CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 18 mars 2009 ( 1 )

Affaire C-569/07

HSBC Holdings plc et Vidacos Nominees Ltd

contre

The Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

«Impôts indirects — Rassemblements de capitaux — Imposition d’un droit de 1,5 % sur le transfert ou l’émission des actions dans un service de compensation de transactions (‘clearance service’)»

1. 

Les services de compensation («clearance services») remplissent une fonction que l’on peut qualifier de conservation des actions. En particulier, ces services inscrivent dans des registres spéciaux la propriété et les transmissions des actions qui, matériellement, demeurent cependant toujours entre les mains de ces services. En d’autres termes, les services de compensation permettent de rendre plus simples, rapides et sûres les acquisitions et les ventes d’actions.

2. 

Les services de compensation sont très répandus en Europe continentale, mais non au Royaume-Uni où les modalités de transmission d’actions sont traditionnellement différentes. C’est pourquoi cet État membre applique aux opérations qui s’effectuent par l’intermédiaire de services de compensation un régime fiscal différent de celui qui caractérise les échanges d’actions réalisés selon les modalités ordinaires utilisées sur son territoire. La présente procédure, qui a pour origine une question préjudicielle posée à la Cour par les Special Commissioners, London (Royaume-Uni), fournit l’occasion d’apprécier la compatibilité des modalités de taxation précitées avec le droit communautaire.

3. 

Plus spécifiquement, la réglementation du Royaume-Uni devra être examinée tant au regard de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux ( 2 ), qu’au regard des dispositions du traité CE relatives aux libertés fondamentales.

I — Le cadre réglementaire

A — Le droit communautaire

4.

La directive 69/335, qui constitue le texte principal de droit dérivé présentant un intérêt dans cette affaire, a été modifiée de façon importante au fil du temps.

5.

Les objectifs poursuivis par la directive sont bien mis en évidence par son préambule, et en particulier les premier et deuxième considérants dont la teneur est la suivante:

«considérant que l’objectif du traité est de créer une union économique ayant des caractéristiques analogues à celles d’un marché intérieur et qu’une des conditions essentielles pour y accéder est de promouvoir la libre circulation des capitaux;

considérant que les impôts indirects qui frappent les rassemblements de capitaux, actuellement en vigueur dans les États membres, à savoir le droit auquel sont soumis les apports en société et le droit de timbre sur les titres, donnent naissance à des discriminations, des doubles impositions et des disparités qui entravent la libre circulation des capitaux et qui doivent, par conséquent, être éliminées par voie d’harmonisation».

6.

Dans le rapport daté du 14 décembre 1964 qui accompagnait la proposition de la Commission au Conseil, destinée à devenir la directive 69/335 ( 3 ), la Commission des Communautés européennes observait que la suppression intégrale du droit d’apport et du droit de timbre serait la meilleure solution pour réaliser un marché libre des capitaux. Néanmoins, face à l’opposition probable des États membres à une mesure aussi radicale, le choix de la Commission a été de supprimer les droits de timbre et de laisser subsister un droit d’apport, harmonisé toutefois au niveau communautaire.

7.

Par ailleurs, avec les années, une série de modifications apportées à la directive ont fait disparaître l’obligation initialement prévue de taxer les apports sur la base d’un taux harmonisé: l’actuel article 7 de la directive, en particulier, prévoit que les États membres peuvent appliquer un taux maximal de 1 % ou, simplement, ne plus appliquer le droit d’apport. Le Royaume-Uni a, en particulier, aboli le droit d’apport en 1988.

8.

La directive définit à l’article 4, paragraphe 1, les opérations passibles du droit d’apport. Celui-ci mentionne notamment «c) l’augmentation du capital social d’une société de capitaux au moyen de l’apport de biens de toute nature».

9.

Outre les dispositions relatives aux modalités de calcul et de recouvrement du droit d’apport, la directive contient aussi un ensemble d’interdictions, destinées à éviter tant une double imposition des apports que l’application de droits de timbre. En particulier, les articles 10 et 11 prévoient ce qui suit:

«Article 10

En dehors du droit d’apport, les États membres ne perçoivent, en ce qui concerne les sociétés, associations ou personnes morales poursuivant des buts lucratifs, aucune imposition, sous quelque forme que ce soit:

a)

pour les opérations visées à l’article 4;

b)

pour les apports, prêts ou prestations, effectués dans le cadre des opérations visées à l’article 4;

[…]

Article 11

Les États membres ne soumettent à aucune imposition, sous quelque forme que ce soit:

a)

la création, l’émission, l’admission en Bourse, la mise en circulation ou la négociation d’actions, de parts ou autres titres de même nature, ainsi que de certificats représentatifs de ces titres, quel qu’en soit l’émetteur;

[…]»

10.

En dépit des interdictions précitées, l’article 12 permet aux États membres de réintroduire des taxes spécifiques, prévoyant ce qui suit:

«Article 12

1.   Par dérogation aux dispositions des articles 10 et 11, les États membres peuvent percevoir:

a)

des taxes sur la transmission des valeurs mobilières, perçues forfaitairement ou non;

[…]»

B — Le droit national

11.

Les règles fiscales du Royaume-Uni qui sont ici en cause figurent dans la loi de finance de 1986 (Finance Act 1986). En application de l’article 87 de cette loi, les transmissions d’actions sont soumises à un «Stamp Duty Reserve Tax» (SDRT) de 0,5 %, dû à l’occasion de chaque cession.

12.

Cependant, en vertu de l’article 96 de cette même loi, l’introduction d’actions dans un service de compensation implique le paiement d’un SDRT au taux de 1,5 %. Les transmissions ultérieures d’actions, en revanche, pour autant qu’elles s’effectuent dans le cadre du même service de compensation, ne sont nullement taxées.

13.

