Affaire C-310/10

Ministerul Justiţiei și Libertăţilor Cetăţenești

contre

Ştefan Agafiţei e.a.

(demande de décision préjudicielle, introduite par la Curtea de Apel Bacău)

«Droits salariaux des magistrats — Discrimination opérée en fonction de l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle ou du lieu de travail — Conditions d’indemnisation du préjudice encouru — Directives 2000/43/CE et 2000/78/CE — Inapplicabilité — Irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle»

Sommaire de l'arrêt

Questions préjudicielles — Compétence de la Cour — Limites — Demande d'interprétation de dispositions du droit de l'Union manifestement inapplicables dans le litige au principal

(Art. 267 TFUE; directives du Conseil 2000/43, art. 15, et 2000/78, art. 17)

Le rejet d'une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale peut se justifier notamment s’il est manifeste que le droit de l’Union ne saurait trouver à s’appliquer, ni directement ni indirectement, aux circonstances de l’espèce.

Tel est le cas d'une demande de décision préjudicielle présentée par une juridiction nationale qui porte sur l'article 15 de la directive 2000/43, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, et l'article 17 de la directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, et qui n'a pas pour objet de vérifier si une situation de discrimination salariale en fonction de la catégorie socioprofessionnelle ou du lieu de travail relève du champ d'application desdites dispositions, mais qui part plutôt du présupposé que tel est le cas pour solliciter une interprétation de la Cour, alors pourtant que lesdites dispositions du droit de l'Union ne peuvent manifestement pas trouver à s'appliquer ni directement ni indirectement aux circonstances de l'espèce.

L'article 15 de la directive 2000/43 et l'article 17 de la directive 2000/78 ne peuvent manifestement trouver à s’appliquer aux discriminations salariales en fonction de la catégorie socioprofessionnelle ou du lieu de travail. Le principe de l’égalité de traitement que lesdites directives consacrent s’applique en effet en fonction des motifs énumérés de manière exhaustive à leur article 1er.

Lorsqu'une législation nationale entend se conformer pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues dans le droit de l’Union afin, par exemple, d’éviter l’apparition de discriminations à l’encontre des ressortissants nationaux ou d’éventuelles distorsions de concurrence, ou encore d’assurer une procédure unique dans des situations comparables, il existe un intérêt certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer.

Tel n'est pas le cas en présence d'une disposition nationale instituant, en application des articles 15 de la directive 2000/43 et 17 de la directive 2000/78, un régime de réparation à l'égard des violations des règles de non-discrimination prévues par lesdites directives lorsque ledit régime trouve par ailleurs à s'appliquer en ce qui concerne des violations de règles de non-discrimination résultant du seul droit national.

En outre, si la nécessité d'assurer l'interprétation uniforme des normes du droit de l'Union peut justifier que la compétence de la Cour s'étende au contenu de telles normes, y compris dans l'hypothèse où celles-ci ne sont applicables qu’indirectement à une situation donnée, en raison d’un renvoi à celles-ci opéré par une règle de droit national, cette même considération ne saurait, en revanche, conduire, sans méconnaître la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres, à conférer à ladite norme du droit de l’Union une primauté sur des normes internes de rang supérieur qui commanderait, s’agissant d’une telle situation, d’écarter ladite règle de droit national ou l’interprétation qui en est donnée.

(cf. points 28, 32-34, 39-48 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

7 juillet 2011 (*)

«Droits salariaux des magistrats – Discrimination opérée en fonction de l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle ou du lieu de travail – Conditions d’indemnisation du préjudice encouru – Directives 2000/43/CE et 2000/78/CE – Inapplicabilité – Irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle»

Dans l’affaire C‑310/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Bacău (Roumanie), par décision du 14 juin 2010, parvenue à la Cour le 29 juin 2010, dans la procédure

