ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 janvier 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Sécurité sociale des travailleurs migrants — Règlement (CEE) no 1408/71 — Article 7, paragraphe 2, sous c) — Applicabilité des conventions de sécurité sociale entre États membres — Réfugié rapatrié originaire d’un État membre — Accomplissement de périodes d’emploi sur le territoire d’un autre État membre — Demande d’octroi d’une prestation de vieillesse — Refus»

Dans les affaires jointes C‑401/13 et C‑432/13,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Curtea de Apel Cluj (Roumanie), par décisions des 2 juillet et 27 juin 2013, parvenues à la Cour respectivement les 16 juillet et 31 juillet 2013, dans les procédures

Vasiliki Balazs

contre

Casa Județeană de Pensii Cluj (C‑401/13),

et

Casa Județeană de Pensii Cluj

contre

Attila Balazs (C‑432/13),

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, Mme K. Jürimäe (rapporteur), MM. J. Malenovský, M. Safjan et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juin 2014,

considérant les observations présentées:

pour Mme et M. Balazs, par Mes S. Dima et A. Muntean, avocats,

pour le gouvernement roumain, par M. R. Radu ainsi que par Mmes R. Hațieganu, E. Gane et A.‑L. Crișan, en qualité d’agents,

pour le gouvernement grec, par Mme E.‑M. Mamouna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par M. D. Martin et Mme C. Gheorghiu, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 septembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, sous c), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 (JO L 392, p. 1, ci-après le «règlement no 1408/71»).

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, Mme Balazs à la Casa Județeană de Pensii Cluj [caisse départementale de pensions de Cluj (Roumanie), ci-après la «Casa Județeană de Pensii»] et, d’autre part, cette dernière à M. Balazs, au sujet de l’octroi de pensions de vieillesse à Mme et M. Balazs (ci-après, ensemble, les «époux Balazs»).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 6 du règlement no 1408/71 prévoit:

«Dans le cadre du champ d’application personnel et du champ d’application matériel du présent règlement, celui-ci se substitue, sous réserve des dispositions des articles 7, 8 et 46 paragraphe 4, à toute convention de sécurité sociale liant:

a)

[...] exclusivement deux ou plusieurs États membres;

[...]»

4

L’article 7, paragraphe 2, sous c), de ce règlement dispose:

«Nonobstant les dispositions de l’article 6, restent applicables:

[...]

c)

certaines dispositions des conventions de sécurité sociale que les États membres ont conclues avant la date d’application du présent règlement, pour autant qu’elles soient plus favorables aux bénéficiaires ou si elles découlent de circonstances historiques spécifiques et ont un effet limité dans le temps, et si elles figurent à l’annexe III.»

5

L’article 94, paragraphes 1 et 2, dudit règlement dispose:

«1.   Le présent règlement n’ouvre aucun droit pour une période antérieure au 1er octobre 1972 ou à la date de son application sur le territoire de l’État membre intéressé, ou sur une partie du territoire de cet État.

2.   Toute période d’assurance ainsi que, le cas échéant, toute période d’emploi ou de résidence accomplie sous la législation d’un État membre avant le 1er octobre 1972 ou avant la date d’application du présent règlement sur le territoire de cet État membre ou sur une partie du territoire de cet État est prise en considération pour la détermination des droits ouverts conformément aux dispositions du présent règlement.»

6

Le règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972 (JO L 74, p. 1), dans sa version issue notamment du règlement (CE) no 1791/2006 du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 1, ci-après le «règlement no 574/72»), fixe les modalités d’application du règlement no 1408/71.

L’accord bilatéral

7

L’accord bilatéral entre les gouvernements grec et roumain, conclu le 23 février 1996, concernant le règlement définitif de la compensation des cotisations de sécurité sociale des réfugiés politiques grecs rapatriés de Roumanie (ci-après l’«accord bilatéral») ne figure pas à l’annexe III du règlement no 1408/71.

