62002J0092

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 4 décembre 2003. - Nina Kristiansen contre Rijksdienst voor Arbeidsvoorziening. - Demande de décision préjudicielle: Arbeidsrechtbank Tongeren - Belgique. - Sécurité sociale - Régime national de prestations de chômage prévoyant une règle anticumul avec certains revenus - Allocation de chômage des anciens agents temporaires des Communautés européennes - Libre circulation des travailleurs - Régime national d'assurance chômage - Qualification d'une activité postuniversitaire - Activité d'étudiant stagiaire boursier - Qualification différente dans d'autres États membres de l'EEE - Discrimination. - Affaire C-92/02.

Recueil de jurisprudence 2003 page 00000


Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Parties


Dans l'affaire C-92/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par l'Arbeidsrechtbank van het Arrondissement Tongeren (Belgique) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Nina Kristiansen

et

Rijksdienst voor Arbeidsvoorziening,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), et du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2),

LA COUR (cinquième chambre)

composée de M. C. W. A. Timmermans, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. A. O. Edward et A. La Pergola (rapporteur), juges,

avocat général: M. S. Alber,

greffier: M. R. Grass,

considérant les observations écrites présentées, pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Martin, en qualité d'agent,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 mars 2003,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1. Par jugement du 11 mars 2002, parvenu à la Cour le 15 mars suivant, l'Arbeidsrechtbank van het Arrondissement Tongeren a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, ci-après le «règlement n° 1408/71»), et du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mme Kristiansen au Rijksdienst voor Arbeidsvoorziening (Office national de l'emploi, ci-après le «RVA»), au sujet d'une demande d'allocations de chômage qu'elle avait présentée et qui a été rejetée par celui-ci.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3. L'article 67 du règlement n° 1408/71, intitulé «Totalisation des périodes d'assurance ou d'emploi», dispose:

«1. L'institution compétente d'un État membre dont la législation subordonne l'acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l'accomplissement de périodes d'assurance tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assurance ou d'emploi accomplies en qualité de travailleur salarié sous la législation de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes d'assurance accomplies sous la législation qu'elle applique, à condition toutefois que les périodes d'emploi eussent été considérées comme périodes d'assurance si elles avaient été accomplies sous cette législation.

2. L'institution compétente d'un État membre dont la législation subordonne l'acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l'accomplissement de périodes d'emploi tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assurance ou d'emploi accomplies en qualité de travailleur salarié sous la législation de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes d'emploi accomplies sous la législation qu'elle applique.

3. Sauf dans les cas visés à l'article 71 paragraphe 1 point a) ii) et point b) ii), l'application des dispositions des paragraphes 1 et 2 est subordonnée à la condition que l'intéressé ait accompli en dernier lieu:

- dans le cas du paragraphe 1, des périodes d'assurance,

- dans le cas du paragraphe 2, des périodes d'emploi,

selon des dispositions de la législation au titre de laquelle les prestations sont demandées.

4. Lorsque la durée d'octroi des prestations dépend de la durée des périodes d'assurance ou d'emploi, les dispositions du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 sont applicables, selon le cas.»

4. L'article 28 bis du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après le «RAA»), introduit par le règlement (CECA, CEE, Euratom) n° 2799/85 du Conseil, du 27 septembre 1985, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés (JO L 265, p. 1), dispose:

«1 L'ancien agent temporaire se trouvant sans emploi après la cessation de son service auprès d'une institution des Communautés européennes:

- qui n'est pas titulaire d'une pension d'ancienneté ou d'invalidité à charge des Communautés européennes,

- dont la cessation de service n'est pas consécutive à une démission ou à une résiliation du contrat pour motif disciplinaire,

- qui a accompli une durée minimale de service de six mois,

- et qui est résident dans un État membre des Communautés,

bénéficie d'une allocation mensuelle de chômage dans les conditions déterminées ci-après.

Lorsqu'il peut prétendre à une allocation de chômage au titre d'un régime national, il est tenu d'en faire la déclaration auprès de l'institution dont il relevait, qui en informe immédiatement la Commission. Dans ce cas, le montant de cette allocation vient en déduction de celle versée au titre du paragraphe 3.

