ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

5 décembre 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Aides d’État – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Décisions fiscales anticipatives adoptées par un État membre – Aide déclarée incompatible avec le marché intérieur – Obligation de récupération de cette aide – Notion d’“avantage” – Détermination du cadre de référence – Imposition “normale” selon le droit national – Contrôle par la Cour de l’interprétation et de l’application du droit national par le Tribunal de l’Union européenne – Fiscalité directe – Interprétation stricte – Pouvoirs de la Commission européenne – Obligation de motivation – Qualification juridique des faits – Notion d’“abus de droit” – Appréciation ex ante par l’administration fiscale de l’État membre concerné – Principe de sécurité juridique »

Dans les affaires jointes C‑451/21 P et C‑454/21 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement les 21 et 22 juillet 2021,

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par MM. A. Germeaux, T. Schell et T. Uri, en qualité d’agents, assistés de Mes J. Bracker et D. Waelbroeck, avocats, ainsi que de M. A. Pesch, conseil (affaire C‑451/21 P),

Engie Global LNG Holding Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg),

Engie Invest International SA, établie à Luxembourg,

Engie SA, établie à Courbevoie (France),

représentées initialement par Mes B. Le Bret, F. Pili, C. Rydzynski et M. Struys, puis par Mes M. Gouraud, B. Le Bret, F. Pili, J. Schaffner et M. Struys, avocats (affaire C‑454/21 P),

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. J. Carpi Badía et B. Stromsky, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Irlande,

partie intervenante en première instance (affaire C‑451/21 P),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, MM. A. Arabadjiev, C. Lycourgos, E. Regan, T. von Danwitz, F. Biltgen et Z. Csehi, présidents de chambre, MM. M. Safjan, S. Rodin, N. Wahl (rapporteur), J. Passer, D. Gratsias, Mme M. L. Arastey Sahún et M. M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 janvier 2023,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 4 mai 2023,

rend le présent

Arrêt

1

Par leurs pourvois respectifs, le Grand-Duché de Luxembourg (affaire C‑451/21 P), d’une part, ainsi qu’Engie Global LNG Holding Sàrl, Engie Invest International SA et Engie SA (affaire C‑454/21 P) (ci-après, ensemble « Engie e.a. »), d’autre part, demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mai 2021, Luxembourg e.a./Commission (T‑516/18 et T‑525/18, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2021:251), par lequel celui-ci a rejeté leurs recours tendant à l’annulation de la décision (UE) 2019/421 de la Commission, du 20 juin 2018, concernant l’aide d’État SA.44888 (2016/C) (ex 2016/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Engie (JO 2019, L 78, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).

I. Les antécédents du litige

2

Les antécédents du litige, tels qu’ils ont été exposés aux points 1 à 98 de l’arrêt attaqué, peuvent être présentés de la manière suivante.

A. Les sociétés concernées

3

Le groupe Engie se compose d’Engie, société établie en France, et de l’ensemble des sociétés que cette société contrôle directement ou indirectement. Ce groupe est issu de la fusion des groupes français Suez et Gaz de France. Au Luxembourg, il détient, notamment, Compagnie européenne de financement C.E.F. SA (ci-après « CEF »), constituée en 1933 et devenue Engie Invest International en 2015.

4

CEF, qui avait pour objet social l’acquisition de participations au Luxembourg et dans des entités étrangères ainsi que la gestion, l’exploitation et le contrôle de ces participations, détenait l’entièreté du capital de plusieurs sociétés luxembourgeoises, dont, premièrement, GDF Suez Treasury Management Sàrl (ci-après « GSTM »), devenue Engie Treasury Management Sàrl, deuxièmement, Electrabel Invest Luxembourg SA (ci-après « EIL ») et, troisièmement, GDF Suez LNG Holding Sàrl (ci-après « LNG Holding »), constituée en 2009, devenue Engie Global LNG Holding.

5

En 2009, le groupe Engie a implanté deux filiales au Luxembourg, GDF Suez LNG Luxembourg Sàrl (ci-après « LNG Luxembourg ») et GDF Suez LNG Supply SA (ci-après « LNG Supply »). À la fin de l’année 2009, LNG Holding a pris le contrôle de ces deux filiales, qui était précédemment exercé par une autre société de ce groupe, Suez LNG Trading SA (ci-après « LNG Trading »). LNG Holding détenait l’intégralité du capital de LNG Luxembourg et de LNG Supply.

B. Les décisions fiscales anticipatives

6

Une série de transactions internes au groupe Engie a fait l’objet, de la part de l’administration fiscale luxembourgeoise, de décisions fiscales anticipatives. Celles-ci portent sur deux ensembles d’opérations, présentant une structure économique et juridique semblable qui peut être décrite de la manière suivante.

7

Une société du groupe Engie procède à la cession des actifs constituant son activité commerciale à une société filiale (ci-après la « filiale »). Afin de financer cet achat, la filiale émet auprès d’une société intermédiaire (ci-après l’« intermédiaire ») un emprunt d’une durée de quinze ans, obligatoirement convertible en actions à l’échéance. Cet emprunt ne donne pas lieu au versement d’intérêts à l’intermédiaire, mais est converti, à son échéance, en actions. Cette conversion prend en compte la performance, soit positive, soit négative, de l’émetteur de l’emprunt, à savoir la filiale, pendant la durée de celui-ci. Ce type de contrat est dénommé zéro-intérêts obligation remboursable en actions (ZORA).

8

La rémunération de l’intermédiaire, souscripteur de l’emprunt, est donc indexée sur la performance de la filiale. Ainsi, au terme de l’emprunt, cette dernière doit rembourser, au moyen d’une émission d’actions, le montant nominal de l’emprunt majoré d’une « prime » constituée de l’ensemble des bénéfices qu’elle a réalisés pendant la durée du prêt, qualifiés d’« accrétions sur ZORA ». Sur le montant de cette prime vient s’imputer celui résultant de l’application du pourcentage correspondant à l’imposition convenue avec les autorités fiscales luxembourgeoises. En cas de déficit de la filiale lors d’un ou de plusieurs exercices comptables, celui-ci est pris en compte de la même façon, venant alors minorer les bénéfices en vue du calcul du montant final de la prime. Il s’agit alors de « réductions sur ZORA ».

9

Pour financer sa souscription à l’emprunt, l’intermédiaire a recours à un contrat de vente à terme prépayé (ci-après le « contrat à terme prépayé ») conclu avec une société holding (ci-après la « holding »), qui est actionnaire unique tant de la filiale que de l’intermédiaire. La holding verse à l’intermédiaire, lors de la conclusion de ce contrat, un montant correspondant au montant nominal du ZORA, en contrepartie duquel l’intermédiaire cède à la holding les droits portant sur les actions qui seront émises au terme du ZORA, y compris celles correspondant, le cas échéant, à la valeur cumulée des accrétions sur ZORA.

10

Le premier ensemble de décisions fiscales anticipatives de l’administration fiscale luxembourgeoise porte sur le financement du transfert des activités de LNG Trading dans le secteur du gaz naturel liquéfié et de produits dérivés du gaz vers LNG Supply. Cinq demandes de décisions fiscales anticipatives ont été introduites par les sociétés concernées par ce transfert, du9 septembre 2008 au 20 septembre 2013, auxquelles les autorités fiscales luxembourgeoises ont répondu par cinq décisions fiscales anticipatives, adoptées entre le 9 septembre 2008 et le 13 mars 2014.

11

Conformément aux mécanismes décrits aux points 7 à 9 du présent arrêt, il ressort de ce premier ensemble de décisions fiscales anticipatives que LNG Supply, la filiale, devait acquérir l’activité d’achat, de vente, d’opérations sur les marchés financiers et de transport de gaz naturel liquéfié ainsi que de produits dérivés du gaz de LNG Trading, pour un prix estimé à 750 millions de dollars américains (USD) (environ 507 millions d’euros, en application, comme les autres montants visés au présent point ainsi qu’aux points 12 et 16 du présent arrêt, du taux de change retenu dans la décision litigieuse). Elle devait financer cette acquisition par un ZORA souscrit par LNG Luxembourg, l’intermédiaire, à l’échéance duquel LNG Supply devait convertir en actions au profit de LNG Luxembourg le montant nominal du ZORA, le cas échéant majoré des accrétions sur ZORA. De son côté, LNG Luxembourg devait apporter la somme nécessaire à la souscription du montant nominal du ZORA en concluant avec LNG Holding, la holding, un contrat à terme prépayé à hauteur de ce montant. Ce contrat prévoyait la cession à LNG Holding, lors de la conversion du ZORA, des actions initialement transférées à LNG Luxembourg par LNG Supply, pour une valeur comprenant, en fonction de la performance de LNG Supply, les accrétions sur ZORA.

