ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

23 janvier 2014 ( *1 )

«Transport maritime — Directive 1999/32/CE — Convention Marpol 73/78 — Annexe VI — Pollution de l’atmosphère par les navires — Navires à passagers assurant des services réguliers — Navires de croisière — Teneur maximale en soufre des combustibles marins — Validité»

Dans l’affaire C‑537/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Genova (Italie), par décision du 18 juin 2011, parvenue à la Cour le 21 octobre 2011, dans la procédure

Mattia Manzi,

Compagnia Naviera Orchestra

contre

Capitaneria di Porto di Genova,

en présence de:

Ministero delle Infrastrutture e dei Trasporti,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, M. K. Lenaerts, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la quatrième chambre, MM. M. Safjan, J. Malenovský (rapporteur) et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 septembre 2013,

considérant les observations présentées:

pour M. Manzi et la Compagnia Naviera Orchestra, par Mes A. Rossi et S. Dameri, avvocati, mandatés par M. B. O’Connor, solicitor,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Albenzio, avvocato dello Stato,

pour le Parlement européen, par Mme I. Anagnostopolou ainsi que par MM. L. Visaggio et J. Rodrigues, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes K. Michoel et S. Barbagallo ainsi que par M. M. Moore, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes S. Boelaert, S. Petrova et L. Pignataro-Nolin ainsi que par M. L. Prete, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, point 3 octies, et 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant une réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides et modifiant la directive 93/12/CEE (JO L 121, p. 13), telle que modifiée par la directive 2005/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2005 (JO L 191, p. 59, ci-après la «directive 1999/32»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Manzi et la Compagnia Naviera Orchestra à la Capitaneria di Porto di Genova [Capitainerie du port de Gênes (Italie)] au sujet d’une sanction administrative qui leur a été infligée pour la méconnaissance de la teneur maximale en soufre des combustibles marins.

Le cadre juridique

Le droit international

3

La convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, signée à Londres le 2 novembre 1973, telle que complétée par le protocole du 17 février 1978 (ci-après la «convention Marpol 73/78»), met en place des règles de lutte contre la pollution du milieu marin.

4

Le protocole de 1997 modifiant la convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, telle que modifiée par le protocole de 1978 y relatif, signé à Londres le 26 septembre 1997 (ci-après le «protocole de 1997»), a ajouté à cette convention l’annexe VI, intitulée «Règles relatives à la prévention de la pollution de l’atmosphère par les navires» (ci-après l’«annexe VI»).

5

Parmi les parties contractantes du protocole de 1997 figurent 25 États membres de l’Union européenne. La République tchèque, la Hongrie et la République d’Autriche ne sont pas parties contractantes à ce protocole.

6

À la date pertinente pour le litige au principal, la règle 14, point 1, de l’annexe VI disposait que, en dehors des zones de contrôle des émissions de SOX, la teneur en soufre des combustibles marins ne devait pas dépasser 4,5 % en masse.

Le droit de l’Union

7

Les considérants 1, 3 et 8 de la directive 1999/32 sont libellés comme suit:

«(1)

considérant que les objectifs et les principes de la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement […] visent en particulier à protéger efficacement les populations des risques connus que présentent les émissions de dioxyde de soufre et à protéger l’environnement en empêchant que les dépôts de soufre dépassent des charges et des niveaux critiques définis;

[…]

(3)

considérant que les émissions de dioxyde de soufre participent de manière importante au phénomène d’acidification dans la Communauté; que le dioxyde de soufre exerce également des effets directs sur la santé humaine et sur l’environnement;

[…]

(8)

considérant que le soufre naturellement présent en faibles quantités dans le pétrole et le charbon a été reconnu depuis des décennies comme constituant la principale source des émissions de dioxyde de soufre, elles-mêmes responsables en grande partie des ‘pluies acides’ et de la pollution de l’air qui affecte de nombreuses zones urbaines et industrielles».

8

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la même directive:

«La présente directive a pour objet de réduire les émissions de dioxyde de soufre résultant de la combustion de certains types de combustibles liquides et de diminuer ainsi les effets néfastes de ces émissions sur l’homme et l’environnement.»

9

L’article 2, point 3 septies, de ladite directive précise que, aux fins de celle-ci, il convient d’entendre par:

«navires à passagers, les navires transportant plus de douze passagers, un passager étant toute personne autre que:

i)

le capitaine et les membres de l’équipage ou une autre personne employée ou engagée à quelque titre que ce soit à bord d’un navire et à son service; et

ii)

un enfant âgé de moins d’un an».

