Affaires jointes C-78/08 à C-80/08

Ministero dell’Economia e delle Finanze e.a.

contre

Paint Graphos Soc. coop. arl e.a.

(demandes de décision préjudicielle, introduites par

la Corte suprema di cassazione)

«Renvoi préjudiciel — Recevabilité — Aides d’État — Avantages fiscaux accordés aux sociétés coopératives — Qualification d’aide d’État au sens de l’article 87 CE — Compatibilité avec le marché commun — Conditions»

Sommaire de l'arrêt

1.        Questions préjudicielles — Compétence de la Cour — Limites — Examen de la compatibilité d'une aide avec le marché commun — Exclusion

(Art. 234 CE)

2.        Aides accordées par les États — Notion — Avantages fiscaux accordés aux sociétés coopératives de production et de travail — Inclusion — Conditions

(Art. 87, § 1, CE)

1.        S’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en application de l’article 234 CE, sur la compatibilité de normes de droit interne avec le droit de l’Union ni d’interpréter des dispositions législatives ou réglementaires nationales, elle est toutefois compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent permettre à celle-ci d’apprécier une telle compatibilité pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie.

Plus précisément, la compétence de la Commission pour apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché commun ne fait pas obstacle à ce qu’une juridiction nationale interroge la Cour à titre préjudiciel sur l’interprétation de la notion d’aide. Ainsi, la Cour peut notamment fournir au juge de renvoi les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union lui permettant de déterminer si une mesure nationale peut être qualifiée d’aide d’État au sens dudit droit.

(cf. points 34-35)

2.        Des exonérations fiscales, accordées aux sociétés coopératives de production et de travail au titre d’une réglementation nationale prévoyant certains avantages fiscaux, ne sont constitutives d’une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE que pour autant que toutes les conditions d’application de cette disposition sont remplies, à savoir, en premier lieu, le financement de la mesure par l’État ou au moyen de ressources d’État, en deuxième lieu, la sélectivité d’une telle mesure ainsi que, en troisième lieu, l’incidence de celle-ci sur les échanges entre les États membres et la distorsion de la concurrence résultant de cette mesure. En l'occurrence, il appartiendra à la juridiction nationale d’apprécier plus particulièrement le caractère sélectif des exonérations fiscales accordées aux sociétés coopératives de production et de travail ainsi que leur éventuelle justification par la nature ou l’économie générale du système fiscal national dans lequel elles s’inscrivent, en déterminant, notamment, si les sociétés coopératives en cause se trouvent en fait dans une situation comparable à celle d’autres opérateurs constitués sous la forme d’entités juridiques à but lucratif et, si tel est effectivement le cas, si le traitement fiscal plus favorable réservé auxdites sociétés coopératives est, d’une part, inhérent aux principes essentiels du système d’imposition applicable dans l’État membre concerné et, d’autre part, conforme aux principes de cohérence et de proportionnalité.

(cf. points 43, 82 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

8 septembre 2011 (*)

«Renvoi préjudiciel – Recevabilité – Aides d’État – Avantages fiscaux accordés aux sociétés coopératives – Qualification d’aide d’État au sens de l’article 87 CE – Compatibilité avec le marché commun – Conditions»

Dans les affaires jointes C‑78/08 à C‑80/08,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par la Corte suprema di cassazione (Italie), par décisions des 29 novembre et 20 décembre 2007, parvenues à la Cour le 25 février 2008, dans les procédures

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Agenzia delle Entrate

contre

Paint Graphos Soc. coop. arl (C-78/08),

Adige Carni Soc. coop. arl, en liquidation,

contre

Agenzia delle Entrate,

Ministero dell’Economia e delle Finanze (C-79/08),

et

Ministero delle Finanze

contre

Michele Franchetto (C-80/08),

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. J.‑J. Kasel (rapporteur), M. Ilešič, M. Safjan et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 mars 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour Paint Graphos Soc. coop. arl et Adige Carni Soc. coop. arl, en liquidation, par Mes F. Capelli, L. Salvini, L. Paolucci, A. Abate, P. Piva et L. Manzi, avvocati,

–        pour M. Franchetto, par Me M. Bianca, avvocato,

–        pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, puis par Mme G. Palmieri, en qualité d’agents, assistés de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. M. Muñoz Pérez, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues ainsi que par Mmes A.‑L. Vendrolini et B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. R. Lyal, G. Conte et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

–        pour l’Autorité de surveillance AELE, par M. X. Lewis, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 juillet 2010,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 87 CE et du principe de l’interdiction de l’abus de droit en matière fiscale.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de trois litiges opposant respectivement le Ministero dell’Economia e delle Finanze et l’Agenzia delle Entrate à Paint Graphos Soc. coop. arl (ci-après «Paint Graphos») (C‑78/08), Adige Carni Soc. coop. arl, en liquidation (ci-après «Adige Carni»), à l’Agenzia delle Entrate et au Ministero dell’Economia e delle Finanze (C‑79/08) ainsi que le Ministero delle Finanze à M. Franchetto (C‑80/08) au sujet de demandes visant à obtenir l’exonération de différents impôts dont bénéficient les sociétés coopératives de production et de travail en application du droit fiscal italien.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le 10 décembre 1998, la Commission des Communautés européennes a publié une communication sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO C 384, p. 3, ci-après la «communication concernant la fiscalité directe des entreprises»), dans laquelle elle entend clarifier certains aspects dans le domaine des aides d’État sous la forme de mesures fiscales.

