ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

10 décembre 2009 ( *1 )

«Procédure préjudicielle — Protection des travailleurs — Licenciements collectifs — Directive 98/59/CE — Cessation de contrats de travail en raison du décès de l’employeur»

Dans l’affaire C-323/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Espagne), par décision du 14 juillet 2008, parvenue à la Cour le 16 juillet 2008, dans la procédure

Ovidio Rodríguez Mayor e.a.

contre

Herencia yacente de Rafael de las Heras Dávila e.a.,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur), G. Arestis et T. von Danwitz, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. R. Grass,

considérant les observations présentées:

pour le gouvernement espagnol, par Mme B. Plaza Cruz, en qualité d’agent,

pour le gouvernement hongrois, par Mme R. Somssich, M. M. Fehér et Mme K. Veres, en qualité d’agents,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme I. Rao et M. T. de la Mare, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. J. Enegren et R. Vidal Puig, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 juillet 2009,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 1er à 4 et 6 de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 225, p. 16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Rodríguez Mayor et six autres personnes à la Herencia yacente de Rafael de las Heras Dávila (succession vacante de Rafael de las Heras Dávila), aux héritiers de celui-ci et au Fondo de Garantía Salarial (fonds de garantie salariale) au sujet de la demande des premiers d’obtenir une indemnité pour licenciement collectif irrégulier.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

3

Figurant dans la section I de la directive 98/59, intitulée «Définitions et champ d’application», l’article 1er, paragraphe 1, de cette dernière dispose:

«Aux fins de l’application de la présente directive:

a)

on entend par ‘licenciements collectifs’: les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les États membres:

i)

soit, pour une période de trente jours:

au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs,

au moins égal à 10% du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs,

au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs;

ii)

soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés;

b)

on entend par ‘représentants des travailleurs’: les représentants des travailleurs prévus par la législation ou la pratique des États membres.

Pour le calcul du nombre de licenciements prévus au premier alinéa, point a), sont assimilées aux licenciements les cessations du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, à condition que les licenciements soient au moins au nombre de cinq.»

4

L’article 2 de la même directive, contenu dans la section II de celle-ci, intitulée «Information et consultation», prévoit:

«1.   Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord.

2.   Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

[…]

3.   Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l’employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations:

a)

de leur fournir tous renseignements utiles et

b)

de leur communiquer, en tout cas, par écrit:

i)

les motifs du projet de licenciement;

ii)

le nombre et les catégories des travailleurs à licencier;

iii)

le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés;

iv)

la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements;

v)

les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où les législations et/ou pratiques nationales en attribuent la compétence à l’employeur;

vi)

la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.

L’employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, points b) i) à v).

[…]»

5

Inscrit dans la section III de la directive 98/59, intitulée «Procédure de licenciement collectif», l’article 3 de cette dernière est libellé comme suit:

«1.   L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente.

Toutefois, les États membres peuvent prévoir que, dans le cas d’un projet de licenciement collectif lié à une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice, l’employeur n’est tenu de le notifier par écrit à l’autorité publique compétente que sur la demande de celle-ci.

La notification doit contenir tous renseignements utiles concernant le projet de licenciement collectif et les consultations des représentants des travailleurs prévues à l’article 2, notamment les motifs de licenciement, le nombre des travailleurs à licencier, le nombre des travailleurs habituellement employés et la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements.

2.   L’employeur est tenu de transmettre aux représentants des travailleurs copie de la notification prévue au paragraphe 1.

Les représentants des travailleurs peuvent adresser leurs observations éventuelles à l’autorité publique compétente.»

6

L’article 4 de ladite directive, faisant également partie de la section III de celle-ci, dispose:

«1.   Les licenciements collectifs dont le projet a été notifié à l’autorité publique compétente prennent effet au plus tôt trente jours après la notification prévue à l’article 3, paragraphe 1, sans préjudice des dispositions régissant les droits individuels en matière de délai de préavis.

Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de réduire le délai visé au premier alinéa.

[…]

4.   Les États membres peuvent ne pas appliquer le présent article aux licenciements collectifs intervenant à la suite d’une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice.»

7

Aux termes de l’article 5 de cette même directive, celle-ci «ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de permettre ou de favoriser l’application de dispositions conventionnelles plus favorables aux travailleurs».