L’article 97 A du Finance Act 1986 prévoit enfin que les services de compensation peuvent exercer une option («election») en concluant un accord avec l’administration fiscale du Royaume-Uni. L’exercice de l’option implique en particulier de passer du paiement unique d’un SDRT de 1,5 % au paiement d’un SDRT au taux normal de 0,5 %. Naturellement, dans un tel cas, la taxe est due pour chaque acte de cession des actions. Afin de pouvoir exercer l’option, les services de compensation doivent disposer d’une filiale ou d’un agent au Royaume-Uni ou, subsidiairement, désigner leur propre «représentant fiscal» au Royaume-Uni. Le service de compensation doit en outre se conformer à des prescriptions techniques relatives aux modalités de calcul, au recouvrement et à la comptabilisation du SDRT.

II — Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle

14.

La banque HSBC est une société par actions qui a son siège à Londres. En juin 2000, elle a présenté une offre publique d’achat portant sur toutes les actions de la banque française Crédit commercial de France (ci-après le «CCF»), dont les actions étaient cotées à la Bourse de Paris. Dans son offre, HSBC proposait aux actionnaires du CCF, en échange de leurs actions, un paiement comptant ou, alternativement, un paiement en actions de HSBC. Afin de rendre plus attractive cette deuxième possibilité pour les actionnaires opérant sur le marché français, HBSC a décidé de rendre ses actions négociables à la Bourse de Paris.

15.

À l’époque des faits de l’affaire au principal, pour pouvoir être cotées à la Bourse de Paris, les sociétés devaient avoir recours à la Sicovam, un service de compensation. Par conséquent, les actionnaires du CCF désireux d’accepter l’offre publique d’achat de HSBC pouvaient choisir de recevoir des actions de cette dernière société directement à travers la Sicovam: de cette manière, les actions en question pourraient ensuite être vendues à la Bourse de Paris.

16.

En pratique, les actions de HSBC cédées par le biais de la Sicovam en échange des actions du CCF ont été confiées non pas directement à la Sicovam, mais à son mandataire au Royaume-Uni, Vidacos. Cette société est en effet également membre du système CREST ( 4 ): cependant, dès lors que, en l’espèce, Vidacos a agi en qualité de mandataire de la Sicovam, les actions de HSBC cédées par son intermédiaire (et par l’intermédiaire de la Sicovam) ont été imposées, en application de l’article 96 du Finance Act 1986, au taux de 1,5 %.

17.

Afin de rendre son offre publique d’achat plus intéressante pour les actionnaires du CCF, HSBC s’était engagée à prendre à sa charge le paiement de la taxe (le SDRT) de 1,5% pour les actionnaires du CCF qui auraient opté pour la remise d’actions de HSBC à travers la Sicovam. Cela correspond à une pratique universellement répandue, bien que, au regard de la législation nationale, l’obligation de paiement de la taxe pèse techniquement sur le service de compensation.

18.

Ainsi, HSBC a versé aux autorités fiscales anglaises, en juillet 2000, plus de 27 millions de GBP à titre de paiement du SDRT, sur la base du taux de 1,5 %.

19.

Par la suite, le SDRT de 1,5% a été également acquitté sur les actions de HSBC obtenues par les actionnaires détenteurs d’actions à travers la Sicovam qui avaient décidé de percevoir leurs dividendes en actions.

20.

Par lettre du 18 octobre 2002, HSBC a toutefois demandé à l’administration fiscale du Royaume-Uni la restitution de l’impôt payé. La décision de refus des autorités fiscales a été par la suite attaquée devant la juridiction de renvoi, qui, n’étant pas certaine de la compatibilité de la réglementation relative au SDRT avec le droit communautaire, a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:

«Les articles 10 ou 11 de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25), modifiée par la directive du Conseil, du (JO L 156, p. 23), ou les articles 43 CE, 49 CE ou 56 CE ou toute autre disposition de droit communautaire, s’opposent-ils à la perception par un État membre (ci après le ‘premier État membre’) d’un droit de 1,5 % sur la transmission ou l’émission d’actions vers un service de compensation dans le cas de figure suivant:

1)

une société (ci après la ‘société A’), établie dans le premier État membre, lance une offre d’achat sur les actions cotées et négociées en Bourse d’une société (ci après la ‘société B’) établie dans un autre État membre (ci après le ‘deuxième État membre’) en échange d’actions de la société A à émettre à la Bourse des valeurs du deuxième État membre;

2)

les actionnaires de la société B se voient proposer le choix de recevoir les actions nouvelles de la société A:

a)

soit sous forme matérialisée;

b)

soit sous forme dématérialisée par l’intermédiaire d’un système de règlement liquidation [settlement system] dans le premier État membre;

c)

soit sous forme dématérialisée par l’intermédiaire d’un service de compensation [clearance service] du deuxième État membre:

3)

en substance, la législation du premier État membre dispose que:

a)

en cas d’émission d’actions sous forme matérialisée (ou sous forme dématérialisée dans un système de règlement liquidation de valeurs dématérialisées dans le premier État membre), aucun droit n’est perçu lors de l’émission d’actions mais l’est lors de chaque cession suivante des actions, droit perçu au taux de 0,5 % du prix de cession; mais

b)

lors de la transmission ou de l’émission d’actions dématérialisées à l’opérateur d’un service de compensation, le droit est perçu (en cas d’émission d’actions) au taux de 1,5 % du prix d’émission ou (en cas de transmission à titre onéreux), au taux de 1,5 % du prix de cession ou (dans les autres cas) au taux de 1,5 % de la valeur des actions, aucun droit n’étant perçu par la suite sur les cessions des actions (ou de droits sur ces actions) réalisées au sein du service de compensation;

c)

sur agrément de l’autorité fiscale compétente, l’opérateur d’un service de compensation peut opter pour qu’aucun droit ne soit perçu sur la transmission ou l’émission des actions à son service de compensation, mais qu’il le soit lors de chaque cession au sein du système de compensation, au taux de 0,5 % du prix de cession. L’autorité fiscale compétente peut subordonner (et le fait actuellement) son agrément à la condition que l’opérateur du service de compensation qui le sollicite institue et maintienne des procédures (satisfaisantes pour l’autorité fiscale) aux fins de perception du droit au sein du service de compensation et de respect, ou d’assurance du respect, de la réglementation y relative;

4)

la réglementation en vigueur applicable à la Bourse des valeurs du deuxième État membre exige que toutes les actions émises sur le territoire de celui-ci soient détenues sous forme dématérialisée par l’intermédiaire d’un service unique de compensation établi sur ce deuxième État membre, dont l’opérateur n’a pas exercé l’option évoquée ci dessus?»