8

L’article 1er, sous a) et e), de l’accord bilatéral définit les notions de «rapatrié» et de «période d’assurance» comme suit:

«a)

rapatrié: personne d’origine grecque, établie en Roumanie après le 1er janvier 1945, ayant le statut de réfugié politique, ainsi que les membres de sa famille, qui sont rentrés ou qui rentreront en Grèce afin d’y établir leur domicile, dans un délai de 6 ans à partir de l’entrée en vigueur du présent accord;

[...]

e)

période d’assurance: période pour laquelle des cotisations de sécurité sociale ont été payées en Roumanie, conformément à la législation roumaine.»

9

L’article 2 de l’accord bilatéral dispose:

«1.   Les parties contractantes réglementent la compensation des cotisations de sécurité sociale des rapatriés conformément aux paragraphes 2 et 3 du présent article et à l’article 3 du présent accord.

2.   La partie roumaine s’engage à payer à la partie grecque une somme forfaitaire à titre de compensation pour le paiement des pensions et de couverture de la période d’assurance des rapatriés par la partie grecque.

3.   La partie grecque s’engage à payer les pensions aux retraités rapatriés et à reconnaître la période d’assurance accomplie en Roumanie par les assurés rapatriés, conformément à la législation grecque en matière de sécurité sociale.»

10

La compensation visée à l’article 2, paragraphe 2, de l’accord bilatéral s’élève, conformément à l’article 3 de cet accord, à 15 millions de dollars des États-Unis (USD).

11

En vertu de l’article 5 de l’accord bilatéral, «[a]près le paiement de la somme de 15 millions de USD, toute obligation de la partie roumaine concernant les droits en matière de sécurité sociale des réfugiés politiques grecs rapatriés prend fin».

Les litiges au principal et la question préjudicielle

12

Les époux Balazs sont des ressortissants grecs qui ont la qualité de réfugiés politiques grecs rapatriés. Ils sont domiciliés à Thessalonique (Grèce).

13

Au cours de l’année 1948, M. et Mme Balazs, alors âgés respectivement de 7 et 9 ans, se sont installés en Roumanie où le statut de réfugiés politiques leur a été accordé. Ils ont cotisé au système public de sécurité sociale de cet État membre pendant respectivement 34 ans, 7 mois et 6 jours et 28 ans. Ils ont été rapatriés en Grèce le 18 août 1990.

14

Au cours de l’année 1998, les époux Balazs ont demandé aux autorités grecques la reconnaissance des périodes de travail accomplies en Roumanie. Par décisions du 21 septembre 1998, ces autorités ont considéré que les périodes de travail accomplies par M. et Mme Balazs en Roumanie correspondaient respectivement à 9 382 et à 8 351 jours de cotisation à la sécurité sociale. Sur ces périodes, les autorités grecques ont décidé de ne reconnaître que 4500 jours aux fins du calcul des pensions.

15

Sur cette base, des pensions de vieillesse ont ensuite été accordées aux époux Balazs par les autorités grecques.

16

S’agissant de Mme Balazs, la pension qui lui a été allouée a été calculée sur le fondement d’une période totale d’assurance de 6993 jours de travail, correspondant à 4 500 jours reconnus au titre de sa période de travail en Roumanie et à 2 493 jours au titre d’un emploi en Grèce. La pension mensuelle ainsi calculée s’élevait à 136 910 drachmes grecques (GRD) (environ 390 euros).

17

S’agissant de M. Balazs, la pension qui lui a été allouée a été calculée sur le fondement d’une période totale d’assurance de 7733 jours, dont 4500 jours reconnus au titre de sa période de travail en Roumanie et 3 233 jours au titre d’un emploi en Grèce. La pension mensuelle ainsi calculée s’élevait à 596,99 euros.

