ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

4 septembre 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Politique commerciale — Droits antidumping — Règlement (CE) no 499/2009 — Validité — Produits à l’importation originaires de Chine — Importation des mêmes produits expédiés de Thaïlande — Contournement — Preuve — Refus de coopération»

Dans l’affaire C‑21/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Hamburg (Allemagne), par décision du 19 septembre 2012, parvenue à la Cour le 15 janvier 2013, dans la procédure

Simon, Evers & Co. GmbH

contre

Hauptzollamt Hamburg-Hafen,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça (rapporteur), G. Arestis, J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procedure écrite,

considérant les observations présentées:

pour Simon, Evers & Co. GmbH, par Me H. Henninger, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement grec, par Mme M. Tassopoulou et M. K. Boskovits, en qualité d’agents,

pour le gouvernement portugais, par MM. A. Coutinho da Silva et L. Inez Fernandes, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par Mme S. Boelaert, en qualité d’agent, assistée de Me A. Polcyn, avocate,

pour la Commission européenne, par M. T. Maxian Rusche, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 avril 2014,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur la validité du règlement (CE) no 499/2009 du Conseil, du 11 juin 2009, étendant le droit antidumping définitif institué par le règlement (CE) no 1174/2005 sur les importations de transpalettes à main et de leurs parties essentielles originaires de la République populaire de Chine aux importations des mêmes produits expédiés de Thaïlande, qu’ils aient ou non été déclarés originaires de ce pays (JO L 151, p. 1, ci-après le «règlement litigieux»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Simon, Evers & Co. GmbH (ci-après «Simon, Evers») au Hauptzollamt Hamburg-Hafen (bureau principal des douanes du port de Hambourg, ci-après le «Hauptzollamt»), au sujet d’une décision de ce dernier d’imposer à Simon, Evers le paiement de droits antidumping.

Le cadre juridique

3

Les dispositions régissant l’application de mesures antidumping par l’Union européenne, en vigueur à l’époque des faits du litige au principal, figuraient dans le règlement (CE) no 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 461/2004 du Conseil, du 8 mars 2004 (JO L 77, p. 12, ci-après le «règlement de base»).

4

L’article 13 du règlement de base, intitulé «Contournement», disposait:

«1.   Les droits antidumping institués en vertu du présent règlement peuvent être étendus aux importations en provenance de pays tiers de produits similaires [...], lorsque les mesures en vigueur sont contournées. [...] Le contournement se définit comme une modification de la configuration des échanges entre les pays tiers et la Communauté ou entre des sociétés du pays soumis aux mesures et la Communauté, découlant de pratiques, d’opérations ou d’ouvraisons pour lesquelles il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification économique autre que l’imposition du droit, en présence d’éléments attestant qu’il y a préjudice ou que les effets correctifs du droit sont compromis en termes de prix et/ou de quantités de produits similaires et d’éléments de preuve, si nécessaire fondés sur les dispositions de l’article 2, de l’existence d’un dumping en liaison avec les valeurs normales précédemment établies pour les produits similaires.

[...]

2.   Une opération d’assemblage dans la Communauté ou dans un pays tiers est considérée comme contournant les mesures en vigueur lorsque:

a)

l’opération a commencé ou s’est sensiblement intensifiée depuis ou juste avant l’ouverture de l’enquête antidumping et que les pièces concernées proviennent du pays soumis aux mesures;

[...]

et

c)

les effets correctifs du droit sont compromis en termes de prix et/ou de quantités de produit similaire assemblé et qu’il y a la preuve d’un dumping en liaison avec les valeurs normales précédemment établies pour les produits similaires.

3.   Une enquête est ouverte, en vertu du présent article, à l’initiative de la Commission ou à la demande d’un État membre ou de toute partie intéressée, sur la base d’éléments de preuve suffisants relatifs aux facteurs énumérés au paragraphe 1. L’enquête est ouverte, après consultation du comité consultatif, par un règlement de la Commission qui peut également enjoindre aux autorités douanières de rendre l’enregistrement des importations obligatoire conformément à l’article 14, paragraphe 5, ou d’exiger des garanties. L’enquête est effectuée par la Commission avec l’aide éventuelle des autorités douanières et doit être conclue dans les neuf mois. Lorsque les faits définitivement établis justifient l’extension des mesures, celle-ci est décidée par le Conseil, statuant sur proposition de la Commission, après consultation du comité consultatif. [...]