4        À la suite de l’adoption du règlement (CE) n° 1435/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, relatif au statut de la société coopérative européenne (SEC) (JO L 207, p. 1), la Commission a, dans sa communication du 23 février 2004 au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur la promotion des sociétés coopératives en Europe [COM(2004) 18 final, ci-après la «communication sur la promotion des sociétés coopératives en Europe»], mis en exergue les caractéristiques spécifiques des sociétés coopératives et présenté des mesures pour promouvoir le développement de cette forme de société dans les États membres.

 La réglementation nationale

5        L’article 45 de la Constitution italienne énonce:

«La République reconnaît la fonction sociale de la coopération à caractère de mutualité et sans fins de spéculation privée. La loi aide et favorise son développement par les moyens les plus appropriés et en assure, par les contrôles opportuns, le caractère et les finalités. La loi pourvoit à la protection et au développement de l’artisanat.»

6        Le décret du président de la République n° 601, du 29 septembre 1973, portant réglementation des avantages fiscaux (supplément ordinaire à la GURI n° 268, du 16 octobre 1973, p. 3), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, à savoir de 1984 à 1993 (ci-après le «DPR n° 601/1973»), disposait:

«Article 10 (Coopératives agricoles et de la petite pêche)

1.      Sont exonérés de l’impôt sur le revenu des personnes morales et de l’impôt local sur les revenus, les revenus que les sociétés coopératives agricoles et leurs groupements tirent de l’élevage d’animaux nourris à l’aide d’aliments provenant pour au moins un quart des terrains des membres, ainsi que de la manipulation, de la transformation et de la vente, dans les limites fixées au point c) de l’article 28 du décret […] du président de la République [n° 597] du 29 septembre 1973, de produits agricoles ou zootechniques et d’animaux apportés par les membres dans les limites des possibilités de leurs terrains.

2.      Si les activités exercées par la coopérative ou ses membres dépassent les limites prévues au paragraphe précédent et aux points b) et c) de l’article 28 dudit décret, l’exonération s’applique à la part du revenu de la coopérative ou du groupement correspondant au revenu agraire des terrains des membres.

3.      Les revenus des coopératives de la petite pêche et de leurs groupements sont exonérés de l’impôt sur le revenu des personnes morales et de l’impôt local sur le revenu. Sont considérées comme coopératives de petite pêche celles qui pratiquent la pêche maritime à titre professionnel en employant exclusivement des bateaux relevant des catégories 3 et 4 visées à l’article 8 du décret du président de la République n° 1639, du 2 octobre 1968, ou la pêche dans les eaux intérieures.

Article 11 (Coopératives de production et de travail)

1.      Les revenus des coopératives de production et de travail et de leurs groupements sont exonérés de l’impôt sur le revenu des personnes morales et de l’impôt local sur le revenu si le montant des rémunérations effectivement versées aux membres qui apportent leur travail de façon continue, y compris les sommes visées au dernier paragraphe, n’est pas inférieur à 60 % du montant global de tous les autres coûts, à l’exception de ceux relatifs aux matières premières et aux fournitures. Si le montant des rémunérations est inférieur à 60 %, mais pas à 40 %, du montant global des autres coûts, l’impôt sur le revenu des personnes morales et l’impôt local sur les revenus sont réduits de moitié.

2.      Pour les sociétés coopératives de production, les dispositions du paragraphe précédent s’appliquent à condition que les membres satisfassent à toutes les exigences prévues, pour les membres des coopératives de travail, par l’article 23 du décret législatif […] du chef provisoire de l’État [n° 1577] du 14 décembre 1947, avec ses modifications ultérieures.

3.      Pour calculer le revenu des sociétés coopératives de production et de travail et de leurs groupements, les sommes versées aux membres salariés à titre de complément de leur rémunération peuvent être déduites dans la limite des salaires courants majorés de 20 %.

Article 12 (Autres sociétés coopératives)

1.      Pour les sociétés coopératives et leurs groupements autres que ceux indiqués aux articles 10 et 11, l’impôt sur le revenu des personnes morales et l’impôt local sur les revenus sont réduits d’un quart.

2.      Au regard de l’impôt local sur les revenus, la société ou le groupement a la faculté d’opter pour l’application des déductions prévues au quatrième paragraphe de l’article 7 du décret du président de la République n° 599, du 29 septembre 1973, à la place de la réduction prévue au paragraphe précédent. Cette option devra être exercée à l’occasion de la déclaration annuelle, à laquelle il faudra joindre, sous peine de nullité, la liste des membres concernés par les déductions.

3.      Pour les sociétés coopératives de consommation et leurs groupements, sans préjudice des dispositions des précédents paragraphes, sont admises en déduction du revenu les sommes réparties entre les membres sous forme de restitution d’une partie du prix des marchandises achetées.

Article 13 (Financement des membres)

1.      Sont exonérés de l’impôt local sur les revenus les intérêts sur les sommes autres que la part du capital social que les membres personnes physiques mettent à la disposition de la société coopérative et de ses groupements ou que ceux-ci retiennent aux membres, à condition:

a)      que les versements et les retenues soient effectués exclusivement pour permettre d’atteindre l’objectif social et qu’ils ne dépassent pas la somme de 40 millions de lires pour chaque membre. Ce plafond est porté à 80 millions de lires pour les coopératives de conservation, de traitement, de transformation et de vente de produits agricoles et pour les coopératives de production et de travail;

b)      que les intérêts versés sur les sommes en question ne dépassent pas le plafond des intérêts revenant aux détenteurs des bons postaux d’épargne.

[…]

Article 14 (Conditions d’applicabilité des avantages)

1.      Les avantages fiscaux prévus dans le présent titre s’appliquent aux sociétés coopératives et à leurs groupements, qui sont régis par les principes de la mutualité prévus par les lois de l’État et qui sont inscrits sur les registres préfectoraux ou sur le fichier général de la coopération.

