ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 juin 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Articles 49 TFUE, 51 TFUE et 56 TFUE — Liberté d’établissement — Participation à l’exercice de l’autorité publique — Directive 2006/123/CE — Article 14 — Organismes chargés de vérifier et de certifier le respect des conditions requises par la loi par les entreprises réalisant des travaux publics — Réglementation nationale exigeant que le siège statutaire de ces organismes soit situé en Italie»

Dans l’affaire C‑593/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Italie), par décision du 3 juillet 2012, parvenue à la Cour le 20 novembre 2013, dans la procédure

Presidenza del Consiglio dei Ministri,

Consiglio di Stato,

Consiglio Superiore dei Lavori Pubblici,

Autorità per la Vigilanza sui Contratti Pubblici di lavori, servizi e forniture,

Conferenza Unificata Stato Regioni,

Ministero dello Sviluppo Economico delle Infrastrutture e dei Trasporti,

Ministero per le Politiche europee,

Ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare,

Ministero per i beni e le attività culturali,

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Ministero degli Affari esteri

contre

Rina Services SpA,

Rina SpA,

SOA Rina Organismo di Attestazione SpA,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, M. A. Tizzano, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz et A. Ó Caoimh, présidents de chambre, MM. J. Malenovský, A. Arabadjiev (rapporteur), D. Šváby, Mme M. Berger, MM. E. Jarašiūnas, C. G. Fernlund et J. L. da Cruz Vilaça, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 décembre 2014,

considérant les observations présentées:

pour Rina Services SpA, Rina SpA et SOA Rina Organismo di Attestazione SpA, par Mes R. Damonte, G. Giacomini, G. Scuras et G. Demartini, avvocati,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme C. Pluchino et M. S. Fiorentino, avvocati dello Stato,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, U. Persson et N. Otte Widgren ainsi que par MM. L. Swedenborg, F. Sjövall, E. Karlsson et C. Hagerman, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes E. Montaguti et H. Tserepa-Lacombe, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 mars 2015,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 TFUE, 51 TFUE et 56 TFUE ainsi que des articles 14 et 16 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p. 36).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre de trois litiges opposant la Presidenza del Consiglio dei Ministri, le Consiglio di Stato, le Consiglio Superiore dei Lavori Pubblici, l’Autorità per la Vigilanza sui Contratti Pubblici di lavori, servizi e forniture, la Conferenza Unificata Stato Regioni, le Ministero dello Sviluppo Economico delle Infrastrutture e dei Trasporti, le Ministero per le Politiche europee, le Ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare, le Ministero per i beni e le attività culturali, le Ministero dell’Economia e delle Finanze et le Ministero degli Affari esteri, respectivement, à Rina Services SpA, à Rina SpA et à SOA Rina Organismo di Attestazione SpA au sujet, notamment, d’une réglementation nationale imposant aux sociétés ayant la qualité d’organismes d’attestation (Società Organismi di Attestazione, ci-après les «SOA») d’avoir leur siège statutaire en Italie.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 1 à 7, 16 et 33 de la directive 2006/123 énoncent:

«(1)

[...] L’élimination des obstacles au développement des activités de services entre États membres est un moyen essentiel pour renforcer l’intégration entre les peuples européens et pour promouvoir le progrès économique et social équilibré et durable. [...]

(2)

Il est impératif d’avoir un marché des services concurrentiel pour favoriser la croissance économique et la création d’emplois dans l’Union européenne. À l’heure actuelle, un grand nombre d’obstacles empêchent, au sein du marché intérieur, les prestataires, notamment les petites et moyennes entreprises (PME), de se développer au-delà de leurs frontières nationales et de bénéficier pleinement du marché intérieur. La compétitivité mondiale des prestataires de l’Union européenne s’en trouve affectée. Un marché libre obligeant les États membres à supprimer les obstacles à la circulation transfrontalière des services, tout en renforçant la transparence et l’information pour les consommateurs, offrirait un plus grand choix et de meilleurs services, à des prix plus bas, aux consommateurs.

(3)

Le rapport de la Commission sur ‘l’état du marché intérieur des services’ a dressé l’inventaire d’un grand nombre d’obstacles qui empêchent ou freinent le développement des services entre États membres [...]. Les obstacles affectent une large variété d’activités de services ainsi que l’ensemble des étapes de l’activité du prestataire et présentent de nombreux points communs, en particulier de découler souvent de lourdeurs administratives, de l’insécurité juridique qui entoure les activités transfrontalières et du manque de confiance mutuelle entre les États membres.

