ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

26 janvier 2017 ( *1 )

«Protection de la santé et de la sécurité des consommateurs et des travailleurs — Directive 2006/42/CE — Clause de sauvegarde — Mesure nationale de retrait du marché et d’interdiction de mise sur le marché d’une tondeuse à gazon — Exigences concernant les dispositifs de protection — Versions successives d’une norme harmonisée — Sécurité juridique — Décision de la Commission déclarant la mesure justifiée — Erreur de droit»

Dans l’affaire T‑474/15,

Global Garden Products Italy SpA (GGP Italy), établie à Castelfranco Veneto (Italie), représentée par Mes A. Villani, L. D’Amario et M. Caccialanza, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. G. Braga da Cruz et L. Cappelletti, puis par MM. Braga da Cruz et C. Zadra, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République de Lettonie, représentée par M. I. Kalniņš et Mme D. Pelše, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2015/902 de la Commission, du 10 juin 2015, relative à une mesure prise par la Lettonie conformément à la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil pour interdire la mise sur le marché d’une tondeuse à gazon fabriquée par GGP Italy SpA (JO 2015, L 147, p. 22),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, faisant fonction de président, L. Madise (rapporteur) et Z. Csehi, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 21 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1

Les dispositions de l’article 11 de la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 mai 2006, relative aux machines et modifiant la directive 95/16/CE (refonte) (JO 2006, L 157, p. 24), prévoient une clause de sauvegarde selon laquelle, notamment, un État membre qui constate qu’une machine, au sens de cette directive, présente des risques pour la santé et la sécurité des personnes prend toutes mesures utiles pour prévenir ces risques et en avise la Commission européenne afin que celle-ci examine si ces mesures sont justifiées et communique sa décision à cet égard à l’ensemble des États membres.

2

La requérante, Global Garden Products Italy SpA (GGP Italy), fabrique des appareils pour le jardinage. Elle a notamment produit la tondeuse à gazon électrique dénommée « Stiga Collector 35 EL (C 350, 297352654/S13) » (ci-après la « tondeuse en cause »), qu’elle a, selon ses indications, exportée dans plusieurs États membres, dont la Lettonie.

3

Selon la déclaration « CE » de conformité de la tondeuse en cause aux dispositions de la directive 2006/42, établie par la requérante et qui est datée du 3 septembre 2012, l’engin a fait l’objet d’un examen de conformité positif par l’organisme notifié, au sens de l’article 14 de la même directive, TÜV Rheinland LGA Products GmbH. Ce dernier s’est notamment référé à la norme harmonisée du Comité européen de normalisation électrotechnique (Cenelec) EN 60335-2-77:2006, dont le titre est : « Appareils électrodomestiques et analogues – Sécurité – Partie 2-77 : Règles particulières pour les tondeuses à gazon fonctionnant sur le réseau et à conducteur à pied [IEC 60355-2-77 :1996 (modifié)] ».

4

La norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 avait pour objet de permettre d’attester, pour les appareils qu’elle visait et qui y étaient conformes, d’une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité mentionnées à l’annexe I de la directive 98/37/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines (JO 1998, L 207, p. 1), qui a été remplacée par la directive 2006/42. Eu égard aux éléments du litige, il convient de préciser que le point 1.3.8 de ladite annexe couvre le « choix d’une protection contre les risques engendrés par les éléments mobiles » et formule des prescriptions sur les types de protecteurs ou de dispositifs de protection selon que les éléments mobiles des appareils ont un rôle de transmission ou qu’ils concourent au travail. Le point 1.4.1 de la même annexe énonce les exigences de portée générale des protecteurs et des dispositifs de protection, qui doivent notamment « être situés à une distance suffisante de la zone dangereuse ». Toutefois, à cet égard, la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 ne prévoyait pas de distance minimale précise entre le bord de l’organe mobile de coupe et la paroi arrière de l’enceinte de l’organe de coupe (point 20.103.1.1).

5

En avril 2013, le Patērētāju tiesību aizsardzības centrs (Centre de protection des droits des consommateurs, Lettonie), désigné par la République de Lettonie comme autorité compétente de surveillance du marché, au sens de l’article 4 de la directive 2006/42, a prélevé des exemplaires de la tondeuse en cause auprès d’un distributeur établi en Lettonie. Cette démarche s’inscrivait dans le cadre d’une action commune concernant la surveillance des tondeuses à gazon mises sur le marché, engagée en 2011 par Prosafe (Product Safety Forum of Europe, Forum européen sur la sécurité des produits), association regroupant notamment des autorités nationales comme le Centre de protection des droits des consommateurs.

6

Un exemplaire prélevé de la tondeuse en cause, fabriqué en 2013, a été contrôlé par le Slovenski institut za kakovost in meroslovje (Institut slovène pour la qualité et la métrologie) de Ljubljana, organisme notifié au sens de l’article 14 de la directive 2006/42. Il ressort du rapport de contrôle que celui-ci a été effectué, notamment, au regard des exigences de ladite directive et des dispositions de la norme harmonisée du Cenelec EN 60335-2-77:2010, qui a le même objet que la norme harmonisée antérieure EN 60335-2-77:2006, évoquée aux points 3 et 4 ci-dessus.

7

L’Institut slovène pour la qualité et la métrologie a relevé la non-conformité de la machine en cause aux dispositions de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 concernant la distance entre le bord de l’organe mobile de coupe et la paroi arrière de l’enceinte de l’organe de coupe. Cette distance a été mesurée à 87 mm alors que le point 20.107.1.1 de ladite norme prescrit notamment une distance minimale de 120 mm. L’organisme a conclu de cette dernière constatation que les dispositions des points 1.3.8 et 1.4.1 de l’annexe I de la directive 2006/42 n’étaient pas respectées. Ces points ont le même objet que les points de même numérotation de l’annexe I de la directive 98/37, évoqués au point 4 ci-dessus, et ils sont identiquement rédigés s’agissant de l’exigence selon laquelle les protecteurs et les dispositifs de protection doivent « être situés à une distance suffisante de la zone dangereuse ». Le rapport de l’organisme a été reçu par le Centre de protection des droits des consommateurs (ci-après les « autorités lettones ») le 9 octobre 2013.

8

Par courrier du 3 décembre 2013, celles-ci ont invité le distributeur de la tondeuse en cause en Lettonie à engager des actions volontaires afin « d’empêcher la distribution dans le pays d’une tondeuse à gazon peu sûre ».

