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Document 62008CJ0419

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 18 mars 2010.
Trubowest Handel GmbH et Viktor Makarov contre Conseil de l'Union européenne et Commission européenne.
Pourvoi - Dumping - Règlement (CE) nº 2320/97 instituant des droits antidumping sur les importations de certains tubes et tuyaux sans soudure - Responsabilité non contractuelle - Préjudice - Lien de causalité.
Affaire C-419/08 P.

European Court Reports 2010 I-02259

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2010:147

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

18 mars 2010 ( *1 )

«Pourvoi — Dumping — Règlement (CE) no 2320/97 instituant des droits antidumping sur les importations de certains tubes et tuyaux sans soudure — Responsabilité non contractuelle — Préjudice — Lien de causalité»

Dans l’affaire C-419/08 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 23 septembre 2008,

Trubowest Handel GmbH, établie à Cologne (Allemagne), représentée par Mes K. Adamantopoulos et E. Petritsi, dikigoroi,

Viktor Makarov, demeurant à Cologne, représenté par Mes K. Adamantopoulos et E. Petritsi, dikigoroi,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J.-P. Hix, en qualité d’agent, assisté de Mes G. Berrisch et G. Wolf, Rechtsanwälte,

Commission européenne, représentée par MM. N. Khan et H. van Vliet, en qualité d’agents,

parties défenderesses en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász, G. Arestis (rapporteur) et J. Malenovský, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 septembre 2009,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

1

Par leur pourvoi, Trubowest Handel GmbH (ci-après «Trubowest») et M. Makarov demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 9 juillet 2008, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission (T-429/04, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours en indemnité au titre de l’article 288 CE relatif aux préjudices qu’ils auraient subis du fait de l’adoption du règlement (CE) no 2320/97 du Conseil, du 17 novembre 1997, instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains tubes et tuyaux sans soudure, en fer ou en acier non allié, originaires de Hongrie, de Pologne, de Russie, de la République tchèque, de Roumanie et de la République slovaque, abrogeant le règlement (CEE) no 1189/93 et clôturant la procédure concernant les importations en provenance de la République de Croatie (JO L 322, p. 1, ci-après le «règlement définitif»).

Le cadre juridique

2

La législation communautaire de base dans le domaine des douanes est constituée par le règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le «CDC»). L’article 236 de celui-ci prévoit:

«1.   Il est procédé au remboursement des droits à l’importation ou des droits à l’exportation dans la mesure où il est établi qu’au moment de son paiement leur montant n’était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l’article 220 paragraphe 2.

Il est procédé à la remise des droits à l’importation ou des droits à l’exportation dans la mesure où il est établi qu’au moment de leur prise en compte leur montant n’était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l’article 220 paragraphe 2.

Aucun remboursement ni remise n’est accordé, lorsque les faits ayant conduit au paiement ou à la prise en compte d’un montant qui n’était pas légalement dû résultent d’une manœuvre de l’intéressé.

2.   Le remboursement ou la remise des droits à l’importation ou des droits à l’exportation est accordé sur demande déposée auprès du bureau de douane concerné avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la communication desdits droits au débiteur.

Ce délai est prorogé si l’intéressé apporte la preuve qu’il a été empêché de déposer sa demande dans ledit délai par suite d’un cas fortuit ou de force majeure.

Les autorités douanières procèdent d’office au remboursement ou à la remise lorsqu’elles constatent d’elles-mêmes, pendant ce délai, l’existence de l’une ou l’autre des situations décrites au paragraphe 1 premier et deuxième alinéa.»

3

Les dispositions régissant l’application de mesures antidumping par la Communauté européenne figurent dans le règlement (CE) no 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1, ci-après le «règlement de base»).

Les antécédents du litige

4

Le Tribunal a exposé le cadre factuel du litige aux points 1 à 21 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants:

«1

Par décision non publiée du 25 novembre 1994 (affaire IV/35.304), adoptée notamment sur la base de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), la Commission a décidé de procéder à une enquête portant sur l’existence éventuelle de pratiques anticoncurrentielles concernant les tubes en acier au carbone, susceptibles de violer l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3),] ainsi que l’article 81 CE.

2

À la suite de cette enquête, la Commission a décidé, le 20 janvier 1999, d’engager la procédure administrative dans l’affaire IV/E-1/35.860-B — Tubes d’acier sans soudure, à l’issue de laquelle elle a adopté, le 8 décembre 1999, la décision 2003/382/CE, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire IV/E-1/35.860-B — Tubes d’acier sans soudure) (JO 2003, L 140, p. 1, ci-après la ‘décision sur l’entente’).

3

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision sur l’entente, les huit entreprises destinataires de celle-ci “ont enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, [CE], en participant […] à un accord prévoyant, entre autres, le respect de leur marché national respectif pour les tubes [Oil Country Tubular Goods] filetés standard et les [tuyaux de transport ‘projet’] sans soudure”. L’article 1er, paragraphe 2, de la décision sur l’entente dispose que l’infraction a duré de 1990 à 1995 pour Mannesmannröhren-Werke AG, Vallourec SA, Dalmine SpA, Sumitomo Metal Industries Ltd, Nippon Steel Corp., Kawasaki Steel Corp. et NKK Corp. S’agissant de British Steel Ltd, il est indiqué que l’infraction a duré de 1990 à février 1994. Ces entreprises se sont vu imposer à ce titre des amendes d’un montant allant, selon les cas, de 8,1 à 13,5 millions d’euros.

4

La décision sur l’entente a fait l’objet du communiqué de presse IP/99/957 de la Commission le 8 décembre 1999 et a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 6 juin 2003.

