ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

4 mai 2017 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Article 56 TFUE — Libre prestation des services — Prestations de soins buccaux et dentaires — Législation nationale interdisant de manière absolue la publicité pour des services de soins buccaux et dentaires — Existence d’un élément transfrontalier — Protection de la santé publique — Proportionnalité — Directive 2000/31/CE — Service de la société de l’information — Publicité faite à travers un site Internet — Membre d’une profession réglementée — Règles professionnelles — Directive 2005/29/CE — Pratiques commerciales déloyales — Dispositions nationales relatives à la santé — Dispositions nationales régissant les professions réglementées»

Dans l’affaire C‑339/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg te Brussel, strafzaken (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, section correctionnelle, Belgique), par décision du 18 juin 2015, parvenue à la Cour le 7 juillet 2015, dans la procédure pénale contre

Luc Vanderborght,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), président de chambre, MM. M. Vilaras, J. Malenovský, M. Safjan et D. Šváby, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 juillet 2016,

considérant les observations présentées :

pour Luc Vanderborght, par Mes S. Callens, M. Verhaege et L. Boddez, advocaten,

pour le Verbond der Vlaamse Tandartsen VZW, par Mes N. Van Ranst et V. Vanpeteghem, advocaten,

pour le gouvernement belge, par Mmes C. Pochet, J. Van Holm et M. J.-C. Halleux, en qualité d’agents, assistés de Mes A. Fromont et L. Van den Hole, advocaten,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme W. Ferrante, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. D. Roussanov et F. Wilman, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22) et de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de M. Luc Vanderborght, dentiste établi en Belgique, poursuivi pour avoir enfreint une réglementation nationale interdisant toute publicité pour des prestations de soins buccaux et dentaires.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 92/51/CEE

3

L’article 1er de la directive 92/51/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE (JO 1992, L 209, p. 25) dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

f)

“activité professionnelle réglementée” : une activité professionnelle dont l’accès ou l’exercice, ou l’une des modalités d’exercice dans un État membre, est subordonné, directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession d’un titre de formation ou d’une attestation de compétence. [...]

[...] »

La directive 98/34/CE

4

L’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 1998, L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO 1998, L 217, p. 18) (ci‑après la « directive 98/34 »), définit comme suit la notion de « service » :

« [T]out service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par :

les termes “à distance” : un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes,

“par voie électronique” : un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques,

“à la demande individuelle d’un destinataire de services” : un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

[...] »

La directive 2000/31

5

Le considérant 18 de la directive 2000/31 énonce :

« Les services de la société de l’information englobent un large éventail d’activités économiques qui ont lieu en ligne. [...] Les services de la société de l’information ne se limitent pas exclusivement aux services donnant lieu à la conclusion de contrats en ligne, mais, dans la mesure où ils représentent une activité économique, ils s’étendent à des services qui ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent, tels que les services qui fournissent des informations en ligne ou des communications commerciales [...]. Les activités qui, par leur nature, ne peuvent pas être réalisées à distance ou par voie électronique, telles que le contrôle légal des comptes d’une société ou la consultation médicale requérant un examen physique du patient, ne sont pas des services de la société de l’information. »

6

L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)

“services de la société de l’information” : les services au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [98/34] ;

[...]

f)

“communication commerciale” : toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services, ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. [...]

[...]

g)

“profession réglementée” : toute profession au sens, soit de l’article 1er, point d), de la directive 89/49/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionne des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans [...], soit au sens de l’article 1er, point f), de la directive [92/51] [...] ;

[...] »

7

L’article 8, paragraphes 1 et 2, de ladite directive, intitulé « Professions réglementées », est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que l’utilisation de communications commerciales qui font partie d’un service de la société de l’information fourni par un membre d’une profession réglementée, ou qui constituent un tel service, soit autorisée sous réserve du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession ainsi que le secret professionnel et la loyauté envers les clients et les autres membres de la profession.