10

L’article 2, point 3 octies, de la directive 1999/32 énonce que, aux fins de celle-ci, il convient d’entendre par:

«services réguliers, une série de traversées effectuées par un navire à passagers de manière à assurer un trafic entre les mêmes ports, ou une série de voyages à destination et en provenance du même port sans escale:

i)

suivant un horaire publié; ou

ii)

avec une régularité ou une fréquence assimilable à un horaire».

11

L’article 4 bis, paragraphe 4, de ladite directive prévoit:

«À partir [du 11 août 2006], les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que les combustibles marins ne soient pas utilisés dans leurs mers territoriales, leurs zones économiques exclusives et leurs zones de prévention de la pollution par les navires à passagers assurant des services réguliers à destination ou en provenance de ports de la Communauté, si leur teneur en soufre dépasse 1,5 % en masse. Les États membres sont responsables de l’application de cette disposition, au moins en ce qui concerne les navires battant leur pavillon et les navires quel que soit leur pavillon pendant qu’ils se trouvent dans leurs ports.»

Le droit italien

12

Les dispositions de la directive 1999/32 portant sur la teneur maximale autorisée de soufre dans les combustibles marins ont été transposées dans le droit interne italien par les articles 295 et 296 du décret législatif no 152, du 3 avril 2006 (supplément ordinaire à la GURI no 88, du 14 avril 2006), tel que modifié, notamment, par le décret législatif no 205, du 6 novembre 2007, portant mise en œuvre de la directive 2005/33/CE modifiant la directive 1999/32/CE en ce qui concerne la teneur en soufre des combustibles marins (supplément ordinaire à la GURI no 261, du 9 novembre 2007, ci-après le «décret législatif no 152/2006»).

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13

Le 13 juillet 2008, la Capitaneria di Porto di Genova a constaté, dans le port de Gênes, que le navire de croisière MSC Orchestra, battant pavillon panaméen, utilisait des combustibles marins dont la teneur en soufre dépassait 1,5 % en masse.

14

Par ordonnance-injonction no 166/2010, la Capitaneria di Porto di Genova a infligé une sanction administrative à M. Manzi, en sa qualité de commandant dudit navire, solidairement avec la Compagnia Naviera Orchestra, propriétaire de celui-ci, pour violation des articles 295 et 296 du décret législatif no 152/2006.

15

M. Manzi et la Compagnia Naviera Orchestra ont introduit un recours contre cette ordonnance-injonction, en soutenant:

qu’il existe une contradiction entre la directive 1999/32 et l’annexe VI en ce qui concerne la quantité maximale de soufre contenue dans les combustibles marins;

que la MSC Orchestra, en tant que navire battant pavillon d’un État partie à la convention Marpol 73/78 et au protocole de 1997, est autorisée à utiliser un combustible ayant une teneur en soufre inférieure à 4,5 % en masse lorsqu’elle se trouve dans le port d’un autre État partie au même protocole, en l’occurrence la République italienne, et

que l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 et, en conséquence, le décret législatif no 152/2006 transposant cette disposition ne s’appliquent qu’aux navires qui effectuent des «services réguliers», catégorie dont les navires de croisière ne font pas partie.

16

Dans ces conditions, le Tribunale di Genova a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 4 bis de la [directive 1999/32], adoptée également à la lumière de l’entrée en vigueur de l’[annexe VI], doit-il être interprété, dans le respect du principe international de bonne foi et du principe de coopération loyale entre la Communauté et les États membres, en ce sens que la limitation à 1,5 % en masse du contenu en soufre du diesel marin qu’il prévoit ne s’applique pas aux navires battant pavillon d’un État non membre de l’[Union] partie à la convention Marpol 73/78, alors même que ces navires se trouvent dans le port d’un État membre, lui aussi partie à l’[annexe VI]?

2)

Dans le cas où l’article 4 bis de la [directive 1999/32] ne devrait pas être interprété dans le sens visé à la [première] question, cet article, en ce qu’il prévoit de limiter à 1,5 % en masse le contenu en soufre du diesel marin utilisé par les navires à passagers qui effectuent des services réguliers au départ ou à destination d’un port communautaire, y compris ceux battant pavillon d’un État non membre de l’[Union], partie à l’[annexe VI], en vertu de laquelle, en dehors des [zones de contrôle des émissions de SOx], c’est la limitation de 4,5 % en masse du contenu en soufre qui s’applique, est-il illégal, dès lors qu’il s’oppose au principe général du droit international pacta sunt servanda, ainsi qu’au principe de coopération loyale entre la Communauté et les États membres, en obligeant les États membres qui ont ratifié et qui sont partie à l’annexe VI à passer outre les obligations qui leur incombent vis-à-vis des autres États parties à l’[annexe VI]?