2. Pour bénéficier de l'allocation de chômage, l'ancien agent temporaire:

a) est, à sa demande, inscrit comme demandeur d'emploi auprès des services de l'emploi de l'État membre où il établit sa résidence;

b) devra remplir les obligations prévues par la législation de cet État membre incombant au titulaire des prestations de chômage au titre de cette législation;

c) est tenu de transmettre mensuellement à l'institution dont il relevait, qui la transmet immédiatement à la Commission, une attestation émanant du service national compétent, précisant s'il a ou non satisfait aux obligations fixées aux points a) et b).

La prestation peut être accordée ou maintenue par la Communauté, malgré le fait que les obligations nationales visées au point b) ne sont pas remplies, en cas de maladie, d'accident, de maternité, d'invalidité ou de situation reconnue comme analogue, ou de dispense par l'autorité nationale compétente de satisfaire à ces obligations.

[...]

4. L'allocation de chômage est versée à l'ancien agent temporaire pour une période maximale de vingt-quatre mois à compter du jour de la cessation de son service. Si, toutefois, au cours de cette période, l'ancien agent temporaire cesse de remplir les conditions prévues aux paragraphes 1 et 2, le versement de l'allocation est interrompu. L'allocation est de nouveau versée si, avant l'expiration de cette période, l'ancien agent temporaire remplit à nouveau lesdites conditions sans avoir acquis le droit à une allocation de chômage nationale.

[...]

8. L'allocation de chômage versée à l'ancien agent temporaire demeuré sans emploi est soumise au règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 260/68 portant fixation des conditions et de la procédure d'application de l'impôt communautaire établi au profit des Communautés européennes.

9. Les services nationaux compétents en matière d'emploi et de chômage, agissant dans le cadre de leur législation nationale, et la Commission assurent une coopération efficace pour la bonne application du présent article.»

5. L'article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1612/68 dispose:

«Toute clause de convention collective ou individuelle ou d'autre réglementation collective portant sur l'accès à l'emploi, l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail et de licenciement est nulle de plein droit dans la mesure où elle prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l'égard des travailleurs ressortissant des autres États membres.»

La réglementation nationale

6. L'article 30 de l'arrêté royal, du 25 novembre 1991, portant réglementation du chômage (Moniteur belge du 31 décembre 1991, ci-après l'«arrêté royal»), dispose:

«Pour être admis au bénéfice des allocations de chômage, le travailleur à temps plein doit accomplir un stage comportant le nombre de journées de travail mentionné ci-après:

[...]

2° 468 au cours des 27 mois précédant cette demande s'il est âgé de 36 à moins de 50 ans,

[...]

La période de référence visée au premier alinéa est prolongée du nombre de jours que comporte la période:

[...]

3° d'exercice pendant une période de six mois au moins d'une profession qui n'assujettit pas le travailleur à la sécurité sociale pour le secteur chômage; cette prolongation ne peut dépasser neuf ans.»

7. L'article 37, paragraphe 1, de l'arrêté royal prévoit:

«Pour l'application du présent chapitre, sont prises en considération les prestations de travail effectuées dans une profession ou une entreprise assujetties à la sécurité sociale, secteur chômage, pour lesquelles simultanément:

1° a été payée une rémunération au moins égale au salaire minimum

[...]

2° ont été opérées sur la rémunération payée les retenues réglementaires pour la sécurité sociale, y compris celles pour le secteur chômage.»

8. L'article 44 de l'arrêté royal énonce:

«Pour pouvoir bénéficier d'allocations, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.»

9. L'article 46, paragraphe 1, de l'arrêté royal est libellé comme suit:

«Pour l'application de l'article 44, sont notamment considérés comme rémunération:

[...]

5° l'indemnité à laquelle le travailleur peut prétendre du fait de la rupture du contrat de travail, à l'exception de l'indemnité pour dommage moral et de l'indemnité qui est octroyée en complément de l'allocation de chômage;

[...]

Pour l'application du premier alinéa, 5°, est considérée comme une indemnité qui est octroyée en complément de l'allocation de chômage l'indemnité ou une partie de l'indemnité octroyée suite au désengagement d'un chômeur involontaire, si les conditions mentionnées sont remplies:

- l'indemnité n'a pas été considérée par les parties comme une indemnité de préavis;

- l'indemnité ou une partie de celle-ci ne peut se substituer aux avantages octroyés dans le cadre d'un régime normal de licenciement, étant donné que ces derniers avantages ont été réellement accordés.»