III — Sur la question préjudicielle

A — Introduction

21.

La compatibilité du SDRT au taux de 1,5 % avec le droit communautaire doit être examinée, comme la juridiction de renvoi l’indique d’ailleurs dans sa question, d’un double point de vue. Il faut en effet, d’une part, vérifier si ce prélèvement fiscal est autorisé au regard de la directive 69/335 et en particulier de ses articles 10 et 11. Il faut également vérifier, d’autre part, si l’imposition en question est conciliable avec les libertés fondamentales prévues par le traité en matière d’établissement, de prestations de services et de circulation des capitaux. Pour des raisons de clarté, j’examinerai séparément les deux aspects du problème.

22.

L’élément qui me paraît devoir être souligné, avant de commencer, est que toutes les parties s’accordent sur le fait que l’imposition en question ne constitue pas un droit d’apport au sens de l’article 4 de la directive 69/335. Comme on l’a vu, le droit d’apport a été aboli au Royaume-Uni en 1988.

23.

En outre, ainsi que cela a été également confirmé à l’audience, il faut noter que les actions de HSBC qui ont été introduites à la Sicovam pour être cédées en tant que rémunération des actions du CCF constituaient des actions nouvelles, correspondant à une augmentation de capital.

B — Sur la compatibilité avec la directive 69/335

24.

Les articles de la directive 69/335 susceptibles de poser problème à l’égard de l’impôt en question sont les articles 10 et 11. Ces dispositions, qui sont demeurées inchangées par rapport à la première version de la directive, ont été élaborées principalement dans le but d’éviter que les États membres puissent introduire des droits de timbre en plus du droit d’apport, ou frapper les apports d’une double imposition.

25.

En particulier, l’article 10 prévoit que seul le droit d’apport, à l’exclusion par conséquent de toute autre imposition, peut s’appliquer aux opérations énumérées à l’article 4 de la directive, parmi lesquelles, comme on l’a vu, l’«augmentation du capital social d’une société de capitaux au moyen de l’apport de biens de toute nature».

26.

En outre, en application de l’article 11 de la directive, aucune imposition (et, par conséquent, pas davantage le droit d’apport) ne peut s’appliquer à certaines opérations, au nombre desquelles «la création, l’émission, l’admission en bourse, la mise en circulation ou la négociation d’actions».

27.

C’est ainsi que, par exemple, en cas d’émission d’actions nouvelles, l’émission en tant que telle ne peut pas être passible d’un impôt, en application de l’article 11, tandis que les sommes versées en tant que contrepartie des actions, c’est-à-dire les apports, peuvent être taxées au moyen du droit d’apport, si l’État membre concerné le prévoit (article 4), à l’exclusion toutefois de toute autre imposition (article 10).

28.

Par ailleurs, l’article 12 dispose cependant que, «[p]ar dérogation aux dispositions des articles 10 et 11», les États membres peuvent appliquer, notamment, des «taxes sur la transmission des valeurs mobilières» ( 5 ).

29.

Dans le présent cas, la juridiction de renvoi relève une éventuelle contrariété de la législation du Royaume-Uni aux articles 10 et 11 de la directive. Il me semble cependant que, si effectivement les deux dispositions peuvent être ici pertinentes, il serait plus exact de viser l’article 11, dès lors que, de par sa conception, le SDRT est lié non pas à une opération d’apport, mais, de façon plus générale, à des opérations relevant de la catégorie définie à l’article 11, sous a) (dans ce cas, comme nous le verrons, plus particulièrement l’émission d’actions). D’ailleurs, le SDRT s’applique indépendamment du fait que les actions qu’il concerne correspondent à une nouvelle émission ou non.

30.

Le gouvernement du Royaume-Uni, qui a également l’appui de la Commission sur ce point spécifique, considère que le SDRT de 1,5% peut se justifier en tant qu’impôt frappant, précisément, les transmissions d’actions au sens de l’article 12 de la directive: on pourrait donc l’admettre sur la base de la même disposition qui autorise le SDRT de 0,5 % sur les transmissions s’effectuant sans passer par un service de compensation.

31.

Les différences entre le SDRT de 1,5 % et celui de 0,5 % sont cependant considérables. Plus encore que dans l’écart des taux, la différence réside dans le fait que, tandis que le SDRT de 0,5 % est perçu sur toute opération de transmission des titres, celui de 1,5 % est dû au moment où le titre est mis dans un service de compensation, alors que les transferts ultérieurs de propriété des actions, tant que celles-ci demeurent à l’intérieur du service de compensation, sont exonérés de droits.

32.

Afin d’assimiler le SDRT de 1,5% à la catégorie des «taxes sur les transmissions» visées par l’article 12 de la directive, le Royaume-Uni soutient que le SDRT de 1,5% serait une taxe sur les transmissions d’actions prenant la forme d’un «ticket saisonnier» («season ticket»). Étant donné que le suivi des transmissions de titres, une fois ceux-ci insérés dans un service de compensation, serait problématique pour les autorités fiscales anglaises, une imposition forfaitaire au taux de 1,5%, calculée sur la base du nombre présumé de trois cessions de titres à l’intérieur du service de compensation, représenterait un compromis approprié. En d’autres termes, le SDRT de 1,5% serait simplement un impôt perçu par anticipation sur les transmissions futures des actions. Le Royaume-Uni observe, en outre, que les services de compensation ont toujours la possibilité de faire usage de l’option prévue à l’article 97 A du Finance Act, qui rend applicable le mécanisme «normal» du SDRT de 0,5% dû sur chaque opération.