8

L’article 6 de la directive 98/59 prévoit que «[l]es États membres veillent à ce que les représentants des travailleurs et/ou les travailleurs disposent de procédures administratives et/ou juridictionnelles aux fins de faire respecter les obligations prévues par la présente directive».

Le droit national

9

L’article 49, paragraphe 1, sous g), du statut des travailleurs (Estatuto de los Trabajadores), approuvé par le décret législatif royal 1/1995, du 24 mars 1995 (BOE no 75, du 29 mars 1995, p. 9654, ci-après le «statut des travailleurs»), prévoit que la cessation du contrat de travail a lieu dans les cas suivants:

«Décès, mise à la retraite dans les cas prévus par le régime de la sécurité sociale applicable ou incapacité de l’employeur, sans préjudice des dispositions de l’article 44, ou extinction de la personnalité juridique du contractant.

Dans les cas de décès, de mise à la retraite ou d’incapacité de l’employeur, le travailleur a droit au paiement d’une somme correspondant à un mois de salaire.

Dans les cas d’extinction de la personnalité juridique du contractant, les formalités prévues à l’article 51 du présent [statut] doivent être respectées.»

10

L’article 51 du statut des travailleurs dispose:

«1.   Aux fins des dispositions du présent [statut], on entend par licenciement collectif la cessation des contrats de travail pour des motifs économiques, techniques, d’organisation ou de production, lorsque, dans une période de quatre-vingt-dix jours, la cessation s’applique aux contrats d’au moins:

a)

Dix travailleurs, dans les entreprises occupant moins de cent travailleurs.

b)

10 pour 100 du total des travailleurs de l’entreprise pour les entreprises occupant entre cent et trois cents travailleurs.

c)

Trente travailleurs dans les entreprises occupant au moins trois cents travailleurs.

Les causes de cessation visées au présent article sont réputées présentes lorsque l’adoption des mesures proposées permet, si les motifs invoqués sont économiques, de contribuer à l’amélioration d’une situation économique négative de l’entreprise ou, [s’il s’agit de motifs] techniques, d’organisation ou de production, de garantir la viabilité future de l’entreprise et l’emploi au sein de celle-ci au moyen d’une allocation plus appropriée des ressources.

On entend aussi par licenciement collectif la cessation des contrats de travail de l’ensemble des travailleurs de l’entreprise, pour autant que le nombre de travailleurs concernés soit supérieur à cinq, lorsque le licenciement intervient en raison de la cessation complète de l’activité de l’entreprise, fondée sur les mêmes motifs que ceux visés ci-dessus.

Pour le calcul du nombre de cessations de contrat de travail visé au premier alinéa du présent paragraphe, est prise en compte toute cessation intervenue pendant la période en cause à l’initiative de l’employeur sur la base d’autres motifs non inhérents à la personne du travailleur, différents de ceux prévus à l’article 49, paragraphe 1, sous c), pour autant que le nombre de cessations de ce type soit égal ou supérieur à cinq. Lorsque, pendant des périodes successives de quatre-vingt-dix jours, dans le but d’éluder les dispositions du présent [statut], l’entreprise procède à des cessations de contrat de travail au titre de l’article 52, sous c), dont le nombre est inférieur aux seuils susvisés et sans que soient présents de nouveaux motifs justifiant ce comportement, ces nouvelles résiliations sont réputées constituer un cas de fraude à la loi et elles sont déclarées nulles et dénuées d’effets.

2.   L’employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif est tenu d’obtenir une autorisation en vue de la cessation des contrats de travail, conformément à la procédure de ‘régulation de l’emploi’ prévue dans le présent [statut] et dans ses règlements d’exécution. La procédure débute par une demande adressée à l’autorité publique compétente et par l’ouverture d’une période de consultations avec les représentants légaux des travailleurs.

[…]

8.   Les travailleurs dont le contrat est résilié conformément aux dispositions du présent article ont droit à une indemnité dont le montant correspond à vingt jours de salaire par année d’ancienneté, les périodes inférieures à une année étant calculées au prorata des mois accomplis, et dont le montant total ne peut pas dépasser douze mensualités.

