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Document 62006CJ0050

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 7 juin 2007.
Commission des Communautés européennes contre Royaume des Pays-Bas.
Manquement d’État - Citoyenneté de l’Union - Libre circulation des ressortissants des États membres - Directive 64/221/CEE - Ordre public - Législation nationale en matière d’éloignement - Condamnation pénale - Expulsion.
Affaire C-50/06.

European Court Reports 2007 I-04383

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:325

Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Parties

Dans l’affaire C‑50/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 31 janvier 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par M me M. Condou-Durande et M. R. Troosters, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume des Pays-Bas, représenté par M me H. G. Sevenster et M. M. de Grave, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, MM. J. Klučka, J. N. Cunha Rodrigues, M me P. Lindh et M. A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M me E. Sharpston,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1. Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’appliquant pas aux citoyens de l’Union la directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 1964, 56, p. 850), mais en leur appliquant une législation générale relative aux étrangers qui permet d’établir un lien systématique et automatique entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

2. L’article 18, paragraphe 1, CE prévoit que tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le traité CE et par les dispositions prises pour l’application de ce dernier.

3. La directive 64/221 vise, aux termes de son article 1 er , les ressortissants d’un État membre qui séjournent ou se rendent dans un autre État membre de la Communauté soit en vue d’exercer une activité salariée ou non salariée, soit en qualité de destinataires de services. Les dispositions de cette directive s’appliquent également au conjoint et aux membres de la famille d’un tel ressortissant, dans la mesure où ceux-ci répondent aux conditions des règlements et directives pris dans ce domaine en exécution du traité.

4. La directive 64/221 concerne, selon son article 2, les dispositions relatives à l’entrée sur le territoire, à la délivrance ou au renouvellement du titre de séjour, ou à l’éloignement du territoire, qui sont prises par les États membres pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

5. Aux termes de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de cette directive:

«1. Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet.

2. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures.»

6. Selon l’article 8 de la directive 64/221, l’intéressé doit pouvoir introduire contre la décision d’entrée, de refus de délivrance ou de refus de renouvellement du titre de séjour, ou contre la décision d’éloignement du territoire, les recours ouverts aux nationaux contre les actes administratifs.

7. L’article 9 de cette même directive a pour objet d’assurer une garantie procédurale minimale aux ressortissants des États membres auxquels est opposée une décision de refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour ou qui sont frappés d’une décision d’éloignement du territoire.

La réglementation nationale

8. L’article 1 er de la loi sur les étrangers (Vreemdelingenwet), du 23 novembre 2000 (Stb. 2000, nº 495), prévoit:

«Dans cette loi et les dispositions qui se fondent sur celle-ci, on entend par:

[…]

e) Ressortissants communautaires:

1. les ressortissants des États membres de l’Union européenne qui, en vertu du traité instituant la Communauté européenne, sont autorisés à entrer sur le territoire d’un autre État membre et à y séjourner;

2. les membres de la famille des personnes citées au point 1 qui possèdent la nationalité d’un État tiers et qui, à la suite d’une décision prise en application du traité instituant la Communauté européenne, sont autorisés à entrer sur le territoire d’un État membre et à y séjourner;

[…]

m) Étranger:

toute personne qui ne possède pas la nationalité néerlandaise et qui sur la base de la loi ne peut être traitée comme un Néerlandais.»

9. L’article 8, sous e), de cette même loi dispose que l’étranger ne séjourne de manière régulière aux Pays-Bas en tant que ressortissant communautaire que dans la mesure où son séjour est fondé sur une règle adoptée en vertu du traité ou bien de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3).

10. L’article 63 de la loi sur les étrangers prévoit que l’étranger qui ne séjourne pas de manière régulière aux Pays-Bas et qui n’a pas quitté de lui-même ce pays dans le délai fixé par cette loi peut, en vertu de l’article 27, paragraphe l, sous b), ou de l’article 45, paragraphe 1, sous b), de ladite loi, être expulsé.

11. Conformément à l’article 67 de cette même loi:

«1. Un étranger peut être déclaré non désirable par notre ministre:

a) s’il ne séjourne pas de manière régulière aux Pays-Bas et qu’il a de manière répétée commis des faits punissables en vertu de la présente loi;

b) s’il a été condamné par un jugement, devenu définitif, en raison d’infractions pour lesquelles il risque une peine d’emprisonnement de trois ans ou plus ou bien s’il lui a été imposé une mesure telle que celle prévue à l’article 37a du Wetboek van Strafrecht;

c) s’il représente un danger pour l’ordre public ou la sécurité nationale et s’il ne séjourne pas de manière régulière aux Pays-Bas au sens de l’article 8, sous a) à sous e) ou bien sous l),

d) en vertu d’un traité, ou

e) dans l’intérêt des relations internationales des Pays-Bas.