33.

La position défendue par le Royaume-Uni ne me semble pas acceptable, pour les raisons suivantes.

34.

En premier lieu, le SDRT de 1,5 % doit être payé par une seule et même personne qui, en pratique, est celle qui émet et/ou cède les actions, même si, techniquement, c’est le service de compensation lui-même qui est assujetti à l’impôt. Dans l’affaire que nous examinons, l’impôt a donc été payé intégralement par HSBC. Dans le système «normal» du SDRT, en revanche, l’impôt est payé à l’occasion de chaque cession des titres par une personne différente, à savoir par celle qui, dans le cas précis, vend les actions. En d’autres termes, en cas de placement d’actions dans un service de compensation, une seule personne serait tenue de payer la taxe (au taux de 1,5 %) qui, dans le système «normal» est, au contraire, répartie entre diverses personnes qui l’acquittent chacune au taux de 0,5 %.

35.

En second lieu, le SDRT «spécial» de 1,5 % dû au moment de l’introduction des titres dans le service de compensation est calculé et payé sur la base de la valeur que ces titres ont au moment de leur introduction dans le système — et ce même s’ils étaient ensuite cédés, tout en restant à l’intérieur du service de compensation, sur la base d’une valeur supérieure ou inférieure. Il va de soi que, au contraire, dans le cas du SDRT perçu sur chaque opération particulière, l’impôt est calculé sur la base de la valeur que le titre possède au moment de sa cession.

36.

En troisième lieu, on ne sait pas pour quelle raison le taux du SDRT dû au moment de l’introduction des actions dans un service de compensation devrait être égal à 1,5 %, soit le triple du taux dû dans le système normal à l’occasion de chaque transmission des titres. Le Royaume-Uni affirme que le taux a été fixé en prenant pour hypothèse une moyenne de trois transmissions des titres qui se réaliseraient une fois que les actions ont été introduites dans le service de compensation. Il n’est cependant pas précisé sur la base de quels éléments ce calcul a été effectué, ni pour quelle raison un taux de 1,5 % est apparu plus approprié que, par exemple, un taux de 1 ou de 2%. Et ce d’autant plus que, selon la décision de renvoi, plus de 40 % des actions de HSBC placées à la Sicovam ont été retirées de ce service de compensation dans les deux semaines suivantes, afin d’être vendues à la Bourse de Londres, avec pour conséquence l’application ultérieure du SDRT de 0,5 % à chaque transaction. Autrement dit, la fixation du taux de 1,5 % pour le SDRT semble être une mesure quelque peu arbitraire ( 6 ).

37.

Enfin, il convient également d’observer que, si les cessions suivant la première cession des titres devaient s’effectuer hors du Royaume-Uni, ce qui est vraisemblable, étant donné que les titres ont été introduits dans un service de compensation pour en faciliter probablement la circulation à l’étranger, le SDRT de 1,5% constituerait une anticipation de l’imposition de transmissions à l’égard desquelles la compétence fiscale du Royaume-Uni n’est nullement certaine.

38.

Ces observations suffisent déjà, à mon avis, à exclure que l’on puisse qualifier le SDRT de 1,5 % d’«anticipation» de l’imposition des futures transmissions des titres. En effet, indépendamment même de la question du taux de l’imposition, il n’en reste pas moins que l’on ne peut pas considérer comme le paiement par anticipation d’une taxe le paiement d’une somme calculée sur une autre base imposable et, surtout, due par un autre assujetti. En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une taxe pour les besoins du droit communautaire doit, en effet, s’effectuer au regard des caractéristiques objectives de l’imposition, indépendamment de la qualification qu’elle reçoit en droit national ( 7 ).

39.

En tout état de cause, lorsque l’introduction des actions dans un service de compensation constitue la première opération effectuée sur ces actions après leur émission, comme c’est le cas ici, il convient d’observer que, pour appliquer une taxe qui soit justifiable au regard de l’article 12 de la directive, en échappant à l’interdiction édictée par l’article 11, il faut envisager séparément, du point de vue juridique, l’émission des titres (non taxable, en vertu de l’article 11 de la directive) et la première cession de ces titres. Cette première cession, qui serait l’introduction dans le service de compensation, pourrait donc être imposable sur la base de l’article 12 de la directive.

40.

Or, s’il est théoriquement possible de distinguer ainsi entre émission et première cession des actions, cette possibilité a été expressément rejetée par la Cour dans son arrêt du 15 juillet 2004, rendu dans l’affaire Commission/Belgique ( 8 ). En particulier, au point 33 de cette décision, il a été affirmé que «[l]’effet utile de l’article 11, sous a), de la directive 69/335 implique dès lors que l’‘émission’, au sens de cette disposition, doit inclure la première acquisition de titres s’effectuant dans le cadre de l’émission de ceux-ci». En effet, comme l’a observé l’avocat général Tizzano dans ses conclusions ( 9 ), et comme l’a rappelé à son tour la Cour au point 32 de l’arrêt, «autoriser la perception d’un impôt ou d’une taxe sur la première acquisition d’un titre nouvellement émis reviendrait en réalité à imposer l’émission elle-même de ce titre en tant qu’elle fait partie intégrante d’une opération globale au regard du rassemblement de capitaux. En effet, une émission de titres ne se suffit pas à elle-même, mais n’a de sens qu’à partir du moment où ces titres trouvent des acquéreurs».

41.

La Cour a également clairement affirmé, d’une part, la nécessité d’interpréter l’article 12 de la directive, en tant que règle dérogatoire, de façon stricte ( 10 ) et, d’autre part, le caractère exhaustif des exceptions prévues par cet article ( 11 ).

