ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

26 octobre 1999 ( *1 )

«Fonctionnaires — Conditions de travail — Congé de maternité — Partage entre les deux parents»

Dans l'affaire T-51/98,

Ann Ruth Burrill et Alberto Noriega Guerra, respectivement fonctionnaire et agent temporaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Rosières (Belgique), représentés par Mes Georges Vandersanden, Laure Levi et Marie-Ange Marx, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique principal, et Julian Currall, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l'Union européenne, représenté par Mme Thérèse Blanchet et M. Martin Bauer, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission, du 24 février 1998, portant refus de la demande des requérants tendant à ce qu'une partie du congé de maternité, prévu à l'article 58 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, soit partagée entre les deux parents de telle sorte que, pendant la période correspondante, chacun d'eux puisse exercer ses fonctions à mi-temps,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh, juges,

greffier: M. J. Palacio Gonzalez, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 3 juin 1999,

rend le présent

Arrêt

Faits et procédure

1

La requérante, Mme Burrill, est responsable d'un programme de gestion des zones côtières en tant qu'administrateur de grade A 6 au sein de l'unité 2 «protection de la nature, zones côtières et tourisme» de la direction D «qualité de l'environnement et ressources naturelles» de la direction générale Environnement, sécurité nucléaire et protection civile (DG XI) de la Commission.

2

Le requérant, M. Noriega Guerra, est agent temporaire de grade B 3 à l'Institut des matériaux et des mesures de références de Geel, du Centre commun de recherche (direction générale Science, recherche et développement), où il apporte une assistance technique aux physiciens.

3

Dans la perspective de la naissance de leur enfant, les requérants ont présenté, le 1er décembre 1997, une demande conjointe visant à ce qu'une partie du congé de maternité prévu par l'article 58 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») soit partagée entre eux, de telle sorte que, pendant la période correspondante, ils puissent exercer leurs fonctions à mi-temps.

4

Le 12 février 1998, Mme Burrill a accouché.

5

Par décision du 24 février 1998 (ci-après «décision attaquée»), l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») a rejeté leur demande au motif que l'article 58 du statut «vise de manière précise les femmes enceintes pour lesquelles, afin de mieux garantir leur état de santé, un congé qui ne peut être inférieur à seize semaines, est octroyé». La Commission concluait que «[partager] ce type de congé, qui est prévu dans l'intérêt de la mère ainsi que dans celui de l'institution, irait à l'encontre des dispositions statutaires qui sont bien précises à ce sujet».

6

Le 16 mars 1998, les requérants, prévoyant que Mme Burrill serait apte à reprendre le travail le 23 mars 1998, ont soumis pour observation à leurs supérieurs hiérarchiques un calendrier de leur présence respective à mi-temps sur leur lieu de travail du 23 mars au 3 juin 1998. Les supérieurs hiérarchiques concernés n'ont pas émis d'objections. Le 18 mars 1998, le médecin traitant de Mme Burrill lui a délivré un certificat médical attestant qu'elle était apte à reprendre son travail à partir du 23 mars.

7

Le 23 mars 1998, les requérants ont formé une réclamation à l'encontre de la décision attaquée.

8

C'est dans ces circonstances que les requérants, par requête déposée le 30 mars 1998, ont introduit, conformément à l'article 90, paragraphe 4, du statut, le présent recours ainsi qu'une demande en référé visant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée et enjoint à la Commission, à titre provisoire, de les autoriser à se répartir la partie restante du congé de maternité conformément au calendrier présenté le 16 mars 1998.

9

Par décision du président du Tribunal du 27 mai 1998, la procédure de référé a été clôturée à la suite d'un accord intervenu entre les parties lors de l'audience, selon lequel les requérants pourraient être présents dans leur service respectif conformément au calendrier susvisé. A cette fin, il a été convenu que Mme Burrill serait autorisée à reprendre le travail et que M. Noriega Guerra prendrait une partie de son congé annuel, leur situation devant être régularisée à l'issue du recours au principal.