12

Il résulte des contrats signés par ces différentes sociétés que, lors de la mise en œuvre des mécanismes validés dans le cadre du premier ensemble de décisions fiscales anticipatives, le contrat portant cession par LNG Trading des actifs correspondant à son activité commerciale à LNG Supply a été signé le 30 octobre 2009 et a porté sur un montant de 657 millions d’USD (environ 444 millions d’euros). Ce montant a été payé par LNG Supply au moyen de deux billets à ordre de 11 millions d’USD (environ 7 millions d’euros) et de 646 millions d’USD (environ 437 millions d’euros). Le même jour, LNG Supply et LNG Luxembourg ont conclu un ZORA d’un montant nominal de 646 millions d’USD (environ 437 millions d’euros), devant venir à échéance le 30 octobre 2024, mais qui a été en partie converti de manière anticipée en 2014. Le 30 octobre 2009, LNG Luxembourg et LNG Holding ont conclu un contrat à terme prépayé à hauteur du montant nominal du ZORA.

13

D’un point de vue fiscal, en application du premier ensemble de décisions fiscales anticipatives, l’assiette de l’impôt dû par LNG Supply au titre d’un exercice donné est égale à une marge convenue avec les autorités fiscales luxembourgeoises, correspondant à une fraction de la valeur des actifs bruts figurant au bilan de cette société. La différence entre le bénéfice effectivement dégagé au titre de cet exercice et cette marge imposable constitue les accrétions sur ZORA dudit exercice, lesquelles sont considérées comme des charges déductibles liées au ZORA.

14

LNG Luxembourg dispose, pour sa part, en application du premier ensemble de décisions fiscales anticipatives, d’une option consistant soit à conserver en comptabilité le montant du ZORA pour sa valeur nominale, soit, à défaut, à augmenter ou à réduire cette valeur, du fait des accrétions ou des réductions sur ZORA, entre le moment de la conclusion du ZORA et celui de sa conversion ou de son remboursement anticipé. Lors de la conversion de l’emprunt en actions, LNG Luxembourg peut opter pour l’application de l’article 22 bis de la loi du 4 décembre 1967, concernant l’impôt sur le revenu (Mémorial A 1967, p. 1228), telle que modifiée (ci-après la « LIR »), lequel permet de ne pas imposer la plus-value, correspondant aux accrétions sur ZORA, résultant de cette conversion.

15

Le premier ensemble de décisions fiscales anticipatives prévoit, en outre, que LNG Holding comptabilisera au prix de revient le paiement reçu en vertu du contrat à terme prépayé au titre de ses immobilisations financières. Jusqu’à la conversion du ZORA, elle ne comptabilisera donc aucun revenu et, partant, ne pourra déduire aucune charge se rapportant à ce contrat. Toutefois, pour autant qu’il est satisfait aux conditions posées à l’article 166 de la LIR, tous les revenus, notamment les dividendes et les plus-values, liés aux participations de LNG Holding dans ses filiales luxembourgeoises, dont, par conséquent, les actions de LNG Supply transférées par LNG Luxembourg après conversion du ZORA en actions, sont exonérés d’impôt sur le revenu.

16

En pratique, LNG Supply a inscrit à son passif le montant nominal du ZORA de l’année 2009 à l’année 2013. En 2014, elle a procédé à une réduction de 193,8 millions d’USD (environ 163,3 millions d’euros) de ce montant pour tenir compte de la conversion partielle anticipée du ZORA en actions. La plus-value de 506,2 millions d’USD (environ 425,2 millions d’euros) réalisée par LNG Holding à la suite de cette conversion partielle a été exonérée d’impôt sur le revenu, en application de l’article 166 de la LIR. LNG Supply a actualisé le montant nominal restant du ZORA, inscrit à son passif, en tenant compte des réductions sur ZORA.

17

Le second ensemble de décisions fiscales anticipatives a trait au transfert vers GSTM des activités de gestion et de trésorerie ainsi que de financement exercées par CEF. Deux demandes de décisions fiscales anticipatives ont été présentées par les sociétés concernées par ce transfert, les 9 février 2010 et 15 juin 2012, auxquelles les autorités fiscales luxembourgeoises ont répondu par deux décisions fiscales anticipatives, adoptées à ces dates.

18

Selon ces décisions fiscales anticipatives, GSTM, la filiale, devait acquérir les activités de CEF décrites au point 17 du présent arrêt pour un montant de 1036912506,84 euros. Elle devait financer cette acquisition par un ZORA souscrit par EIL, l’intermédiaire, à l’échéance duquel GSTM devait convertir en actions au profit d’EIL le montant nominal du ZORA, le cas échéant majoré des accrétions sur ZORA. De son côté, EIL devait apporter la somme nécessaire à la souscription du montant nominal du ZORA en concluant avec CEF – qui se trouve donc être, dans le cadre du second ensemble de décisions fiscales anticipatives, à la fois la société cédant ses activités et la holding apportant les fonds à l’intermédiaire – un contrat à terme prépayé à hauteur de ce montant. Ce contrat devait prévoir la cession à CEF, lors de la conversion du ZORA, des actions initialement transférées à EIL, pour une valeur comprenant, en fonction de la performance de GSTM, les accrétions sur ZORA.

19

En application de ce second ensemble de décisions fiscales anticipatives, GSTM a conclu deux contrats de type ZORA avec EIL, les 17 juin 2011 et 30 juin 2014, venant à échéance le 17 juin 2026 et portant sur un montant de 1036912506,84 euros. EIL et CEF ont conclu, le 17 juin 2011, un contrat à terme prépayé à hauteur du prix d’émission du ZORA.

20

En ce qui concerne le traitement fiscal du second ensemble de décisions fiscales anticipatives, les observations relatives au premier ensemble de ces décisions, exposées aux points 13 à 15 du présent arrêt, sont applicables mutatis mutandis. Il convient simplement de relever qu’il ressort du point 64 de la décision litigieuse et des déclarations du Grand-Duché de Luxembourg qui y sont rapportées que la marge convenue avec l’administration fiscale de cet État membre et constituant l’assiette de l’impôt de GSTM n’a pas subi de modification, nonobstant la demande présentée en ce sens par le groupe Engie.

21

Il ressort des déclarations comptables et fiscales de GSTM que celle-ci a inscrit au passif de ses bilans annuels le montant des accrétions sur ZORA, en contrepartie de la dépense correspondante figurant au compte de résultat, puisqu’il s’agit d’un montant que GSTM devra, à l’échéance du ZORA, convertir en actions qui seront transférées à EIL, puis à CEF. Ce montant figure, pour les années 2011 à 2016, dans le tableau 2 faisant suite au considérant 73 de la décision litigieuse. La Commission européenne a retracé, aux considérants 74 et 75 de cette décision et dans les tableaux qui y sont insérés, les conséquences du second ensemble de décisions fiscales anticipatives sur l’imposition de GSTM. À l’instar de LNG Holding, CEF a comptabilisé ses participations dans ses filiales comme admissibles à l’exonération d’impôt en vertu de l’article 166 de la LIR.

C. La procédure administrative

22

Le 23 mars 2015, la Commission a fait parvenir au Grand-Duché de Luxembourg une demande de renseignements relative à sa pratique en matière de décisions fiscales anticipatives à l’égard du groupe Engie. L’État membre concerné a répondu à cette demande le 25 juin 2015. Sur le fondement des documents fournis, la Commission lui a indiqué, par lettre du 1er avril 2016, ne pouvoir exclure la possibilité que les décisions fiscales anticipatives en cause contiennent un élément d’aide d’État incompatible avec le marché intérieur.

23

Le 19 septembre 2016, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. La décision d’ouvrir cette procédure a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 3 février 2017.

24

Divers échanges de correspondance ont eu lieu et une réunion s’est tenue le 1er juin 2017 dans le cadre de ladite procédure, dont le détail figure aux points 55 à 62 de l’arrêt attaqué.

D. La décision litigieuse

25

Le 20 juin 2018, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a considéré, en substance, que le Grand-Duché de Luxembourg avait, par l’intermédiaire de son administration fiscale, octroyé, en violation de l’article 107, paragraphe 1, et de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, un avantage sélectif au groupe Engie, considéré comme une même unité économique.

