ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

22 octobre 2015 ( * )

«Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marchés européens des stabilisants étain et des stabilisants thermiques ESBO/esters — Article 81, paragraphe 1, CE — Champ d’application — Entreprise de conseil n’opérant pas sur les marchés en cause — Notions d’‘accord entre entreprises’ et de ‘pratique concertée’ — Calcul du montant des amendes — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de l’année 2006 — Compétence de pleine juridiction»

Dans l’affaire C‑194/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 17 avril 2014,

AC‑Treuhand AG, établie à Zurich (Suisse), représentée par Mes C. Steinle, I. Bodenstein et C. von Köckritz, Rechtsanwälte,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. H. Leupold, F. Ronkes Agerbeek et R. Sauer, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de la première chambre, faisant fonction de président de la deuxième chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça (rapporteur), A. Arabadjiev, C. Lycourgos et J.‑C. Bonichot, juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mars 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 mai 2015,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, AC‑Treuhand AG (ci‑après «AC‑Treuhand») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 février 2014, (AC‑Treuhand/CommissionT‑27/10, EU:T:2014:59, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui‑ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2009) 8682 final de la Commission, du 11 novembre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38589 – Stabilisants thermiques) (ci‑après la «décision litigieuse»), ou, à titre subsidiaire, à la réduction des amendes qui lui ont été infligées au terme de cette décision.

Le cadre juridique

Le règlement (CE) no 1/2003

2

Sous l’intitulé «Amendes», l’article 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), dispose, à ses paragraphes 2 et 3:

«2.   La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)

elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81 CE] ou [82 CE], [...]

Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

[...]

3.   Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle‑ci.»

3

L’article 31 de ce règlement, intitulé «Contrôle de la Cour de justice», est libellé comme suit:

«La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée.»

Les lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003

4

Les points 4 à 6, 13, 36 et 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci‑après les «lignes directrices de 2006») énoncent:

«4.   [...] Il y a lieu de fixer les amendes à un niveau suffisamment dissuasif, non seulement en vue de sanctionner les entreprises en cause (effet dissuasif spécifique), mais aussi en vue de dissuader d’autres entreprises de s’engager dans des comportements contraires aux articles 81 [CE] et 82 [CE] ou de continuer de tels comportements (effet dissuasif général).

5.   Afin d’atteindre ces objectifs, il est approprié pour la Commission de se référer, comme base pour la détermination des amendes, à la valeur des ventes des biens ou services en relation avec l’infraction. La durée de l’infraction devrait également jouer un rôle significatif dans la détermination du montant approprié de l’amende. [...]

6.   En effet, la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction. [...]

[...]

13.   En vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [(tel sera le cas par exemple pour les accords de prix horizontaux portant sur un produit donné, lorsque le prix de ce produit sert ensuite de base pour le prix de produits de qualité supérieure ou inférieure)] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de [l’Espace économique européen (EEE)]. [...]

[...]

36.   La Commission peut, dans certains cas, imposer une amende symbolique. La justification d’une telle amende devrait figurer dans le texte de la décision.

37.   Bien que les présentes Lignes directrices exposent la méthodologie générale pour la fixation d’amendes, les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière peuvent justifier que la Commission s’écarte de cette méthodologie [...]»

Les antécédents du litige

5

Par la décision litigieuse, la Commission a considéré qu’un certain nombre d’entreprises avaient enfreint les articles 81 CE et 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3) en participant à un ensemble d’accords et de pratiques concertées anticoncurrentiels couvrant le territoire de l’EEE et concernant, d’une part, le secteur des stabilisants étain et, d’autre part, le secteur de l’huile de soja époxydée et des esters (ci‑après le «secteur ESBO/esters»).

6

La décision litigieuse précise que les entreprises concernées ont participé à ces deux infractions au cours de diverses périodes comprises entre le 24 février 1987 et le 21 mars 2000, pour le secteur des stabilisants étain, et entre le 11 septembre 1991 et le 26 septembre 2000, pour le secteur ESBO/esters.

7

AC‑Treuhand, dont le siège principal est à Zurich, est une société de conseil offrant divers services aux associations nationales et internationales ainsi qu’aux groupes d’intérêts, en ce compris la gestion et l’administration d’associations professionnelles suisses et internationales ainsi que de fédérations et d’organisations à but non lucratif, la collecte, le traitement et l’exploitation des données du marché, la présentation des statistiques du marché et le contrôle des chiffres communiqués chez les participants.