10

Le 8 septembre 1998, le Conseil de l'Union européenne a demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission. Cette demande a été accueillie par ordonnance du président de la cinquième chambre du Tribunal du 28 octobre 1998.

11

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

12

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience publique du 3 juin 1999.

Conclusions des parties

13

Mme Burrill et M. Noriega Guerra, parties requérantes, concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

annuler la décision attaquée;

leur octroyer une indemnité en réparation du préjudice subi;

condamner la Commission aux dépens.

14

Dans leur réplique, les requérants ont renoncé à leur demande en indemnité.

15

La Commission, partie défenderesse, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

rejeter le recours;

statuer comme de droit sur les dépens.

16

Le Conseil, partie intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

17

La Commission émet des doutes sur l'intérêt à agir de Mme Burrill en ce que celle-ci entend renoncer au bénéfice de ses droits. En effet, Mme Burrill demanderait à l'AIPN de limiter son congé de maternité à la partie qui ne serait pas «transférée» à son conjoint.

18

Les requérants soutiennent que Mme Burrill a un intérêt personnel à agir dans le présent litige.

Appréciation du Tribunal

19

Il ressort de la jurisprudence que, lorsque plusieurs parties introduisent un seul et même recours, il suffit qu'il soit recevable en ce qui concerne l'une d'elles (voir arrêts de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313/90, Rec. p. I-1125, points 30 et 31, et du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission, T-435/93, Rec. p. II-1281, points 71 et 72).

20

En l'espèce, il est constant que le recours est recevable en ce qui concerne M. Noriega Guerra.

21

Par conséquent, le présent recours doit être jugé recevable sans qu'il y ait lieu d'examiner si Mme Burrill a un intérêt à agir.

Sur le fond

22

A l'appui de leur recours, les requérants invoquent trois moyens. Le premier est tiré d'une méconnaissance de l'article 58 du statut résultant d'une interprétation non conforme à sa finalité. Le deuxième, invoqué à titre subsidiaire, est pris de l'illégalité de l'article 58 du statut en ce que celui-ci violerait le principe supérieur d'égalité de traitement entre hommes et femmes. Le troisième, également invoqué à titre subsidiaire, est tiré d'une violation de l'intérêt du service et d'un défaut de motivation.

Remarques liminaires du Tribunal

23

Il est nécessaire à la compréhension du présent litige de rappeler certaines dispositions des actes communautaires en relation avec les congés pouvant être accordés en raison de la naissance d'un enfant.

24

En premier lieu, la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), précise, dans son article 2, paragraphe 3, qu'elle «ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité».

25

En deuxième lieu, la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l'article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391 /CEE) (JO L 348, p. 1), impose aux États membres de prévoir que les travailleuses «bénéficient d'un congé de maternité d'au moins quatorze semaines continues, réparties avant et/ou après l'accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales». En outre, ce congé «doit inclure un congé de maternité obligatoire d'au moins deux semaines, réparties avant et/ou après l'accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales».

26

Il ressort du huitième considérant de cette directive que ce congé de maternité se justifie du fait «que les travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes doivent être considérées à maints égards comme un groupe à risques spécifiques et que des mesures doivent être prises en ce qui concerne leur santé et leur sécurité».

27

Il est toutefois précisé, au neuvième considérant, «que la protection de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, allaitantes ou accouchées ne doit pas défavoriser les femmes sur le marché du travail et ne doit pas porter atteinte aux directives en matière d'égalité de traitement entre hommes et femmes».

28

En troisième lieu, la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES (JO L 145, p. 4), vise à la mise en œuvre par les États de cet accord-cadre, lequel prévoit, à la clause 2, qu'«un droit individuel à un congé parental est accordé aux travailleurs, hommes et femmes, en raison de la naissance ou de l'adoption d'un enfant». Le septième considérant de l'accord-cadre expose que la politique familiale doit tenir compte, notamment, «de la promotion de la participation des femmes à la vie active», et le huitième considérant «que les hommes devraient être encouragés à assumer une part égale des responsabilités familiales», par exemple en prenant un congé parental.

