Affaires jointes C-354/03, C-355/03 et C-484/03

Optigen Ltd, Fulcrum Electronics Ltd et      Bond House Systems Ltd

contre

Commissioners of Customs & Excise

(demande de décision préjudicielle, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division)

«Sixième directive TVA — Articles 2, point 1, 4, paragraphes 1 et 2, et 5, paragraphe 1 — Déduction de la TVA acquittée en amont — Activité économique — Assujetti agissant en tant que tel — Livraison de biens — Opération s'inscrivant dans une chaîne de livraisons dans laquelle est intervenu un opérateur défaillant ou un opérateur qui utilise un numéro d'assujetti à la TVA usurpé — Fraude de type 'carrousel'»

Conclusions de l'avocat général M. M. Poiares Maduro, présentées le 16 février 2005 

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 12 janvier 2006 

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel

(Directive du Conseil 77/388, art. 2, point 1, 4 et 5, § 1)

Des opérations par lesquelles un assujetti établi dans un État membre achète des biens auprès de sociétés établies dans cet État membre et les revend à des acheteurs établis dans un autre État membre, opérations qui ne sont pas elles-mêmes entachées de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, constituent des livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et une activité économique au sens des articles 2, point 1, 4 et 5, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, dès lors qu'elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, indépendamment de l'intention d'un opérateur autre que l'assujetti concerné intervenant dans la même chaîne de livraisons et/ou de l'éventuelle nature frauduleuse, dont cet assujetti n'avait et ne pouvait avoir connaissance, d'une autre opération faisant partie de cette chaîne, antérieure ou postérieure à l'opération réalisée par ledit assujetti. Le droit d'un assujetti effectuant de telles opérations de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont ne saurait être affecté par le fait que dans la chaîne de livraisons dans laquelle s'inscrivent ces opérations, sans que ce même assujetti le sache ou puisse le savoir, une autre opération, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ce dernier, est entachée de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.

(cf. points 51-52, 55 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

12 janvier 2006 (*)

«Sixième directive TVA – Articles 2, point 1, 4, paragraphes 1 et 2, et 5, paragraphe 1 – Déduction de la TVA acquittée en amont – Activité économique – Assujetti agissant en tant que tel – Livraison de biens – Opération s’inscrivant dans une chaîne de livraisons dans laquelle est intervenu un opérateur défaillant ou un opérateur qui utilise un numéro d’assujetti à la TVA usurpé – Fraude de type ‘carrousel’»

Dans les affaires jointes C-354/03, C-355/03 et C-484/03,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni), par décisions des 28 juillet 2003 (C-354/03 et C‑355/03) et 27 octobre 2003 (C-484/03), parvenues à la Cour respectivement les 18 août et 19 novembre 2003, dans les procédures

Optigen Ltd (C-354/03),

Fulcrum Electronics Ltd (C-355/03),

Bond House Systems Ltd (C-484/03)

contre

Commissioners of Customs & Excise,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Malenovský, J.-P. Puissochet, S. von Bahr (rapporteur) et U. Lõhmus, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 décembre 2004,

considérant les observations présentées:

–       pour Optigen Ldt, par MM. T. Beazley, QC, et J. Herberg, barrister,

–       pour Fulcrum Electronics Ltd, par MM. R. Englehart, QC, et A. Lewis, barrister,

–       pour Bond House Systems Ltd, par MM. K. P. E. Lasok, QC, et M. Patchett-Joyce, barrister,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. Jackson (C‑354/03, C-355/03 et C-484/03) et M. K. Manji (C-484/03), en qualité d’agents, assistés de MM. R. Anderson, QC, et I. Hutton, barrister,

–       pour le gouvernement tchèque, par M. T. Boček, en qualité d’agent (C‑354/03, C-355/03 et C-484/03),

–       pour le gouvernement danois, par MM. J. Molde et A. Rahbøl Jacobsen, en qualité d’agents, assistés de Me P. Biering, advokat, (C‑484/03),

–       pour le Conseil du l’Union européenne, par Mme A.-M. Colaert et M. J. Monteiro, en qualité d’agents (C-354/03 et C-355/03),

–       pour la Commission des Communautés européennes, par M. R. Lyal, en qualité d’agent (C-354/03, C-355/03 et C-484/03),

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 février 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301), telle que modifiée par la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «première directive»), ainsi que sur l’interprétation de la sixième directive 77/388, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci-après la «sixième directive»).