5

Le 8 juillet 2004, le Tribunal a, dans l’arrêt JFE Engineering e.a./Commission (T-67/00, T-68/00, T-71/00 et T-78/00, Rec. p. II-2501), d’une part, annulé l’article 1er, paragraphe 2, de la décision sur l’entente dans la mesure où la Commission a constaté à tort que quatre des entreprises visées dans ledit article avaient participé à l’entente avant le 1er janvier 1991 et au-delà du 30 juin 1994 et, d’autre part, réduit le montant de l’amende infligée par la Commission à ces entreprises.

6

Par ailleurs, à la suite d’une plainte déposée par le comité de défense de l’industrie des tubes sans soudure en acier de l’Union européenne le 19 juillet 1996, la Commission, en application du règlement […] no 384/96 […], modifié par le règlement (CE) no 2331/96 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO L 317, p. 1), a publié, le 31 août 1996, un avis d’ouverture d’une procédure antidumping concernant les importations de certains tubes et tuyaux sans soudure, en fer ou en acier non allié, originaires de Russie, de la République tchèque, de Roumanie et de Slovaquie (JO C 253, p. 26).

7

Le 29 mai 1997, la Commission a adopté le règlement (CE) no 981/97, instituant des droits antidumping provisoires sur les importations de certains tuyaux et tubes sans soudure, en fer ou en acier non allié, originaires de Russie, de la République tchèque, de Roumanie et de la République slovaque (JO L 141, p. 36).

8

Le 17 novembre 1997, le Conseil a adopté le règlement [définitif].

9

Le 16 juillet 2004, le Conseil a adopté le règlement (CE) no 1322/2004 modifiant le règlement définitif (JO L 246, p. 10). Aux termes de l’article 1er de ce règlement est ajouté au règlement définitif un article 8, en vertu duquel l’article 1er du règlement définitif, lequel institue des droits antidumping sur les importations qu’il vise, n’est plus applicable à partir du 21 juillet 2004.

10

Trubowest […] est une société allemande importatrice, dans la Communauté, de tubes et de tuyaux sans soudure originaires de Russie. Trubowest, dont M. […] Makarov est le gérant depuis 1997, a débuté ses activités d’importation desdits produits au mois de janvier 1999 et les a cessées au mois d’octobre 1999. […]

11

Par ailleurs, M. Makarov était également le gérant, à compter de 1992, de la société Truboimpex Handel GmbH (ci-après “Truboimpex”) dont l’activité commerciale consistait à importer, notamment en son nom propre, dans la Communauté, à compter de 1996, des tubes et des tuyaux sans soudure originaires de Russie.

12

Le 15 octobre 1999, l’Amtsgericht Kleve (tribunal cantonal de Clèves, Allemagne) a délivré un mandat d’arrêt, notamment à l’encontre de M. Makarov au motif qu’il était “fortement soupçonné d’avoir fourni aux autorités fiscales, à Cologne et Emmerich, au cours des années 1997 à 1999, des données inexactes et incomplètes concernant d’importants faits fiscaux, ces déclarations constituant 36 infractions distinctes, et d’avoir ainsi diminué les impôts, afin d’obtenir pour [lui] et pour d’autres personnes des avantages fiscaux injustifiés, ce qui a permis d’éluder dans une large mesure les droits à l’importation”. En outre, il est indiqué dans ledit mandat d’arrêt que, “[à] cette occasion, les [tubes et tuyaux originaires de Russie importés par Truboimpex et Trubowest] ont fait l’objet de fausses déclarations en vue de contourner les dispositions [du règlement définitif]”.

13

En application de ce mandat d’arrêt, M. Makarov a été mis en détention du 27 octobre au 12 novembre 1999. À compter de sa libération, M. Makarov s’est vu imposer des mesures restrictives à sa liberté d’aller et venir en vertu desquelles il était notamment tenu de se présenter, jusqu’au 31 janvier 2000, trois fois par semaine au bureau de police compétent et ne pouvait pas se déplacer à l’étranger sans autorisation préalable (ci-après les “mesures restrictives de liberté”).

14

À compter du 27 octobre 1999, le Hauptzollamt Emmerich (bureau principal des douanes de Emmerich, Allemagne), devenu par la suite le Hauptzollamt Duisburg (bureau principal des douanes de Duisbourg, Allemagne), a notifié aux requérants des avis de recouvrement a posteriori visant à obtenir le paiement de droits antidumping se rapportant aux importations effectuées par Truboimpex et Trubowest pendant la période allant du mois de décembre 1997 au mois d’octobre 1999. Les autorités douanières allemandes estimaient, en substance, que les importations des requérants n’avaient pas, à tort, été classées sous les codes de la nomenclature communautaire de tubes et de tuyaux sans soudure faisant l’objet du règlement définitif. Dans ce cadre, les comptes bancaires de Trubowest et de M. Makarov ont été saisis.

15

Selon les autorités douanières allemandes, Truboimpex et Trubowest étaient ainsi redevables, au titre des droits antidumping impayés, de, respectivement, 1575181,86 euros et 729538,78 euros, soit un montant total de 2304720,64 euros de droits antidumping impayés pour ces deux sociétés. De plus, M. Makarov était tenu responsable, en sa qualité de gérant de Trubowest et de Truboimpex, du règlement du montant total des sommes dues par ces deux sociétés.

16

À compter des 16 et 17 novembre 1999, les requérants ont contesté, conformément à l’article 243 du [CDC] et au droit national applicable, auprès du Hauptzollamt Emmerich, les avis de recouvrement a posteriori de droits antidumping émis à l’encontre de Trubowest et de M. Makarov. Le 15 décembre 2000, les requérants ont introduit un recours auprès du Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne) demandant la suspension des avis de recouvrement qui étaient immédiatement exécutoires. Le 30 octobre 2001, le Finanzgericht Düsseldorf a rejeté la demande des requérants. Le 29 août 2003, les requérants ont déposé leurs conclusions devant le Hauptzollamt Duisburg aux termes desquelles ils ont soutenu, en substance, que les autorités douanières avaient, à tort, considéré que leurs importations tombaient dans le champ d’application du règlement définitif.