8

L’article 1er de la décision litigieuse déclare AC‑Treuhand responsable d’avoir participé, du 1er décembre 1993 au 21 mars 2000, dans le secteur des stabilisants étain, et du 1er décembre 1993 au 26 septembre 2000, dans le secteur ESBO/esters, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées au sein de l’EEE, et consistant à fixer les prix, à répartir les marchés au moyen de quotas de vente, à répartir les clients et à échanger des informations commerciales sensibles, en particulier sur les clients, la production et les ventes.

9

La Commission tient AC‑Treuhand pour responsable en ce qu’elle a joué un rôle essentiel et similaire dans les deux infractions en cause en organisant plusieurs réunions auxquelles elle a assisté et participé activement, en collectant et en fournissant aux producteurs concernés des données sur les ventes des marchés en cause, en proposant d’agir en tant que modérateur en cas de tension entre lesdits producteurs et en encourageant ceux‑ci à dégager des compromis, et ce contre rémunération.

10

Conformément à l’article 2 de la décision litigieuse, AC‑Treuhand s’est vue infliger deux amendes de 174000 euros chacune.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

11

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 janvier 2010, AC‑Treuhand a demandé l’annulation de la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, la réduction des amendes qui lui ont été infligées.

12

À l’appui de son recours, AC‑Treuhand a invoqué neuf moyens, dont seuls les troisième à cinquième présentent un intérêt aux fins du présent pourvoi. Le Tribunal les a présentés comme suit aux points 36 et 268 de l’arrêt attaqué:

«36

Aux fins de l’annulation de la décision [litigieuse], la requérante invoque [...] une violation de l’article 81 CE ainsi que du principe de légalité des délits et des peines (troisième moyen); [...]

[...]

268

Au soutien de ses conclusions subsidiaires en réformation de la décision [litigieuse] quant au montant des amendes qui lui ont été infligées, la requérante invoque [...] [notamment] la violation d’une obligation incombant à la Commission de n’infliger qu’une amende symbolique dans les circonstances de la présente affaire (quatrième moyen), [...] [et] une violation des lignes directrices de 2006 au titre du calcul du montant de base de l’amende (cinquième moyen) [...]»

13

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours dans son ensemble.

Les conclusions des parties

14

AC‑Treuhand demande à la Cour:

d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse;

à titre subsidiaire, de réduire le montant des amendes infligées, ou de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

de condamner la Commission aux dépens.

15

La Commission demande à la Cour:

de rejeter le pourvoi et

de condamner AC‑Treuhand aux dépens.

Sur le pourvoi

16

AC‑Treuhand invoque quatre moyens au soutien de son pourvoi.

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 81 CE et du principe de légalité

Argumentation des parties

17

Par son premier moyen, AC‑Treuhand soutient que le Tribunal a violé l’article 81, paragraphe 1, CE ainsi que le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «Charte»), en jugeant, aux points 43 et 44 de l’arrêt attaqué, en se référant à son arrêt (AC‑Treuhand/CommissionT‑99/04, EU:T:2008:256, ci‑après l’«arrêt AC‑Treuhand I»), d’une part, que le comportement d’une entreprise de conseil qui fournit une aide à une entente moyennant la prestation de services rentre dans le champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE et, d’autre part, que cette interprétation était raisonnablement prévisible au moment où les infractions ont été commises.

18

À cet égard, AC‑Treuhand fait valoir que les exigences de précision découlant du principe de légalité des délits et des peines s’opposent à la conclusion selon laquelle elle aurait participé à un «accord entre entreprises» ou à une «pratique concertée» restrictifs de la concurrence, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. En effet, il ressortirait du libellé de cette disposition que l’interdiction y prévue vise uniquement les parties à de tels accords ou pratiques concertées en elles‑mêmes et non les comportements relevant de la simple complicité.

19

Toutefois, le comportement d’AC‑Treuhand ne saurait être qualifié de participation aux ententes en question, lesquelles n’auraient impliqué que les producteurs de stabilisants thermiques. Elle fait valoir à ce sujet que, selon la jurisprudence de la Cour, la notion d’«accord entre entreprises» requiert que deux parties au moins aient exprimé leur volonté concordante de se comporter sur le marché d’une manière déterminée.