18

Les 11 octobre et 27 novembre 2007, Mme et M. Balazs ont respectivement saisi la Casa Județeană de Pensii de demandes d’octroi de pensions de vieillesse sur le fondement des dispositions des règlements nos 1408/71 et 574/72.

19

Ces demandes ont été rejetées par décisions du 5 octobre 2011. Dans ces décisions, la Casa Județeană de Pensii a indiqué que, dès lors que les époux Balazs étaient considérés comme réfugiés politiques grecs rapatriés par les autorités grecques, les autorités roumaines n’avaient, en vertu de l’article 5 de l’accord bilatéral, aucune obligation de leur octroyer des pensions.

20

M. et Mme Balazs ont, chacun, saisi le Tribunalul Cluj d’un recours contre les décisions précitées.

21

Par jugements du 26 septembre 2012, le Tribunalul Cluj a annulé lesdites décisions et enjoint à la Casa Județeană de Pensii d’adopter de nouvelles décisions accordant aux époux Balazs des pensions de vieillesse conformément aux règlements nos 1408/71 et 574/72, en prenant en compte les périodes totales de cotisation accomplies par ces époux en Roumanie. Le Tribunalul Cluj a précisé que ces règlements étaient applicables aux demandes des époux Balazs dès lors que l’accord bilatéral ne relevait pas de la dérogation prévue à l’article 7, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1408/71, en ce que son application n’était pas limitée dans le temps, qu’il n’était pas mentionné à l’annexe III de ce règlement et que ses dispositions ne pouvaient manifestement pas être considérées comme étant plus favorables aux bénéficiaires, ces derniers ayant demandé à bénéficier de pensions au titre dudit règlement.

22

En exécution de ces jugements, la Casa Județeană de Pensii a pris, les 20 et 27 février 2013, deux nouvelles décisions par lesquelles, en application des dispositions du règlement no 1408/71, elle a accordé à Mme et à M. Balazs des pensions de vieillesse mensuelles respectivement d’un montant de 500 et de 405 lei roumains (RON) (environ 110 et 90 euros).

23

Les jugements du Tribunalul Cluj ont fait l’objet de pourvois introduits devant la Curtea de Appel de Cluj, tant par les époux Balazs que par la Casa Județeană de Pensii.

24

La Casa Județeană de Pensii soutient, en substance, que les dispositions des règlements nos 1408/71 et 574/72 sont inapplicables en l’espèce du fait de l’accord bilatéral. Conformément à ce dernier, toute obligation de la Roumanie à l’égard des réfugiés politiques grecs rapatriés se serait éteinte, la Roumanie s’étant acquittée de son obligation de verser 15 millions de USD à la République hellénique.

25

Les époux Balazs contestent la motivation des jugements du Tribunalul Cluj et sollicitent, sur le fondement des dispositions des mêmes règlements, la reconnaissance de leur droit à une pension de vieillesse pour les périodes de cotisation qu’ils ont accomplies en Roumanie. Ils soutiennent, en substance, que, du fait de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne, cet État membre est tenu d’appliquer les règlements nos 1408/71 et 574/72. En effet, l’accord bilatéral, qui serait moins favorable et ne figurerait pas à l’annexe III du règlement no 1408/71, ne relèverait pas de l’article 7, paragraphe 2, sous c), de ce règlement.

26

Dans ces circonstances, la Curtea de Appel Cluj a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, formulée dans les mêmes termes dans les décisions de renvoi relatives aux affaires C‑401/13 et C‑432/13:

«Les dispositions de l’article 7, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1408/71 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’un accord bilatéral conclu entre deux États membres avant la date d’entrée en vigueur dudit règlement, accord en vertu duquel ces États ont convenu de l’extinction de l’obligation relative aux prestations de sécurité sociale dues par un État aux ressortissants de l’autre État ayant eu la qualité de réfugiés politiques sur le territoire du premier État et ayant été rapatriés sur le territoire du second, en échange du paiement par le premier État d’une somme forfaitaire pour le paiement des pensions et la couverture de la période durant laquelle les cotisations de sécurité sociale ont été payées dans le premier État membre, relève de leur champ d’application?»