2.   Sans préjudice de l’autonomie des organismes et associations professionnels, les États membres et la Commission encouragent les associations et les organismes professionnels à élaborer des codes de conduite au niveau communautaire pour préciser les informations qui peuvent être données à des fins de communications commerciales dans le respect des règles visées au paragraphe 1. »

La directive 2005/29

8

Le considérant 9 de la directive 2005/29 énonce :

« La présente directive s’applique sans préjudice des recours individuels formés par les personnes lésées par une pratique commerciale déloyale. Elle s’applique également sans préjudice des règles communautaires et nationales relatives [...] aux questions de santé et de sécurité liées aux produits [...]. Les États membres pourront ainsi maintenir ou instaurer sur leur territoire des mesures de restriction ou d’interdiction de pratiques commerciales pour des motifs de protection de la santé et de la sécurité des consommateurs, quel que soit le lieu d’établissement du professionnel, par exemple pour ce qui concerne l’alcool, le tabac ou les produits pharmaceutiques. [...] »

9

L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

c)

“produit” : tout bien ou service, y compris les biens immobiliers, les droits et les obligations ;

d)

“pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs” (ci‑après également dénommées “pratiques commerciales”) : toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs ;

[...] »

10

L’article 3 de ladite directive prévoit :

« 1.   La présente directive s’applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telles que définies à l’article 5, avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit.

[...]

3.   La présente directive s’applique sans préjudice des dispositions communautaires ou nationales relatives à la santé et à la sécurité des produits.

[...]

8.   La présente directive s’applique sans préjudice des conditions d’établissement ou des régimes d’autorisation ou des codes de déontologie ou de toute autre disposition spécifique régissant les professions réglementées que les États membres peuvent imposer aux professionnels, conformément à la législation communautaire, pour garantir que ceux-ci répondent à un niveau élevé d’intégrité.

[...] »

Le droit belge

11

L’article 8 quinquies du Koninklijk Besluit houdende reglement op de beoefening van de tandheelkunde (arrêté royal réglementant l’exercice de l’art dentaire), du 1er juin 1934 (Belgisch Staatsblad du 7 juin 1934, p. 3220), dispose ce qui suit :

« Pour l’annonce au public, est seule autorisée, sur l’immeuble dans lequel une personne qualifiée [...] exerce l’art dentaire, l’apposition d’une inscription ou d’une plaque de dimensions et d’aspect discrets, portant le nom du praticien et éventuellement sa qualification légale, ses jours et heures de consultations, la dénomination de l’entreprise ou de l’organisme de soins au sein duquel le praticien exerce son activité professionnelle ; elle peut également mentionner la partie de l’art dentaire spécialement exercée par le praticien : dentisterie opératoire, prothèse buccale, orthodontie, chirurgie dentaire.

[...] »

12

Aux termes de l’article 1er de la Wet betreffende de publiciteit inzake tandverzorging (loi relative à la publicité en matière de soins dentaires), du 15 avril 1958 (Belgisch Staatsblad du 5 mai 1958, p. 3542) :

« Nul ne peut se livrer directement ou indirectement à quelque publicité que ce soit en vue de soigner ou de faire soigner par une personne qualifiée ou non, en Belgique ou à l’étranger, les affections, lésions ou anomalies de la bouche et des dents, notamment au moyen d’étalages ou d’enseignes, d’inscriptions ou de plaques susceptibles d’induire en erreur sur le caractère légal de l’activité annoncée, de prospectus, de circulaires, de tracts et de brochures, par la voie de la presse, des ondes et du cinéma [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13

M. Vanderborght exerçait, à l’époque des faits ayant donné lieu aux poursuites pénales dont il fait l’objet, en tant que praticien dentaire qualifié à Opwijk (Belgique). Ces poursuites ont été engagées contre lui au motif que, au moins entre les mois de mars 2003 et de janvier 2014, il aurait fait de la publicité pour des prestations de soins dentaires en violation du droit belge.

14

Il ressort de la décision de renvoi que M. Vanderborght a installé un panneau comportant trois faces imprimées, indiquant son nom, sa qualité de dentiste, l’adresse de son site Internet ainsi que le numéro d’appel de son cabinet.

15

En outre, M. Vanderborght a créé un site Internet, destiné à informer les patients des différents types de traitement qu’il réalise au sein de son cabinet. Enfin, il a inséré quelques annonces publicitaires dans des journaux locaux.

16

Les poursuites pénales font suite à une plainte émanant du Verbond der Vlaamse Tandartsen VZW, une association professionnelle.

17

Le 6 février 2014, le ministère public a requis le renvoi de M. Vanderborght devant le tribunal correctionnel. Par ordonnance du 25 mars 2014, la chambre du conseil l’a renvoyé devant le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg te Brussel, strafzaken (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, section correctionnelle, Belgique).

