Affaire C-246/09

Susanne Bulicke

contre

Deutsche Büro Service GmbH

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Landesarbeitsgericht Hamburg)

«Directive 2000/78/CE — Articles 8 et 9 — Procédure nationale visant à faire respecter les obligations découlant de la directive — Délai pour agir — Principes d’équivalence et d’effectivité — Principe de non-abaissement du niveau de protection antérieure»

Sommaire de l'arrêt

1.        Politique sociale — Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail — Directive 2000/78

(Directive du Conseil 2000/78, art. 9, § 1 et 3)

2.        Politique sociale — Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail — Directive 2000/78

(Directive du Conseil 2000/78, art. 8, § 2)

1.        Le droit primaire de l’Union et l’article 9 de la directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une règle de procédure nationale selon laquelle la victime d’une discrimination à l’embauche fondée sur l’âge doit saisir l’auteur de cette discrimination d’une réclamation afin d’obtenir réparation des dommages patrimoniaux et non patrimoniaux dans un délai de deux mois, sous réserve:

- d’une part, que ce délai ne soit pas moins favorable que celui concernant des recours similaires de nature interne en droit du travail,

- d’autre part, que la fixation du point de départ à partir duquel ledit délai commence à courir ne rende pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive.

Il appartient au juge national de vérifier si ces deux conditions sont remplies.

Afin de vérifier si le principe d’équivalence est respecté, la juridiction nationale, qui est seule à avoir une connaissance directe des modalités procédurales des recours dans le domaine du droit du travail, doit examiner tant l’objet que les éléments essentiels des recours prétendument similaires de nature interne. En outre, chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale est moins favorable que celles concernant des recours similaires de nature interne doit être analysé par la juridiction nationale en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités devant les diverses instances nationales.

En ce qui concerne l’application du principe d’effectivité, la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à l’exigence d’effectivité dans la mesure où elle constitue une application du principe fondamental de la sécurité juridique. En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. Sous cette réserve, les États membres sont libres de prévoir des délais plus ou moins longs. En ce qui concerne des délais de forclusion, il appartient aux États membres de déterminer, pour les réglementations nationales qui entrent dans le champ d’application du droit communautaire, des délais en rapport avec, notamment, l’importance pour les intéressés des décisions à prendre, la complexité des procédures et de la législation à appliquer, le nombre de personnes susceptibles d’être concernées et les autres intérêts publics ou privés qui doivent être pris en considération.

(cf. points 28-29, 36, 42, disp. 1)

2.        L’article 8 de la directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle de procédure nationale, adoptée afin de mettre en oeuvre ladite directive, qui a pour effet de modifier une réglementation antérieure prévoyant un délai pour demander une indemnisation en cas de discrimination fondée sur le sexe.

En effet, l’article 1er de la directive ne visant pas le sexe comme motif de discrimination, l’abaissement éventuel du niveau de protection contre la discrimination fondée sur ce motif ne peut pas être considéré comme intervenant dans les domaines régis par la directive.

(cf. points 45, 47, disp. 2)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

8 juillet 2010 (*)

«Directive 2000/78/CE – Articles 8 et 9 – Procédure nationale visant à faire respecter les obligations découlant de la directive – Délai pour agir – Principes d’équivalence et d’effectivité – Principe de non-abaissement du niveau de protection antérieure»

Dans l’affaire C‑246/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Landesarbeitsgericht Hamburg (Allemagne), par décision du 3 juin 2009, parvenue à la Cour le 6 juillet 2009, dans la procédure

Susanne Bulicke

contre

Deutsche Büro Service GmbH,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, Mme P. Lindh (rapporteur), MM. A. Rosas, A. Ó Caoimh et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Bulicke, par Me K. Bertelsmann, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. N. J. Travers, barrister,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. J. Enegren et Mme B. Conte, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 8 et 9 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16, ci-après la «directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Bulicke à Deutsche Büro Service GmbH (ci-après «Deutsche Büro») au sujet d’une demande d’indemnisation en raison d’une discrimination à l’embauche fondée sur l’âge dont Mme Bulicke s’estime victime.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Aux termes de son article 1er, la directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

4        Les vingt-huitième à trentième considérants de la directive sont ainsi libellés:

«(28) La présente directive fixe des exigences minimales, ce qui donne aux États membres la possibilité d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables. La mise en œuvre de la présente directive ne peut pas justifier une régression par rapport à la situation existant dans chaque État membre.