27

Par décision du président de la Cour du 4 septembre 2013, les affaires C‑401/13 et C‑432/13 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur la question préjudicielle

28

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens qu’un accord bilatéral relatif aux prestations de sécurité sociale des ressortissants de l’un des États signataires ayant eu la qualité de réfugiés politiques sur le territoire de l’autre État signataire, conclu à une date où l’un des deux États signataires n’avait pas encore adhéré à l’Union et qui ne figure pas à l’annexe III de ce règlement, demeure applicable à la situation de réfugiés politiques rapatriés dans leur État d’origine avant la conclusion de l’accord bilatéral et l’entrée en vigueur dudit règlement.

29

À titre liminaire, il convient d’observer que la Casa Județeană de Pensii considère que le règlement no 1408/71 n’est pas applicable dans l’affaire au principal du fait de l’accord bilatéral et, en particulier, de l’article 5 de ce dernier, en vertu duquel toute obligation de la Roumanie à l’égard des réfugiés politiques grecs se serait éteinte, la Roumanie s’étant acquittée de son obligation de verser 15 millions de USD à la République hellénique. Il y a donc lieu de vérifier si les circonstances en cause au principal relèvent du champ d’application du règlement no 1408/71.

30

À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, bien qu’une réglementation nouvelle ne vaille en principe que pour l’avenir, elle s’applique également, sauf dérogation, selon un principe généralement reconnu, aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi ancienne (voir arrêt Duchon, C‑290/00, EU:C:2002:234, point 21 et jurisprudence citée).

31

Afin de permettre l’application du règlement no 1408/71 aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi ancienne, l’article 94 de ce règlement prévoit, notamment, à son paragraphe 2, l’obligation de prendre en considération, aux fins de la détermination de droits à prestation, toute période d’assurance, d’emploi ou de résidence accomplie sous la législation de tout État membre avant le 1er octobre 1972 ou avant la date d’application du règlement sur le territoire de cet État membre (voir arrêt Duchon, EU:C:2002:234, point 23).

32

Dans la mesure où le règlement no 1408/71 est entré en vigueur à l’égard de la Roumanie dès l’adhésion de cette dernière à l’Union, à savoir le 1er janvier 2007, ce règlement est applicable ratione temporis à une situation telle que celle des époux Balazs, qui étaient donc fondés à s’en prévaloir à compter de cette date.

33

Contrairement à ce que soutient la Casa Județeană de Pensii, la circonstance que l’accord bilatéral prévoit que les obligations de la Roumanie concernant les droits en matière de sécurité sociale des réfugiés politiques grecs rapatriés prennent fin après le paiement de la somme de 15 millions de USD est sans pertinence à cet égard.

34

En effet, il résulte de l’article 6 du règlement no 1408/71 que celui-ci se substitue, dans le cadre de son champ d’application personnel ainsi que matériel, et sous certaines réserves, à toute convention de sécurité sociale qui lie deux ou plusieurs États membres. Cette substitution a une portée impérative et n’admet aucune exception en dehors des cas mentionnés par le règlement (voir, par analogie, arrêts Walder, 82/72, EU:C:1973:62, points 6 et 7; Thévenon, C‑475/93, EU:C:1995:371, point 15, ainsi que Rönfeldt, C‑227/89, EU:C:1991:52, point 22).

35

Parmi les exceptions prévues par le règlement no 1408/71 figure celle visée à l’article 7, paragraphe 2, sous c), selon lequel les dispositions des conventions de sécurité sociale mentionnées à l’annexe III de ce règlement restent en vigueur, nonobstant l’article 6 dudit règlement (arrêts Habelt e.a., C‑396/05, EU:C:2007:810, point 87, ainsi que Wencel, C‑589/10, EU:C:2013:303, point 35), et à la condition que lesdites conventions soient plus favorables aux bénéficiaires ou qu’elles découlent de circonstances historiques spécifiques et qu’elles aient un effet limité dans le temps.