2.      Les exigences caractérisant le but mutualiste sont réputées remplies si les conditions prévues à l’article 26 du décret législatif du chef provisoire de l’État n° 1577, du 14 décembre 1947, [portant mesures de coopération (GURI n° 17, du 22 janvier 1948)], et ses amendements successifs (ci-après le «décret législatif n° 1577/1947»), sont expressément prévues dans les statuts, sans possibilité de dérogation, et si ces conditions ont été effectivement constatées pendant la période fiscale et dans les cinq années précédentes, ou le cas échéant pendant le laps de temps qui s’est écoulé depuis l’approbation des statuts, s’il n’atteint pas cinq ans.

3.      C’est l’administration fiscale, en consultation avec le ministère du Travail ou les autres organes de surveillance, qui contrôle les conditions d’applicabilité des avantages fiscaux.»

7        L’article 26 du décret législatif n° 1577/1947 est libellé comme suit:

«Aux fins de la fiscalité, on présume que les conditions caractérisant le but mutualiste sont présentes lorsque les statuts de la coopérative contiennent les clauses suivantes:

a)      interdiction de verser des dividendes supérieurs au taux de l’intérêt légal par rapport au capital effectivement versé;

b)      interdiction de distribuer les réserves entre les membres pendant la durée de vie de la société;

c)      en cas de dissolution de la société, dévolution de la totalité du patrimoine social, après déduction seulement du capital versé et des dividendes éventuellement échus, à des fins d’utilité publique conformes à l’esprit mutualiste.

[…]»

8        L’article 12 de la loi n° 904, du 16 décembre 1977, portant modifications du régime de l’impôt sur le revenu des personnes morales et du régime d’imposition des dividendes et des augmentations de capital, adaptation du capital minimal des sociétés et autres dispositions en matière fiscale et de droit des sociétés (GURI n° 343, du 17 décembre 1977), prévoit:

«Sans préjudice des dispositions du titre III du décret du président de la République du 29 septembre 1973, n° 601, tel que modifié et complété ultérieurement, les sommes affectées aux réserves indivisibles ne concourent pas à la formation du revenu imposable des sociétés coopératives et de leurs groupements, pour autant qu’est exclue la possibilité de les distribuer aux associés sous quelque forme que ce soit, et ce tant pendant la durée de la vie de la société ou du groupement que lors de sa dissolution.»

 Les litiges au principal

L’affaire C‑78/08

9        À la suite de contrôles effectués par la Guardia di Finanza, l’administration fiscale de Matera a notifié à Paint Graphos, une société coopérative de droit italien, un avis d’imposition rectifiant, pour l’année 1993, le montant de son revenu aux fins de l’établissement de l’impôt sur les revenus des personnes morales (ci-après l’«IRPEG») et de l’impôt local sur le revenu (ci-après l’«ILOR»). Par le même avis, cette administration fiscale a refusé à ladite société le droit aux exonérations fiscales prévues par la réglementation italienne au bénéfice des sociétés coopératives.

10      Paint Graphos a formé un recours contre cet avis d’imposition devant la Commissione tributaria provinciale di Matera, en invoquant son droit à bénéficier desdites exonérations fiscales. Ce recours a été accueilli par cette juridiction.

11      L’administration fiscale a interjeté appel de ce jugement devant la Commissione tributaria regionale della Basilicata, qui a confirmé le jugement de première instance.

12      Le Ministero dell’Economia e delle Finanze et l’Agenzia delle Entrate se sont pourvus en cassation contre cet arrêt, en invoquant notamment la violation et l’application erronée des articles 11 et 14 du DPR n° 601/1973.

L’affaire C‑79/08

13      Par avis d’imposition du 8 juin 1999, l’administration fiscale de Rovigo a notifié à Adige Carni, une société coopérative de droit italien, la déchéance du bénéfice des avantages fiscaux prévus aux articles 10 et suivants du DPR n° 601/1973, le relèvement de son revenu imposable au titre de l’année 1993 et la majoration consécutive de l’IRPEG et de l’ILOR dont cette société était redevable. Ladite administration fiscale relevait notamment l’existence de dépenses non déductibles, dans la mesure où elles n’étaient pas documentées ou ne concernaient pas l’exercice considéré. En se fondant sur un procès-verbal de la Guardia di Finanza, elle contestait également l’émission par la société Italcarni Srl de factures pour des opérations inexistantes, la somme correspondante étant considérée comme un revenu. Cette somme n’ayant pas été comptabilisée comme un revenu par Adige Carni, l’administration fiscale a considéré qu’elle avait été distribuée aux membres en violation de l’article 11 dudit DPR.

14      Adige Carni a formé un recours devant la Commissione tributaria provinciale di Rovigo qui a annulé l’avis d’imposition litigieux.

15      L’administration fiscale a interjeté appel de ce jugement devant la Commissione tributaria regionale, qui a confirmé l’avis d’imposition et la déchéance des exonérations fiscales dont avait bénéficié Adige Carni.

16      Cette dernière s’est alors pourvue en cassation, en invoquant notamment l’absence ou l’insuffisance de la motivation de la décision de refus des exonérations fiscales en cause.

L’affaire C-80/08

17      L’administration fiscale de Monfalcone a rectifié les déclarations de revenus effectuées par M. Franchetto, ressortissant italien, pour les années 1984 à 1988 au motif que, en tant que membre de la société coopérative de droit italien Cooperativa Maricoltori Alto Adriatico rl (ci-après la «Cooperativa Maricoltori»), qui a pour objet l’élevage et la vente de mollusques, il était intervenu de manière autonome sur le marché, comme d’autres membres, alors que cette société, au nom de laquelle étaient émises les factures d’achat et de vente, percevait sur chaque vente une commission pour chaque service rendu et distribuait la majoration de prix aux membres au lieu de l’affecter aux réserves prévues à cette fin.