Ministerul Justiţiei și Libertăţilor Cetăţenești

contre

Ştefan Agafiţei,

Raluca Apetroaei,

Marcel Bărbieru,

Sorin Budeanu,

Luminiţa Chiagă,

Mihaela Crăciun,

Sorin-Vasile Curpăn,

Mihaela Dabija,

Mia-Cristina Damian,

Sorina Danalache,

Oana-Alina Dogaru,

Geanina Dorneanu,

Adina-Cătălina Galavan,

Gabriel Grancea,

Mădălina Radu (Hobjilă),

Nicolae Cătălin Iacobuţ,

Roxana Lăcătușu,

Sergiu Lupașcu,

Smaranda Maftei,

Silvia Mărmureanu,

Maria Oborocianu,

Simona Panfil,

Oana-Georgeta Pânzaru,

Laurenţiu Păduraru,

Elena Pîrjol-Năstase,

Ioana Pocovnicu,

Alina Pușcașu,

Cezar Ştefănescu,

Roxana Ştefănescu,

Ciprian Ţimiraș,

Cristina Vintilă,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, MM. K. Schiemann (rapporteur), L. Bay Larsen, Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 avril 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement roumain, représenté initialement par MM. A. Popescu et V. Angelescu, puis par M., R. H. Radu et Mme R.-I. Munteanu, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. A. Collins, SC, et de M. N. Travers, BL,

–        pour la Commission européenne, par M. J. Enegren et Mme L. Bouyon, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 15 de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JO L 180, p. 22), et 17 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16), ainsi que, en cas de conflit entre lesdites dispositions et une réglementation nationale ou une décision de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle), sur les conséquences susceptibles de découler de la primauté du droit de l’Union.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

2        L’article 1er de la directive 2000/43 dispose:

«La présente directive a pour objet d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.»

3        L’article 2, paragraphe 1, de ladite directive énonce:

«Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’, l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l’origine ethnique.»

4        L’article 1er de la directive 2000/78 prévoit:

«La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.»

5        L’article 2, paragraphe 1, de ladite directive dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er

6        Les articles 3 des directives 2000/43 et 2000/78, intitulés «Champ d’application», disposent à leur paragraphe 1, sous c), que, dans les limites des compétences conférées à la Communauté, lesdites directives s’appliquent à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération.

7        Les articles 14, sous a), de la directive 2000/43 et 16, sous a), de la directive 2000/78 prévoient que les États membres prennent les mesures nécessaires afin que soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement.

8        L’article 15 de la directive 2000/43 énonce:

«Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer l’application de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues, qui peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. […]»

9        L’article 17 de la directive 2000/78 dispose:

«Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues qui peuvent comprendre le versement d’indemnité[s] à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. […]»

 La réglementation nationale

10      L’ordonnance du gouvernement n° 137/2000 concernant la prévention et la répression de toutes les formes de discrimination (Monitorul Oficial al României, partie I, n° 431, du 2 septembre 2000) vise notamment à assurer la transposition en droit interne des directives 2000/43 et 2000/78.

11      Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, sous e), i), de l’ordonnance n° 137/2000:

«Le principe de l’égalité entre les citoyens et le principe de l’absence de privilèges et de discriminations sont garantis notamment dans l’exercice des droits suivants:

[…]

e)      les droits économiques, sociaux et culturels, en particulier:

i)      le droit au travail, au libre choix de son métier, à des conditions de travail équitables et satisfaisantes, à la protection contre le chômage, à l’égalité salariale pour un même travail, à une rémunération équitable et satisfaisante».

12      L’article 2, paragraphe 1, de ladite ordonnance prévoit:

«Au sens de la présente ordonnance, constitue une discrimination toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la nationalité, l’appartenance à une ethnie, la langue, la religion, la catégorie sociale, les convictions, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, la maladie chronique non contagieuse, la séropositivité, l’appartenance à une catégorie défavorisée, ainsi que tout autre critère ayant pour objet ou effet de restreindre ou d’écarter la reconnaissance, l’usage ou l’exercice, sur un pied d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou des droits reconnus par la loi, dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.»

13      L’article 27, paragraphe 1, de l’ordonnance n° 137/2000 dispose:

«Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination peut demander, devant le juge, une indemnisation et le retour à la situation antérieure à la discrimination ou l’annulation de la situation résultant de la discrimination, conformément au droit commun. […]»

14      Par les décisions nos 818 à 820 du 3 juillet 2008, n° 1325 du 4 décembre 2008 et n° 146 du 25 février 2010, la Curtea Constituțională a déclaré que diverses dispositions de l’ordonnance n° 137/2000, parmi lesquelles figure l’article 27 de celle-ci, devront être considérées comme inconstitutionnelles dans toute la mesure où il découlerait desdites dispositions que les juridictions sont compétentes pour annuler ou refuser l’application d’actes normatifs ayant force de loi lorsqu’elles les considèrent discriminatoires et pour les remplacer par des normes élaborées par voie judiciaire ou par des dispositions figurant dans d’autres actes normatifs.