9

Par courrier du 12 décembre 2013, les autorités lettones ont également fait part à la requérante du résultat du contrôle opéré sur la tondeuse en cause et de la non-conformité relevée concernant la distance entre le bord de l’organe mobile de coupe et la paroi arrière du protecteur. Elles lui ont demandé de donner des explications sur cette non-conformité, d’expliquer quelles mesures elle envisageait de prendre et d’indiquer pourquoi la déclaration « CE » de conformité se référait à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006, applicable selon elles jusqu’en 2011, alors que la machine avait été produite en 2013. Le rapport de l’Institut slovène pour la qualité et la métrologie était joint au courrier

10

Au cours des différents échanges qu’elle a eus par la suite avec les autorités lettones, la requérante a soutenu que la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 n’avait remplacé définitivement la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 que le 1er septembre 2013, que la tondeuse en cause n’était plus produite depuis cette même date et qu’elle était conforme à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006. La requérante a admis qu’au Journal officiel de l’Union européenne du 8 avril 2011, dans lequel la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 avait été publiée pour la première fois (JO 2011, C 110, p. 52), les références de la norme harmonisée remplacée ainsi que la date de cessation de la présomption de conformité conférée par cette norme avaient été omises dans le tableau des titres et références des normes harmonisées. Elle a souligné, toutefois, que la colonne du tableau relative à cette date comportait une note 1 indiquant que, « [d]’une façon générale, la date de la cessation de la présomption de conformité sera[it] la date du retrait (“dow”) fixée par l’organisme européen de normalisation » et que « [l]’attention des utilisateurs de ces normes [était] cependant attirée sur le fait qu’il p[ouvai]t en être autrement dans certains cas exceptionnels ». À cet égard, la requérante a renvoyé aux informations contenues dans la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 elle-même et à celles figurant sur le site Internet du Comité européen de normalisation (CEN), selon lesquelles la date de retrait (dow) (ci-après la « date de retrait ») mentionnée était en l’occurrence le 1er septembre 2013.

11

Pour leur part, en se référant à la directive 2006/42, les autorités lettones ont souligné que l’article 5 prévoyait que le fabricant d’une machine ou son mandataire devait veiller, avant de la mettre sur le marché, à ce qu’elle satisfît aux exigences essentielles de santé et de sécurité pertinentes identifiées par la même directive. Elles ont rappelé que cela pouvait être fait, conformément à l’article 7 de la même directive, par une déclaration de conformité à une norme harmonisée publiée au Journal officiel, elle-même pertinente pour la machine considérée, qui entraînait une présomption de conformité auxdites exigences. À défaut, l’intéressé aurait dû démontrer par un autre moyen que ces exigences étaient respectées à un degré au moins équivalent à celui découlant du respect de la norme harmonisée. Les autorités lettones ont ajouté que, la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 ayant été publiée au Journal officiel le 8 avril 2011, au cours des années 2012 et 2013, respectivement année de la déclaration « CE » de conformité de la tondeuse en cause et année de fabrication de l’exemplaire contrôlé, la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 n’était plus applicable et qu’une conformité à celle-ci ne donnait plus une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité. La norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 serait certes plus exigeante que la précédente, mais représenterait l’« état de la technique » en la matière. Le rapport de contrôle de l’Institut slovène pour la qualité et la métrologie montrerait aussi que la tondeuse en cause n’apportait pas un degré de sécurité au moins équivalent à celui résultant du respect de la norme harmonisée applicable. Les autorités lettones ont annoncé le 19 mars 2014 qu’elles allaient en interdire la vente.

12

En mai 2014, un avis concernant la tondeuse en cause a été publié au RAPEX (système communautaire d’échange rapide d’informations sur les produits dangereux non alimentaires). Ce système, prévu par la directive 2001/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 3 décembre 2001, relative à la sécurité générale des produits (JO 2002, L 11, p. 4), associe la Commission et les autorités de protection des consommateurs des États membres ainsi que des autres États parties à l’accord sur l’Espace économique européen. Il permet à la Commission d’établir et de publier chaque semaine une liste de produits présentant un risque grave pour la santé et la sécurité des consommateurs, sur notification des autorités nationales.

13

L’avis au RAPEX concernant la tondeuse en cause indique toutefois « autre niveau de risque » et non « risque grave » comme pour les autres produits mentionnés dans la liste hebdomadaire. Le risque identifié est celui de coupures et il est indiqué que « [l]es lames ne sont pas suffisamment protégées », que « par conséquent une personne peut être coupée aux pieds ou aux mains pendant l’utilisation ou en effectuant l’entretien » et que « [l]e produit ne respecte pas les exigences de la directive machines et la norme harmonisée pertinente EN 60335-2-77 ». Il est ajouté que des mesures volontaires de retrait du marché ont été prises.

14

Il y a lieu de préciser que, aux termes de l’article 2 de la directive 2001/95, le retrait est défini comme toute mesure visant à empêcher la distribution et l’exposition d’un produit dangereux ainsi que son offre au consommateur et qu’il se distingue du rappel, qui est défini comme toute mesure visant à obtenir le retour d’un produit dangereux que le producteur ou le distributeur a déjà fourni au consommateur ou mis à sa disposition.

15

Par lettre du 11 juin 2014, le distributeur de la tondeuse en cause en Lettonie a indiqué aux autorités lettones que la machine avait été retirée du marché. Par ailleurs, dans une lettre du 28 août 2014, la requérante a confirmé que, dans le but de faire enlever du RAPEX l’avis visant son produit, qui risquait de ternir sa réputation, elle retirait du marché letton la tondeuse en cause et a indiqué que celle-ci n’était plus produite ni mise sur le marché dans l’ensemble de l’Union européenne depuis le 1er septembre 2013.

16

Le 1er juillet 2014, les autorités lettones ont notifié à la Commission, sur le fondement de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2006/42, une mesure volontaire de retrait du marché et de non-mise à disposition du marché de la tondeuse en cause. Les dispositions de cet article sur la clause de sauvegarde prévoient :

« 1.   Lorsqu’un État membre constate qu’une machine à laquelle la présente directive s’applique, munie du marquage “CE”, accompagnée de la déclaration CE de conformité et utilisée conformément à sa destination ou dans des conditions raisonnablement prévisibles, risque de compromettre la santé ou la sécurité des personnes […], il prend toutes les mesures utiles pour retirer cette machine du marché, interdire sa mise sur le marché ou sa mise en service ou restreindre sa libre circulation.

2.   L’État membre informe immédiatement la Commission et les autres États membres d’une telle mesure et indique les raisons de sa décision, en précisant en particulier si la non-conformité résulte :

a)

du non-respect des exigences essentielles [de santé et de sécurité pertinentes énoncées à l’annexe I] ;

[…]

3.   La Commission entre en consultation avec les parties concernées dans les meilleurs délais.

À l’issue de cette consultation, la Commission examine si les mesures prises par l’État membre sont ou non justifiées et communique sa décision à l’État membre qui a pris lesdites mesures, aux autres États membres, ainsi qu’au fabricant ou à son mandataire.

[…]

5.   Lorsqu’une machine est non conforme et est munie du marquage “CE”, l’État membre compétent prend les mesures appropriées à l’encontre de celui qui a apposé le marquage et en informe la Commission. La Commission informe les autres États membres.

6.   La Commission s’assure que les États membres sont tenus informés du déroulement et des résultats de la procédure. »

17

Le formulaire de notification des autorités lettones indique un défaut de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées aux points 1.3.8 et 1.4.1 de l’annexe I de la directive 2006/42, concernant les protecteurs et dispositifs de protection à l’égard des éléments mobiles, dont le contenu a été rappelé aux points 4 et 7 ci-dessus. Il précise qu’un test a été effectué au regard des dispositions de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 et qu’a été relevée à cet égard une distance insuffisante entre le bord de l’organe mobile de coupe et la paroi arrière de l’enceinte de l’organe de coupe, qui influerait sur le fonctionnement normal de la tondeuse en cause. Le formulaire indique également que des mesures volontaires de retrait du marché et de non-mise sur le marché ont été prises par le distributeur et que le fabricant a été informé par lettre du 12 décembre 2013. Le rapport de contrôle de l’Institut slovène pour la qualité et la métrologie mentionné au point 7 ci-dessus était joint au formulaire.