10. Aux termes de l'article 14 de l'arrêté ministériel, du 26 novembre 1991, portant modalités d'application de la réglementation du chômage (Moniteur belge du 25 janvier 1992, ci-après l'«arrêté ministériel»):

«N'entrent pas en ligne de compte, pour le calcul du nombre requis de journées de travail, les prestations de travail fournies dans une profession ou dans une entreprise non assujetties à la sécurité sociale, secteur chômage, même si les retenues ont été effectuées.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11. Mme Kristiansen, née le 17 novembre 1961, de nationalité norvégienne, a exercé, du 1er juin 1988 au 1er novembre 1994, une activité professionnelle en Norvège, après y avoir terminé ses études universitaires. Elle a été assujettie, durant cette période d'activité professionnelle, à la sécurité sociale norvégienne.

12. Du 1er novembre 1994 au 31 octobre 1996, Mme Kristiansen a travaillé à l'Institut des matériaux et mesures de référence (ci-après l'«IMMR») à Geel (Belgique), en vertu d'un contrat conclu avec la Commission des Communautés européennes («Individual Fellowship Contract», ci-après le «Fellowship Contract»). Ce contrat avait pour objet le perfectionnement de la qualification professionnelle des jeunes travailleurs. Mme Kristiansen a participé à ce titre à un projet de formation à la recherche («research training project»), dont les conditions étaient annexées à son contrat. Selon ces conditions, elle ne percevait aucune rémunération, mais il lui était alloué un montant mensuel couvrant ses frais de déplacement et de séjour. En outre, les cotisations de sécurité sociale et les impôts étaient à sa charge. Elle n'était pas assujettie à la sécurité sociale belge.

13. À l'expiration du Fellowship Contract, Mme Kristiansen est restée sans activité pendant un mois.

14. Du 1er décembre 1996 au 30 novembre 1999, elle a travaillé à la Commission en vertu d'un contrat d'agent temporaire dans le cadre duquel elle était affiliée au régime de sécurité sociale des fonctionnaires et des agents des Communautés européennes.

15. À l'échéance de ce contrat, Mme Kristiansen a sollicité l'octroi d'allocations de chômage en Belgique. Par décision du 23 juin 2000, le RVA a rejeté ladite demande au motif que Mme Kristiansen ne remplissait pas les conditions prévues par la réglementation belge, qui exige d'avoir accompli 468 journées de travail ou journées assimilées au cours de la période de référence applicable et qui concerne les 27 mois précédant sa demande.

16. Dans sa décision, le RVA a refusé de prendre en considération les prestations accomplies par Mme Kristiansen en tant qu'employée de la Commission au cours de la période allant du 1er décembre 1996 au 30 novembre 1999. Il a motivé sa décision par le fait que ces prestations ont été effectuées dans le cadre d'une profession ou d'une entreprise non assujettie à la sécurité sociale, secteur chômage, et ne pouvaient de ce fait être prises en compte, en application des articles 37, paragraphe 1, de l'arrêté royal et 14 de l'arrêté ministériel. Néanmoins, le RVA a estimé que ladite activité professionnelle prolongeait la période de référence pour l'admission au régime national belge des allocations de chômage, en application de l'article 30, troisième alinéa, de l'arrêté royal.

17. En ce qui concerne l'activité que Mme Kristiansen avait exercée pendant la période comprise entre le 1er novembre 1994 et le 31 octobre 1996 à l'IMMR, le RVA a considéré, en revanche, que, s'agissant d'une période de formation que Mme Kristiansen aurait accomplie en qualité d'étudiante stagiaire, titulaire d'une bourse, une telle période ne prolongeait pas la période de référence, en application de l'article 30, troisième alinéa, de l'arrêté royal.

18. Dans ces conditions, Mme Kristiansen ne justifierait pas d'un nombre de journées de travail suffisant pour obtenir l'allocation de chômage prévue par la législation belge.

