ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

10 mars 2016 ( *1 )

«Pourvoi — Concurrence — Marché du ‘ciment et des produits connexes’ — Procédure administrative — Règlement (CE) no 1/2003 — Article 18, paragraphes 1 et 3 — Décision de demande de renseignements — Motivation — Précision de la demande»

Dans l’affaire C‑247/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 20 mai 2014,

HeidelbergCement AG, établie à Heidelberg (Allemagne), représentée par Mes U. Denzel, C. von Köckritz et P. Pichler, Rechtsanwälte,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. M. Kellerbauer, L. Malferrari et R. Sauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 juin 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 octobre 2015,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, HeidelbergCement AG (ci-après «HeidelbergCement») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 mars 2014, HeidelbergCement/Commission (T‑302/11, EU:T:2014:128, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2011) 2361 final de la Commission, du 30 mars 2011, relative à une procédure d’application de l’article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (affaire COMP/39520 – Ciment et produits connexes) (ci-après la «décision litigieuse»).

Le cadre juridique

2

Le considérant 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), énonce:

«La Commission doit disposer dans toute [l’Union] du pouvoir d’exiger les renseignements qui sont nécessaires pour déceler les accords, décisions et pratiques concertées interdits par l’article [101 TFUE] [...]»

3

L’article 18 du règlement no 1/2003, intitulé «Demandes de renseignements», dispose, à ses paragraphes 1 et 3:

«1.   Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut, par simple demande ou par voie de décision, demander aux entreprises et associations d’entreprises de fournir tous les renseignements nécessaires.

[...]

3.   Lorsque la Commission demande par décision aux entreprises et associations d’entreprises de fournir des renseignements, elle indique la base juridique et le but de la demande, précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel ils doivent être fournis. Elle indique également les sanctions prévues à l’article 23 et indique ou inflige les sanctions prévues à l’article 24. Elle indique encore le droit de recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision.

[...]»

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

4

Le Tribunal décrit comme suit les faits à l’origine du litige:

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

5

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 2011, HeidelbergCement a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

6

À l’appui de son recours, elle a invoqué cinq moyens, tirés, premièrement, de la violation de l’article 18 du règlement no 1/2003, deuxièmement, de la violation du principe de proportionnalité, troisièmement, d’une insuffisance de motivation de la décision litigieuse, quatrièmement, de la violation du «principe de précision» et, cinquièmement, d’une violation de ses droits de la défense.

7

Le Tribunal a jugé que chacun de ces moyens était non fondé et, par conséquent, a rejeté le recours.

Les conclusions des parties

8

HeidelbergCement demande à la Cour:

d’annuler l’arrêt attaqué;

d’annuler la décision litigieuse en tant qu’elle concerne la requérante;

à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal afin qu’il statue conformément aux points de droit tranchés par la Cour, et

de condamner la Commission aux dépens exposés par la requérante devant le Tribunal et devant la Cour.

9

La Commission demande à la Cour:

de rejeter le pourvoi;

à titre subsidiaire, en cas d’annulation de l’arrêt attaqué, de rejeter le recours, et

de condamner la requérante aux dépens.

Sur le pourvoi

10

À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque sept moyens. Le premier moyen est tiré du contrôle insuffisant et de l’application erronée des exigences relatives à l’indication du but de la demande de renseignements, prévues à l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003. Le deuxième moyen est relatif à l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal lors de son appréciation de l’obligation de motivation du choix de la mesure d’instruction et la fixation du délai de réponse. Le troisième moyen est tiré de l’examen, de l’interprétation et de l’application erronés du «caractère nécessaire» des renseignements demandés, au sens de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003. Le quatrième moyen porte sur la violation de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, eu égard à l’absence d’obligation de préparation, de présentation et de traitement des renseignements demandés. Le cinquième moyen est tiré de la contradiction des motifs retenus par le Tribunal lors de son appréciation du grief tiré de la brièveté du délai de réponse à la demande de renseignements. Par son sixième moyen, la requérante estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en violant l’exigence de précision des actes juridiques et n’a pas motivé l’arrêt attaqué en ce qui concerne le grief fondé sur le manque de précision. Enfin, le septième moyen est tiré de la violation des droits de la défense du fait de l’obligation d’évaluer des informations.

11

Il convient d’examiner en premier lieu le premier moyen.

Argumentation des parties

12

Par son premier moyen, dirigé contre les points 23 à 43 et 47 de l’arrêt attaqué, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit lors du contrôle du respect des exigences relatives à l’indication du but de la demande de renseignements, qui découlent de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003. L’arrêt attaqué serait également insuffisamment motivé, dès lors qu’il ne spécifierait pas suffisamment le contenu de la décision d’ouverture et de la décision litigieuse auxquelles il se réfère et qu’il ne mentionnerait pas s’il est possible d’identifier, dans lesdites décisions, une ou plusieurs infractions spécifiques.