2       Ces demandes ont été présentées dans le cadre de trois litiges opposant respectivement Optigen Ltd (ci-après «Optigen»), Fulcrum Electronics Ltd, en liquidation, (ci-après «Fulcrum»), et Bond House Systems Ltd (ci‑après «Bond House») aux Commissioners of Customs & Excise (ci-après les «Commissioners») au sujet du rejet par ces derniers de demandes de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA») acquittée sur l’achat, au Royaume-Uni, de microprocesseurs qui ont par la suite été exportés vers un autre État membre.

 Le cadre juridique

3       L’article 2 de la première directive est libellé comme suit:

«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.

À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.

Le système commun de taxe sur la valeur ajoutée est appliqué jusqu’au stade du commerce de détail inclus.»

4       Selon l’article 2, point 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA les livraisons de biens ainsi que les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

5       En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante, l’une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2 de cet article. La notion d’«activités économiques» est définie audit paragraphe 2 comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

6       Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de cette même directive, «[e]st considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»

7       L’article 17, paragraphes 1 à 3, de la sixième directive dispose:

«1.      Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2.      Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

b)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens importés;

[…]

3.      Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:

a)      de ses opérations relevant des activités économiques visées à l’article 4 paragraphe 2, effectuées à l’étranger, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l’intérieur du pays;

[…]»

 Les litiges au principal

8       Il ressort des décisions de renvoi que, à la date des faits au principal, l’activité des sociétés Optigen, Fulcrum et Bond House consistait principalement à acheter des microprocesseurs auprès de sociétés établies au Royaume-Uni et à les revendre à des acheteurs établis dans un autre État membre.

9       Pour le mois de juin 2002, Optigen a demandé le remboursement d’un solde net de TVA récupérable supérieur à 7 millions de GBP. Par décisions des 16 et 31 octobre 2002, les Commissioners ont rejeté cette demande en tant qu’elle portait sur un montant d’un peu plus de 7 millions de GBP. De même, par une décision du 30 octobre 2002, les Commissioners ont refusé à cette société le remboursement d’une somme d’un peu plus de 13 millions de GBP au titre du mois de juillet de la même année.

10     Pour le mois de juin 2002, Fulcrum a demandé le remboursement d’un solde net de TVA en amont de près de 7,2 millions de GBP. Par une décision du 11 novembre 2002, les Commissioners ont rejeté cette demande à hauteur d’un montant de près de 2 millions de GBP. De même, au titre du mois de juillet 2002, ils ont refusé le remboursement d’une somme d’environ 1,1 million de GBP sur une demande d’un montant total de près de 4 millions de GBP. En outre, en février 2003, les Commissioners ont adressé à Fulcrum un avis d’imposition portant sur une somme de près de 160 000 GBP au titre de la TVA en amont et correspondant, selon eux, à un montant erronément remboursé au titre du mois de mai 2002.

11     Bond House a présenté, pour le mois de mai 2002, une demande de remboursement d’un montant d’environ 16,3 millions de GBP au titre de la TVA acquittée en amont, demande qui a été rejetée par les Commissioners. En septembre 2002, ces derniers ont fait savoir à cette société qu’ils admettaient que, sur le montant total réclamé, un peu plus de 2,7 millions de GBP pouvaient donner lieu à remboursement.

12     Il ressort des décisions de renvoi que les opérations en cause s’inscrivaient dans des chaînes de livraisons dans lesquelles était intervenu, à l’insu des sociétés requérantes au principal, un opérateur défaillant, c’est-à-dire un opérateur redevable de la TVA mais qui avait disparu sans verser celle-ci aux autorités fiscales, ou un opérateur utilisant un numéro d’assujetti à la TVA usurpé, c’est-à-dire un numéro ne lui appartenant pas, ces pratiques constituant, selon les Commissioners, des fraudes de type «carrousel».

13     Selon les décisions de renvoi, dans les affaires C‑354/03 et C‑355/03, et selon les Commissioners, dans l’affaire C‑484/03, une fraude de type «carrousel» est en principe organisée selon les modalités suivantes:

–       Une société (A) établie dans un État membre vend des biens à une société (B) établie dans un second État membre.

