DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

30 avril 2025 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Recrutement – Concours interne COM/AD6/2022 – Décision de ne pas admettre le requérant à l’étape suivante du concours – Neutralisation de certaines questions de l’épreuve du questionnaire à choix multiple – Méthode de neutralisation – Absence d’arrondissement »

Dans l’affaire T‑325/24,

EL, représentée par Me P. Billiet, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme K. Talabér-Ritz et M. L. Hohenecker, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme T. Pynnä et M. H. Cassagnabère (rapporteur), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, EL, demande, d’une part, l’annulation de la décision du 28 juin 2023 par laquelle le jury du concours interne COM/AD 6/2022 (ci-après le « concours interne ») l’a informée qu’elle n’était pas qualifiée pour l’étape suivante de ce concours et, d’autre part, qu’il soit ordonné à la Commission européenne de l’admettre à participer à nouveau au concours interne.

 Antécédents du litige

2        Le 22 novembre 2022, la Commission a publié l’avis de concours relatif au concours interne (ci-après l’« avis de concours »), modifié ultérieurement par un addendum. La requérante s’est portée candidate à ce concours.

3        Le 14 mars 2023, la Commission a informé la requérante qu’elle remplissait les critères d’éligibilité et qu’elle serait invitée ultérieurement à l’épreuve de présélection. Cette dernière consistait en un questionnaire à choix multiple (ci-après le « QCM ») portant sur la connaissance des politiques et des institutions de l’Union européenne. Cette épreuve s’est tenue le 19 avril 2023.

4        Par une décision du 28 juin 2023 (ci-après la « décision attaquée »), la requérante a été informée que, avec une note de 34,88 sur 50, elle ne remplissait pas la condition prévue par l’avis de concours, à savoir celle d’avoir obtenu une note minimale de 35 sur 50, pour accéder à l’étape suivante du concours interne. Par ce courrier, la Commission a, par ailleurs, informé la requérante de la circonstance selon laquelle sept des questions du QCM avaient été neutralisées par le jury, sans que la note minimale requise de 35 sur 50 ait pour autant été modifiée.

5        Le 5 juillet 2023, la requérante a présenté une demande de réexamen, laquelle, conformément au point 5.3 de l’annexe III de l’avis de concours, n’a pas été examinée.

6        Le 27 septembre suivant, la requérante a présenté une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après la « réclamation »), qui a été rejetée par l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement par une décision du 24 avril 2024.

 Conclusions des parties

7        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions du 28 juin 2023 et du 24 avril 2024 ;

–        ordonner à la Commission de l’admettre à participer à nouveau au concours interne ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la compétence du Tribunal pour statuer sur le deuxième chef de conclusions

9        Par son deuxième chef de conclusions, la requérante demande au Tribunal d’ordonner à la Commission de l’admettre à participer à nouveau au concours interne.

10      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il n’appartient pas au juge de l’Union d’adresser des injonctions à l’administration dans le cadre du contrôle de la légalité fondé sur l’article 91 du statut des fonctionnaires de l’Union (arrêts du 2 mars 2004, Di Marzio/Commission, T‑14/03, EU:T:2004:59, point 63, et du 9 décembre 2020, GV/Commission, T‑705/19, non publié, EU:T:2020:590, point 155).

11      Par conséquent, la demande de la requérante visant à ce que le Tribunal ordonne à la Commission de l’admettre à participer à nouveau au concours interne doit être rejetée pour cause d’incompétence.

 Sur l’objet du recours

12      Par son premier chef de conclusions, la requérante demande l’annulation tant de la décision attaquée que de la décision rejetant sa réclamation.

13      Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée lorsqu’elles sont, en tant que telles, dépourvues de contenu autonome. En effet, la décision qui rejette une réclamation, qu’elle soit implicite ou explicite, ne fait, si elle est pure et simple, que confirmer l’acte ou l’abstention dont le réclamant se plaint et ne constitue pas, prise isolément, un acte attaquable (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2023, SE/Commission, T‑223/21, EU:T:2023:375, points 23 et 24 et jurisprudence citée).