13

La Commission rétorque que la motivation des actes des institutions de l’Union doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté, et que l’exigence de motivation doit être adaptée aux circonstances de l’espèce. Une demande de renseignements constituerait une mesure d’enquête généralement utilisée dans le cadre de la phase d’instruction préliminaire, à un stade où la Commission ne dispose pas encore d’informations précises concernant l’infraction présumée, ce dont il y aurait lieu de tenir compte dans l’appréciation des exigences juridiques relatives à la motivation exigée par l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003. L’obligation d’indiquer le but du renseignement avec suffisamment de précision ne signifierait donc nullement qu’il convient de décrire en détail l’infraction présumée quant à sa nature, à sa portée géographique, à sa durée ou au type de produits spécifiquement concernés. Ce ne serait qu’au stade de la communication des griefs qu’une infraction déterminée et circonscrite dans le temps est établie.

14

La Commission estime que tant la décision litigieuse que la décision d’ouverture de la procédure comportent des indications concrètes sur la nature de l’infraction présumée, son étendue géographique et les produits visés. Du fait de ses destinataires, la décision d’ouverture de la procédure contiendrait des indications concrètes sur les participants présumés à cette infraction. Il s’ensuivrait que c’est à bon droit et sans méconnaître son obligation de motivation que le Tribunal a considéré, au point 42 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse contenait, en liaison avec cette décision d’ouverture, suffisamment d’indications quant au but de la demande de renseignements. Par ailleurs, la Commission aurait, dans la décision litigieuse, limité le cadre géographique de l’enquête au territoire de l’EEE, tout en retenant plus particulièrement, dans le questionnaire, certains pays cibles.

Appréciation de la Cour

15

HeidelbergCement soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que le moyen tiré du défaut de motivation de la décision litigieuse n’était pas fondé et devait être rejeté. Il s’agit d’une question de droit soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir arrêt Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, EU:C:2008:236, point 55 et jurisprudence citée).

16

Selon une jurisprudence bien établie, la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63, ainsi que Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, points 31 et 32 et jurisprudence citée).

17

S’agissant, en particulier, de la motivation d’une décision de demande de renseignements, il convient de rappeler que l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 en définit les éléments essentiels.

18

Cette disposition prévoit en effet que la Commission «indique la base juridique et le but de la demande, précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel ils doivent être fournis». Elle dispose par ailleurs que la Commission «indique également les sanctions prévues à l’article 23», qu’elle «indique ou inflige les sanctions prévues à l’article 24» et qu’elle «indique encore le droit de recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision».

19

Cette obligation de motivation spécifique constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de la demande de renseignements, mais aussi de mettre les entreprises concernées en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de la défense (voir, par analogie, s’agissant de décisions d’inspection, arrêts Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, point 26; Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 47; Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 34, ainsi que Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 56).

20

S’agissant de l’obligation d’indiquer le «but de la demande», celle-ci signifie que la Commission doit indiquer l’objet de son enquête dans sa demande, et donc identifier l’infraction alléguée aux règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt SEP/Commission, C‑36/92 P, EU:C:1994:205, point 21).

21

À cet égard, la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision de demande de renseignements toutes les informations dont elle dispose relatives à des infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, pour autant qu’elle indique clairement les soupçons qu’elle entend vérifier (voir, par analogie, arrêt Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

22

Une telle obligation s’explique, en particulier, par la circonstance que, ainsi que cela ressort de l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et du considérant 23 de ce dernier, pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par ce règlement, la Commission peut, par simple demande ou par voie de décision, demander aux entreprises et aux associations d’entreprises de fournir «tous les renseignements nécessaires».

23

Ainsi que l’a relevé à bon droit le Tribunal au point 34 de l’arrêt attaqué, «seule peut donc être requise par la Commission la communication de renseignements susceptibles de lui permettre de vérifier les présomptions d’infractions qui justifient la conduite de l’enquête et qui sont indiquées dans la demande de renseignements».

24

Or, dès lors que le caractère nécessaire du renseignement doit être apprécié par rapport au but mentionné dans la demande de renseignements, ce but doit être indiqué avec suffisamment de précision, sans quoi il serait impossible de déterminer si le renseignement est nécessaire et la Cour ne pourrait pas exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt SEP/Commission, C‑36/92 P, EU:C:1994:205, point 21).

25

C’est donc également à bon droit que le Tribunal, au point 39 de l’arrêt attaqué, a jugé que le caractère suffisant de la motivation de la décision litigieuse dépend «du point de savoir si les présomptions d’infractions que la Commission entend vérifier sont précisées avec suffisamment de clarté».