(4)

[...] La suppression de ces obstacles, tout en garantissant un modèle social européen avancé, constitue une condition essentielle pour surmonter les difficultés rencontrées dans la réalisation des objectifs de la stratégie de Lisbonne et relancer l’économie européenne, en particulier en termes d’emploi et d’investissement. [...]

(5)

Il convient en conséquence d’éliminer les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires dans les États membres et à la libre circulation des services entre États membres et de garantir aux destinataires et aux prestataires la sécurité juridique nécessaire à l’exercice effectif de ces deux libertés fondamentales du traité. Étant donné que les obstacles au marché intérieur des services affectent aussi bien les opérateurs qui souhaitent s’établir dans d’autres États membres que ceux qui fournissent un service dans un autre État membre sans s’y établir, il convient de permettre au prestataire de développer ses activités de services au sein du marché intérieur soit en s’établissant dans un État membre, soit en faisant usage de la libre circulation des services. Les prestataires devraient être en mesure de choisir entre ces deux libertés, en fonction de leur stratégie de développement dans chaque État membre.

(6)

La suppression de ces obstacles ne peut se faire uniquement par l’application directe des articles [49 et 56 TFUE], étant donné que, d’une part, le traitement au cas par cas par des procédures d’infraction à l’encontre des États membres concernés serait, en particulier suite aux élargissements, extrêmement compliqué pour les institutions nationales et communautaires et que, d’autre part, la levée de nombreux obstacles nécessite une coordination préalable des systèmes juridiques nationaux, y compris la mise en place d’une coopération administrative. Comme l’ont reconnu le Parlement européen et le Conseil, un instrument législatif communautaire permet la mise en place d’un véritable marché intérieur des services.

(7)

La présente directive établit un cadre juridique général qui profite à une large variété de services tout en prenant en compte les particularités de chaque type d’activité ou de profession et de leur système de réglementation. Ce cadre repose sur une approche dynamique et sélective qui consiste à supprimer en priorité les obstacles qui peuvent l’être rapidement et, pour les autres, à lancer un processus d’évaluation, de consultation et d’harmonisation complémentaire sur des questions spécifiques [...]. Il convient de prévoir une combinaison équilibrée de mesures relatives à l’harmonisation ciblée, à la coopération administrative, à la disposition sur la libre prestation des services et à l’incitation à l’élaboration de codes de conduite sur certaines questions. [...]

[...]

(16)

La présente directive concerne uniquement les prestataires établis dans un État membre et ne couvre pas les aspects extérieurs. [...]

[...]

(33)

Les services couverts par la présente directive concernent une grande variété d’activités en constante évolution parmi lesquelles on retrouve les services aux entreprises tels que [...] les services de certification [...]»

4

L’article 2 de la directive 2006/123, intitulé «Champ d’application», est libellé comme suit:

«1.   La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre.

2.   La présente directive ne s’applique pas aux activités suivantes:

[...]

i)

les activités participant à l’exercice de l’autorité publique conformément à l’article [51 TFUE];

[...]»

5

Aux termes de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2006/123, les États membres appliquent les dispositions de cette directive conformément aux règles du traité FUE régissant le droit d’établissement et la libre circulation des services.

6

L’article 14 de ladite directive, intitulé «Exigences interdites», figurant sous le chapitre III de celle-ci, dénommé «Liberté d’établissement des prestataires», dispose:

«Les États membres ne subordonnent pas l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l’une des exigences suivantes:

1)

les exigences discriminatoires fondées directement ou indirectement sur la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, l’emplacement du siège statutaire [...]

[...]

3)

les limites à la liberté du prestataire de choisir entre un établissement à titre principal ou à titre secondaire, en particulier l’obligation pour le prestataire d’avoir son établissement principal sur leur territoire, ou les limites à la liberté de choisir entre l’établissement sous forme d’agence, de succursale ou de filiale;

[...]»

7

L’article 15 de la directive 2006/123, intitulé «Exigences à évaluer», figurant sous ce même chapitre III, impose aux États membres d’examiner si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 de cet article et de veiller à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité, telles que visées au paragraphe 3 du même article.

8

Le chapitre IV de cette directive, intitulé «Libre circulation des services», comporte l’article 16 de celle-ci, dénommé «Libre prestation des services». Cet article dispose:

«1.   Les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis.