(29)      Les personnes qui ont fait l’objet d’une discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle doivent disposer de moyens de protection juridique adéquats. [...]

(30)      La mise en œuvre effective du principe d’égalité requiert une protection judiciaire adéquate contre les rétorsions.»

5        L’article 8 de la directive énonce:

«1.      Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive.

2.      La mise en œuvre de la présente directive ne peut en aucun cas constituer un motif d’abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres dans les domaines régis par la présente directive.»

6        L’article 9 de la directive dispose:

«1.      Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées.

[...]

3.      Les paragraphes 1 et 2 sont sans préjudice des règles nationales relatives aux délais impartis pour former un recours en ce qui concerne le principe de l’égalité de traitement.»

 La réglementation nationale

 La loi générale sur l’égalité de traitement

7        La loi générale sur l’égalité de traitement (Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz), du 14 août 2006 (BGBl. 2006 I, p. 1897, ci-après l’«AGG»), a transposé la directive.

8        L’article 1er de l’AGG, intitulé «Objectif de la loi», énonce:

«La présente loi a pour objectif d’empêcher ou d’éliminer tout désavantage fondé sur la race ou l’origine ethnique, le sexe, la religion ou les croyances, un handicap, l’âge ou l’identité sexuelle.»

9        L’article 15 de l’AGG, intitulé «Indemnisation et dommages et intérêts», est ainsi libellé:

«1)      En cas de violation de l’interdiction des discriminations, l’employeur est tenu de réparer le dommage qui en résulte. Cette règle ne s’applique pas si l’employeur n’est pas responsable de la violation de cette obligation.

2)      Pour un dommage qui n’est pas un dommage patrimonial, l’employé peut exiger une indemnisation financière appropriée. L’indemnisation ne peut dépasser trois mois de salaire en cas de non-engagement lorsque l’employé n’aurait pas été engagé même dans le cadre d’une sélection ne portant pas préjudice.

3)      En cas d’application de conventions collectives, l’employeur est tenu à une indemnisation seulement lorsqu’il agit intentionnellement ou par négligence grave.

4)      Il convient de faire valoir par écrit les droits fondés sur les paragraphes 1 ou 2, dans le respect du délai de deux mois à moins que les parties aux conventions collectives n’aient convenu autre chose. En cas de candidature à un emploi ou de promotion professionnelle, le délai prend cours à la réception du rejet et dans les autres cas de préjudice au moment où l’employé a eu connaissance de la discrimination.

5)      Dans les autres cas, il n’est pas porté atteinte aux droits de l’employeur résultant d’autres dispositions légales.

6)      Toute violation par l’employeur de l’interdiction de discrimination prévue à l’article 7, paragraphe 1, ne permet pas de fonder un droit à motivation d’une relation de travail, d’une relation de formation professionnelle ou d’une promotion professionnelle, à moins qu’un tel droit ne résulte d’une autre base juridique.»

 Le code civil

10      L’article 195 du code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch, ci-après le «BGB») précise que le délai de prescription ordinaire est de trois ans.

11      L’article 611a du BGB, dans sa version en vigueur jusqu’au 17 août 2006, date de l’entrée en vigueur de l’AGG, disposait:

«1)      L’employeur ne peut discriminer le travailleur en raison de son sexe lors de la convention ou de l’adoption d’une mesure et notamment lors de la conclusion de leurs relations de travail [...]

2)      Si l’employeur viole l’interdiction de discrimination prévue au paragraphe 1 lors de la conclusion de leurs relations de travail, le candidat désavantagé de la sorte peut exiger une indemnisation financière appropriée [...]

4)      Il y a lieu de faire valoir le droit au titre des paragraphes 2 [...] par écrit et dans le délai prenant cours à compter de la notification du refus de la candidature. La durée du délai se détermine par référence à un délai de forclusion prévu pour faire valoir des droits à indemnisation en ce qui concerne la relation de travail visée; ce délai est de deux mois minimum. Si un tel délai n’est pas prévu pour la relation de travail visée, celui-ci est alors de six mois.

[...]»

