ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

24 mai 2016 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Article 267 TFUE — Compétence de la Cour — Qualité de juridiction de l’organe de renvoi — Marché public dans le secteur des infrastructures ferroviaires — Procédure négociée — Directive 2004/17/CE — Article 10 — Article 51, paragraphe 3 — Principe d’égalité de traitement des soumissionnaires — Groupement composé de deux sociétés et ayant été admis en tant que soumissionnaire — Offre déposée par l’une des deux sociétés, en son nom propre, l’autre société ayant été déclarée en faillite — Société considérée apte à être, à elle seule, admise comme soumissionnaire — Attribution du marché à cette société»

Dans l’affaire C‑396/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics, Danemark), par décision du 18 août 2014, parvenue à la Cour le 20 août 2014, dans la procédure

MT Højgaard A/S,

Züblin A/S

contre

Banedanmark,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, J. L. da Cruz Vilaça et A. Arabadjiev, présidents de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur), A. Borg Barthet, J. Malenovský, E. Levits, J.-C. Bonichot, C. G. Fernlund et C. Vajda, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 septembre 2015,

considérant les observations présentées :

pour MT Højgaard A/S et Züblin A/S, par Me T. Høg, advokat,

pour le gouvernement danois, par M. C. Thorning, en qualité d’agent, assisté de Me R. Holdgaard, advokat,

pour la Commission européenne, par Mmes L. Grønfeldt et M. Clausen ainsi que par M. A. Tokár en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 novembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques, figurant à l’article 10 de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1), lu en combinaison avec l’article 51 de cette directive.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MT Højgaard A/S et Züblin A/S à Banedanmark, gestionnaire des infrastructures ferroviaires au Danemark, au sujet de la régularité de l’attribution d’un marché public par cette dernière, en sa qualité d’entité adjudicatrice, à Per Aarsleff A/S.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 9 de la directive 2004/17 énonce :

« En vue de garantir l’ouverture à la concurrence des marchés publics attribués par les entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, il est souhaitable que soient élaborées des dispositions instaurant une coordination communautaire des marchés dépassant une certaine valeur. Cette coordination est fondée sur les exigences résultant des articles 14, 28 et 49 du traité CE et de l’article 97 du traité Euratom, à savoir le principe d’égalité de traitement, dont le principe de non-discrimination n’est qu’une expression particulière, le principe de reconnaissance mutuelle, le principe de proportionnalité, ainsi que le principe de transparence. Compte tenu de la nature des secteurs concernés par cette coordination, celle‑ci devrait, tout en sauvegardant l’application des principes en question, créer un cadre pour des pratiques commerciales loyales et permettre un maximum de flexibilité.

[...] »

4

L’article 10 de cette directive, intitulé « Principes de passation des marchés », dispose :

« Les entités adjudicatrices traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence. »

5

L’article 11 de ladite directive, intitulé « Opérateurs économiques », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Les groupements d’opérateurs économiques sont autorisés à soumissionner ou à se porter candidats. Pour la présentation d’une offre ou d’une demande de participation, les entités adjudicatrices ne peuvent exiger que les groupements d’opérateurs économiques aient une forme juridique déterminée, mais le groupement retenu peut être contraint de revêtir une forme juridique déterminée lorsque le marché lui a été attribué, dans la mesure où cette transformation est nécessaire pour la bonne exécution du marché. »

6

Faisant partie du chapitre VII de la même directive, l’article 51, intitulé « Dispositions générales », dispose :

« 1.   Aux fins de la sélection des participants aux procédures de passation des marchés publics :

a)

les entités adjudicatrices ayant établi des règles et des critères d’exclusion des soumissionnaires ou des candidats conformément à l’article 54, paragraphes 1, 2 ou 4, excluent les opérateurs économiques se conformant à ces règles et satisfaisant à ces critères ;

b)

elles les sélectionnent conformément aux règles et critères objectifs établis en vertu de l’article 54 ;

c)

dans les procédures restreintes et négociées avec mise en concurrence, elles réduisent, le cas échéant, le nombre des candidats retenus en vertu des points a) et b) et conformément à l’article 54.

[...]