15      Conformément à l’article 11, paragraphe 1, et à l’annexe 1, A, points 6 à 13, de l’ordonnance d’urgence gouvernementale (Ordonanța de Urgență a Guvernului) n° 27/2006, telle que modifiée et complétée par la loi n° 45/2007 (ci-après l’«OUG n° 27/2006»), les procureurs de la Direcția Națională Anticorupție (Direction nationale anticorruption, ci-après la «DNA») et de la Direcția de Investigare a Infracțiunilor de Criminalitate Organizată și Terorism (Direction d’investigation sur les infractions en matière de crime organisé et de terrorisme, ci-après la «DIICOT») perçoivent une rémunération correspondant à celle des procureurs du parquet auprès de la Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice).

16      Il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que l’accès aux postes de procureurs auprès de la Înalta Curte de Casație și Justiție et, partant, l’octroi de la rémunération liée à cette fonction exigent, notamment, que l’intéressé satisfasse à une condition d’ancienneté de huit années dans la magistrature, alors que tel n’est pas le cas s’agissant des postes de procureurs de la DNA et de la DIICOT.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      En première instance, les requérants, qui sont magistrats, ont saisi le Tribunalul Bacău d’un recours dirigé, notamment, contre cette même juridiction, la Curtea de Apel Bacău et le Ministerul Justiţiei și Libertăţilor Cetăţenești, en vue d’obtenir la réparation du préjudice qu’ils considèrent avoir subi en raison du traitement discriminatoire dont ils auraient été l’objet en matière de rémunération en conséquence du statut réservé, sur ce plan, aux procureurs de la DNA et de la DIICOT.

18      Dans un jugement du 4 avril 2008, le Tribunalul Bacău a considéré que ces requérants étaient victimes d’une discrimination en fonction de la catégorie socioprofessionnelle et du lieu de travail, critères qui correspondraient à celui de «catégorie sociale», visé à l’article 2, paragraphe 1, de l’ordonnance n° 137/2000, et que le principe consacré à l’article 6, paragraphe 2, du code du travail (codul muncii), selon lequel la rémunération pour un même travail doit être la même, se trouve en l’occurrence méconnu.

19      En conséquence, le Tribunalul Bacău a accueilli le recours dont il était saisi et, se fondant sur l’article 27, paragraphe 1, de l’ordonnance n° 137/2000, a condamné les défendeurs à octroyer auxdits requérants des droits salariaux correspondant à la différence entre le salaire déjà perçu par ceux-ci et celui prévu par l’OUG n° 27/2006 pour les procureurs de la DNA et de la DIICOT, cela à compter de la date d’entrée en vigueur de cette dernière réglementation.

20      À l’appui du pourvoi qu’il a introduit à l’encontre de ce jugement, le Ministerul Justiţiei și Libertăţilor Cetăţenești fait notamment valoir que le Tribunalul Bacău a outrepassé les limites de ses compétences judiciaires en s’attribuant des compétences législatives en méconnaissance des décisions susmentionnées nos 818 à 820, n° 1325 et n° 146 de la Curtea Constituțională.

21      C’est dans ces conditions que la Curtea de Apel Bacău a décidé de surseoir à statuer sur ledit pourvoi et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 15 de la directive [2000/43] et l’article 17 de la directive [2000/78], toutes deux transposées en droit national par [l’ordonnance n° 137/2000], telle que republiée et modifiée, s’opposent-ils à une réglementation nationale ou à une décision de la Curtea Constituțională interdisant aux juridictions nationales d’accorder aux requérants ayant fait l’objet d’une discrimination les indemnisations matérielles et/ou morales qu’elles jugent appropriées lorsque la réparation du préjudice causé par les faits discriminatoires concerne des droits salariaux prévus par la loi et accordés à une catégorie socioprofessionnelle autre que celle dont les requérants font partie (voir, en ce sens, les décisions de la Curtea Constituțională n° 1325 du 4 décembre 2008 et n° 146 du 25 février 2010)?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, la juridiction nationale doit-elle attendre l’abrogation ou la modification des dispositions légales nationales et/ou le changement de jurisprudence de la Curtea Constituțională étant par hypothèse contraires aux règles [du droit de l’Union] ou est-elle tenue d’appliquer directement et immédiatement à l’affaire devant être jugée les dispositions [du droit de l’Union] telles qu’elles ont le cas échéant été interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, en laissant inappliquée toute disposition légale nationale ou toute décision de la Curtea Constituțională contraire aux règles [du droit de l’Union]?»

