cas « d’une cession des droits effectuée par un opérateur de la catégorie A au profit d’un autre opérateur des catégories A ou C ». Quant au fait, rappelé par la Commission, que la possibilité pour les opérateurs de catégorie B d’obtenir des certificats d’importation de bananes pays tiers et non traditionnelles ACP dépendait de la commercialisation effective de leur part de bananes communautaires et traditionnelles ACP pendant la période de référence, il est dépourvu de toute pertinence dans le présent contexte.

113   S’agissant de l’invocation par la Commission de la méthode d’évaluation du préjudice suivie par la Cour dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Mulder e.a./Conseil et Commission, précités, il convient de rappeler que les requérants, dans ces affaires, demandaient à être indemnisés à hauteur des bénéfices qu’ils auraient pu réaliser si, à l’expiration de leur engagement de non‑commercialisation, ils avaient pu reprendre les livraisons de lait sur la base de la quantité de référence à laquelle ils avaient droit et dont ils avaient été privés par la réglementation applicable, déclarée invalide par la Cour. Les institutions défenderesses proposaient en revanche de calculer les indemnités dues par la Communauté aux requérants sur la base du montant de la prime de non‑commercialisation versé à chacun de ceux‑ci. Cette prime, instaurée dans le secteur du lait par le règlement (CEE) n° 1078/77 du Conseil, du 17 mars 1977, instituant un régime de primes de non‑commercialisation du lait et des produits laitiers et de reconversion de troupeaux bovins à orientation laitière (JO L 131, p. 1), était octroyée aux producteurs qui s’engageaient à ne pas commercialiser leurs produits pendant cinq ans et elle était fixée à un niveau qui permettait de la considérer comme « une certaine compensation pour la perte des revenus résultant de la commercialisation des produits en question » (troisième considérant dudit règlement).

114   La Cour, dans son arrêt du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, précité (point 26), a estimé que, « [e]n ce qui concerne la portée du dommage à réparer par la Communauté, il y a[vait] lieu de prendre en considération, sauf circonstances particulières justifiant une appréciation différente, le manque à gagner constitué par la différence entre, d’une part, les revenus que les requérants auraient tirés, selon le cours normal des choses, des livraisons de lait qu’ils auraient effectuées s’ils avaient obtenu, pendant la période [pertinente], les quantités de référence auxquelles ils avaient droit et, d’autre part, les revenus qu’ils ont effectivement tirés de leurs livraisons de lait, réalisées au cours de cette période en dehors de toute quantité de référence, majorés de ceux qu’ils ont tirés, ou auraient pu tirer, pendant cette même période, d’éventuelles activités de remplacement ».

115   La Cour a ainsi retenu, en la précisant et en la délimitant, la méthode proposée par les requérants, fondée sur la reconstitution de la situation hypothétique dans laquelle ceux-ci se seraient trouvés s’ils avaient effectué les livraisons de lait correspondant aux quantités de référence auxquelles ils avaient droit. La Cour a néanmoins réservé la possibilité que des circonstances particulières justifient une appréciation différente quant aux éléments à prendre en considération aux fins de l’évaluation du préjudice, en écartant toutefois le critère consistant à chiffrer le manque à gagner des requérants sur la base du montant de la prime de non‑commercialisation, au motif que « cette prime constitue la contrepartie de l’engagement de non-commercialisation et ne présente aucun lien avec le préjudice que les requérants ont subi » (arrêt du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, précité, point 34).

116   Or, si la prime de non‑commercialisation n’avait aucun lien réel avec les gains que les requérants dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Mulder e.a/Conseil et Commission, précités, auraient pu réaliser s’ils n’avaient pas été illégalement privés de leurs quantités de référence, il découle des constatations faites aux points 107 à 111 ci-dessus qu’il en va différemment, en l’espèce, pour la valeur d’échange des certificats d’importation non attribués à la requérante. En effet, cette valeur représentait non pas, comme c’était le cas pour la prime de non-commercialisation dans le secteur du lait, un montant fixé forfaitairement et par voie administrative pour accorder aux opérateurs « une certaine compensation pour la perte des revenus résultant de la commercialisation des produits en question », mais une donnée proprement commerciale, établie par les opérateurs économiques intéressés selon les lois de l’offre et de la demande et, partant, censée refléter, au moins d’une manière approximative, la valeur économique des certificats échangés, lesquels conféraient une possibilité d’action économique à des conditions privilégiées.