42.

C’est pourquoi j’estime que le SDRT de 1,5% ne peut pas être considéré, lorsqu’il frappe la première opération de transmission d’actions nouvellement émises, comme une taxe sur la transmission de titres au sens de l’article 12 de la directive et que, par conséquent, il s’agit d’une taxe sur l’émission d’actions, interdite par l’article 11 de la directive.

43.

Je ne considère pas non plus nécessaire, dans ce contexte, de se pencher sur la nature de l’article 12 de la directive en tant que règle dérogatoire ou, au contraire, limitative par rapport aux cas prévus aux articles 10 et 11 de la directive: cet aspect, pour intéressant et peut-être encore insuffisamment clair qu’il soit, n’est en effet pas pertinent ici ( 12 ).

44.

On ne saurait non plus accueillir l’argument que le Royaume-Uni semble avancer à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour devrait juger applicable au présent cas la jurisprudence Commission/Belgique précitée, selon lequel il faudrait alors interpréter le SDRT de 1,5 % comme une anticipation de l’imposition des transmissions futures, postérieures à la première entrée des actions dans le service de compensation. En effet, d’une part, cette conception semble très artificielle, dès lors que la taxe est clairement perçue à l’occasion de l’introduction des actions dans le service de compensation. D’autre part, et au surplus, une situation de ce type rendrait encore plus évidents les problèmes que j’ai mentionnés plus haut et, en particulier, aboutirait ainsi à faire payer une taxe sur la base de trois opérations présumées à une personne qui, à ce stade, ne serait plus même partie à la première de ces trois opérations.

45.

D’ailleurs, même si les actions introduites dans le service de compensation ne provenaient pas d’une nouvelle émission, la justification du SDRT de 1,5 % sur le fondement de l’article 12 de la directive pourrait difficilement, me semble-t-il, être admise. En effet, indépendamment même de l’interdiction de taxer la première cession des actions suivant leur émission, interdiction qui ne serait pas applicable dans un tel cas, les objections que j’ai formulées plus haut, tenant à la difficulté d’admettre l’approche «ticket saisonnier», demeureraient entières. Dans ce cas également, en effet, une seule et même personne serait appelée à payer un impôt qui, en principe (c’est-à-dire dans le système «normal») serait à la charge d’autres personnes, contre lesquelles la première n’a pas la possibilité de se retourner. En outre, dans un tel cas également, l’imposition serait calculée sur la base d’une valeur des actions qui pourrait être très différente de celle qu’elles auront effectivement plus tard, au moment où normalement l’imposition serait due. En d’autres termes, il me paraît impossible aussi d’admettre la conception de la taxe comme une anticipation, calculée forfaitairement, de la taxe qui devrait être acquittée sur des transmissions à venir.

46.

La seule différence par rapport au cas des actions nouvellement émises résiderait dans le fait que, dans le cas d’actions déjà existantes, dans le système du SDRT «normal», ce serait un impôt de 0,5 % qui serait dû. Comme on l’a vu, en cas de première émission d’actions, en revanche, le SDRT «normal» n’est pas dû: par conséquent, en cas d’actions déjà existantes, la charge supplémentaire serait, concrètement, de 1 % et non de 0,5 %.

47.

Par rapport à la cession d’actions déjà existantes, la seule question qui se poserait concernerait l’applicabilité à cette opération, en principe, de l’interdiction de taxation formulée à l’article 11 de la directive, dans la partie qui énonce qu’il est interdit de taxer «la création, l’émission, l’admission en Bourse, la mise en circulation ou la négociation d’actions». Cependant, il me semble que, dans la jurisprudence de la Cour, on peut trouver une indication allant clairement en ce sens ( 13 ).

48.

J’estime par conséquent, pour conclure cette partie de mon analyse, que le mécanisme du SDRT de 1,5 % ne peut pas être considéré comme compatible avec la directive 69/335. Cela vaut, en particulier, pour le cas dans lequel l’introduction des actions dans le service de compensation intervient immédiatement après leur émission, comme cela s’est produit dans la présente affaire; cependant, comme nous l’avons vu, je considère le raisonnement de fond applicable également en cas de cession d’actions déjà existantes. En effet, il n’est absolument pas possible de considérer le SDRT de 1,5% comme une anticipation d’une taxe sur des transmissions futures, telle que prévue à l’article 12 de la directive.

49.

Les considérations développées jusqu’à présent suffisent pour répondre aux questions soulevées par la juridiction de renvoi. Cependant, pour être complet, et en particulier pour le cas où la Cour ne devrait pas partager mon interprétation de la directive, je procéderai à un bref examen de la question au regard du droit primaire.

C — Sur la compatibilité avec les libertés fondamentales

50.

Il faut donc vérifier si une taxe sur les transmissions d’actions, admise en principe par l’article 12 de la directive, peut légitimement être perçue de façons différentes, comme cela se produit dans le cas du SDRT, selon que la transmission intervient à destination d’un service de compensation ou non ( 14 ). En particulier, il faut se demander si la différence objective qui caractérise une transaction «ordinaire» et une transaction effectuée à destination d’un service de compensation est de nature à justifier les différences prévues par le régime du Royaume-Uni, telles que le paiement en une seule fois d’un taux supérieur et la mise de l’intégralité de la taxe à la charge d’une seule personne. Il faudra enfin vérifier si, en toute hypothèse, la possibilité reconnue aux services de compensation d’exercer l’option prévue à l’article 97 A du Finance Act 1986 est néanmoins suffisante pour dissiper d’éventuels doutes quant à la compatibilité du régime avec la réglementation communautaire.

1. Sur la compatibilité avec les règles du traité

51.

Dans le cadre de la présente affaire, les parties ont considéré que des problèmes de compatibilité de la réglementation nationale en cause avec trois différentes règles de droit primaire pouvaient se poser: il s’agit spécifiquement de l’article 43 CE qui consacre la liberté d’établissement, de l’article 49 CE qui est relatif à la libre prestation de service et, enfin, de l’article 56 CE qui concerne la libre circulation des capitaux.

52.

Pour ce qui est de la liberté d’établissement, HSBC soutient que l’offre publique d’achat des actions du CCF a représenté la concrétisation, par HSBC, de sa volonté de créer un établissement stable en France: par voie de conséquence, l’application du SDRT de 1,5 % constituerait une entrave à ce droit fondamental.

53.

En ce qui concerne la libre prestation de services, en revanche, c’est le droit pour la Sicovam de fournir ses services sur le territoire du Royaume-Uni qui serait indûment limité par la réglementation fiscale britannique.

54.

Enfin, à l’égard de la libre circulation des capitaux, HSBC soutient que les dispositions du traité y afférentes seraient violées par les règles fiscales britanniques, dans la mesure où ces dernières constitueraient une restriction à l’accès à la Bourse de Paris, accès qui nécessitait de passer par l’intermédiaire de la Sicovam.

55.

J’observe d’abord que les dispositions relatives à la libre prestation de services ne sont pas pertinentes ici, à mon avis. En effet, il faut tenir compte du fait que, comme je l’ai noté plus haut, en pratique le SDRT de 1,5 % est payé non pas par le service de compensation, qui serait techniquement la personne redevable de l’impôt, mais par celui qui introduit les actions dans ce service (dans notre cas HSBC). Ainsi, en pratique, l’imposition en cause touche seulement de façon très indirecte les intérêts des prestataires de services, c’est-à-dire des services de compensation. En outre, le fait que la Sicovam disposait d’un point de référence stable sur le territoire du Royaume-Uni, à savoir Vidacos, semble rattacher la situation sur laquelle la juridiction nationale doit se prononcer davantage à la liberté d’établissement qu’à la libre prestation de services ( 15 ). On peut également relever, à titre accessoire, que le premier considérant de la directive 69/335 ne cite expressément, parmi les libertés fondamentales, que la libre circulation des capitaux.

56.

J’estime, par conséquent, que l’examen du SDRT au regard du droit primaire ne doit s’effectuer que par référence à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux. La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner de façon conjointe la compatibilité de dispositions nationales avec ces deux libertés ( 16 ).

57.

Il est vrai que, selon la jurisprudence, l’acquisition de parts d’une société ayant son siège social dans un autre État membre, avec pour conséquence de garantir aux acquéreurs une influence certaine sur les décisions et sur la gestion de la société, peut relever du champ d’application des dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement ( 17 ). Dans le présent cas, cependant, l’éventuelle restriction à la liberté d’établissement serait une conséquence directe d’obstacles opposés à la libre circulation des capitaux. Il faut donc examiner d’abord l’aspect de la restriction à la libre circulation des capitaux; dans le cas où l’on constaterait l’existence d’une incompatibilité avec cette dernière liberté fondamentale, il ne serait même plus nécessaire d’examiner l’aspect tenant à la liberté d’établissement ( 18 ).

58.

Il est incontestable que les opérations financières qui font l’objet du litige au principal relèvent, en principe, du champ d’application de la libre circulation des capitaux. Chacun sait que le traité ne définit pas les mouvements de capitaux, mais la Cour a souvent utilisé, à titre indicatif, la nomenclature annexée à la directive 88/361/CEE ( 19 ), dont relèvent indiscutablement les activités liées à l’achat-vente d’actions.

59.

Il semble indéniable que la réglementation britannique en cause, et plus particulièrement l’application d’un SDRT de 1,5 % à l’occasion de l’introduction d’actions dans un service de compensation, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux qui tombe, en principe, sous le coup de l’interdiction énoncée par l’article 56 CE.

60.

En premier lieu, en effet, la Cour a précisé qu’une réglementation nationale est contraire à l’article 56 CE, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si elle a une nature discriminatoire, du seul fait qu’elle dissuade les investissement en provenance d’autres États membres ( 20 ). En outre, il a été également établi que les restrictions interdites sont non seulement celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de réaliser des investissements dans un État membre, mais aussi celles qui peuvent dissuader les résidents de cet État membre d’en réaliser dans d’autres États ( 21 ).

61.

Puisque, comme cela a clairement été indiqué dans la décision de renvoi, les services de compensation sont quasiment inconnus au Royaume-Uni, mais assez répandus en Europe continentale, et y sont dans certains cas détenteurs d’un véritable monopole pour les échanges boursiers, il ne fait pas de doute que la réglementation britannique en question peut décourager la libre circulation des capitaux.

2. Sur la possibilité de justifier la restriction

62.

Puisqu’il est établi que les dispositions nationales en question tombent sous le coup de l’interdiction d’entraver la libre circulation des capitaux protégée par l’article 56 CE, il faut vérifier si elles peuvent néanmoins être justifiées, en particulier au regard de l’article 58 CE. Il faut se souvenir à ce propos de l’enseignement constant de la Cour, selon lequel, pour pouvoir être justifiée, une réglementation nationale doit être apte à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ce dernier, dans le respect du principe de proportionnalité ( 22 ).

63.

L’existence de justifications possibles des restrictions imposées par la réglementation britannique n’a cependant fait l’objet que de débats très limités dans la présente affaire. En effet, si l’on exclut l’affirmation du Royaume-Uni selon laquelle le SDRT de 1,5 % serait justifié par la nécessité de garantir un contrôle efficace dans le domaine fiscal, pour le surplus, les parties se sont essentiellement concentrées sur les caractéristiques de l’option qu’un service de compensation peut exercer en application de l’article 97 A du Finance Act 1986.

64.

Il convient toutefois d’observer que, en soi, l’existence de l’option n’a rien à voir avec la possibilité de justifier la restriction à la libre circulation des capitaux. D’un point de vue logique, en effet, la question qu’il faut se poser, en ce qui concerne l’option, est de savoir si son existence peut, si le régime de l’option est conforme au droit communautaire, neutraliser l’éventuelle illégalité de la réglementation nationale au regard de l’article 56 CE: en toute hypothèse, la question doit être distinguée de celle des justifications possibles de la restriction à la libre circulation des capitaux. Je m’occuperai donc de l’option prévue à l’article 97 A dans la dernière partie des présentes conclusions.

65.

Le Royaume-Uni soutient que le régime fiscal différencié prévu pour le cas où des actions sont introduites dans un service de compensation serait justifié par la nécessité de garantir un contrôle efficace dans le domaine fiscal.

66.

Cette justification ne peut pas, à mon avis, être admise. D’une part, en effet, le Royaume-Uni n’indique pas pour quelles raisons une mesure aussi radicale serait le seul moyen d’assurer le paiement effectif des impôts dus, ni pourquoi aucun autre mécanisme moins onéreux ne pourrait atteindre les mêmes objectifs.

67.

D’autre part, indépendamment de la disponibilité ou non de systèmes moins restrictifs pour garantir le paiement des impôts, il me semble que l’on peut reprendre ici les mêmes observations que celles développées plus haut, dans le cadre de l’analyse de la compatibilité avec la directive 69/335, tenant au fait que le SDRT de 1,5 % ne peut pas, de par sa nature même, être considéré comme une anticipation de la taxe due sur les transferts futurs de propriété des titres. Cela, en particulier, parce qu’il s’agit d’une taxe qui doit être acquittée par une autre personne que celles qui sont tenues de payer la taxe «normale» sur les transmissions; mais les autres aspects problématiques relevés précédemment valent également ici ( 23 ). En d’autres termes, la nécessité de garantir un contrôle efficace dans le domaine fiscal ne justifie pas que l’on fasse payer la taxe à une personne autre que celle qui doit normalement la payer.

68.

C’est pourquoi j’estime que le SDRT de 1,5 % est contraire à l’article 56 CE.

3. Le droit d’option exclut-il l’existence d’une discrimination?

69.

La dernière question que l’on doit se poser, à ce stade, est de savoir si l’existence de la possibilité d’option, résultant de l’article 97 A du Finance Act, permet de «neutraliser» la contrariété à la directive 69/335 et au traité du mécanisme du SDRT de 1,5 %. Autrement dit, et plus généralement, il faut se demander si, en présence d’une réglementation contraire au droit communautaire, la possibilité d’exercer une option rendant applicable une autre réglementation, que l’on suppose conforme au droit communautaire, exclut en général l’existence d’une illégalité.

70.

Les parties ont consacré une part importante de leurs observations, tant écrites qu’orales, à la discussion sur la possibilité d’option. En particulier, tant HSBC que la Commission estiment que les conditions exigées par la réglementation britannique pour l’exercice de l’option sont excessivement et inutilement lourdes, et donc disproportionnées. De son côté, le Royaume-Uni affirme au contraire que ces conditions correspondent à celles qui sont exigées des personnes qui s’occupent normalement de transférer des actions sur le marché britannique, et qu’elles sont indispensables pour garantir une perception correcte du SDRT de 0,5 % sur chaque transmission des titres.

71.

J’estime, toutefois, que l’examen détaillé des conditions imposées pour l’exercice de l’option et de leur proportionnalité n’est pas, en réalité, nécessaire ici. Il faut en effet observer que le mécanisme de l’option, c’est-à-dire le mécanisme censé être plus respectueux du droit communautaire, constitue précisément une «option». En d’autres termes, l’application de celui-ci suppose une action positive et, en l’absence de cette intervention, c’est une réglementation contraire au droit communautaire qui est appliquée. Et surtout, comme je l’ai déjà observé ci-dessus, le droit d’exercer l’option n’est pas reconnu à la personne qui pourrait avoir le plus grand intérêt à le faire, c’est-à-dire à celle qui cède les actions, mais aux services de compensation qui, en pratique, ne paient cependant pas le SDRT. En outre, il existe des cas, comme ici, dans lesquels le service de compensation bénéficie, dans son pays d’origine, d’une situation de monopole légal: ainsi, en dernière analyse, ce service n’a véritablement aucun avantage à exercer l’option.

72.

La situation serait autre si le mécanisme qui permet le paiement du SDRT de 0,5 % également dans le cas d’actions introduites dans des services de compensation constituait non pas l’objet d’une option, mais le système normalement applicable. Dans un tel cas, en effet, il suffirait de s’interroger sur la proportionnalité des conditions imposées d’un point de vue technique au service de compensation: si ces conditions n’étaient pas disproportionnées, le système s’avérerait compatible avec le droit communautaire.

73.

Cependant, dans le présent cas, au vu des circonstances concrètes de l’affaire, un examen détaillé des conditions d’exercice de l’option apparaît superflu.

IV — Conclusions

74.

Au vu des considérations développées, je propose à la Cour de résoudre la question préjudicielle posée par les Special Commissioners de la manière suivante:

«L’article 11 de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, s’oppose à une réglementation fiscale telle que celle qui est en cause dans la présente affaire, dans laquelle l’émission d’actions dans un service de compensation donne lieu, à la place de la taxe sur les transmissions de titres de 0,5 % normalement appliquée en droit national, à une imposition de 1,5 %, payée en une seule fois.»


( 1 ) Langue originale: l’italien.

( 2 ) JO L 249, p. 25, ci-après, également, la «directive».

( 3 ) IV/COM (64) 526 final.

( 4 ) CREST, comme l’indique la décision de renvoi, est le service qui gère les échanges d’actions au Royaume-Uni. Il ne s’agit pas d’un service de compensation («clearance service»), mais d’un système de transfert d’actions («settlement system»), dans lequel la propriété des actions est visible également de l’extérieur, en particulier parce qu’elle est indiquée dans les registres de la société. Dans les services de compensation, en revanche, le titulaire des actions n’apparaît que dans les registres internes du service.

( 5 ) Il est vrai que, dans certaines versions linguistiques de la directive, notamment les versions allemande et danoise, l’article 12 limite l’exception aux seules opérations de Bourse et ne vise pas toutes les opérations de transmission de titre en général. La Cour a toutefois affirmé la nécessité d’une interprétation uniforme de l’article 12, conformément à la majorité des versions linguistiques, reconnaissant ainsi l’applicabilité de l’exception à toutes les impositions concernant la transmission de valeurs mobilières. Voir arrêt du 17 décembre 1998, Codan (C-236/97, Rec. p. I-8679, points 22 à 30). La nouvelle directive 2008/7/CE du Conseil, du , concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 46, p. 11), qui a remplacé la directive 69/335 à compter du , semble désormais avoir définitivement éliminé la difficulté (voir son article 6).

( 6 ) Le fait que, dans certains cas, cette taxation puisse être plus favorable aux contribuables potentiellement concernés est bien évidemment dépourvu de pertinence: voir en ce sens, par exemple, arrêts du 14 décembre 2000, AMID (C-141/99, Rec. p. I-11619, point 27), et du , Talotta (C-383/05, Rec. p. I-2555, point 31).

( 7 ) Voir, par exemple, arrêts du 19 mars 2002, Commission/Grèce (C-426/98, Rec. p. I-2793, point 23 et les références jurisprudentielles que ce point comporte), et du , Aro Tubi Trafilerie (C-46/04, Rec. p. I-3009, point 26).

( 8 ) C-415/02, Rec. p. I-7215.

( 9 ) Présentées le 15 janvier 2004 (voir, en particulier, points 39 à 41).

( 10 ) Arrêt Commission/Belgique, précité note 8, point 37.

( 11 ) Arrêts du 2 février 1988, Dansk Sparinvest (36/86, Rec. p. 409, point 9), et du , Ponente Carni et Cispadana Costruzioni (C-71/91 et C-178/91, Rec. p. I-1915, point 24).

( 12 ) HSBC a particulièrement insisté sur cet aspect, mais ses arguments ne me paraissent pas décisifs. Pour un examen de la question, voir conclusions présentées par les avocats généraux Geelhoed le 16 juin 2005 (points 26 à 30) et Trstenjak le (points 54 à 58) dans l’affaire Albert Reiss Beteiligungsgesellschaft (arrêt du , C-466/03, Rec. p. I-5357). Le point 58 de l’arrêt précité pourrait être en effet utilisé en tant qu’argument en faveur d’une interprétation de l’article 12 en tant que limitation et non dérogation. Cette interprétation pourrait en outre être confortée par le fait que l’article 6 de la nouvelle directive 2008/7 ne parle plus expressément, dans plusieurs versions linguistiques, même si ce n’est pas le cas de la version italienne, de «dérogation». Il est vrai, cependant, que la Cour a clairement faite sienne l’idée que l’article 12 de la directive 69/335 déroge aux articles 10 et 11, par exemple, dans l’arrêt du , Organon Portugesa (C-193/04, Rec. p. I-7271, point 20).

( 13 ) Voir arrêt Organon Portugesa, précité note 12, en particulier points 18 à 20 de la décision, où la Cour juge que sont en principe concernés par l’interdiction de l’article 11 les émoluments notariaux prévus en cas de cessions d’actions (ne provenant pas d’une nouvelle émission). Plus spécifiquement, le point 19 s’appuie sur l’idée que toute cession d’actions relève, en général, de l’article 11. Voir également, par analogie, arrêt du 27 octobre 1998, FECSA et ACESA (C-31/97 et C-32/97, Rec. p. I-6491, points 17 et 18), où la Cour a considéré que l’article 11, sous b), de la directive interdit de taxer le remboursement d’un prêt.

( 14 ) Comme je l’ai indiqué plus haut, la présente analyse de la compatibilité de la réglementation britannique avec le droit communautaire primaire repose sur l’hypothèse de sa compatibilité avec la directive 69/33, même si, comme on l’a vu, je n’approuve pas cette idée comme point de départ.

( 15 ) Il convient aussi de rappeler que l’article 50 CE, lorsqu’il définit les services, limite la catégorie aux activités qui ne sont pas déjà «régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes».

( 16 ) Arrêt du 1er juin 1999, Konle (C-302/97, Rec. p. I-3099, point 22).

( 17 ) Arrêt du 6 décembre 2007, Columbus Container Services (C-298/05, Rec. p. I-10451, points 29 et 30).

( 18 ) Arrêts du 4 juin 2002, Commission/Portugal (C-367/98, Rec. p. I-4731, point 56), et Konle, précité note 16 (point 55).

( 19 ) Directive du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité (JO L 178, p. 5). Sur l’utilisation de cette directive par la Cour aux fins de la définition du champ d’application de la libre circulation des capitaux, voir, par exemple, arrêts du , Trummer et Mayer (C-222/97, Rec. p. I-1661, point 21), et Commission/Portugal, précité note 18 (point 37).

( 20 ) Arrêt Commission/Portugal, précité note 18 (point 45 et jurisprudence citée).

( 21 ) Arrêt du 23 février 2006, van Hilten-van der Heijden (C-513/03, Rec. p. I-1957, point 44 et jurisprudence citée).

( 22 ) Arrêts du 14 décembre 1995, Sanz de Lera e.a. (C-163/94, C-165/94 et C-250/94, Rec. p. I-4821, point 23); du , Église de scientologie (C-54/99, Rec. p. I-1335, point 18), et Commission/Portugal, précité note 18 (point 49). Voir également, de façon générale, arrêt du , Gebhard (C-55/94, Rec. p. I-4165, point 37).

( 23 ) Voir ci-dessus, points 32 à 41.