 La loi sur les juridictions du travail

12      L’article 61b de la loi sur les juridictions du travail (Arbeitsgerichtsgesetz), du 2 juillet 1979 (BGBl. 1979 I, p. 853, ci-après l’«ArbGG»), précise que «toute demande de dommages et intérêts formée sur le fondement de l’article 15 de l’AGG doit être présentée dans un délai de trois mois après que la demande a été formée par écrit» auprès de l’employeur.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

13      Mme Bulicke, alors âgée de 41 ans, a répondu, le 16 novembre 2007, à une annonce publiée dans un journal par Deutsche Büro en vue de pourvoir à un emploi. L’annonce était ainsi libellée:

«Nous cherchons pour notre jeune équipe en ville des collaborateurs/collaboratrices motivé(e)s. Tu aimes téléphoner? Alors tu seras exactement à ta place chez nous. Nous te donnons la possibilité de gagner même de l’argent ainsi. Tu as entre 18 et 35 ans et disposes de bonnes connaissances de la langue allemande et cherches une occupation à temps plein? [...]»

14      Le 19 novembre 2007, Mme Bulicke a été informée téléphoniquement que sa candidature n’avait pas été retenue. Ce refus a été confirmé par courrier du 21 novembre 2007 aux termes duquel il était précisé que tous les postes avaient été pourvus. Il s’est avéré cependant que deux personnes âgées de 20 et 22 ans avaient été engagées le 19 novembre 2007.

15      Deutsche Büro a publié des annonces similaires le 22 novembre 2007 ainsi que les 9 avril, 3 septembre et 10 septembre 2008. Toutes ces annonces mentionnaient les termes «jeune équipe» et «entre 18 et 35 ans».

16      Le 29 janvier 2008, Mme Bulicke a introduit un recours devant l’Arbeitsgericht Hamburg afin d’être indemnisée du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait de la discrimination dont elle se prétendait victime.

17      Par jugement du 10 décembre 2008, ladite juridiction a rejeté cette demande au motif que Mme Bulicke n’avait pas, au préalable, saisi Deutsche Büro de sa réclamation dans le délai fixé à l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG.

18      Mme Bulicke a interjeté appel devant le Landesarbeitsgericht Hamburg. Selon celui-ci, il est certain que Mme Bulicke n’a pas respecté le délai figurant à l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG.

19      La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG est conforme aux principes d’équivalence et d’effectivité dans la mesure où, d’une part, aucun délai de forclusion n’existe en droit du travail, hors le cas de convention collective, mais uniquement des délais généraux de prescription, tels que celui de l’article 195 du BGB, et, d’autre part, ce délai est trop bref pour que le candidat à un emploi puisse faire valoir ses droits.

20      Elle constate aussi que le délai prévu à l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG est plus court que celui qui était prévu à l’article 611a du BGB, dans sa version en vigueur jusqu’au 17 août 2006, en matière de discrimination sexuelle. La nouvelle législation aurait donc régressé par rapport à l’ancienne.

21      C’est dans ces conditions que le Landesarbeitsgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Est-ce qu’une législation nationale selon laquelle le délai pour faire valoir par écrit un droit à indemnisation et/ou à des dommages et intérêts pour cause de discrimination lors de l’embauche est de deux mois après réception du refus – ou, selon une interprétation de cette disposition, après avoir pris connaissance de la discrimination – est contraire au droit communautaire primaire (garantissant une protection juridictionnelle effective) et/ou à l’interdiction de droit communautaire de toute discrimination fondée sur l’âge, à la directive [...], lorsque, en droit national, des prétentions équivalentes sont soumises à des délais de prescription de trois ans et/ou à l’interdiction de précarisation prévue à l’article 8 de cette même directive, lorsqu’une disposition nationale antérieure prévoyait un délai de forclusion plus long en cas de discrimination fondée sur le sexe?»

 Sur la question préjudicielle

22      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une disposition telle que l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG qui prévoit que la victime d’une discrimination à l’embauche fondée sur l’âge doit saisir l’auteur de cette discrimination d’une réclamation dans un délai de deux mois après réception du refus d’embauche ou, selon une autre interprétation de cette disposition, après avoir pris connaissance de la discrimination, constitue une mise en œuvre correcte des articles 8 et 9 de la directive.

23      Elle se demande, plus précisément, si cette disposition respecte, d’une part, les principes d’équivalence et d’effectivité, notamment au regard d’autres dispositions de la réglementation nationale qui soumettent des demandes éventuellement comparables à des délais plus longs ou, d’autre part, le principe d’interdiction de l’abaissement du niveau de protection, au regard d’une disposition antérieure de la réglementation nationale qui prévoyait un délai de forclusion plus long en cas de discrimination fondée sur le sexe.