117   Certes, il est possible que la requérante se soit trouvée dans une situation financière différente selon le choix qu’elle aurait fait quant à l’exploitation concrète des certificats. La cession des certificats aurait généré des recettes nettes données, alors que l’importation et la commercialisation des bananes auraient exposé la requérante aux aléas inhérents à toute activité commerciale, donc à la possibilité de profits, le cas échéant même supérieurs aux gains réalisables par la cession des certificats, mais également à d’éventuelles pertes de gestion, en fonction notamment de la situation du marché et de l’efficience économique de l’entreprise.

118   Une évaluation du préjudice subi par la requérante effectuée sur la base de l’hypothèse de l’utilisation par la requérante des certificats aux fins d’importation et de commercialisation et en application de la méthode suivie par la Cour dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Mulder e.a./Conseil et Commission, précités, ne s’impose pas pour autant. Une telle opération, au-delà de sa complexité et du retard qu’elle engendrerait dans la reconstitution du patrimoine de la requérante, aboutirait elle aussi, en tant qu’exercice d’évaluation d’activités économiques ayant en grande partie un caractère hypothétique (voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission, précité, points 79 et 84), à un résultat nécessairement approximatif. Par ailleurs, une évaluation des revenus supplémentaires que la requérante aurait pu obtenir en cas de réponse favorable à sa demande, comme celle que propose la Commission – fondée sur l’application, aux quantités de bananes représentées par les certificats non attribués, des marges bénéficiaires que la requérante a tirées des importations de bananes effectivement réalisées au cours de la période 1997-1998 – apparaît inadéquate en l’espèce, dans la mesure où ces marges ont selon toute vraisemblance été affectées par le fait que le niveau d’activité de la requérante dans le commerce de bananes pays tiers et non traditionnelles ACP au cours de ladite période est demeuré très inférieur à celui que la requérante aurait pu afficher grâce à l’utilisation, aux fins d’importation et de commercialisation, des certificats supplémentaires qui lui auraient été attribués si sa demande du 21 janvier 1997 avait été accueillie.

119   Il y a lieu de considérer qu’une méthode d’évaluation du préjudice fondée sur l’hypothèse de la cession des certificats est pourvue d’un fondement économique, tout en présentant des avantages évidents en termes de simplicité, de rapidité et de fiabilité. Elle peut donc être approuvée, sous réserve de l’examen des informations disponibles quant à la valeur d’échange des certificats non attribués.

–       Sur les informations disponibles quant à la valeur d’échange des certificats non attribués et sur l’évaluation du préjudice

120   La requérante demande au Tribunal de déterminer le préjudice en tenant compte de la valeur de 200 euros par tonne, résultant, pour les certificats d’importation de catégorie B, d’une déclaration du représentant de la Commission au sein du groupe de travail « Bananes » du comité spécial « Agriculture » du Conseil des 9 et 10 février 1998.

121   Il ressort plus précisément de cette déclaration, produite par la requérante en annexe à son mémoire en réplique, que cette donnée représente le prix approximatif des certificats d’importation de catégorie B à l’époque de cette même déclaration, soit au début du mois de février 1998.

122   Le fait, souligné par la Commission, que cette donnée ne provient pas d’un relevé statistique et commercial officiel ne la prive pas de pertinence. Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 288, deuxième alinéa, CE, les montants de la réparation doivent être établis conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres en matière de responsabilité non contractuelle et que, en ce qui concerne la question de la preuve du dommage, ces droits sont généralement caractérisés par la liberté, pour le juge, d’apprécier tous les éléments de conviction qui lui sont présentés (arrêt de la Cour du 6 octobre 1982, Interquell Stärke-Chemie/Conseil et Commission, 261/78, Rec. p. 3271, point 11). Or, la valeur de 200 euros par tonne a été mentionnée par les services de la Commission elle-même et celle-ci ne la conteste pas en tant que telle dans ses écritures. Il y a donc lieu de la prendre en considération aux fins de l’évaluation du préjudice de l’espèce.

123   Cependant, puisque cette donnée ne représente pas une valeur moyenne des certificats de catégorie B pour toute la période pour laquelle le préjudice doit être indemnisé, à savoir les années 1997 et 1998, et compte tenu de l’allégation de la Commission, non contestée par la requérante, selon laquelle la valeur d’échange des certificats d’importation est tributaire des fluctuations du prix des bananes, le Tribunal, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a invité la requérante à fournir, pièces à l’appui, des informations quant à l’évolution de la valeur d’échange des certificats de catégorie B au cours de ladite période.