L’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire.

Les États membres ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes suivants:

a)

la non-discrimination: l’exigence ne peut être directement ou indirectement discriminatoire en raison de la nationalité ou, dans le cas de personnes morales, en raison de l’État membre dans lequel elles sont établies;

b)

la nécessité: l’exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement;

c)

la proportionnalité: l’exigence doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

2.   Les États membres ne peuvent pas restreindre la libre prestation de services par un prestataire établi dans un autre État membre en imposant l’une des exigences suivantes:

a)

l’obligation pour le prestataire d’avoir un établissement sur leur territoire;

[...]

3.   Les présentes dispositions n’empêchent pas l’État membre dans lequel le prestataire se déplace pour fournir son service d’imposer des exigences concernant la prestation de l’activité de service lorsque ces exigences sont justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement et conformément au paragraphe 1. [...]»

Le droit italien

9

Le décret no 207 du président de la République, du 5 octobre 2010, relatif à l’exécution et à l’application du décret législatif no 163 du 12 avril 2006 (supplément ordinaire à la GURI no 288, du 10 décembre 2010), abrogeant le décret du président de la République no 34, du 25 janvier 2000, prévoit, à son article 64, paragraphe 1, que les SOA sont constituées sous la forme de sociétés par actions, dont la dénomination sociale doit expressément contenir l’expression «organismes d’attestation», et que leur siège statutaire doit être situé sur le territoire de la République italienne.

Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

10

Rina SpA est la société holding du groupe Rina. Le siège social de cette société est situé à Gênes (Italie).

11

Rina Services SpA est une société par actions faisant partie du groupe Rina et dont le siège social est également situé à Gênes. Son objet social consiste en la fourniture de services de certification de qualité UNI CEI EN 45000.

12

SOA Rina Organismo di Attestazione SpA est, elle aussi, une société par actions qui a son siège social à Gênes. Elle exerce l’activité d’attestation et de réalisation des contrôles techniques sur l’organisation et la production des entreprises de construction. Cette société est détenue à hauteur de 99 % par Rina SpA et à hauteur de 1 % par Rina Services SpA.

13

Ces trois sociétés ont introduit des recours devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio visant notamment à contester la légalité de l’article 64, paragraphe 1, du décret no 207 du président de la République, du 5 octobre 2010, relatif à l’exécution et à l’application du décret législatif no 163 du 12 avril 2006, dans la mesure où il prévoit que le siège statutaire des SOA doit être situé sur le territoire de la République italienne.

14

Par jugements du 13 décembre 2011, cette juridiction a fait droit à ces recours au motif, notamment, que l’exigence relative à l’emplacement du siège statutaire était contraire aux articles 14 et 16 de la directive 2006/123.

15

Les requérants au principal ont interjeté appel de ces jugements devant le Consiglio di Stato, en faisant valoir, en particulier, que l’activité exercée par les SOA participe à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 51 TFUE et que, par conséquent, elle est soustraite du champ d’application tant de la directive 2006/123 que des articles 49 TFUE et 56 TFUE.

16

Dans ces conditions, le Consiglio di Stato a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Les principes du traité concernant la liberté d’établissement (article 49 TFUE) et la libre prestation de services (article 56 TFUE), ainsi que les principes de la directive 2006/123, s’opposent-ils à l’adoption et à l’application d’une réglementation nationale qui prévoit que, pour les SOA, constituées sous forme de sociétés par actions, ‘le siège statutaire doit être situé sur le territoire de la République [italienne]’?

2)

La dérogation visée à l’article 51 TFUE doit-elle être interprétée dans le sens qu’elle comprend une activité comme celle d’attestation exercée par des organismes de droit privé, lesquels, d’une part, doivent être constitués sous la forme de sociétés par actions et opèrent sur un marché concurrentiel et, d’autre part, participent à l’exercice de prérogatives de puissance publique et sont, de ce fait, soumis à un régime d’autorisation et à des contrôles stricts de l’Autorité de surveillance?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la seconde question

17

Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 51, premier alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens que les activités d’attestation exercées par les SOA participent à l’exercice de l’autorité publique au sens de cette disposition.

18

Il y a lieu de constater que la Cour a déjà statué sur une telle question dans son arrêt SOA Nazionale Costruttori (C‑327/12, EU:C:2013:827), posée à titre préjudiciel par le Consiglio di Stato.