–       La société B, qui est l’opérateur défaillant ou utilisant un numéro d’assujetti à la TVA usurpé, revend ces biens à perte à une société tampon (C), établie dans ce second État membre. Les ventes ultérieures peuvent ainsi être faites avec un bénéfice. La société B est redevable de la TVA sur l’achat desdits biens, mais, ayant utilisé ces mêmes biens pour des opérations taxables, elle bénéficie également du droit de déduire cette TVA en tant que taxe en amont. En revanche, elle est redevable de la taxe facturée en aval à la société C, mais elle disparaît avant d’en verser le montant au Trésor public.

–       La société C revend à son tour les biens concernés à une autre société tampon (D) dans le second État membre, versant la TVA facturée en aval au Trésor public après avoir déduit de celle-ci la TVA acquittée en amont, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’une société, dans le second État membre, exporte ces biens vers un autre État membre. Cette exportation est exonérée de la TVA, mais la société exportatrice a néanmoins le droit de demander le remboursement de la TVA acquittée en amont sur l’achat desdits biens. Lorsque l’acheteur est la société A, il s’agit d’une véritable fraude de type «carrousel».

–       La procédure peut être répétée.

14     Dans les affaires C-354/03 et C-355/03, la juridiction de renvoi indique que les Commissioners ont fondé leurs décisions sur l’affirmation selon laquelle, tout d’abord, en ce qui concerne les achats en cause au principal, Optigen et Fulcrum n’ont pas fait l’objet de livraisons utilisées ou à utiliser pour les besoins d’une activité commerciale aux fins de la TVA, de sorte que les montants de TVA prétendument acquittés à l’occasion de ces achats ne constituaient pas des taxes en amont au sens de la loi de 1994 sur la TVA (Value Added Tax Act 1994). Ensuite, au regard de la TVA, les ventes correspondantes ne constitueraient pas des livraisons effectuées dans le cadre d’une activité commerciale et ne feraient donc naître aucun droit à remboursement. Enfin, jugés objectivement, les achats et les ventes en cause au principal seraient dénués de substance économique et ne s’inscriraient pas dans le cadre d’une activité économique. Dès lors, ces achats ne pourraient pas être considérés comme des livraisons utilisées ou à utiliser pour les besoins d’une telle activité et ces ventes comme des livraisons effectuées dans le cadre d’une activité économique aux fins de la TVA.

15     Optigen et Fulcrum ont attaqué les décisions des Commissioners devant le VAT and Duties Tribunal, London. Celui-ci a joint les deux affaires.

16     Par décision du 23 mai 2003, le VAT and Duties Tribunal, London, a rejeté les recours présentés par ces sociétés, jugeant que les Commissioners avaient à bon droit considéré que les opérations en cause n’entraient pas dans le champ d’application de la TVA. Il a estimé qu’un opérateur n’a pas droit au remboursement de la TVA acquittée en amont sur des biens qu’il a ensuite revendus à des sociétés établies en dehors du Royaume-Uni lorsqu’un opérateur défaillant, ou un opérateur utilisant un numéro d’assujetti à la TVA usurpé, est intervenu dans la chaîne des livraisons, même si l’opérateur qui demande ce remboursement n’était en aucune manière impliqué dans les manquement ou usurpatio n de numéro d’assujetti à la TVA reprochés à l’autre opérateur, et n’avait pas connaissance de ceux-ci, ainsi que lorsque les chaînes de livraisons dans lesquelles s’inscrivaient les achats et les ventes de l’opérateur concerné faisaient partie à son insu d’une fraude de type «carrousel» commise par des tiers.

17     Optigen et Fulcrum ont interjeté appel de la décision du VAT and Duties Tribunal, London, devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division.

18     Dans l’affaire C-484/03, il ressort de la décision de renvoi que les Commissoners ont fait valoir que, dès lors que l’objectif des chaînes de livraisons en cause au principal était la fraude, toutes les opérations composant ces dernières, y compris celles effectuées par Bond House, étaient dénuées de substance économique. Il s’ensuivrait que, les transactions illégales n’entrant pas dans le champ d’application de la TVA, les montants payés en amont par Bond House à ses fournisseurs au titre de la TVA ne constitueraient pas des versements de TVA et cette société n’aurait donc pas droit au remboursement de ces montants.

19     En août 2002, Bond House a introduit un recours devant le VAT and Duties Tribunal, Manchester, contre la décision des Commissioners.