9.   Les travailleurs peuvent, par l’intermédiaire de leurs représentants, demander également que la procédure [de régulation de l’emploi] soit engagée si l’on peut raisonnablement présumer que la non-introduction de cette procédure par l’employeur est susceptible de leur causer un préjudice non réparable ou difficilement réparable. Dans pareil cas, l’autorité compétente détermine les actions et les rapports nécessaires aux fins de l’aboutissement de la procédure, dans le respect des délais prévus par le présent article.

[…]

12.   L’existence d’un cas de force majeure, en tant que cause de cessation des contrats de travail, doit être dûment constatée par l’autorité publique compétente, quel que soit le nombre de travailleurs concernés, après introduction de la procédure de [régulation de l’emploi] menée conformément aux dispositions du présent paragraphe. La procédure est engagée sur demande de l’entreprise, avec les moyens de preuve que celle-ci estime appropriés, [et] cette demande est communiquée en même temps aux représentants légaux des travailleurs, lesdits représentants ayant la qualité de partie intéressée à la procédure dans son ensemble. Après accomplissement des démarches et élaboration des rapports requis, la décision de l’autorité publique compétente est rendue dans un délai de cinq jours à compter de la demande et sort ses effets à compter de la date du fait générateur de la force majeure.

Si l’autorité publique compétente constate l’existence d’un cas de force majeure, elle peut décider que la totalité ou une partie de l’indemnité revenant aux travailleurs concernés par la cessation de contrat de travail sera versée par le Fondo de Garantía Salarial, sans préjudice du droit de ce dernier d’en obtenir le remboursement auprès de l’employeur.

13.   Les dispositions de la loi 30/1992, du 26 novembre 1992, relative au régime juridique des administrations publiques et à la procédure administrative de droit commun, s’appliquent aux situations non réglementées par le présent [statut], notamment en matière de recours. Les démarches à suivre et les notifications devant être effectuées à l’égard des travailleurs sont faites auprès des représentants légaux de ceux-ci.»

11

La juridiction de renvoi précise que les conséquences découlant d’une cessation de contrat de travail pour des raisons objectives jugée non fondée sont les mêmes que celles résultant d’un licenciement disciplinaire jugé non fondé au titre de l’article 55 du statut des travailleurs. Elle indique que l’article 56, paragraphe 1, de ce statut dispose à cet égard ce qui suit:

«Lorsque le licenciement est déclaré injustifié, l’employeur, dans un délai de cinq jours à compter de la signification du jugement, soit réintègre le travailleur dans l’entreprise, en lui versant les arriérés de salaire visés au présent paragraphe 1, sous b), soit procède au versement des montants suivants, lesquels sont déterminés par le jugement:

a)

Une indemnité équivalant à quarante-cinq jours de salaire par année d’année d’ancienneté, les périodes inférieures à une année étant prises en considération au prorata des mois accomplis, avec un maximum de quarante-deux mensualités.

b)

Un montant égal à la somme des salaires non perçus à compter de la date du licenciement jusqu’à la date de la signification du jugement ayant constaté le caractère injustifié dudit licenciement, ou jusqu’à la date où le travailleur a trouvé un autre emploi si cette dernière date est antérieure à celle du jugement et si l’employeur atteste les montants perçus par le travailleur, lesquels sont alors déduits des arriérés de salaire.»

L’affaire au principal et les questions préjudicielles

12

Les sept requérants au principal constituaient le personnel employé au sein de l’entreprise que M. de las Heras Dávila exploitait en tant que personne physique, cette entreprise n’ayant donc pas de personnalité juridique propre.

13

Par requête du 31 mai 2004, ils ont introduit une action devant le Juzgado de lo Social no 25 de Madrid pour licenciement irrégulier à l’encontre de la Herencia yacente de Rafael de las Heras Dávila e.a., faisant valoir qu’ils s’étaient présentés sur leur lieu de travail du 30 avril au 5 mai 2004, mais que l’établissement était fermé, de sorte qu’ils ont considéré qu’ils étaient confrontés à un licenciement tacite.

14

Il est apparu que l’employeur était décédé le 1er mai 2004, sans avoir rédigé de testament ni fixé les droits de ses héritiers. Ses héritiers légaux ont renoncé à la succession par actes notariés du 15 juin 2004 et du 27 mars 2007. Il ressort de la décision de renvoi que l’entreprise a cessé son activité.