18

Par lettre du 24 septembre 2014, la Commission, conformément aux dispositions de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2006/42 et en se référant à une interdiction de mise sur le marché, a invité la requérante à présenter ses observations à la suite de la notification des autorités lettones, en faisant état des non-conformités à la norme EN 60335-2-77:2010 relevées dans le rapport de contrôle de l’Institut slovène pour la qualité et la métrologie. Dans ce courrier, la Commission a proposé à la requérante de rencontrer ses services.

19

Par lettre du 4 octobre 2014, la requérante a répondu à la Commission que la tondeuse en cause n’était plus fabriquée depuis le 1er septembre 2013 et qu’elle n’était plus commercialisée, un retrait du produit ayant en particulier été effectué auprès des distributeurs et des revendeurs en Lettonie. La requérante a ajouté que, selon elle, la tondeuse en cause respectait les exigences de la « directive machines » applicable au moment de sa production et de sa mise sur le marché.

20

C’est dans ces conditions que la Commission a adopté le 10 juin 2015 la décision d’exécution (UE) 2015/902, relative à une mesure prise par la Lettonie conformément à la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil pour interdire la mise sur le marché d’une tondeuse à gazon fabriquée par GGP Italy SpA (JO 2015, L 147, p. 22, ci-après la « décision attaquée »).

21

La Commission a fait notamment état dans la décision attaquée de la notification des autorités lettones et a indiqué que celles-ci avaient adopté une mesure visant à interdire la mise sur le marché de la tondeuse en cause, que cette dernière portait le marquage « CE » conformément à la directive 2006/42, que, néanmoins, elle ne satisfaisait pas, au vu du dossier, aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées aux points 1.3.8 et 1.4.1 de l’annexe I de ladite directive « au motif que la distance entre la paroi arrière de la machine et l’extrémité de la pale [était] trop courte, ce qui nui[sait]t à un fonctionnement en toute sécurité de la machine », que le fabricant avait fait état d’un retrait volontaire du marché letton et qu’il y avait lieu de considérer comme justifiée la mesure nationale adoptée. Les États membres ont été désignés comme destinataires de la décision attaquée.

22

En juillet 2015, les autorités suédoises, en se référant à la décision attaquée, ont effectué une publication indiquant que la tondeuse en cause ne pouvait être ni vendue ni utilisée.

Procédure et conclusions des parties

23

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 août 2015, la requérante a introduit le présent recours.

24

Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 16 octobre 2015, la requérante a également présenté une demande en référé pour obtenir le sursis à l’exécution de la décision attaquée et l’adoption de toute autre mesure considérée comme utile. Par ordonnance du 10 décembre 2015, GGP Italy/Commission (T‑474/15, EU:T:2015:958), le président du Tribunal a rejeté cette demande, tout en réservant les dépens.

25

Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 novembre 2015, la République de Lettonie a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 16 décembre 2015, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis cette intervention.

26

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

27

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 21 septembre 2016.

28

La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

adopter toute autre mesure jugée nécessaire ;

condamner la Commission aux dépens.

29

La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.

30

La République de Lettonie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

En droit

Sur la recevabilité du chef de conclusions visant à ce que le Tribunal « adopte toute autre mesure jugée nécessaire »

31

Il résulte de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal aux termes de l’article 53 dudit statut, ainsi que de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal que toute requête introductive d’instance doit indiquer de manière claire et précise l’objet du litige, les conclusions ainsi que l’exposé sommaire des moyens invoqués pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle. Il en découle que les conclusions de la requête doivent être formulées de manière précise et non équivoque afin d’éviter que le juge ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 1962, Meroni/Haute Autorité, 46/59 et 47/59, EU:C:1962:44, p. 801 ; du 10 mai 2012, Commission/Estonie, C‑39/10, EU:C:2012:282, point 24, et ordonnance du 13 avril 2011, Planet/Commission, T‑320/09, EU:T:2011:172, point 22).

32

Or, en l’espèce, la conclusion présentée par la requérante aux termes de laquelle le Tribunal devrait « adopter toute autre mesure jugée nécessaire » ne répond manifestement pas aux exigences rappelées au point qui précède. Elle est donc irrecevable.

Sur le fond

33

La requérante avance deux moyens à l’appui de son recours en annulation. D’une part, en substance, l’article 20 de la directive 2006/42 aurait été violé dans la mesure où la Commission aurait adopté la décision attaquée à l’issue d’une procédure irrégulière au regard des prescriptions de cet article, qui visent à assurer les droits de la défense des intéressés. D’autre part, l’article 5, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe 1, l’article 7 et l’article 11 de la même directive, qui contiennent les dispositions visant à permettre aux fabricants de machines de justifier de la conformité de leurs produits aux exigences essentielles de santé et de sécurité et aux autres prescriptions énoncées par ladite directive et de les commercialiser dès lors librement dans l’Union ainsi qu’à permettre, sous certaines conditions, aux autorités publiques d’adopter des mesures de sauvegarde, auraient également été violés.

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 20 de la directive 2006/42

34

L’article 20 de la directive 2006/42 dispose ce qui suit :

« Toute mesure prise en application de la présente directive, qui restreint la mise sur le marché et/ou la mise en service d’une machine à laquelle la présente directive s’applique, est motivée de façon précise. Elle est notifiée dès que possible à l’intéressé, avec l’indication des voies de recours ouvertes par les législations en vigueur dans l’État membre concerné et des délais dans lesquels ces recours doivent être introduits. »

35

À cet égard, la requérante soutient qu’elle n’a pas eu de notification de la décision des autorités lettones de retrait du marché et d’interdiction de mise sur le marché de la tondeuse en cause, sur la base de laquelle la Commission a adopté la décision attaquée. Le mémoire en intervention du gouvernement letton indiquerait d’ailleurs qu’aucune décision contraignante définitive n’avait été adoptée avant que la Commission ne fût saisie. Cette dernière aurait donc confirmé une décision inexistante et en cela la décision attaquée serait aussi illégale. Par conséquent, aucune des prescriptions de l’article 20 de la directive 2006/42 n’aurait été respectée. En particulier, les voies de recours en Lettonie n’auraient été ni indiquées ni praticables compte tenu de ce qui précède. La Commission se serait contentée, ainsi que le révélerait le mémoire en défense, au seul vu du formulaire que lui ont envoyé les autorités lettones, d’un contrôle purement formel de la prétendue notification par celles-ci au distributeur en Lettonie et au producteur des mesures prises à l’égard de la tondeuse en cause. Les indications de ce formulaire seraient en fait ambiguës, voire inexactes ou contradictoires avec les explications données par le gouvernement letton dans son mémoire en intervention, notamment en ce qui concerne la mesure retenue à l’égard du distributeur et sa notification au producteur, et ne correspondraient d’ailleurs pas, s’agissant de la nature de celle-ci, à ce qui a été retenu par la Commission dans la décision attaquée. En effet, cette dernière ferait seulement état d’une interdiction de mise sur le marché et non d’un retrait du marché, que le formulaire mentionnerait cependant.