3.   Les entités adjudicatrices vérifient la conformité des offres présentées par les soumissionnaires ainsi sélectionnés aux règles et exigences applicables aux offres et attribuent le marché en se basant sur les critères prévus aux articles 55 et 57. »

7

Aux termes de l’article 54 de la directive 2004/17, intitulé « Critères de sélection qualitative » :

« 1.   Les entités adjudicatrices qui fixent des critères de sélection dans une procédure ouverte doivent le faire selon des règles et des critères objectifs qui sont à la disposition des opérateurs économiques intéressés.

2.   Les entités adjudicatrices qui sélectionnent les candidats à une procédure de passation de marchés restreinte ou négociée doivent le faire en accord avec les règles et les critères objectifs qu’elles ont fixés et qui sont à la disposition des opérateurs économiques intéressés.

3.   Dans les cas des procédures restreintes ou négociées, les critères peuvent être fondés sur la nécessité objective, pour l’entité adjudicatrice, de réduire le nombre des candidats à un niveau justifié par la nécessité d’équilibre entre les caractéristiques spécifiques de la procédure de passation de marchés et les moyens que requiert son accomplissement. Le nombre des candidats retenus doit toutefois tenir compte du besoin d’assurer une concurrence suffisante.

[...] »

Le droit danois

8

L’article 2, premier alinéa, de la lov om visse erhvervsdrivende virksomheder (loi relative à certaines activités commerciales), publiée par l’arrêté de consolidation no 1295 du 15 novembre 2013, comporte la définition suivante, établie conformément à la jurisprudence et à la doctrine :

« Aux fins de la présente loi, on entend par “société en nom collectif” une entreprise où tous les associés sont tenus personnellement, de manière illimitée et solidairement de ses obligations. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

9

Par avis publié au mois de janvier 2013, Banedanmark a engagé une procédure négociée avec mise en concurrence préalable, au sens de l’article 47 de la directive 2004/17, en vue de l’attribution d’un marché public portant sur la construction d’une nouvelle ligne ferroviaire entre les villes de Copenhague et de Ringsted, projet portant la dénomination « TP 4 Urban Tunnels ». En vue de l’attribution du marché, le critère retenu était celui de l’offre économiquement la plus avantageuse.

10

Conformément à l’avis de marché, Banedanmark entendait inviter quatre à six candidats à soumissionner et procéderait, si le nombre de candidats était supérieur à six, à une préévaluation. En outre, il résulte du cahier des charges que la procédure engagée prévoyait que les soumissionnaires seraient invités à déposer trois offres successives au cours de la procédure. Une négociation aurait lieu après le dépôt des deux premières offres, la troisième et dernière devant conduire à l’attribution du marché.

11

Cinq opérateurs économiques ont fait acte de candidature dans le cadre de la présélection. Parmi eux figurait le groupement constitué par MT Højgaard et Züblin (ci‑après le « groupement Højgaard et Züblin ») ainsi que le groupement constitué par Per Aarsleff et E. Pihl og Søn A/S (ci‑après le « groupement Aarsleff et Pihl »). Banedanmark a présélectionné l’ensemble des cinq candidats et les a invités à soumissionner.

12

Au mois de juin 2013, l’une des entreprises s’est retirée de la procédure, de sorte qu’il ne restait que quatre soumissionnaires présélectionnés.

13

Le contrat de constitution du groupement Aarsleff et Pihl a été conclu entre les deux sociétés le 26 août 2013. À cette même date, la juridiction compétente a rendu un jugement déclarant la faillite de E. Pihl og Søn. Banedanmark a été avisée de ce jugement dans le courant de l’après‑midi du même jour et a immédiatement interrogé Per Aarsleff quant aux incidences de ce jugement sur la procédure de marché en cours. Nonobstant cette déclaration de faillite, le groupement Aarsleff et Pihl a soumis une première offre le 27 août 2013, signée par ces deux sociétés mais non pas par le syndic de la faillite.