18

Devant la juridiction de renvoi, M. Vanderborght soutient que l’article 1er de la loi du 15 avril 1958 relative à la publicité en matière de soins dentaires, qui interdit de manière absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, ainsi que l’article 8 quinquies de l’arrêté royal du 1er juin 1934 réglementant l’exercice de l’art dentaire qui fixe certaines exigences de discrétion en ce qui concerne les enseignes de cabinets dentaires, sont contraires au droit de l’Union, notamment aux directives 2005/29 et 2000/31 ainsi qu’aux articles 49 et 56 TFUE.

19

La juridiction de renvoi constate que le litige au principal présente une dimension transfrontalière en se basant, notamment, sur les informations selon lesquelles M. Vanderborght diffuse des publicités sur Internet pouvant toucher des patients dans d’autres États membres et soigne une clientèle provenant en partie d’autres États membres.

20

C’est dans ce contexte que le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg te Brussel, strafzaken (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, section correctionnelle) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Faut-il interpréter la directive 2005/29 en ce sens qu’elle s’oppose à une loi nationale qui interdit de manière absolue toute publicité, quel qu’en soit l’auteur, pour des soins buccaux ou dentaires, tel l’article 1er de la loi du 15 avril 1958 relative à la publicité en matière de soins dentaires ?

2)

L’interdiction de la publicité pour des soins buccaux ou dentaires doit-elle être assimilée à une “disposition relative à la santé et à la sécurité des produits” au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/29 ?

3)

Faut-il interpréter la directive 2005/29 en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale détaillant les exigences de discrétion auxquelles doit répondre l’enseigne du cabinet d’un dentiste destinée au public, tel l’article 8 quinquies de l’arrêté royal du 1er juin 1934 réglementant l’exercice de l’art dentaire ?

4)

Faut-il interpréter la directive 2000/31 en ce sens qu’elle s’oppose à une loi nationale qui interdit de manière absolue toute publicité, quel qu’en soit l’auteur, pour des soins buccaux ou dentaires, y compris la publicité commerciale par voie électronique (site Internet), tel l’article 1er de la loi du 15 avril 1958 relative à la publicité en matière de soins dentaires ?

5)

Comment faut-il interpréter la notion de “services de la société de l’information” telle que définie à l’article 2, sous a), de la directive 2000/31 qui renvoie à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34 ?

6)

Faut-il interpréter les articles 49 et 56 TFUE en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle celle en cause dans la procédure au principal, qui, pour protéger la santé publique, impose une interdiction complète de publicité pour les soins dentaires ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première à troisième questions

21

Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2005/29 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui protège la santé publique et la dignité de la profession de dentiste, d’une part, en interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires et, d’autre part, en fixant certaines exigences de discrétion en ce qui concerne les enseignes de cabinets dentaires.

22

Afin de répondre à ces questions, il convient, à titre liminaire, de déterminer si les publicités qui font l’objet de l’interdiction en cause au principal constituent des pratiques commerciales au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2005/29, et sont, dès lors, soumises aux prescriptions édictées par cette dernière (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 2010, Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag, C‑540/08, EU:C:2010:660, point 16).

23

À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 2, sous d), de cette directive définit, en utilisant une formulation particulièrement large, la notion de « pratique commerciale » comme « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs » (arrêt du 9 novembre 2010, Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag, C‑540/08, EU:C:2010:660, point 17).

24

En outre, conformément à l’article 2, sous c), de ladite directive, la notion de « produit » vise, quant à elle, tout bien ou service.

25

Il en résulte que la publicité pour des services de soins buccaux et dentaires, telle que celle en cause au principal, que ce soit par des publications dans les périodiques publicitaires, sur Internet ou au moyen d’enseignes, constitue une « pratique commerciale », au sens de la directive 2005/29.

26

Cela étant, conformément à l’article 3, paragraphe 3, de cette directive, celle-ci s’applique sans préjudice des dispositions de droit de l’Union ou de droit national relatives à la santé et à la sécurité des produits.

27

Par ailleurs, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 3, paragraphe 8, de ladite directive, celle-ci s’applique sans préjudice des codes de déontologie ou de toute autre disposition spécifique régissant les professions réglementées que les États membres peuvent imposer aux professionnels conformément à la législation de l’Union, pour garantir que ceux-ci répondent à un niveau élevé d’intégrité.