17

Le 19 juin 2000, le Staatsanwaltschaft Kleve (parquet de Clèves) a adopté un acte de mise en accusation (Anklageschrift) à l’encontre de M. Makarov, en raison des fausses déclarations en douane relatives aux importations de Trubowest et de Truboimpex. Dans cet acte d’accusation, le Staatsanwaltschaft Kleve a estimé, en substance, qu’un montant total de 4376250,25 marks allemands, soit 2237541,22 euros, était dû au titre des droits de douane éludés résultant des importations de Trubowest et de Truboimpex.

18

Le 14 novembre 2002, le Landgericht Kleve (tribunal régional de Clèves) a suspendu la procédure pénale pendante à l’encontre de M. Makarov dans l’attente de l’issue de la procédure fiscale dont il faisait l’objet.

19

Le 15 décembre 2004, les requérants ont conclu une transaction avec le Hauptzollamt Duisburg mettant fin au litige les opposant aux autorités douanières allemandes.

20

Cette transaction prévoit notamment ce qui suit:

“Préambule

[…]

Par le biais du présent exposé des faits, les parties entendent régler de manière définitive le différend qui les oppose concernant la légalité des avis d’imposition litigieux. Les parties reconnaissent que le présent exposé conjoint des faits ne résout pas le différend qui les oppose sur le point de savoir quels sont les tubes d’acier qui relèvent ou ne relèvent pas du droit antidumping.

[…]

En vertu de ce qui précède, les parties conviennent de ce qui suit:

(1.)

Les avis d’imposition et déclarations de responsabilité […] concernant des droits antidumping d’un montant de 2304734,45 euros seront réglés par versement de la somme totale de 460000 euros par [les requérants notamment]. Les parties conviennent qu’une partie seulement de la somme de 435125,21 euros perçue à ce jour par le Hauptzollamt Duisburg, à hauteur de 343644,15 euros, sera déduite de la somme due de 460000 euros.

[…]

(3.)

La signature du présent accord entraînera l’arrêt immédiat de toutes les mesures d’exécution engagées contre Trubowest, ainsi que contre [M. Makarov notamment].

[…]

(5.)

[Les requérants] renoncent par la présente à faire valoir de nouvelles prétentions contre l’administration des douanes, par exemple en vue d’obtenir des dommages et intérêts pour les faits sur lesquels porte le présent exposé conjoint des faits. Ils renoncent par ailleurs à engager d’autres recours juridictionnels contre l’administration des douanes.

Cependant, les parties conservent la possibilité de faire valoir des prétentions de cette nature contre des tiers, en particulier les recours en réparation mentionnés […] contre la Commission et le Conseil […] en vertu de l’article 288 [CE].”

21

Le 2 mai 2005, le Landgericht Kleve a rendu une ordonnance (Beschluss) mettant fin, conformément à l’article 153a du Strafprozessordnung-StPO (code de procédure pénale allemand), à la procédure pénale pendante à l’encontre de M. Makarov sous condition du paiement par ce dernier d’une amende de 18000 euros. Le Landgericht Kleve indique dans ladite ordonnance qu’il est pris en considération que “[M. Makarov] déclare que son accord [à ce qu’il soit mis fin à la procédure pénale] n’entraîne pas une reconnaissance de culpabilité, mais qu’il est donné en raison de considérations procédurales et économiques”.»

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

5

Par requête déposée le 25 octobre 2004 au greffe du Tribunal, les requérants ont introduit un recours en indemnité au titre de l’article 288 CE contre le Conseil et la Commission, visant à obtenir la condamnation de ceux-ci au paiement des montants suivants:

118058,46 euros à Trubowest, augmentés des intérêts moratoires au taux annuel de 8%, correspondant au montant que celle-ci aurait effectivement payé par suite des différents avis de recouvrement de droits antidumping émis par les autorités douanières allemandes à l’encontre des requérants et qui constituerait un manque à gagner pour Trubowest;

397916,91 euros à M. Makarov, augmentés des intérêts moratoires au taux annuel de 8%, correspondant, à concurrence de 277939,37 euros, au montant total dont celui-ci se serait effectivement acquitté par suite des différents avis de recouvrement de droits antidumping, à concurrence de 63448,54 euros, aux salaires qui ne lui ont pas été payés par Trubowest et, à concurrence de 56529 euros, aux frais d’avocats exposés dans le cadre des procédures qui ont opposé les requérants aux autorités douanières allemandes;

128000 euros à Trubowest, augmentés des intérêts moratoires au taux annuel de 8%, à titre de manque à gagner ou, subsidiairement, une somme à convenir entre les parties à la suite d’un arrêt interlocutoire du Tribunal, et

150000 euros à M. Makarov, augmentés des intérêts moratoires au taux annuel de 8%, à titre de préjudice moral.

6

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’ensemble des moyens soulevés à l’appui du recours en indemnité et a condamné les requérants aux dépens exposés par le Conseil et la Commission.

7

Aux points 41 à 74 et 77 à 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté comme irrecevables certains chefs de demande contenus dans le recours en indemnité, estimant qu’il n’était pas compétent, en vertu de l’article 288 CE, pour en connaître. S’agissant, d’une part, des demandes d’indemnisation dont les montants correspondaient aux sommes payées par les requérants à titre de droits antidumping, le Tribunal a considéré que ces demandes relevaient de la compétence exclusive des juridictions nationales, conformément aux procédures mises en place par le CDC. Quant à la demande de remboursement de frais d’avocats, d’autre part, le Tribunal a jugé que cette dernière concernait un élément du litige ayant opposé les requérants aux autorités douanières allemandes, lequel relevait exclusivement de la compétence des juridictions nationales.