29

Cette dernière directive a été motivée par l'évolution intervenue dans la législation de certains États membres, qui ont reconnu aux travailleurs des deux sexes le droit de bénéficier d'un congé parental.

30

En ce qui concerne le statut, il ne prévoit pas de congé parental. Toutefois, la question de l'introduction du droit à un tel congé fait actuellement l'objet d'une discussion interne au sein de la Commission, mais aucune proposition n'a encore été transmise au Conseil.

31

Cependant, le statut définit à son article 58 le principe et les modalités du droit à un congé de maternité dans les termes suivants:

«Indépendamment des congés prévus à l'article 57, les femmes enceintes ont droit, sur production d'un certificat médical, à un congé commençant six semaines avant la date probable d'accouchement indiquée dans le certificat et se terminant dix semaines après la date de l'accouchement, sans que ce congé puisse être inférieur à seize semaines.»

32

C'est dans ce contexte qu'il convient d'examiner les arguments des parties.

Sur le premier moyen, tiré d'une méconnaissance de l'article 58 du statut résultant d'une interprétation non conforme à sa finalité

Arguments des parties

33

Les requérants soutiennent que l'objectif poursuivi par le congé de maternité prévu par l'article 58 du statut, et, notamment, par la période postnatale de ce congé, n'est pas seulement la protection de la mère, mais également celle de l'enfant. En effet, dans des conditions normales, un délai de seize semaines ne serait pas indispensable à la mère avant la reprise de son activité professionnelle. Les requérants mentionnent, à cet égard, que la directive 92/85, du 19 octobre 1992, précitée, prévoit seulement deux semaines de congé de maternité obligatoire en vue du rétablissement de la mère.

34

En outre, l'enfant aurait autant besoin de son père que de sa mère pendant les premiers mois de sa vie, et l'implication du père dans l'éducation de l'enfant correspondrait à l'évolution de la société et de la cellule familiale, prise en compte par la directive 96/34, du 3 juin 1996, précitée (sixième, septième et huitième considérants de l'accord-cadre), ainsi que par la législation d'un certain nombre d'États membres permettant au père de participer à la prise en charge de l'enfant pendant une partie du congé de maternité.

35

Ainsi, il serait raisonnable de considérer que l'article 58 du statut accorde un droit à la mère qu'il lui appartient d'exercer dans les limites qu'elle fixe, en accord avec le père de l'enfant, et dans le respect de l'intérêt du service et, partant, que la partie du congé qui ne viserait pas la protection de la femme en raison de ses besoins spécifiques devrait pouvoir être partagée avec le père. Par ailleurs, seule cette interprétation de l'article 58 du statut serait conforme au principe supérieur d'égalité de traitement (voir arrêts de la Cour du 7 juin 1972, Sabbatini/Parlement, 20/71, Rec. p. 345, du 20 février 1975, Airola/Commission, 21/74, Rec. p. 221, du 20 mars 1984, Razzouk et Beydoun/Commission, 75/82 et 117/82, Rec. p. 1509, et du 8 novembre 1990, Handels- og Kontorfunktionærernes Forbund, C-179/88, Rec. p. I-3979, ainsi que du Tribunal du 28 janvier 1992, Speybrouck/Parlement, T-45/90, Rec. p. II-33).

36

Les requérants ajoutent que le congé spécial en cas de naissance, le travail à temps réduit et le congé de convenance personnelle (ou le congé sans rémunération du régime applicable aux autres agents), n'ayant pas la même finalité et n'assurant pas les mêmes droits que l'article 58 du statut, ne sont pas de nature à permettre d'atteindre l'objectif du partage des responsabilités familiales.

37

La Commission, soutenue par le Conseil, fait observer que l'article 58 du statut réserve expressément le droit au congé de maternité aux femmes enceintes. Bien que cet article puisse servir aussi les intérêts de l'enfant, il ressortirait du texte même de cette disposition que le législateur n'aurait voulu assurer que la protection de la santé de la mère.