36

En l’occurrence, il est constant que l’accord bilatéral ne figure pas à l’annexe III du règlement no 1408/71. Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, le règlement no 1408/71, conformément à son article 6, sous a), s’est en principe substitué à cet accord.

37

La juridiction de renvoi et le gouvernement roumain invoquent, toutefois, l’arrêt Rönfeldt (EU:C:1991:52) afin de faire valoir que, nonobstant les termes des articles 6 et 7, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1408/71, l’accord bilatéral demeure applicable.

38

Dans cet arrêt, la Cour a jugé, sur le fondement des articles 45 TFUE et 48 TFUE, que, dans le cas de travailleurs migrants, les conventions bilatérales de sécurité sociale doivent continuer à s’appliquer après l’entrée en vigueur du règlement no 1408/71, indépendamment du point de savoir si elles figurent ou non à l’annexe III de ce règlement, lorsque cette application est plus favorable au travailleur.

39

Il convient donc de déterminer si les principes dégagés dans l’arrêt Rönfeldt (EU:C:1991:52) sont applicables dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

40

À cet égard, en premier lieu, il importe d’observer que, ainsi qu’il a été relevé au point 33 du présent arrêt, le principe de substitution établi à l’article 6 du règlement no 1408/71 a une portée impérative et n’admet, en principe, aucune exception.

41

En second lieu, il convient de rappeler que les principes dégagés dans l’arrêt Rönfeldt (EU:C:1991:52) reposent sur l’idée que l’intéressé était en droit d’avoir une confiance légitime dans le fait qu’il pourrait bénéficier des dispositions d’une convention bilatérale qui lui était seule applicable à la date où il a décidé de se déplacer dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt Kaske, C‑277/99, EU:C:2002:74, point 27).

42

Dès lors, dans des circonstances telles que celles en cause au principal qui se caractérisent par le fait que les intéressés ont quitté la Roumanie pour la Grèce en 1990, à savoir six ans avant que l’accord bilatéral ne soit conclu, ces intéressés ne pouvaient avoir de confiance légitime dans le fait qu’ils pourraient bénéficier des dispositions de l’accord bilatéral, celui-ci n’ayant pas encore été conclu à la date de leur rapatriement en Grèce.

43

En tout état de cause, il importe de relever que, dans l’affaire au principal, les époux Balazs ne demandent pas à bénéficier de l’accord bilatéral. Ils souhaitent, au contraire, que le règlement no 1408/71 leur soit appliqué. Dans ces conditions, le gouvernement roumain ne saurait invoquer l’arrêt Rönfeldt (EU:C:1991:52) pour démontrer que cet accord demeure applicable à leur situation.

44

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que les principes dégagés dans l’arrêt Rönfeldt (EU:C:1991:52), qui permettent d’écarter l’application des dispositions du règlement no 1408/71 pour continuer à appliquer une convention bilatérale à laquelle ce règlement s’est normalement substitué, ne sont pas applicables dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

45

Il en résulte qu’il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 7, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens qu’un accord bilatéral relatif aux prestations de sécurité sociale des ressortissants de l’un des États signataires ayant eu la qualité de réfugiés politiques sur le territoire de l’autre État signataire, conclu à une date où l’un des deux États signataires n’avait pas encore adhéré à l’Union et qui ne figure pas à l’annexe III de ce règlement, ne demeure pas applicable à la situation de réfugiés politiques rapatriés dans leur État d’origine avant la conclusion de l’accord bilatéral et l’entrée en vigueur dudit règlement.

Sur la limitation dans le temps des effets de l’arrêt

46

Le gouvernement roumain demande à la Cour, dans l’éventualité où elle jugerait que l’accord bilatéral ne relève pas du champ de l’exception établie à l’article 7, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1408/71, de limiter dans le temps les effets de son arrêt.