28

Il découle ainsi de cette disposition que la directive 2005/29 n’a pas pour effet de remettre en cause les règles nationales relatives à la santé et à la sécurité des produits ou aux dispositions spécifiques régissant les professions réglementées.

29

Or, il ressort de la décision de renvoi que la législation nationale en cause au principal, à savoir l’article 1er de la loi du 15 avril 1958 relative à la publicité en matière de soins dentaires et l’article 8 quinquies de l’arrêté royal du 1er juin 1934 réglementant l’exercice de l’art dentaire, protègent respectivement la santé publique et la dignité de la profession de dentiste, de telle sorte qu’elle relève de l’article 3, paragraphes 3 et 8, de la directive 2005/29.

30

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions que la directive 2005/29 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui protège la santé publique et la dignité de la profession de dentiste, d’une part, en interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires et, d’autre part, en fixant certaines exigences de discrétion en ce qui concerne les enseignes de cabinets dentaires.

Sur les quatrième et cinquième questions

31

Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2000/31 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, en tant que celle-ci interdit toute forme de communications commerciales par voie électronique, y compris au moyen d’un site Internet créé par un dentiste.

32

À cet égard, il importe de relever que l’article 8, paragraphe 1, de cette directive énonce le principe selon lequel les États membres veillent à ce que l’utilisation de communications commerciales qui font partie d’un service de la société de l’information fourni par un membre d’une profession réglementée, ou qui constitue un tel service, soit autorisée.

33

Il ressort de l’article 2, sous g), de la directive 2000/31, lu en combinaison avec l’article 1er, sous f), de la directive 92/51 auquel cette première disposition fait référence, que doit notamment être considérée comme une « profession réglementée » une activité professionnelle dont l’accès ou l’exercice est subordonné par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession d’un titre de formation ou d’une attestation de compétence.

34

Il découle de la décision de renvoi que la profession de dentiste constitue, en Belgique, une profession réglementée, au sens de l’article 2, sous g), de la directive 2000/31.

35

En outre, en application de l’article 2, sous a), de la directive 2000/31, lu en combinaison avec l’article 1er, point 2, de la directive 98/34, la notion de « services de la société de l’information » comprend « tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ».

36

Le considérant 18 de la directive 2000/31 précise que la notion de « services de la société de l’information » englobe un large éventail d’activités économiques qui ont lieu en ligne et que celle-ci ne se limite pas exclusivement aux services donnant lieu à la conclusion de contrats en ligne, mais, dans la mesure où de tels services représentent une activité économique, ils s’étendent à des services qui ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent, tels que les services qui fournissent des informations en ligne ou de communications commerciales.

37

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la publicité en ligne est susceptible de constituer un service de la société de l’information au sens de la directive 2000/31 (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Mc Fadden, C‑484/14, EU:C:2016:689, points 41 et 42).

38

Par ailleurs, l’article 2, sous f), de cette directive précise que la notion de « communication commerciale » couvre notamment toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des services d’une personne exerçant une profession réglementée.

39

Il s’ensuit que la publicité relative aux prestations de soins buccaux et dentaires, faite au moyen d’un site Internet créé par un membre d’une profession réglementée, constitue une communication commerciale faisant partie d’un service de la société de l’information ou constituant un tel service, au sens de l’article 8 de la directive 2000/31.

40

Partant, il y a lieu de considérer que cette disposition implique, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 50 de ses conclusions, que les États membres doivent s’assurer que de telles communications commerciales soient, en principe, autorisées.

41

À cet égard, il importe de relever que l’interprétation contraire proposée par la Commission européenne, selon laquelle ladite disposition couvre uniquement les publicités fournies par un membre d’une profession réglementée lorsque celui-ci agit comme fournisseur de publicités en ligne, ne saurait être retenue, dans la mesure où cette interprétation aurait pour résultat de réduire de manière excessive la portée de ladite disposition.

42

Il convient, en effet, de rappeler que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 a pour objet de permettre aux membres d’une profession réglementée d’utiliser des services de la société de l’information afin de promouvoir leurs activités.

43

Cela étant, il ressort de cette disposition que des communications commerciales telles que celles mentionnées au point 39 du présent arrêt ne doivent être autorisées que sous réserve du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession réglementée concernée ainsi que le secret professionnel et la loyauté tant envers les clients qu’envers les autres membres de cette profession.