15

Le Juzgado de lo Social no 25 de Madrid a rejeté ladite action, au motif que la cessation des contrats de travail des requérants au principal était intervenue par suite du décès de l’employeur sans transmission de l’entreprise et qu’il n’y avait pas eu de licenciement.

16

Les requérants au principal ont interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi. Ceux-ci font valoir que la décision de cessation est un acte formel, à l’égard duquel s’impose le respect des conditions fixées à l’article 55, paragraphe 1, du statut des travailleurs, de sorte que les héritiers de leur employeur auraient dû leur notifier une telle décision. Dès lors, les requérants au principal demandent la constatation de l’existence d’un licenciement irrégulier et le versement d’une indemnité correspondant à 45 jours de salaire par année d’ancienneté ainsi que les arriérés de salaire à compter de la date du licenciement jusqu’à la date de la signification de l’arrêt de la juridiction de renvoi ou jusqu’à la date de leur réintégration. Subsidiairement, ils demandent que soit constatée la cessation des contrats de travail du fait du décès de l’employeur, conformément à l’article 49 du même statut, et que l’indemnité prévue à cette disposition leur soit versée.

17

Les défenderesses au principal soutiennent qu’aucun licenciement n’est intervenu et qu’il s’agissait d’une cessation de la relation de travail à la suite du décès de l’employeur.

18

Le ministère public, ayant été invité par la juridiction de renvoi à rendre un avis dans l’affaire au principal, considère qu’une incompatibilité entre les dispositions du droit communautaire et l’article 49, paragraphe 1, sous g), du statut des travailleurs est susceptible d’exister.

19

La juridiction de renvoi est d’avis qu’il existe une inégalité de traitement en droit espagnol en cas de cessation de contrat de travail en raison de la disparition de l’entreprise en fonction de la nature de la personne de l’employeur. En effet, dans un tel cas, les travailleurs employés par une personne morale sont dans une situation plus favorable que ceux employés par une personne physique, alors que les dommages résultant d’un licenciement ou d’une cessation de contrat de travail sont les mêmes.

20

Dans ces conditions, estimant que l’interprétation des dispositions de la directive 98/59 est nécessaire pour rendre sa décision, le Tribunal Superior de Justicia de Madrid a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 51 du statut des travailleurs enfreint-il les obligations imposées par la directive 98/59 […] en ce qu’il circonscrit la notion de licenciements collectifs aux licenciements pour des motifs économiques, techniques, d’organisation ou de production, et qu’il ne l’a pas élargie aux licenciements pour toutes les raisons non inhérentes à la personne des travailleurs?

2)

La disposition figurant à l’article 49, paragraphe 1, sous g), du statut des travailleurs, qui prévoit, en faveur des travailleurs qui perdent leur emploi par suite du décès, de la mise à la retraite ou de l’incapacité de l’employeur, une indemnité limitée à un mois de salaire, en excluant ces travailleurs de la réglementation fixée à l’article 51 de ce même texte, contrevient-elle également à la directive 98/59 […] en ce que cette disposition espagnole enfreint les articles 1er, 2, 3, 4 et 6 de [celle-ci]?

3)

La réglementation espagnole relative au licenciement collectif, et notamment les articles 49, paragraphe 1, sous g), et 51 du statut des travailleurs, enfreint-elle l’article 30 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[, proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (JO C 364, p. 1),] et la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée lors de la réunion du Conseil européen de Strasbourg le 9 décembre 1989 [par les chefs d’État ou de gouvernement de onze États membres]?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la compétence de la Cour

21

À l’instar des gouvernements espagnol et hongrois ainsi que de la Commission européenne, il y a lieu de relever, concernant les deux premières questions, que, au moment de son décès, M. de las Heras Dávila employait sept salariés, de sorte que, en principe, une telle situation est exclue du champ d’application de la directive 98/59.

22

En effet, selon l’article 1er, paragraphe 1, sous a), ii), de cette directive, il faut, pour que celle-ci soit applicable à une situation telle que celle en cause au principal, que le nombre de licenciements soit au moins égal à vingt sur une période de quatre-vingt-dix jours.