20

Ladite notion supposerait, partant, une certaine relation aux marchés concernés par les restrictions de la concurrence dans le chef des parties. Une telle relation ferait défaut en ce qui concerne AC‑Treuhand, dans la mesure où la volonté de celle‑ci aurait été axée sur la seule prestation de services aux fins de faciliter les ententes, sur le fondement de contrats ne présentant pas de lien direct avec les restrictions de la concurrence identifiées par la Commission. Au surplus, AC‑Treuhand allègue qu’elle n’était pas active sur des marchés situés en amont ou en aval ou voisins des marchés concernés par les ententes et n’avait pas restreint son comportement sur le marché, aspect qui relèverait de l’essence même des ententes.

21

N’ayant pas abandonné son autonomie quant à son comportement commercial au profit d’une coordination avec d’autres entreprises, le comportement qui a été reproché à AC‑Treuhand ne répondrait pas non plus aux critères constitutifs de la notion de «pratique concertée», au sens entendu par la jurisprudence de la Cour.

22

Par ailleurs, AC‑Treuhand fait valoir que son comportement aurait pu être sanctionné conformément aux exigences de prévisibilité résultant du principe de légalité des délits et des peines si une jurisprudence constante avait existé au moment où les infractions ont été commises et de laquelle une incrimination aurait pu être déduite de manière suffisamment claire. Cependant, il n’existerait pas de jurisprudence antérieure à l’arrêt AC‑Treuhand I condamnant le comportement dont il est question dans la présente affaire.

23

En outre, avant la décision 2005/349/CE de la Commission, du 10 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E‑2/37.857 – Peroxydes organiques) (JO 2005, L 110, p. 44, ci‑après la «décision Peroxydes organiques»), qui a donné lieu à l’arrêt AC‑Treuhand I, aucune entreprise de conseil ayant fourni des services à une entente n’aurait été tenue pour responsable au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE. La Commission y aurait d’ailleurs admis qu’adresser une décision à une entreprise ayant joué un rôle aussi spécifique était, dans une certaine mesure, une nouveauté.

24

Dans de telles circonstances, le Tribunal ne saurait s’appuyer sur des considérations d’opportunité en matière de politique de concurrence afin de justifier l’interprétation retenue dans l’arrêt attaqué.

25

La Commission conteste l’argumentation d’AC‑Treuhand.

Appréciation de la Cour

26

Il convient de déterminer, dans la présente affaire, si une entreprise de conseil peut être tenue pour responsable d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, lorsque celle‑ci contribue activement et en toute connaissance de cause à la mise en œuvre ou au suivi d’une entente entre producteurs actifs sur un marché distinct de celui sur lequel ladite entreprise opère.

27

S’agissant, en premier lieu, de l’article 81, paragraphe 1, CE, en vertu duquel sont incompatibles avec le marché commun et interdits les accords entre entreprises, les décisions d’associations d’entreprises et les pratiques concertées, qui revêtent certaines caractéristiques, il importe de constater, tout d’abord, que rien dans le libellé de cette disposition n’indique que l’interdiction qui y est énoncée vise uniquement les parties à de tels accords ou pratiques concertées qui sont actives sur les marchés affectés par ceux‑ci.

28

Il convient de rappeler également que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’existence d’un «accord» est fondée sur l’expression de la volonté concordante de deux parties au moins, la forme selon laquelle se manifeste cette concordance n’étant pas déterminante par elle‑même (voir, en ce sens, arrêt Commission/Volkswagen, C‑74/04 P, EU:C:2006:460, point 37).

29

S’agissant de la notion de «pratique concertée», il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’article 81, paragraphe 1, CE distingue cette notion notamment de celle d’«accord» et de «décision d’association d’entreprises» dans le seul dessein d’appréhender différentes formes de collusion entre entreprises qui, du point de vue subjectif, partagent la même nature et ne se distinguent que par leur intensité et par les formes dans lesquelles elles se manifestent (voir, en ce sens, arrêts Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 112, et T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 23).