26

Sans remettre en cause la légalité, en vertu du droit fiscal luxembourgeois, de l’ensemble de la structure de financement mise en place par le groupe Engie pour le transfert des activités de LNG Trading, d’une part, et de CEF, d’autre part, la Commission a contesté les effets de cette structure sur l’impôt total dû par ce groupe, au motif, en substance, que la quasi-totalité des bénéfices réalisés par les filiales d’Engie au Luxembourg n’avaient, en réalité, pas été imposés, notamment en raison de l’exonération prévue à l’article 166 de la LIR.

27

En ce qui concerne l’imputabilité à l’État membre des décisions fiscales anticipatives en cause, celle-ci découle, selon la Commission, de ce que ces décisions ont été adoptées par l’administration fiscale luxembourgeoise et se sont traduites par une perte de recettes fiscales.

28

En ce qui concerne l’octroi d’un avantage économique, la Commission a considéré que ce dernier résidait dans l’absence d’imposition des revenus de participations détenues par LNG Holding, d’une part, et CEF, d’autre part. Ces revenus correspondraient, d’un point de vue économique, aux accrétions sur ZORA, lesquelles auraient été déduites, respectivement, par LNG Supply et par GSTM de leurs revenus imposables en tant que charges.

29

Selon la Commission, les accrétions sur ZORA ne sont imposées ni au niveau des filiales, ni au niveau des intermédiaires, ni au niveau des holdings, les filiales s’acquittant seulement d’un impôt dont l’assiette correspondrait à une marge limitée convenue avec les autorités fiscales luxembourgeoises.

30

La Commission a ainsi indiqué que les filiales constituaient chaque année, en raison de la conversion future des ZORA en cause, des provisions comptables correspondant aux accrétions sur ZORA, considérées comme des charges déductibles. Les intermédiaires ne seraient pas imposés sur les accrétions sur ZORA, puisque, à la conversion des ZORA, en application des contrats à terme prépayés conclus avec les holdings concernées, les intermédiaires subiraient une perte du même montant que celui de ces accrétions. Les holdings concernées, enfin, détentrices des actions des filiales à l’échéance des ZORA en application des contrats à terme prépayés, ne seraient pas non plus imposées, dans la mesure où les revenus de participations qu’elles tirent de la conversion des ZORA seraient exonérés, selon les décisions fiscales anticipatives en cause, en vertu de l’article 166 de la LIR.

31

Afin d’établir la sélectivité de ces décisions fiscales anticipatives, la Commission s’est fondée, à titre principal, ainsi qu’il ressort, notamment, des considérants 163 à 170 et 237 de la décision litigieuse, sur trois voies de raisonnement. Les deux premières concernent l’existence d’un avantage sélectif au niveau des holdings, à la lumière, d’abord, d’un cadre de référence étendu au système luxembourgeois d’imposition des sociétés et, ensuite, d’un cadre de référence restreint aux dispositions du droit luxembourgeois relatives à l’imposition des distributions de bénéfices et à l’exonération des revenus de participations. Une troisième voie de raisonnement a trait à l’existence d’un avantage au niveau du groupe Engie, à la lumière d’un cadre de référence étendu au système luxembourgeois d’imposition des sociétés. En outre, il ressort du considérant 289 de la décision litigieuse que, par une quatrième voie de raisonnement, présentée à titre subsidiaire, la Commission a considéré qu’un avantage sélectif résultait de l’absence d’application, par les autorités fiscales luxembourgeoises, de l’article 6 de la Steueranpassungsgesetz (loi d’adaptation fiscale), du 16 octobre 1934 (Mémorial A 1934, p. 9001), relatif à l’abus de droit. Par ailleurs, la Commission a estimé que cet avantage sélectif était dépourvu de justification.

32

S’agissant de la première voie de raisonnement, la Commission a indiqué que les décisions fiscales anticipatives en cause conféraient au groupe Engie, au niveau des holdings, un avantage sélectif en ce qu’elles dérogeaient au système luxembourgeois d’imposition des sociétés, résultant des articles 18, 23, 40, 159 et 163 de la LIR, selon lesquels les sociétés résidentes du Luxembourg, assujetties à l’impôt applicable aux sociétés de cet État, sont imposées sur leurs bénéfices, tels que constatés dans leurs comptes. Elle a estimé que l’identification, aux fins de la définition d’un cadre de référence, d’un objectif pouvant être inféré de ces dispositions était conforme à la jurisprudence de la Cour et que cet objectif, à savoir l’imposition des bénéfices de toutes les sociétés assujetties à l’impôt au Luxembourg, ressortait clairement desdites dispositions. La Commission a ajouté que la prise en compte d’un cadre de référence étendu au système luxembourgeois d’imposition des sociétés était également conforme à cette jurisprudence, la Cour ayant itérativement jugé que, en présence de mesures concernant l’imposition des sociétés, le cadre de référence pouvait être défini à la lumière du système d’imposition de ces dernières, et non au regard des dispositions spécifiques applicables à certains contribuables ou à certaines transactions.

33

Or, les autorités fiscales luxembourgeoises auraient, par les décisions fiscales anticipatives en cause, dérogé à ce cadre en permettant que les revenus de participations des holdings concernées, correspondant, d’un point de vue économique, aux accrétions sur ZORA, ne soient pas imposés. Ces décisions auraient également été à l’origine d’une discrimination en faveur de ces holdings, puisque les sociétés assujetties à l’impôt sur le revenu des collectivités au Luxembourg seraient, à la différence desdites holdings, imposées sur leurs bénéfices, tels que ces derniers sont constatés dans leurs comptes.

34

S’agissant de la deuxième voie de raisonnement, la Commission a considéré que les décisions fiscales anticipatives en cause conféraient au groupe Engie, au niveau des holdings, un avantage sélectif en ce qu’elles dérogeaient au cadre de référence restreint aux dispositions relatives à l’exonération des revenus de participations et à l’imposition des distributions de bénéfices, issu des articles 164 et 166 de la LIR. En effet, l’exonération des revenus de participations pour une société mère ne serait possible qu’en cas d’imposition préalable, au niveau de sa filiale, des bénéfices distribués. Or, les revenus de participations exonérés d’impôt au niveau des holdings correspondraient, d’un point de vue économique, aux accrétions sur ZORA déduites par les filiales de leur revenu imposable en tant que charges.

35

La Commission a estimé, au considérant 212 de la décision litigieuse, que, d’un point de vue économique, eu égard au lien direct et évident entre les revenus exonérés au niveau des holdings et les accrétions sur ZORA déduites au niveau des filiales, ces accrétions étaient équivalentes à des distributions de bénéfices. La dérogation au cadre de référence restreint aurait donné lieu à une discrimination en faveur des holdings concernées, car, en substance, les sociétés mères placées dans une situation factuelle et juridique comparable à ces holdings ne pourraient bénéficier d’une exonération de leurs revenus de participations en l’absence d’imposition préalable des bénéfices distribués au niveau de leurs filiales.

36

L’absence de lien explicite entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de celle-ci ne pourrait remettre en cause ce constat, puisque, si un même revenu pouvait être exonéré au niveau d’une société mère et déduit en tant que charge au niveau d’une filiale, il échapperait à toute imposition au Luxembourg, ce qui contreviendrait tant à l’objectif du système luxembourgeois d’imposition des sociétés qu’à celui consistant à prévenir la double imposition.

37

S’agissant de la troisième voie de raisonnement, la Commission a soutenu que la sélectivité des décisions fiscales anticipatives en cause ressortait également d’une analyse au niveau du groupe composé des holdings, des intermédiaires et des filiales concernés, puisque, à partir de l’année 2015, ces sociétés auraient formé une seule et même unité fiscale en acquittant leurs impôts sur une base consolidée. En tout état de cause, selon la Commission, l’analyse des effets économiques des mesures étatiques devant s’effectuer en fonction des entreprises, il y aurait lieu de considérer les holdings, les intermédiaires et les filiales comme faisant partie d’une même entreprise, au sens du droit des aides d’État. La Commission a ajouté, d’une part, que les demandes de décisions fiscales anticipatives portaient sur le traitement fiscal de l’ensemble des entités du groupe Engie impliquées dans les transactions en cause et, d’autre part, que l’avantage économique dont, selon elle, ce groupe a bénéficié résidait dans la combinaison d’une exonération de revenus de participations au niveau des holdings et d’une déduction au niveau des filiales des accrétions sur ZORA en tant que charges. L’avantage sélectif accordé au groupe Engie résulterait de ce que les décisions fiscales anticipatives dérogent au cadre de référence correspondant au système luxembourgeois d’imposition des sociétés, lequel viserait à imposer les sociétés assujetties à l’impôt au Luxembourg sur leurs bénéfices, tels que ces derniers ont été constatés dans leurs comptes.