23

La directive 98/59 prévoit toutefois, à son article 5, qu’elle ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs, ou de permettre ou de favoriser l’application de dispositions conventionnelles plus favorables à ceux-ci.

24

Il ressort de la décision de renvoi qu’il existe, en droit espagnol, de telles dispositions, étant donné que, en vertu de l’article 51, paragraphe 1, premier et troisième alinéas, du statut des travailleurs, la notion de licenciement collectif couvre également la cessation des contrats de travail de l’ensemble des travailleurs de l’entreprise, pour autant que le nombre de travailleurs concernés soit supérieur à cinq, lorsque le licenciement intervient en raison de la cessation complète de l’activité fondée sur des motifs économiques, techniques, d’organisation ou de production.

25

La juridiction de renvoi fait valoir que, dans l’affaire pendante devant elle, la cessation des contrats de travail de l’ensemble du personnel employé par M. de las Heras Dávila en raison du décès de celui-ci devrait relever du champ d’application des dispositions mentionnées au point précédent et devrait être, elle aussi, qualifiée de licenciement collectif. Cette juridiction est d’avis que, à défaut, il existerait une différence de traitement contraire à la directive 98/59 et à la notion de «licenciements collectifs», au sens de celle-ci.

26

À cet égard, la demande de décision préjudicielle porte, certes, sur un cas de cessation de relations de travail dont le nombre est inférieur aux seuils prévus à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59.

27

Toutefois, dès lors que le législateur national a choisi d’englober dans la notion de licenciements collectifs, au sens de cette directive, des cas ne relevant pas non plus du champ d’application de cette directive tout en tenant à l’écart de ladite notion des cas tels que celui de l’affaire au principal, il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, cette notion ainsi que les solutions du droit communautaire qui y sont attachées reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont invoquées (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2006, Poseidon Chartering, C-3/04, Rec. p. I-2505, points 16 et 17).

28

Dans de telles conditions, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles en partant de la prémisse que certains types de cessation de contrat de travail concernant un nombre de travailleurs inférieur aux seuils prévus à l’article 1er de la directive 98/59 sont assimilés, par la réglementation espagnole, à des licenciements collectifs au sens de cet article, mais que d’autres types de cessation de contrat de travail pouvant concerner un même nombre de travailleurs, notamment la cessation des contrats de travail de l’ensemble du personnel en raison du décès de l’employeur, ne relèvent pas, en vertu de ladite réglementation, de la notion de licenciements collectifs.

Sur la première question

29

Par sa première question, la juridiction de renvoi exprime ses doutes quant à la compatibilité avec l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 98/59 de la réglementation espagnole applicable dans l’affaire au principal, dans laquelle la notion de licenciement collectif n’englobe pas toute cessation de contrat de travail pour des motifs qui ne sont pas inhérents à la personne des travailleurs.

30

À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de l’article 234 CE, sur la compatibilité de normes de droit interne avec les dispositions du droit communautaire. En revanche, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui permettent à celle-ci d’apprécier la compatibilité de normes de droit interne avec la réglementation communautaire (voir, notamment, arrêts du 19 septembre 2006, Wilson, C-506/04, Rec. p. I-8613, points 34 et 35, ainsi que du 6 mars 2007, Placanica e.a., C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Rec. p. I-1891, point 36).

31

Il est constant que le litige au principal porte sur la régularité de la cessation des contrats de travail de l’ensemble du personnel d’une entreprise en raison du décès de l’employeur.

32

Dès lors, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi en vue de la solution du litige pendant devant elle, il y a lieu de déterminer si l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle la cessation des contrats de travail de plusieurs travailleurs dont l’employeur est une personne physique en raison du décès de cet employeur n’est pas qualifiée de licenciement collectif.

33

En premier lieu, il convient de constater qu’il ne ressort pas du libellé de ladite directive qu’une telle situation relèverait du champ d’application de celle-ci.

34

Certes, la Cour a interprété largement les termes «motifs non inhérents à la personne des travailleurs» employés à l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive (voir, en ce sens, arrêts du 12 octobre 2004, Commission/Portugal, C-55/02, Rec. p. I-9387, point 49, ainsi que du 7 septembre 2006, Agorastoudis e.a., C-187/05 à C-190/05, Rec. p. I-7775, point 28). Cependant, il découle du texte de celle-ci que la notion de licenciements collectifs au sens de cette disposition présuppose tant l’existence d’un employeur qu’un acte de la part de celui-ci.