19

Au point 52 de cet arrêt, elle a conclu que, au regard des considérations visées aux points 28 à 35 dudit arrêt, à savoir, notamment, le fait que les SOA sont des entreprises à but lucratif exerçant leurs activités dans des conditions de concurrence et ne disposant d’aucun pouvoir décisionnel se rattachant à l’exercice de prérogatives de puissance publique, les activités d’attestation des SOA ne constituent pas une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 51 TFUE.

20

Plus particulièrement, la Cour a souligné, au point 54 du même arrêt, que la vérification, par les SOA, de la capacité technique et financière des entreprises soumises à la certification, de la véracité et du contenu des déclarations, des certificats et des documents présentés par les personnes auxquelles l’attestation est délivrée ainsi que du maintien des conditions relatives à la situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire ne saurait être considérée comme une activité relevant de l’autonomie décisionnelle propre à l’exercice de prérogatives de puissance publique, cette vérification étant entièrement déterminée par le cadre réglementaire national. En outre, la Cour a constaté, au même point de cet arrêt, que ladite vérification est accomplie sous une surveillance étatique directe et qu’elle a pour fonction de faciliter la tâche des pouvoirs adjudicateurs dans le domaine des marchés publics de travaux, sa finalité étant de permettre à ces derniers d’accomplir leur mission en ayant une connaissance précise et circonstanciée de la capacité tant technique que financière des soumissionnaires.

21

En l’occurrence, la juridiction de renvoi ne fait pas état, dans la présente demande de décision préjudicielle, d’un quelconque changement dans la nature des activités exercées par les SOA depuis les faits ayant donné lieu à l’arrêt SOA Nazionale Costruttori (C‑327/12, EU:C:2013:827).

22

Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 51, premier alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens que l’exception au droit d’établissement, inscrite à cette disposition, ne s’applique pas aux activités d’attestation exercées par les sociétés ayant la qualité d’organismes d’attestation.

Sur la première question

23

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en se référant à plusieurs dispositions du droit de l’Union, notamment les articles 49 TFUE et 56 TFUE ainsi que les principes figurant dans la directive 2006/123, si ce droit doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que les SOA doivent avoir leur siège statutaire sur le territoire national.

24

À cet égard, il importe de constater que les services d’attestation entrent dans le champ d’application de la directive 2006/123, ces services étant par ailleurs expressément mentionnés au considérant 33 de celle-ci, dans la liste exemplative des activités couvertes par cette même directive.

25

En l’occurrence, l’exigence quant au lieu du siège des organismes d’attestation, en cause au principal, relève de l’article 14 de la directive 2006/123. En effet, en ce qu’elle oblige les SOA à avoir leur siège statutaire sur le territoire national, cette exigence, d’une part, est fondée directement sur l’emplacement du siège statutaire du prestataire au sens de l’article 14, point 1, de cette directive et, d’autre part, limite la liberté de celui-ci de choisir entre un établissement à titre principal ou à titre secondaire, en l’obligeant en particulier à avoir son établissement principal sur le territoire national au sens du point 3 de cet article.

26

L’article 14 de la directive 2006/123 interdit aux États membres de subordonner l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l’une des exigences énumérées aux points 1 à 8 de celui-ci, en leur imposant ainsi la suppression, en priorité et d’une manière systématique, de ces exigences.

27

La République italienne fait néanmoins valoir que l’exigence selon laquelle le siège statutaire des SOA doit être situé sur le territoire national est justifiée par la nécessité d’assurer l’efficacité du contrôle exercé par les autorités publiques sur les activités des SOA.

28

À cet égard, il importe de souligner, à l’instar de la République de Pologne et de la Commission, que les exigences énumérées à l’article 14 de la directive 2006/123, dont relève la réglementation nationale en cause au principal, ne peuvent être justifiées.

29

Cette conclusion découle tant du libellé de cet article 14 que de l’économie générale de la directive 2006/123.

30

En effet, d’une part, il ressort de l’intitulé dudit article que les exigences énumérées aux points 1 à 8 de celui-ci sont «interdites». En outre, rien dans le libellé de cet article n’indique que les États membres disposent de la faculté de justifier le maintien de telles exigences dans leurs législations nationales.

31

D’autre part, l’économie générale de la directive 2006/123 repose, en ce qui concerne la liberté d’établissement, sur une distinction claire entre les exigences interdites et celles soumises à évaluation. Alors que les premières sont régies par l’article 14 de cette directive, les secondes font l’objet des règles prévues à l’article 15 de celle-ci.