18      En ce qui concerne la Cooperativa Maricoltori, les exonérations accordées au titre de l’IRPEG pour les années 1984 et 1985 ont été remises en cause et les sommes correspondantes récupérées par l’administration fiscale de Monfalcone. Quant au recours introduit par cette société et portant sur l’année d’imposition 1985, il a été rejeté par la Commissione tributaria di primo grado di Trieste, l’exercice fiscal de 1984 ayant fait l’objet d’une amnistie fiscale.

19      M. Franchetto a attaqué l’avis d’imposition le concernant devant la Commissione tributaria di primo grado di Trieste, en faisant valoir qu’il ne saurait être contesté que les conditions requises pour reconnaître à ladite société la qualité de coopérative étaient réunies, dans la mesure où l’avis du ministère du Travail, prévu à l’article 14 du DPR n° 601/1973, n’avait pas été recueilli.

20      La Commissione tributaria di primo grado di Trieste a fait droit au recours de M. Franchetto.

21      En revanche, ce dernier a été débouté en deuxième instance sur appel de l’administration fiscale de Monfalcone, la Commissione tributaria di secondo grado di Trieste estimant que la Cooperativa Maricoltori poursuivait non pas des objectifs mutualistes, mais des objectifs «consortiaux».

22      Saisie par M. Franchetto, qui soutenait que sa position était celle d’un membre employé d’une coopérative déclarée en tant que telle dans ses statuts, la Commissione tributaria centrale di Roma, sans examiner au fond les arguments invoqués par le requérant, a estimé que le bénéfice des exonérations fiscales ne pouvait être refusé à ladite société coopérative sans que l’avis obligatoire du ministère du Travail ait été obtenu au préalable.

23      Le Ministero delle Finanze demande en cassation l’annulation de l’arrêt de ladite juridiction en se prévalant notamment de la violation de l’article 14 du DPR n° 601/1973, au motif que l’avis d’imposition visait le membre de la société coopérative et non pas celle-ci en tant que telle et que, de ce fait, il n’était pas nécessaire d’obtenir l’avis du ministère du Travail.

24      Par ordonnance du 31 mars 2008 du président de la Cour, les affaires C‑78/08 à C‑80/08 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Les questions préjudicielles

25      Après avoir relevé que les litiges dont elle est saisie ont pour objet le droit à des exonérations totales ou partielles de différents impôts dont la réglementation italienne fait bénéficier les seules sociétés coopératives en raison de l’objectif spécifique que ces dernières poursuivent, lequel est reconnu par l’article 45 de la Constitution italienne valorisant la fonction sociale ainsi que le caractère essentiellement mutualiste de ce type de sociétés, la Corte suprema di cassazione considère que, aux fins de vérifier la conformité de ces avantages au droit de l’Union, il importe de déterminer au préalable si et, le cas échéant, à quelles conditions le fait pour les sociétés coopératives concernées de réaliser ainsi des économies d’impôt, souvent importantes, constitue une aide incompatible avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, une telle incompatibilité entraînerait, en raison de l’effet direct de l’article 88, paragraphe 3, CE, l’obligation pour les autorités nationales, y compris juridictionnelles, de laisser inappliqué le DPR n° 601/1973.

26      De même, si le fait pour les sociétés concernées d’avoir choisi la forme coopérative était constitutif d’un abus de droit susceptible de fausser les règles du marché, la libre concurrence et le principe d’égalité de traitement, la conséquence en serait en l’occurrence l’inopposabilité de la forme juridique de la société coopérative à l’administration fiscale, laquelle pourrait alors imposer ces sociétés sur la base du régime fiscal ordinaire applicable aux sociétés à but lucratif. Selon la Corte suprema di cassazione, il importe de s’interroger sur la justification et la proportionnalité des avantages en cause, compte tenu non seulement de la taille et de la part de marché de certaines sociétés coopératives, mais également des carences du système de contrôle tel que prévu par le droit national.

27      À cet égard, la juridiction de renvoi relève que ce n’est que l’intervention de la polizia tributaria (police fiscale) qui a permis de constater que les sociétés coopératives en cause au principal ne poursuivaient pas une finalité mutualiste, contrairement à leurs allégations ainsi qu’aux énonciations figurant dans leurs statuts, alors que les organes de contrôle chargés de veiller au respect des conditions relatives au but mutualiste requises par la réglementation italienne n’ont pas été en mesure de déceler cette anomalie. Or, de telles défaillances du système de contrôle seraient de nature à faciliter les abus lors de l’application des critères permettant aux sociétés coopératives de bénéficier d’un régime d’imposition plus favorable.

28      C’est dans ces conditions que la Corte suprema di cassazione a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, lesquelles sont rédigées dans des termes identiques dans les trois affaires C‑78/08 à C‑80/08:

«[1)] [L]es avantages fiscaux accordés aux sociétés coopératives, en vertu des articles 10, 11, 12, 13 et 14 du DPR [n° 601/1973], sont-ils compatibles avec le droit de la concurrence et, plus particulièrement, sont-ils qualifiables d’aides d’État au sens de l’article 87 du traité CE, sachant notamment que le système de surveillance et de correction des abus prévu par le [décret législatif n° 1577/1947] est inadéquat?

[2)]      [E]n ce qui concerne en particulier la question de savoir si les avantages fiscaux litigieux peuvent être qualifiés d’aides d’État, ces mesures peuvent-elles être considérées comme proportionnées par rapport aux objectifs assignés à la société coopérative: l’examen de la proportionnalité peut-il porter non seulement sur la mesure individuelle, mais aussi sur l’avantage que confèrent les mesures dans leur ensemble et les distorsions de la concurrence qui en découlent?

