ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

18 mai 2017 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Propriété intellectuelle — Règlement (CE) no 207/2009 — Marque de l’Union européenne — Article 97, paragraphe 1 — Compétence internationale — Action en contrefaçon dirigée contre une société établie dans un État tiers — Sous-filiale établie sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie — Notion d’“établissement”»

Dans l’affaire C‑617/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), par décision du 16 novembre 2015, parvenue à la Cour le 23 novembre 2015, dans la procédure

Hummel Holding A/S

contre

Nike Inc.,

Nike Retail BV,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, Mme A. Prechal, M. A. Rosas, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 octobre 2016,

considérant les observations présentées :

pour Hummel Holding A/S, par M. T. Bösling, Rechtsanwalt,

pour Nike Retail BV et Nike Inc., par MM. B. Führmeyer et F. Klein, Rechtsanwälte,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme A. Collabolletta, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par Mme J. Samnadda ainsi que par MM. T. Scharf et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 janvier 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 97, paragraphe 1, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Hummel Holding A/S à Nike Inc. et à sa filiale, Nike Retail BV, au sujet de la prétendue contrefaçon, par ces dernières, d’une marque internationale de Hummel Holding, produisant des effets dans l’Union européenne.

Le cadre juridique

Le règlement (CE) no 44/2001

3

Les considérants 11 à 13 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), énoncent :

« (11)

Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. [...]

(12)

Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

(13)

S’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales. »

4

L’article 2, paragraphe 1, de ce règlement se lit comme suit :

« Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

5

L’article 4, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :

« Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application des dispositions des articles 22 et 23. »

Le règlement no 207/2009

6

Le règlement no 207/2009 a été modifié par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21), qui est entré en vigueur le 23 mars 2016. Toutefois, compte tenu de la date des faits au principal, le présent renvoi préjudiciel est examiné au regard du règlement no 207/2009 tel qu’en vigueur avant cette modification.

7

Les considérants 15 à 17 du règlement no 207/2009 énoncent :

« (15)

Pour renforcer la protection des marques [de l’Union européenne], il convient que les États membres désignent, eu égard à leur système national, un nombre aussi limité que possible de tribunaux nationaux de première et de deuxième instance compétents en matière de contrefaçon et de validité de la marque [de l’Union européenne].

(16)

Il est indispensable que les décisions sur la validité et la contrefaçon des marques [de l’Union européenne] produisent effet et s’étendent à l’ensemble de [l’Union], seul moyen d’éviter des décisions contradictoires des tribunaux et de l’[Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)], et des atteintes au caractère unitaire des marques [de l’Union européenne]. Ce sont les dispositions du règlement [no 44/2001] qui devraient s’appliquer à toutes les actions en justice relatives aux marques [de l’Union européenne], sauf si le présent règlement y déroge.

(17)

Il convient d’éviter que des jugements contradictoires soient rendus à la suite d’actions dans lesquelles sont impliquées les mêmes parties et qui sont formées pour les mêmes faits sur la base d’une marque [de l’Union européenne] et de marques nationales parallèles. À cet effet, lorsque les actions sont formées dans le même État membre, les moyens pour atteindre cet objectif sont à rechercher dans les règles de procédure nationales, auxquelles le présent règlement ne porte pas atteinte, alors que, lorsque les actions sont formées dans des États membres différents, des dispositions inspirées des règles en matière de litispendance et de connexité du règlement [no 44/2001] apparaissent appropriées. »

8

L’article 94 de ce règlement, intitulé « Application du règlement [no 44/2001] », figure sous son titre X, qui comporte les règles relatives à la compétence et à la procédure concernant les actions en justice relatives aux marques de l’Union européenne. Cet article dispose :

« 1.   À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les dispositions du règlement [no 44/2001] sont applicables aux procédures concernant les marques [de l’Union européenne] et les demandes de marque [de l’Union européenne] ainsi qu’aux procédures concernant les actions simultanées ou successives menées sur la base de marques [de l’Union européenne] et de marques nationales.