47

À l’appui de sa demande, ledit gouvernement soutient, d’une part, que les autorités roumaines ont agi de bonne foi. En effet, tout d’abord, la position de ces dernières serait fondée sur une jurisprudence constante de la Cour, notamment l’arrêt Rönfeldt (EU:C:1991:52). Ensuite, si la Commission a introduit une procédure d’infraction contre la Roumanie, afin de faire constater le non-respect par cet État membre des obligations qui lui incombent en application du règlement no 1408/71, la position de cet État membre, dans le cadre de cette procédure, aurait été constante et la Commission n’aurait pas réagi à la demande dudit État d’organiser des consultations techniques et d’accomplir des démarches auprès des autorités grecques. En outre, la bonne foi des autorités roumaines ne pourrait être mise en doute par le fait que d’autres États membres, confrontés à des problèmes similaires, ont accepté d’appliquer le règlement no 1408/71, dès lors que les accords conclus par la République hellénique avec ces autres États différeraient de celui conclu entre celle-ci et la Roumanie. Enfin, les autorités roumaines auraient effectué des démarches auprès des autorités grecques afin de clarifier la situation.

48

D’autre part, le gouvernement roumain attire l’attention de la Cour sur les conséquences financières graves qu’engendrerait l’application rétroactive de l’arrêt de la Cour. Selon l’estimation de la Casa Națională de Pensii Publice (caisse nationale des pensions publiques), la somme supplémentaire qui devrait être payée s’élèverait à 38 560 683 RON (environ 8680537 euros). Le gouvernement roumain souligne également que près de 800 requêtes analogues à celles des époux Balazs sont actuellement pendantes.

49

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’interprétation que cette dernière donne d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis la date de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (voir arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., C‑338/11 à C‑347/11, EU:C:2012:286, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

50

Ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves (voir arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., EU:C:2012:286, point 59 ainsi que jurisprudence citée).

51

Plus spécifiquement, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, notamment lorsqu’il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur le fondement de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et qu’il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à adopter un comportement non conforme au droit de l’Union en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions du droit de l’Union, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission (voir arrêt Santander Asset Management SGIIC e.a., EU:C:2012:286, point 60 ainsi que jurisprudence citée).

52

Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 98 et 99 de ses conclusions, le gouvernement roumain n’a pas démontré l’existence d’un risque de troubles graves. En effet, si ce gouvernement fait état de 800 requêtes analogues à celles des époux Balazs, il ne mentionne nullement le nombre total de personnes se trouvant dans une situation comparable à celle desdits époux. En outre, ce gouvernement n’a pas précisé si le montant de 38560683 RON couvrait également les 800 requêtes analogues actuellement pendantes. Celles-ci ne seraient, en tout état de cause, pas affectées par une limitation dans le temps des effets de l’arrêt (voir, en ce sens, arrêt Bosman, C‑415/93, EU:C:1995:463, point 144).

53

Étant donné que le second critère visé au point 50 du présent arrêt n’est pas rempli, il n’est pas nécessaire de vérifier s’il est satisfait au critère relatif à la bonne foi des milieux intéressés.

54

Il résulte des considérations qui précèdent qu’il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.

Sur les dépens

55

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

L’article 7, paragraphe 2, sous c), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, doit être interprété en ce sens qu’un accord bilatéral relatif aux prestations de sécurité sociale des ressortissants de l’un des États signataires ayant eu la qualité de réfugiés politiques sur le territoire de l’autre État signataire, conclu à une date où l’un des deux États signataires n’avait pas encore adhéré à l’Union et qui ne figure pas à l’annexe III de ce règlement, ne demeure pas applicable à la situation de réfugiés politiques rapatriés dans leur État d’origine avant la conclusion de l’accord bilatéral et l’entrée en vigueur dudit règlement.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le roumain.