[...]»

5

Aux termes de l’article 14, paragraphe 6, du règlement de base:

«Les États membres font mensuellement rapport à la Commission sur les importations de produits soumis à des enquêtes ou à des mesures et sur le montant des droits perçus en application du présent règlement.»

6

L’article 18, paragraphes 1 et 6, du règlement de base étaient libellés comme suit:

«1.   Lorsqu’une partie intéressée refuse l’accès aux informations nécessaires ou ne les fournit pas dans les délais prévus par le présent règlement ou fait obstacle de façon significative à l’enquête, des conclusions préliminaires ou finales, positives ou négatives, peuvent être établies sur la base des données disponibles. [...] Les parties intéressées doivent être informées des conséquences d’un refus de coopération.

[...]

6.   Si une partie concernée ne coopère pas ou ne coopère que partiellement et que, de ce fait, des renseignements pertinents ne sont pas communiqués, il peut en résulter pour ladite partie une situation moins favorable que si elle avait coopéré.»

7

À l’issue d’une enquête menée par la Commission entre le 1er avril 2003 et le 31 mars 2004 (ci-après l’«enquête initiale»), l’Union s’est dotée du règlement (CE) no 1174/2005 du Conseil, du 18 juillet 2005, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de transpalettes à main et de leurs parties essentielles originaires de la République populaire de Chine (JO L 189, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 684/2008 du Conseil, du 17 juillet 2008 (JO L 192, p. 1, ci-après le «règlement no 1174/2005»).

8

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1174/2005:

«Un droit antidumping définitif est institué sur les importations de transpalettes à main et de leurs parties essentielles, à savoir les châssis et les systèmes hydrauliques, relevant des codes NC ex 8427 90 00 et ex 8431 20 00 (codes TARIC 8427 90 00 10 et 8431 20 00 10) originaires de la République populaire de Chine. [...]»

9

Ainsi qu’il résulte du cinquième considérant du règlement (CE) no 923/2008 de la Commission, du 12 septembre 2008, portant ouverture d’une enquête sur un éventuel contournement des mesures antidumping instituées par le règlement no 1174/2005, modifié par le règlement no 684/2008, sur les importations de transpalettes à main et de leurs parties essentielles originaires de la République populaire de Chine par des importations de transpalettes à main et de leurs parties essentielles expédié[e]s de Thaïlande, qu’[elles] aient ou non été déclaré[e]s originaires de ce pays, et soumettant ces importations à enregistrement (JO L 252, p. 3), la Commission a décidé d’ouvrir une enquête (ci-après l’«enquête sur le contournement») sur la base d’éléments de preuve suffisants qui, selon elle, indiquaient à première vue que les mesures antidumping appliquées aux importations de transpalettes à main originaires de Chine étaient contournées par des opérations d’assemblage du produit en cause en Thaïlande. À cette fin, la Commission a adopté le règlement no 923/2008.

10

Il ressort du considérant 10 du règlement litigieux que l’enquête sur le contournement a couvert la période comprise entre le 1er septembre 2007 et le 31 août 2008 (ci-après la «période d’enquête»).

11

Aux termes du considérant 6 du règlement litigieux, «[l]a Commission a informé les autorités chinoises et thaïlandaises, les producteurs-exportateurs chinois et thaïlandais, les importateurs communautaires notoirement concernés, ainsi que l’industrie communautaire de l’ouverture de l’enquête [sur le contournement]. Des questionnaires ont été adressés aux producteurs-exportateurs chinois et thaïlandais connus, aux importateurs communautaires connus de la Commission à la suite de l’enquête initiale, ainsi qu’aux parties qui se sont fait connaître dans le délai fixé à l’article 3 du règlement [no 923/2008]. Les parties intéressées ont eu la possibilité de faire connaître leur point de vue par écrit et de demander à être entendues dans le délai fixé par [ce règlement]. Toutes les parties ont été informées du fait que l’absence de coopération pouvait conduire à l’application de l’article 18 du règlement de base et à l’établissement de conclusions sur la base des données disponibles.»

12

Il résulte du considérant 7 du règlement litigieux qu’aucune réponse aux questionnaires n’a été reçue de la part des producteurs-exportateurs thaïlandais et la Commission n’a reçu aucune observation de la part des autorités thaïlandaises.