3)

La notion de ‘service régulier’ visée à l’article 2, point 3 octies, de la [directive 1999/32] doit-elle être interprétée en ce sens que les navires de croisière sont considérés comme des navires effectuant un ‘service régulier’?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la troisième question

17

Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un navire de croisière, tel que celui en cause au principal, relève du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 au regard du critère des «services réguliers» tel qu’énoncé à l’article 2, point 3 octies, de cette directive.

18

À cet égard, il convient de constater que les différents navires de croisière doivent, pour relever du régime instauré par l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32, satisfaire au critère relatif aux «services réguliers» prévu à l’article 2, point 3 octies, de celle-ci, disposition applicable aux navires à passagers. En effet, il est constant que les navires de croisière relèvent de cette dernière catégorie de navires.

19

Selon la première condition prévue à ladite disposition, un navire à passagers assure des services réguliers s’il effectue soit «une série de traversées [...] de manière à assurer un trafic entre les mêmes ports», soit «une série de voyages à destination et en provenance du même port sans escale».

20

Un navire de croisière satisfait donc à cette première condition s’il effectue des croisières qui s’achèvent dans le port de départ de celles-ci sans avoir effectué d’escale.

21

Afin de déterminer si un navire de croisière peut également satisfaire à ladite première condition dans des situations autres que celle mentionnée au point précédent, il convient d’apprécier si un tel navire peut être considéré comme effectuant des traversées de manière à «assurer un trafic entre les mêmes ports».

22

Les requérants au principal font valoir, premièrement, qu’un navire de croisière, tel que celui en cause au principal, n’assure pas un «trafic». En effet, les croisiéristes n’achèteraient pas un forfait pour être transportés d’un point à un autre, mais ils le feraient avec une finalité touristique plus large, la prestation fournie s’étendant également au divertissement de ces personnes.

23

Toutefois, une telle interprétation de la notion de «trafic» énoncée à l’article 2, point 3 octies, de la directive 1999/32 ne saurait être admise.

24

En effet, il convient de relever que les navires de croisière transportent les passagers d’un port à l’autre afin que ceux-ci puissent visiter ces ports ainsi que les différents lieux situés à proximité. Le législateur de l’Union n’ayant aucunement précisé les objectifs pour lesquels un transport est effectué, il en résulte que ces derniers sont sans pertinence au regard de l’article 2, point 3 octies, de la directive 1999/32. Ainsi, une série de traversées à finalité touristique doit être considérée comme un trafic au sens de cette disposition.

25

Dans la mesure où cette directive a pour finalité de contribuer à la protection de la santé humaine et de l’environnement en réduisant les émissions de dioxyde de soufre, y compris celles produites lors des transports en mer, cette conclusion ne saurait être infirmée par la circonstance que les passagers d’un navire de croisière bénéficient, pendant les traversées, de services supplémentaires, tels que le logement, la restauration et le divertissement.

26

Les requérants au principal soutiennent, deuxièmement, qu’un navire, tel que celui en cause dans le litige dont est saisie la juridiction de renvoi, n’effectue pas des traversées «entre les mêmes ports», dès lors que, d’une part, le port de départ coïncide avec celui d’arrivée et que, d’autre part, il arrive souvent que des escales envisagées dans l’itinéraire ne sont pas effectuées alors que, en revanche, des escales qui n’ont pas été prévues dans cet itinéraire ne sont pas exclues, en raison des exigences touristiques des passagers.

27

Une telle argumentation ne saurait davantage être admise.

28

Pour satisfaire au critère relatif au «trafic entre les mêmes ports», critère qui est propre à l’hypothèse du transport avec escales, il est nécessaire que le trafic effectué par un navire de croisière relie au moins deux «mêmes ports». Or, une croisière reliant deux ou plusieurs ports doit être considérée comme une opération de transport entre deux «mêmes ports».

29

En effet, la liste des ports que contient l’itinéraire de chaque croisière type comporte nécessairement au moins deux ports qui ne peuvent être évités, à savoir le port de départ et celui d’arrivée. Le transport est ainsi effectué entre ces deux «mêmes ports», et ce même lorsque le transport se termine au port de départ.