 Sur les principes d’équivalence et d’effectivité

24      L’article 9 de la directive énonce, d’une part, que les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives visant à faire respecter les obligations découlant de la directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement et, d’autre part, que ces obligations des États membres sont sans préjudice des règles nationales relatives aux délais impartis pour former un recours en ce qui concerne ledit principe. Il résulte de cet énoncé que la question des délais pour engager une procédure tendant à faire respecter les obligations découlant de la directive n’est pas réglée par le droit de l’Union.

25      Selon une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, pour autant, d’une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’elles ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, Rec. p. I‑2271, point 43; du 7 juin 2007, van der Weerd e.a., C‑222/05 à C‑225/05, Rec. p. I-4233, point 28 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 février 2008, Kempter, C‑2/06, Rec. p. I‑411, point 57).

26      Le respect du principe d’équivalence suppose que la règle litigieuse s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables (voir arrêts du 1er décembre 1998, Levez, C‑326/96, Rec. p. I‑7835, point 41; du 16 mai 2000, Preston e.a., C‑78/98, Rec. p. I‑3201, point 55, ainsi que du 29 octobre 2009, Pontin, C-63/08, non encore publié au Recueil, point 45).

27      Cependant, ce principe ne saurait être interprété comme obligeant un État membre à étendre son régime interne le plus favorable à l’ensemble des actions introduites, comme dans l’affaire au principal, dans le domaine du droit du travail (voir, en ce sens, arrêts précités Levez, point 42, et Pontin, point 45).

28      Afin de vérifier si le principe d’équivalence est respecté dans l’affaire au principal, la juridiction nationale, qui est seule à avoir une connaissance directe des modalités procédurales des recours dans le domaine du droit du travail, doit examiner tant l’objet que les éléments essentiels des recours prétendument similaires de nature interne (voir arrêts précités Levez, point 43; Preston e.a., point 56, ainsi que Pontin, point 45).

29      En outre, chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale est moins favorable que celles concernant des recours similaires de nature interne doit être analysé par la juridiction nationale en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités devant les diverses instances nationales (voir arrêts précités Levez, point 44; Preston e.a., point 61, ainsi que Pontin, point 46).

30      Au vu des informations fournies par la juridiction de renvoi, il apparaît que la possibilité d’obtenir réparation des dommages patrimoniaux et non patrimoniaux résultant de la violation de l’interdiction de la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l’âge ou l’identité sexuelle, a été introduite par l’AGG et qu’il n’existait donc pas, à proprement parler, de procédures équivalentes avant l’adoption de cette loi.

31      Selon cette juridiction, aucun délai de forclusion ne s’applique en droit du travail en dehors des conventions collectives, mais uniquement des délais généraux de prescription. Cependant, elle expose que, dans son jugement du 10 décembre 2008, l’Arbeitsgericht Hamburg a relevé l’existence de situations dans lesquelles les travailleurs seraient tenus de faire valoir leurs droits à bref délai. Il en serait ainsi des recours en matière de protection contre les licenciements qui doivent être soulevés dans un délai de trois semaines après la notification du licenciement. De même, le recours visant à faire constater l’invalidité d’un contrat à durée déterminée doit être introduit dans les trois semaines suivant la fin convenue dudit contrat. Enfin, il existerait, fréquemment dans des conventions collectives, des clauses de forclusion entraînant la déchéance des droits de recours si ces droits ne sont pas exercés à bref délai.

32      Selon la juridiction de renvoi, l’article 611a du BGB, dans sa version applicable jusqu’à l’entrée en vigueur de l’AGG, prévoyait un délai de deux mois minimum pour présenter une réclamation à l’employeur en cas de discrimination fondée sur le sexe, lorsqu’un délai de forclusion était stipulé pour réclamer d’autres droits à indemnisation découlant de la relation de travail visée. À défaut d’un tel délai, le délai applicable dans le cadre de l’article 611a du BGB était alors de six mois.