13

Le considérant 8 du règlement litigieux indique qu’«un producteur-exportateur chinois a répondu au questionnaire en déclarant ses ventes à l’exportation vers la Communauté ainsi que des exportations très limitées du produit concerné vers la Thaïlande. Aucune observation n’a été reçue de la part des autorités chinoises».

14

En outre, il résulte du considérant 9 de ce règlement que «neuf importateurs communautaires ont répondu au questionnaire et ont déclaré leurs importations en provenance de Chine et de Thaïlande. D’une manière générale, leurs réponses permettent de conclure que les importations en provenance de Thaïlande se sont accrues et qu’une diminution soudaine des importations en provenance de Chine a été enregistrée en 2006, c’est-à-dire l’année suivant l’entrée en vigueur des droits antidumping définitifs. Au cours des années suivantes, les importations en provenance de Chine ont à nouveau augmenté, tandis que celles en provenance de Thaïlande ont légèrement diminué, tout en restant largement supérieures à leurs niveaux de 2005».

15

En ce qui concerne la modification de la configuration des échanges entre les pays tiers et l’Union, les considérants 16 à 21 du règlement litigieux sont libellés comme suit:

«(16)

En raison de l’absence de coopération de la part de toutes les sociétés thaïlandaises, le volume et la valeur des exportations thaïlandaises du produit concerné vers la Communauté ont été déterminés sur la base des informations disponibles, à savoir, en l’occurrence, des données statistiques collectées par les États membres et collationnées par la Commission conformément à l’article 14, paragraphe 6, du règlement de base, ainsi que des données d’Eurostat. [...]

(17)

Après l’institution des mesures antidumping, les importations de [transpalettes à main et de leurs parties essentielles] en provenance de Thaïlande sont passées de 7 458 transpalettes, en 2005, à 64 706 transpalettes en 2007, avant de retomber à 42 056 transpalettes au cours de la [période d’enquête].

(18)

En ce qui concerne les importations communautaires de [transpalettes à main et de leurs parties essentielles] en provenance de Chine, elles sont passées de 240639 transpalettes, en 2005, à 538 271, en 2007, et à 584 786 au cours de la [période d’enquête]. Sur la base des informations disponibles, cet accroissement s’explique surtout par une augmentation des exportations de l’unique producteur-exportateur chinois auquel le taux de droit antidumping le plus faible est appliqué. En effet, les exportations en provenance de cet exportateur chinois représentent de très loin la plus grande partie de l’accroissement des importations communautaires de [transpalettes à main et de leurs parties essentielles] en provenance de Chine entre 2005 et la fin de la [période d’enquête].

(19)

Compte tenu de la situation décrite ci-dessus, il est conclu qu’un changement est intervenu dans la configuration des échanges entre la Communauté, la Chine et la Thaïlande. Les importations en provenance de Chine ont continué à croître, mais cet accroissement peut s’expliquer directement par la performance à l’exportation de l’un des producteurs-exportateurs chinois qui ont coopéré à l’enquête initiale et auquel le droit antidumping le plus faible était appliqué. Par ailleurs, les importations en provenance de Thaïlande se sont accrues de 868 % entre 2005 et 2007 et se sont stabilisées au cours de la [période d’enquête] pour afficher un accroissement de 564 % par rapport à 2005.

(20)

En résumé, la configuration des échanges qui a été observée révèle certes une stabilité des exportations en provenance de Chine, mais fait également apparaître un accroissement notable des exportations provenant de Thaïlande. La stabilité ou la poursuite de l’accroissement, bien que nettement moins marqué entre 2007 et la [période d’enquête] que celui observé lors de l’enquête initiale, des exportations provenant de Chine peuvent s’expliquer par le fait que la grande majorité des exportations provenait de la société chinoise à laquelle le taux antidumping le plus faible était appliqué. Par ailleurs, la configuration relative à la Thaïlande ne pouvait s’expliquer que par des actions visant à contourner les mesures.