14

Le 15 octobre 2013, Banedanmark a informé l’ensemble des soumissionnaires de sa décision d’autoriser Per Aarsleff à continuer à participer seule à la procédure. Banedanmark a justifié cette décision par la considération que Per Aarsleff, qui était le premier entrepreneur au Danemark en termes de chiffre d’affaires au cours de l’exercice pour les années 2012 et 2013, satisfaisait aux conditions requises pour participer à la procédure négociée, même sans les capacités techniques et financières de E. Pihl og Søn. En outre, Per Aarsleff aurait repris plus de cinquante salariés de E. Pihl og Søn, y compris des personnes clés pour la réalisation du projet en cause.

15

Per Aarsleff a présenté une deuxième offre, en son nom propre, en indiquant qu’elle la soumettait en qualité de successeur du groupement Aarsleff et Pihl, que le syndic de la faillite n’avait pas fait savoir s’il entendait poursuivre le contrat de groupement et que, en conséquence, Per Aarsleff avait résilié ce contrat. Après l’évaluation des deuxièmes offres reçues, Banedanmark a fait le choix, conformément aux conditions de l’avis de marché, de retenir trois offres en vue de déterminer laquelle de celles-ci était économiquement la plus avantageuse et a demandé aux trois soumissionnaires retenus de présenter une troisième et dernière offre. Parmi ceux‑ci figurait Per Aarsleff ainsi que le groupement Højgaard et Züblin. Ces dernières offres ont été déposées par les trois soumissionnaires le 12 décembre 2013.

16

Le 20 décembre 2013, Banedanmark a fait savoir aux trois soumissionnaires retenus qu’elle avait décidé d’attribuer le marché à Per Aarsleff, dont l’offre était, tant du point de vue de la qualité que du prix, celle économiquement la plus avantageuse. Cette offre portait sur un montant de 920300000 couronnes danoises (DKK) (environ 123402000 euros).

17

À la suite de cette décision, MT Højgaard et Züblin ont saisi le Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics, Danemark), en faisant notamment valoir que, en permettant à Per Aarsleff de participer à la procédure en lieu et place du groupement Aarsleff et Pihl, alors que Per Aarsleff n’avait pas été présélectionnée à titre personnel, Banedanmark a méconnu les principes d’égalité de traitement et de transparence établis à l’article 10 de la directive 2004/17. MT Højgaard et Züblin ont ainsi demandé au Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) d’annuler la décision d’attribution du marché à Per Aarsleff ainsi que d’ordonner la suspension de son exécution.

18

Le Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) a d’abord décidé de ne pas accorder d’effet suspensif au recours. Il a considéré, ensuite, dans sa décision de renvoi, que, sur la base des renseignements communiqués concernant Per Aarsleff, cette société aurait été présélectionnée si elle avait fait acte de candidature en son nom propre au lieu de le faire par l’intermédiaire du groupement Aarsleff et Pihl. Le Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) relève également qu’aucune disposition de droit danois n’interdit la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs qui participe à une procédure de passation d’un marché public, intervenue après la soumission des offres.

19

Le Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) observe de plus que, dans l’avis de marché, Banedanmark n’a pas posé de conditions minimales qualitatives quant aux capacités techniques des soumissionnaires et ne devait procéder à une appréciation qualitative des candidatures que si leur nombre était supérieur à six. Per Aarsleff aurait donc pu être présélectionnée en son nom propre, sans être partie au groupement Aarsleff et Pihl. Le fait que Per Aarsleff se soit substituée à ce groupement n’aurait, par ailleurs, eu aucune incidence sur la situation des soumissionnaires, dans la mesure où aucun des candidats n’a été exclu lors de la présélection et où aucun n’aurait été écarté si Per Aarsleff avait fait acte de candidature à titre personnel. En outre, il conviendrait de distinguer la situation dans laquelle la modification d’un groupement intervient avant l’attribution du marché de celle dans laquelle cette modification intervient après cette attribution.

20

Toutefois, le Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) exprime quelques réserves concernant la compatibilité de la procédure suivie avec le principe d’égalité de traitement, tout en soulignant que, s’agissant des marchés publics dans les secteurs d’activités relevant du champ d’application de la directive 2004/17, le législateur de l’Union européenne n’a pas fixé de règles aussi détaillées quant à l’application de ce principe que celles figurant dans la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114).