35

Conformément à la définition qui en est donnée à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59, cette notion vise les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs pour autant que certaines conditions de nature quantitative et temporelle soient réunies.

36

En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, second alinéa, de la même directive, pour le calcul du nombre de licenciements collectifs tels que prévus au premier alinéa, sous a), de ce même paragraphe, sont assimilées aux licenciements les cessations de contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs à condition qu’il y ait au moins cinq licenciements.

37

Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de cette même directive, un employeur qui envisage d’effectuer des licenciements collectifs est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord. Le paragraphe 3 du même article prévoit que l’employeur est tenu, en temps utile au cours de ces consultations, de fournir aux représentants des travailleurs tous renseignements utiles et de leur communiquer par écrit les éléments énumérés au point b) de ce dernier paragraphe.

38

L’article 3 de la directive 98/59 dispose que l’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente et qu’il doit transmettre une copie de cette notification aux représentants des travailleurs.

39

Tous les termes figurant dans ces dispositions, notamment les expressions «envisager d’effectuer des licenciements», «procéder à des consultations», «fournir tous renseignements», «communiquer par écrit les éléments», «notifier par écrit tout projet de licenciement» et «transmettre une copie», démontrent la nécessité de l’existence d’un employeur ainsi que celle de certaines actions de la part de celui-ci.

40

De surcroît, il découle de la tournure «licenciements effectués par un employeur», employée à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59, que la notion de licenciements collectifs suppose, en principe, que l’employeur procède ou, en tout cas, ait l’intention de procéder à de tels licenciements, tandis que, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 81 de ses conclusions, la tournure «à l’initiative de l’employeur», employée au second alinéa du même paragraphe, implique une manifestation directe de la volonté de l’employeur consistant dans une prise d’initiative.

41

Il ressort de ce qui précède que la notion de licenciements collectifs au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59 présuppose l’existence d’un employeur ayant envisagé de tels licenciements et qui soit en mesure, d’une part, d’accomplir, dans cette perspective, les actes visés aux articles 2 et 3 de ladite directive et, d’autre part, d’effectuer, le cas échéant, de tels licenciements.

42

Toutefois, une situation telle que celle en cause au principal est caractérisée non seulement par l’absence d’une intention de procéder à des licenciements collectifs, mais également par l’inexistence d’un employeur susceptible d’être le destinataire des obligations résultant des dispositions rappelées aux points 37 et 38 du présent arrêt, d’accomplir les actes prévus par ces dernières et d’effectuer, le cas échéant, de tels licenciements.

43

En deuxième lieu, s’agissant de l’objectif principal de la directive 98/59, il convient de rappeler que, d’une part, aux termes de l’article 2, paragraphe 2, de celle-ci, les consultations portent sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés. D’autre part, selon les articles 2, paragraphe 3, et 3, paragraphe 1, de cette directive, l’employeur doit notifier à l’autorité publique tout projet de licenciement collectif et lui transmettre les éléments et renseignements mentionnés à ces dispositions.

44

Cependant, cet objectif principal de la directive 98/59, c’est-à-dire faire précéder les licenciements collectifs d’une consultation des représentants des travailleurs et de l’information de l’autorité publique compétente, ne saurait être atteint en cas de qualification en tant que «licenciement collectif» de la cessation des contrats de travail de l’ensemble du personnel d’une entreprise exploitée par une personne physique en raison de l’arrêt des activités de cette entreprise résultant du décès de l’employeur, étant donné qu’une telle consultation ne saurait avoir lieu et qu’il ne serait possible, ainsi, ni d’éviter ou de réduire les cessations de contrat de travail ni d’en atténuer les conséquences.

45

En outre, il est à noter que la directive 98/59 ne vise pas à établir un mécanisme de compensation financière générale au niveau communautaire en cas de perte d’emploi.

46

En troisième lieu, il convient de relever que certaines dispositions de la directive 98/59 ont été déjà interprétées par la Cour.

47

Ainsi, la Cour a déjà jugé que, en vertu de l’article 2, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 98/59, le seul destinataire des obligations en matière d’information, de consultation et de notification est l’employeur (voir arrêt du 10 septembre 2009, Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a., C-44/08, Rec. p. I-8163, point 57).