2.   En ce qui concerne les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 96 :

a)

l’article 2, l’article 4, l’article 5, points 1, 3, 4 et 5, et l’article 31 du règlement [no 44/2001] ne sont pas applicables ;

b)

les articles 23 et 24 du règlement [no 44/2001] sont applicables dans les limites prévues à l’article 97, paragraphe 4, du présent règlement ;

c)

les dispositions du chapitre II du règlement [no 44/2001] qui s’appliquent aux personnes domiciliées dans un État membre s’appliquent également aux personnes qui ne sont pas domiciliées dans un État membre, mais qui y ont un établissement. »

9

L’article 95, paragraphe 1, dudit règlement, intitulé « Tribunaux des marques [de l’Union européenne] », prévoit :

« Les États membres désignent sur leurs territoires un nombre aussi limité que possible de juridictions nationales de première et de deuxième instance, ci-après dénommées “tribunaux des marques [de l’Union européenne]”, chargées de remplir les fonctions qui leur sont attribuées par le présent règlement. »

10

L’article 96 du même règlement, intitulé « Compétence en matière de contrefaçon et de validité », dispose :

« Les tribunaux des marques [de l’Union européenne] ont compétence exclusive :

a)

pour toutes les actions en contrefaçon et – si la loi nationale les admet – en menace de contrefaçon d’une marque [de l’Union européenne] ;

[...] »

11

L’article 97 du règlement no 207/2009, intitulé « Compétence internationale », se lit comme suit :

« 1.   Sous réserve des dispositions du présent règlement ainsi que des dispositions du règlement [no 44/2001] applicables en vertu de l’article 94, les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 96 sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou, si celui-ci n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

2.   Si le défendeur n’a ni son domicile, ni un établissement sur le territoire d’un État membre, ces procédures sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le demandeur a son domicile ou, si ce dernier n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

3.   Si ni le défendeur, ni le demandeur ne sont ainsi domiciliés ou n’ont un tel établissement, ces procédures sont portées devant les tribunaux de l’État membre dans lequel l’[EUIPO] a son siège.

[...]

5.   Les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 96, à l’exception des actions en déclaration de non-contrefaçon d’une marque [de l’Union européenne], peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis ou sur le territoire duquel un fait visé à l’article 9, paragraphe 3, deuxième phrase, a été commis. »

12

L’article 98 de ce règlement, intitulé « Étendue de la compétence », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Un tribunal des marques [de l’Union européenne] dont la compétence est fondée sur l’article 97, paragraphes 1 à 4, est compétent pour statuer sur :

a)

les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de tout État membre ;

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

13

Hummel Holding est une entreprise établie au Danemark qui fabrique des articles de sport, des vêtements de sport et de loisirs, ainsi que des chaussures de sport et de loisirs. Elle est titulaire de la marque figurative internationale enregistrée sous le numéro 943057 et produisant des effets dans l’Union pour des produits de la classe 25, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et qui correspond à la description suivante : « Vêtements, chaussures, chapellerie ».

14

Nike, qui a son siège aux États-Unis, est la société de tête du groupe Nike, qui commercialise des articles de sport dans le monde entier. Nike Retail, établie aux Pays-Bas, appartient également à ce groupe. Cette dernière exploite le site Internet sur lequel les produits de Nike sont présentés et proposés, notamment à destination de l’Allemagne. Outre leur commercialisation en ligne sur ce site Internet, les produits de Nike sont vendus en Allemagne par l’intermédiaire de commerçants indépendants qui s’approvisionnent auprès de Nike Retail. Les sociétés du groupe Nike n’exploitent pas directement de magasins en gros ou au détail en Allemagne.

15

Nike Deutschland GmbH, dont le siège se trouve à Frankfurt am Main (Francfort-sur-le-Main, Allemagne) et qui n’est pas partie au litige au principal, est, selon l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), une filiale de Nike Retail. Nike Deutschland ne dispose pas de site Internet propre et ne distribue pas de marchandises à des consommateurs finaux ou à des intermédiaires. En revanche, elle négocie les contrats entre les intermédiaires et Nike Retail et prête son assistance à cette dernière société pour la publicité et l’exécution des contrats. Nike Deutschland assure également le service après-vente auprès des consommateurs finaux.