21

Eu égard à ces considérations, le Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le principe d’égalité de traitement visé à l’article 10 de la directive 2004/17, lu en combinaison avec l’article 51 de celle-ci, doit‑il être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle du litige au principal, il s’oppose à ce qu’une entité adjudicatrice attribue un marché à un soumissionnaire qui n’a pas fait acte de candidature à la présélection et qui n’a donc pas été présélectionné ? »

Sur la compétence de la Cour

22

Au point 15 de l’arrêt du 18 novembre 1999, Unitron Scandinavia et 3-S (C‑275/98, EU:C:1999:567), la Cour a reconnu la qualité de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, au Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics). Le gouvernement danois relève, toutefois, que la Cour, dans l’arrêt du 9 octobre 2014, TDC (C‑222/13, EU:C:2014:2265), a, en revanche, dénié cette qualité au Teleklagenævnet (Commission des recours en matière de télécommunications, Danemark). Il demande, par conséquent, à la Cour d’expliciter davantage les critères applicables à cet égard et de confirmer, le cas échéant, la qualité de « juridiction » du Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics).

23

À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, afin d’apprécier la qualité de « juridiction » de l’organe de renvoi, question qui relève uniquement du droit de l’Union, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que l’origine légale de cet organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par ledit organe, des règles de droit ainsi que son indépendance (arrêt du 6 octobre 2015, Consorci Sanitari del MaresmeC‑203/14, EU:C:2015:664, point 17 et jurisprudence citée).

24

Dans l’affaire au principal, il ne résulte d’aucun élément du dossier soumis à la Cour que l’organe de renvoi ne satisfait pas aux critères tenant à son origine légale, à sa permanence, au caractère obligatoire de sa juridiction, à la nature contradictoire de la procédure suivie devant lui et à l’application, par cet organe, des règles de droit.

25

En ce qui concerne le critère relatif à l’indépendance, critère auquel le Teleklagenævnet (Commission des recours en matière de télécommunications) ne satisfaisait pas, conformément à ce que la Cour a jugé dans l’arrêt du 9 octobre 2014, TDC (C‑222/13, EU:C:2014:2265), mis en exergue par le gouvernement danois, il convient de constater, tout d’abord, que, à la différence de ce dernier organe de recours, le Klagenænet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) n’intervient pas en tant que partie dans les procédures de recours engagées contre ses décisions devant les juridictions ordinaires. Il en ressort qu’il a la qualité de tiers par rapport aux parties au litige, en particulier par rapport à l’autorité ayant adopté la décision attaquée devant lui.

26

Il y a lieu de relever ensuite que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 44 de ses conclusions, il ressort du dossier que le Klagenænet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) n’a aucun lien fonctionnel avec le ministère des Entreprises et de la Croissance. Le fait que le secrétariat de cet organe est attaché audit ministère n’est pas susceptible de mettre en doute cette constatation. En outre, ledit organe exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être subordonné à un rapport hiérarchique et sans recevoir d’instructions de quiconque (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Consorci Sanitari del Maresme, C‑203/14, EU:C:2015:664, point 19 et jurisprudence citée).

27

En ce qui concerne l’indépendance des membres qui composent l’organe de renvoi, il importe de souligner que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 4, du bekendtgørelse nr. 887 om Klagenævnet for Udbud med senere ændringer (arrêté no 887, relatif à la Commission des recours en matière de marchés publics, tel que modifié), du 11 août 2011, ceux-ci sont tenus d’exercer leurs fonctions de manière indépendante.

28

Il ressort du dossier que l’organe de renvoi est composé, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la lov nr. 492 om håndhævelse af udbudsreglerne med senere ændringer (loi no 492, relative à la mise en œuvre des règles de passation des marchés publics, telle que modifiée), du 12 mai 2010 (ci-après la « loi no 492 »), d’un président et d’un certain nombre de vice‑présidents, qui forment la présidence, ainsi que d’un certain nombre de membres experts. La présidence est assumée, conformément à l’article 9, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la loi no 492, par des juges de tribunaux de grande instance et de tribunaux régionaux supérieurs.