30

En outre, il importe de relever que cette interprétation est corroborée par l’objectif sous-tendant la directive 1999/32, tel que rappelé au point 25 du présent arrêt. En effet, la circonstance que les navires de croisière reviennent ou non dans le port de départ n’est pas de nature à modifier le taux de leurs émissions de dioxyde de soufre.

31

Par conséquent, dans l’hypothèse où il existe des escales, la question de savoir si certaines escales prévues lors de l’achat du forfait ne sont pas réalisées, alors que d’autres escales non prévues sont effectuées à leur place, est dépourvue d’incidence au regard de la notion de «trafic», au sens de l’article 2, point 3 octies, de la directive 1999/32.

32

Il en résulte qu’un navire de croisière qui effectue des traversées avec escales reliant deux ports distincts ou s’achevant dans le port de départ assure un trafic entre les mêmes ports au sens de ladite disposition.

33

Selon la seconde condition énoncée à l’article 2, point 3 octies, de la directive 1999/32, qui présente un caractère cumulatif par rapport à la première, un navire à passagers doit effectuer une série de traversées ou de voyages suivant un horaire publié ou avec une régularité ou une fréquence assimilable à un horaire.

34

Cette condition est satisfaite, en particulier, lorsqu’une compagnie maritime propose au public une liste de traversées en mer à bord d’un navire de croisière, à une fréquence déterminée, notamment par les capacités de cette compagnie et par la demande du public, à des dates précises et, en principe, à des heures de départ et d’arrivée précises, les intéressés pouvant librement choisir entre les différentes croisières offertes par ladite compagnie.

35

Par conséquent, il y a lieu de répondre à la troisième question qu’un navire de croisière, tel que celui en cause au principal, relève du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 au regard du critère des «services réguliers», tel qu’énoncé à l’article 2, point 3 octies, de cette directive, à condition qu’il effectue des croisières, avec ou sans escales, s’achevant dans le port de départ ou dans un autre port, pour autant que ces croisières sont organisées à une fréquence déterminée, à des dates précises et, en principe, à des heures de départ et d’arrivée précises, les intéressés pouvant librement choisir entre les différentes croisières offertes, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la deuxième question

36

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, si l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 est valide au regard du principe de droit international général pacta sunt servanda et du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, au motif que cette disposition de ladite directive est susceptible d’aboutir à une violation de l’annexe VI et d’obliger ainsi les États membres parties au protocole de 1997 à méconnaître les obligations qui leur incombent à l’égard des autres parties contractantes de celui-ci.

37

Il convient de relever d’emblée que la validité de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 ne saurait être appréciée au regard de l’annexe VI dès lors que l’Union n’est pas partie contractante à la convention Marpol 73/78, y compris l’annexe VI, et n’est pas liée par elle (voir, par analogie, arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C-308/06, Rec. p. I-4057, points 47 et 52).

38

La validité dudit article 4 bis, paragraphe 4, ne peut pas non plus être examinée au regard du principe de droit international général pacta sunt servanda, ce principe obligatoire s’appliquant uniquement aux sujets de droit international qui sont parties contractantes à un accord international donné et qui, de ce fait, sont liés par ce dernier.

39

Il n’apparaît pas, en outre, que l’annexe VI constitue l’expression de règles coutumières consacrées par le droit international général qui, en tant que telles, lient les institutions de l’Union et font partie de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2010, Brita, C-386/08, Rec. p. I-1289, point 42).

40

Enfin, il convient de constater que les principes énoncés aux points 47 à 52 de l’arrêt Intertanko e.a., précité, en vertu desquels la validité de la directive 1999/32 ne peut être examinée au regard de l’annexe VI, ne sauraient être contournés en invoquant la prétendue violation du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE.

41

Dans ces conditions, il convient de répondre à la deuxième question que la validité de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 ne saurait être examinée au regard du principe de droit international général pacta sunt servanda ni du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, au motif que cette disposition de ladite directive est susceptible d’aboutir à une violation de l’annexe VI et d’obliger ainsi les États membres parties au protocole de 1997 à méconnaître les obligations qui leur incombent à l’égard des autres parties contractantes de celui-ci.

Sur la première question

42

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, quelle est l’incidence de l’annexe VI sur la portée de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 au regard du principe de droit international général qui exige que les accords internationaux soient exécutés et interprétés de bonne foi.

43

L’annexe VI a été insérée dans la convention Marpol 73/78 par le protocole de 1997. Elle contient, notamment, la règle 14 qui prévoit, à son point 1, que la teneur en soufre des combustibles marins ne doit pas dépasser 4,5 % en masse.