30

Lorsqu’il s’agit, comme c’est le cas en l’espèce, d’accords et de pratiques concertées ayant un objet anticoncurrentiel, il résulte de la jurisprudence de la Cour que la Commission doit démontrer, afin de pouvoir conclure à la participation d’une entreprise à l’infraction et à sa responsabilité pour tous les différents éléments qu’elle comporte, que l’entreprise concernée a entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (voir, en ce sens, arrêts Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, points 86 et 87, ainsi que Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 83).

31

À cet égard, la Cour a notamment jugé que les modes passifs de participation à l’infraction, telle que la présence d’une entreprise à des réunions au cours desquelles des accords ayant un objet anticoncurrentiel ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, traduisent une complicité qui est de nature à engager sa responsabilité dans le cadre de l’article 81, paragraphe 1, CE, dès lors que l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et de compromettre sa découverte (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 142 et 143 ainsi que jurisprudence citée).

32

Certes, la Cour a déjà relevé, lorsqu’elle a été amenée à apprécier l’existence d’un «accord», au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, qu’il était question de l’expression de la volonté concordante des parties de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (voir en ce sens, notamment, arrêt ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, EU:C:1970:71, point 112). En outre, la Cour a considéré que les critères de coordination et de coopération constitutifs d’une «pratique concertée», au sens de la même disposition, devaient être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun (voir, notamment, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 116).

33

Toutefois, il ne ressort pas de ces considérations que les notions d’«accord» et de «pratique concertée» présupposent une limitation réciproque de la liberté d’action sur un même marché sur lequel seraient présentes l’ensemble des parties.

34

En outre, il ne saurait être déduit de la jurisprudence de la Cour que l’article 81, paragraphe 1, CE concerne uniquement soit les entreprises actives sur le marché concerné par les restrictions de la concurrence, ou encore sur des marchés situés en amont, en aval ou voisins dudit marché, soit les entreprises qui limitent leur autonomie de comportement sur un marché donné en vertu d’un accord ou d’une pratique concertée.

35

En effet, il découle d’une jurisprudence bien établie de la Cour que le texte de l’article 81, paragraphe 1, CE se réfère de façon générale à tous les accords et les pratiques concertées qui, dans des rapports soit horizontaux, soit verticaux, faussent la concurrence dans le marché commun, indépendamment du marché sur lequel les parties sont actives, tout comme du fait que seul le comportement commercial de l’une d’entre elles soit concerné par les termes des arrangements en cause (voir, en ce sens, arrêts LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 358; Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, EU:C:1966:41, p. 492 ainsi que 493; Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, points 72 à 80; Binon, 243/83, EU:C:1985:284, points 39 à 47, ainsi que Javico, C‑306/96, EU:C:1998:173, points 10 à 14).

36

Il convient aussi de relever que l’objectif principal de l’article 81, paragraphe 1, CE est d’assurer le maintien d’une concurrence non faussée à l’intérieur du marché commun. Or, l’interprétation de cette disposition préconisée par AC‑Treuhand serait susceptible de réduire la pleine efficacité de l’interdiction édictée par ladite disposition, dans la mesure où une telle interprétation ne permettrait pas de faire échec à la contribution active d’une entreprise à une restriction de concurrence du seul fait que cette contribution ne concerne pas une activité économique relevant du marché pertinent sur lequel cette restriction se matérialise ou a pour objet de se matérialiser.

37

En l’occurrence, selon les constatations de fait opérées par le Tribunal au point 10 de l’arrêt attaqué, AC‑Treuhand a joué un rôle essentiel et similaire dans les deux infractions en cause en organisant plusieurs réunions auxquelles elle a assisté et participé activement, en collectant et en fournissant aux producteurs de stabilisants thermiques des données sur les ventes dans les marchés en cause, en proposant d’agir en tant que modérateur en cas de tension entre ces producteurs et en encourageant ceux‑ci à dégager des compromis, et ce contre rémunération.

38

Il en résulte que le comportement adopté par AC‑Treuhand s’inscrit directement dans les efforts des producteurs de stabilisants thermiques relatifs tant à la négociation qu’au contrôle de l’application des obligations souscrites par ces derniers dans le cadre des ententes, le but même des services fournis par AC‑Treuhand sur la base des contrats de prestation de services conclus avec lesdits producteurs étant la réalisation, en toute connaissance de cause, des objectifs anticoncurrentiels en question, à savoir, ainsi qu’il ressort du point 4 de l’arrêt attaqué, la fixation des prix, la répartition des marchés et des clients ainsi que l’échange d’informations commerciales sensibles.