[3)]      Pour répondre aux questions qui précèdent, tenant compte du fait que le système de contrôles se trouve encore gravement affaibli par la réforme du droit des sociétés, en particulier en ce qui concerne les sociétés coopératives à caractère mutualiste prédominant, et non pas exclusif, en vertu de la loi n° 311 de 2004.

[4)]      [I]ndépendamment du point de savoir si les avantages fiscaux en question peuvent être qualifiés d’aides d’État, l’utilisation de la forme juridique de la société coopérative, même en dehors des cas de fraude ou de simulation, peut-elle être qualifiée d’abus de droit, lorsque le recours à cette forme sociale a lieu dans le but exclusif ou principal de réaliser une économie d’impôt?»

 Sur la recevabilité des demandes de décision préjudicielle

29      Paint Graphos, Adige Carni et les gouvernements ayant soumis des observations à la Cour, à l’exception du gouvernement français, ainsi que la Commission émettent des doutes quant à la recevabilité des présentes demandes de décision préjudicielle ou, à tout le moins, de l’une ou l’autre des questions posées. Ce n’est dès lors qu’à titre subsidiaire qu’ils ont pris position quant au fond.

30      À cet égard, il importe de rappeler d’emblée que, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, non encore publié au Recueil, point 18 et jurisprudence citée).

31      Selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 7 juin 2007, van der Weerd e.a., C‑222/05 à C‑225/05, Rec. p. I‑4233, point 22; du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C‑188/10 et C‑189/10, non encore publié au Recueil, point 27, ainsi que Bruno e.a., précité, point 19).

32      Ce n’est ainsi que dans des circonstances exceptionnelles qu’il incombe à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I‑2099, point 39). En effet, l’esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger, C‑112/00, Rec. p. I‑5659, point 32 et jurisprudence citée).

33      S’agissant des présents renvois préjudiciels, la juridiction nationale demande, par ses deux premières questions, si les avantages fiscaux que le droit interne concerné accorde à des sociétés coopératives sont compatibles avec le droit de l’Union et, plus particulièrement, si lesdits avantages sont susceptibles d’être qualifiés d’«aides d’État» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

34      Or, il est de jurisprudence constante que, s’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en application de l’article 267 TFUE, sur la compatibilité de normes de droit interne avec le droit de l’Union ni d’interpréter des dispositions législatives ou réglementaires nationales, elle est toutefois compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent permettre à celle-ci d’apprécier une telle compatibilité pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1993, Hünermund e.a., C‑292/92, Rec. p. I‑6787, point 8, ainsi que du 27 novembre 2001, Lombardini et Mantovani, C‑285/99 et C‑286/99, Rec. p. I‑9233, point 27).

35      Plus précisément, il a déjà été jugé que la compétence de la Commission pour apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché commun ne fait pas obstacle à ce qu’une juridiction nationale interroge la Cour à titre préjudiciel sur l’interprétation de la notion d’aide (arrêt du 29 juin 1999, DM Transport, C‑256/97, Rec. p. I‑3913, point 15). Ainsi, la Cour peut notamment fournir au juge de renvoi les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union lui permettant de déterminer si une mesure nationale peut être qualifiée d’aide d’État au sens dudit droit (voir arrêt du 10 juin 2010, Fallimento Traghetti del Mediterraneo, C‑140/09, non encore publié au Recueil, point 24 et jurisprudence citée).

36      Il s’ensuit que la circonstance que les deux premières questions sont libellées de manière telle qu’elles portent sur la compatibilité du DPR n° 601/1973 avec les dispositions pertinentes du droit de l’Union n’est pas de nature à entraîner leur irrecevabilité.

37      Il en va de même de la circonstance que la première de ces deux questions fait également référence aux articles 10 et 12 du DPR n° 601/1973, lesquels ont pour objet des sociétés coopératives autres que de production et de travail, alors même que la Corte suprema di cassazione a qualifié les sociétés coopératives en cause au principal de «coopératives de production et de travail» au sens de l’article 11 de ce même décret. En effet, les deux premières questions posées doivent être considérées comme recevables pour autant qu’elles visent la situation de ce dernier type de sociétés coopératives telle qu’elle se présente au regard de l’article 11 dudit décret, lu, le cas échéant, en combinaison avec les articles 13 et 14 de celui-ci.

38      Au vu de ce qui précède, les deux premières questions, qu’il y a lieu d’examiner conjointement, doivent donc être comprises comme demandant, en substance, si et, le cas échéant, dans quelle mesure les avantages fiscaux dont bénéficient des sociétés coopératives de production et de travail telles que celles en cause au principal au titre d’une réglementation nationale du type de celle figurant à l’article 11 du DPR n° 601/1973 sont susceptibles d’être qualifiés d’«aides d’État» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

39      S’agissant de la troisième question, force est de constater que la Corte suprema di cassazione y fait référence à des modifications législatives intervenues après la date des faits au principal. Aussi la référence à la loi n° 311 de 2004, figurant à ladite question, est-elle dépourvue de pertinence pour la solution des litiges dont la juridiction de renvoi est saisie. Par conséquent, la troisième question est irrecevable.

40      En ce qui concerne la quatrième question posée par la juridiction de renvoi, relative à l’éventuel abus de droit commis par les sociétés en cause au principal, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 21 février 2006, Halifax e.a., C‑255/02, Rec. p. I‑1609, point 68, ainsi que du 20 septembre 2007, Tum et Dari, C‑16/05, Rec. p. I‑7415, point 64).

41      Toutefois, il est constant que les avantages octroyés en application du DPR n° 601/1973 aux sociétés coopératives en cause au principal ont été instaurés exclusivement par le droit interne italien et non pas par le droit de l’Union. Partant, il est exclu que, en l’espèce, il soit porté atteinte au principe de l’interdiction de l’abus de droit au titre du droit de l’Union.