14      En revanche, compte tenu du caractère évolutif de la procédure précontentieuse, la motivation incluse dans la décision de rejet de la réclamation devra être prise en considération pour l’examen de la légalité de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2009, Commission/Birkhoff, T‑377/08 P, EU:T:2009:485, points 55 et 56).

15      En l’espèce, dès lors que la décision de rejet de la réclamation se borne à confirmer la décision attaquée, par laquelle la requérante a été informée qu’elle n’était pas qualifiée pour l’étape suivante du concours interne, les conclusions en annulation dirigées contre la décision de rejet de la réclamation sont dépourvues de contenu autonome. Par conséquent, le recours en annulation doit être regardé comme étant seulement dirigé contre la décision attaquée, la légalité de celle-ci devant être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation.

 Sur le premier moyen, tiré de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation de l’avis de concours

16      Premièrement, sans contester la possibilité pour le jury de neutraliser certaines questions, la requérante fait valoir que celui-ci a commis une erreur manifeste d’appréciation en arrondissant erronément les résultats des candidats au QCM à la suite de la neutralisation de plusieurs questions. Il en serait résulté une augmentation incorrecte du minimum requis fixé dans l’avis de concours.

17      Plus précisément, à la suite de la neutralisation de sept questions, et afin de respecter la note minimale initialement requise de 35 sur 50 – que la requérante ramène à un taux de réussite de 70 % – le jury était, selon elle, tenu d’appliquer une méthode d’arrondissement.

18      En effet, la requérante considère qu’un tel taux de réussite de 70 %, rapporté à 43 questions, revenait à exiger 30,1 réponses correctes. Ce résultat n’étant pas un nombre entier, elle en déduit que le jury était tenu, après arrondissement, de fixer le seuil d’admission à l’étape suivante du concours à 30 réponses correctes. Or, le jury aurait arrondi le chiffre de 30,1 au nombre entier supérieur (31), ce qui aurait eu pour effet de porter la note minimale requise, ramenée à 50 questions, à 36,04.

19      Ce faisant, le jury n’a, selon la requérante, pas appliqué les règles d’arrondissement communément admises, de sorte qu’il a commis une erreur manifeste d’appréciation et méconnu l’avis de concours.

20      Par ailleurs, et en tout état de cause, la requérante reproche au jury de ne pas avoir arrondi sa note finale (34,88 sur 50), ce qui lui aurait permis, en appliquant la méthode d’arrondissement communément admise, d’atteindre le minimum requis de 35 sur 50. En optant, là encore, pour une méthode d’arrondissement prétendument erronée, le jury a, selon elle, entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation et méconnu l’avis de concours.

21      La Commission conteste cette argumentation.

22      À cet égard, selon une jurisprudence constante, le jury est lié par le texte de l’acte de portée générale qu’est l’avis de concours, tel qu’il a été publié (voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2004, Schumann/Commission, T‑49/03, EU:T:2004:314, point 63 et jurisprudence citée, et du 5 septembre 2018, Villeneuve/Commission, T‑671/16, EU:T:2018:519, point 96).

23      En l’espèce, il peut être déduit du point III.2 de l’avis de concours que, s’agissant du QCM, d’une part, les 50 points sont répartis uniformément sur les 50 questions (c’est-à-dire 1 point par question) et, d’autre part, la note minimale requise est de 35 sur 50.

24      Par ailleurs, le point 5.2 de l’annexe III du même avis de concours permettait au jury de « neutraliser la ou les questions contenant [une] erreur », en définissant cette neutralisation comme le fait d’« annuler la ou les questions concernées et [de] redistribuer les points initialement attribués à cette ou ces questions [entre] les autres questions de l’épreuve ». Une telle opération pouvait être décidée par le jury en réponse à la réclamation d’un ou de plusieurs candidats faisant valoir « une erreur dans une ou plusieurs questions du questionnaire, de nature à affecter leur capacité de réponse ».

25      Par la décision attaquée, le jury a informé la requérante de ce que sept questions de son QCM avaient dû être neutralisées. Conformément aux dispositions de l’avis de concours mentionnées au point 24 ci-dessus, le jury était donc tenu de répartir les 7 points correspondants aux questions neutralisées entre les 43 autres questions. En conséquence, chacune de ces 43 questions a été revalorisée de 0,1627 point supplémentaire, portant ainsi à 1,1627 le nombre de points attribués à chaque question.