39

Dans de telles circonstances, contrairement à ce qu’AC‑Treuhand prétend, même si lesdits contrats de prestation de services ont été formellement conclus séparément des engagements dont les producteurs de stabilisants thermiques eux‑mêmes étaient convenus, et malgré le fait qu’AC‑Treuhand est une entreprise de conseil, il ne peut être considéré que les interventions de celle‑ci, en cette qualité, constituaient de simples services périphériques, sans relation avec les obligations contractées par les producteurs et les restrictions de concurrence en découlant.

40

S’agissant, en second lieu, de la prétendue violation, par le Tribunal, du principe de légalité des délits et des peines, il importe d’observer que, selon la jurisprudence de la Cour, ce principe exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (arrêt Evonik Degussa/Commission, C‑266/06 P, EU:C:2008:295, point 39 et jurisprudence citée).

41

Le principe de légalité des délits et des peines ne saurait dès lors être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (voir, en ce sens, arrêts Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 217 et 218).

42

La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut‑on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 219 et jurisprudence citée).

43

Dans ce contexte, même si, à l’époque des infractions ayant donné lieu à la décision litigieuse, les juridictions de l’Union européenne n’avaient pas encore eu l’occasion de se prononcer spécifiquement sur le comportement d’une entreprise de conseil comme celui ayant caractérisé l’action d’AC‑Treuhand, celle‑ci aurait dû s’attendre, au besoin après avoir recouru à des conseils éclairés, à ce que son comportement puisse être déclaré incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union, eu égard, notamment, à la portée large des notions d’«accord» et de «pratique concertée» résultant de la jurisprudence de la Cour.

44

Cette conclusion est, au demeurant, renforcée par la pratique administrative de la Commission. En effet, déjà dans la décision 80/1334/CEE de la Commission, du 17 décembre 1980, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (affaire IV/29.869 – Verre coulé en Italie) (JO L 383, p. 19), cette institution a considéré qu’une entreprise de conseil ayant participé à la mise en œuvre d’une entente avait contrevenu à l’article 81, paragraphe 1, CE. Aucune décision ultérieure ne permet d’affirmer que la Commission aurait opéré un revirement quant à son interprétation, en ce sens, du champ d’application de ladite disposition.

45

Les conditions nécessaires pour retenir valablement la responsabilité d’AC‑Treuhand du fait de sa participation aux accords et aux pratiques concertées dont il est question sont ainsi remplies en l’espèce.

46

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le Tribunal a pu à bon droit considérer, aux points 43 et 44 de l’arrêt attaqué, que le comportement adopté par AC‑Treuhand relevait de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE et qu’une telle interprétation était raisonnablement prévisible au moment où les infractions ont été commises.

47

Partant, il y a lieu de conclure que le premier moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de légalité, ainsi que du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de motivation

Argumentation des parties

48

Par son deuxième moyen, AC‑Treuhand fait valoir que le Tribunal a enfreint le principe de légalité des délits et des peines, consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte, en ce qu’il a rejeté le quatrième moyen du recours en annulation de la décision litigieuse relatif au montant des amendes en se bornant à renvoyer aux considérations qui figurent dans l’arrêt attaqué sur le caractère prévisible de l’application de l’article 81 CE au comportement adopté par AC‑Treuhand. Selon cette dernière, ledit principe de légalité exige que tant l’interdiction d’une action déterminée que le risque de sanction qui y est lié soient raisonnablement prévisibles au moment où les faits ont été commis. Ainsi, ces deux aspects auraient dû être distingués et appréciés séparément par le Tribunal.

49

Par ailleurs, AC‑Treuhand soutient que le Tribunal a enfreint le principe d’égalité de traitement lorsqu’il a jugé, eu égard au pouvoir de la Commission de déroger à sa pratique décisionnelle antérieure en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, que cette institution n’était pas tenue d’imposer des amendes symboliques dans les circonstances de la présente affaire. AC‑Treuhand, à cet égard, argue de ce que le comportement qui lui est reproché en l’espèce ne se distingue pas fondamentalement de celui ayant fait l’objet de la décision Peroxydes organiques dans laquelle AC‑Treuhand a été sanctionnée par la Commission moyennant l’imposition d’une amende symbolique.