42      Dès lors, la quatrième question ne portant pas sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître.

 Sur les questions préjudicielles

43      Aux fins de la réponse aux deux premières questions telles que reformulées au point 38 du présent arrêt, il convient de fournir à la juridiction de renvoi les éléments d’interprétation nécessaires des conditions auxquelles l’article 87, paragraphe 1, CE subordonne la qualification d’une mesure nationale en tant qu’aide d’État, à savoir, en premier lieu, le financement de cette mesure par l’État ou au moyen de ressources d’État, en deuxième lieu, la sélectivité d’une telle mesure ainsi que, en troisième lieu, l’incidence de celle-ci sur les échanges entre les États membres et la distorsion de la concurrence résultant de cette mesure. Il y a donc lieu d’examiner successivement ces trois conditions.

 Sur la condition d’un financement de la mesure par l’État ou au moyen de ressources d’État

44      L’article 87, paragraphe 1, CE vise les «aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit».

45      Selon une jurisprudence constante, la notion d’aide est plus générale que celle de subvention, parce qu’elle comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir, notamment, arrêts du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C‑143/99, Rec. p. I‑8365, point 38; du 15 juillet 2004, Espagne/Commission, C‑501/00, Rec. p. I‑6717, point 90 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, Rec. p. I‑289, point 131).

46      Il en découle qu’une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises une exonération fiscale qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires de celle-ci dans une situation financière plus favorable que celle des autres contribuables constitue une «aide d’État» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. De même, peut constituer une aide d’État une mesure accordant à certaines entreprises une réduction d’impôt ou un report du paiement de l’impôt normalement dû (arrêt Cassa di Risparmio di Firenze e.a., précité, point 132).

47      Il y a donc lieu de constater qu’une mesure nationale telle que celle en cause au principal relève d’un financement étatique.

 Sur la condition de sélectivité de la mesure litigieuse

48      L’article 87, paragraphe 1, CE interdit les aides «favorisant certaines entreprises ou certaines productions», c’est-à-dire les aides sélectives.

49      La qualification d’une mesure fiscale nationale de «sélective» suppose, dans un premier temps, l’identification et l’examen préalables du régime fiscal commun ou «normal» applicable dans l’État membre concerné. C’est par rapport à ce régime fiscal commun ou «normal» qu’il convient, dans un second temps, d’apprécier et d’établir l’éventuel caractère sélectif de l’avantage octroyé par la mesure fiscale en cause en démontrant que celle-ci déroge audit système commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif assigné au système fiscal de cet État membre, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, Rec. p. I‑7115, point 56).

50      À cet égard, il ressort des éléments dont dispose la Cour, d’une part, que, pour les besoins du calcul de l’impôt sur le revenu des sociétés, la base imposable des sociétés coopératives de production et de travail concernées est déterminée de la même manière que celle des autres types de sociétés, c’est-à-dire en fonction du montant du bénéfice net résultant de l’exercice de l’activité de l’entreprise au terme de l’année d’imposition. Il convient dès lors de considérer que l’impôt sur les sociétés constitue le régime juridique de référence aux fins d’apprécier l’éventuel caractère sélectif de la mesure en cause.

51      D’autre part, il y a lieu de relever que, par dérogation à la règle généralement applicable aux personnes morales, le revenu imposable des sociétés coopératives de production et de travail concernées est exonéré de l’impôt sur les sociétés. Ces sociétés coopératives bénéficient donc d’un avantage fiscal auquel ne peuvent prétendre les sociétés à but lucratif.

52      Il découle de l’article 11 du DPR n° 601/1973 qu’un avantage tel que celui en cause au principal ne s’applique pas à tous les opérateurs économiques, mais est accordé en considération de la forme juridique de l’entreprise, société coopérative ou non (voir, en ce sens, arrêt Cassa di Risparmio di Firenze e.a., précité, point 136).

53      Il convient encore de préciser qu’une aide peut être sélective au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE même lorsqu’elle concerne tout un secteur économique (voir, notamment, arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, Rec. p. I‑3671, point 33).

54      Il importe dès lors de déterminer si des exonérations fiscales telles que celles en cause au principal sont de nature à favoriser certaines entreprises ou productions par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime de l’impôt sur les sociétés, c’est-à-dire l’imposition des bénéfices des sociétés.

55      À cet égard, il y a lieu de relever que les sociétés coopératives, forme sous laquelle sont constituées les entités juridiques en cause au principal, obéissent à des principes de fonctionnement particuliers qui les distinguent nettement des autres opérateurs économiques. Tant le législateur de l’Union, en adoptant le règlement n° 1435/2003, que la Commission, dans sa communication sur la promotion des sociétés coopératives en Europe, ont mis en évidence ces caractéristiques spécifiques.

56      Celles-ci se traduisent essentiellement, ainsi qu’il est énoncé notamment au huitième considérant dudit règlement, par le principe de la prééminence de la personne, qui se concrétise par des dispositions spécifiques concernant les conditions d’adhésion, de retrait et d’exclusion des membres. En outre, le dixième considérant de ce même règlement précise que, en cas de dissolution, l’actif net et les réserves devraient être distribués à une autre entité coopérative poursuivant des objectifs d’intérêt général similaires.

57      En ce qui concerne la gestion des sociétés coopératives, il y a lieu de relever que celles-ci ne sont pas gérées au profit d’investisseurs extérieurs. Selon les huitième et dixième considérants du règlement n° 1435/2003 ainsi que le point 1.1 de la communication sur la promotion des sociétés coopératives en Europe, le contrôle de la société est assumé à parts égales entre ses membres, reflétant ainsi la règle «un homme, une voix». Les réserves et les actifs sont dès lors détenus en commun, ils sont indivisibles et doivent être consacrés aux intérêts communs des membres.