(21)

Les importations de la Communauté en provenance de Thaïlande ont commencé à s’accroître durant la période au cours de laquelle la Communauté a effectué son enquête initiale. Il est rappelé que tant les autorités thaïlandaises que les producteurs-exportateurs thaïlandais potentiels ont été informés de la présente enquête. Toutefois, aucun élément de preuve qui pourrait expliquer cet accroissement important n’a été reçu; en outre, aucune société thaïlandaise n’a coopéré à l’enquête en communiquant les réponses requises au questionnaire. À cet égard, il convient de souligner que, comme il a été indiqué au considérant 7, les informations dont disposait la Commission au moment de l’ouverture de l’enquête semblaient indiquer que d’importantes opérations d’assemblage de [transpalettes à main et de leurs parties essentielles] avaient lieu en Thaïlande. Par ailleurs, aucun élément de preuve reçu ne donnait à penser qu’il existait en Thaïlande de véritables activités de fabrication de [transpalettes à main et de leurs parties essentielles]. Sur la base des informations disponibles, il est donc conclu que, en l’absence de toute autre motivation ou justification économique suffisante au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, la modification de la configuration des échanges résultait de l’institution du droit antidumping sur les [transpalettes à main et de leurs parties essentielles] originaires de [Chine].»

16

À la suite de l’enquête sur le contournement, le règlement litigieux a été adopté.

17

L’article 1er de ce règlement prévoit:

«1.   Le droit antidumping définitif applicable à ‘toutes les autres sociétés’, institué par le règlement (CE) no 1174/2005 relatif aux importations de transpalettes à main et de leurs parties essentielles, à savoir les châssis et les systèmes hydrauliques, définis à l’article 1er du règlement [no 1174/2005] originaires de [Chine], est étendu aux transpalettes à main et à leurs parties essentielles, à savoir les châssis et les éléments hydrauliques, définis à l’article 1er du règlement [no 1174/2005] relevant des codes NC ex 8427 90 00 et ex 8431 20 00 (codes TARIC 8427 90 00 11 et 8431 20 00 11), expédiés de Thaïlande, qu’ils aient ou non été déclarés originaires de ce pays.

2.   Les droits étendus en vertu du paragraphe 1 sont perçus sur les importations enregistrées conformément à l’article 2 du règlement (CE) no 923/2008 et à l’article 13, paragraphe 3, et à l’article 14, paragraphe 5, du règlement [de base].

[...]»

Le litige au principal et la question préjudicielle

18

Au mois d’octobre 2008, Simon, Evers a importé de Thaïlande des transpalettes à main.

19

Le 12 août 2009, par un avis de fixation des droits et des taxes à l’importation, le Hauptzollamt, se fondant sur le règlement litigieux, a réclamé à Simon, Evers le paiement d’un droit antidumping d’un montant de 9666,90 euros.

20

Le Hauptzollamt ayant, par décision du 21 février 2011, rejeté comme non fondé le recours introduit contre cet avis, Simon, Evers a saisi le Finanzgericht Hamburg.

21

Cette juridiction émet des doutes sur le fait que les conditions prévues à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base relatives à la détermination d’un contournement des droits antidumping soient remplies dans l’affaire au principal. Plus particulièrement, elle s’interroge sur la question de savoir si une modification du volume d’exportation des pays tiers en cause puisse permettre, à elle seule, d’établir un lien entre les importations en provenance du pays soumis au droit antidumping et celles du pays auquel le droit antidumping doit être étendu. En ce qui concerne l’évolution des importations en provenance de Thaïlande, le Finanzgericht Hamburg fait observer que celles-ci, après avoir considérablement augmenté au cours de l’année 2007, ont diminué de manière notable au cours de la période d’enquête.

22

La juridiction de renvoi émet également des doutes sur le fait que la modification de la configuration des échanges entre les pays tiers et l’Union puisse être imputée à l’introduction des droits antidumping sur les transpalettes originaires de Chine alors que, au cours de la période d’enquête, les importations en provenance de Chine ont elles-mêmes considérablement augmenté. Or, en l’absence de preuves permettant, d’une part, d’expliquer la nette augmentation des exportations en provenance de Thaïlande et, d’autre part, d’établir l’absence de véritables activités de fabrication de transpalettes à main en Thaïlande, il apparaîtrait à tout le moins douteux qu’il puisse être conclu que, en l’absence de toute autre motivation ou justification économique suffisante au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, la modification de la configuration des échanges résultait de l’institution du droit antidumping sur les transpalettes à main originaires de Chine.

23

C’est dans ces conditions que le Finanzgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le règlement [litigieux] est-il invalide du fait que, en méconnaissant les conditions relatives à la détermination du contournement de mesures antidumping, telles qu’elles résultent de l’article 13 du règlement [de base], la Commission a conclu à l’existence d’un contournement pour la simple raison que le volume des exportations correspondantes en provenance de Thaïlande a considérablement augmenté après l’introduction des mesures, alors que la Commission n’a effectué aucune autre constatation concrète en l’absence de coopération des exportateurs thaïlandais?»