19. Mme Kristiansen a attaqué la décision du RVA devant l'Arbeidsrechtbank van het Arrondissement Tongeren.

20. Devant la juridiction de renvoi, Mme Kristiansen a fait valoir que les activités qu'elle a exercées à l'IMMR, au titre du Fellowship Contract, constituaient une activité professionnelle. À cet égard, elle a soutenu qu'une telle période de formation à l'IMMR fait l'objet d'un statut particulier de droit international résultant de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l'«accord EEE»). Elle souligne que, dans certains États membres parties à l'accord EEE, une fonction postuniversitaire à l'IMMR est considérée comme constituant une activité professionnelle soumise ou non à la sécurité sociale, tandis qu'en Belgique elle est considérée comme un stage d'étudiant, titulaire d'une bourse. Dans cet État membre, un étudiant titulaire d'une bourse ne peut pas bénéficier, volontairement, du régime de sécurité sociale auquel sont soumises les activités professionnelles. Selon Mme Kristiansen, une telle inégalité dans le statut social d'une personne exerçant une fonction postuniversitaire engendrerait une incompatibilité avec l'article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1612/68.

21. Le RVA a soutenu que l'activité exercée par Mme Kristiansen à l'IMMR n'est pas une activité professionnelle, mais une formation en qualité d'étudiante stagiaire, titulaire d'une bourse. En effet, il ressortirait de l'article 7 de l'annexe du Fellowship Contract, relative aux conditions générales, que l'intéressée n'aurait perçu aucune rémunération, mais qu'il lui aurait été alloué un montant mensuel couvrant ses frais de déplacement et de séjour, et qu'elle n'aurait pas été assujettie à la sécurité sociale. De ce fait, l'activité exercée par Mme Kristiansen à l'IMMR ne prolongerait pas non plus la période de référence pour l'admission au bénéfice des allocations de chômage.

22. La juridiction de renvoi estime qu'il y a lieu de résoudre deux problèmes. Le premier porte sur la question de savoir si d'anciens agents temporaires de la Commission résidant en Belgique peuvent avoir droit aux allocations de chômage prévues par la réglementation belge, après la cessation de leur activité professionnelle dans cette institution et alors même qu'aucune retenue de sécurité sociale n'a été effectuée et que les intéressés peuvent bénéficier d'allocations de chômage versées par la Commission. Le second problème porte sur la question de savoir si la décision du RVA, aux termes de laquelle un étudiant postuniversitaire engagé par l'IMMR au titre du Fellowship Contract est considéré comme un étudiant stagiaire, titulaire d'une bourse, est contraire à la réglementation communautaire en ce qu'elle viole le principe de non-discrimination, voire le principe de la libre circulation des travailleurs.

23. C'est dans ces conditions que l'Arbeidsrechtbank van het Arrondissement Tongeren a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) S'agissant d'agents temporaires de la CE résidant en Belgique après la cessation de leurs prestations auprès de la CE, pour lesquels aucune retenue de sécurité sociale n'a été effectuée et qui peuvent bénéficier d'une allocation de chômage versée par la CE, les dispositions du règlement [...] n° 1408/71 [...] s'opposent-elles à la pleine application, à l'égard desdits agents temporaires, de la législation nationale, en tenant compte de la règle nationale anticumul qui prévoit que, conformément aux conditions d'octroi de l'allocation de chômage, le travailleur doit être sans travail et sans salaire, alors que sont en particulier considérés comme un salaire: l'indemnité de préavis ou les dommages-intérêts pour résiliation du contrat de travail auxquels le travailleur a éventuellement droit, à l'exception de ceux qui couvrent le préjudice moral?

2) Le règlement [...] n° 1612/68 [...] (titre II, article 7, paragraphe 4), qui prévoit qu'il y a lieu de tendre à l'uniformité au niveau de la sécurité sociale et d'éviter toute discrimination, s'oppose-t-il à ce qu'il existe (selon la demanderesse) une inégalité dans le statut social d'une personne exerçant une fonction postuniversitaire au sein de l'EEE; à ce qu'une fonction postuniversitaire soit considérée, dans divers États membres de l'EEE, comme une activité professionnelle assujettie ou non à la sécurité sociale, alors qu'en Belgique une personne exerçant une fonction postuniversitaire est considérée (à tort selon la demanderesse) comme un étudiant stagiaire boursier, sachant qu'une personne dans cette situation doit s'assurer elle-même sous le régime national belge, alors que celui-ci ne prévoit pas cette possibilité sur une base volontaire (du moins pour le secteur de l'assurance chômage)?»