58      S’agissant du fonctionnement des sociétés coopératives, il convient de relever que, eu égard à la prééminence de la personne, celles-ci ont pour finalité, ainsi que l’indiquent notamment le dixième considérant du règlement n° 1435/2003 et le point 1.1 de la communication sur la promotion des sociétés coopératives en Europe, le bénéfice mutuel de leurs membres, qui sont en même temps des utilisateurs, des clients ou des fournisseurs, de sorte que chacun d’entre eux perçoit le bénéfice des activités de la coopérative en fonction de sa participation dans celle-ci ainsi que de ses transactions avec cette société.

59      Par ailleurs, ainsi que le précise le point 2.2.3 de cette même communication, les sociétés coopératives n’ont pas ou peu accès aux marchés des capitaux, de sorte que leur développement dépend de leurs fonds propres ou du crédit. Cette situation est due au fait que les parts des sociétés coopératives ne sont pas cotées en Bourse et que, partant, elles ne sont pas négociables. En outre, ainsi que le met également en évidence le dixième considérant du règlement n° 1435/2003, la rémunération du capital emprunté et des participations est limitée, ce qui rend l’investissement dans une société coopérative moins avantageux.

60      En conséquence, la marge bénéficiaire de ce type spécifique de société est nettement inférieure à celle des sociétés de capitaux, lesquelles peuvent mieux s’adapter aux exigences du marché.

61      Eu égard aux caractéristiques particulières propres aux sociétés coopératives, force est donc de constater que des sociétés coopératives de production et de travail telles que celles en cause au principal ne sauraient, en principe, être considérées comme se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des sociétés commerciales, pour autant toutefois qu’elles agissent dans l’intérêt économique de leurs membres et qu’elles entretiennent une relation non pas purement commerciale, mais personnelle particulière avec ces derniers, dans laquelle ces membres sont activement impliqués et ont droit à une répartition équitable des résultats économiques.

62      En effet, des sociétés coopératives de production et de travail présentant des caractéristiques autres que celles inhérentes à ce type de société ne poursuivraient pas véritablement une finalité mutualiste et devraient donc être distinguées du modèle tel que décrit dans la communication de la Commission sur la promotion des sociétés coopératives en Europe.

63      En dernière analyse, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, au regard de l’ensemble des circonstances caractérisant les litiges dans lesquels elle est appelée à statuer, si, en fonction des critères énoncés aux points 55 à 62 du présent arrêt, les sociétés coopératives de production et de travail en cause au principal se trouvent en fait dans une situation comparable à celle des sociétés à but lucratif assujetties à l’impôt sur les sociétés.

64      Dans l’hypothèse où le juge national parviendrait à la conclusion que, dans les litiges dont il est saisi, la condition énoncée au point précédent est effectivement remplie, il importerait encore de déterminer, conformément à la jurisprudence de la Cour, si des exonérations fiscales telles que celles en cause au principal sont justifiées par la nature ou l’économie générale du système dans lequel elles s’inscrivent (voir, en ce sens, arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité, point 42).

65      Ainsi, une mesure constituant une exception à l’application du système fiscal général peut être justifiée si l’État membre concerné parvient à démontrer que cette mesure résulte directement des principes fondateurs ou directeurs de son système fiscal (voir arrêt Portugal/Commission, précité, point 81).

66      Dans ce contexte, il convient de fournir à la juridiction de renvoi les précisions suivantes en vue de lui permettre de statuer utilement dans les litiges dont elle est saisie.

67      D’abord, il importe de rappeler que la Cour a itérativement jugé que la finalité poursuivie par des interventions étatiques ne suffit pas à les faire échapper d’emblée à la qualification d’«aides» au sens de l’article 87 CE (voir, notamment, arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C-487/06 P, Rec. p. I‑10505, point 84 et jurisprudence citée).

68      En effet, l’article 87, paragraphe 1, CE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais définit celles-ci en fonction de leurs effets (arrêt British Aggregates/Commission, précité, point 85 et jurisprudence citée).

69      Il y a également lieu de rappeler qu’une mesure portant exception à l’application du système fiscal général peut être justifiée si cette mesure résulte directement des principes fondateurs ou directeurs dudit système fiscal. À cet égard, une distinction doit être établie entre, d’une part, les objectifs assignés à un régime fiscal particulier et qui lui sont extérieurs et, d’autre part, les mécanismes inhérents au système fiscal lui-même qui sont nécessaires à la réalisation de tels objectifs (voir, en ce sens, arrêt Portugal/Commission, précité, point 81).

70      Par conséquent, des exonérations fiscales qui résulteraient d’un objectif étranger au système d’imposition dans lequel elles s’inscrivent ne sauraient échapper aux exigences découlant de l’article 87, paragraphe 1, CE.

71      Ensuite, ainsi qu’il ressort du point 25 de la communication concernant la fiscalité directe des entreprises, la Commission considère que la nature ou l’économie générale du système fiscal national peut être valablement invoquée pour justifier que des sociétés coopératives qui distribuent l’ensemble de leurs profits à leurs membres ne soient pas imposées au niveau de la coopérative, pour autant que l’impôt soit perçu au niveau de leurs membres.

72      Enfin, ainsi qu’elle l’a fait valoir dans ses observations écrites, la Commission considère également qu’une mesure nationale ne saurait être valablement justifiée par la nature ou l’économie générale du système fiscal en cause dès lors qu’elle permet l’exonération de l’impôt sur les bénéfices provenant d’échanges avec des tiers non membres de la coopérative ou la déduction des sommes versées à ces derniers à titre de rémunérations.