124   En déférant à cette invitation, la requérante a produit notamment 19 factures relatives à des opérations de cession de certificats de catégorie B intervenues entre des entreprises tierces sur le territoire de la Communauté à différentes dates comprises entre le 31 décembre 1997 et le 20 octobre 1998. Il ressort de ces factures, non contestées par la Commission, que le prix auquel lesdits certificats ont été transférés à l’occasion de ces opérations a été, à une seule exception près, supérieur à 200 euros par tonne et que, dans de nombreux cas, il a même atteint le niveau de 289 euros par tonne.

125   La Commission, lors de l’audience, a souligné que le prix pratiqué dans des cessions individuelles comme celles attestées par les factures produites par la requérante n’était pas une donnée objective, puisqu’il pouvait varier en fonction des circonstances et, notamment, des besoins contingents que les cessionnaires peuvent avoir à disposer des certificats. Cette objection doit être relativisée. Il est clair que le prix observé dans une transaction individuelle ne peut pas être considéré en soi comme représentatif de la valeur de marché du bien échangé. Néanmoins, cette valeur résulte d’une moyenne des prix pratiqués dans les transactions individuelles et c’est sur la base d’une observation sans doute plus étendue du marché que les services de la Commission ont pu relater, dans le cadre des travaux du groupe de travail « Bananes » du comité spécial « Agriculture » du Conseil des 9 et 10 février 1998, une valeur approximative des certificats de catégorie B de 200 euros par tonne à cette même époque. Or, les prix pratiqués dans les diverses transactions auxquelles se réfèrent les factures produites par la requérante constituent autant d’indices sérieux, précis et concordants du fait que la valeur d’échange des certificats de catégorie B n’a pas évolué à la baisse au cours de l’année 1998 par rapport au niveau constaté par les services de la Commission en février 1998. La Commission, pour sa part, n’a apporté aucun indice en sens contraire. Par ailleurs, le graphique relatif à l’évolution du prix de vente en gros des bananes dites « dollar » dans l’Union européenne, établi par les services de la Commission et annexé à la proposition de la Commission sur le dédommagement, montre que ce prix qui, selon la Commission, influençait la valeur d’échange des certificats de catégorie B, était à l’époque de la déclaration mentionnée au point 120 ci‑dessus pratiquement d’un euro par kilo et que, au cours de l’année 1998, il a fluctué autour de ce niveau d’une manière telle qu’il ne saurait être soutenu que, à l’époque de ladite déclaration, il se situait nettement au‑dessus de sa moyenne pour l’année 1998.

126   Dans ces conditions, le Tribunal estime que, si les données figurant dans la documentation fournie par la requérante, compte tenu également de la volatilité du prix de cession des certificats dont elles témoignent, ne sauraient être regardées comme permettant d’obtenir une évaluation rigoureuse du préjudice, elles sont néanmoins suffisamment probantes et constituent une base sérieuse pour conclure que la valeur de 200 euros par tonne, indiquée par la requérante, représente une approximation raisonnable et acceptable de la valeur moyenne des certificats de catégorie B au cours de l’année 1998.

127   S’agissant de l’année 1997, la requérante a produit une facture datée du 31 décembre 1997, affichant un prix de cession des certificats de catégorie B équivalant à 274 euros par tonne, et elle a indiqué que, dans le cadre d’une transaction relative à une opération d’importation effective de bananes effectuée au mois d’août 1997, la valeur des certificats de catégorie B utilisés a été évaluée à environ 172 euros par tonne.

128   À la lumière de ce qui précède, le préjudice subi par la requérante peut être fixé, en vertu d’une évaluation ex aequo et bono, au montant, en principal, de 5 024 192 euros, à savoir 2 771 132 euros (13 855,66 x 200) pour l’année 1997 et 2 253 060 euros (11 265,30 x 200) pour l’année 1998.

 Sur l’érosion monétaire et les intérêts moratoires

 Arguments des parties

129   La requérante considère qu’il y a lieu de tenir compte de l’érosion monétaire et donc de réévaluer les sommes à régler sur la base de chaque période considérée à l’aide des coefficients fixés au niveau national italien par l’Istituto centrale di statistica (Institut central des statistiques) aux fins des statistiques économiques, la requérante ayant son siège en Italie.

130   La somme réévaluée, année par année, devrait en outre être augmentée d’intérêts moratoires à compter du jour où s’est produit le fait dommageable. Pour chaque annuité, les intérêts moratoires devraient être calculés à partir du 1er janvier, dans la mesure où les opérateurs connaissaient avant le début de chaque année le nombre de certificats leur revenant et pouvaient en planifier l’utilisation.

131   La requérante fait observer que le cumul de la réévaluation monétaire et des intérêts moratoires se justifie parce que ces deux facteurs d’indemnisation remplissent des fonctions différentes. La réévaluation monétaire viserait à mettre la victime du préjudice dans les conditions dans lesquelles elle se serait trouvée si le fait dommageable ne s’était pas produit, tandis que les intérêts moratoires viseraient à compenser le retard dans l’octroi de ce qui était dû à la victime.