48

La Cour a également jugé que les obligations de consultation et de notification pesant sur l’employeur naissent antérieurement à la décision de résilier les contrats de travail (voir, en ce sens, arrêts du 27 janvier 2005, Junk, C-188/03, Rec. p. I-885, points 36 et 37, ainsi que Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a., précité, point 38).

49

Néanmoins, dans un cas tel que celui en cause au principal, le décès de l’employeur et la cessation des contrats de travail des travailleurs qu’il emploie coïncident. Ainsi, comme le soutient le gouvernement espagnol, il existe une impossibilité matérielle de remplir ces obligations.

50

De plus, dans un cas tel que celui en cause au principal, il n’existe ni décision de résilier des contrats de travail ni intention préalable de procéder à une telle résiliation.

51

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la directive 98/59, de même que, auparavant, la directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 48, p. 29), n’assure qu’une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs (voir, s’agissant de la directive 75/129, arrêt du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni, C-383/92, Rec. p. I-2479, point 25, et, quant à la directive 98/59, arrêt Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a., précité, point 60) et qu’elle harmonise non pas les modalités de la cessation définitive des activités d’une entreprise, mais la procédure à suivre lors de licenciements collectifs (voir, s’agissant de la directive 75/129, arrêt Agorastoudis e.a., précité, point 36).

52

Enfin, il convient d’ajouter que l’interprétation selon laquelle la notion de licenciements collectifs au sens de la directive 98/59 n’englobe pas les cessations des contrats de travail de plusieurs travailleurs dont l’employeur est une personne physique résultant du décès de cet employeur n’est pas contredite par l’arrêt Commission/Portugal, précité. En effet, cet arrêt est intervenu dans le cadre d’une procédure en manquement à l’occasion de laquelle les termes «raisons non inhérentes à la personne des travailleurs» employés à l’article 1er de cette directive ont fait l’objet d’une analyse, mais sans qu’une situation telle que celle au principal, caractérisée par la cessation de contrats de travail en raison du décès de la personne physique qui est l’employeur et l’absence de sujet de droit destinataire des obligations prévues par ladite directive, ait été examinée de manière spécifique.

53

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question posée que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle la cessation des contrats de travail de plusieurs travailleurs dont l’employeur est une personne physique en raison du décès de cet employeur n’est pas qualifiée de licenciement collectif.

Sur la deuxième question

54

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si la directive 98/59 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit des indemnités différentes selon que les travailleurs ont perdu leur emploi par suite du décès de l’employeur ou d’un licenciement collectif.

55

À cet égard, d’une part, il ressort de la réponse à la première question que la cessation de contrats de travail liée au décès d’un employeur qui est une personne physique, intervenue dans des circonstances telles que celle de l’affaire au principal, ne relève pas de la notion de licenciements collectifs au sens de la directive 98/59.

56

D’autre part, ainsi qu’il a été rappelé aux points 45 et 51 du présent arrêt, ladite directive n’assure qu’une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs et ne vise pas à établir un mécanisme de compensation financière générale au niveau communautaire en cas de perte d’emploi. Dans ce contexte, la question de l’étendue de l’indemnisation des travailleurs en cas de cessation de leur relation de travail ne relève pas de l’application de la directive 98/59.

57

Il convient par conséquent de répondre à la deuxième question posée que ladite directive ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit des indemnités différentes selon que les travailleurs ont perdu leur emploi par suite du décès de l’employeur ou d’un licenciement collectif.

Sur la troisième question

58

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il convient d’interpréter l’article 30 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que les dispositions de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.

59

Toutefois, ainsi qu’il ressort de l’appréciation relative aux deux premières questions, une situation telle que celle à l’origine du litige au principal ne relève pas du champ d’application de la directive 98/59 ni, partant, de celui du droit communautaire. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

60

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

1)

L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle la cessation des contrats de travail de plusieurs travailleurs dont l’employeur est une personne physique en raison du décès de cet employeur n’est pas qualifiée de licenciement collectif.

 

2)

La directive 98/59 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit des indemnités différentes selon que les travailleurs ont perdu leur emploi par suite du décès de l’employeur ou d’un licenciement collectif.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’espagnol.