50

De surcroît, AC‑Treuhand fait valoir que le Tribunal a manqué à son obligation de motivation dans la mesure où l’arrêt attaqué n’énonce pas de raisons objectives permettant de justifier une différence de traitement entre les deux affaires susmentionnées.

51

La Commission conteste l’argumentation d’AC‑Treuhand.

Appréciation de la Cour

52

L’examen du dossier soumis à la Cour permet de constater qu’AC‑Treuhand s’est bornée à alléguer devant le Tribunal, aux termes du quatrième moyen soulevé en première instance, que la Commission était tenue de lui infliger des amendes d’un montant symbolique, dès lors que l’application de l’article 81 CE à son comportement n’était pas prévisible au moment où les infractions concernées ont été commises. À cet égard, d’une part, AC‑Treuhand s’est limitée à renvoyer à ses arguments concernant le caractère inédit de l’interprétation selon laquelle le comportement d’une entreprise de conseil entre dans le champ d’application dudit article. D’autre part, AC‑Treuhand a soutenu que la décision de la Commission d’imposer une amende qui n’est pas symbolique serait contraire au principe de légalité dès lors que les infractions visées par cette décision avaient cessé au moment de l’adoption de la décision Peroxydes organiques par laquelle cette institution ne lui a infligé qu’une amende symbolique. En revanche, AC‑Treuhand n’a pas fait valoir que cette approche serait également contraire au principe d’égalité de traitement.

53

Il s’ensuit que, dans le cadre du présent moyen à l’appui de son pourvoi, AC‑Treuhand avance des griefs nouveaux, tirés du caractère imprévisible du montant élevé des amendes qui lui ont été infligées dans le cas d’espèce, indépendamment de la question de savoir si l’application de l’article 81 CE à son comportement revêt un tel caractère, ainsi que d’une violation du principe d’égalité de traitement.

54

À cet égard, il découle d’une jurisprudence constante que permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour des moyens et des arguments qu’elle n’a pas soulevés devant le Tribunal reviendrait à l’autoriser à saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens et des arguments qui ont été débattus devant lui. Lesdits griefs doivent, dès lors, être écartés comme étant irrecevables.

55

Quant au grief d’AC‑Treuhand portant sur l’absence de motivation en ce qui concerne les exigences posées par le principe d’égalité de traitement, il suffit de relever qu’il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir statué sur un moyen qui ne lui a pas été soumis (voir, en ce sens, notamment, arrêt Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 70). Il y a dès lors lieu de déclarer ce grief non fondé.

56

Par conséquent, il convient de rejeter le deuxième moyen comme étant pour partie irrecevable et pour partie non fondé.

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1/2003, des lignes directrices de 2006, ainsi que des principes de sécurité juridique, d’égalité de traitement et de proportionnalité

Argumentation des parties

57

Par son troisième moyen, AC‑Treuhand fait valoir que le Tribunal a enfreint l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1/2003 ainsi que les lignes directrices de 2006, en considérant, lors de l’examen du cinquième moyen à l’appui de son recours, d’une part, qu’AC‑Treuhand ne saurait invoquer une violation desdites lignes directrices et, d’autre part, que la Commission était fondée à fixer les amendes de manière forfaitaire, sur le fondement du point 37 desdites lignes directrices, au lieu de se fonder, à cet effet, sur la valeur des honoraires qu’elle a perçus pour les services fournis aux producteurs. Selon ACTreuhand, étant donné qu’elle a été tenue pour responsable du fait de sa participation aux ententes reprochées, ces honoraires constituent un chiffre d’affaires en relation directe ou indirecte avec les infractions et pouvaient, partant, servir, conformément au point 13 des lignes directrices de 2006, de base de calcul du montant des amendes. Elle avance encore, à cet égard, que la fixation forfaitaire des amendes imposées enfreint les principes de sécurité juridique, d’égalité de traitement et de proportionnalité.

58

De surcroît, AC‑Treuhand soutient que le Tribunal a erronément considéré que la Commission avait à suffisance de droit motivé sa décision en ce qui concerne les critères retenus afin de fixer les amendes infligées.