[…]

3. Par dérogation à l’article 8, l’étranger déclaré non désirable ne peut pas séjourner de manière régulière [aux Pays-Bas].»

12. Cet article reprend, pour l’essentiel, l’article 21 de la loi sur les étrangers de 1965, auquel fait référence la Commission dans sa requête.

13. L’article 1:5, paragraphe 1, de l’arrêté sur les étrangers (Vreemdelingenbesluit), du 23 novembre 2000 (Stb. 2000, nº 497), est rédigé comme suit:

«S’agissant d’une décision sur réclamation ou sur recours administratif, notre ministre recueillera l’avis du comité d’avis pour les affaires relatives aux étrangers […], si la décision attaquée refuse l’accès aux Pays-Bas à un ressortissant communautaire ou s’il est constaté qu’un ressortissant communautaire ne séjourne pas de manière régulière dans ce pays au sens de l’article 8, sous e), de la loi ou bien s’il est mis fin à ce séjour régulier pour des motifs tenant au danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique au sens de la directive 64/221 […]»

14. L’article 8:13 de cet arrêté énonce:

«1. Il ne sera pas procédé à l’expulsion d’un ressortissant communautaire aussi longtemps qu’il n’est pas apparu que la personne ne dispose pas d’un droit de séjour ou que son droit de séjour a expiré.

2. L’étranger qui est ressortissant d’un des État contractants au traité instituant la Communauté européenne ou à l’accord sur l’Espace économique européen, ou bien les membres de sa famille, et qui ne bénéficie pas d’un droit de séjour en tant que ressortissant communautaire, ou bien dont le droit de séjour a expiré, n’est expulsé qu’après qu’un délai de quatre semaines au minimum lui a été accordé pour partir dans un autre pays que les Pays-Bas dans lequel l’accès lui est garanti.

3. Il n’est pas procédé à l’expulsion de l’étranger mentionné au paragraphe 2 tant qu’une décision n’est pas prise sur la réclamation introduite dans les délais prescrits à l’encontre d’une décision au sens du paragraphe 2.

4. Dans les cas urgents, il peut être dérogé aux paragraphes 2 et 3.»

15. Le point B10/7.3.2 de la circulaire sur les étrangers (Vreemdelingencirculaire, Stcrt. 2000, n° 64, p. 17) énonce que les ressortissants de l’Union ainsi que les membres de leur famille qui séjournent de manière régulière aux Pays-Bas ne peuvent être expulsés que par le ministre (article 63, paragraphe 2, de la loi sur les étrangers). À ce sujet, il y a lieu de tenir compte des garanties prévues aux articles 1:5 et 8:13 de l’arrêté sur les étrangers. Par contre, pour ce qui est des ressortissants et des membres de leur famille qui ne séjournent pas ou qui ne séjournent plus de manière régulière dans ce pays en vertu du droit communautaire ou de toute autre règle, il y a lieu d’appliquer, selon le point B10/7.3.1 de cette même circulaire, les règles générales relatives au départ et à l’expulsion, à savoir les articles 61 à 65 de la loi sur les étrangers.

16. La loi sur les étrangers, l’arrêté sur les étrangers et la circulaire sur les étrangers sont entrés en vigueur le 1 er avril 2001.

La procédure précontentieuse

17. Plusieurs citoyens de l’Union qui ont été condamnés à des peines d’emprisonnement aux Pays-Bas ont adressé à la Commission des plaintes à propos de mesures prises à leur encontre par les autorités néerlandaises les déclarant indésirables pour des raisons d’ordre public. À la suite de l’examen de ces plaintes, la Commission a conclu que la législation générale néerlandaise relative aux étrangers, applicable également aux ressortissants d’autres États membres, n’était pas, s’agissant de citoyens de l’Union, conforme à la directive 64/221, dans la mesure où elle permettrait d’établir un lien systématique et automatique entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement du territoire. En conséquence, la Commission a, le 19 décembre 2002, adressé au Royaume des Pays-Bas une lettre de mise en demeure l’invitant à présenter ses observations.