73      En outre, il convient de veiller au respect de l’exigence de cohérence d’un avantage donné non seulement avec les caractéristiques inhérentes au système fiscal en cause, mais aussi en ce qui concerne la mise en œuvre de ce système.

74      Il incombe donc à l’État membre concerné de mettre en place et de faire appliquer des procédures de contrôle et de surveillance appropriées aux fins de garantir la cohérence des mesures fiscales spécifiques instaurées en faveur des sociétés coopératives avec la logique et l’économie générale du système fiscal et d’éviter que des entités économiques choisissent cette forme juridique spécifique à la seule fin de bénéficier des avantages en matière d’impôts prévus pour ce type de sociétés. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si cette exigence est satisfaite dans les affaires au principal.

75      En tout état de cause, pour que des exonérations fiscales telles que celles en cause au principal puissent être justifiées par la nature ou l’économie générale du système fiscal de l’État membre concerné, il faudrait encore veiller à ce qu’elles soient conformes au principe de proportionnalité et n’excèdent pas les limites de ce qui est nécessaire, en ce sens que l’objectif légitime poursuivi ne pourrait pas être atteint par des mesures de moindre ampleur.

76      C’est à l’aune de l’ensemble de ces éléments d’interprétation du droit de l’Union tels que fournis par la Cour aux points 64 à 75 du présent arrêt qu’il incombera à la juridiction de renvoi d’apprécier si les avantages fiscaux prévus au profit des sociétés coopératives de production et de travail en cause au principal sont justifiés au regard de la nature et de l’économie générale du système fiscal concerné.

 Sur les conditions relatives à l’incidence sur les échanges entre les États membres et à la distorsion de la concurrence

77      L’article 87, paragraphe 1, CE prohibe les aides qui affectent les échanges entre États membres et faussent ou menacent de fausser la concurrence.

78      Aux fins de la qualification d’une mesure nationale en tant qu’aide d’État, il y a lieu non pas d’établir une incidence réelle de l’aide en cause sur les échanges entre les États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si cette aide est susceptible d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (arrêts du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, Rec. p. I‑3679, point 44; du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C‑148/04, Rec. p. I‑11137, point 54, ainsi que Cassa di Risparmio di Firenze e.a., précité, point 140).

79      En particulier, lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à celle d’autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide (voir, notamment, arrêts précités Unicredito Italiano, point 56 et jurisprudence citée, ainsi que Cassa di Risparmio di Firenze e.a., point 141).

80      À cet égard, il n’est pas nécessaire que l’entreprise bénéficiaire participe elle-même aux échanges intracommunautaires. En effet, lorsqu’un État membre octroie une aide à une entreprise, l’activité intérieure peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer le marché de cet État membre en sont diminuées. En outre, un renforcement d’une entreprise qui, jusqu’alors, ne participait pas à des échanges intracommunautaires peut la placer dans une situation lui permettant de pénétrer le marché d’un autre État membre (arrêts précités Unicredito Italiano, point 58, ainsi que Cassa di Risparmio di Firenze e.a., point 143).

81      Il convient dès lors de constater qu’un avantage fiscal tel que celui en cause au principal est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser la concurrence au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

82      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées telles que reformulées au point 38 du présent arrêt que des exonérations fiscales telles que celles en cause au principal, accordées aux sociétés coopératives de production et de travail au titre d’une réglementation nationale du type de celle figurant à l’article 11 du DPR n° 601/1973, ne sont constitutives d’une «aide d’État» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE que pour autant que toutes les conditions d’application de cette disposition sont remplies. S’agissant d’une situation telle que celle ayant donné lieu aux litiges dont est saisie la juridiction de renvoi, il appartiendra à celle-ci d’apprécier plus particulièrement le caractère sélectif des exonérations fiscales concernées ainsi que leur éventuelle justification par la nature ou l’économie générale du système fiscal national dans lequel elles s’inscrivent en déterminant, notamment, si les sociétés coopératives en cause au principal se trouvent en fait dans une situation comparable à celle d’autres opérateurs constitués sous la forme d’entités juridiques à but lucratif et, si tel est effectivement le cas, si le traitement fiscal plus favorable réservé auxdites sociétés coopératives est, d’une part, inhérent aux principes essentiels du système d’imposition applicable dans l’État membre concerné et, d’autre part, conforme aux principes de cohérence et de proportionnalité.

 Sur les dépens

83      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Des exonérations fiscales telles que celles en cause au principal, accordées aux sociétés coopératives de production et de travail au titre d’une réglementation nationale du type de celle figurant à l’article 11 du décret du président de la République n° 601, du 29 septembre 1973, portant réglementation des avantages fiscaux, dans sa version en vigueur de 1984 à 1993, ne sont constitutives d’une «aide d’État» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE que pour autant que toutes les conditions d’application de cette disposition sont remplies. S’agissant d’une situation telle que celle ayant donné lieu aux litiges dont est saisie la juridiction de renvoi, il appartiendra à celle-ci d’apprécier plus particulièrement le caractère sélectif des exonérations fiscales concernées ainsi que leur éventuelle justification par la nature ou l’économie générale du système fiscal national dans lequel elles s’inscrivent en déterminant, notamment, si les sociétés coopératives en cause au principal se trouvent en fait dans une situation comparable à celle d’autres opérateurs constitués sous la forme d’entités juridiques à but lucratif et, si tel est effectivement le cas, si le traitement fiscal plus favorable réservé auxdites sociétés coopératives est, d’une part, inhérent aux principes essentiels du système d’imposition applicable dans l’État membre concerné et, d’autre part, conforme aux principes de cohérence et de proportionnalité.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.