Sur la question préjudicielle

Observations liminaires

24

Il convient de relever d’emblée que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement litigieux est invalide en raison du fait que les institutions de l’Union n’ont pas établi à suffisance de droit l’existence d’un «contournement», au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, faute d’avoir caractérisé, d’une part, la modification de la configuration des échanges entre les pays tiers et l’Union et, d’autre part, l’existence de pratiques, d’opérations et d’ouvraisons pour lesquelles il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification économique autre que l’imposition du droit antidumping, en l’absence de coopération des exportateurs thaïlandais.

25

Dans les observations écrites présentées devant la Cour, Simon, Evers a soulevé un autre motif d’invalidité du règlement litigieux fondé sur le fait que les institutions de l’Union n’ont pas établi que les effets correctifs du droit antidumping avaient été compromis en termes de prix et/ou de quantités de produits similaires.

26

Selon une jurisprudence constante, la procédure établie à l’article 267 TFUE est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, de sorte qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (voir, notamment, arrêt Hoesch Metals and Alloys, C‑373/08, EU:C:2010:68, point 59).

27

Il résulte également d’une jurisprudence bien établie que l’article 267 TFUE n’ouvre pas de voies de recours aux parties à un litige pendant devant le juge national, de sorte que la Cour ne saurait être tenue d’apprécier la validité du droit de l’Union au seul motif que cette question a été invoquée devant elle par l’une de ces parties dans ses observations écrites (voir arrêt MSD Sharp & Dohme, C‑316/09, EU:C:2011:275, point 23 ainsi que jurisprudence citée).

28

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’étendre l’examen de la validité du règlement litigieux au regard des motifs non visés par la juridiction de renvoi (voir arrêt Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 44).

Sur la validité du règlement litigieux

29

Selon une jurisprudence constante, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu’elles doivent examiner. Quant au contrôle juridictionnel d’une telle appréciation, il doit ainsi être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (voir arrêt Conseil et Commission/Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C‑191/09 P et C‑200/09 P, EU:C:2012:78, point 63 ainsi que jurisprudence citée).

30

S’agissant plus particulièrement du contournement des mesures antidumping, l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base dispose qu’il consiste en une modification de la configuration des échanges entre les pays tiers et l’Union, découlant de pratiques, d’opérations ou d’ouvraisons pour lesquelles il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification économique autre que l’imposition du droit, en présence d’éléments attestant qu’il y a préjudice ou que les effets correctifs du droit sont compromis en termes de prix et/ou de quantités de produits similaires.

31

Selon l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement, il incombe à la Commission d’ouvrir une enquête sur la base d’éléments de preuve qui laissent apparaître à première vue des pratiques de contournement. Si les faits établis au cours de cette enquête permettent de conclure à l’existence d’un tel contournement, la Commission propose au Conseil l’extension des mesures antidumping.

32

Toutefois, aucune disposition du règlement de base ne confère à la Commission, dans le cadre d’une enquête sur l’existence d’un contournement, le pouvoir de contraindre les producteurs ou les exportateurs visés par une plainte à participer à l’enquête ou à produire des renseignements. La Commission est donc tributaire de la coopération volontaire des parties intéressées pour lui fournir les informations nécessaires.

33

C’est la raison pour laquelle le législateur de l’Union a prévu à l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base que, lorsqu’une partie intéressée refuse l’accès aux informations nécessaires ou ne les fournit pas ou fait obstacle de façon significative à l’enquête, des conclusions préliminaires ou finales, positives ou négatives, peuvent être établies sur la base des données disponibles.

34

En outre, l’article 18, paragraphe 6, de ce même règlement précise que, si une partie concernée ne coopère pas ou ne coopère que partiellement et que, de ce fait, des renseignements pertinents ne sont pas communiqués, il peut en résulter pour ladite partie une situation moins favorable que si elle avait coopéré.

35

S’il est vrai que le règlement de base, et particulièrement l’article 13, paragraphe 3, de celui-ci, établit le principe selon lequel la charge de la preuve d’un contournement incombe aux institutions de l’Union, il n’en demeure pas moins que, en prévoyant, dans l’hypothèse d’un défaut de coopération des parties intéressées, que ces institutions peuvent fonder les conclusions d’une enquête sur l’existence d’un contournement sur les données disponibles et que les parties qui n’y ont pas coopéré risquent de se trouver dans une situation moins favorable, les paragraphes 1 et 6 de l’article 18 du règlement de base visent nettement à assouplir ladite charge.