18. Dans sa réponse du 6 mars 2003, le gouvernement néerlandais conteste le grief soulevé par la Commission. Les citoyens de l’Union qui ne bénéficient pas d’un droit de séjour en vertu des dispositions communautaires ne relèveraient pas du champ d’application de la directive 64/221. En pareille hypothèse, les dispositions nationales leur seraient applicables. Tel serait notamment le cas s’agissant des ressortissants d’autres États membres n’apportant pas la preuve de leur nationalité au moyen d’un passeport ou d’une carte d’identité en cours de validité. Il en irait de même pour les ressortissants d’autres États membres ayant eu recours à l’assistance publique aux Pays-Bas, tels que les plaignants, cette circonstance entraînant automatiquement la perte du droit de séjour.

19. En outre, le gouvernement néerlandais soutient que les autorités nationales n’ont pas l’obligation d’éloigner les étrangers ayant fait l’objet d’une condamnation pénale, mais qu’elles détiennent un pouvoir d’appréciation leur permettant la mise en balance des différents intérêts en présence. La situation familiale de l’intéressé serait examinée avant de prendre l’arrêté d’expulsion.

20. Cette réponse n’ayant pas convaincu la Commission, celle-ci a, le 9 juillet 2004, adressé un avis motivé au Royaume des Pays-Bas réitérant le grief exposé dans la lettre de mise en demeure et l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer audit avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

21. Le gouvernement néerlandais ayant répondu le 24 septembre 2004 audit avis motivé en maintenant pour l’essentiel sa position antérieure, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

Sur le recours

Sur la recevabilité

22. Le Royaume des Pays-Bas soulève, dans son mémoire en défense, une exception d’irrecevabilité tirée de l’extension de l’objet du recours.

23. Selon le gouvernement néerlandais, dans sa lettre de mise en demeure du 19 décembre 2002 et son avis motivé du 9 juillet 2004, la Commission lui reproche uniquement d’appliquer aux citoyens de l’Union non pas les dispositions de la directive 64/221, mais une législation générale relative aux étrangers permettant d’établir un lien systématique et automatique entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement. En revanche, dans sa requête, la Commission soutiendrait de manière générale que cette législation n’est pas conforme au droit communautaire au motif que celle-ci ne fait pas de distinction entre, d’une part, les étrangers en général et, d’autre part, les ressortissants des autres États membres. En outre, il serait fait grief à la partie défenderesse de n’avoir pas transposé correctement dans l’ordre juridique national la directive 64/221.

24. Dans sa réplique, la Commission affirme que son recours ne porte que sur le lien systématique et automatique que la législation en cause permet d’établir entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement du territoire s’agissant des citoyens de l’Union.

25. Cette affirmation se trouve confirmée par le libellé des conclusions de la requête introductive d’instance par lesquelles la Commission demande à la Cour de constater que, en n’appliquant pas aux citoyens de l’Union la directive 64/221, mais en leur appliquant une législation générale relative aux étrangers qui permet d’établir un lien systématique et automatique entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

26. Dans ces conditions, le gouvernement néerlandais ne saurait faire grief à la Commission d’avoir étendu l’objet du recours tel que défini par la procédure précontentieuse.

27. L’exception d’irrecevabilité doit dès lors être rejetée.

Sur le fond

28. Ainsi qu’il a été indiqué au point 25 du présent arrêt, la Commission reproche au Royaume des Pays-Bas d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 64/221 en appliquant aux citoyens de l’Union non pas les dispositions de cette directive, mais une législation générale rela tive aux étrangers qui permet d’établir un lien systématique et automatique entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement.

29. La Commission soutient que tout citoyen de l’Union doit pouvoir se prévaloir des garanties matérielles et procédurales prévues par la directive 64/221, quelle que soit sa situation en matière de droit de séjour. En vertu de l’article 3 de cette directive, l’expulsion d’un tel citoyen pour des raisons d’ordre public devrait être fondée sur le comportement personnel de celui-ci et ne pourrait être motivée par la seule existence de condamnations pénales. Il serait de jurisprudence constante que les États membres peuvent expulser des ressortissants d’autres États membres pour de tels motifs uniquement lorsque l’intéressé représente une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société en cause.

30. Selon la Commission, le Royaume des Pays-Bas a manqué à ses obligations découlant de la directive 64/221, à supposer même que la législation générale néerlandaise relative aux étrangers ne comporte pas d’automatisme en matière d’expulsion et qu’une mise en balance des différents intérêts en présence soit effectuée dans ce contexte. Il ne serait pas exclu que les autorités nationales se basent sur la présomption que les étrangers ayant fait l’objet d’une condamnation pénale doivent être expulsés, à moins que des circonstances spéciales ne s’y opposent.

31. Par conséquent, il convient d’examiner, d’une part, si les citoyens de l’Union peuvent se prévaloir des garanties prévues par la directive 64/221 indépendamment de leur statut de résident et, d’autre part, la question du prétendu lien systématique et automatique que la législation en cause permettrait d’établir entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement.