29

La composition du Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) est paritaire. Dans sa composition ordinaire, il est constitué par un membre de la présidence agissant en tant que président et par un membre expert. De plus, en vertu de l’article 10, paragraphe 5, de la loi no 492, ses décisions sont prises à la majorité simple des voix, le vote du président étant prépondérant en cas d’égalité. Par conséquent, les membres de cet organe issus du corps des magistrats danois disposent, en toutes circonstances, de la majorité des voix et, partant, d’un poids prépondérant dans les prises de décision dudit organe.

30

Les membres de l’organe de renvoi ayant le statut de magistrats de l’ordre judiciaire bénéficient, à ce titre, de la protection particulière contre la révocation prévue à l’article 64 de la Constitution danoise, protection qui s’étend également à l’accomplissement des fonctions de membre de la présidence de l’organe de renvoi.

31

Étant donné la prépondérance des voix dont disposent les membres de l’organe de renvoi qui, en leur qualité de magistrats, bénéficient de cette protection particulière, la circonstance que les membres experts de cet organe ne bénéficient pas de la même protection ne saurait, en tout état de cause, conduire à remettre en cause l’indépendance dudit organe.

32

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de confirmer que le Klagenævnet for Udbud (Commission des recours en matière de marchés publics) remplit également le critère de l’indépendance et doit, dès lors, être qualifié de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.

33

Par conséquent, la Cour est compétente pour répondre à la question posée.

Sur la question préjudicielle

34

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques, figurant à l’article 10 de la directive 2004/17, lu en combinaison avec l’article 51 de celle‑ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une entité adjudicatrice autorise un opérateur économique, qui faisait partie d’un groupement de deux entreprises ayant été présélectionné et ayant fait la première offre dans une procédure négociée d’attribution d’un marché public, à continuer à participer en son nom propre à cette procédure, à la suite de la dissolution dudit groupement.

35

Afin de répondre à cette question, il y a lieu de relever que la directive 2004/17 ne prévoit pas de règles concernant spécifiquement les modifications survenues quant à la composition d’un groupement d’opérateurs économiques qui a été présélectionné en tant que soumissionnaire à un marché public, de sorte que la réglementation d’une telle situation relève de la compétence des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2003, Makedoniko Metro et Michaniki, C‑57/01, EU:C:2003:47, point 61).

36

Ni la réglementation danoise ni l’avis de marché en cause dans l’affaire au principal ne comportent de règles spécifiques à cet égard. Cela étant, la possibilité, pour l’entité adjudicatrice, d’autoriser une telle modification doit être examinée à l’aune des principes généraux du droit de l’Union, notamment du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de transparence qui en découle, ainsi que des objectifs de ce droit en matière de marchés publics.

37

À cet égard, il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence signifient, notamment, que les soumissionnaires doivent se trouver sur un pied d’égalité aussi bien au moment où ils préparent leurs offres qu’au moment où celles‑ci sont évaluées par le pouvoir adjudicateur et constituent la base des règles de l’Union relatives aux procédures de passation des marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Michaniki, C‑213/07, EU:C:2008:731, point 45 et jurisprudence citée).

38

Le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires, qui a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à un marché public, impose que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que celles-ci soient soumises aux mêmes conditions pour tous les compétiteurs (arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 110, et du 12 mars 2015, eVigilo, C‑538/13, EU:C:2015:166, point 33).

39

Une application stricte du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires, tel qu’explicité à l’article 10 de la directive 2004/17, lu en combinaison avec l’article 51 de celle‑ci, aboutirait à la conclusion que seuls les opérateurs économiques qui ont été présélectionnés en tant que tels peuvent présenter des offres et devenir adjudicataires.

40

Cette approche trouve son fondement dans l’article 51, paragraphe 3, de la directive 2004/17, selon lequel les pouvoirs adjudicateurs « vérifient la conformité des offres présentées par les soumissionnaires ainsi sélectionnés », ce qui présuppose, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 63 de ses conclusions, une identité juridique et matérielle entre les opérateurs économiques présélectionnés et ceux qui présentent les offres.

41

Toutefois, l’exigence d’identité juridique et matérielle mentionnée au point précédent du présent arrêt peut être tempérée afin d’assurer, dans une procédure négociée, une concurrence suffisante, ainsi que l’exige l’article 54, paragraphe 3, de la directive 2004/17.