36

Certes, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 68 et 69 de ses conclusions, il ressort de l’article 18 du règlement de base que le législateur de l’Union n’a pas entendu établir une présomption légale permettant de déduire directement du défaut de coopération des parties intéressées ou concernées l’existence d’un contournement et, partant, dispensant les institutions de l’Union de toute exigence de preuve. Toutefois, compte tenu de la possibilité d’établir des conclusions, même définitives, sur la base des données disponibles et de traiter la partie qui ne coopère pas ou qui ne coopère que partiellement de façon moins favorable que si elle avait coopéré, il est tout aussi évident que les institutions de l’Union sont autorisées à se fonder sur un faisceau d’indices concordants permettant de conclure à l’existence d’un contournement au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base.

37

Toute autre solution risquerait de compromettre l’efficacité des mesures de défense commerciale de l’Union toutes les fois que les institutions de l’Union sont confrontées au refus de coopération dans le cadre d’une enquête visant à établir un contournement.

38

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier la question de la validité du règlement litigieux.

39

En premier lieu, il importe de rappeler que, dans le cas d’espèce, les producteurs-exportateurs thaïlandais ainsi que les autorités thaïlandaises n’ont pas coopéré dans l’enquête sur le contournement. En outre, un seul producteur-exportateur chinois a déclaré ses ventes à l’exportation vers l’Union ainsi que des exportations très limitées vers la Thaïlande et aucune observation n’a été reçue de la part des autorités chinoises.

40

Or, ainsi qu’il ressort du considérant 6 du règlement litigieux, la Commission a informé les autorités chinoises et thaïlandaises, les producteurs-exportateurs et les importateurs communautaires concernés ainsi que l’industrie communautaire de l’ouverture de l’enquête sur le contournement. En outre, des questionnaires ont été adressés auxdits producteurs-exportateurs et importateurs communautaires, ces derniers ayant eu, dès lors, la possibilité de faire connaître leurs points de vue et d’être entendus par la Commission.

41

En raison du refus de coopération de ces intéressés, le volume et la valeur des exportations thaïlandaises et chinoises de transpalettes à main vers l’Union ont été déterminés par le Conseil sur la base des seules informations disponibles, à savoir des données statistiques collectées par les États membres et collationnées par la Commission, conformément à l’article 14, paragraphe 6, du règlement de base, ainsi que des données d’Eurostat.

42

Ces informations ont permis aux institutions de l’Union de conclure que, à la suite de l’introduction des mesures antidumping sur les importations de transpalettes à main originaires de Chine, les importations de transpalettes à main en provenance de Thaïlande sont passées de 7 458 au cours de l’année 2005 à 64 706 au cours de l’année 2007 avant de retomber à 42 056 au cours de la période d’enquête. Cela représentait un accroissement de 868 % entre l’année 2005 et l’année 2007 et, au cours de la période d’enquête, un accroissement de 564 % par rapport à l’année 2005.

43

En ce qui concerne les importations dans l’Union de transpalettes à main en provenance de Chine, les institutions de l’Union ont relevé que celles-ci sont passées de 240 639 au cours de l’année 2005 à 538 271 pour l’année 2007 et à 584 786 au cours de la période d’enquête. Sur la base des informations dont disposaient ces institutions, cet accroissement s’expliquait surtout par une augmentation des exportations du producteur-exportateur chinois auquel le taux de droit antidumping le plus faible était appliqué, à savoir 7,6 %, tandis que les autres producteurs-exportateurs chinois étaient soumis à un droit antidumping compris entre 28,5 % et 46,7 %.

44

Il ressort de ces éléments, premièrement, que les importations en provenance de Thaïlande ont connu une augmentation très importante à partir de l’année 2005, c’est-à-dire à partir de l’application du droit antidumping aux importations en provenance de Chine, deuxièmement, qu’il y avait une raison économique plausible pour justifier la progression de ces dernières importations à partir de l’année 2005 et, troisièmement, que cette progression a été, en proportion, nettement inférieure à celle des importations en provenance de Thaïlande.

45

Simon, Evers soutient, toutefois, que la configuration des échanges entre les pays tiers et l’Union ne s’est pas modifiée de manière significative, étant donné qu’une modification de la configuration des échanges au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base se caractérise par le fait que les importations originaires du pays soumis au droit antidumping devaient diminuer à la suite de l’entrée en vigueur des mesures antidumping, tandis que les importations de produits similaires en provenance du prétendu pays de contournement devaient augmenter.