36

Selon la Commission, le moyen ne concerne pas la décision attaquée, mais la mesure adoptée par les autorités lettones. Il serait irrecevable. À titre subsidiaire, la Commission expose qu’elle n’a pas, dans le cadre de l’application de l’article 11 de la directive 2006/42 concernant le mécanisme de sauvegarde déclenché sur initiative d’un État membre, à contrôler sous tous les aspects la légalité des mesures nationales, ce qui relèverait des juridictions nationales, mais à contrôler le caractère justifié, ou non, sur le fond, de ces mesures. La Commission se réfère à cet égard à l’arrêt du 15 juillet 2015, CSF/Commission (T‑337/13, EU:T:2015:502, point 100). La Commission ajoute que la requérante n’a pas mentionné de problèmes procéduraux avec les autorités nationales lorsqu’elle l’a sollicitée. Si la décision attaquée ne mentionne qu’une interdiction de mise sur le marché et non un retrait de celui-ci, ce serait parce que la requérante a elle-même adopté des mesures de retrait du marché, annoncées dès le 28 août 2014 aux autorités lettones, et que la décision viserait à interdire une éventuelle remise sur le marché de la machine en cause dans n’importe quel État membre de l’Union.

37

Pour sa part, le gouvernement letton soutient que les autorités lettones se sont conformées à la procédure nationale et que, par leur lettre du 19 mars 2014, évoquée au point 11 ci-dessus, elles ont motivé leur position et annoncé une mesure restrictive. Toutefois, elles n’auraient pas pris de mesure définitive susceptible de recours interne pour attendre la confirmation, ou non, de leur position par la Commission dans le cadre de l’application de l’article 11 de la directive 2006/42.

38

Il y a tout d’abord lieu d’admettre, contrairement à ce que soutient à titre principal la Commission, que le présent moyen est dirigé contre la décision attaquée et non contre la mesure adoptée par les autorités lettones, même s’il s’appuie sur la critique du comportement de celles-ci. Il est bien présenté en tant que moyen de recours contre la décision attaquée et consiste à reprocher à la Commission d’avoir violé l’article 20 de la directive 2006/42 en déclarant justifiée une mesure nationale elle-même adoptée en violation de cette disposition. Partant, le présent moyen ne saurait être jugé irrecevable, ni même être considéré d’emblée comme inopérant, comme l’a soutenu la Commission à l’audience.

39

Sur le fond, il convient de rappeler, ainsi qu’il a déjà été jugé dans l’arrêt du 15 juillet 2015, CSF/Commission (T‑337/13, EU:T:2015:502, point 100), mentionné par la Commission, qu’il n’incombe pas à celle-ci, dans le cadre de l’adoption d’une décision telle que la décision attaquée, prise sur le fondement de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2006/42, de contrôler sous tous ses aspects la légalité des mesures nationales conduisant au déclenchement de la clause de sauvegarde prévue audit article. À cet égard, l’article 20 de cette directive, dont la violation est invoquée par la requérante, mentionne explicitement « les voies de recours ouvertes par les législations en vigueur dans l’État membre concerné », ce qui indique, d’une part, qu’il vise les mesures nationales prises sur la base de la directive et, d’autre part, que le contrôle de celles-ci incombe aux juridictions nationales. Cet article ne crée donc pas d’obligations pour la Commission.

40

Dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2006/42, le rôle de la Commission est au premier chef de vérifier si les mesures utiles qui lui sont notifiées par un État membre sont justifiées, d’un point de vue juridique et factuel, pour éviter qu’une machine risque de compromettre, comme il est dit au paragraphe 1 du même article, la santé ou la sécurité des personnes ou, le cas échéant, des animaux domestiques, des biens ou de l’environnement (arrêt du 15 juillet 2015, CSF/Commission, T‑337/13, EU:T:2015:502, point 101). Il convient de souligner, en réponse à un argument avancé à l’audience par la requérante, que l’analyse faite dans l’arrêt mentionné ci-dessus dans le contexte de l’allégation d’une violation, par les autorités nationales, du principe d’égalité de traitement est tout aussi pertinente dans la présente affaire, dans laquelle est alléguée la violation, par les autorités nationales, d’une disposition d’une directive. En effet, dans les deux affaires sont en cause d’éventuels manquements des autorités nationales à des principes ou à des règles du droit de l’Union, dont les juridictions nationales sont à même de vérifier le respect.

41

Ainsi, les arguments de la requérante selon lesquels la Commission aurait violé l’article 20 de la directive 2006/42 en approuvant une mesure nationale elle-même adoptée en violation de cette disposition ne sauraient prospérer.

42

Par ailleurs, en réponse à l’argument avancé par la requérante tiré des éléments apportés par le gouvernement letton en cours de procédure, selon lequel, en substance, la Commission ne pouvait pas non plus, sans violer l’article 20 de la directive 2006/42, approuver une décision nationale non contraignante, voire inexistante, il y a lieu de préciser que rien ne s’oppose à ce que les « mesures utiles » qu’un État membre doit adopter et communiquer à la Commission au titre de la clause de sauvegarde prévue à l’article 11 de cette directive revêtent la forme de mesures non unilatérales ou de mesures non directement contraignantes. D’ailleurs, si de telles mesures ne rentraient pas dans le champ d’application de ladite clause de sauvegarde, la portée de celle-ci pourrait être significativement réduite, car ni la Commission ni les États membres autres que celui ayant décelé un risque sur une machine ne seraient informés de celui-ci, dès lors que le fabricant de cette machine, son mandataire ou les distributeurs auraient adopté des mesures volontaires ou se seraient conformés d’eux-mêmes à des mesures non contraignantes. Ainsi, la communication, comme en l’espèce, du fait que, à la suite d’une démarche des autorités nationales, le distributeur a pris des mesures volontaires de retrait du marché et de non-mise sur le marché constitue bien la communication d’une mesure utile susceptible de donner lieu à une décision de la Commission prise sur le fondement de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2006/42.

43

Il ressort de ce qui précède que le moyen tiré d’une violation de l’article 20 de la directive 2006/42 par la Commission doit être rejeté comme non fondé.

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 5, paragraphe 1, de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 7 et de l’article 11 de la directive 2006/42

44

Parmi les dispositions de la directive 2006/42 invoquées par la requérante, l’article 5, paragraphe 1, prévoit que, avant de mettre sur le marché ou en service une machine, le fabricant ou son mandataire doivent, notamment, veiller à ce qu’elle satisfasse aux exigences essentielles de santé et de sécurité pertinentes énoncées à l’annexe I de ladite directive, qu’ils doivent appliquer les procédures d’évaluation de la conformité pertinentes, qu’ils doivent établir la déclaration « CE » de conformité et qu’ils doivent apposer le marquage « CE » sur la machine. L’article 6, paragraphe 1, dispose que les États membres ne peuvent pas interdire, restreindre ou entraver la mise sur le marché ou la mise en service d’une machine qui satisfait aux dispositions de la directive. L’article 7 prévoit notamment que les États membres considèrent que les machines munies du marquage « CE » et accompagnées de la déclaration « CE » de conformité satisfont aux dispositions de la directive et qu’une machine construite conformément à une norme harmonisée dont les références ont fait l’objet d’une publication, par la Commission, au Journal officiel est présumée conforme aux exigences essentielles de santé et de sécurité couvertes par cette norme harmonisée. Il y a lieu de rappeler que la norme harmonisée est elle-même définie à l’article 2 comme une « spécification technique adoptée par un organisme de normalisation, à savoir le Comité européen de normalisation (CEN), le Comité européen de normalisation électrotechnique (Cenelec) ou l’Institut européen des normes de télécommunication (ETSI), dans le cadre d’un mandat délivré par la Commission conformément aux procédures établies par la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information [(JO 1998, L 204, p. 37)], et dépourvue de caractère obligatoire ». Enfin, l’article 11 de la directive 2006/42, reproduit en partie au point 16 ci-dessus, définit les conditions de mise en œuvre de la clause de sauvegarde.