44

Pour autant, les règles professionnelles mentionnées à ladite disposition ne sauraient, sans priver celle-ci d’effet utile et faire obstacle à la réalisation de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union, interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité en ligne destinée à promouvoir l’activité d’une personne exerçant une profession réglementée.

45

Cette interprétation est corroborée par le fait que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2000/31 prévoit que les États membres et la Commission encouragent l’élaboration de codes de conduite ayant pour objet, non pas d’interdire ce genre de publicité, mais plutôt de préciser les informations qui peuvent être données à des fins de communications commerciales dans le respect de ces règles professionnelles.

46

Il s’ensuit que, si le contenu et la forme des communications commerciales visées à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 peuvent valablement être encadrées par des règles professionnelles, de telles règles ne sauraient comporter une interdiction générale et absolue de ce type de communications.

47

Cette considération est également valable en ce qui concerne une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne s’applique qu’aux dentistes.

48

En effet, il convient de relever que le législateur de l’Union n’a pas exclu de professions réglementées du principe d’autorisation des communications commerciales en ligne prévu à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31.

49

Dès lors, si cette disposition permet de tenir compte des particularités des professions de santé dans l’élaboration des règles professionnelles y afférentes, en encadrant, le cas échéant de manière étroite, les formes et les modalités des communications commerciales en ligne mentionnées à ladite disposition en vue notamment de garantir qu’il ne soit pas porté atteinte à la confiance qu’ont les patients envers ces professions, il n’en demeure pas moins que ces règles professionnelles ne sauraient valablement interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité en ligne destinée à promouvoir l’activité d’une personne exerçant une telle profession.

50

Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux quatrième et cinquième questions que la directive 2000/31 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, en tant que celle-ci interdit toute forme de communications commerciales par voie électronique, y compris au moyen d’un site Internet créé par un dentiste.

Sur la sixième question

51

Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires.

52

À titre liminaire, il convient de relever que, au regard de la réponse apportée aux quatrième et cinquième questions, il y a lieu de considérer que la sixième question porte, en définitive, sur la compatibilité avec les articles 49 et 56 TFUE d’une telle législation nationale en tant que celle-ci interdit la publicité qui n’est pas réalisée au moyen d’un service de la société de l’information.

Sur la recevabilité

53

Selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du traité garantissant les libertés de circulation ne sont pas applicables à une situation dans laquelle tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 octobre 1999, Jägerskiöld, C‑97/98, EU:C:1999:515, point 42, et du 11 juillet 2002, Carpenter, C‑60/00, EU:C:2002:434, point 28).

54

Certes, l’affaire au principal concerne des poursuites pénales engagées contre un dentiste, ressortissant belge, établi en Belgique, et qui exerce dans cet État membre.

55

Cependant, il ressort de la décision de renvoi qu’une partie de la clientèle de M. Vanderborght vient d’autres États membres.

56

Or, la Cour a déjà jugé que le fait qu’une partie de la clientèle soit composée de citoyens de l’Union provenant d’autres États membres était susceptible de constituer un élément transfrontalier impliquant l’application des dispositions du traité garantissant les libertés de circulation (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C‑98/14, EU:C:2015:386, points 25 et 26).

57

Partant, il y a lieu de considérer que la sixième question est recevable.

Sur le fond

58

Il convient de rappeler que, lorsqu’une mesure nationale se rapporte à la fois à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, la Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces deux libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée [arrêt du 26 mai 2016, NN (L) International, C‑48/15, EU:C:2016:356, point 39 et jurisprudence citée].

59

Or, tel est le cas en l’espèce.

60

En effet, dans la mesure où l’élément transfrontalier rendant applicable les dispositions du traité garantissant les libertés de circulation est constituée par le déplacement de destinataires de services établis dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C‑98/14, EU:C:2015:386, point 26), il convient de répondre à la sixième question au regard de l’article 56 TFUE.

61

À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que doivent être considérées comme des restrictions à la libre prestation des services toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Corporación Dermoestética, C‑500/06, EU:C:2008:421, point 32 ; du 22 janvier 2015, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑463/13, EU:C:2015:25, point 45, ainsi que du 28 janvier 2016, Laezza, C‑375/14, EU:C:2016:60, point 21).

62

Il y a lieu également de rappeler que, en particulier, la notion de « restriction » couvre les mesures prises par un État membre qui, quoique indistinctement applicables, affectent la libre circulation de services dans les autres États membres (arrêt du 12 septembre 2013, Konstantinides, C‑475/11, EU:C:2013:542, point 45 et jurisprudence citée).