44

La directive 1999/32 prévoit, à son article 4 bis, paragraphe 4, que la teneur maximale en soufre dans les combustibles marins ne doit pas dépasser 1,5 % en masse. Ni cet article ni aucune autre disposition de cette directive ne renvoie, s’agissant de la teneur maximale en soufre, à l’annexe VI.

45

À cet égard, la Cour a déjà jugé que, même si l’Union n’est pas liée par un accord international, la circonstance que tous ses États membres sont des parties contractantes à celui-ci est susceptible d’avoir des conséquences pour l’interprétation du droit de l’Union, notamment, des dispositions du droit dérivé qui entrent dans le champ d’application d’un tel accord. Il appartient ainsi à la Cour d’interpréter ces dispositions en tenant compte de ce dernier (voir, en ce sens, arrêt Intertanko e.a., précité, points 49 à 52).

46

Cette jurisprudence ne saurait donc être transposée à un accord international auquel seuls certains États membres de l’Union sont parties contractantes, alors que d’autres États membres ne le sont pas.

47

En effet, interpréter des dispositions du droit dérivé au regard d’une obligation imposée par un accord international qui ne lie pas tous les États membres reviendrait à étendre la portée de cette obligation à ceux des États membres qui ne sont pas parties contractantes à un tel accord. Ces derniers doivent pourtant être considérés comme des «États tiers» à l’égard dudit accord. Or, une telle extension serait incompatible avec le principe de droit international général de l’effet relatif des traités, selon lequel les traités ne doivent ni nuire ni profiter à des États tiers («pacta tertiis nec nocent nec prosunt»).

48

Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette dernière est tenue de respecter ledit principe puisque celui-ci constitue une règle du droit international coutumier, qui, en tant que telle, lie les institutions de l’Union et fait partie de l’ordre juridique de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt Brita, précité, points 42 à 44).

49

Par ailleurs, une telle interprétation du droit dérivé ne serait pas conforme au principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE.

50

En l’espèce, le protocole de 1997 est un accord international auquel seuls certains États membres de l’Union sont parties contractantes.

51

Par conséquent, il n’appartient pas à la Cour d’interpréter l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 au regard de l’annexe VI, et notamment de la règle 14, point 1, de celle-ci.

52

Dans ces conditions, le principe de droit international général de bonne foi ne saurait être utilement invoqué devant la présente juridiction.

53

À supposer même que la Cour puisse interpréter l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 à la lumière de la teneur en soufre prévue à l’annexe VI, il suffit de constater que, au regard de l’objectif poursuivi par cette annexe et explicité dans l’intitulé même de celle-ci, à savoir la protection de l’atmosphère par une réduction des émissions nocives produites par le transport en mer, cette disposition, en tant qu’elle fixe une limite maximale à la teneur en soufre des combustibles marins inférieure à celle prévue par ladite annexe, ne paraît pas incompatible avec un tel objectif.

54

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la question de savoir quelle est l’incidence de l’annexe VI sur la portée de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32.

Sur les dépens

55

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

1)

Un navire de croisière, tel que celui en cause au principal, relève du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant une réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides et modifiant la directive 93/12/CEE, telle que modifiée par la directive 2005/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2005, au regard du critère des «services réguliers», tel qu’énoncé à l’article 2, point 3 octies, de cette directive, à condition qu’il effectue des croisières, avec ou sans escales, s’achevant dans le port de départ ou dans un autre port, pour autant que ces croisières sont organisées à une fréquence déterminée, à des dates précises et, en principe, à des heures de départ et d’arrivée précises, les intéressés pouvant librement choisir entre les différentes croisières offertes, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

2)

La validité de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32, telle que modifiée par la directive 2005/33, ne saurait être examinée au regard du principe de droit international général pacta sunt servanda ni du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, au motif que cette disposition de ladite directive est susceptible d’aboutir à une violation de l’annexe VI de la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, signée à Londres le 2 novembre 1973, telle que complétée par le protocole du 17 février 1978, et d’obliger ainsi les États membres parties au protocole de 1997 modifiant la convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, telle que modifiée par le protocole de 1978 y relatif, signé à Londres le 26 septembre 1997, à méconnaître les obligations qui leur incombent à l’égard des autres parties contractantes de celui-ci.

 

3)

Il n’appartient pas à la Cour de justice de l’Union européenne de se prononcer sur la question de savoir quelle est l’incidence de ladite annexe VI sur la portée de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32, telle que modifiée par la directive 2005/33.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’italien.