 Sur l’objet des questions préjudicielles

22      Lues à la lumière des indications figurant dans la décision de renvoi, les questions préjudicielles portent en substance, d’une part, sur le point de savoir si, une fois assurée la mise en œuvre en droit interne des articles 15 de la directive 2000/43 et 17 de la directive 2000/78, au moyen, notamment, d’une disposition telle que l’article 27 de l’ordonnance n° 137/2000, lesdits articles 15 et 17 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que des décisions de la Curtea Constituțională excluent que ladite disposition du droit interne puisse ouvrir, au profit de personnes ayant subi une discrimination salariale en fonction de la catégorie socioprofessionnelle ou du lieu de travail, un droit à une réparation sous forme de droits salariaux prévus par la loi en faveur d’une autre catégorie socioprofessionnelle. À supposer que tel soit le cas, lesdites questions visent, d’autre part, à déterminer si une juridiction nationale est alors tenue d’écarter une telle disposition du droit interne ou la jurisprudence constitutionnelle en question sans devoir, à cet égard, attendre que ladite disposition fasse l’objet d’une modification par voie législative ou qu’elle donne lieu à une nouvelle interprétation de la part de la juridiction constitutionnelle qui soient propres à en assurer la conformité avec le droit de l’Union.

 Sur la recevabilité des questions préjudicielles

23      La recevabilité des questions préjudicielles a été mise en doute par le gouvernement roumain et par l’Irlande dans leurs observations écrites, en particulier au motif que la situation en cause au principal ne relèverait pas du champ d’application des directives 2000/43 et 2000/78 ni, plus généralement, de celui du droit de l’Union.

24      À titre liminaire, il convient de rappeler, à cet égard, que, conformément à l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation des traités ainsi que des actes pris par les institutions de l’Union.

25      Selon une jurisprudence constante, la procédure prévue à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales. Il en découle qu’il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour (voir, notamment, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, Rec. p. I‑3763, points 33 et 34; du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C‑28/95, Rec. p. I‑4161, point 24, ainsi que du 8 septembre 2010, Winner Wetten, C‑409/06, non encore publié au Recueil, point 36 et jurisprudence citée).

26      En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts précités Dzodzi, point 35; Leur-Bloem, point 25, ainsi que Winner Wetten, point 36 et jurisprudence citée).

27      Toutefois, la Cour a également indiqué que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 2006, Chacón Navas, C-13/05, Rec. p. I-6467, point 33 et jurisprudence citée). Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts précités Chacón Navas, point 33, ainsi que Winner Wetten, point 37 et jurisprudence citée).

28      Il résulte ainsi d’une jurisprudence constante que le rejet d’une demande formée par une juridiction nationale peut notamment se justifier s’il est manifeste que le droit de l’Union ne saurait trouver à s’appliquer, ni directement ni indirectement, aux circonstances de l’espèce (voir, notamment, arrêt Leur-Bloem, précité, point 26 et jurisprudence citée).

29      En l’occurrence, il convient de faire observer, d’emblée, que la juridiction de renvoi n’interroge pas la Cour sur le point de savoir si une situation telle que celle en cause au principal relève du champ d’application des directives 2000/43 et 2000/78 et, notamment, de leurs articles 15 et 17 respectifs, auxquels ont trait les questions préjudicielles.

30      Force est toutefois de relever, à cet égard, que, ainsi que l’ont fait valoir le gouvernement roumain, l’Irlande et la Commission européenne, tel n’est pas le cas.

31      En effet, l’article 1er de la directive 2000/78 précise que celle-ci a pour objet d’établir un cadre général pour lutter, en ce qui concerne l’emploi et le travail, contre les discriminations fondées sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Pour sa part, la directive 2000/43 a pour objet, ainsi qu’il ressort de son article 1er, d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique.

32      Il ressort cependant de la décision de renvoi que la discrimination en cause au principal n’est aucunement fondée sur l’un des motifs ainsi énumérés par lesdites directives, mais qu’elle est en revanche opérée en fonction de la catégorie socioprofessionnelle, au sens de la loi nationale, dont relèvent les intéressés ou de leur lieu de travail.