45

En substance, la requérante estime que constitue une violation des dispositions susmentionnées le refus de la Commission, à la suite de celui des autorités lettones, d’admettre que, pour une mise sur le marché ou une mise en service avant le 1er septembre 2013, la conformité de la tondeuse en cause aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42 pouvait être présumée par sa conformité à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006.

46

La question de l’application dans le temps des différents textes pertinents ayant son importance pour examiner le présent moyen et les arguments des parties à son propos, il est utile de rappeler les dates suivantes :

à partir de 1993 : application de la première directive « machines » et de ses modifications qui, consolidées, ont donné naissance à la directive 98/37 ;

9 juin 2006 : publication au Journal officiel de la directive 2006/42 ;

6 novembre 2007 : première publication au Journal officiel de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 ;

28 mars 2009 : dernière publication au Journal officiel de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 ;

29 décembre 2009 : abrogation de la directive 98/37 et date d’effet des mesures de transposition de la directive 2006/42 ;

8 avril 2011 : première publication au Journal officiel de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 ;

3 septembre 2012 : attestation « CE » de conformité de la tondeuse en cause, se référant à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 ;

1er septembre 2013 : date de retrait de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006, fixée par le Cenelec.

47

À l’audience, la Commission a soutenu à titre liminaire que le moyen de la requérante était inopérant. La décision attaquée prohiberait en effet pour l’avenir toute remise sur le marché de la tondeuse en cause dans l’ensemble de l’Union et il serait constant que, en juin 2015, date d’adoption de la décision attaquée, l’engin n’était pas conforme aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42, indépendamment de la question de savoir si, jusqu’au 31 août 2013, il pouvait bénéficier d’une présomption de conformité à ces exigences au titre de sa conformité à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006.

48

Pour sa part, la requérante rappelle que la référence de la norme qui a remplacé la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 pour les « tondeuses à gazon fonctionnant sur le réseau et à conducteur à pied », à savoir la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010, a été publiée au Journal officiel le 8 avril 2011, sans que la Commission indique explicitement dans la colonne appropriée du tableau des titres et références des normes harmonisées concernées par cette publication la date de cessation de la présomption de conformité accordée par la norme remplacée. Dans ces conditions, il y aurait lieu de se référer à la note 1 de cette colonne, indiquant que, « [d]’une façon générale, la date de la cessation de la présomption de conformité sera[it] la date du retrait (“dow”) fixée par l’organisme européen de normalisation » et que « [l]’attention des utilisateurs de ces normes [était] cependant attirée sur le fait qu’il p[ouvai]t en être autrement dans certains cas exceptionnels ». Or, la date de retrait de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 serait bien, ainsi qu’elle figure dans plusieurs documents de l’organisme de normalisation et dans la norme EN 60335-2-77:2010 elle-même, le 1er septembre 2013.

49

La requérante ajoute que, pendant la période du 8 avril 2011 au 31 août 2013, les deux versions de la norme harmonisée EN 60335-2-77, celle de 2006 et celle de 2010, pouvaient permettre de disposer d’une présomption de conformité des machines qu’elles visaient aux exigences essentielles de santé et de sécurité édictées par la directive 2006/42. Un telle période de chevauchement, correspondant d’ailleurs à la période pendant laquelle les normes nationales non compatibles avec la nouvelle version de la norme harmonisée peuvent encore être maintenues, serait indispensable pour que les producteurs de machines aient le temps d’adapter leurs produits et le cas échéant leurs processus et leurs outils de production aux prescriptions de la nouvelle version de la norme harmonisée et aient le temps d’écouler les machines respectant les prescriptions de la norme remplacée. Il serait invraisemblable d’imaginer que, dès le 8 avril 2011, date de publication de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010, du jour au lendemain, les machines conçues compte tenu de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 ne pouvaient plus être produites et être commercialisées et qu’il fallait produire et commercialiser des produits conformes à une norme non officielle en tant que norme harmonisée quelques jours avant.

50

La requérante admet que, pour des raisons exceptionnelles, la date de cessation de la présomption de conformité accordée au titre de la version antérieure de la norme harmonisée peut être fixée par la Commission à une date antérieure ou postérieure à la date de retrait, mais, dans cette hypothèse, la Commission devrait précisément l’indiquer dans la colonne appropriée de la publication au Journal officiel concernant la nouvelle version de la norme harmonisée, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

51

Pour soutenir son argumentation, la requérante s’appuie notamment sur deux documents publics de la Commission, à savoir le « Guide pour l’application de la directive “machines” 2006/42/CE – 2e édition juin 2010 » (paragraphe 161, intitulé « État de la technique ») et le « Guide bleu relatif à la mise en œuvre de la réglementation de l’UE sur les produits – 2014 » (point 4.1.2.6, intitulé « Révision des normes harmonisées »).

52

Dans la mesure où l’argumentation en défense de la Commission suppose qu’il n’y ait eu, du 29 décembre 2009 au 8 avril 2011, aucune norme harmonisée conférant, pour les « tondeuses à gazon fonctionnant sur le réseau et à conducteur à pied », une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42, la requérante souligne que les producteurs de telles machines n’avaient guère d’autre choix que de continuer à se référer à la norme harmonisée la plus récente publiée, à savoir la norme EN 60335-2-77:2006, pour démontrer le respect de ces exigences, d’autant que cette norme avait été transposée dans les ordres juridiques nationaux, notamment l’ordre juridique italien dont elle relève, et que les normes nationales de transposition pouvaient rester valables jusqu’à la date de retrait qui serait indiquée dans la norme harmonisée de remplacement. Pour la période postérieure au 8 avril 2011 et jusqu’à cette date de retrait, la persistance des normes nationales de transposition de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 montrerait qu’il était encore possible de se référer aux dispositions de celle-ci, même si les producteurs pouvaient aussi se référer à la nouvelle norme harmonisée EN 60335-2-77:2010.

53

Pour sa part, dans la mesure où le moyen serait apprécié au fond, la Commission, soutenue par le gouvernement letton, réfute les arguments de la requérante. Elle fait valoir que la directive 2006/42 a remplacé la directive 98/37 et que les États membres devaient, conformément à l’article 26 de la directive 2006/42, appliquer les dispositions de cette dernière avec effet au 29 décembre 2009, date d’abrogation de la directive 98/37. Or, la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 n’aurait été élaborée que pour permettre d’apporter une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 98/37. Elle n’aurait jamais permis de créer une telle présomption à l’égard des exigences essentielles de santé et de sécurité imposées au titre de la directive 2006/42. Cela expliquerait que les publications au Journal officiel mentionnant la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010, toutes relatives aux normes harmonisées au titre de la directive 2006/42, en particulier celle du 8 avril 2011 mentionnant pour la première fois ladite norme, ne comportent pas mention de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 dans les colonnes des tableaux relatives aux normes remplacées. Dès lors, la note 1 portée dans la seconde de ces colonnes, concernant la date de cessation de la présomption de conformité de la norme remplacée, invoquée par la requérante pour soutenir qu’elle pouvait se référer à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 jusqu’à la date de retrait attribuée à cette dernière, n’aurait pas de pertinence en l’espèce. D’une manière générale, les indications données par les organismes de normalisation concernant les dates de retrait n’auraient aucune portée pour déterminer si le respect d’une norme harmonisée peut conférer une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité pertinentes tant que ces dates ne sont pas reprises par la Commission dans les publications relatives aux normes harmonisées.