38

En effet, la diminution de la charge fiscale au niveau des filiales, découlant de la déduction, en tant que charges, des accrétions sur ZORA du revenu imposable de ces filiales, n’aurait pas été compensée par une augmentation de la charge fiscale au niveau des holdings ou par une augmentation du revenu imposable des intermédiaires, ce qui, dans les faits, aurait conduit à une réduction du revenu imposable combiné du groupe Engie au Luxembourg. Or, d’autres groupes de sociétés se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable à celle de ce groupe n’auraient pas été en mesure d’obtenir une telle réduction de leur revenu imposable combiné.

39

Concernant l’analyse subsidiaire de la Commission, celle-ci repose sur le fait que les autorités fiscales luxembourgeoises auraient, par les décisions fiscales anticipatives en cause, écarté l’application de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, alors que les quatre critères identifiés par la jurisprudence luxembourgeoise pour caractériser un abus de droit, à savoir l’utilisation de formes ou d’institutions de droit privé, la réduction de la charge fiscale, l’utilisation d’une voie juridique non appropriée et l’absence de motifs extrafiscaux, auraient été remplis.

40

Plus précisément, s’agissant des deux derniers critères, la Commission a considéré que l’absence presque totale d’imposition des bénéfices réalisés par les filiales au Luxembourg n’aurait pas été possible si le transfert des secteurs d’activités avait été réalisé au moyen d’un instrument de fonds propres ou par un prêt entre les filiales et les holdings concernées. De plus, il n’aurait pas existé pour le groupe Engie de motif économique réel, autre que la réalisation d’une économie d’impôt considérable, pour que celui-ci optât pour les structures complexes de financement mises en place, approuvées par les décisions fiscales anticipatives en cause.

41

La Commission a estimé, par ailleurs, que l’État membre concerné n’avait avancé aucune justification pour le traitement favorable dont ont bénéficié les holdings. Elle en a conclu que ce traitement ne pouvait être justifié par la nature ou l’économie générale du système fiscal luxembourgeois. En tout état de cause, elle a indiqué qu’une justification hypothétique fondée sur la prévention de la double imposition économique ne pouvait, en substance, être retenue.

42

La Commission a précisé que, au regard des multiples secteurs dans lesquels le groupe Engie exerçait ses activités, dans plusieurs États membres, le traitement fiscal qui lui avait été accordé en application des décisions fiscales anticipatives en cause avait soulagé ce groupe d’une charge fiscale qu’il aurait dû normalement supporter dans le cadre de la gestion courante de ses activités. Partant, ces décisions fiscales anticipatives auraient faussé ou menacé de fausser la concurrence.

43

Estimant que l’aide octroyée était incompatible avec le marché intérieur et illégale, la Commission a ordonné au Grand-Duché de Luxembourg, s’agissant des opérations visées par le premier ensemble de décisions fiscales anticipatives en cause, de récupérer immédiatement auprès de LNG Holding, et, à défaut, auprès d’Engie ou de l’un de ses successeurs, ou des sociétés du groupe Engie, l’aide qui s’est déjà matérialisée du fait de la conversion partielle en 2014 du ZORA conclu au profit de LNG Supply. S’agissant des opérations visées par le second ensemble de décisions fiscales anticipatives en cause, elle a ordonné à cet État membre de ne pas appliquer ces décisions pour ce qui concerne l’exonération des revenus de participations dont pourraient éventuellement bénéficier LNG Holding et CEF lors de la conversion totale des ZORA conclus au profit de LNG Supply et de GSTM.

44

La Commission a indiqué qu’une telle récupération ne portait pas atteinte aux principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime, d’égalité de traitement et de bonne administration et a écarté les griefs avancés, lors de la procédure administrative, par le Grand‑Duché de Luxembourg et par Engie e.a., tirés de vices de procédure ayant entaché la procédure formelle d’examen.

II. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

45

Par des requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement le 30 août et le 4 septembre 2018, le Grand‑Duché de Luxembourg (affaire T‑516/18) et Engie e.a. (affaire T‑525/18) ont introduit des recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

46

Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 janvier 2019, le Grand‑Duché de Luxembourg a demandé, en application de l’article 28, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal alors en vigueur, que l’affaire T‑516/18 soit jugée par une formation de jugement élargie. Le Tribunal a fait droit à cette demande.

47

Par ordonnance du président de la septième chambre élargie du Tribunal du 15 février 2019, l’Irlande a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Grand-Duché de Luxembourg dans l’affaire T‑516/18.

48

Par décision du Tribunal du 16 octobre 2019, l’affaire T‑516/18 a été, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, attribuée à la deuxième chambre élargie de celui-ci.

49

Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 12 juin 2020, les parties entendues, les affaires T‑516/18 et T‑525/18 ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Par la même ordonnance, il a été décidé d’exclure les données confidentielles du dossier accessible à l’Irlande, conformément aux demandes de traitement confidentiel présentées par le Grand-Duché de Luxembourg ainsi que par Engie e.a.

50

À l’appui de son recours, le Grand-Duché de Luxembourg a fait valoir six moyens, tirés, le premier, d’une appréciation erronée, par la Commission, de la sélectivité des décisions fiscales anticipatives en cause, le deuxième, d’une violation de la notion d’« avantage », le troisième, d’une harmonisation fiscale déguisée menée par cette institution, en méconnaissance des articles 4 et 5 TUE, le quatrième, d’une violation des droits procéduraux, le cinquième, présenté à titre subsidiaire, d’une violation des principes généraux du droit de l’Union dans le cadre de la récupération des aides prétendument octroyées et, le sixième, d’une violation de l’obligation de motivation.

51

Pour leur part, Engie e.a. ont présenté huit moyens à l’appui de leur recours, dont six recoupaient ceux avancés par le Grand-Duché de Luxembourg. Engie e.a. soutenaient, en outre, que les décisions fiscales anticipatives en cause n’étaient pas imputables à l’État et que, en tout état de cause, la Commission les avait qualifiées à tort d’aides individuelles.

52

Par l’arrêt attaqué, après avoir joint les affaires T‑516/18 et T‑525/18 aux fins de celui-ci, le Tribunal a écarté l’ensemble des moyens soulevés dans ces recours et a rejeté ces derniers dans leur intégralité.

53

Tout d’abord, le Tribunal a rejeté les moyens tirés de ce que la Commission avait, en adoptant la décision litigieuse, procédé à une harmonisation fiscale déguisée, rappelant que, si la fiscalité directe relève, en l’état actuel du développement du droit de l’Union, de la compétence des États membres, ces derniers doivent néanmoins exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union.

54

Il a indiqué que, selon la jurisprudence, si des mesures fiscales opèrent, en fait, une discrimination entre des sociétés se trouvant dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ces mesures et confèrent aux bénéficiaires de celles-ci des avantages sélectifs qui favorisent « certaines » entreprises ou « certaines » productions, lesdites mesures pourront être considérées comme des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En conséquence, il a estimé que, la Commission étant compétente pour veiller au respect de l’article 107 TFUE, il ne pouvait lui être reproché d’avoir outrepassé ses compétences lorsqu’elle a examiné les décisions fiscales anticipatives en cause afin de vérifier si elles constituaient des aides d’État et, dans l’affirmative, si elles étaient compatibles avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

55

À cet égard, il a jugé que la Commission n’avait pas imposé sa propre interprétation du droit fiscal luxembourgeois lors de la démonstration de la sélectivité de ces décisions fiscales anticipatives, mais s’en était tenue à la présentation des dispositions de ce droit, s’appuyant non sur sa propre interprétation dudit droit, mais sur celle des autorités fiscales luxembourgeoises.