8

Pour le surplus, appréciant la condition d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté relative à l’existence d’un lien de causalité direct entre l’illégalité reprochée et les autres préjudices prétendument subis, à savoir le manque à gagner de Trubowest, la perte de salaires de M. Makarov ainsi que le préjudice moral de celui-ci, le Tribunal a estimé que les préjudices allégués ne découlaient pas d’une façon suffisamment directe de l’illégalité reprochée.

9

Le Tribunal a estimé opportun, au point 86 de l’arrêt attaqué, d’examiner d’emblée la question de savoir si les requérants établissaient qu’il existait un lien de causalité entre le prétendu comportement illégal du Conseil ainsi que de la Commission et les préjudices matériels et moral allégués. Aux points 98 à 137 de l’arrêt attaqué, il a jugé qu’il n’y avait pas de lien de causalité direct suffisant entre l’institution des droits antidumping par le règlement définitif et ces préjudices. Dans ces conditions, le Tribunal n’a pas examiné la question de savoir si ce règlement était entaché d’illégalité ou si les requérants avaient réellement subi lesdits préjudices.

10

En particulier, le Tribunal a examiné s’il existait un lien de causalité suffisamment direct entre le comportement reproché au Conseil ainsi qu’à la Commission et les préjudices allégués aussi bien dans l’hypothèse où le règlement définitif n’aurait pas couvert les marchandises importées par les requérants que dans l’hypothèse contraire. À cet égard, il a jugé, au point 110 de l’arrêt attaqué, que, dans la première hypothèse, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée dans la mesure où les préjudices allégués seraient exclusivement imputables aux autorités douanières et pénales allemandes, et non au comportement prétendument illégal du Conseil et de la Commission. Dans la seconde hypothèse, il a considéré, au point 116 de l’arrêt attaqué, que ce serait le comportement des requérants de ne pas classer correctement leurs importations qui serait la cause déterminante des préjudices concernés.

11

Enfin, le Tribunal a rejeté la demande des requérants relative à certaines mesures d’organisation de la procédure, estimant, aux points 138 à 141 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire d’ordonner à la Commission de produire, d’une part, les éléments de preuve de la contribution de cette dernière aux négociations liées au litige sur le classement des marchandises importées par les requérants, ayant abouti à la transaction conclue entre ceux-ci et les autorités douanières allemandes, et, d’autre part, toute la correspondance qu’elle a échangée avec les autorités douanières et le gouvernement russe.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

12

Les requérants demandent à la Cour:

d’annuler dans son intégralité l’arrêt attaqué;

de statuer elle-même définitivement sur le litige en faisant droit au recours en indemnisation introduit devant le Tribunal et en condamnant le Conseil et la Commission aux dépens de la procédure de première instance ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

de condamner le Conseil et la Commission aux dépens de la présente procédure.

13

Le Conseil demande à la Cour:

de rejeter le pourvoi;

à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal;

à titre plus subsidiaire, de rejeter le recours en indemnisation des requérants, et

de condamner ceux-ci aux dépens.

14

La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérants aux dépens.

Sur le pourvoi

15

Le Tribunal n’a procédé à l’examen de la condition relative au lien de causalité direct entre l’illégalité reprochée et les préjudices allégués par les requérants qu’en ce qui concerne les demandes qu’il a jugées recevables. Le premier moyen, qui concerne l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur ladite condition, concerne dès lors uniquement ces seules demandes. Partant, dans le cadre du pourvoi, il est pertinent d’examiner préalablement le second moyen, qui concerne l’arrêt attaqué en tant qu’il a déclaré irrecevables certaines autres demandes d’indemnisation.

Sur le second moyen

Argumentation des parties

16

Par leur second moyen, divisé en deux branches, les requérants soutiennent, en premier lieu, que le Tribunal a violé l’article 288, deuxième alinéa, CE et a commis une erreur de droit en décidant, aux points 41 à 74, 77 à 82 et 138 à 141 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas compétent pour connaître de leurs demandes d’indemnisation portant sur des montants équivalents aux sommes payées à titre de droits antidumping ainsi que sur les frais d’avocats exposés dans le cadre de la procédure les ayant opposés aux autorités douanières allemandes, eu égard aux circonstances exceptionnelles de l’espèce, caractérisées par le fait que les recours nationaux sont épuisés par suite d’une transaction. En second lieu, les requérants font valoir que, au point 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé les éléments de fait et de preuve en considérant qu’ils n’avaient produit aucun élément de preuve afin d’étayer leurs affirmations relatives à l’incidence sur la conclusion d’une transaction, d’une part, du rôle joué par la Communauté et les autorités russes, et, d’autre part, des poursuites pénales engagées par les autorités allemandes.

17

Le Conseil et la Commission estiment que le Tribunal a constaté à juste titre que les droits antidumping sont perçus par les autorités douanières nationales et que, partant, selon une jurisprudence constante, seules les juridictions nationales sont compétentes pour ordonner la restitution de droits perçus indûment sur la base de règles communautaires déclarées non valides par la suite. Les juridictions communautaires ne seraient donc pas compétentes pour ordonner une telle restitution ou le remboursement de frais d’avocats exposés dans le cadre de procédures nationales relatives à de tels droits. En outre, la transaction conclue entre les requérants et les autorités douanières allemandes ne saurait faire naître, dans le chef des juridictions communautaires, une compétence qui n’existait pas avant ladite transaction. La compétence de ces juridictions ne couvrirait que le préjudice allant au-delà du simple remboursement de droits illicites.