20     Par décision du 29 avril 2003, modifiée par un addenda du 8 mai 2003, le VAT and Duties Tribunal, Manchester, a jugé que 26 des 27 achats en cause au principal ne pouvaient être considérés comme constituant des activités économiques au sens de la sixième directive et étaient dès lors exclus du champ d’application de la TVA. Il a constaté que ces achats faisaient partie d’une série d’opérations poursuivant un objectif frauduleux. Même si Bond House ignorait cet objectif et n’avait commis aucune infraction, ces opérations seraient dépourvues de substance économique et devraient être appréciées selon des critères objectifs. Il serait donc indifférent que la demanderesse au principal n’ait commis aucune infraction. Enfin, Bond House ne pourrait se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime afin qu’il soit fait droit à sa demande de remboursement de la TVA acquittée en amont et les Commissioners, en privant ladite demanderesse de ce remboursement, n’auraient violé ni les principes de proportionnalité ou de sécurité juridique ni les droits de l’homme.

21     Bond House s’est pourvue en appel contre ce jugement devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division.

 Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

22     Dans les affaires C-354/03 et C-355/03, la juridiction de renvoi relève que les faits au principal sont présumés établis. Elle mentionne les faits suivants comme pertinents:

–       Il y a eu fraude de type «carrousel».

–       Optigen et Fulcrum, parties innocentes, n’étaient pas impliquées dans cette fraude, dont elles n’avaient pas connaissance et n’avaient pas de raison d’en avoir connaissance, si ce n’est en tant que clients ordinaires d’un commerçant et fournisseurs ordinaires d’une société établie dans un autre État membre.

–       Optigen et Fulcrum n’avaient aucun contact avec l’opérateur défaillant ou ayant utilisé un numéro d’assujetti à la TVA usurpé.

–       Les 9 achats réalisés par Fulcrum et pour lesquels le remboursement de la TVA lui a été refusé ne lui auraient pas semblé différents des 467 autres achats qu’elle a effectués au cours du trimestre concerné.

–       À la date à laquelle Optigen et Fulcrum ont acheté les biens et versé la TVA en amont, le «carrousel» n’était pas achevé et un opérateur défaillant n’avait pas encore «disparu», de sorte que l’un ou l’autre de ces événements aurait pu ne pas se produire.

23     Dans l’affaire C‑484/03, la juridiction de renvoi relève que Bond House conteste un nombre limité de constatations de faits ou de conclusions du VAT and Duties Tribunal, Manchester. Les faits suivants figurent parmi ceux qui ne sont pas contestés:

–       Bond House était bien considérée par les Commissioners et n’était soupçonnée d’aucune fraude à la TVA.

–       Cette société ignorait l’existence de la fraude alléguée par les Commissioners et n’a pas agi imprudemment.

–       Bond House n’a traité avec aucun des fournisseurs qui auraient, selon les Commissioners, agi de manière frauduleuse.

–       Toutes les opérations effectuées par Bond House ainsi que celles ayant été réalisées avant et après que cette société eut acheté et vendu les marchandises concernées étaient réelles: lors de chaque opération, ces marchandises ont changé de mains et ont donné lieu à un paiement.

–       Les opérations que le VAT and Duties Tribunal, Manchester, a jugées dépourvues de substance économique n’étaient pas différentes d’autres opérations réalisées par Bond House et dont la substance économique n’était pas contestée, puisque rien n’indiquait qu’elles faisaient partie d’une fraude de type «carrousel».

24     Bond House soutient en substance que, étant donné que les achats et les livraisons en cause au principal ont réellement été effectués, il ne saurait être affirmé qu’ils ne constituent pas des «livraisons» ou des «activités économiques» aux fins de la TVA uniquement en raison du fait que, à un autre point de la chaîne des livraisons, et sans que Bond House en ait eu connaissance, un fraudeur a facturé la TVA à un client, mais ne l’a pas déclarée aux Commissioners. En outre, il n’y aurait aucune raison de croire que les opérations qui ont été réalisées avant, ou après, l’accomplissement de la fraude et qui impliquaient des personnes qui ignoraient l’existence de cette fraude ou du fraudeur, faisaient partie de ladite fraude ou du plan du fraudeur. La décision du VAT and Duties Tribunal, Manchester, serait contraire à l’esprit du système commun de TVA. En tant que moyen de lutte contre la fraude, cette décision serait disproportionnée et susceptible d’avoir un effet dissuasif sur le commerce légitime, en violation de l’article 28 CE. Ladite décision serait également contraire au principe de sécurité juridique, les assujettis ne pouvant plus émettre de factures mentionnant la TVA, ou remplir leurs déclarations de taxe, avec un minimum de certitude.