56

Ainsi qu’il ressort des points 138 à 153 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la Commission était en mesure, au titre du contrôle des mesures fiscales en matière d’aide d’État, d’apprécier elle-même les dispositions fiscales nationales, son appréciation pouvant, le cas échéant, être contestée par l’État membre concerné ou par d’éventuelles parties intéressées dans le cadre d’un recours en annulation devant le Tribunal. Selon ce dernier, la Commission ne pouvait, en l’espèce, que procéder à une appréciation de l’imposition qualifiée de « normale », au sens du droit fiscal luxembourgeois tel qu’appliqué par les autorités fiscales luxembourgeoises. Ce faisant, elle n’aurait donc procédé à aucune « harmonisation fiscale », mais aurait simplement exercé la compétence que lui confère l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

57

Ensuite, le Tribunal n’a pas jugé fondés les moyens tirés de l’existence d’erreurs de droit et d’erreurs d’appréciation dans l’identification d’un avantage sélectif en faveur du groupe Engie. Il a, notamment, écarté le moyen d’Engie e.a. tiré de ce que la Commission, confondant les critères de sélectivité et d’avantage, aurait déduit l’existence d’un tel avantage d’une prétendue dérogation non pas aux dispositions de droit commun visant à déterminer le revenu imposable, mais à un objectif qui aurait été d’imposer, en toutes circonstances, les bénéfices des sociétés assujetties à l’impôt sur les revenus. Il a considéré, à cet égard, que si, en principe, la sélectivité et l’avantage constituaient deux critères distincts, en matière fiscale, toutefois, l’examen de l’avantage et celui de la sélectivité coïncidaient, dans la mesure où ces deux critères impliquent de démontrer que la mesure fiscale contestée conduit à une réduction du montant de l’impôt qui aurait normalement été dû par le bénéficiaire de cette mesure en application du régime fiscal ordinaire, applicable aux autres contribuables se trouvant dans la même situation. La jurisprudence permettrait d’ailleurs d’examiner conjointement ces deux critères, en tant que « troisième condition » prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, portant sur l’existence d’un « avantage sélectif ».

58

En l’espèce, le Tribunal a indiqué, aux points 239 à 253 de l’arrêt attaqué, que la Commission s’était attachée à démontrer, indépendamment du bien-fondé de l’ensemble des raisonnements figurant dans la décision litigieuse, que les décisions fiscales anticipatives en cause conduisaient à une réduction du montant de l’impôt qui aurait été normalement dû, notamment, par les holdings concernées en application de régimes fiscaux ordinaires et que, par conséquent, ces mesures constituaient une dérogation aux règles fiscales applicables aux autres contribuables se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable. Or, eu égard à la nature fiscale desdites mesures, le Tribunal a jugé qu’il était conforme à la jurisprudence que la Commission apprécie simultanément les conditions tenant à l’octroi, au moyen de celles-ci, d’avantages présentant un caractère sélectif.

59

Par ailleurs, le Tribunal a rejeté les moyens respectifs du Grand-Duché de Luxembourg ainsi que d’Engie e.a. tirés de ce que la Commission avait réduit de manière erronée le cadre de référence aux dispositions applicables aux situations purement internes. Il a souligné, à cet égard, que la situation en cause était purement interne, puisque tant les holdings que les filiales et les intermédiaires concernés étaient établis au Luxembourg. Par suite, les situations fiscales de ces sociétés relevaient d’une seule et même autorité fiscale, ce qui excluait les risques de double imposition propres à l’application de régimes fiscaux différents et à l’intervention d’autorités fiscales différentes, qui peuvent exister dans le cas de distributions transfrontières.

60

Quant au cadre de référence lui-même, le Tribunal, aux points 288 à 301 de l’arrêt attaqué, n’a pas non plus retenu l’argumentation du Grand-Duché de Luxembourg ainsi que d’Engie e.a., aux termes de laquelle la définition d’un cadre de référence réduit aux seuls articles 164 et 166 de la LIR procédait d’une lecture combinée erronée de ces deux dispositions. Les requérants soutenaient, en particulier, d’une part, qu’un ZORA n’implique pas de distribution de bénéfices, au sens du premier de ces articles, et, d’autre part, que le second desdits articles ne peut être interprété comme conditionnant le bénéfice de l’exonération au niveau d’une société mère à l’absence de déduction fiscale au niveau de la filiale des revenus générés durant le ZORA. Le Tribunal, en premier lieu, tout en reconnaissant que l’article 166 de la LIR ne subordonne pas formellement l’octroi de l’exonération des revenus de participations au niveau d’une société mère à l’imposition préalable des bénéfices distribués au niveau de sa filiale, a considéré, néanmoins, que l’octroi d’une telle exonération ne pouvait être envisagé que si les revenus distribués par une filiale avaient été préalablement imposés, sauf à envisager l’hypothèse, dans une situation purement interne, d’une double non-imposition de bénéfices. En second lieu, tout en admettant également que les accrétions sur ZORA ne sont pas, formellement, des distributions de bénéfices, le Tribunal a estimé, au point 300 de l’arrêt attaqué, que les revenus de participations exonérés au niveau de LNG Holding correspondaient, en substance, au montant de ces accrétions, de telle sorte que ces dernières correspondaient matériellement, « dans les circonstances très particulières de l’espèce et en considération du montage sociétaire impliquant une holding, une société intermédiaire et une filiale, à des distributions de bénéfices ».

61

Le Grand-Duché de Luxembourg et Engie e.a. ont soutenu, premièrement, que l’article 164 de la LIR ne régit en droit luxembourgeois que les distributions de bénéfices, et non le ZORA, lequel est successivement une dette puis un capital, et qu’aucun lien direct et évident entre la déductibilité des accrétions sur ZORA, au niveau des filiales, et l’exonération des revenus de participations, au niveau des holdings concernées, n’existait en l’espèce, deuxièmement, que l’augmentation de valeur des ZORA était incertaine lorsque ceux-ci ont été émis, troisièmement, que les articles 164 et 166 de la LIR, pris isolément, ont été correctement appliqués par les autorités fiscales luxembourgeoises, quatrièmement, que la Commission n’a pas démontré que les décisions fiscales anticipatives en cause violaient ces deux dispositions prises isolément et, cinquièmement, que la Commission n’a pas établi l’existence d’un traitement préférentiel du groupe Engie au niveau des holdings concernées.

62

À cet égard, premièrement, il a indiqué que, en l’espèce, le revenu que LNG Holding avait retiré de l’application du contrat à terme prépayé correspondait, en réalité, d’un point de vue économique, au montant des accrétions sur ZORA réalisées avant la conversion partielle de ce ZORA. Il a relevé que, si la déductibilité des accrétions sur ZORA au niveau des filiales est, formellement, une opération distincte de l’exonération des revenus de participations au niveau des holdings, un lien direct unit, en fait, ces deux opérations, de telle sorte que la Commission avait pu considérer à juste titre que l’administration fiscale luxembourgeoise avait dérogé au cadre de référence restreint aux dispositions des articles 164 et 166 de la LIR.

63

Deuxièmement, le Tribunal a considéré, quant à la valeur incertaine d’un ZORA au jour de son émission ainsi qu’au moment de l’adoption des décisions fiscales anticipatives en cause, qu’une mesure peut constituer une aide d’État, au sens de l’article 107 TFUE, quand bien même aucun avantage sélectif ne se serait matérialisé au jour de l’adoption de cette mesure. Il a estimé que l’absence de matérialisation d’un tel avantage faisait obstacle non pas à la qualification de ladite mesure en tant qu’aide d’État, mais uniquement à la récupération de cette aide. En l’occurrence, la circonstance que, au jour de l’adoption des ZORA, la réalisation de profits par les filiales concernées demeurait aléatoire ne permettrait d’exclure ni l’existence d’un avantage sélectif octroyé aux holdings ni celle d’une dérogation, par l’administration fiscale luxembourgeoise, à ce cadre de référence restreint.

64

Troisièmement, le Tribunal a jugé qu’il existait un lien, en droit luxembourgeois, entre l’exonération des revenus de participations au niveau d’une société mère et la déductibilité des revenus distribués au niveau de sa filiale. Il a considéré qu’une telle exonération ne pouvait être appliquée sans qu’il fût vérifié au préalable si les revenus correspondants avaient été imposés au niveau de la filiale. En l’espèce, les revenus de participations perçus par LNG Holding, société mère, correspondant, d’un point de vue économique, aux accrétions sur ZORA n’auraient pu normalement être exonérés, dans la mesure où ces accrétions ont été déduites en tant que charges par LNG Supply, sa filiale. Le Tribunal en a déduit que c’est à juste titre que la Commission avait pu considérer que la déductibilité d’un revenu au niveau de la filiale et son exonération ultérieure au niveau de la société mère dérogeaient au cadre de référence restreint aux articles 164 et 166 de la LIR.

65

Quatrièmement, il a estimé que, contrairement à ce que prétendait, en l’espèce, le Grand-Duché de Luxembourg, l’existence d’une dérogation à ce cadre de référence devait être appréciée non pas au regard des articles 164 et 166 de la LIR pris isolément, mais à la lumière d’une lecture combinée de ces dispositions.