18

Le Conseil soutient, de plus, que les branches du présent moyen sont irrecevables. En effet, la première branche ne contiendrait pas un exposé précis des considérations juridiques qui fondent l’allégation que les requérants n’ont pas conclu de leur plein gré la transaction intervenue entre eux et les autorités douanières allemandes. Quant à la seconde branche, les requérants n’indiqueraient pas de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal et ne démontreraient pas les erreurs d’analyse qui auraient conduit celui-ci à cette dénaturation.

19

La Commission soutient, en outre, que le pourvoi ne remet pas en cause le bien-fondé de l’analyse effectuée par le Tribunal aux points 61 à 66 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les requérants auraient pu contester la légalité du règlement définitif dans le cadre de la procédure nationale, ce qui leur aurait permis d’obtenir un renvoi préjudiciel en vertu de l’article 234 CE et, par ce moyen, une éventuelle invalidation dudit règlement par la Cour. Elle estime qu’il est inconciliable avec les faits et le droit de soutenir que, nonobstant la transaction qu’ils ont conclue avec les autorités douanières allemandes, les requérants «n’ont jamais renoncé à leur droit à indemnisation» et ont accepté cette transaction «sans préjudice de l’illégalité du règlement [définitif]». Par ailleurs, le rôle prétendu des institutions et la pression des poursuites pénales à l’encontre de l’un des requérants n’auraient aucun rapport avec le bien-fondé de l’appréciation du Tribunal selon laquelle il est incompétent pour connaître de certains chefs de demande.

Appréciation de la Cour

20

Dans la première branche de leur second moyen, les requérants observent, en premier lieu, que deux des chefs de demande pour lesquels le Tribunal s’est déclaré incompétent portent sur des montants qui font partie de la somme dont ils se sont acquittés en vertu de la transaction conclue avec les autorités douanières allemandes, en dépit de l’illégalité invoquée du règlement définitif. Même si les requérants ne mentionnent pas de façon précise dans leur pourvoi qu’il s’agit des droits antidumping qu’ils ont acquittés auprès desdites autorités, il y a lieu de relever que le Tribunal a constaté, au point 46 de l’arrêt attaqué, que les montants concernés correspondent aux sommes que les requérants ont respectivement payées à ce titre et a jugé, au point 47 dudit arrêt, que leurs demandes à cet égard sont en définitive des demandes de remboursement desdits droits payés de manière prétendument indue, ce que les requérants ne remettent pas en cause dans le cadre du présent pourvoi.

21

En outre, les requérants soutiennent que, après ladite transaction, il subsiste un préjudice important résultant de l’existence du règlement définitif qu’ils estiment illégal et engageant la responsabilité communautaire qui doit être réparé en vertu de l’article 288, deuxième alinéa, CE.

22

Le Tribunal a jugé, au point 63 de l’arrêt attaqué, que la transaction conclue entre les autorités douanières allemandes et les requérants n’est pas de nature à lui conférer une compétence pour statuer sur les demandes d’indemnisation de ces derniers relatives aux droits antidumping acquittés. Ensuite, il a constaté, au point 67 de cet arrêt, que les requérants ont reconnu eux-mêmes qu’ils disposaient, dans le cadre des recours nationaux qu’ils avaient engagés, d’une voie de recours efficace leur permettant de contester le paiement des droits antidumping en soulevant l’illégalité du règlement définitif, mais qu’ils ont mis un terme à ces recours en concluant ladite transaction.

23

À cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que les juridictions nationales sont seules compétentes pour connaître d’une action en répétition de montants indûment perçus par un organisme national sur la base d’une réglementation communautaire déclarée par la suite non valide (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 1989, Roquette frères/Commission, 20/88, Rec. p. 1553, point 14, du 13 mars 1992, Vreugdenhil/Commission, C-282/90, Rec. p. I-1937, point 12, et du 27 septembre 2007, Ikea Wholesale, C-351/04, Rec. p. I-7723, point 68).

24

Dans ce contexte, lorsqu’un particulier s’estime lésé par l’application d’un règlement antidumping qu’il considère illégal, il dispose de la possibilité de contester, devant la juridiction nationale compétente, la validité du règlement appliqué par les autorités douanières nationales. Cette juridiction peut, voire doit, alors, dans les conditions de l’article 234 CE, saisir la Cour d’une question portant sur la validité du règlement en cause.

25

Il y a également lieu de rappeler qu’il appartient aux autorités nationales de tirer les conséquences, dans leur ordre juridique, d’une déclaration d’invalidité, ce qui aurait pour conséquence que les droits antidumping payés au titre du règlement concerné ne seraient pas légalement dus au sens de l’article 236, paragraphe 1, du CDC et devraient, en principe, faire l’objet d’un remboursement par les autorités douanières, conformément à cette disposition, si les conditions auxquelles un tel remboursement est assujetti, dont celle prévue au paragraphe 2 dudit article, sont réunies (voir arrêt Ikea Wholesale, précité, point 67).

26

Par conséquent, malgré la transaction conclue, en l’espèce, entre les requérants et les autorités douanières allemandes, la législation communautaire implique qu’une demande de remboursement de droits antidumping indûment acquittés relève de la compétence des juridictions nationales concernées. Cette transaction ne saurait faire naître dans le chef des juridictions communautaires une compétence qui n’existait pas avant ladite transaction.

27

Par la première branche du présent moyen, les requérants critiquent, en second lieu, l’arrêt attaqué en tant que le Tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître de leur demande d’indemnisation relative aux frais d’avocats exposés en rapport avec les procédures s’étant déroulées au niveau national. Ils ne présentent cependant aucune argumentation propre à infirmer le caractère accessoire au litige national desdits frais. Or, il ressort de la jurisprudence citée à juste titre par le Tribunal au point 78 de l’arrêt attaqué que la question du remboursement des dépens engagés dans le cadre d’une procédure nationale, qui est une question accessoire au litige ayant donné lieu à cette procédure, relève de la compétence exclusive du juge national.