33      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le délai figurant à l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG ne concerne que la réclamation à l’employeur. Le gouvernement allemand a exposé que ce délai devait se combiner avec celui prévu à l’article 61b de l’ArbGG. Ce ne serait que si l’employeur ne faisait pas droit à la réclamation présentée en application de l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG que la personne qui s’estime lésée par la discrimination aurait un délai de trois mois, à compter de la demande écrite présentée à l’employeur, pour saisir la juridiction du travail. La réclamation à l’employeur pourrait être remplacée par l’introduction d’une action en justice à condition que cette introduction et la notification de la requête introductive d’instance à l’employeur soient effectuées dans le délai fixé audit article 15, paragraphe 4.

34      Il n’apparaît pas qu’une disposition telle que l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG, qui prévoit que la victime d’une discrimination à l’embauche fondée sur l’âge doit saisir l’auteur de cette discrimination d’une réclamation aux fins de réparation des dommages patrimoniaux et non patrimoniaux dans un délai de deux mois, semble moins favorable que les dispositions concernant des recours similaires de nature interne en droit du travail. Il appartient cependant au juge national de vérifier si les délais procéduraux relevés par l’Arbeitsgericht Hamburg dans sa décision du 10 décembre 2008 sont des délais comparables. S’il s’avérait qu’une ou plusieurs des actions visées dans la décision de renvoi, voire d’autres actions nationales qui n’ont pas été évoquées devant la Cour, sont similaires à l’action en indemnisation introduite à la suite d’une discrimination, il appartiendrait encore à la juridiction de renvoi d’apprécier si de telles actions comportent des modalités procédurales plus favorables (voir, par analogie, arrêt Pontin, précité, point 56). Par ailleurs, il appartient au juge national de vérifier si l’interprétation de la combinaison entre le délai prévu à l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG et celui visé à l’article 61b de l’ArbGG proposée par le gouvernement allemand peut être confirmée.

35      En ce qui concerne l’application du principe d’effectivité, la Cour a jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il convient de prendre en considération, s’il y a lieu, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de la sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (voir arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C‑312/93, Rec. p. I‑4599, point 14; Unibet, précité, point 54; du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, non encore publié au Recueil, point 39, et Pontin, précité, point 47).

36      Il est de jurisprudence constante que la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à l’exigence d’effectivité dans la mesure où elle constitue une application du principe fondamental de la sécurité juridique (voir arrêts du 10 juillet 1997, Palmisani, C‑261/95, Rec. p. I‑4025, point 28; Preston e.a., précité, point 33; du 24 septembre 2002, Grundig Italiana, C‑255/00, Rec. p. I‑8003, point 34, ainsi que Kempter, précité, point 58). En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (voir arrêts précités Grundig Italiana, point 34; Kempter, point 58, et Pontin, point 48). Sous cette réserve, les États membres sont libres de prévoir des délais plus ou moins longs (voir arrêt du 17 juin 2004, Recheio – Cash & Carry, C‑30/02, Rec. p. I‑6051, point 20). En ce qui concerne des délais de forclusion, la Cour a également jugé qu’il appartient aux États membres de déterminer, pour les réglementations nationales qui entrent dans le champ d’application du droit communautaire, des délais en rapport avec, notamment, l’importance pour les intéressés des décisions à prendre, la complexité des procédures et de la législation à appliquer, le nombre de personnes susceptibles d’être concernées et les autres intérêts publics ou privés qui doivent être pris en considération (voir arrêt Pontin, précité, point 48).

37      Il convient donc de vérifier si le délai prévu à l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG répond aux exigences du principe d’effectivité tant en ce qui concerne sa durée que son point de départ.

38      Ledit article 15, paragraphe 4, prévoit un délai de deux mois pour saisir l’employeur d’une réclamation. Ainsi que l’a exposé le gouvernement allemand, il importe que l’employeur soit informé rapidement d’une réclamation et qu’il ne soit pas tenu de devoir conserver des documents relatifs à des procédures de recrutement pendant une durée excessive, compte tenu du régime de la preuve prévu par l’AGG.

39      Il n’apparaît pas que la fixation à deux mois de ce délai soit susceptible de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union.

40      S’agissant du point de départ du délai de recours, il résulte du libellé de l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG que, en «cas de candidature à un emploi [...], le délai prend cours à la réception du rejet» de la candidature. Or, dans une telle situation, le travailleur risque de ne pas être en mesure de connaître l’existence ou l’importance de la discrimination dont il a été victime dans le délai de deux mois à compter du rejet de sa candidature, notamment du fait des agissements de l’employeur, ce qui le mettrait dans l’impossibilité d’introduire le recours prévu par la directive (voir, en ce sens, arrêt Levez, précité, point 31).