25     Les Commissioners font valoir, en substance, que les opérations réalisées dans le cadre d’une fraude de type «carrousel» ne constituent pas des activités économiques au sens de la sixième directive. Les 26 opérations en cause au principal seraient donc dépourvues de substance économique et seraient exclues du champ d’application de ladite directive. Ces opérations ne relèveraient pas d’une «activité économique» et ne seraient pas des «livraisons» à, ou faites par, Bond House. La décision refusant à cette dernière le remboursement de la TVA en cause au principal n’emporterait aucune violation des principes de proportionnalité ou de sécurité juridique et ne porterait pas atteinte au respect des droits de l’homme.

26     C’est dans ces conditions que la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

Dans les affaires C‑354/03 et C‑355/03:

«1)      Dans le système commun de TVA, et eu égard à la première directive […] et à la sixième directive […], le droit d’un opérateur de se faire créditer la TVA acquittée pour une opération doit-il être apprécié au regard:

a)      seulement de l’opération spécifique à laquelle l’opérateur a pris part, y compris ses motifs pour y prendre part, ou

b)      de la totalité des opérations, y compris les opérations ultérieures, composant une chaîne de livraisons circulaire dont l’opération spécifique fait partie, y compris les motivations d’autres acteurs de la chaîne, que l’opérateur ne connaît pas et/ou ne peut pas connaître, et/ou

c)      des actes et intentions frauduleux, qu’ils aient lieu avant ou après l’opération spécifique, d’autres acteurs de la chaîne circulaire dont l’implication est inconnue de l’opérateur et alors que celui-ci ne connaît pas et/ou ne peut pas connaître les actes et intentions desdits acteurs, ou

d)      d’un autre critère et, dans ce cas, lequel?

2)      L’exclusion du régime de la TVA d’opérations auxquelles a participé une partie innocente, mais qui constituent les maillons d’une fraude de type ‘carrousel’ opérée par des tiers, est-elle contraire aux principes généraux de proportionnalité, d’égalité de traitement ou de sécurité juridique?»

Dans l’affaire C-484/03:

«1)      Eu égard aux principes généraux du droit communautaire (en particulier, aux principes de proportionnalité et de sécurité juridique) et à l’article 28 [CE]:

a)      dans les circonstances pertinentes, la demanderesse était-elle un ‘assujetti agissant en tant que tel’ au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive lorsque, dans les 26 opérations, elle a acheté les microprocesseurs aux vendeurs britanniques et les a revendus aux acheteurs non britanniques?

b)      dans les circonstances pertinentes, la demanderesse exerçait‑elle une ‘activité économique’ au sens de l’article 4 de la sixième directive lorsque, dans les 26 opérations, elle a acheté les microprocesseurs aux vendeurs britanniques et les a revendus aux acheteurs non britanniques?

c)      dans les circonstances pertinentes, l’achat par la demanderesse, dans les 26 opérations, des microprocesseurs auprès des vendeurs britanniques était-il une ‘livraison de biens’ à la demanderesse au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive?

d)      dans les circonstances pertinentes, la vente par la demanderesse, dans les 26 opérations, des microprocesseurs aux acheteurs non britanniques était-elle une ‘livraison de biens’ par la demanderesse au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive?

2)      Y a-t-il lieu de constater, au regard des réponses aux points a) à d) ci-dessus de la première question, que les principes généraux du droit communautaire ont été violés (en particulier les principes de proportionnalité et de sécurité juridique)?»

27     Par ordonnance du président de la Cour, du 19 septembre 2003, les affaires C‑354/03 et C‑355/03 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

28     Par la suite, par ordonnance du président de la Cour, du 15 juin 2004, ces affaires ont été jointes à l’affaire C‑484/03 aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Sur les premières questions

29     Par sa première question dans chacune des affaires, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir, d’une part, si des opérations telles que celles en cause au principal, qui ne sont pas elles-mêmes entachées de fraude à la TVA, mais qui s’inscrivent dans une chaîne de livraisons dont une autre opération, antérieure ou postérieure à celles-ci, est entachée d’une telle fraude, sans que l’opérateur économique effectuant les premières opérations le sache ou puisse le savoir, constituent des livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et une activité économique au sens des articles 2, point 1, 4 et 5, paragraphe 1, de la sixième directive et, d’autre part, si, dans de telles circonstances, le droit dudit opérateur économique de déduire la TVA acquittée en amont peut être limité.