54

La Commission expose que, ainsi, pour les « tondeuses à gazon fonctionnant sur le réseau et à conducteur à pied », les fabricants ont connu trois périodes différentes en ce qui concerne la preuve de la conformité de leurs produits aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées par les directives pertinentes successives. Jusqu’au 28 décembre 2009, dernier jour d’application de la directive 98/37, ils pouvaient se référer à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 pour bénéficier d’une présomption de conformité de leurs produits aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans cette directive. À compter du 29 décembre 2009 et jusqu’au 8 avril 2011, la directive 2006/42 ayant remplacé la directive 98/37, mais aucune norme harmonisée applicable au titre de la directive 2006/42 pour les « tondeuses à gazon fonctionnant sur le réseau et à conducteur à pied » n’ayant encore été publiée au Journal officiel, les fabricants auraient dû prouver la conformité de leurs machines aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42 par tout moyen alternatif à la référence à une norme harmonisée, notamment par référence, dans le dossier technique du produit, à d’autres normes et spécifications techniques, par exemple des règles nationales, des normes européennes ou internationales non harmonisées ou des spécifications techniques propres au fabricant. Enfin, depuis le 8 avril 2011, les fabricants pourraient bénéficier d’une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42 en se référant à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010. Dès lors, dans la déclaration « CE » de conformité de la tondeuse en cause faite en septembre 2012, il n’était pas possible de se référer à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 pour attester d’une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées par la directive 2006/42. De même, des exemplaires produits en 2013 conformément à cette norme ne pourraient pas bénéficier d’une telle présomption.

55

Il y a lieu d’examiner d’emblée l’argument de la Commission, soulevé à l’audience, selon lequel le second moyen d’annulation avancé par la requérante serait inopérant, car la décision attaquée interdirait toute remise sur le marché de la tondeuse en cause à compter de sa publication en juin 2015, période postérieure à celle concernée par ledit moyen, portant sur une partie des années 2012 et 2013.

56

Cet argument ne peut être accueilli.

57

En effet, le moyen examiné est dirigé contre une décision ayant confirmé l’appréciation d’autorités nationales à l’égard d’une machine mise sur le marché en 2012, ou en 2013 avant le 1er septembre, selon laquelle cette dernière ne respectait pas les exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42, au motif qu’elle n’était pas conforme à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010, alors que son fabricant excipait d’une présomption de conformité à ces exigences sur le fondement de sa conformité à la norme EN 60335-2-77:2006. Par conséquent, le moyen examiné, qui vise à contester directement cette appréciation, ne saurait, s’il s’avère fondé, être inopérant. Il peut être incidemment ajouté que la requérante a eu et conserve un intérêt à agir à l’encontre de la décision attaquée, même si elle a confirmé le retrait du marché et la non-mise sur le marché volontaires de la tondeuse en cause, dans la mesure où l’appréciation contestée conduit certainement à un préjudice de réputation, compte tenu notamment de la notoriété de la marque de la tondeuse en cause, et où elle a d’ores et déjà conduit les autorités suédoises à indiquer que cette machine ne devait plus être utilisée. L’intérêt à agir de la requérante existe aussi dans la mesure où l’annulation éventuelle de la décision attaquée permettrait d’éviter que l’illégalité alléguée ne se reproduise (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172/83 et 226/83, EU:C:1985:355, point 19, et du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, points 61 à 83 et jurisprudence citée).

58

S’agissant, ensuite, de l’examen au fond du moyen, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la référence à une norme harmonisée n’est qu’une des possibilités à la disposition d’un fabricant pour démontrer qu’une de ses machines répond aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive pertinente. Tant la directive 98/37, à l’article 8 et aux annexes V ou VI, que la directive 2006/42, à l’article 12 et aux annexes VII, VIII, IX ou X, prévoient en effet des procédures d’évaluation de la conformité qui ne se fondent pas nécessairement sur des normes harmonisées dont les références ont été publiées.

59

Toutefois, en l’espèce, d’une part, la Commission n’a fondé sa conclusion quant au non-respect des exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42 que sur la constatation de la non-conformité de la tondeuse en cause à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010, ainsi qu’il résulte de la décision attaquée et de la lettre mentionnée au point 18 ci-dessus. D’autre part, de son côté, la requérante n’a cherché, ni pendant la procédure devant les autorités lettones ni pendant la procédure devant la Commission, à démontrer la conformité de la tondeuse en cause aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42 autrement qu’en se référant à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006. Il convient donc de vérifier si cette dernière norme harmonisée, dont ni la Commission ni les autorités lettones n’ont contesté qu’elle était respectée par la tondeuse en cause, pouvait ou non créer à son profit une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42 depuis la date du 3 septembre 2012, à laquelle a été établie la déclaration « CE » de conformité de ladite tondeuse, jusqu’au 31 août 2013, date ultime de sa production selon la requérante.

60

Comme indiqué au point 44 ci-dessus, en vertu de l’article 7 de la directive 2006/42, plus particulièrement en vertu des paragraphes 2 et 3 de cette disposition, c’est la publication par la Commission de la référence d’une norme harmonisée au Journal officiel qui confère à celle-ci une valeur juridique permettant aux fabricants de machines ou à leurs mandataires de bénéficier, pour les machines qu’ils commercialisent et qui y sont conformes, d’une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité pertinentes énoncées par la même directive et couvertes par ladite norme harmonisée publiée. Il peut être incidemment observé que le mécanisme était en substance le même, sous réserve d’une transposition en norme nationale de la norme harmonisée, sous l’empire de la directive 98/37, dont l’article 5, paragraphe 2, premier alinéa, disposait que « [l]orsqu’une norme nationale transposant une norme harmonisée, dont la référence a[vait] fait l’objet d’une publication au Journal officiel des Communautés européennes, couvr[ait] une ou plusieurs exigences essentielles de sécurité, la machine ou le composant de sécurité construit conformément à cette norme [était] présumé conforme aux exigences essentielles concernées ». Dès lors, ainsi que l’a relevé l’avocat général Campos Sánchez-Bordona au point 54 de ses conclusions dans l’affaire James Elliott Construction (C‑613/14, EU:C:2016:63), mentionnées à l’audience par la Commission, les décisions relatives à la publication des normes harmonisées sont des actes juridiques susceptibles de recours en annulation (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2016, James Elliott Construction, C‑613/14, EU:C:2016:821, points 38 à 43). Dans l’ordonnance du 25 mai 2004, Schmoldt e.a./Commission (T‑264/03, EU:T:2004:157, points 91 à 94), le Tribunal a précisé qu’il s’agissait d’actes de portée générale. Il s’en déduit que le régime de telles publications est celui des actes de portée générale des institutions de l’Union.