28

Partant, il y a lieu de constater que c’est à bon droit que le Tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître des chefs de demande concernés, de sorte que la première branche du second moyen n’est pas fondée.

29

Par la seconde branche de ce moyen, concernant la transaction relative au litige au niveau national, les requérants soutiennent que le Tribunal a dénaturé les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis en jugeant, au point 68 de l’arrêt attaqué, qu’ils n’ont pas fourni de preuves pour étayer leurs allégations relatives à l’incidence sur la conclusion de cette transaction, d’une part, du rôle joué par la Communauté et les autorités russes, et, d’autre part, des poursuites pénales qui avait été engagées par les autorités allemandes. Ils font également valoir que le Tribunal aurait commis une erreur en refusant, aux points 138 à 141 de l’arrêt attaqué, d’ordonner à la Commission de produire, d’une part, les éléments de preuve de la contribution de cette dernière aux négociations liées au litige sur le classement des marchandises importées ayant abouti à ladite transaction et, d’autre part, toute la correspondance qu’elle a échangée avec les autorités douanières allemandes et le gouvernement russe. Ces éléments de preuve concernant le comportement des institutions communautaires pourraient, selon les requérants, être pertinents dans le cadre d’une action fondée sur l’article 288, deuxième alinéa, CE.

30

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il résulte des articles 225 CE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 225 CE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (voir, notamment, arrêts du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C-551/03 P, Rec. p. I-3173, point 51; du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission, C-266/06 P, point 72; du 18 décembre 2008, Coop de France bétail et viande/Commission, C-101/07 P et C-110/07 P, Rec. p. I-10193, point 58, ainsi que du 3 septembre 2009, Moser Baer India/Conseil, C-535/06 P, Rec. p. I-7051, point 31).

31

Ainsi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement et que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au Tribunal seul d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir, notamment, arrêts précités General Motors/Commission, point 52; Evonik Degussa/Commission, point 73; Coop de France bétail et viande/Commission, point 59, ainsi que Moser Baer India/Conseil, point 32).

32

Par ailleurs, il importe de rappeler qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (voir notamment, arrêts précités General Motors/Commission, point 54; Evonik Degussa/Commission, point 74; Coop de France bétail et viande/Commission, point 60, ainsi que Moser Baer India/Conseil, point 33).

33

En l’occurrence, s’agissant du grief relatif à la preuve apportée par les requérants en ce qui concerne les conditions dans lesquelles les parties ont conclu la transaction en question, la dénaturation alléguée des faits n’est pas établie de façon précise et suffisante dans le pourvoi. En outre, les requérants ne démontrent pas que le fait que la Commission ait été contrainte de produire les documents demandés aurait été de nature à avoir une influence sur les conséquences de droit qui ont été déduites par le Tribunal au point 139 de l’arrêt attaqué, en ce sens que celui-ci n’est pas compétent pour statuer sur des demandes d’indemnisation relatives à des droits antidumping et à des frais d’avocats exposés en rapport avec des procédures s’étant déroulées au niveau national.

34

Force est de constater que les requérants tendent à obtenir, par cette voie, un réexamen des appréciations factuelles opérées par le Tribunal, pour lequel la Cour n’est pas compétente dans le cadre d’un pourvoi, de sorte que ce grief doit être déclaré irrecevable.

35

Il s’ensuit que le second moyen doit être rejeté dans son intégralité comme en partie non fondé et en partie irrecevable.

Sur le premier moyen

36

Les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation et son application de l’article 288, deuxième alinéa, CE en ce qui concerne les conditions dans lesquelles la Communauté peut engager sa responsabilité non contractuelle. Par ce moyen, qui comporte deux branches, les requérants font grief au Tribunal, d’une part, de ne pas avoir recherché le comportement illégal susceptible de causer le préjudice, en particulier de ne pas avoir examiné le comportement illicite reproché dans son contexte juridique et dans le contexte de l’appréciation du lien de causalité, et, d’autre part, d’avoir jugé que le lien de causalité existant entre le comportement reproché aux institutions communautaires et les divers éléments du préjudice allégué ne peut pas être considéré comme suffisamment direct.

Sur la première branche

— Argumentation des parties

37

Les requérants font valoir que, au stade de l’examen du lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice allégués, ces derniers doivent, de quelque manière que ce soit, avoir été examinés avant de pouvoir décider qu’il n’existe pas un tel lien suffisamment direct entre les deux ou que ce lien a été rompu. En d’autres termes, selon les requérants, en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté, alors que le fait de commencer par examiner l’illégalité ou le préjudice allégués ne présuppose pas d’examiner les autres conditions de cette responsabilité, celui de commencer par examiner le lien de causalité présuppose que, d’une manière ou d’une autre, les deux autres conditions aient été prises en compte.

38

Le Conseil fait valoir que l’affirmation selon laquelle le Tribunal serait tenu de «prendre d’une manière ou d’une autre […] en considération les deux autres conditions» ou d’«examiner le cadre juridique autour du lien de causalité et en particulier le comportement illégal» est dépourvue de fondement. La démarche suivie par le Tribunal, qui consiste à analyser le lien de causalité en prenant comme un fait l’acte prétendument illégal et le préjudice allégué, serait habituelle. Il ne serait pas tenu d’examiner les conditions de la responsabilité d’une institution dans un ordre déterminé et, si l’une des trois conditions n’est pas remplie, la demande en réparation devrait être rejetée sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions.