 Observations soumises à la Cour

30     Optigen et Fulcrum estiment que dans le système commun de TVA, et eu égard aux première et sixième directives, le droit d’un opérateur au remboursement de la taxe acquittée pour une opération doit être apprécié au regard de l’opération spécifique à laquelle l’opérateur a pris part, y compris de ses motifs d’y prendre part, et non par référence à des opérations antérieures ou ultérieures dont cet opérateur n’a pas et ne peut avoir connaissance, ni par référence à des actes et intentions frauduleux d’autres opérateurs, dont l’implication est inconnue dudit opérateur et dont celui-ci n’a et/ou ne peut avoir connaissance.

31     Selon Bond House, il convient de répondre par l’affirmative à la première question posée dans l’affaire C-484/03.

32     Le gouvernement du Royaume-Uni soutient que dans le système commun de TVA et à la lumière des première et sixième directives, le droit d’un opérateur au remboursement de la taxe acquittée au titre d’une opération doit être apprécié au regard de l’ensemble des opérations, y compris des opérations ultérieures, formant un circuit de livraisons en chaîne dont l’opération spécifique fait partie, en tenant compte des motivations d’autres parties de la chaîne que cet opérateur ne connaît et/ou ne peut connaître, et des actes et intentions frauduleux, en amont ou en aval de l’opération spécifique, d’autres parties de la chaîne circulaire dont ledit opérateur ignore l’implication et dont il n’a et/ou ne peut avoir connaissance. Toutes les opérations d’un circuit de livraisons en chaîne dont l’unique objectif est de commettre une fraude au régime de la TVA sont, dès lors, totalement étrangères au champ d’application de la sixième directive et le fait que certaines de ces opérations ont impliqué un opérateur innocent n’est pas susceptible de les faire relever du champ d’application de ladite directive.

33     Le gouvernement tchèque fait valoir que, dès lors que l’objectif poursuivi par des opérations telles que celles en cause au principal est illicite, celles-ci ne peuvent être considérées comme des activités économiques au sens de la sixième directive.

34     Selon le gouvernement danois, d’une part, il appartient à l’assujetti qui souhaite déduire la TVA liée à la «livraison d’un bien» de démontrer que le droit de disposer des marchandises en qualité de propriétaire a été concrètement transféré à l’intéressé et, d’autre part, des transactions effectuées en circuit fermé ne relèvent pas du champ d’application de la TVA, étant donné que la personne concernée, en entrant dans un tel circuit, n’agit pas en qualité d’assujetti.

35     La Commission des Communautés européennes fait valoir que dans le système commun de TVA, et eu égard aux première et sixième directives, le droit d’un opérateur au remboursement de la TVA acquittée au titre d’une opération doit être apprécié au regard de l’opération spécifique à laquelle cet opérateur a été partie. Les opérations dont il n’a pas connaissance et les actes ou intentions frauduleux d’autres intervenants dans la chaîne des livraisons, dont l’implication lui est inconnue, n’affecteraient pas ce droit. Il s’ensuivrait que l’exclusion du régime de la TVA d’une opération qui doit être considérée comme une opération taxable est contraire à la sixième directive.

 Appréciation de la Cour

36     Il convient d’emblée de rappeler que la sixième directive établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables (voir, notamment, arrêt du 26 juin 2003, MGK-Kraftfahrzeuge-Factoring, C-305/01, Rec. p. I-6729, point 38).

37     À cet égard, la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA en visant, à l’article 2, relatif aux opérations imposables, outre les importations de biens, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

38     En ce qui concerne, d’abord, la notion de «livraisons de biens», l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, précise qu’est considéré comme une telle livraison le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

39     Il résulte de la jurisprudence de la Cour que cette notion inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à disposer en fait de ce bien comme si elle en était le propriétaire (voir, notamment, arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C-320/88, Rec. p. I-285, point 7, et du 21 avril 2005, C‑25/03, HE, Rec. p. I‑3123, point 64).

40     Ensuite, selon l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, de façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts et les résultats de cette activité.