26

S’agissant de la question de savoir si l’appréciation du Tribunal selon laquelle la décision litigieuse est suffisamment motivée, figurant au point 43 de l’arrêt attaqué, est entachée d’une erreur de droit, il convient de relever, à titre liminaire, que le Tribunal, au point 42 dudit arrêt, a souligné que la motivation de la décision litigieuse était «rédigée en des termes très généraux qui auraient mérité d’être précisés et [encourait] donc la critique», mais qu’il pouvait «néanmoins être considéré que la référence à des restrictions d’importations dans l’Espace économique européen (EEE), à des répartitions de marchés ainsi qu’à des coordinations des prix sur le marché du ciment et les marchés des produits connexes, lue conjointement avec la décision d’ouverture de la procédure, [équivalait] au degré minimal de clarté permettant de conclure au respect des prescriptions de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003».

27

À cet égard, il y a lieu de relever que, selon le considérant 6 de la décision litigieuse, la Commission demande à la requérante de répondre au questionnaire de l’annexe I de celle-ci. Or, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué, en substance, au point 46 de ses conclusions, les questions visées à cette annexe sont extrêmement nombreuses et portent sur des renseignements de types très différents. En particulier, le questionnaire figurant à ladite annexe requiert la communication d’informations extrêmement vastes et détaillées relatives à un nombre considérable de transactions, tant nationales qu’internationales, concernant douze États membres et portant sur une période de dix ans. Toutefois, la décision litigieuse ne fait pas apparaître, de manière claire et non équivoque, les soupçons d’infraction qui justifient l’adoption de cette décision et ne permet pas de déterminer si les renseignements demandés sont nécessaires aux fins de l’enquête.

28

En effet, les deux premiers considérants de la décision litigieuse ne contiennent qu’une motivation excessivement succincte, vague et générique, eu égard en particulier à l’ampleur considérable du questionnaire joint à l’annexe I de cette décision qui, ainsi qu’il est rappelé au considérant 6 de ladite décision, prend déjà en compte les soumissions par les entreprises sous investigation tout au long de l’enquête.

29

Ces deux considérants sont libellés comme suit:

«(1)

La Commission enquête actuellement sur un comportement anticoncurrentiel allégué dans le secteur du ciment, des produits à base de ciment et d’autres matériaux utilisés dans la production de ciment et de produits à base de ciment [...] au sein de l’Union européenne/de l’Espace économique européen (UE/EEE).

(2)

[...] Les infractions présumées concernent des restrictions aux échanges dans l’Espace économique européen (EEE), notamment des restrictions à l’importation dans l’EEE à partir de pays ne faisant pas partie de l’EEE, des pratiques de partage des marchés et de coordination des prix ainsi que d’autres pratiques anticoncurrentielles y afférentes dans les marchés du ciment et des produits connexes. Si leur existence devait être confirmée, ces agissements pourraient constituer une infraction à l’article 101 TFUE et/ou à l’article 53 de l’accord EEE.»

30

Le considérant 6 de la décision litigieuse ajoute que «dans l’annexe I sont demandés des renseignements supplémentaires également nécessaires pour pouvoir apprécier la compatibilité des pratiques sous investigation avec les règles de concurrence de l’[Union européenne] en ayant pleine connaissance des faits et de leur contexte économique exact».

31

Une telle motivation ne permet pas de déterminer avec un degré suffisant de précision ni les produits sur lesquels porte l’enquête ni les soupçons d’infraction qui justifient l’adoption de cette décision. Il s’ensuit qu’une telle motivation ne permet pas à l’entreprise en cause de vérifier si les renseignements demandés sont nécessaires aux fins de l’enquête ni au juge de l’Union d’exercer son contrôle.

32

Certes, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 16 du présent arrêt, la question de savoir si la motivation de la décision litigieuse satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de celle-ci, mais également du contexte dans lequel cette décision s’inscrit, qui comprend notamment, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 43 de ses conclusions, la décision d’ouverture de la procédure.

33

Toutefois, la motivation de cette dernière décision ne permet pas de pallier au caractère succinct, vague et générique de la motivation de la décision litigieuse.

34

En effet, tout d’abord, l’infraction présumée dans la décision d’ouverture de la procédure est également formulée d’une manière particulièrement succincte, vague et générique, celle-ci se référant aux «restrictions des flux commerciaux dans l’Espace économique européen (EEE) y compris des restrictions d’importation dans l’EEE en provenance de pays extérieurs à l’EEE, des répartitions de marchés, des coordinations des prix et des pratiques anticoncurrentielles connexes».