61

Il y a lieu de constater que l’article 7 de la directive 2006/42 vise sans restriction les normes harmonisées dont les références ont fait l’objet d’une publication au Journal officiel, sans limiter sa portée et son contenu aux normes harmonisées dont les références auraient été publiées au titre de cette directive. Cette disposition empêche ainsi de considérer que les publications de références de normes harmonisées effectuées au titre de la directive 98/37 ont été implicitement abrogées en même temps que cette dernière. Il s’ensuit que les normes harmonisées dont les références ont été publiées au titre de la directive 98/37 rentrent dans le champ d’application de l’article 7 de la directive 2006/42 tant que la décision qui leur donne une valeur juridique pour apporter une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive applicable au moment de la mise sur le marché ou de la mise en service de la machine concernée, à savoir la publication de leur référence au Journal officiel, n’est pas explicitement abrogée. Cette interprétation est cohérente avec les dispositions de l’article 25, alinéa 2, de la directive 2006/42, selon lesquelles « les références faites à la directive [98/37] abrogée s’entendent comme faites à la présente directive et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe XII ». Ces dispositions visent, d’une manière générale, à éviter que des actes ou des dispositions juridiques dont la mise en œuvre était initialement liée à des dispositions de la directive 98/37 ne se trouvent privés de portée simplement du fait de l’abrogation de la directive 98/37 et de son remplacement par la directive 2006/42 et que l’on ne débouche le cas échéant sur une situation de vide juridique (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 octobre 2003, Irlande/Commission, C‑339/00, EU:C:2003:545, points 35 à 39). En l’occurrence, le tableau de l’annexe XII de la directive 2006/42 établit bien une correspondance entre l’article 5, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 98/37 et l’article 7, paragraphes 2 et 3, de la directive 2006/42, sur lesquels ont été successivement fondées les publications des références des normes harmonisées au Journal officiel.

62

La question en l’occurrence est donc de savoir si la publication de la référence de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006, faite initialement au titre de la directive 98/37 par la Commission [première publication le 6 novembre 2007 (JO 2007, C 254, p. 52), dernière publication le 28 mars 2009 (JO 2009, C 74, p. 55)], valable, comme il a été dit précédemment, au titre de l’article 7 de la directive 2006/42 pour la période courant jusqu’à ce qu’elle soit abrogée, a été l’objet d’une abrogation explicite avant ou pendant la période litigieuse en l’espèce, allant du 3 septembre 2012 (date de la déclaration « CE » de conformité de la tondeuse en cause) au 31 août 2013 (date de fin de fabrication de la tondeuse en cause selon la requérante). Il peut être rappelé qu’il est constant entre les parties que cette publication n’était en toute hypothèse plus valable pour apporter aux machines mises sur le marché ou mises en service à compter du 1er septembre 2013 une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées par la directive 2006/42, en raison, pour ce qui est de la position de la requérante, de la survenance de la date de retrait de cette version de la norme harmonisée fixée dans la version suivante EN 60335-2-77:2010.

63

En l’absence d’abrogation implicite d’un acte de portée générale découlant de son incompatibilité avec une disposition postérieure de droit supérieur et en l’absence d’annonce, lors de sa publication, d’une durée d’effet limitée, l’abrogation d’un tel acte ne peut résulter que d’une nouvelle décision de l’autorité compétente, elle-même publiée. Il y a lieu de rappeler à cet égard que le principe de sécurité juridique, qui est un principe général du droit de l’Union, exige que la législation et la réglementation de l’Union soient claires et précises et, en particulier, que leur application soit prévisible pour les justiciables (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 1981, Gondrand et Garancini, 169/80, EU:C:1981:171, point 17, et du 22 février 1984, Kloppenburg, 70/83, EU:C:1984:71, point 11). Plus particulièrement, ainsi qu’il a été jugé dans l’arrêt du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission (T‑229/94, EU:T:1997:155, point 113), le principe de sécurité juridique vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l’Union. À cette fin, il est essentiel que les institutions respectent l’intangibilité des actes qu’elles ont adoptés et qui affectent la situation juridique et matérielle des sujets de droit, de sorte qu’elles ne pourront modifier ces actes que dans le respect des règles de compétence et de procédure.

64

En l’occurrence, les publications successives au Journal officiel des références de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 ne comportent pas de date limite d’effet de chacune de ces publications, alors même qu’elles ont été effectuées postérieurement à l’adoption de la directive 2006/42. De plus, aucune des publications des références des normes harmonisées faites ensuite au titre de cette nouvelle directive ni aucun autre document publié par la Commission ne donnent d’indication relative à l’abrogation de la publication de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006, si ce n’est au travers de la note 1 de la colonne intitulée « Date de cessation de la présomption de conformité de la norme remplacée » des tableaux des publications comportant les références de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010. Pour mémoire, cette note indique que, « [d]’une façon générale, la date de cessation de la présomption de conformité [de la norme remplacée] sera[it] la date du retrait (“dow”) fixée par l’organisme européen de normalisation » et que « [l]’attention des utilisateurs de ces normes [était] cependant attirée sur le fait qu’il p[ouvai]t en être autrement dans certains cas exceptionnels ». Or, comme il a été indiqué précédemment au point 10 ci-dessus, l’organisme européen de normalisation Cenelec a retenu dans la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 la date du 1er septembre 2013 comme date de retrait de la norme harmonisée remplacée EN 60335-2-77:2006 et, par conséquent, l’abrogation de la publication de la référence de cette dernière est intervenue à cette date. Dans ces conditions, la conformité de la tondeuse en cause à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 pouvait, contrairement à ce que soutiennent la Commission et le gouvernement letton, apporter une présomption de conformité de cette machine aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42 pour une mise sur le marché ou une mise en service jusqu’au 31 août 2013 inclus.

65

Il peut en outre être relevé que la position défendue par la Commission se heurte par ailleurs à l’économie du système retenu par les deux directives successives 98/37 et 2006/42, visant à mettre en place pour l’ensemble du territoire de l’Union un mécanisme efficace qui, associant les organismes de normalisation mandatés par la Commission, permet aux fabricants et à leurs mandataires de respecter les exigences essentielles de santé et de sécurité en ce qui concerne les machines qu’ils commercialisent dans un cadre qui leur apporte une certaine sécurité et une simplification des mises sur le marché dans l’ensemble des États membres et qui apporte aussi au public des garanties appréciables. Sans qu’elle constitue la seule possibilité pour un fabricant ou son mandataire de démontrer le respect de ces exigences, la conformité à une norme harmonisée adoptée par ces organismes et dont la référence est publiée au Journal officiel, leur permet en effet, dans le cadre d’une procédure claire, de bénéficier pour le produit concerné d’une présomption de conformité aux exigences essentielles couvertes par cette norme harmonisée. Tant la directive 98/37, à son article 5, que la directive 2006/42, à son article 7, contiennent à cet égard des dispositions donnant une place importante au mécanisme de conformité aux normes harmonisées publiées. Ce dernier article la renforce même, en détachant la possibilité de se référer à ces normes harmonisées pour bénéficier de la présomption susmentionnée de l’existence de normes nationales les « transposant ».