41     La notion d’«activités économiques» est définie à l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive comme englobant «toutes» les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services et, selon la jurisprudence, elle inclut tous les stades de la production, de la distribution et de la prestation de services (voir, notamment, arrêts du 4 décembre 1990, Van Tiem, C-186/89, Rec. p. I-4363, point 17, et MGK-Kraftfahrzeuge-Factoring, précité, point 42).

42     Enfin, quant à la notion d’«assujetti agissant en tant que tel», il résulte de la jurisprudence qu’un assujetti agit en cette qualité lorsqu’il effectue des opérations dans le cadre de son activité taxable (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 1995, Armbrecht, C-291/92, Rec. p. I-2775, point 17, et du 29 avril 2004, EDM, C‑77/01, Rec. p. I‑4295, point 66).

43     Ainsi que la Cour l’a constaté au point 26 de l’arrêt du 12 septembre 2000, Commission/Grèce (C‑260/98, Rec. p. I‑6537), l’analyse des définitions des notions d’assujetti et d’activités économiques met en évidence l’étendue du champ d’application couvert par la notion d’activités économiques et son caractère objectif, en ce sens que l’activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats (voir, également, arrêt du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, 235/85, Rec. p. 1471, point 8, ainsi que, en ce sens, notamment arrêts du 14 février 1985, Rompelman, 268/83, Rec. p. 655, point 19¸ et du 27 novembre 2003, Zita Modes, C‑497/01, Rec. p. I-14393, point 38).

44     En fait, ladite analyse ainsi que celle des notions de livraisons de biens et d’assujetti agissant en tant que tel démontrent que ces notions, qui définissent les opérations taxables en vertu de la sixième directive, ont toutes un caractère objectif et qu’elles s’appliquent indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées.

45     Comme la Cour l’a constaté au point 24 de l’arrêt du 6 avril 1995, BLP Group (C‑4/94, Rec. p. I-983), une obligation pour l’administration fiscale de procéder à des enquêtes en vue de déterminer l’intention de l’assujetti serait contraire aux objectifs du système commun de TVA d’assurer la sécurité juridique et de faciliter les actes inhérents à l’application de la TVA par la prise en considération, sauf dans des cas exceptionnels, de la nature objective de l’opération concernée.

46     Serait a fortiori contraire auxdits objectifs une obligation pour l’administration fiscale, afin de déterminer si une opération donnée constitue une livraison effectuée par un assujetti agissant en tant que tel et une activité économique, de tenir compte de l’intention d’un opérateur autre que l’assujetti concerné intervenant dans la même chaîne de livraisons et/ou de l’éventuelle nature frauduleuse, dont cet assujetti n’avait et ne pouvait avoir connaissance, d’une autre opération faisant partie de cette chaîne, antérieure ou postérieure à l’opération réalisée par ledit assujetti.

47     Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 27 de ses conclusions, chaque opération doit être considérée en elle-même et la nature d’une opération déterminée dans la chaîne de livraisons ne saurait être altérée du fait d’événements antérieurs ou ultérieurs.

48     S’agissant de la jurisprudence invoquée par le gouvernement du Royaume-Uni selon laquelle la qualité d’assujetti n’est définitivement acquise que si la déclaration de l’intention de commencer les activités économique envisagées a été faite de bonne foi par l’intéressé (voir, notamment, arrêts du 8 juin 2000, Breitsohl, C-400/98, Rec. p. I-4321, point 39, et du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577, point 46), il suffit de constater que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 35 de ses conclusions, cette jurisprudence concerne la question de l’intention de commencer, et donc de mener, des activités économiques et non celle de la finalité poursuivie par ces activités.

49     Quant à l’argument du gouvernement du Royaume-Uni tiré de la jurisprudence de la Cour relative au non-assujettissement à la TVA des transactions illicites, il convient de rappeler que, d’une part, cette jurisprudence vise des marchandises qui, en raison de leur nature même et de leurs caractéristiques particulières, ne sont pas susceptibles d’être mises dans le commerce licite ni d’être intégrées au circuit économique. D’autre part, il ressort d’une jurisprudence constante que le principe de neutralité fiscale s’oppose à une différenciation généralisée entre les transactions licites et les transactions illicites. Il en résulte que la qualification d’un comportement comme répréhensible n’entraîne pas, à elle seule, une exception à l’imposition. Une telle exception ne joue que dans des situations spécifiques dans lesquelles, en raison des caractéristiques particulières de certaines marchandises ou de certaines prestations, toute concurrence entre un secteur économique licite et un secteur illicite est exclue (voir, notamment, arrêts du 29 juin 1999, Coffeeshop «Siberië», C-158/98, Rec. p. I-3971, points 14 et 21, ainsi que du 29 juin 2000, Salumets e.a., C-455/98, Rec. p. I-4993, point 19).