35

Ensuite, pour ce qui concerne les produits sur lesquels porte l’enquête, la décision d’ouverture de la procédure se réfère, à l’instar de la décision litigieuse, aux marchés du ciment et des produits connexes. Si cette décision précise que «le ciment et les produits connexes doivent être compris comme comprenant le ciment, les produits à base de ciment (par exemple le béton prêt à l’emploi) et autres matériaux utilisés pour produire directement ou indirectement des produits à base de ciment (par exemple clinker, granulats, laitier de haut fourneau, laitier de haut fourneau granulé, laitier de haut fourneau granulé au sol, cendres volantes)», il convient de constater que les produits concernés par l’enquête n’y sont mentionnés qu’à titre d’exemples.

36

Enfin, s’agissant de la portée géographique de l’infraction présumée, la motivation de la décision litigieuse, lue conjointement avec la décision d’ouverture de la procédure, est ambiguë. En effet, selon la décision litigieuse, l’infraction présumée s’étend au territoire de l’Union ou de l’EEE. En revanche, la décision d’ouverture de la procédure, adoptée trois mois plus tôt, se réfère à des infractions présumées dont l’étendue géographique concerne, «en particulier», la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche et le Royaume-Uni. L’ambiguïté de la motivation de la décision litigieuse, lue conjointement avec la décision d’ouverture de la procédure, est à cet égard renforcée par le contenu du questionnaire annexé à la décision litigieuse qui, outre les dix États membres précités, porte également sur des opérations commerciales réalisées au Danemark et en Grèce.

37

Il est vrai, ainsi que le souligne la Commission, qu’une demande de renseignements constitue une mesure d’enquête qui est généralement utilisée dans le cadre de la phase d’instruction qui précède la communication des griefs et a uniquement pour objet de permettre à la Commission de recueillir les renseignements et la documentation nécessaires pour vérifier la réalité et la portée d’une situation de fait et de droit déterminée (voir, en ce sens, arrêt Orkem/Commission, 374/87, EU:C:1989:387, point 21).

38

En outre, bien que la Cour ait considéré, s’agissant de décisions d’inspections, que, s’il incombe à la Commission d’indiquer, avec autant de précision que possible, ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification, il n’est en revanche pas indispensable de faire apparaître dans une décision d’inspection une délimitation précise du marché en cause, ni la qualification juridique exacte des infractions présumées ou l’indication de la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, elle a justifié cette considération par le fait que les inspections interviennent au début de l’enquête, à une période au cours de laquelle la Commission ne dispose pas encore d’informations précises (voir, en ce sens, arrêt Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, points 36 ainsi que 37).

39

Toutefois, une motivation excessivement succincte, vague et générique et, à certains égards, ambiguë, ne saurait satisfaire aux exigences de motivation fixées par l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, pour justifier une demande de renseignements qui, comme dans la présente affaire, est intervenue plus de deux années après les premières inspections, alors que la Commission avait déjà adressé plusieurs demandes de renseignements à des entreprises soupçonnées d’avoir participé à une infraction et plusieurs mois après la décision d’ouverture de la procédure. Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de constater que la décision litigieuse a été adoptée à une date où la Commission disposait déjà d’informations qui lui aurait permis d’exposer avec davantage de précision les soupçons d’infraction qui pesaient sur les entreprises en cause.

40

Dès lors, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 43 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse était motivée à suffisance de droit.

41

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le premier moyen.

42

Il convient, en conséquence, d’annuler l’arrêt attaqué en tant que le Tribunal a considéré que la motivation de la décision litigieuse satisfaisait aux exigences de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, sans qu’il y ait lieu d’examiner la prétendue insuffisance de motivation de l’arrêt attaqué et les autres moyens invoqués par la requérante.

Sur le recours devant le Tribunal

43

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé. Tel est le cas en l’espèce.

44

Il résulte des points 27 à 40 du présent arrêt que le premier moyen du recours en première instance est fondé et qu’il y a lieu d’annuler la décision litigieuse en raison d’une violation de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003.

Sur les dépens

45

Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

46

En vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

47

La requérante ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, et celle-ci ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens relatifs tant à la procédure de première instance dans l’affaire T‑302/11 qu’à celle de pourvoi.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

 

1)

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 mars 2014, HeidelbergCement/Commission (T‑302/11, EU:T:2014:128), est annulé.

 

2)

La décision C(2011) 2361 final de la Commission, du 30 mars 2011, relative à une procédure d’application de l’article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (affaire COMP/39520 – Ciment et produits connexes), est annulée.

 

3)

La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par HeidelbergCement AG relatifs tant à la procédure de première instance dans l’affaire T‑302/11 qu’à celle de pourvoi.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.