46

Or, dans l’affaire au principal, une telle condition ne serait pas remplie.

47

À cet égard, il importe de souligner que l’exigence relative à la substitution des importations originaires du pays soumis au droit antidumping par celles en provenance du pays de contournement, en tant que condition nécessaire à l’existence d’un contournement, ne figure pas à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base.

48

En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 87 de ses conclusions, la définition du «contournement» est formulée à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base en des termes très généraux qui laissent une large marge de manœuvre aux institutions de l’Union, aucune précision n’étant donnée quant à la nature et aux modalités de la «modification de la configuration des échanges entre les pays tiers et la Communauté».

49

Par conséquent, il y a lieu de constater que le Conseil a établi à suffisance de droit une modification de la configuration des échanges entre la Chine, la Thaïlande et l’Union.

50

En second lieu, les doutes exprimés par la juridiction de renvoi au sujet de la validité du règlement litigieux sont également fondés sur le fait que les institutions de l’Union n’auraient pas apporté la preuve que la modification de la configuration des échanges entre les pays tiers concernés et l’Union trouvait son origine dans le contournement du droit antidumping institué sur les importations originaires de Chine.

51

Ainsi qu’il ressort de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, l’existence d’un contournement exige qu’il soit établi qu’il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification économique autre que l’imposition du droit antidumping pour les pratiques, les opérations ou les ouvraisons qui sont responsables de la modification de la configuration des échanges entre les pays tiers et l’Union.

52

En l’occurrence, il ressort du règlement litigieux que les institutions se sont basées sur un faisceau d’indices concordants pour conclure à l’existence d’un tel contournement. Elles ont constaté que la modification de la configuration des échanges entre la Thaïlande et l’Union a commencé juste après l’institution du droit antidumping sur les importations en provenance de Chine. Cette coïncidence dans le temps constitue un indice important permettant d’établir un lien logique et raisonnable entre l’augmentation considérable des importations en provenance de Thaïlande et l’imposition du droit antidumping.

53

En outre, il ressort du considérant 21 du règlement litigieux que, au moment de l’ouverture de l’enquête sur le contournement, les informations dont disposait la Commission semblaient indiquer que d’importantes opérations d’assemblage du produit concerné avaient lieu en Thaïlande.

54

Enfin, ni les producteurs-exportateurs thaïlandais et chinois, ni le gouvernement thaïlandais n’ont fourni aux institutions de l’Union d’éléments de preuve permettant d’expliquer l’augmentation considérable des importations de transpalettes à main en provenance de Thaïlande. En particulier, ces institutions n’ont reçu aucun élément de preuve indiquant qu’il existait de véritables activités de production de transpalettes à main en Thaïlande.

55

Le défaut de coopération des entreprises et des autorités nationales concernées lors de l’enquête sur le contournement a donc empêché les institutions de l’Union de déterminer avec certitude les raisons de la modification de la configuration des échanges entre la Thaïlande et l’Union.

56

Or, dans le cadre d’une situation caractérisée par le refus total de coopération dans l’enquête sur le contournement, les institutions de l’Union étaient ainsi habilitées à se fonder sur des indices afin de conclure à l’existence de pratiques, d’opérations ou d’ouvraisons en Thaïlande visant uniquement à contourner le droit antidumping frappant les importations originaires de Chine. Dans ces conditions, il appartenait aux parties concernées d’apporter la preuve d’un motif raisonnable justifiant ces activités, autre que celui d’échapper audit droit antidumping (voir, par analogie, arrêt Brother International, C‑26/88, EU:C:1989:637, point 29).

57

Il s’ensuit que, en considérant dans le règlement litigieux qu’il y a eu contournement des mesures au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits.

58

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre que l’examen de la question posée par la juridiction de renvoi n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement litigieux.

Sur les dépens

59

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

 

L’examen de la question posée par la juridiction de renvoi n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement (CE) no 499/2009 du Conseil, du 11 juin 2009, étendant le droit antidumping définitif institué par le règlement (CE) no 1174/2005 sur les importations de transpalettes à main et de leurs parties essentielles originaires de la République populaire de Chine aux importations des mêmes produits expédiés de Thaïlande, qu’ils aient ou non été déclarés originaires de ce pays.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.