39

De l’avis de la Commission, aucune règle n’empêchait le Tribunal d’examiner la condition relative au lien de causalité sans se prononcer sur la question de l’illégalité alléguée du règlement définitif. Bien qu’il puisse effectivement être exact que «la causalité n’existe pas dans l’absolu», le pourvoi ferait totalement abstraction du fait que le lien de causalité est déterminé non pas, d’une part, par le comportement illégal et, d’autre part, par le préjudice subi, mais simplement par la question de savoir si le comportement reproché a causé le préjudice allégué.

— Appréciation de la Cour

40

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi, en vertu de l’article 288, deuxième alinéa, CE, dépendent de la réunion d’un ensemble de conditions en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir, notamment, arrêts du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16; du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C-146/91, Rec. p. I-4199, point 19, ainsi que du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C-120/06 P et C-121/06 P, Rec. p. I-6513, point 106).

41

Dans la mesure où les trois conditions de la responsabilité prévue à l’article 288, deuxième alinéa, CE doivent être cumulativement remplies, le fait que l’une d’entre elles fasse défaut suffit pour rejeter un recours en indemnité (arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C-257/98 P, Rec. p. I-5251, point 14).

42

En outre, il n’existe aucune obligation d’examiner les conditions de la responsabilité d’une institution dans un ordre déterminé (voir, en ce sens, arrêt Lucaccioni/Commission, précité, point 13).

43

Eu égard au rejet du second moyen, le présent moyen ne porte que sur des demandes d’indemnisation relatives, d’une part, aux préjudices matériels qui consisteraient en un manque à gagner pour Trubowest et une perte de salaires pour M. Makarov, respectivement évalués à 128000 euros et à 63448,54 euros, et, d’autre part, au préjudice moral dont M. Makarov aurait souffert, évalué à 150000 euros.

44

Le Tribunal a conclu, au point 134 de l’arrêt attaqué, que, en toute hypothèse, à savoir que les importations opérées par Trubowest rentrent ou non dans le champ d’application du règlement définitif et que les requérants aient ou non commis une erreur de classement, le lien de causalité existant entre le comportement illégal reproché au Conseil ainsi qu’à la Commission et les préjudices allégués ne saurait être qualifié de suffisamment direct.

45

Les requérants ont souligné, lors de l’audience, que le Tribunal n’a pas examiné l’événement juridique qui a provoqué le dommage. Selon eux, la question de la causalité ne peut être traitée que dans le cadre d’un examen approfondi du contexte juridique de l’acte litigieux, à savoir le règlement définitif qu’ils prétendent illégal.

46

Le Conseil et la Commission estiment qu’il n’existe aucune obligation pour le Tribunal de se prononcer sur l’illégalité reprochée avant d’examiner l’existence d’un lien de causalité entre cette illégalité et le préjudice allégué.

47

Ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 68 de ses conclusions, les requérants sont restés en défaut d’expliquer quelle aurait été l’influence de l’examen, par le Tribunal, du comportement reproché aux institutions sur l’appréciation de la condition relative au lien de causalité effectuée dans l’arrêt attaqué. Le Tribunal pouvait examiner le lien de causalité en partant de la supposition que, ainsi que le prétendent les requérants, l’acte reproché est effectivement illégal et le préjudice existe bien (voir, par analogie, arrêt Lucaccioni/Commission, précité, points 12, 15 et 16, ainsi que ordonnance du 12 avril 2005, DLD Trading Company Import-Export/Conseil, C-80/04 P, point 50).

48

La condition relative au lien de causalité est indépendante de celle relative à l’illégalité de l’acte en cause dans le cadre d’un recours en indemnité sur la base de l’article 288, deuxième alinéa, CE. Dès lors, en l’espèce, la question de savoir si l’instauration de droits antidumping par le règlement définitif était illégale et dénuée d’influence dans le cadre de l’examen de la condition relative au lien de causalité.

49

C’est donc à juste titre que le Tribunal a considéré qu’il pouvait examiner en premier lieu la question du lien de causalité entre le comportement reproché au Conseil ainsi qu’à la Commission et les préjudices allégués.

50

Il découle de ce qui précède que la première branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée.

Sur la seconde branche

— Argumentation des parties

51

Les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le lien de causalité existant entre le comportement illégal des institutions communautaires et les préjudices allégués ne peut pas être considéré comme suffisamment direct dans la mesure où il s’est fondé sur deux scénarios hypothétiques qui constituent des allégations non étayées. Le Tribunal aurait omis de prendre en compte le fait que les requérants demandaient réparation de préjudices subis du fait de l’institution de droits illégaux. Il aurait, à tort, pris en considération d’hypothétiques erreurs dans le classement des marchandises importées, non vérifiées, prétendument constitutives de fautes dans le chef des autorités allemandes ou des requérants. Ces derniers considèrent que le Tribunal a mal appliqué la condition de causalité en ce qu’il a examiné l’existence d’une rupture du lien de causalité sans apprécier au préalable l’existence d’un tel lien direct entre le comportement illégal et le préjudice allégués.

52

Le Conseil et la Commission font valoir que, étant donné qu’il n’a jamais été établi de manière concluante si les tubes et les tuyaux pour lesquels les autorités douanières allemandes avaient réclamé des droits antidumping au titre du règlement définitif entraient dans le champ d’application dudit règlement, le Tribunal a examiné le lien de causalité à partir de deux hypothèses.

— Appréciation de la Cour

53

Les principes communs aux droits des États membres auxquels renvoie l’article 288, deuxième alinéa, CE ne sauraient être invoqués au soutien de l’existence d’une obligation incombant à la Communauté de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, de comportements de ses organes (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, ainsi que du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C-363/88 et C-364/88, Rec. p. I-359, point 25). En effet, la condition relative au lien de causalité posée à l’article 288, deuxième alinéa, CE porte sur l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement des institutions et le dommage (voir, en ce sens, arrêt Dumortier e.a./Conseil, précité, point 21).