16

Hummel Holding considère que certains produits de Nike, en particulier des shorts de basket-ball, contrefont la marque visée au point 13 du présent arrêt et fait valoir que la plupart des contrefaçons ont eu lieu en Allemagne. Elle a intenté, contre Nike et Nike Retail, un recours devant le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne), qui s’est déclaré compétent au motif que Nike Deutschland constituait un établissement de Nike, tout en rejetant le recours au fond. Hummel Holding a interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi.

17

Hummel Holding demande la cessation de l’importation et de l’exportation, de la publicité, de l’offre, de la mise sur le marché et du consentement à la mise sur le marché de ces produits, d’une part, en ce qui concerne le territoire de l’Union (à titre subsidiaire, le territoire de la République fédérale d’Allemagne) pour ce qui concerne Nike, et, d’autre part, en ce qui concerne le territoire de la République fédérale d’Allemagne pour ce qui concerne Nike Retail.

18

Nike et Nike Retail ont excipé de l’incompétence internationale des juridictions allemandes.

19

La juridiction de renvoi considère que la compétence internationale des tribunaux allemands pour statuer sur le recours, visant toute l’Union, qui est dirigé contre les sociétés du groupe Nike, ne peut résulter que de l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009. Elle relève toutefois que la portée de la notion d’« établissement », au sens de cette disposition, dans le cas de filiales et de sous-filiales indépendantes, est controversée et n’a pas été clarifiée par la Cour.

20

Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Dans quelles conditions une société juridiquement indépendante, établie dans un État membre de l’Union, qui est une sous-filiale d’une entreprise qui n’a pas elle-même son siège dans l’Union doit-elle être considérée comme un “établissement” de cette entreprise au sens de l’article 97, paragraphe 1, du [règlement no 207/2009] ? »

Sur la question préjudicielle

21

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens qu’une société juridiquement indépendante établie dans un État membre, qui est une sous-filiale d’une maison mère qui n’a pas son siège dans l’Union, constitue un « établissement » de cette maison mère au sens de cette disposition.

22

Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, notamment, arrêts du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, EU:C:1984:11, point 11 ; du 3 septembre 2014, Vrijheidsfonds et Deckmyn, C‑201/13, EU:C:2014:2132, point 14, et du 16 juillet 2015, Abcur, C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 45).

23

Tel est le cas de la notion d’« établissement », au sens de l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, dès lors que cette notion ne se trouve pas définie dans ledit règlement et que celui-ci ne comporte aucun renvoi aux droits nationaux pour déterminer le sens de celle-ci.

24

D’emblée, il y a lieu de relever que le règlement no 207/2009 prévoit, sous réserve des exceptions qui y sont expressément visées, l’application des dispositions du règlement no 44/2001 aux procédures concernant les marques de l’Union européenne et les demandes de telles marques, ce qui ressort expressément du considérant 16 du règlement no 207/2009 ainsi que de son article 94 et de son article 97, paragraphe 1.

25

À cet égard, bien que certaines dispositions du règlement no 44/2001, tels son article 5, paragraphe 5, et son article 18, paragraphe 2, se réfèrent elles aussi à la notion d’« établissement », de telle sorte qu’il n’est pas à exclure que les enseignements découlant de la jurisprudence de la Cour afférente à ces deux dispositions puissent, dans une certaine mesure, être pertinents aux fins d’interpréter la notion d’« établissement » au sens du règlement no 207/2009, il ne saurait toutefois être considéré que ladite notion devrait nécessairement revêtir la même portée, selon qu’elle est utilisée dans le cadre de l’un ou de l’autre de ces deux règlements.