32. Il importe de rappeler, tout d’abord, que le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, Rec. p. I‑6193, points 30 et 31, ainsi que du 15 mars 2005, Bidar, C‑209/03, Rec. p. I‑2119, point 31). En vertu de l’article 18, paragraphe 1, CE, tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Un ressortissant d’un État membre qui ne bénéficie pas, dans l’État membre d’accueil, d’un droit de séjour au titre d’autres dispositions du traité ou des dispositions prises pour son application, peut, en sa seule qualité de citoyen de l’Union, y bénéficier d’un droit de séjour en application directe de cet article (voir, en sens, arrêts du 17 septembre 2002, Baumbast et R, C‑413/99, Rec. p. I‑7091, point 84, et du 7 septembre 2004, Trojani, C‑456/02, Rec. p. I‑7573, point 31).

33. Ce droit n’est toutefois pas inconditionnel. L’article 18, paragraphe 1, CE prévoit qu’il n’est reconnu que sous réserve des limitations et conditions prévues par le traité et par les dispositions prises pour son application (voir, notamment, arrêts Trojani, précité, points 31 et 32, ainsi que du 18 juillet 2006, De Cuyper, C‑406/04, Rec. p. I‑6947, point 36).

34. Parmi les limitations et conditions prévues ou autorisées par le droit communautaire, la directive 64/221 permet aux États membres d’expulser des ressortissants des autres États membres de leur territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, dans le respect des garanties matérielles et procédurales prévues par cette directive et des principes généraux du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2002, MRAX, C‑459/99, Rec. p. I‑6591, points 61 et 62, ainsi que du 31 janvier 2006, Commission/Espagne, C‑503/03, Rec. p. I‑1097, points 43 et 44).

35. Ainsi qu’il découle de la jurisprudence, les garanties prévues par la directive 64/221 appellent, quant à leur champ d’application personnel, une interprétation large (voir, en ce sens, arrêt MRAX, précité, point 101). Les États membres doivent prendre toutes dispositions en vue d’assurer, à tout ressortissant d’un autre État membre frappé d’une décision d’éloignement, la jouissance de la sauvegarde que constituent, pour lui, les dispositions de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 2005, Dörr et Ünal, C‑136/03, Rec. p. I‑4759, point 49). Exclure du bénéfice de ces garanties matérielles et procédurales les citoyens de l’Union ne séjournant pas de manière régulière sur le territoire de l’État membre d’accueil priverait celles-ci de l’essentiel de leur effet utile.

36. Cette interprétation est corroborée par l’arrêt MRAX, précité, dans lequel la Cour a considéré qu’un ressortissant d’un État tiers qui est membre de la famille d’un ressortissant communautaire, mais qui ne remplit pas les conditions d’un séjour légal, doit pouvoir se prévaloir des garanties procédurales prévues par la directive 64/221.

37. Dès lors, il convient de constater qu’une interprétation selon laquelle les dispositions de la directive 64/221 s’appliquent uniquement aux citoyens de l’Union séjournant de manière régulière sur le territoire de l’État membre d’accueil n’est pas conforme au droit communautaire.

38. Ensuite, pour ce qui est du lien systématique et automatique que la législation générale néerlandaise relative aux étrangers permettrait d’établir, s’agissant des citoyens de l’Union, entre, d’une part, une condamnation pénale et, d’autre part, une mesure d’éloignement du territoire, il convient de relever que, en vertu de l’article 67 de la loi sur les étrangers, lu en combinaison avec l’article 1 er , sous m), de cette même loi, un étranger, à savoir toute personne qui n’a pas de nationalité néerlandaise, peut être déclaré non désirable par les autorités néerlandaises compétentes notamment s’il a été condamné par un jugement, devenu définitif, en raison d’infractions pour lesquelles il risque une peine d’emprisonnement de trois ans ou plus.

39. S’il est vrai que, selon la législation en cause, telle qu’interprétée par la circulaire sur les étrangers, il y a lieu de tenir compte des garanties prévues aux articles 1:5 et 8:13 de l’arrêté sur les étrangers, dans le cas des ressortissants de l’Union ainsi que des membres de leur famille, il n’en demeure pas moins que cette règle ne concerne que les personnes qui séjournent de manière régulière aux Pays-Bas.

40. La directive 64/221 s’appliquant également aux citoyens de l’Union ne séjournant pas de manière régulière sur le territoire de l’État membre d’accueil, une telle personne ne peut être expulsée, pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, que dans les limites strictes prévues par celle-ci.