33      Il s’ensuit qu’une situation telle que celle en cause au principal ne relève pas des cadres généraux respectivement établis par les directives 2000/43 et 2000/78 en vue de lutter contre certaines discriminations.

34      En effet, ainsi qu’il ressort, notamment, de l’article 2, paragraphe 1, de ces mêmes directives, le principe de l’égalité de traitement qu’elles consacrent s’applique en fonction des motifs énumérés de manière exhaustive à leur article 1er (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Coleman, C‑303/06, Rec. p. I‑5603, points 38 et 46).

35      Il convient en outre de rappeler à cet égard que l’article 13 CE, devenu article 19 TFUE, qui ne contient qu’une réglementation des compétences de la Communauté et sur le fondement duquel ont été adoptées lesdites directives ne vise pas davantage les discriminations fondées sur la catégorie socioprofessionnelle ou le lieu de travail, si bien que lesdits articles 13 CE ou 19 TFUE ne sauraient même constituer un fondement juridique de mesures du Conseil visant à combattre de telles discriminations (voir, en ce sens, arrêts précités Chacón Navas, point 55, et Coleman, point 46).

36      Il découle de tout ce qui précède qu’une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal n’entre pas dans le cadre des mesures adoptées sur le fondement de l’article 13 CE et, notamment, des directives 2000/43 et 2000/78, si bien que les articles 15 et 17 respectifs de ces directives, auxquels a trait la demande de décision préjudicielle, ne concernent pas une telle situation (voir, par analogie, ordonnance du 17 mars 2009, Mariano, C‑217/08, point 27).

37      La Curtea de Apel Bacău ayant toutefois souligné, tant dans les motifs de la décision de renvoi que dans sa première question préjudicielle, que l’ordonnance nº 137/2000 assure la transposition en droit interne des directives 2000/43 et 2000/78, il convient également de s’interroger sur la question de savoir si une interprétation desdits articles 15 et 17 par la Cour serait susceptible de se justifier, ainsi que le soutient la Commission, au motif que ces articles auraient été rendus applicables à des circonstances telles que celles en cause au principal, par le droit national en raison du renvoi opéré par ce dernier auxdits articles.

38      À cet égard, il y a lieu, en effet, de rappeler que la Cour s’est, à maintes reprises, déclarée compétente pour statuer sur des demandes de décisions préjudicielles portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application de celui-ci et relevaient dès lors de la seule compétence des États membres, mais dans lesquelles lesdites dispositions du droit de l’Union avaient été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (voir, notamment, arrêts Leur-Bloem, précité, points 25 et 27 et jurisprudence citée, ainsi que du 3 décembre 1998, Schoonbroodt, C‑247/97, Rec. p. I‑8095, points 14 et 15).

39      La Cour a notamment souligné à cet égard que lorsqu’une législation nationale entend se conformer pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues dans le droit de l’Union afin, par exemple, d’éviter l’apparition de discriminations à l’encontre des ressortissants nationaux ou d’éventuelles distorsions de concurrence, ou encore d’assurer une procédure unique dans des situations comparables, il existe un intérêt certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer (voir, notamment, arrêts Leur-Bloem, précité, point 32 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 juillet 1997, Giloy, C‑130/95, Rec. p. I‑4291, point 28).

40      Tel n’est toutefois pas le cas en l’occurrence.

41      Il ressort certes de la décision de renvoi, et ainsi qu’il vient d’être rappelé, que l’ordonnance nº 137/2000 a notamment pour objet d’assurer la transposition en droit interne des directives 2000/43 et 2000/78 et que l’article 27 de ladite ordonnance, qui prévoit que les discriminations prohibées par cette dernière engagent la responsabilité de leurs auteurs et donnent à ceux qui en sont victimes le droit d’obtenir une réparation, assure à cet égard la mise en œuvre des articles 15 de la directive 2000/43 et 17 de la directive 2000/78. Pour autant, il ne s’ensuit pas que l’interprétation dudit article 27 devrait, lorsque ce dernier trouve à s’appliquer à l’égard de discriminations prohibées en vertu du seul droit national et ne relevant pas du champ d’application desdites directives, être conditionnée par les dispositions de ces dernières ou, plus généralement, par celles du droit de l’Union.

42      Il n’est, en effet, aucunement établi qu’il existerait, en l’occurrence, un intérêt certain à ce que soit préservée une uniformité d’interprétation de dispositions ou de notions reprises du droit de l’Union, quelles que soient les conditions dans lesquelles celles-ci sont appelées à s’appliquer, de telle manière que la Cour se trouverait habilitée à répondre aux questions préjudicielles qui lui sont adressées par la juridiction de renvoi.