42

Dans l’affaire au principal, ainsi qu’il ressort du point 10 du présent arrêt, l’entité adjudicatrice a considéré que les candidats devaient être au moins au nombre de quatre pour assurer une telle concurrence.

43

Encore faut-il, cependant, que la continuation de la participation à la procédure négociée, par un opérateur économique en son nom propre, à la suite de la dissolution du groupement dont il faisait partie et qui avait été présélectionné par l’entité adjudicatrice, intervienne dans des conditions qui ne portent pas atteinte au principe d’égalité de traitement de l’ensemble des soumissionnaires.

44

À cet égard, une entité adjudicatrice ne viole pas ce principe lorsqu’elle autorise l’un des deux opérateurs économiques qui faisaient partie d’un groupement d’entreprises ayant été, en tant que tel, invité à soumissionner par cette entité à se substituer à ce groupement à la suite de la dissolution de celui‑ci et à participer, en son nom propre, à la procédure négociée d’attribution d’un marché public, pourvu qu’il soit établi, d’une part, que cet opérateur économique satisfait seul aux exigences définies par ladite entité et, d’autre part, que la continuation de sa participation à ladite procédure n’entraîne pas une détérioration de la situation concurrentielle des autres soumissionnaires.

45

Dans l’affaire au principal, il convient, tout d’abord, de relever qu’il ressort de la décision de renvoi que Per Aarsleff, si elle avait fait, seule, acte de candidature, aurait été présélectionnée (voir point 18 du présent arrêt).

46

Cela étant, eu égard aux éléments figurant dans le dossier, selon lesquels, d’une part, le contrat de constitution du groupement Aarsleff et Pihl a été conclu le jour même où a été rendu le jugement déclaratif de faillite de E. Pihl og Søn et, d’autre part, la première offre de ce groupement a été déposée le lendemain sans la signature du syndic de la faillite de E. Pihl og Søn, il appartient, ensuite, à la juridiction de renvoi de vérifier que le dépôt de cette première offre n’a pas été entaché d’une irrégularité qui était de nature à faire obstacle à ce que Per Aarsleff continuât de participer, en son nom propre, à la procédure négociée en cause.

47

Enfin, s’agissant de la circonstance selon laquelle, après la dissolution du groupement Aarsleff et Pihl, Per Aarsleff a repris 50 salariés de E. Pihl og Søn, dont des personnes clés pour la réalisation du projet de construction en cause, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si Per Aarsleff a, de ce fait, bénéficié d’un avantage concurrentiel au détriment des autres soumissionnaires.

48

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que le principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques, figurant à l’article 10 de la directive 2004/17, lu en combinaison avec l’article 51 de celle‑ci, doit être interprété en ce sens qu’une entité adjudicatrice ne viole pas ce principe lorsqu’elle autorise l’un des deux opérateurs économiques qui faisaient partie d’un groupement d’entreprises ayant été, en tant que tel, invité à soumissionner par cette entité à se substituer à ce groupement à la suite de la dissolution de celui‑ci et à participer, en son nom propre, à une procédure négociée d’attribution d’un marché public, pourvu qu’il soit établi, d’une part, que cet opérateur économique satisfait seul aux exigences définies par ladite entité et, d’autre part, que la continuation de sa participation à ladite procédure n’entraîne pas une détérioration de la situation concurrentielle des autres soumissionnaires.

Sur les dépens

49

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

Le principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques, figurant à l’article 10 de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, lu en combinaison avec l’article 51 de celle‑ci, doit être interprété en ce sens qu’une entité adjudicatrice ne viole pas ce principe lorsqu’elle autorise l’un des deux opérateurs économiques qui faisaient partie d’un groupement d’entreprises ayant été, en tant que tel, invité à soumissionner par cette entité à se substituer à ce groupement à la suite de la dissolution de celui‑ci et à participer, en son nom propre, à une procédure négociée d’attribution d’un marché public, pourvu qu’il soit établi, d’une part, que cet opérateur économique satisfait seul aux exigences définies par ladite entité et, d’autre part, que la continuation de sa participation à ladite procédure n’entraîne pas une détérioration de la situation concurrentielle des autres soumissionnaires.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le danois.