132   S’agissant des taux à appliquer pour les intérêts moratoires, la requérante soutient que, pour la période antérieure au 1er janvier 1999, en l’absence du taux de référence de la Banque centrale européenne (BCE) pour les principales opérations de refinancement, il y a lieu d’appliquer le taux d’intérêt légal en vigueur en Italie, soit le taux de 5 % tant pour 1997 que pour 1998. À compter du 1er  janvier 1999, il faudrait, en revanche, appliquer le taux de refinancement de la BCE majoré de sept points de pourcentage, conformément au critère prévu par l’article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 2000/35/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 29 juin 2000, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO L 200, p. 35), qui serait applicable en l’espèce dans la mesure où il est précisément question d’indemniser un opérateur économique pour le préjudice résultant du manque de liquidités (arrêt du Tribunal du 10 octobre 2001, Corus UK/Commission, T‑171/99, Rec. p. II‑2967, point 64).

133   Pour le cas où le point de départ et les taux des intérêts moratoires qu’elle propose ne seraient pas retenus conjointement, la requérante suggère, à titre subsidiaire, deux solutions alternatives : soit l’application du taux d’intérêt légal en vigueur en Italie, pour chaque année sur les sommes réévaluées, à compter de 1997 jusqu’à la date du paiement, soit le calcul des intérêts sur l’intégralité de la somme réévaluée à partir de la date de l’arrêt interlocutoire (8 juin 2000), mais avec application du taux de la BCE majoré de sept points.

134   La Commission approuve le fait que l’érosion monétaire doit être prise en compte et que les sommes dues doivent être réévaluées sur la base des indices officiels disponibles pour l’Italie, puisque la requérante exerçait ses activités sur le marché italien. La réévaluation devrait être calculée à compter de la survenance du fait dommageable jusqu’à la date de l’arrêt interlocutoire constatant la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

135   À compter de cette même date, et non de la survenance du fait dommageable, jusqu’au paiement, devraient être calculés, sur la somme réévaluée, les intérêts moratoires (arrêt Grifoni/CEEA, précité, point 43). À cet égard, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence communautaire, l’obligation de verser des intérêts moratoires ne peut être envisagée qu’à la condition que la créance principale soit certaine quant à son montant ou, du moins, déterminable sur la base d’éléments objectifs établis (arrêt de la Cour du 30 septembre 1986, Amman e.a./Conseil, 174/83, Rec. p. 2647, et arrêt du Tribunal du 26 février 1992, Brazzelli e.a./Commission, T‑17/89, T‑21/89 et T‑25/89, Rec. p. II‑293, point 24).

136   La Commission estime que, s’agissant des intérêts moratoires, il y a lieu d’appliquer le taux d’intérêt légal en vigueur en Italie pour toute la période pertinente. En effet, la directive 2000/35, selon son considérant 13, ne s’appliquerait pas aux paiements dus au titre de l’indemnisation de dommages.

 Appréciation du Tribunal

137   En ce qui concerne l’érosion monétaire, force est de constater que la requérante et la Commission s’accordent à considérer qu’elle doit être prise en compte et que la réévaluation monétaire doit être calculée moyennant l’application des indices statistiques officiels pour l’Italie.

138   Il ressort de la jurisprudence que la réparation du préjudice dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle a pour objet de reconstituer autant que possible le patrimoine de la victime. Par conséquent, dès lors que sont remplies les conditions de la responsabilité extracontractuelle, les conséquences défavorables résultant du laps de temps qui s’est écoulé entre la survenance du fait dommageable et la date du paiement de l’indemnité ne sauraient être ignorées, dans la mesure où il y a lieu de tenir compte de l’érosion monétaire (voir arrêts Grifoni/CEEA, précité, point 40, et du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission, précité, point 51).

139   L’érosion monétaire devra donc être prise en compte en l’espèce, aux fins du calcul de l’indemnité, selon les indices officiels élaborés pour l’Italie par l’organisme national compétent, à compter du jour de la survenance du préjudice.

140   S’agissant du point de départ de la réévaluation monétaire, il y a lieu de tenir compte du fait que la requérante, si la Commission avait répondu favorablement à sa demande du 21 janvier 1997, aurait reçu ses certificats à des dates échelonnées. Il convient de rappeler, en effet, que, sous le régime de 1993, la délivrance des certificats d’importation était effectuée selon une périodicité trimestrielle. Ainsi, conformément à l’article 11 du règlement n° 1442/93, tel que modifié par le règlement (CE) n° 875/96 de la Commission, du 14 mai 1996 (JO L 118, p. 14), les certificats d’importation étaient délivrés au plus tard le 23 du dernier mois de chaque trimestre pour le trimestre suivant.