59

La Commission conteste l’argumentation d’AC‑Treuhand.

Appréciation de la Cour

60

Il y a lieu de considérer, à titre liminaire, que les griefs d’AC‑Treuhand tirés de la violation des principes de sécurité juridique, d’égalité de traitement et de proportionnalité doivent être déclarés irrecevables pour le motif exposé au point 54 du présent arrêt. En effet, il résulte de l’examen du dossier soumis à la Cour que ces griefs ont été soulevés pour la première fois dans le cadre du présent pourvoi, AC‑Treuhand s’étant limitée à invoquer, par son cinquième moyen en première instance, que la présente affaire ne présentait aucune particularité susceptible de justifier le calcul des amendes de manière forfaitaire.

61

S’agissant de l’argument selon lequel le Tribunal aurait considéré à tort qu’AC‑Treuhand n’était pas fondée à invoquer une violation des lignes directrices de 2006, il suffit de noter que, aux points 298 et 299 de l’arrêt attaqué, conformément à la jurisprudence de la Cour relative aux effets juridiques des lignes directrices adoptées par la Commission pour le calcul des amendes (voir, notamment, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission,C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 209 à 213), le Tribunal a vérifié, compte tenu des griefs soulevés par AC‑Treuhand à ce sujet, si la Commission pouvait s’écarter des lignes directrices de 2006 dans le cas d’espèce.

62

Dans la mesure où AC‑Treuhand fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission n’était pas tenue de déterminer les amendes imposées sur la base des honoraires qu’elle a perçus, il convient de rappeler qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût‑elle approximative et imparfaite, de la taille de celle‑ci et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient des produits faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle‑ci (voir, notamment, arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 50).

63

Ainsi, le point 13 des lignes directrices de 2006 prévoit que «[e]n vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [...] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE». Ces lignes directrices précisent, à leur point 6, que «la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée [de celle‑ci] est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction».

64

Il s’ensuit que le point 13 desdites lignes directrices a pour objectif de retenir, en principe, comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise, un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de cette entreprise dans celle‑ci (arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 53).

65

Cependant, le point 37 des lignes directrices de 2006 énonce que «[b]ien que [ces lignes] directrices exposent la méthodologie générale pour la fixation d’amendes, les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière peuvent justifier que la Commission s’écarte de cette méthodologie.»

66

En l’occurrence, il est constant que les seuls marchés concernés par les infractions constatées sont ceux des stabilisants étain et ESBO/esters, dans lesquels AC‑Treuhand, en tant qu’entreprise de conseil, n’était pas présente. Par conséquent, aucune partie du chiffre d’affaires réalisé par cette entreprise ne saurait provenir des produits faisant l’objet desdites infractions. Dans de telles circonstances, la détermination des amendes infligées sur la base des honoraires perçus par AC‑Treuhand pour les services fournis aux producteurs reviendrait à tenir compte d’une valeur qui, tout en donnant une indication sur le montant des bénéfices qu’elle a tirés des infractions, ne refléterait de manière adéquate ni l’importance économique des infractions en cause ni le poids de la participation individuelle d’AC‑Treuhand dans ces infractions, contrairement à l’objectif poursuivi par le point 13 des lignes directrices de 2006.

67

Par voie de conséquence, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a estimé, aux points 302 à 305 de l’arrêt attaqué, que la Commission s’était à bon droit écartée de la méthodologie de calcul des amendes prévue par les lignes directrices de 2006 en fixant, sur le fondement du point 37 de ces lignes directrices, le montant de base des amendes infligées de manière forfaitaire. Dès lors, il y a lieu de déclarer non fondé le grief d’AC‑Treuhand tiré d’une violation, à ce titre, des lignes directrices de 2006.

68

Dans la mesure où AC‑Treuhand critique le Tribunal en ce qu’il aurait considéré à tort que la Commission avait suffisamment motivé sa décision à l’égard des critères retenus pour fixer les amendes infligées, il importe d’observer que, dans la détermination du montant de l’amende en cas d’infraction aux règles de concurrence, la Commission satisfait à son obligation de motivation lorsqu’elle indique dans sa décision les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction, sans que celle‑ci soit tenue d’indiquer les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (voir en ce sens, notamment, arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 181).