66

Cinquièmement, le Tribunal a répondu à l’argument selon lequel la Commission n’aurait pas établi l’existence d’un traitement préférentiel du groupe Engie au niveau des holdings concernées alors qu’elle aurait dû identifier des caractéristiques propres et spécifiques aux entreprises bénéficiaires des décisions fiscales anticipatives, permettant de les distinguer des entreprises qui en auraient été exclues. Il a rappelé dans ce contexte que la condition relative à la sélectivité est remplie lorsque la Commission parvient à démontrer qu’une mesure nationale conférant un avantage fiscal déroge au régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, introduisant ainsi, par ses effets concrets, un traitement différencié entre des opérateurs qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime fiscal, dans une situation factuelle et juridique comparable. De plus, selon la jurisprudence, une mesure fiscale pourrait être sélective alors même que toute entreprise pourrait librement faire le choix de réaliser l’opération conditionnant l’octroi de l’avantage que prévoit cette mesure. Or, en l’espèce, selon le raisonnement du Tribunal figurant aux points 304 à 381 de l’arrêt attaqué, la Commission a démontré, à suffisance de droit, que les holdings concernées bénéficiaient d’un traitement fiscal préférentiel par rapport à toute société mère susceptible de percevoir des revenus de participations n’ayant pas fait l’objet d’une imposition au moment de leur distribution. La circonstance que d’autres holdings que CEF et LNG Holding aient bénéficié de décisions fiscales anticipatives identiques serait, tout au plus, un indice d’un éventuel régime d’aides, et non de l’absence de discrimination.

67

À titre surabondant, le Tribunal a estimé, au point 383 de l’arrêt attaqué, qu’il était opportun d’examiner la sélectivité des décisions fiscales anticipatives en cause au regard du cadre de référence comprenant l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, relatif à l’abus de droit, eu égard au caractère inédit du raisonnement adopté à cet égard par la Commission. Le Tribunal a considéré, en premier lieu, que, contrairement à ce que faisait valoir le Grand-Duché de Luxembourg, la Commission avait, dès la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, insisté sur la non-application de cette disposition par les autorités luxembourgeoises et, ultérieurement, invité le Grand-Duché de Luxembourg et le groupe Engie à présenter des observations complémentaires sur ce point. Il a relevé, en deuxième lieu, que même si l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale ne soulevait, en l’espèce, aucune difficulté d’interprétation, la Commission s’était référée à la pratique tant administrative que juridictionnelle luxembourgeoise. Il a estimé, en troisième lieu, que les critères à respecter pour constater, en droit luxembourgeois, un abus de droit étaient, en l’espèce, remplis. Il en a déduit que la Commission avait démontré, à suffisance de droit, que l’administration fiscale luxembourgeoise avait dérogé au cadre de référence comprenant l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale.

68

Le Tribunal a également rejeté les autres moyens des recours.

III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties aux pourvois

A. L’affaire C‑451/21 P

69

Par son pourvoi, le Grand-Duché de Luxembourg demande à la Cour :

d’annuler l’arrêt attaqué ;

à titre principal, de statuer définitivement sur le fond et de faire droit à ses conclusions de première instance en annulant la décision litigieuse ;

à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

de condamner la Commission aux dépens.

70

La Commission demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi et

de condamner le Grand-Duché de Luxembourg aux dépens.

71

Par ordonnance du président de la Cour du 11 octobre 2021, Luxembourg/Commission (C‑451/21 P, EU:C:2021:858), un traitement confidentiel a été réservé, à l’égard de l’Irlande, partie intervenante en première instance, aux informations occultées dans la version non confidentielle du pourvoi et des annexes 2, 3 et 11 de celui-ci, déposée au greffe de la Cour par le Grand-Duché de Luxembourg le 2 août 2021, seule cette version non confidentielle ayant être signifiée à l’Irlande.

B. L’affaire C‑454/21 P

72

Par leur pourvoi, Engie e.a. demandent à la Cour :

d’annuler l’arrêt attaqué ;

à titre principal, de faire droit à leurs conclusions de première instance ou, à titre subsidiaire, d’annuler l’article 2 de la décision litigieuse en ce qu’il y est ordonné de procéder à la récupération de l’aide ;

à titre plus subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

de condamner la Commission aux dépens.

73

La Commission demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi et

de condamner Engie e.a. aux dépens.

IV. Sur les pourvois

74

Compte tenu de leur connexité, il y a lieu de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 54, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

A. Sur la recevabilité

75

La Commission fait valoir, sans présenter formellement d’exception d’irrecevabilité, premièrement, que le premier moyen dans l’affaire C‑451/21 P et le deuxième moyen dans l’affaire C‑454/21 P, par lesquels le Grand-Duché de Luxembourg et Engie e.a. font respectivement grief au Tribunal d’avoir retenu un cadre de référence erronément réduit aux seuls articles 164 et 166 de la LIR et d’avoir à tort étendu ce cadre de référence à l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, afin de déterminer l’existence d’un avantage sélectif, sont irrecevables. Selon la Commission, ces moyens, qui n’auraient été présentés pour la première fois qu’au stade des pourvois, modifieraient l’objet du litige devant le Tribunal. La Commission soutient, deuxièmement, que le deuxième moyen dans l’affaire C‑451/21 P ainsi que les premier et deuxième moyens dans l’affaire C‑454/21 P sont également irrecevables en ce que les parties y remettent en question les appréciations par le Tribunal du droit luxembourgeois, lesquelles constitueraient des appréciations de faits et ne pourraient donc être examinées dans le cadre d’un pourvoi, en l’absence de dénaturation de ce droit.

76

À cet égard, il importe de rappeler que la compétence de la Cour statuant sur un pourvoi formé contre une décision rendue par le Tribunal est définie par l’article 256, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE. Celui-ci indique que le pourvoi doit être limité aux questions de droit et qu’il doit s’inscrire « dans les conditions et limites prévues par le statut ». Dans une liste énumérative des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre, l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne précise que le pourvoi peut être fondé sur la violation du droit de l’Union par le Tribunal (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 46).

77

Certes, en principe, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de faits, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 82 ainsi que jurisprudence citée). La Cour ne saurait cependant être privée de la possibilité de contrôler si de telles appréciations ne constituent pas elles-mêmes une violation du droit de l’Union au sens de la jurisprudence citée au point 76 du présent arrêt.

78

Or, la question de savoir si le Tribunal a délimité de manière appropriée le cadre de référence pertinent et, par extension, a interprété de manière correcte les dispositions le composant, est une question de droit susceptible de faire l’objet du contrôle de la Cour au stade du pourvoi. En effet, les arguments tendant à remettre en cause le choix du cadre de référence ou sa signification dans la première étape de l’analyse de l’existence d’un avantage sélectif sont recevables, puisque cette analyse procède d’une qualification juridique du droit national sur la base d’une disposition du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 85 ainsi que jurisprudence citée).

79

Admettre que la Cour ne soit pas en mesure de déterminer si c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a fait siennes la délimitation du cadre de référence pertinent, son interprétation et son application en tant que paramètre décisif aux fins de l’examen de l’existence d’un avantage sélectif reviendrait à accepter la possibilité que le Tribunal ait, le cas échéant, commis une violation d’une disposition du droit primaire de l’Union, à savoir l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sans que cette violation puisse être sanctionnée dans le cadre du pourvoi, ce qui contreviendrait à l’article 256, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE, comme cela a été souligné au point 76 du présent arrêt.

80

Il y a donc lieu de considérer que, en invitant la Cour à contrôler, d’une part, si la limitation par la Commission du cadre de référence aux seuls articles 164 et 166 de la LIR ou son extension à l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, telles qu’approuvées par le Tribunal, et, d’autre part, si la signification donnée à ces dispositions tant par la Commission que par le Tribunal correspondaient à une interprétation et à une application de ces dernières permettant de définir une imposition normale, aux fins de l’analyse tenant à l’existence d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le Grand-Duché de Luxembourg et Engie e.a. ont présenté des moyens qui, contrairement à ce que soutient la Commission, sont recevables.

B. Sur le fond

81

À l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑451/21 P, le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir quatre moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 107 TFUE en ce que le Tribunal a jugé que la Commission avait établi l’existence d’un avantage sélectif conféré aux holdings au moyen des décisions fiscales anticipatives en cause au regard du cadre de référence composé des articles 164 et 166 de la LIR, le deuxième, de la violation de l’article 107 TFUE en ce que le Tribunal a jugé que la Commission avait établi l’existence d’un avantage sélectif conféré au groupe Engie au moyen des décisions fiscales anticipatives en cause du fait de l’absence de mise en œuvre de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, le troisième, de la violation des articles 4 et 5 TUE et, le quatrième, de la violation, par le Tribunal, de l’obligation de motivation lui incombant en application de l’article 296 TFUE.