41      Il ressort cependant, tant de la décision de renvoi que des observations du gouvernement allemand, que le point de départ du délai prévu à l’article 15, paragraphe 4, de l’AGG serait, selon une interprétation téléologique de cette disposition, non pas nécessairement la réception du rejet de la candidature, mais le moment où le travailleur a pris connaissance de la discrimination alléguée. Dans ces conditions, cette disposition ne serait pas susceptible de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union.

42      Au vu de ces considérations, il convient de répondre à la première partie de la question que le droit primaire de l’Union et l’article 9 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une règle de procédure nationale selon laquelle la victime d’une discrimination à l’embauche fondée sur l’âge doit saisir l’auteur de cette discrimination d’une réclamation afin d’obtenir réparation des dommages patrimoniaux et non patrimoniaux dans un délai de deux mois, sous réserve:

–        d’une part, que ce délai ne soit pas moins favorable que celui concernant des recours similaires de nature interne en droit du travail,

–        d’autre part, que la fixation du point de départ à partir duquel ledit délai commence à courir ne rende pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive.

Il appartient au juge national de vérifier si ces deux conditions sont remplies.

 Sur le principe d’interdiction de l’abaissement du niveau de protection

43      L’article 8 de la directive dispose que la mise en œuvre de cette directive ne peut en aucun cas constituer un motif d’abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordée par les États membres dans les domaines régis par la directive.

44      S’agissant de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO L 175, p. 43), et, plus particulièrement, de la clause 8, point 3, de cet accord-cadre, aux termes de laquelle la mise en œuvre de celui-ci ne saurait constituer pour les États membres un motif valable pour opérer une régression du niveau général de la protection des travailleurs, précédemment garantie dans l’ordre juridique interne, dans le domaine couvert par ledit accord, la Cour a déjà jugé qu’une régression de la protection garantie aux travailleurs dans le domaine des contrats de travail à durée déterminée n’est pas comme telle interdite par cet accord-cadre, mais que, pour relever de l’interdiction édictée par la clause 8, point 3, de celui-ci, cette régression doit, d’une part, être liée à la «mise en œuvre» de l’accord-cadre et, d’autre part, porter sur le «niveau général de protection» des travailleurs à durée déterminée (voir arrêt du 23 avril 2009, Angelidaki e.a., C‑378/07 à C‑380/07, Rec. p. I‑3071, point 126 et jurisprudence citée).

45      En tout état de cause, l’article 1er de la directive ne visant pas le sexe comme motif de discrimination, l’abaissement éventuel du niveau de protection contre la discrimination fondée sur ce motif ne peut pas être considéré comme intervenant dans les domaines régis par la directive.

46      En conséquence, la durée du délai pour réclamer une indemnisation en raison d’une discrimination fondée sur le sexe telle qu’elle figurait à l’article 611a du BGB, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’AGG, n’entre pas dans la notion de «niveau de protection contre la discrimination» au sens de l’article 8, paragraphe 2, de la directive.

47      Au vu de ces considérations, il convient de répondre à la seconde partie de la question que l’article 8 de la directive doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle de procédure nationale, adoptée afin de mettre en œuvre la directive, qui a pour effet de modifier une réglementation antérieure prévoyant un délai pour demander une indemnisation en cas de discrimination fondée sur le sexe.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      Le droit primaire de l’Union et l’article 9 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une règle de procédure nationale selon laquelle la victime d’une discrimination à l’embauche fondée sur l’âge doit saisir l’auteur de cette discrimination d’une réclamation afin d’obtenir réparation des dommages patrimoniaux et non patrimoniaux dans un délai de deux mois, sous réserve:

–        d’une part, que ce délai ne soit pas moins favorable que celui concernant des recours similaires de nature interne en droit du travail,

–        d’autre part, que la fixation du point de départ à partir duquel ledit délai commence à courir ne rende pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive.

Il appartient au juge national de vérifier si ces deux conditions sont remplies.

2)      L’article 8 de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle de procédure nationale, adoptée afin de mettre en œuvre ladite directive, qui a pour effet de modifier une réglementation antérieure prévoyant un délai pour demander une indemnisation en cas de discrimination fondée sur le sexe.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.