69

En l’espèce, il convient de constater, en particulier, que les considérants 747 à 750 de la décision litigieuse énoncent les facteurs relatifs à la gravité et à la durée des infractions commises par AC‑Treuhand dont la Commission a tenu compte afin de calculer le montant des amendes infligées à cette entreprise. Il en résulte qu’il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir jugé, aux points 306 et 307 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait satisfait aux exigences découlant de l’obligation de motivation qui lui incombe. Il s’ensuit que ce grief n’est pas fondé.

70

Par conséquent, il convient de rejeter le troisième moyen comme étant pour partie irrecevable et pour partie non fondé.

Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 261 TFUE, du principe de protection juridictionnelle effective ainsi que des articles 23, paragraphe 3, et 31 du règlement no 1/2003

71

Par son quatrième moyen, AC‑Treuhand fait valoir que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal n’a pas exercé son pouvoir de pleine juridiction, de manière à garantir une protection juridictionnelle effective, au sens de l’article 47, paragraphe 1, de la Charte.

72

À cet égard, AC‑Treuhand soutient qu’il résulte du point 308 dudit arrêt que le Tribunal s’est limité à prendre en compte la gravité des infractions constatées afin d’examiner si le montant des amendes était approprié. Or, le Tribunal aurait dû avoir aussi égard aux principes de légalité, de proportionnalité et d’égalité de traitement, dans la mesure où ces principes s’opposeraient, dans le cas d’espèce, à l’imposition d’amendes d’un montant autre que symbolique ou qui seraient calculées sur une autre base que les honoraires qu’elle a perçus pour les services fournis aux producteurs. Il incomberait, en toute hypothèse, au Tribunal d’exposer les raisons justifiant la différence de traitement entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à la décision Peroxydes organiques ainsi qu’à l’arrêt AC‑Treuhand I. Le Tribunal aurait dû également tenir compte de la durée des infractions en cause.

73

La Commission conteste l’argumentation d’AC‑Treuhand.

Appréciation de la Cour

74

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission lorsqu’elle décide d’infliger une amende ou une astreinte pour violation des règles de concurrence, outre le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, le juge de l’Union dispose d’une compétence de pleine juridiction qui lui est reconnue par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE, et qui l’habilite à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir, en ce sens, arrêt Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 36 et jurisprudence citée).

75

Toutefois, il importe de rappeler que l’exercice de la compétence de pleine juridiction prévue aux articles 261 TFUE et 31 du règlement no 1/2003 n’équivaut pas à un contrôle d’office et que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, c’est dès lors à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de la décision litigieuse et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (voir arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 213 et jurisprudence citée).

76

En revanche, afin de satisfaire aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47, paragraphe 1, de la Charte, et compte tenu de ce que l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 dispose que le montant de l’amende doit être déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 TFUE et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker‑Hannifin, C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 75 et jurisprudence citée).

77

S’agissant de la présente affaire, il résulte des points 52, 53 et 60 du présent arrêt que les griefs d’AC‑Treuhand relatifs à la violation des principes de légalité, de proportionnalité ainsi que d’égalité de traitement n’ont pas été soulevés en première instance. Or, conformément à la jurisprudence rappelée au point 75 du présent arrêt, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir examiné d’office lesdits griefs dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction.

78

Par ailleurs, il importe de constater que, aux points 268 à 314 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné l’ensemble des griefs avancés par AC‑Treuhand se référant à la détermination du montant des amendes infligées, en ce compris celui tiré d’une erreur d’appréciation quant à la durée des infractions concernées, et a répondu à suffisance de droit aux arguments invoqués. Ce faisant, le Tribunal a exercé son contrôle juridictionnel à l’égard de la décision litigieuse d’une manière conforme aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47, paragraphe 1, de la Charte.

79

Il résulte des considérations qui précèdent que le quatrième moyen n’est pas fondé.

80

Les moyens invoqués par AC‑Treuhand au soutien de son pourvoi étant, en partie, irrecevables et, en partie, non fondés, il y a lieu de rejeter ce dernier dans son intégralité.

Sur les dépens

81

En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

82

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation d’AC‑Treuhand et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents au présent pourvoi.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

AC‑Treuhand AG est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: l’allemand.