54

En outre, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un pourvoi ne peut, en vertu des articles 225 CE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, s’appuyer que sur des moyens portant sur la violation des règles de droit, à l’exclusion de toute appréciation des faits (voir en ce sens, notamment, arrêt du 1er octobre 1991, Vidrányi/Commission, C-283/90 P, Rec. p. I-4339, point 12, et ordonnance du 17 septembre 1996, San Marco/Commission, C-19/95 P, Rec. p. I-4435, point 39).

55

Les requérants n’expliquent pas en quoi l’illégalité alléguée du règlement définitif peut se rapporter à l’existence d’un lien suffisamment direct entre les préjudices prétendument subis et le comportement illégal allégué. En effet, la légalité de ce règlement n’a aucun rapport avec la validité de l’appréciation des hypothèses factuelles dégagées par le Tribunal, qui a conduit celui-ci à conclure que le lien de causalité était rompu.

56

Les requérants soutiennent en outre que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant, au point 134 de l’arrêt attaqué, que le lien de causalité existant entre le comportement illégal des institutions et les préjudices allégués ne peut pas être considéré comme suffisamment direct.

57

Il ressort de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas examiné préalablement et de façon générale la question de savoir si le dommage allégué se serait produit sans le comportement illégal des institutions. La motivation de cet arrêt est concentrée sur la question de la rupture du lien de causalité entre ces deux éléments. Aux points 112 et 113 dudit arrêt, dans le cadre de la première hypothèse, le Tribunal a considéré que l’appréciation de l’existence d’un lien de causalité ne dépend pas de la question de savoir si, en l’absence de l’acte illégal, l’issue des événements aurait été différente. De même, selon la jurisprudence citée aux points 99 et 102 de l’arrêt attaqué, le préjudice allégué doit découler du comportement reproché de façon suffisamment directe, et sans qu’il y ait de rupture du lien de causalité.

58

À cet égard, il convient de constater qu’un lien de causalité au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE est admis lorsqu’il existe un lien direct de cause à effet entre le comportement illégal des institutions concernées et le préjudice invoqué.

59

Il est nécessaire que ledit dommage ait été effectivement causé par le comportement reproché aux institutions. Cette approche est confirmée par la jurisprudence constante rappelée au point 53 du présent arrêt, selon laquelle, même dans le cas d’une éventuelle contribution des institutions au préjudice dont l’indemnisation est demandée, ladite contribution pourrait être trop éloignée en raison d’une responsabilité incombant à d’autres personnes, le cas échéant aux requérants.

60

En premier lieu, le Tribunal a considéré à juste titre que, si le règlement définitif ne couvrait pas les marchandises importées par les requérants et que ces derniers n’avaient donc pas commis d’erreur dans le classement de celles-ci, il y aurait lieu de constater que les préjudices allégués par les requérants ne sont imputables qu’aux seules autorités douanières allemandes, dans la mesure où celles-ci auraient soumis lesdites marchandises à des droits antidumping alors qu’elles ne rentraient pas dans le champ d’application du règlement définitif.

61

En second lieu, le Tribunal a considéré à bon droit que, si le règlement définitif couvrait les marchandises importées par les requérants et que ces derniers n’avaient pas, par conséquent, correctement classé ces marchandises, il y aurait lieu de constater que la cause déterminante des préjudices qu’ils allèguent serait leur propre comportement, et non le prétendu comportement illégal du Conseil et de la Commission. S’agissant de cette hypothèse, le Tribunal a également rappelé à juste titre, aux points 100 et 101 de l’arrêt attaqué, qu’il y a lieu de vérifier si la personne lésée, au risque de devoir supporter le dommage elle-même, a fait preuve, en justiciable averti, d’une diligence raisonnable pour éviter le préjudice ou en limiter la portée. Le lien de causalité peut être rompu par un comportement négligent de la personne lésée, dès lors que ce comportement s’avère constituer la cause déterminante du préjudice.

62

Les requérants soutiennent que le Tribunal a omis de prendre en considération le fait qu’ils demandaient réparation du préjudice subi en raison de l’institution de droits illégaux et s’est, à tort, focalisé sur d’hypothétiques erreurs dans le classement des marchandises importées. Selon les requérants, la question n’est pas de savoir si le règlement définitif couvre ou non ces marchandises. Les montants qui ont été perçus à titre de droits antidumping et qui restent acquis aux autorités douanières allemandes conformément à la transaction conclue par les requérants et ces autorités impliquent que les droits étaient dus sur le fondement d’un règlement dont le caractère illégal est soulevé.

63

Le Tribunal, dans le cadre de l’examen des préjudices allégués résultant directement ou non de l’institution de droits antidumping par le règlement définitif, ne fait aucune référence au caractère légal ou non dudit règlement. En effet, s’agissant de la question de savoir si l’imposition desdits droits par le règlement définitif a causé de manière directe les préjudices prétendument subis par les requérants, il a procédé à l’examen successif de la situation de ceux-ci dans les deux hypothèses factuelles qu’il a dégagées, lesquelles couvrent l’ensemble des cas envisageables. Leur examen alternatif a donc conduit à la même solution.

64

Par conséquent, les requérants ne démontrent pas que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu’il n’existe pas de lien de causalité suffisamment direct entre le comportement reproché aux institutions et les dommages qu’ils allèguent.

65

Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme non fondé.

66

Il s’ensuit que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

67

Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil et la Commission ayant conclu à la condamnation de Trubowest et de M. Makarov, et ces derniers ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens de la présente instance.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

Trubowest Handel GmbH et M. Makarov sont condamnés aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.

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