Sur les questions préjudicielles

24. À titre liminaire, il y a lieu de constater que, en vertu des articles 28 et 29 ainsi que des annexes V et VI de l'accord EEE, les règlements nos 1612/68 et 1408/71 sont applicables aux ressortissants norvégiens. Dans la mesure où il ressort du jugement de renvoi que Mme Kristiansen, qui réside en Belgique, est de nationalité norvégienne, elle peut se prévaloir des dispositions desdits règlements.

Sur la première question

25. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si le règlement nº 1408/71 s'oppose à l'application d'un régime national d'allocations de chômage et, plus particulièrement, d'une disposition nationale anticumul prévue par ce régime à un ancien agent temporaire de la Commission résidant dans un État membre et qui peut bénéficier d'allocations de chômage versées par cette dernière.

26. À cet égard, il résulte du jugement de renvoi que Mme Kristiansen a exercé des activités comme agent temporaire de la Commission entre le 1er décembre 1996 et le 30 novembre 1999 et que, par la suite, elle a bénéficié, en tant qu'ancien agent temporaire, des allocations de chômage prévues par le RAA.

27. Il s'ensuit que, d'une part, ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre dans ses observations, la première question s'inscrit dans le cadre du RAA et concerne plus particulièrement le rapport entre les dispositions de ce régime applicables aux anciens agents temporaires et les dispositions anticumul du régime de chômage belge.

28. D'autre part, il résulte d'une jurisprudence constante que, en vue de fournir une réponse utile à la juridiction qui lui a adressé une question préjudicielle, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes de droit communautaire auxquelles le juge national n'a pas fait référence dans sa question (arrêts du 20 mars 1986, Tissier, 35/85, Rec. p. 1207, point 9; du 27 mars 1990, Bagli Pennacchiotti, C315/88, Rec. p. I-1323, point 10, et du 18 novembre 1999, Teckal, C107/98, Rec. p. I-8121, point 39).

29. Or, s'agissant des dispositions applicables aux anciens agents temporaires, l'article 28 bis du RAA contient une disposition spéciale concernant le rapport entre les prestations de chômage communautaires et celles des régimes nationaux.

30. Dans ces conditions, pour donner une interprétation du droit communautaire utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu d'interpréter les dispositions pertinentes du RAA et non celles du règlement nº 1408/71.

31. À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que, aux termes d'une jurisprudence constante, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 33 de ses conclusions, le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et que, en l'absence d'une harmonisation au niveau communautaire, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer, d'une part, les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale et, d'autre part, les conditions qui donnent droit à des prestations. Il demeure toutefois que, dans l'exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit communautaire (arrêt du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, C157/99, Rec. p. I-5473, points 44 à 46).

32. En second lieu, ainsi que la Commission l'a souligné dans ses observations, le RAA a été arrêté par un règlement du Conseil qui, en vertu de l'article 249, deuxième alinéa, CE, a une portée générale et est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tous les États membres. Il s'ensuit que, en dehors des effets qu'il déploie dans l'ordre intérieur de l'administration communautaire, le RAA oblige les États membres dans toute la mesure où leur concours est nécessaire à sa mise en oeuvre (arrêt du 7 mai 1987, Commission/Belgique, 186/85, Rec. p. 2029, point 21).

33. Dans ce contexte, il convient de relever que l'article 28 bis, paragraphe 1, second alinéa, du RAA prévoit que, lorsqu'un ancien agent temporaire peut prétendre à une allocation de chômage au titre d'un régime national, «[...] le montant de cette allocation vient en déduction de celle versée au titre du [régime communautaire]». Cette disposition établit ainsi le caractère complémentaire du régime communautaire d'allocations de chômage par rapport à ceux des États membres.

34. Dès lors qu'il trouve son fondement dans l'article 28 bis, paragraphe 1, second alinéa, du RAA, lui-même, le caractère complémentaire du régime communautaire d'allocations de chômage s'impose aux États membres et ne peut être méconnu par des dispositions législatives nationales (arrêt Commission/Belgique, précité, point 23).

35. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de répondre à la première question que l'article 28 bis, paragraphe 1, second alinéa, du RAA établit le caractère complémentaire du régime communautaire d'allocations de chômage par rapport aux régimes des États membres, lequel ne saurait être méconnu lors de l'application du régime d'allocations de chômage d'un État membre et, notamment, d'une disposition anticumul prévue par ce dernier régime à un ancien agent temporaire résidant dans ledit État membre et qui peut bénéficier d'allocations de chômage versées en vertu du RAA.

Sur la seconde question

36. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si le principe de non-discrimination énoncé à l'article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1612/68 s'oppose à ce qu'une personne exerçant une fonction postuniversitaire, telle que celle prévue par le Fellowship Contract, soit considérée dans un État membre comme un étudiant stagiaire boursier n'ayant pas accès au régime national d'assurance chômage, alors que, dans d'autres États membres, une personne exerçant une fonction identique est considérée comme ayant une activité professionnelle pouvant bénéficier d'un tel régime d'assurance chômage.

37. À cet égard, il suffit de constater, en premier lieu, que, ainsi qu'il a été rappelé au point 31 du présent arrêt, le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et que, en l'absence d'une harmonisation au niveau communautaire, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer, d'une part, les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale et, d'autre part, les conditions qui donnent droit à des prestations (arrêt Smits et Peerbooms, précité, points 44 et 45).

38. En second lieu, en interdisant à chaque État membre, dans le champ de compétence du traité CE, d'appliquer le droit national d'une manière qui diffère en fonction de la nationalité des personnes intéressées, le principe de non-discrimination, inscrit tant à l'article 39, paragraphe 2, CE qu'à l'article 7 du règlement n° 1612/68, ne vise pas les éventuelles différences de traitement qui peuvent résulter, d'un État membre à l'autre, des divergences entre les législations nationales, pour autant que ces différences affectent les personnes entrant dans le champ d'application de ces législations de manière identique, selon des critères objectifs et sans considération de leur nationalité.

39. Dans ce contexte, s'agissant plus particulièrement de la réglementation belge en matière de sécurité sociale, cette dernière ne saurait être considérée comme contraire au droit communautaire pour le seul motif qu'elle qualifie la fonction postuniversitaire exercée par Mme Kristiansen à l'IMMR de fonction d'étudiant stagiaire, titulaire d'une bourse, n'ouvrant pas droit au régime national d'assurance chômage, pour autant qu'un ressortissant belge ayant exercé les mêmes activités est traité de manière identique.

40. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la seconde question que le principe de non-discrimination énoncé à l'article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1612/68 ne s'oppose pas à ce qu'une personne exerçant une fonction postuniversitaire, telle que celle dans l'affaire au principal, soit considérée, dans un État membre, comme un étudiant stagiaire, titulaire d'une bourse, n'ayant pas accès au régime national d'assurance chômage, alors même que, dans d'autres États membres, une personne exerçant une fonction identique est considérée comme ayant une activité professionnelle pouvant bénéficier du régime d'assurance chômage.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

41. Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

statuant sur les questions à elle soumises par l'Arbeidsrechtbank van het Arrondissement Tongeren, par jugement du 11 mars 2002, dit pour droit:

1) L'article 28 bis, paragraphe 1, second alinéa, du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes établit le caractère complémentaire du régime communautaire d'allocations de chômage par rapport aux régimes des États membres, lequel ne saurait être méconnu lors de l'application du régime d'allocations de chômage d'un État membre et, notamment, d'une disposition anticumul prévue par ce dernier régime à un ancien agent temporaire résidant dans ledit État membre et qui peut bénéficier d'allocations de chômage versées en vertu du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes.

2) Le principe de non-discrimination énoncé à l'article 7, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 1612/68, du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, ne s'oppose pas à ce qu'une personne exerçant une fonction postuniversitaire, telle que celle dans l'affaire au principal, soit considérée, dans un État membre, comme un étudiant stagiaire, titulaire d'une bourse, n'ayant pas accès au régime national d'assurance chômage, alors même que, dans d'autres États membres, une personne exerçant une fonction identique est considérée comme ayant une activité professionnelle pouvant bénéficier du régime d'assurance chômage.