82

À l’appui de leur pourvoi dans l’affaire C‑454/21 P, Engie e.a. invoquent trois moyens, tirés, le premier, d’erreurs de droit et de dénaturations des faits commises par le Tribunal dans le contrôle de légalité de la définition du cadre de référence composé des articles 164 et 166 de la LIR, le deuxième, d’erreurs de droit et de dénaturations des faits qu’il aurait commises en approuvant la démonstration par la Commission de l’existence d’un avantage sélectif au regard de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale et, le troisième, de la violation par le Tribunal des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité du droit fiscal.

1.   Sur le premier moyen des pourvois

a)   Argumentation des parties

83

Le premier moyen dans l’affaire C‑451/21 P est composé de deux branches.

84

Par la première branche de ce moyen, le Grand-Duché de Luxembourg fait, notamment, valoir, en premier lieu, qu’il ressort de la jurisprudence que, en matière fiscale, l’existence d’un avantage sélectif ne peut être déterminée que par rapport à une imposition dite « normale ». Or, en faisant sienne l’analyse de la Commission, le Tribunal aurait réduit artificiellement le cadre de référence servant à cette comparaison à deux dispositions, dont l’une, comme le reconnaîtrait d’ailleurs expressément le Tribunal, ne serait pas applicable au cas d’espèce. Cette analyse ferait abstraction d’autres dispositions concernant la détermination du bénéfice commercial des sociétés, alors que la jurisprudence interdirait, à cet égard, à la Commission de se fonder sur un cadre de référence constitué de quelques dispositions qui ont été artificiellement sorties d’un cadre législatif plus large.

85

En second lieu, le Tribunal aurait confirmé une interprétation contra legem des règles fiscales en cause. En effet, alors qu’il reconnaîtrait lui‑même, d’une part, que l’article 166 de la LIR ne subordonne pas formellement l’octroi de l’exonération des revenus de participations au niveau de la société mère à l’imposition préalable des bénéfices distribués au niveau de la filiale et, d’autre part, que les accrétions sur ZORA ne sont pas formellement des distributions de bénéfices, au sens de l’article 164 de la LIR, il aurait néanmoins estimé que la Commission n’avait pas commis d’erreur de droit en ayant constaté qu’il existait un lien entre ces articles et en ayant considéré que cette exonération était uniquement applicable à des revenus non déduits des revenus imposables de la filiale.

86

Ce faisant, le Tribunal aurait défini de manière incorrecte le cadre de référence, aurait procédé à une qualification juridique des faits erronée et aurait manifestement dénaturé le droit luxembourgeois. La Commission et le Tribunal auraient, en définissant ce cadre de référence, ajouté une condition à celles alors posées par l’article 166 de la LIR. Ils auraient également étendu le champ d’application de l’article 164, paragraphe 2, de la LIR, puisque les accrétions sur ZORA ne constitueraient pas des distributions de bénéfices et ne seraient donc pas couvertes par cet article, alors qu’elles seraient déductibles en tant que charges.

87

Le raisonnement de la Commission et du Tribunal méconnaîtrait l’article 107 TFUE ainsi que les principes de légalité de l’impôt et de l’interprétation stricte des lois fiscales, qui caractériseraient le droit fiscal luxembourgeois comme le droit de l’Union.

88

Le Grand-Duché de Luxembourg se déclare surpris que le Tribunal se soit référé au courrier du 31 janvier 2018 qu’il avait, lors de la procédure administrative, adressé à la Commission (ci-après le « courrier du 31 janvier 2018 »). Cet État membre soutient en effet que ce courrier ne confirme en rien, contrairement à ce qu’aurait affirmé le Tribunal en citant, hors de son contexte, un passage dudit courrier, l’existence d’un lien entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de celle-ci. La lecture du même courrier ferait, notamment, ressortir que ces articles ont des « champs d’application différents ». Le Tribunal ignorerait, par son raisonnement, que le texte de la LIR est clair et ne doit donc pas être interprété au-delà ou en deçà des termes qui y figurent.

89

De même, l’avis du 2 avril 1965 du Conseil d’État (Luxembourg) (ci‑après l’« avis du Conseil d’État de 1965 »), relatif à la disposition ayant précédé, en droit luxembourgeois, l’article 166 de la LIR, auquel le Tribunal se serait également référé, ne ferait aucunement mention d’une condition d’imposition préalable des bénéfices distribués pour l’application du régime d’exonération.

90

Le cadre de référence approuvé par le Tribunal serait donc non seulement incomplet, compte tenu des dispositions qu’il exclut de son champ d’application, mais également fictif, en ce qu’il y serait postulé l’existence d’un lien entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de celle-ci.

91

Par la seconde branche du premier moyen, le Grand-Duché de Luxembourg soutient, en premier lieu, que les prémisses sur lesquelles repose le constat d’une dérogation au cadre de référence composé des articles 164 et 166 de la LIR sont erronées, puisque, d’une part, il n’existerait pas de lien entre l’exonération des revenus de participations au niveau d’une société mère et la déductibilité des revenus distribués au niveau de sa filiale et, d’autre part, les accrétions sur ZORA ne seraient pas, formellement, des distributions de bénéfices, ainsi que l’aurait d’ailleurs reconnu le Tribunal. En confirmant de manière inédite une approche fondée sur une « correspondance matérielle » entre ces dispositions, le Tribunal se serait écarté du texte clair de la loi fiscale luxembourgeoise et aurait méconnu l’exigence, rappelée par la jurisprudence de la Cour, que l’existence d’une aide éventuelle soit appréciée au regard des dispositions pertinentes du droit national.

92

En deuxième lieu, le Tribunal aurait commis des erreurs de droit en se fondant sur l’existence d’une dérogation au cadre de référence découlant de l’effet combiné de dispositions générales. Il ne contesterait pas que les articles 164 et 166 de la LIR ont été appliqués correctement ni n’estimerait que ces articles sont discriminatoires en tant que tels. Cependant, en se fondant sur l’effet combiné de ces dispositions et en se référant à la « réalité économique et fiscale » des opérations réalisées, il aurait rejeté ce qu’il a qualifié d’« approche formaliste », afin de « dépasser les apparences juridiques ».

93

En troisième lieu, le Tribunal aurait commis des erreurs de droit quant à l’exigence de démonstration d’une discrimination par rapport à des entreprises se trouvant dans une situation comparable à celle du groupe Engie. En particulier, il aurait reconnu que le système de financement mis en œuvre par ce groupe aurait été « ouvert à tous » et que d’autres entreprises pouvaient légalement obtenir une application des normes fiscales analogue à celle dont a bénéficié ledit groupe.

94

En quatrième lieu, il aurait également erré en droit en considérant comme sélectives au sens de l’article 107 TFUE des mesures individuelles d’application d’un dispositif fiscal général, dont il n’aurait pas remis en cause la légalité pas plus qu’il n’aurait contesté la possibilité pour tous d’accéder au système de financement utilisé par le groupe Engie. Il aurait donc considéré comme sélectif le traitement fiscal accordé à ce groupe au moyen des décisions fiscales anticipatives en cause, alors même que ce traitement aurait résulté de l’application non sélective de règles nationales elles-mêmes non sélectives.

95

Le premier moyen dans l’affaire C‑454/21 P comporte quatre branches. Les deuxième à quatrième branches de ce moyen, portant, respectivement, sur l’erreur de droit et la dénaturation des faits concernant le lien entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de celle‑ci, sur l’erreur de droit et l’erreur manifeste d’appréciation que le Tribunal aurait commises en considérant les accrétions sur ZORA comme des distributions de bénéfices, et sur l’erreur de droit et l’erreur manifeste d’appréciation qu’il aurait également faites en considérant que les décisions fiscales anticipatives en cause conféraient un avantage sélectif correspondent, en substance, aux arguments figurant dans le premier moyen du pourvoi dans l’affaire C‑451/21 P.

96

Engie e.a. soulignent, en particulier, que le lien de dépendance entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de celle-ci sur lequel s’est fondé le Tribunal ne résulte ni de la loi, ni de la jurisprudence, ni de la pratique administrative. Le Tribunal aurait, d’ailleurs, reconnu que le second de ces articles ne subordonnait pas formellement l’octroi de l’exonération des revenus de participations au niveau d’une société mère à l’imposition préalable des bénéfices distribués au niveau de sa filiale. L’appréciation du Tribunal contredirait non seulement la lettre desdits articles, mais aussi la pratique fiscale luxembourgeoise, telle que décrite par le Grand-Duché de Luxembourg dans le courrier du 31 janvier 2018. Ce faisant, le Tribunal aurait méconnu le principe constitutionnel de légalité de l’impôt et dénaturé la réponse figurant dans ce courrier, ainsi que l’avis du Conseil d’État de 1965.