38

Par ailleurs, les directives citées aux points 24 à 29 ci-dessus souligneraient la différence fondamentale entre le congé parental, pouvant être accordé aux deux parents, et le congé de maternité, réservé à la mère.

39

De même, la jurisprudence de la Cour confirmerait cette distinction entre les deux congés et insisterait sur le caractère spécifique des droits des femmes en rapport avec la grossesse et l'accouchement (voir arrêts de la Cour Handels- og Kontorfunktionærernes Forbund, précité, point 15, du 14 juillet 1994, Webb, C-32/93, Rec. p. I-3567, points 20 et 21, du 13 février 1996, Gillespie e.a., C-342/93, Rec. p. I-475, points 16 et 17, et du 29 mai 1997, Larsson, C-400/95, Rec. p. I-2757, points 15 et 23).

40

En ce qui concerne le principe d'égalité de traitement, la Commission estime qu'il n'est pas pertinent de s'y référer, puisque le congé de maternité constitue une dérogation à celui-ci.

41

Sur ce point, le Conseil est d'avis que, en donnant à la mère le temps de se préparer à l'accouchement et de se remettre physiologiquement de ses suites, l'article 58 du statut poursuit un objectif d'égalité de traitement entre travailleurs masculins et féminins. Il permettrait en effet à la femme de poursuivre normalement sa carrière professionnelle sans que sa maternité ait d'effet négatif sur celle-ci.

42

La Commission ajoute que d'autres dispositions du statut permettent de concilier la vie familiale et la vie professionnelle, à savoir le congé spécial en cas de naissance, les différentes possibilités de travail à temps réduit et le congé de convenance personnelle (ou le congé sans rémunération du régime applicable aux autres agents).

43

La Commission et le Conseil concluent que c'est au législateur qu'il appartient de tirer les conséquences de l'évolution de la société et non au juge communautaire (voir arrêts de la Cour du 17 février 1998, Grant, C-249/96, Rec. p. I-621, points 45 à 48, et du Tribunal du 28 janvier 1999, D/Conseil, T-264/97, RecFP p. II-1, points 26 à 32).

Appréciation du Tribunal

44

Il convient tout d'abord de constater qu'il ressort clairement du texte de l'article 58 du statut que celui-ci ne vise que les femmes enceintes, et que le congé qu'il prévoit est destiné à leur permettre de donner naissance à leurs enfants.

45

Les requérants considèrent cependant que cet article doit être interprété en ce sens qu'il permet au père de partager la partie du congé qui ne vise pas à protéger la femme en raison de ses besoins spécifiques.

46

Or, une telle interprétation est non seulement contraire au texte de l'article 58 du statut, mais également au principe général d'égalité de traitement.

47

En effet, l'exercice du droit au partage proposé par les requérants nécessite que les deux parents soient employés par la Communauté, et susceptibles de bénéficier conjointement du congé de maternité prévu par l'article 58 du statut. Si cette hypothèse se vérifie dans le cas d'espèce, il convient de constater que, à l'inverse, dans le cas où un seul des parents se trouve soumis au statut, le partage envisagé n'est plus réalisable. En particulier, l'interprétation proposée par les requérants ne permettrait pas à un fonctionnaire, père d'un enfant dont la mère ne travaille pas pour la Communauté, de bénéficier d'un quelconque droit découlant de l'article 58 du statut. Il y aurait, dans ce cas, une discrimination entre fonctionnaires de la Communauté.