43      Tout d’abord, la décision de renvoi ne comporte pas d’indication suffisamment précise dont il pourrait être déduit que, en soumettant à un même régime de réparation les violations de règles de non-discrimination prévues par les directives 2000/43 et 2000/78 et les violations de règles de non-discrimination résultant de la seule réglementation nationale, le législateur interne aurait, s’agissant de ces dernières violations, entendu opérer un renvoi au contenu de dispositions du droit de l’Union ou se conformer aux solutions retenues par celles-ci.

44      Ensuite, il convient d’observer, d’une part, qu’un régime de sanctions tel que celui que les États membres sont appelés à mettre en œuvre en vertu des articles 15 de la directive 2000/43 et 17 de la directive 2000/78 constitue l’accessoire des règles matérielles de non-discrimination qu’édictent lesdites directives et dont il doit assurer l’effectivité. Or, ainsi qu’il a été souligné aux points 31 à 36 du présent arrêt, lesdites directives ne contiennent aucune règle de non-discrimination qui soit fondée, à l’instar de celle sur laquelle porte le litige au principal, sur la catégorie professionnelle.

45      D’autre part, les articles 15 de la directive 2000/43 et 17 de la directive 2000/78 se limitent à faire obligation aux États membres d’instituer un régime de sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de ces directives, en indiquant à cet égard que lesdites sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives et qu’elles peuvent comprendre le versement d’indemnités. Il s’ensuit que les mesures concrètes variables qu’appelle la mise en œuvre des dispositions du droit de l’Union concernées peuvent difficilement être perçues, lorsqu’elles sont appelées à s’appliquer à l’égard de situations ne relevant pas du champ d’application de ces dernières dispositions, comme opérant un renvoi à des notions contenues dans ces mêmes dispositions ou comme se conformant à des solutions retenues dans celles‑ci, dont il y aurait lieu d’assurer une uniformité d’interprétation, quelles que soient les circonstances dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer.

46      Enfin, il y a lieu de souligner que, en l’occurrence, les questions préjudicielles visent en substance non pas tant à obtenir une interprétation du contenu matériel des articles 15 de la directive 2000/43 et 17 de la directive 2000/78 mais plutôt à ce que soit déterminé le point de savoir si le principe de la primauté du droit de l’Union s’oppose à une norme interne de rang constitutionnel telle qu’interprétée par la juridiction constitutionnelle de l’État membre concerné qui, en présence d’une situation ne relevant pas du champ d’application de ces dispositions du droit de l’Union, commande de laisser inappliquée la règle interne qui assure par ailleurs la transposition desdites dispositions du droit de l’Union ou d’interpréter cette règle interne d’une manière qui serait contraire à ces dispositions si ladite situation relevait de leur champ d’application.

47      À cet égard, si la nécessité d’assurer l’interprétation uniforme des normes du droit de l’Union peut, ainsi qu’il a été rappelé précédemment, justifier que la compétence de la Cour en matière d’interprétation s’étende au contenu de telles normes, y compris dans l’hypothèse où celles-ci ne sont applicables qu’indirectement à une situation donnée, en raison d’un renvoi à celles‑ci opéré par une règle de droit national, cette même considération ne saurait, en revanche, conduire, sans méconnaître la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres, à conférer à ladite norme du droit de l’Union une primauté sur des normes internes de rang supérieur qui commanderait, s’agissant d’une telle situation, d’écarter ladite règle de droit national ou l’interprétation qui en est donnée.

48      Il découle de tout ce qui précède que les questions posées par la Curtea de Apel Bacău, qui n’ont pas pour objet de vérifier si une situation telle que celle en cause au principal relève du champ d’application des articles 15 de la directive 2000/43 et 17 de la directive 2000/78, mais partent plutôt du présupposé que tel est le cas pour solliciter une interprétation de la Cour, alors, pourtant, que lesdites dispositions du doit de l’Union ne peuvent manifestement trouver à s’appliquer, ni directement ni indirectement, aux circonstances de l’espèce, doivent être considérées comme irrecevables.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

La demande de décision préjudicielle présentée par la Curtea de Apel Bacău (Roumanie) est irrecevable.

Signatures


* Langue de procédure: le roumain.