141   C’est donc à ces dates qu’il y a lieu de se référer, pour chaque lot de certificats non attribués, en tant que dates de survenance du préjudice à partir desquelles la réévaluation de la contre‑valeur monétaire, évaluée sur une base de 200 euros par tonne, de chaque lot de certificats doit être calculée.

142   S’agissant de la date à laquelle le calcul de la réévaluation monétaire doit s’arrêter, elle doit être appréciée en même temps que le moment à partir duquel il y a lieu de calculer les intérêts moratoires.

143   Selon la jurisprudence de la Cour, le montant de l’indemnité due doit être assorti d’intérêts moratoires à compter de la date du prononcé de l’arrêt constatant l’obligation de réparer le préjudice (arrêts de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 25, et du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, précité, point 35). En l’espèce, c’est l’arrêt interlocutoire du 8 juin 2000 qui a constaté l’obligation de la Commission de réparer le préjudice subi par la requérante.

144   Néanmoins, dans la mesure où la créance principale, à la date du prononcé de cet arrêt, n’était ni certaine quant à son montant ni déterminable sur la base d’éléments objectifs établis (voir, à cet égard, points 87 à 92 ci-dessus), les intérêts moratoires ne sauraient courir à compter de cette date, mais seulement, en cas de retard et jusqu’à complet paiement, de la date du prononcé du présent arrêt, portant liquidation du dommage (voir la jurisprudence citée au point 135 ci‑dessus, ainsi que les conclusions de l’avocat général M. Tesauro sous l’arrêt Grifoni/CEEA, précité, Rec. p. I‑343, point 24).

145   Il s’ensuit que la réévaluation monétaire des indemnités dues à la requérante ne doit pas s’arrêter à la date du prononcé de l’arrêt du 8 juin 2000, mais doit s’étendre jusqu’à la date du prononcé du présent arrêt.

146   Le montant de l’indemnité, tel que réévalué pour tenir compte de l’érosion monétaire, sera majoré des intérêts moratoires à compter du prononcé du présent arrêt jusqu’au complet paiement. Le taux d’intérêt à appliquer est calculé sur la base du taux fixé par la BCE pour les opérations principales de refinancement, applicable pendant la période concernée, majoré de deux points.

 Sur les dépens

147   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 87, paragraphe 3, du même règlement, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supportera ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusions. Enfin, conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, dudit règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

148   Il convient de rappeler que les dépens occasionnés par la présente instance ont été réglés par l’arrêt interlocutoire du 8 juin 2000 (voir point 23 ci‑dessus).

149   La présente affaire n’est pas une nouvelle instance, mais une continuation de l’affaire T-260/97 dans laquelle a été rendu l’arrêt du 8 juin 2000, par lequel la Commission et le Conseil ont été condamnés à supporter respectivement 90 et 10 % des dépens de cette affaire (voir points 7 et 8 du dispositif). Il y a lieu de confirmer cette répartition pour la phase de la présente procédure ayant suivi ledit arrêt et de condamner, partant, la Commission et le Conseil à supporter, respectivement, 90 et 10 % des dépens occasionnés par cette même phase.

150   La République française, en tant que partie intervenante, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)      La Commission est condamnée à verser à la requérante une indemnité de 5 024 192 euros.

2)      Cette indemnité sera réévaluée conformément aux critères définis aux points 139 à 141 et 145 du présent arrêt.

3)      L’indemnité, telle que réévaluée, sera majorée des intérêts moratoires à compter du prononcé du présent arrêt jusqu’au complet paiement. Le taux d’intérêt à appliquer est calculé sur la base du taux fixé par la Banque centrale européenne pour les opérations principales de refinancement, applicable pendant la période concernée, majoré de deux points.

4)      La Commission est condamnée à payer 90 % des dépens de la phase de la présente procédure ayant suivi l’arrêt du Tribunal du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil (T‑79/96, T‑260/97 et T‑117/98, Rec. p. II-2193).

5)      Le Conseil est condamné à payer 10 % des dépens de la phase de la présente procédure ayant suivi l’arrêt du Tribunal du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil (T‑79/96, T‑260/97 et T‑117/98, Rec. p. II-2193).

6)      La République française supportera ses propres dépens.

Legal

Mengozzi

Wiszniewska-Białecka

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 juillet 2005

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       H. Legal


* Langue de procédure : l’italien.