50     Or, il est constant que tel n’est pas le cas des microprocesseurs en cause au principal.

51     Il s’ensuit que des opérations telles que celles en cause au principal, qui ne sont pas elles-mêmes entachées de fraude à la TVA, constituent des livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et une activité économique au sens des articles 2, point 1, 4 et 5, paragraphe 1, de la sixième directive, dès lors qu’elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, indépendamment de l’intention d’un opérateur autre que l’assujetti concerné intervenant dans la même chaîne de livraisons et/ou de l’éventuelle nature frauduleuse, dont cet assujetti n’avait et ne pouvait avoir connaissance, d’une autre opération faisant partie de cette chaîne de livraisons, antérieure ou postérieure à l’opération réalisée par ledit assujetti.

52     Le droit d’un assujetti effectuant de telles opérations de déduire la TVA acquittée en amont ne saurait non plus être affecté par la circonstance que dans la chaîne de livraisons dans laquelle s’inscrivent ces opérations, sans que cet assujetti le sache ou puisse le savoir, une autre opération, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ce dernier, est entachée de fraude à la TVA.

53     En effet, ainsi que la Cour l’a rappelé à maintes reprises, le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, notamment, arrêts du 6 juillet 1995, BP Soupergaz, C‑62/93, Rec. p. I-1883, point 18, et Gabalfrisa e.a., précité, point 43).

54     La question de savoir si la TVA due sur les opérations de ventes antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont (voir, en ce sens, ordonnance du 3 mars 2004, Transport Service, C-395/02, Rec. p. I-1991, point 26). Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, selon le principe fondamental inhérent au système commun de TVA et résultant des articles 2 des première et sixième directives, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (voir, notamment, arrêts du 8 juin 2000, Midland Bank, C‑98/98, Rec. p. I-4177, point 29, et Zita Modes, précité, point 37).

55     Dès lors, il convient de répondre à la première question préjudicielle dans chacune des affaires que des opérations telles que celles en cause au principal, qui ne sont pas elles-mêmes entachées de fraude à la TVA, constituent des livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et une activité économique au sens des articles 2, point 1, 4 et 5, paragraphe 1, de la sixième directive, dès lors qu’elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, indépendamment de l’intention d’un opérateur autre que l’assujetti concerné intervenant dans la même chaîne de livraisons et/ou de l’éventuelle nature frauduleuse, dont cet assujetti n’avait et ne pouvait avoir connaissance, d’une autre opération faisant partie de cette chaîne, antérieure ou postérieure à l’opération réalisée par ledit assujetti. Le droit d’un assujetti effectuant des telles opérations de déduire la TVA acquittée en amont ne saurait être affecté par le fait que dans la chaîne de livraisons dans laquelle s’inscrivent ces opérations, sans que ce même assujetti le sache ou puisse le savoir, une autre opération, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ce dernier, est entachée de fraude à la TVA.

 Sur les secondes questions

56     Eu égard à la réponse apportée à la première question dans chacune des affaires, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question dans chacune de ces affaires.

 Sur les dépens

57     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Des opérations telles que celles en cause au principal, qui ne sont pas elles-mêmes entachées de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, constituent des livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et une activité économique au sens des articles 2, point 1, 4 et 5, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, dès lors qu’elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, indépendamment de l’intention d’un opérateur autre que l’assujetti concerné intervenant dans la même chaîne de livraisons et/ou de l’éventuelle nature frauduleuse, dont cet assujetti n’avait et ne pouvait avoir connaissance, d’une autre opération faisant partie de cette chaîne, antérieure ou postérieure à l’opération réalisée par ledit assujetti. Le droit d’un assujetti effectuant de telles opérations de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont ne saurait être affecté par le fait que dans la chaîne de livraisons dans laquelle s’inscrivent ces opérations, sans que ce même assujetti le sache ou puisse le savoir, une autre opération, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ce dernier, est entachée de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.