48

Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'interprétation, selon laquelle le droit au congé prévu par l'article 58 du statut est expressément réservé aux femmes, n'est pas contraire au principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes. Ainsi, la Cour a énoncé à plusieurs reprises que le congé de maternité répond à deux ordres de besoins spécifiques de la femme, d'une part, la protection de sa condition biologique au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci, jusqu'à un moment où ses fonctions physiologiques et psychiques sont normalisées à la suite de l'accouchement, et, d'autre part, la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l'accouchement, en évitant que ces rapports soient troublés par le cumul des charges résultant de l'exercice simultané d'une activité professionnelle (voir arrêts de la Cour du 12 juillet 1984, Hofmann, 184/83, Rec. p. 3047, du 5 mai 1994, Habermann-Beltermann, C-421/92, Rec. p. I-1657, point 21, Webb, précité, point 20, du 30 avril 1998, Thibault, C-136/95, Rec. p. I-2011, point 25, du 30 juin 1998, Brown, C-394/96, Rec. p. I-4185, point 17, et du 27 octobre 1998, Boyle e.a., C-411/96, Rec. p. I-6401, point 41).

49

Dès lors, comme l'affirme le Conseil ajuste titre, l'article 58 du statut poursuit un objectif d'égalité de traitement entre travailleurs masculins et féminins et ne saurait donc être discriminatoire à l'égard des hommes.

50

Il s'ensuit que la Commission était fondée à considérer que l'article 58 du statut réserve expressément le droit au congé de maternité aux femmes et, partant, qu'il ne permet pas le partage de ce congé entre les deux parents.

51

Par conséquent, le premier moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen, pris de l'illégalité de l'article 58 du statut en ce que celui-ci violerait le principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes

Arguments des parties

52

A titre subsidiaire, les requérants soutiennent que, si l'article 58 n'autorise pas le partage du congé de maternité, il présente un caractère discriminatoire en ce qu'il défavorise les femmes et, dès lors, il est illégal au regard du principe d'égalité de traitement. En effet, lorsque, après l'accouchement, la mère est rétablie, l'objectif de protection poursuivi par l'article 58 du statut serait rempli. Partant, il serait injustifié d'imposer à la mère de prendre le congé de maternité jusqu'à son terme.

53

En effet, un congé obligatoire de quatre mois retarderait l'acquisition des nouvelles compétences et de l'expérience qui sont toujours prises en compte dans le déroulement de la carrière, même si les droits pécuniaires et à promotion de la mère ne sont pas, en soi, remis en cause.

54

La Commission et le Conseil contestent que l'article 58 du statut viole le principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes.

55

Lors de l'audience, la Commission a affirmé que le congé de maternité n'était pas obligatoire dans le sens allégué par les requérants. En effet, l'article 58 du statut viserait à empêcher que l'AIPN n'exige d'une femme ayant accouché qu'elle reprenne le travail avant l'expiration de la période de seize semaines. Cependant, conformément à la pratique de la Commission, la femme aurait la possibilité, si elle le souhaite, de reprendre son travail avant l'expiration de la période de seize semaines, à condition qu'elle puisse démontrer, par un certificat médical, qu'elle est rétablie.

Appréciation du Tribunal

56

L'article 58 du statut dispose que les femmes enceintes ont droit, sur production d'un certificat médical, à un congé commençant six semaines avant la date probable d'accouchement indiquée dans le certificat et se terminant dix semaines après la date de l'accouchement, sans que ce congé puisse être inférieur à seize semaines.

57

Il ressort du texte de cet article et, plus particulièrement, des mots «ont droit» que le caractère obligatoire de la durée de seize semaines du congé de maternité ne s'impose pas aux femmes enceintes. En effet, l'expression «sans que ce congé puisse être inférieur à seize semaines» vise à garantir aux mères qui n'ont pas bénéficié des six semaines de congé prévues avant la naissance de leur enfant, notamment lorsque ce dernier est prématuré, le droit à un congé d'une durée totale de seize semaines.

58

De même, l'article 58 tend également à protéger les femmes des pressions indésirables destinées à leur faire reprendre prématurément leur travail (voir, en ce sens, arrêt Hofmann, précité, point 26).