26

En effet, nonobstant le principe de l’application du règlement no 44/2001 aux actions en justice portant sur une marque de l’Union européenne, l’application de certaines dispositions de ce règlement, et en particulier des règles visées à son article 4 et à son article 5, paragraphe 1, aux procédures résultant des actions et des demandes visées à l’article 96 du règlement no 207/2009, se trouve exclue en vertu de l’article 94, paragraphe 2, de ce dernier règlement. Compte tenu de cette exclusion, la compétence des tribunaux des marques de l’Union européenne, prévus à l’article 95, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 pour connaître des actions et des demandes visées à l’article 96 de celui-ci, résulte des règles prévues directement par ce règlement, lesquelles ont le caractère d’une lex specialis par rapport aux règles énoncées par le règlement no 44/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2014, Coty Germany, C‑360/12, EU:C:2014:1318, points 26 et 27).

27

En outre, le règlement no 44/2001, d’une part, et le règlement no 207/2009, d’autre part, poursuivent des objectifs qui ne sont pas identiques. Ainsi, le règlement no 44/2001 vise, selon ses considérants 12 et 13, à compléter le domicile du défendeur par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice, ou, s’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, à protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales.

28

Pour sa part, le règlement no 207/2009 a pour objectif, selon ses considérants 15 à 17, de renforcer la protection des marques de l’Union européenne et d’éviter les décisions contradictoires des tribunaux ainsi que des atteintes au caractère unitaire desdites marques, au moyen de décisions des tribunaux des marques de l’Union européenne produisant effet et s’étendant à toute l’Union.

29

Aussi convient-il, afin de déterminer les éléments qui caractérisent la notion d’« établissement », au sens de l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, de tenir compte, conformément à la jurisprudence de la Cour rappelée au point 22 du présent arrêt, non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et de ses objectifs.

30

Le libellé de l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 ne comporte pas de précision sur la notion d’« établissement », aux fins de son application. Il en ressort toutefois qu’un défendeur, qui n’a pas de domicile au sein de l’Union, est susceptible d’y avoir un ou plusieurs établissements, ce qui paraît a priori suggérer que, en ce dernier cas, les tribunaux des différents États membres sur le territoire duquel se trouvent de tels établissements sont susceptibles d’être saisis.

31

S’agissant du contexte dans lequel s’insère l’article 97 du règlement no 207/2009, il y a lieu de relever que cette disposition garantit l’existence d’un for au sein de l’Union pour tous les litiges en matière de contrefaçon et de validité d’une marque de l’Union européenne. Cet article, qui comporte plusieurs chefs de compétence internationale, énumère, à ses paragraphes 1 à 4, les critères successifs permettant de déterminer l’État membre dont les juridictions sont compétentes, en application de l’article 98, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, pour assurer la protection effective des marques de l’Union européenne sur tout le territoire de cette dernière.

32

L’article 97 du règlement no 207/2009 instaure, à titre principal, à son paragraphe 1, la compétence des tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou, si celui-ci n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement. Ce n’est que si le défendeur ne dispose ni d’un domicile ni d’un établissement sur le territoire d’un État membre de l’Union que les paragraphes 2 et 3 de cet article prévoient respectivement, à titre subsidiaire, une compétence au profit des tribunaux du domicile ou de l’établissement du demandeur et, à titre plus subsidiaire encore, une compétence au profit des tribunaux de l’État membre dans lequel l’EUIPO a son siège.

33

Quant au paragraphe 5 dudit article, il instaure, notamment, une compétence au profit des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace de l’être, hypothèse dans laquelle une telle juridiction dispose toutefois, ainsi qu’il ressort de l’article 98 du règlement no 207/2009, d’une compétence limitée au territoire de l’État membre dont elle relève.

34

Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 80 de ses conclusions, l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, qui prévoit la compétence des tribunaux du territoire de l’État membre sur lequel est situé l’établissement d’une société qui n’a pas son siège au sein de l’Union, loin de constituer une exception à la compétence de principe du domicile du défendeur, qui résulte de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 lu à la lumière du considérant 11 de ce dernier, en représente plutôt la mise en œuvre, ce qui plaide pour une interprétation large de cette notion.