66

Or, la thèse de la Commission, qui implique que l’ensemble des normes harmonisées adoptées initialement au titre de la directive 98/37 soient privées d’effet pour conférer une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42, revient à diminuer très significativement le nombre de normes harmonisées utilisables pendant les premiers temps de l’application de cette dernière directive et porte donc atteinte à l’efficacité du système. À cet égard, l’ultime publication au Journal officiel des « titres et des références des normes harmonisées au titre de la [directive 98/37] », en mars 2009, comporte 57 pages (JO 2009, C 74, p. 4), tandis que la première publication correspondante au titre de la directive 2006/42, en septembre 2009, ne comporte que 26 pages (JO 2009, C 214, p. 1) et que la deuxième publication analogue, faite juste avant la mise en application des mesures de transposition de la directive 2006/42, le 29 décembre 2009, ne comporte encore que 37 pages (JO 2009, C 309, p. 29). Sachant qu’une page de ces publications énumère en moyenne une dizaine de normes harmonisées, la position de la Commission conduirait à ce que, au moment de la mise en application concrète des dispositions de la directive 2006/42, fin décembre 2009, environ 200 normes harmonisées de moins qu’à la fin de la période d’application de la directive 98/37 aient été utilisables par les fabricants pour établir l’existence d’une présomption de conformité de leurs produits aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées par la nouvelle directive, ce qui serait contradictoire avec le rôle important donné au mécanisme de conformité aux normes harmonisées par les deux directives successives. Il y a lieu de relever qu’il faut attendre la publication d’avril 2011 (JO 2011, C 110, p. 1) pour retrouver un volume comparable de normes harmonisées dont les références ont été publiées pour les deux directives.

67

L’atteinte à l’économie du système retenu par les deux directives successives 98/37 et 2006/42 est pleinement illustrée par la succession des trois périodes identifiées par la Commission dont il est fait état au point 54 ci-dessus, qui conduirait à ce qu’un type de machine ayant fait l’objet depuis de nombreuses années d’une norme harmonisée publiée soit « sans norme harmonisée » pendant un laps de temps non négligeable (environ quinze mois pour les « tondeuses à gazon fonctionnant sur le réseau et à conducteur à pied ») avant de retrouver une nouvelle norme harmonisée publiée. Certes, l’interprétation de la Commission ne crée pas un vide juridique, puisque les fabricants et leurs mandataires ont d’autres moyens que le recours aux normes harmonisées dont les références ont été publiées pour démontrer le respect des exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive pertinente pour les machines qu’ils souhaitent commercialiser. Toutefois, force est de relever que ces autres moyens sont moins aisés. Par conséquent, la position de la Commission ne contribue pas, tout au moins pendant une certaine période, à faciliter la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur tout en assurant un niveau élevé de protection de la santé et de la sécurité des utilisateurs, ainsi que le requiert la base juridique de la directive 2006/42, à savoir l’article 114 TFUE.

68

Il est vrai, comme l’a souligné la Commission à l’audience, que, sur différents aspects, les exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42 sont plus poussées que celles énoncées dans la directive 98/37, mais il appartenait alors, le cas échéant, à la Commission de favoriser l’adoption rapide, pour certains types de machines ou autres équipements visés par la nouvelle directive, d’une nouvelle norme harmonisée permettant de répondre à ces nouvelles exigences et d’indiquer si besoin, dans des cas particuliers, qu’une norme harmonisée publiée au titre de la directive 98/37 ne permettait pas de conférer une présomption de conformité à ces nouvelles exigences. L’article 10 de la directive 2006/42 prévoit d’ailleurs une « procédure de contestation d’une norme harmonisée », qui peut être engagée par un État membre ou par la Commission et qui peut, notamment, déboucher sur le maintien avec restrictions ou sur le retrait des références de la norme harmonisée concernée figurant au Journal officiel. Toutefois, dans ces cas, la Commission aurait dû indiquer dans la colonne intitulée « Date de cessation de la présomption de conformité de la norme remplacée » des tableaux de publication des titres et références des normes harmonisées au titre de la directive 2006/42 une date différente de la date de retrait si la norme harmonisée en cause était effectivement remplacée, ou indiquer au Journal officiel d’une autre manière appropriée l’abrogation de la publication des références de la norme harmonisée en cause dans l’hypothèse où cette norme n’aurait pas encore été remplacée. Comme il a été observé au point 64 ci-dessus, l’absence d’indication particulière dans les tableaux de publication des titres et références des normes harmonisées au titre de la directive 2006/42 ou sous une autre forme indique a contrario, conformément à la note 1 de la colonne intitulée « Date de cessation de la présomption de conformité de la norme remplacée », que cette date correspond à la date de retrait définie par l’organisme de normalisation. Il peut d’ailleurs être observé que les évolutions de la directive « machines », dont la première version a été la directive 89/392/CEE du Conseil, du 14 juin 1989, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines (JO 1989, L 183, p. 9), y compris lorsqu’elles ont donné lieu à l’abrogation des versions précédentes ou à des compléments substantiels, n’ont pas conduit à l’abrogation générale des publications des normes harmonisées faites sous l’empire des versions précédentes (voir, par exemple, JO 2000, C 252, p. 5).

69

Il y a enfin lieu de rappeler que la conformité à une norme harmonisée dont la référence a été publiée au titre de la directive 98/37 pendant la période d’application de la directive 2006/42 et avant la date de cessation de la présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité qu’elle apporte ne fournit, précisément, qu’une présomption de conformité à ces exigences. À cet égard, si un État membre et à sa suite la Commission avaient considéré qu’une machine conforme à une telle norme harmonisée ne respectait néanmoins pas les exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42, ils n’auraient pas été empêchés de mettre en œuvre la clause de sauvegarde prévue à l’article 11 de ladite directive, à charge pour eux cependant de prouver un manquement à ces exigences essentielles.

70

Il résulte de ce qui précède que c’est à juste titre que la requérante a soutenu, en substance, que la tondeuse en cause bénéficiait d’une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans la directive 2006/42 depuis la date du 3 septembre 2012, à laquelle a été établie sa déclaration « CE » de conformité, jusqu’au 31 août 2013, date ultime de sa production selon ses indications. En effet, la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006, à laquelle il n’est pas contesté que la tondeuse en cause était conforme, a pu lui apporter valablement entre ces dates, pour une mise sur le marché ou pour une mise en service, une présomption de conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées dans ladite directive, dans la mesure où, bien qu’ayant fait l’objet d’une publication de sa référence au titre de la directive 98/37, celle-ci restait valable au titre de la directive 2006/42, en l’absence d’indication contraire publiée au Journal officiel par la Commission, jusqu’à la date de retrait retenue par l’organisme de normalisation à l’occasion de l’adoption de la norme harmonisée lui ayant succédé, à savoir le 1er septembre 2013.

71

En écartant la position de la requérante à cet égard, la Commission a donc commis une erreur de droit. La décision attaquée n’étant pas fondée par ailleurs, ainsi qu’il est indiqué au point 59 ci-dessus, sur la démonstration concrète d’une méconnaissance des exigences essentielles de santé et de sécurité énoncées par la directive 2006/42, mais sur la seule non-conformité de la tondeuse en cause à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 alors que sa conformité à la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 lui apportait encore, pendant la période concernée, une présomption de conformité auxdites exigences, il y a lieu d’accueillir le second moyen avancé par la requérante et d’annuler la décision attaquée.

Sur les dépens

72

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante, y compris à ceux afférents à la procédure en référé.

73

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. La République de Lettonie supportera donc ses propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

La décision d’exécution (UE) 2015/902 de la Commission, du 10 juin 2015, relative à une mesure prise par la Lettonie conformément à la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil pour interdire la mise sur le marché d’une tondeuse à gazon fabriquée par GGP Italy SpA, est annulée.

 

2)

Le recours est rejeté pour le surplus.

 

3)

La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Global Garden Products Italy SpA (GGP Italy) dans le cadre de la présente instance et lors de la procédure en référé.

 

4)

La République de Lettonie supportera ses propres dépens.

 

Gervasoni

Madise

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 janvier 2017.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.