59

Ainsi, l'article 58 du statut doit être interprété dans le sens qu'il vise à garantir aux femmes enceintes le bénéfice du droit au congé qu'il prévoit sans constituer à leur égard une obligation et, partant, il n'impose pas à la mère une période d'inactivité professionnelle de seize semaines, celle-ci pouvant reprendre le travail avant l'expiration de ce délai, à condition toutefois, compte tenu des objectifs poursuivis par cette disposition, de produire un certificat médical démontrant qu'elle est rétablie.

60

Il en résulte que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'article 58 du statut ne défavorise pas les femmes. Par ailleurs, il a été constaté au point 49 ci-dessus que l'article 58 du statut ne contrevient pas non plus au principe d'égalité de traitement en réservant à la mère le bénéfice du congé de maternité.

61

Par conséquent, le deuxième moyen doit être rejeté.

Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de l'intérêt du service et d'un défaut de motivation

Arguments des parties

62

Les requérants affirment que la décision attaquée, d'une part, est entachée d'un défaut manifeste de motivation et, d'autre part, méconnaît la notion de l'intérêt du service.

63

En effet, la Commission n'aurait pas démontré que l'absence de Mme Burrill pendant le congé de maternité, c'est-à-dire pour une durée minimale de seize semaines, serait dans l'intérêt du service. Si la femme qui a accouché doit pouvoir bénéficier d'un délai suffisant pour se rétablir, il serait cependant contraire à l'intérêt du service qu'elle soit maintenue en congé après son rétablissement. De même, il serait dans l'intérêt du service que M. Noriega Guerra travaille à mi-temps plutôt qu'il ne prenne un congé de convenance personnelle, par ailleurs inadapté.

64

La Commission et le Conseil contestent cet argument.

Appréciation du Tribunal

65

Il y a lieu de relever que la demande des requérants du 1er décembre 1997 était formulée dans les termes suivants:

«[Nous] demandons à [l' AIPN] que la partie du congé après l'accouchement et après le rétablissement de la mère (prouvé si besoin est par un certificat médical) [...] puisse être prise tant par la mère que par le père sous forme de travail à mi-temps (équivalent à 2,5 jours par semaine pour la mère et 2,5 jours par semaine pour le père).»

66

La décision attaquée indiquait en réponse:

«Partager ce type de congé, qui est prévu dans l'intérêt de la mère ainsi que dans celui de l'institution, irait à l'encontre des dispositions statutaires qui sont bien précises à ce sujet.»

67

Il en résulte que l'AIPN, en invoquant «l'intérêt [...] de l'institution» entendait en réalité rappeler que le congé de maternité est, en principe, dans l'intérêt de la mère comme de l'institution, ce qui n'est pas contesté par les requérants. L'expression en cause se rapportait en effet aux mots «type de congé», et non pas à une appréciation de la situation particulière des requérants et des conséquences éventuelles de leur demande dans le fonctionnement de leurs services respectifs. En effet, il ressort clairement de la décision attaquée que l'AIPN a rejeté leur demande au seul motif que celle-ci allait à l'encontre des dispositions statutaires.

68

En tout état de cause, la Commission a précisé à l'instance que le congé de maternité n'est pas obligatoire dans le sens allégué par les requérants (voir point 55 ci-dessus). La question de savoir s'il est contraire à l'intérêt du service que la femme soit maintenue en congé après son rétablissement ne se pose donc pas en l'espèce.

69

Il s'ensuit que l'argument tiré de la méconnaissance de l'intérêt du service est inopérant, et que la décision attaquée a fourni les indications nécessaires aux requérants pour savoir si la décision était ou non fondée ainsi qu'au juge pour exercer son contrôle.

70

Par conséquent, le troisième moyen doit être rejeté.

71

Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

72

Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Les requérants ayant succombé en leurs conclusions, chaque partie supportera ses propres dépens.

73

Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Conseil, partie intervenante au litige, supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

Chaque partie supportera ses propres dépens.

 

Cooke

García-Valdecasas

Lindh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 octobre 1999.

Le greffier

H. Jung

Le président

R. Garcia-Valdecasas


( *1 ) Langue de procédure: le français.