32

En ce qui concerne, en particulier, les exigences soumises à évaluation, il incombe aux États membres, aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2006/123, d’examiner si leur système juridique prévoit l’une des exigences énumérées au paragraphe 2 de cet article et de veiller à ce que celles-ci remplissent les conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité visées au paragraphe 3 de celui-ci.

33

Il découle, à cet égard, des paragraphes 5 et 6 dudit article 15 qu’il est permis aux États membres de maintenir ou, le cas échéant, d’introduire des exigences du type de celles mentionnées au paragraphe 2 du même article, sous réserve que celles-ci soient conformes aux conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité visées au paragraphe 3 de cette disposition.

34

En outre, pour ce qui est de la libre circulation des services, l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2006/123 prévoit que l’État membre dans lequel le prestataire se déplace pour fournir son service peut imposer des exigences concernant la prestation de l’activité de service, lorsque ces exigences sont justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement et conformément au paragraphe 1 de cet article.

35

Or, une telle possibilité n’est pas prévue pour les exigences «interdites» énumérées à l’article 14 de la directive 2006/123.

36

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’article 3, paragraphe 3, de cette directive, aux termes duquel les États membres appliquent les dispositions de celle-ci «conformément aux règles du traité régissant le droit d’établissement et la libre circulation des services».

37

À cet égard, il convient de relever, à l’instar de la République de Pologne, qu’une interprétation de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2006/123, selon laquelle il serait permis aux États membres de justifier au titre du droit primaire une exigence interdite par l’article 14 de cette directive priverait cette dernière disposition de tout effet utile en désavouant, en définitive, l’harmonisation ciblée opérée par celle-ci.

38

En effet, une telle interprétation irait à l’encontre de la conclusion tirée par le législateur de l’Union au considérant 6 de la directive 2006/123, selon laquelle la suppression des obstacles à la liberté d’établissement ne peut se faire uniquement par l’application directe de l’article 49 TFUE en raison, notamment, de l’extrême complexité du traitement au cas par cas des obstacles à cette liberté. Admettre que les exigences «interdites» au titre de l’article 14 de cette directive puissent néanmoins faire l’objet d’une justification au titre du droit primaire reviendrait précisément à réintroduire un tel examen au cas par cas, au titre du traité FUE, pour l’ensemble des restrictions à la liberté d’établissement.

39

En outre, il importe de souligner que l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2006/123 ne s’oppose pas à ce que l’article 14 de celle-ci soit interprété en ce sens que les exigences interdites énumérées à cette dernière disposition ne peuvent faire l’objet de justification. En effet, une telle interdiction sans possibilité de justification vise à garantir la suppression systématique et rapide de certaines restrictions à la liberté d’établissement considérées par le législateur de l’Union et par la jurisprudence de la Cour comme affectant sérieusement le bon fonctionnement du marché intérieur. Un tel objectif est conforme au traité FUE.

40

Ainsi, même si l’article 52, paragraphe 1, TFUE permet aux États membres de justifier, pour l’une des raisons y énoncées, des mesures nationales constituant une restriction à la liberté d’établissement, cela ne signifie cependant pas que le législateur de l’Union, lors de l’adoption d’un acte de droit secondaire, telle que la directive 2006/123, concrétisant une liberté fondamentale consacrée par le traité FUE, ne peut pas limiter certaines dérogations, d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, la disposition concernée de droit secondaire ne fait que reprendre une jurisprudence constante en vertu de laquelle une exigence telle que celle en cause au principal est incompatible avec les libertés fondamentales dont les opérateurs économiques peuvent se prévaloir (voir à cet égard, notamment, arrêt Commission/France, C‑334/94, EU:C:1996:90, point 19).

41

Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 14 de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit que les SOA doivent avoir leur siège statutaire sur le territoire national.

Sur les dépens

42

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

1)

L’article 51, premier alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens que l’exception au droit d’établissement, inscrite à cette disposition, ne s’applique pas aux activités d’attestation exercées par les sociétés ayant la qualité d’organismes d’attestation.

 

2)

L’article 14 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit que les sociétés ayant la qualité d’organismes d’attestation doivent avoir leur siège statutaire sur le territoire national.

 

Signatures


( *1 )   Langue de procédure: l’italien.