63

Or, une législation nationale qui interdit, de manière générale et absolue, toute publicité pour une certaine activité est de nature à restreindre la possibilité, pour les personnes exerçant cette activité, de se faire connaître auprès de leur clientèle potentielle et de promouvoir les services qu’ils se proposent d’offrir à cette dernière.

64

Par conséquent, une telle législation nationale doit être considérée comme emportant une restriction à la libre prestation des services.

65

S’agissant de la justification d’une telle restriction, des mesures nationales susceptibles de restreindre l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité ne peuvent être admises qu’à la condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (arrêt du 12 septembre 2013, Konstantinides, C‑475/11, EU:C:2013:542, point 50 et jurisprudence citée).

66

En l’occurrence, la juridiction de renvoi a indiqué que la législation nationale en cause au principal vise à protéger la santé publique ainsi que la dignité de la profession de dentiste.

67

Il y a lieu d’observer, à cet égard, que la protection de la santé est l’un des objectifs figurant au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme constituant des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer, C‑169/07, EU:C:2009:141, point 46, et du 12 septembre 2013, Konstantinides, C‑475/11, EU:C:2013:542, point 51).

68

En outre, au regard de l’importance de la relation de confiance devant prévaloir entre le dentiste et son patient, il y a lieu de considérer que la protection de la dignité de la profession de dentiste est également de nature à constituer une telle raison impérieuse d’intérêt général.

69

Or, l’usage intensif de publicités ou le choix de messages promotionnels agressifs, voire de nature à induire les patients en erreur sur les soins proposés, est susceptible, en détériorant l’image de la profession de dentiste, en altérant la relation entre les dentistes et leurs patients, ainsi qu’en favorisant la réalisation de soins non appropriés ou non nécessaires, de nuire à la protection de la santé et de porter atteinte à la dignité de la profession de dentiste.

70

Dans ce contexte, une interdiction générale et absolue de la publicité est apte à garantir la réalisation des objectifs poursuivis en évitant tout usage, par les dentistes, de publicités et de messages promotionnels.

71

S’agissant de la nécessité d’une restriction à la libre prestation des services telle que celle en cause au principal, il doit être tenu compte du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le traité et qu’il appartient, en principe, aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Celui-ci pouvant varier d’un État membre à l’autre, il convient de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 2 décembre 2010, Ker-Optika, C‑108/09, EU:C:2010:725, point 58, et du 12 novembre 2015, Visnapuu, C‑198/14, EU:C:2015:751, point 118).

72

Cela étant, il y a lieu de considérer que, nonobstant cette marge d’appréciation, la restriction découlant de l’application de la législation nationale en cause au principal, interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, dépasse ce qui est nécessaire pour réaliser les objectifs poursuivis par cette législation, rappelés au point 66 du présent arrêt.

73

En effet, tous les messages publicitaires interdits par cette législation ne sont pas susceptibles, en tant que tels, de produire les effets contraires à ces objectifs mentionnés au point 69 du présent arrêt.

74

Il importe d’ailleurs de relever, à cet égard, que, si la Cour a déjà constaté, au point 57 de l’arrêt du 12 septembre 2013, Konstantinides (C‑475/11, EU:C:2013:542), la compatibilité avec l’article 56 TFUE d’une réglementation nationale interdisant les publicités pour les services médicaux dont le contenu est contraire à l’éthique professionnelle, force est de constater que la législation en cause au principal revêt une portée largement plus étendue.

75

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les objectifs poursuivis par la législation en cause au principal pourraient être atteints au moyen de mesures moins restrictives encadrant, le cas échéant de manière étroite, les formes et les modalités que peuvent valablement revêtir les outils de communication utilisés par les dentistes, sans pour autant leur interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité.

76

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la sixième question que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires.

Sur les dépens

77

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

1)

La directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales »), doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui protège la santé publique et la dignité de la profession de dentiste, d’une part, en interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires et, d’autre part, en fixant certaines exigences de discrétion en ce qui concerne les enseignes de cabinets dentaires.

 

2)

La directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, en tant que celle-ci interdit toute forme de communications commerciales par voie électronique, y compris au moyen d’un site Internet créé par un dentiste.

 

3)

L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.