41. Selon l’article 3, paragraphe 1, de la directive 64/221, les mesures prises pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement de la personne concernée. Le paragraphe 2 de cet article précise que la seule existence de condamnations pénales ne pourrait automatiquement motiver ces mesures. L’existence d’une condamnation pénale ne peut ainsi être retenue que dans la mesure où les circonstances qui ont donné lieu à cette condamnation font apparaître l’existence d’un comportement personnel constituant une menace actuelle pour l’ordre public (voir, notamment, arrêts du 27 octobre 1977, Bouchereau, 30/77, Rec. p. 1999, point 28; du 19 janvier 1999, Calfa, C‑348/96, Rec. p. I‑11, point 24; Commission/Espagne, précité, point 44, et du 27 avril 2006, Commission/Allemagne, C‑441/02, Rec. p. I‑3449, point 33).

42. La Cour a toujours souligné que l’exception d’ordre public constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des personnes, devant être entendue strictement et dont la portée ne saurait être déterminée unilatéralement par les États membres (arrêts du 28 octobre 1975, Rutili, 36/75, Rec. p. 1219, point 27; Bouchereau, précité, point 33; Calfa, précité, point 23; du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri, C‑482/01 et C‑493/01, Rec. p. I‑5257, points 64 et 65; Commission/Espagne, précité, point 45, et Commission/Allemagne, précité, point 34).

43. Selon une jurisprudence constante, le recours par une autorité nationale à la notion d’ordre public suppose, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (arrêts précités Rutili, point 28; Bouchereau, point 35; Orfanopoulos et Oliveri, point 66; Commission/Espagne, point 46, et Commission/Allemagne, point 35).

44. Selon la Cour, le droit communautaire s’oppose également aux dispositions nationales partant d’une présomption selon laquelle les ressortissants d’autres États membres ayant été condamnés à une certaine peine pour des délits spécifiques doivent être expulsés (voir arrêt Orfanopoulos et Oliveri, précité, point 93).

45. S’il ne peut pas être établi, en l’occurrence, qu’il existe, dans la législation générale néerlandaise relative aux étrangers, un automatisme absolu entre, d’une part, une condamnation pénale et, d’autre part, une mesure d’éloignement du territoire, il n’en demeure pas moins que cette législation permet d’expulser du territoire du Royaume des Pays-Bas, en dehors des garanties matérielles et procédurales prévues par la directive 64/221, des citoyens de l’Union ayant fait l’objet d’une condamnation pénale. En effet, il ne saurait être exclu qu’une décision d’expulsion soit prononcée contre une telle personne, malgré la prise en compte des considérations d’ordre familial, sans qu’il ne soit tenu compte de son comportement personnel ni de l’existence ou non d’une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public.

46. Ainsi, il convient de constater que la législation générale néerlandaise relative aux étrangers permet d’établir un lien systématique et automatique entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement s’agissant des citoyens de l’Union.

47. Enfin, le gouvernement néerlandais indique, dans son mémoire en défense, avoir reconsidéré sa position à la lumière de la jurisprudence ultérieure de la Cour. Il reconnaît que tout citoyen de l’Union relève du champ d’application de la directive 64/221 et doit pouvoir bénéficier des garanties matérielles et procédurales établies par celle-ci. Selon ce gouvernement, la réglementation nationale devrait être mise en conformité avec le droit communautaire dans le cadre de la transposition, dans l’ordre juridique national, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et rectificatif JO L 229, p. 35).

48. À cet égard, il suffit de rappeler que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 27 novembre 1990, Commission/Grèce, C‑200/88, Rec. p. I‑4299, point 13; du 14 avril 2005, Commission/Grèce, C‑22/04, non publié au Recueil, point 19, et du 14 juillet 2005, Commission/Allemagne, C‑433/03, Rec. p. I‑6985, point 32).

49. Or, en l’espèce, il est constant que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, le Royaume des Pays-Bas n’avait pas adopté les mesures nécessaires pour mettre fin au manquement reproché.

50. Eu égard aux considérations qui précédent, le recours introduit par la Commission est fondé.

51. Par conséquent, il convient de constater que, en n’appliquant pas aux citoyens de l’Union la directive 64/221, mais en leur appliquant une législation générale relative aux étrangers qui permet d’établir un lien systématique et automatique entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

Sur les dépens

52. En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume des Pays-Bas et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Dispositif

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1) En n’appliquant pas aux citoyens de l’Union la directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique, mais en leur appliquant une législation générale relative aux étrangers qui permet d’établir un lien systématique et automatique entre une condamnation pénale et une mesure d’éloignement, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

2) Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.

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