35

En effet, le caractère de principe général que revêt cette règle de compétence, laquelle est l’expression de l’adage actor sequitur forum rei, s’explique par le fait qu’elle permet au défendeur de se défendre, en principe, plus aisément (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 2000, JosiGroup , C‑412/98, EU:C:2000:399, point 35, et du 19 février 2002, Besix, C‑256/00, EU:C:2002:99, point 52). Or, tel est le cas, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 82 de ses conclusions, lorsqu’une partie est amenée à se défendre devant les juridictions d’un État dans lequel elle dispose d’un établissement et à l’égard duquel elle se trouve dès lors dans une situation de plus grande proximité.

36

Cette interprétation ne porte par ailleurs pas atteinte aux objectifs de la réglementation sur la marque de l’Union européenne, rappelés au point 28 du présent arrêt, dès lors que les décisions des tribunaux des marques de l’Union européenne compétents sur le fondement de l’article 97 du règlement no 207/2009 produisent effet et s’étendent à toute l’Union.

37

Une telle interprétation large conduit à considérer que sont requis des signes matériels qui permettent aisément de reconnaître l’existence d’un « établissement », au sens de l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 52 de ses conclusions, une telle existence requiert, ainsi, une forme de présence réelle et stable, à partir de laquelle une activité commerciale est exercée, et qui se manifeste par la présence de personnel ainsi que d’un équipement matériel. En outre, cet établissement doit se manifester d’une façon durable vers l’extérieur, comme le prolongement d’une maison mère (voir, en ce sens, arrêts du 22 novembre 1978, Somafer, 33/78, EU:C:1978:205, point 11 ; du 18 mars 1981, Blanckaert & Willems, 139/80, EU:C:1981:70, point 12 ; du 9 décembre 1987, SchotteSAR , 218/86, EU:C:1987:536, point 10, et du 19 juillet 2012, Mahamdia, C‑154/11, EU:C:2012:491, point 48).

38

Il est à cet égard dépourvu de pertinence que l’établissement, sur le territoire d’un État membre, d’une société dont le siège est établi en dehors de l’Union soit pourvu ou non de la personnalité juridique (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C‑384/10, EU:C:2011:842, point 54). Ainsi, les tiers doivent pouvoir s’en remettre à l’apparence créée par l’établissement agissant en tant que prolongement de la maison mère (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 1987, SchotteSAR , 218/86, EU:C:1987:536, point 15).

39

La circonstance que la société établie dans l’État membre dont les juridictions sont saisies est une sous-filiale de la société dont le siège est établi en dehors de l’Union et non une filiale directe de celle-ci est également sans pertinence, pourvu que les conditions énoncées au point 37 du présent arrêt soient remplies.

40

Par ailleurs, il n’importe pas, en principe, aux fins de l’application de l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, que l’établissement ainsi déterminé ait ou non participé à la contrefaçon alléguée. En effet, une telle exigence, qui n’est pas prévue à l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, ne serait en outre pas conciliable avec la nécessité d’une interprétation large de la notion d’« établissement », rappelée au point 34 du présent arrêt.

41

Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 97, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens qu’une société juridiquement indépendante, établie dans un État membre, qui est une sous-filiale d’une maison mère qui n’a pas son siège dans l’Union, constitue un « établissement », au sens de cette disposition, de cette maison mère, dès lors que cette filiale est un centre d’opérations qui, dans l’État membre où elle est située, dispose d’une forme de présence réelle et stable, à partir de laquelle une activité commerciale est exercée, et qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur, comme le prolongement de ladite maison mère.

Sur les dépens

42

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

L’article 97, paragraphe 1, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’une société juridiquement indépendante, établie dans un État membre, qui est une sous-filiale d’une maison mère qui n’a pas son siège dans l’Union européenne, constitue un « établissement », au sens de cette disposition, de cette maison mère, dès lors que cette filiale est un centre d’opérations qui, dans l’État membre où elle est située, dispose d’une forme de présence réelle et stable, à partir de laquelle une activité commerciale est exercée, et qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur, comme le prolongement de ladite maison mère.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand