Affaire C-460/06

Nadine Paquay

contre

Société d’architectes Hoet + Minne SPRL

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le tribunal du travail de Bruxelles)

«Politique sociale — Protection des femmes enceintes — Directive 92/85/CEE — Article 10 — Interdiction de licenciement du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de maternité — Période de protection — Décision de licenciement d’une travailleuse au cours de cette période de protection — Notification et mise en œuvre de la décision de licenciement après l’expiration de ladite période — Égalité de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins — Directive 76/207/CEE — Articles 2, paragraphe 1, 5, paragraphe 1, et 6 — Discrimination directe fondée sur le sexe — Sanctions»

Sommaire de l'arrêt

1.        Politique sociale — Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs — Travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail — Directive 92/85 — Interdiction de licenciement — Champ d'application

(Directive du Conseil 92/85, art. 10)

2.        Politique sociale — Travailleurs masculins et travailleurs féminins — Accès à l'emploi et conditions de travail — Égalité de traitement — Licenciement discriminatoire

(Directives du Conseil 76/207, art. 2, § 1, 5, § 1, et 6, et 92/85, art. 10 et 12)

1.        L'article 10 de la directive 92/85, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail, doit être interprété en ce sens qu'il interdit non seulement de notifier une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d'un enfant pendant la période de protection visée au paragraphe 1 de cet article, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision, telles que la recherche et la prévision d'un remplacement définitif de l'employée concernée, avant l'échéance de cette période.

(cf. points 33, 38, disp. 1)

2.        Une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d'un enfant est contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, quel que soit le moment où cette décision de licenciement est notifiée et même si elle est notifiée après la fin de la période de protection prévue à l'article 10 de la directive 92/85, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail. Dès lors qu'une telle décision de licenciement est contraire tant à l'article 10 de la directive 92/85 qu'aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, la mesure choisie par un État membre en vertu de l'article 6 de cette dernière directive pour sanctionner la violation de ces dispositions doit être au moins équivalente à celle prévue par le droit national en exécution des articles 10 et 12 de la directive 92/85.

(cf. points 42, 54, disp. 2)







ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

11 octobre 2007 (*)

«Politique sociale − Protection des femmes enceintes − Directive 92/85/CEE − Article 10 − Interdiction de licenciement du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de maternité − Période de protection – Décision de licenciement d’une travailleuse au cours de cette période de protection − Notification et mise en œuvre de la décision de licenciement après l’expiration de ladite période − Égalité de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins − Directive 76/207/CEE − Articles 2, paragraphe 1, 5, paragraphe 1, et 6 − Discrimination directe fondée sur le sexe − Sanctions»

Dans l’affaire C‑460/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le tribunal du travail de Bruxelles (Belgique), par décision du 6 novembre 2006, parvenue à la Cour le 17 novembre 2006, dans la procédure

Nadine Paquay

contre

Société d’architectes Hoet + Minne SPRL,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. U. Lõhmus, J. N. Cunha Rodrigues, A. Ó Caoimh (rapporteur), et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. W. Ferrante, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. M. van Beek, en qualité d’agent,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, paragraphe 1, 5, paragraphe 1, et 6 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), et de l’article 10 de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE) (JO L 348, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Paquay (ci‑après la «requérante») à la Société d’architectes Hoet + Minne SPRL (ci‑après la «défenderesse») au sujet du licenciement de la requérante.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

 La directive 76/207

3        Ainsi qu’il ressort de son article 1er, la directive 76/207 vise la mise en œuvre, dans les États membres, du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail.

4        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 76/207 dispose que ce principe implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial.

5        L’article 2, paragraphe 3, de cette directive dispose que celle‑ci ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité.

6        Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, l’application du principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe.

7        Conformément à l’article 6 de cette directive, les États membres doivent introduire dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s’estime lésée par la non‑application à son égard du principe de l’égalité de traitement au sens des articles 3, 4 et 5 de la même directive de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle après, éventuellement, le recours à d’autres instances compétentes.

 La directive 92/85

8        Il ressort du neuvième considérant de la directive 92/85 que la protection de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, allaitantes ou accouchées ne doit pas défavoriser les femmes sur le marché du travail et ne doit pas porter atteinte aux directives en matière d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

9        Selon le quinzième considérant de cette même directive, le risque d’être licenciées pour des raisons liées à leur état peut avoir des effets dommageables sur la situation physique et psychique des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes et il convient de prévoir une interdiction de licenciement.

10      L’article 10 de la directive 92/85 est libellé comme suit:

«En vue de garantir aux travailleuses [enceintes, accouchées ou allaitantes], au sens de l’article 2, l’exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé reconnus dans le présent article, il est prévu que:

1)      les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses, au sens de l’article 2, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité visé à l’article 8 paragraphe 1, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales et, le cas échéant, pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord;

2)      lorsqu’une travailleuse, au sens de l’article 2, est licenciée pendant la période visée au point 1, l’employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit;

3)      les États membres prennent les mesures nécessaires pour protéger les travailleuses, au sens de l’article 2, contre les conséquences d’un licenciement qui serait illégal en vertu du point 1.»

11      En vertu de l’article 12 de la directive 92/85, les États membres doivent incorporer dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute travailleuse qui s’estime lésée par le non‑respect des obligations découlant de cette directive de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle et/ou, conformément aux législations et/ou aux pratiques nationales, par le recours à d’autres instances compétentes.

12      Selon l’article 14, paragraphe 1, de la directive 92/85, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle‑ci au plus tard deux ans après son adoption, soit le 19 octobre 1994.

 La réglementation nationale

13      Aux termes de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail (Moniteur belge du 30 mars 1971, p. 3931):

«L’employeur qui occupe une travailleuse enceinte ne peut faire un acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail à partir du moment où il a été informé de l’état de grossesse jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois prenant cours à la fin du congé postnatal, sauf pour des motifs étrangers à l’état physique résultant de la grossesse ou de l’accouchement.

La charge de la preuve de ces motifs incombe à l’employeur. À la demande de la travailleuse, l’employeur lui en donne connaissance par écrit.

Si le motif invoqué à l’appui du licenciement ne répond pas aux prescriptions de l’alinéa 1er, ou à défaut de motif, l’employeur payera à la travailleuse une indemnité forfaitaire égale à la rémunération brute de six mois, sans préjudice des indemnités dues à la travailleuse en cas de rupture du contrat de travail.»

14      La loi du 4 août 1978 de réorientation économique (Moniteur belge du 17 août 1978, p. 9106) a transposé la directive 76/207 en droit belge et son titre V prévoit des mesures de protection juridique en matière de discrimination fondée sur le sexe.

15      L’article 131 de cette loi prévoit que toute personne qui s’estime lésée peut introduire, auprès de la juridiction compétente, une action tendant à faire appliquer les dispositions du titre V de celle‑ci.

16      Il ressort de la décision de renvoi que le titre V de la loi du 4 août 1978 ne prévoit pas de sanction civile spécifique à cet égard.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      La requérante, employée dans le bureau d’architecture de la défenderesse depuis le 24 décembre 1987, était en congé de maternité du mois de septembre jusqu’à la fin du mois de décembre 1995.

18      Son congé de maternité a pris fin le 31 décembre 1995 et la période de protection contre le licenciement, allant du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de maternité, a, conformément au droit belge, pris fin le 31 janvier 1996.

19      La requérante a été licenciée par lettre recommandée du 21 février 1996, soit à un moment où la période de protection était terminée, moyennant un préavis de 6 mois prenant cours le 1er mars 1996. La défenderesse a mis fin à l’exécution du contrat le 15 avril 1996 moyennant le paiement d’une indemnité correspondant au solde du préavis.

20      La juridiction de renvoi relève que la décision de licencier la requérante a été prise lorsqu’elle était enceinte et avant le 31 janvier 1996, à savoir avant la fin de la période de protection contre le licenciement, et que cette décision a connu une certaine matérialisation.

21      Il ressort de la décision de renvoi que, pendant la grossesse, la défenderesse a fait paraître dans un journal, le 27 mai 1995, une annonce visant à recruter une secrétaire et a, le 6 juin 1995, répondu à une candidate que le «poste est vacant de mi-septembre 1995 à janvier 1996», ce qui correspondait à la période prévisible du congé de maternité, «et puis à dater d’août 1996», soit à partir de l’échéance de ce que serait le préavis de 6 mois normalement notifié après la période de protection. Il n’est pas contesté qu’à la date du 27 mai 1995, la société était au courant de la grossesse et que l’annonce concernait le poste de travail occupé par la requérante.

22      Il ressort également de la décision de renvoi que la défenderesse a fait paraître une seconde annonce en octobre 1995, soit peu de temps après le début du congé de maternité, qui était libellée comme suit: «comptabilité, McIntosch, disp. Imm., pr carr. ds pet. équip». Il n’est pas contesté que la mention «pr carr.», signifie «pour [faire] carrière», ce qui confirme que l’intention de la société était de pourvoir au remplacement définitif de la requérante et que la décision en ce sens a été prise alors qu’elle était enceinte.

23      S’agissant des motifs du licenciement, et tenant compte de ce que la charge de la preuve incombe à l’employeur, la juridiction de renvoi a précisé, dans un jugement du 26 avril 2006, que les justifications que la défenderesse tente de donner au licenciement, à savoir un manque d’adaptation à l’évolution des métiers de l’architecture, ne sont pas établies au vu notamment de ce que des attestations établies le 1er mars 1996 indiquent que la requérante a toujours travaillé à la «parfaite satisfaction de son employeur». Elle a alors considéré que le licenciement de la requérante n’était pas étranger à la grossesse, ou à tout le moins, à la circonstance de la naissance d’un enfant.

24      La juridiction de renvoi a également constaté que l’article 40 de la loi du 16 mars 1971, tel qu’interprété à la lumière de ses travaux préparatoires, ne fait pas obstacle à ce que la décision de licenciement soit prise au cours de la période de protection, pour autant que la notification à la travailleuse intervienne plus d’un mois après la fin du congé de maternité.

25      Dans ces conditions, le tribunal du travail de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 10 de la directive [92/85] doit‑il être interprété comme faisant seulement interdiction de notifier une décision de licenciement pendant la période de protection visée au paragraphe 1 de cet article ou interdit‑il, également, de prendre la décision de licencier et de préparer le remplacement définitif de la travailleuse, avant l’échéance de la période de protection?

2)      Le licenciement notifié après la période de protection prévue à l’article 10 de la directive 92/85, mais qui n’est pas étranger à la maternité et/ou à la naissance d’un enfant, est‑il contraire à l’article 2, paragraphe 1 (ou 5, paragraphe 1) de la directive [76/207], et dans cette hypothèse, la sanction doit‑elle être au moins équivalente à celle que le droit national prévoit en exécution de l’article 10 de la directive 92/85?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

26      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10 de la directive 92/85 doit être interprété en ce sens qu’il interdit non seulement de notifier une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant pendant la période de protection visée au paragraphe 1 de cet article, mais également de prendre une telle décision de licencier et de préparer le remplacement définitif d’une telle travailleuse, avant l’échéance de cette période.

27      À cet égard, il convient, d’abord, de rappeler que l’objectif de la directive 92/85 est de promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail.

28      Dans ce domaine, la Cour a également relevé que l’objectif poursuivi par les règles du droit communautaire régissant l’égalité entre les hommes et les femmes dans le domaine des droits des femmes enceintes ou accouchées est de protéger les travailleurs féminins avant et après l’accouchement (voir arrêt du 8 septembre 2005, McKenna, C‑191/03, Rec. p. I‑7631, point 42).

29      Avant l’entrée en vigueur de la directive 92/85, la Cour avait déjà jugé que, en vertu du principe de non‑discrimination et, notamment, des articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, une protection contre le licenciement devait être reconnue à la femme non seulement pendant le congé de maternité, mais également pendant toute la durée de la grossesse. Selon la Cour, un licenciement pendant ces périodes ne peut concerner que les femmes et constitue, dès lors, une discrimination directe fondée sur le sexe (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 1990, Handels‑ og Kontorfunktionærernes Forbund, C‑179/88, Rec. p. I‑3979, point 15; du 30 juin 1998, Brown, C‑394/96, Rec. p. I‑4185, points 24 à 27, et McKenna, précité, point 47).

30      C’est précisément en considération du risque qu’un éventuel licenciement fait peser sur la situation physique et psychique des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, y compris du risque particulièrement grave d’inciter la travailleuse enceinte à interrompre volontairement sa grossesse, que le législateur communautaire a, en vertu de l’article 10 de la directive 92/85, prévu une protection particulière pour la femme en édictant l’interdiction de licenciement pendant la période allant du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de maternité (voir arrêts du 14 juillet 1994, Webb, C‑32/93, Rec. p. I‑3567, point 21; Brown, précité, point 18; du 4 octobre 2001, Tele Danmark, C‑109/00, Rec. p. I‑6993, point 26, et McKenna, précité, point 48).

31      Il convient, ensuite, de relever que, durant ladite période, l’article 10 de la directive 92/85 n’a prévu aucune exception ou dérogation à l’interdiction de licenciement des travailleuses enceintes, sauf dans des cas exceptionnels non liés à leur état et à condition que l’employeur justifie par écrit les motifs d’un tel licenciement (arrêt précités Webb, point 22; Brown, point 18, et Tele Danmark, point 27).

32      Enfin, il convient de relever que, dans le cadre de l’application de l’article 10 de la directive 92/85, les États membres ne peuvent pas modifier la portée de la notion de «licenciement» privant ainsi d’effets l’étendue de la protection qui est offerte par cette disposition et compromettant son effet utile.

33      Eu égard aux objectifs poursuivis par la directive 92/85 et, plus particulièrement, à ceux poursuivis par son article 10, il convient de relever que l’interdiction de licenciement de la femme enceinte, accouchée et allaitante pendant la période de protection ne se limite pas à la notification de la décision de licenciement. La protection accordée par cette disposition auxdites travailleuses exclut tant la prise d’une décision de licenciement que l’adoption de préparatifs de licenciement, tels que la recherche et la prévision d’un remplacement définitif de l’employée concernée en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant.

34      En effet, ainsi que le gouvernement italien l’a observé à juste titre, un employeur, tel que celui en l’espèce au principal, qui décide de remplacer une travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante en raison de son état et qui, en vue de son remplacement, effectue des démarches concrètes à compter du moment où il a eu connaissance de sa grossesse poursuit exactement l’objectif interdit par la directive 92/85, à savoir licencier une travailleuse en raison de son état de grossesse ou de la naissance d’un enfant.

35      Il convient de relever qu’une interprétation contraire, limitant l’interdiction de licenciement à la seule notification d’une décision de licenciement pendant la période de protection visée à l’article 10 de la directive 92/85, priverait cet article de son effet utile et pourrait engendrer un risque de contournement par des employeurs de cette interdiction au détriment des droits consacrés par la directive 92/85 aux femmes enceintes, accouchées et allaitantes.

36      Il y a lieu, toutefois, de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 31 du présent arrêt, une travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante peut, conformément aux dispositions de l’article 10, point 1, de la directive 92/85, être licenciée pendant la période de protection visée à cette disposition dans des cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou les pratiques nationales.

37      En outre, en ce qui concerne la charge de la preuve applicable dans des circonstances telles que celles en cause en l’espèce au principal, il incombe au juge national d’appliquer les dispositions pertinentes de la directive 97/80/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (JO 1998, L 14, p. 6), qui, en vertu de son article 3, paragraphe 1, sous a), s’applique aux situations couvertes par la directive 92/85, dans la mesure où il y a discrimination fondée sur le sexe. Il ressort de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 97/80 que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.

38      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 10 de la directive 92/85 doit être interprété en ce sens qu’il interdit non seulement de notifier une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant pendant la période de protection visée au paragraphe 1 de cet article, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision avant l’échéance de cette période.

 Sur la seconde question

39      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’une part, si une décision de licenciement, en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant, notifiée après la fin de la période de protection prévue à l’article 10 de la directive 92/85, est contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 et, d’autre part, dans l’hypothèse où une violation de ces dispositions de la directive 76/207 serait avérée, si la mesure choisie par l’État membre en vertu de l’article 6 de cette dernière directive pour sanctionner la violation desdites dispositions doit être au moins équivalente à celle prévue par le droit national en exécution des articles 10 et 12 de la directive 92/85.

40      En ce qui concerne la première partie de la seconde question, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 29 du présent arrêt, que la Cour a déjà jugé qu’une protection contre le licenciement devait être reconnue à la femme non seulement pendant le congé de maternité, mais également pendant toute la durée de la grossesse. Le licenciement d’un travailleur féminin au cours de sa grossesse ou pendant son congé de maternité pour des raisons liées à la grossesse et/ou à la naissance d’un enfant constitue une discrimination directe fondée sur le sexe contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207.

41      Ainsi qu’il ressort de la réponse de la Cour à la première question et, notamment, des points 35 et 38 du présent arrêt, le fait qu’une telle décision de licenciement est notifiée après la fin de la période de protection prévue à l’article 10 de la directive 92/85 est sans pertinence. Toute autre interprétation des articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 restreindrait la portée de la protection accordée par le droit communautaire à la femme enceinte, accouchée et allaitante contrairement à l’économie et à l’évolution des règles du droit communautaire régissant l’égalité entre les hommes et les femmes dans ce domaine.

42      Il convient, dès lors, de répondre à la première partie de la seconde question qu’une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant est contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, quel que soit le moment où cette décision de licenciement est notifiée et même si elle est notifiée après la fin de la période de protection prévue à l’article 10 de la directive 92/85.

43      S’agissant, ensuite, de la seconde partie de la seconde question, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 6 de la directive 76/207, les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires permettant à toute personne qui s’estime lésée par une discrimination, telle que celle en cause en l’espèce au principal, contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de cette directive, de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle. Une telle obligation implique que les mesures en question soient suffisamment efficaces pour atteindre l’objectif de la directive 76/207 et puissent être effectivement invoquées devant les tribunaux nationaux par les personnes concernées (voir arrêt du 2 août 1993, Marshall, C‑271/91, Rec. p. I‑4367, point 22).

44      Ledit article 6 n’impose pas aux États membres une mesure déterminée en cas de violation de l’interdiction de discrimination, mais laisse aux États membres la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser l’objectif de la directive 76/207, en fonction des différentes situations qui peuvent se présenter (arrêts du 10 avril 1984, von Colson et Kamann, 14/83, Rec. p. 1891, point 18, et Marshall, précité, point 23).

45      Toutefois, l’objectif est de parvenir à une égalité de chances effective et ne saurait, dès lors, être atteint en l’absence de mesures propres à rétablir cette égalité lorsqu’elle n’est pas respectée. Ces mesures doivent donc assurer une protection juridictionnelle effective et efficace et avoir à l’égard de l’employeur un effet dissuasif réel (arrêt Marshall, précité, point 24).

46      De tels impératifs impliquent nécessairement la prise en compte des caractéristiques propres à chaque cas de violation du principe d’égalité. Lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue pour atteindre l’objectif précédemment indiqué, elle doit être adéquate en ce sens qu’elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables (arrêt Marshall, précité, points 25 et 26).

47      Il convient de rappeler que, conformément à l’article 12 de la directive 92/85, les États membres sont également tenus de prendre les mesures nécessaires permettant à toute personne qui s’estime lésée par le non‑respect des obligations découlant de cette directive, y compris celles découlant de son article 10, de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle. L’article 10, point 3, de la directive 92/85 prévoit spécifiquement que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour protéger les travailleuses enceintes, accouchées et allaitantes contre les conséquences d’un licenciement qui serait illégal en vertu de cette disposition, point 1.

48      Il ressort des réponses de la Cour à la première question et à la première partie de la seconde question que la notification d’une décision de licenciement, adoptée en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant, à une travailleuse pendant la période de protection visée à l’article 10 de la directive 92/85, la prise d’une telle décision pendant cette période, même en l’absence de notification, et la préparation du remplacement définitif de cette travailleuse pour les mêmes raisons sont contraires aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 ainsi que 10 de la directive 92/85.

49      Tout en reconnaissant que les États membre ne sont tenus, ni en vertu de l’article 6 de la directive 76/207 ni en vertu de l’article 12 de la directive 92/85, d’adopter une mesure déterminée, il n’en reste pas moins que, ainsi qu’il ressort du point 45 du présent arrêt, la mesure choisie doit être de nature à assurer une protection juridictionnelle effective et efficace, doit avoir un effet dissuasif réel à l’égard de l’employeur et doit être en tout cas adéquate au préjudice subi.

50      Si, en vertu des articles 10 et 12 de la directive 92/85 et pour se conformer aux exigences établies par la jurisprudence de la Cour en matière de sanctions, un État membre choisit de sanctionner le non‑respect des obligations découlant de cet article 10 par l’octroi d’une indemnité pécuniaire déterminée, il s’ensuit, ainsi que le gouvernement italien l’a fait valoir en l’espèce, que la mesure choisie par cet État membre, en cas de violation, dans des circonstances identiques, de l’interdiction de discrimination aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 doit être au moins équivalente.

51      Or, si l’indemnité choisie par un État membre en vertu de l’article 12 de la directive 92/85 est jugée nécessaire pour protéger les travailleuses concernées, il est difficile de comprendre comment une indemnité plus réduite adoptée pour se conformer à l’article 6 de la directive 76/207 pourrait être considérée adéquate au préjudice subi si ledit préjudice réside dans un licenciement dans des circonstances identiques et contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de cette dernière directive.

52      En outre, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, en choisissant la solution adéquate pour garantir l’objectif de la directive 76/207, les États membres doivent veiller à ce que les violations du droit communautaire soient sanctionnées dans des conditions de fond et de procédure qui soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d’une nature et d’une importance similaires (arrêts du 21 septembre 1989, Commission/Grèce, 68/88, Rec. p. 2965, point 24, et du 22 avril 1997, Draehmpaehl, C‑180/95, Rec. p. I‑2195, point 29). Ce raisonnement s’applique mutatis mutandis aux violations du droit communautaire d’une nature et d’une importance similaires.

53      Il convient, par conséquent, de répondre à la seconde partie de la seconde question que, dès lors qu’une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant, notifiée après la fin de la période de protection prévue à l’article 10 de la directive 92/85, est contraire tant à cette dernière disposition de la directive 92/85 qu’aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, la mesure choisie par un État membre en vertu de l’article 6 de cette dernière directive pour sanctionner la violation de ces dispositions doit être au moins équivalente à celle prévue par le droit national en exécution des articles 10 et 12 de la directive 92/85.

54      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question qu’une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant est contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, quel que soit le moment où cette décision de licenciement est notifiée et même si elle est notifiée après la fin de la période de protection prévue à l’article 10 de la directive 92/85. Dès lors qu’une telle décision de licenciement est contraire tant à l’article 10 de la directive 92/85 qu’aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, la mesure choisie par un État membre en vertu de l’article 6 de cette dernière directive pour sanctionner la violation de ces dispositions doit être au moins équivalente à celle prévue par le droit national en exécution des articles 10 et 12 de la directive 92/85.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 10 de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE), doit être interprété en ce sens qu’il interdit non seulement de notifier une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant pendant la période de protection visée au paragraphe 1 de cet article, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision avant l’échéance de cette période.

2)      Une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d’un enfant est contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, quel que soit le moment où cette décision de licenciement est notifiée et même si elle est notifiée après la fin de la période de protection prévue à l’article 10 de la directive 92/85. Dès lors qu’une telle décision de licenciement est contraire tant à l’article 10 de la directive 92/85 qu’aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, la mesure choisie par un État membre en vertu de l’article 6 de cette dernière directive pour sanctionner la violation de ces dispositions doit être au moins équivalente à celle prévue par le droit national en exécution des articles 10 et 12 de la directive 92/85.

Signatures


* Langue de procédure: le français.