26      Il apparaît qu’une telle méthode ne comporte ni ne nécessite aucun arrondissement au nombre entier supérieur ou inférieur. En outre, elle maintient inchangée la note minimale requise de 35 sur 50.

27      Dans le cas de la requérante, celle-ci ayant donné 30 bonnes réponses aux 43 questions en cause, le jury lui a attribué la note finale de 34,88 sur 50 (c’est-à-dire 30 multiplié par 1,1627). En procédant de la sorte, le jury n’a ni commis une erreur manifeste d’appréciation ni fait une inexacte application des dispositions de l’avis de concours mentionnées au point 24 ci-dessus.

28      Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argumentation de la requérante.

29      En effet, il apparaît que les méthodes de neutralisation que la requérante reproche au jury de ne pas avoir appliquées, exposées aux points 18 et 20 ci-dessus, n’auraient précisément pas permis de respecter l’avis de concours.

30      Ainsi, la requérante part de la prémisse selon laquelle un taux de réussite minimal de 70 % aurait été requis, taux qu’elle applique ensuite aux 43 questions devant être prises en compte après la neutralisation pour aboutir à un nombre théorique de bonnes réponses de 30,1, lequel aurait dû, selon elle, être arrondi à 30. C’est en ne procédant pas à un tel arrondissement que le jury aurait commis une erreur manifeste d’appréciation (la requérante sous-entendant que le jury aurait implicitement mais nécessairement opté pour un arrondissement à l’entier supérieur, soit 31) et fait une inexacte application de l’avis de concours.

31      Or, pareille prémisse ne saurait être approuvée. Elle procède en effet d’une lecture erronée de la décision attaquée, puisque le jury s’est borné, conformément à l’avis de concours, à allouer aux 43 questions devant être prises en compte après la neutralisation les points initialement attribués aux questions annulées, ce qui ne nécessitait aucun arrondissement. Les critiques de la requérante à l’égard de la méthode d’arrondissement prétendument retenue par le jury sont donc en tout état de cause inopérantes.

32      Au surplus, la méthode alternative comportant un arrondissement qui, selon la requérante, devait être suivie aurait eu, selon ses propres affirmations, pour effet d’abaisser la note minimale requise de 35 sur 50 à 34,88 sur 50, ce qui aurait été contraire aux dispositions de l’avis de concours. Ainsi, loin d’avoir méconnu cet avis, le jury en a fait une exacte application, alors que, à l’inverse, la méthode invoquée par la requérante, si elle avait été appliquée, aurait conduit à le méconnaître.

33      La requérante reproche, par ailleurs, au jury de ne pas avoir procédé à un autre arrondissement des notes. Plus précisément, comme il a été indiqué au point 20 ci-dessus, elle soutient que, comme l’ont fait les jurys d’autres concours, le jury aurait dû arrondir sa note de 34,88 sur 50 à l’entier supérieur, soit 35 sur 50. Or, le Tribunal ne peut que constater l’absence de toute règle d’arrondissement des notes finales dans l’avis de concours applicable en l’espèce en cas de neutralisation de certaines questions.

34      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être écarté.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

35      Selon la requérante, en choisissant une méthode d’arrondissement qui aurait eu, selon elle, pour effet de porter la note minimale requise par l’avis de concours de 35 à 36,04 sur 50, alors même qu’une « solution moins contraignante », qui passait par l’arrondissement des notes, s’offrait à lui, le jury aurait méconnu le principe de proportionnalité.

36      La Commission conteste cette argumentation.

37      Toutefois, ainsi qu’il a été indiqué au point 26 ci-dessus, la méthode de neutralisation suivie par le jury n’a pas eu pour effet, et ne pouvait d’ailleurs avoir pour objet, de modifier la note minimale de 35 sur 50 fixée par l’avis de concours.

38      Par conséquent, le présent moyen manque en fait et ne peut qu’être écarté comme étant non fondé.

39      Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

40      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      EL est condamnée aux dépens.

da Silva Passos

Pynnä

Cassagnabère

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 2025.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.