97

Le Tribunal aurait également ignoré la qualification juridique des ZORA, qui seraient des instruments convertibles répondant à deux définitions successives, d’abord celle d’une dette, puis celle d’un capital, qualification qui serait pourtant essentielle pour déterminer le traitement fiscal de chaque assujetti. Cela constituerait une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, car la prise en compte des effets économiques d’une mesure donnée ne devrait intervenir qu’au stade de la démonstration d’une dérogation aux dispositions fiscales constituant le cadre de référence, ce dernier ne pouvant être défini qu’en fonction de la nature des instruments en cause et des dispositions fiscales nationales pertinentes.

98

La Commission conteste le premier moyen de chacun des pourvois.

99

Elle fait, notamment, valoir qu’elle n’a pas artificiellement défini le cadre de référence restreint aux articles 164 et 166 de la LIR. Elle rappelle, au demeurant, qu’elle a retenu, à titre principal, un premier cadre de référence plus large, correspondant au système luxembourgeois d’imposition des sociétés. Dans ce cadre plus large, les exonérations prévues à l’article 166 de la LIR constitueraient, selon la Commission, des dérogations par rapport au principe général d’imposition, tandis que tel ne serait plus le cas au vu du cadre de référence restreint aux articles 164 et 166 de cette loi. Néanmoins, le lien entre ces articles serait évident. Certes, il serait exact que l’article 166 de la LIR ne comporte pas de référence explicite à l’article 164, paragraphe 2, de cette loi. Toutefois, cela ne serait pas déterminant et il importerait de vérifier si ces dispositions forment un système et d’examiner le lien logique qui les unit.

100

En outre, une interprétation littérale ne serait pas la seule interprétation possible de la loi fiscale. À ce sujet, la Commission rappelle que le groupe Engie a lui-même qualifié les bénéfices résultant de l’annulation d’actions de distribution de bénéfices. Quant au courrier du 31 janvier 2018, la phrase citée par le Tribunal au point 295 de l’arrêt attaqué figurerait bien dans ce courrier et serait dépourvue d’ambiguïté. La Commission admet, cependant, que les autorités luxembourgeoises font aussi valoir dans ledit courrier que l’article 166 de la LIR doit recevoir une interprétation littérale, qu’il doit trouver application dès que les conditions qu’il pose sont remplies et, enfin, que les dispositions de l’article 164 de cette loi ne sont pas une condition sine qua non à l’application du régime d’exonération des participations consacré à l’article 166 de ladite loi.

101

Au demeurant, le courrier du 31 janvier 2018 ne serait que l’un des éléments utilisés par la Commission et par le Tribunal pour établir le lien entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de de celle-ci, au même titre que l’avis du Conseil d’État de 1965.

102

S’agissant de la correspondance économique entre la déductibilité des accrétions sur ZORA au niveau des filiales et l’exonération au niveau des holdings des revenus de participations, le Tribunal, conformément à la jurisprudence selon laquelle les aides d’État doivent être appréhendées en fonction de leurs effets et non de leur forme, se serait borné à opposer l’apparence juridique des transactions en cause à leur réalité économique, soulignant que leur séparation formelle ne pouvait occulter le lien réel les unissant.

103

Enfin, le reproche fait à la Commission de ne pas avoir identifié d’autres sociétés que celles du groupe Engie ayant été destinataires de décisions fiscales anticipatives pour des montages comparables ne serait manifestement pas fondé à la lecture des considérants 205 et 215 de la décision litigieuse.

b)   Appréciation de la Cour

1) Observations liminaires

104

Selon une jurisprudence constante de la Cour, les interventions des États membres dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation en droit de l’Union ne sont pas exclues du champ d’application des dispositions du traité FUE relatives au contrôle des aides d’État. Les États membres doivent ainsi s’abstenir d’adopter toute mesure fiscale susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 65 ainsi que jurisprudence citée).

105

À cet égard, il résulte d’une jurisprudence bien établie de la Cour que la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 66 ainsi que jurisprudence citée).

106

En ce qui concerne la condition relative à l’avantage sélectif, celle-ci impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

107

Afin de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le système de référence, à savoir le régime fiscal « normal » applicable dans l’État membre concerné, et démontrer, dans un deuxième temps, que la mesure fiscale en cause déroge à ce système de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce dernier, dans une situation factuelle et juridique comparable. La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer, dans un troisième temps, que cette différenciation est justifiée, en ce sens qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel ces mesures s’inscrivent (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 68 ainsi que jurisprudence citée).

108

Comme cela a été souligné aux points 78 et 79 du présent arrêt, la détermination du cadre de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale ».

109

Ainsi, la détermination de l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l’objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

110

Aux fins de l’appréciation du caractère sélectif d’une mesure fiscale, il importe donc que le régime fiscal commun ou système de référence applicable dans l’État membre concerné soit correctement identifié dans la décision de la Commission et examiné par le juge saisi d’une contestation portant sur cette identification. La détermination du système de référence constituant le point de départ de l’examen comparatif devant être mené dans le contexte de l’appréciation de la sélectivité, une erreur commise dans cette détermination vicie nécessairement l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 71 ainsi que jurisprudence citée).

111

Dans ce contexte, il convient, en premier lieu, de préciser que la détermination du cadre de référence, qui doit être effectuée à l’issue d’un débat contradictoire avec l’État membre concerné, doit découler d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national de cet État (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 72 ainsi que jurisprudence citée).

112

En second lieu, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe et dans le respect de son autonomie fiscale, les caractéristiques constitutives de l’impôt, lesquelles définissent, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal », à partir duquel il convient d’analyser la condition relative à la sélectivité. Il en va, notamment, ainsi de la détermination de l’assiette de l’impôt, de son fait générateur et des éventuelles exonérations dont il est assorti (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 73 ainsi que jurisprudence citée).

113

Il s’ensuit que seul le droit national applicable dans l’État membre concerné doit être pris en compte en vue d’identifier le système de référence en matière de fiscalité directe, cette identification étant elle‑même un préalable indispensable, en vue d’apprécier non seulement l’existence d’un avantage, mais aussi le point de savoir si celui-ci revêt un caractère sélectif (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 74).

114

Cette conclusion est toutefois sans préjudice de la possibilité de constater, comme cela a été le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732), que le cadre de référence lui-même, tel qu’il découle du droit national, est incompatible avec le droit de l’Union en matière d’aides d’État, dès lors que le système fiscal en cause a été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires, destinés à contourner ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2021, Commission/Hongrie, C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 49).

2) Sur l’existence d’erreurs de droit et d’une dénaturation des faits dans la détermination du cadre de référence restreint aux articles 164 et 166 de la LIR

115

Afin de déterminer ce qu’aurait dû être, selon le droit luxembourgeois, une imposition normale et, partant, l’existence d’un avantage sélectif au profit du groupe Engie, la Commission a procédé, comme il a été exposé aux points 31 à 40 du présent arrêt, à une interprétation de ce droit fondée, notamment, sur l’assertion selon laquelle le système général d’imposition des sociétés au Luxembourg, prévoyant le principe de la taxation des revenus de ces dernières, ne permettait pas, dans le cas du groupe Engie, d’exonérer au niveau des holdings les revenus de participations en application de l’article 166 de la LIR et sur le fait que la lecture combinée des articles 164 et 166 de cette loi s’opposait à l’application concomitante d’une exonération de ces revenus au niveau de ces holdings et d’une déduction des sommes correspondantes au niveau des filiales. Dans le cadre d’un raisonnement présenté à titre subsidiaire, elle a estimé que cette application concomitante aurait dû être écartée en vertu de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale.

116

Partant, pour apprécier le caractère sélectif des mesures en cause à l’aune de la LIR, il incombait au Tribunal de vérifier si l’exonération des revenus correspondant aux accrétions sur ZORA, accordée en vertu de ces mesures au niveau des holdings, dérogeait aux dispositions pertinentes de la LIR dans le cadre des différentes voies de raisonnement retenues par la Commission dans la décision litigieuse et contestées par le Grand-Duché de Luxembourg et Engie e.a.

117

Par leur premier moyen, le Grand-Duché de Luxembourg ainsi que Engie e.a. contestent l’appréciation du Tribunal par laquelle il a confirmé le bien-fondé de la deuxième voie de raisonnement de la Commission, selon laquelle l’interprétation des articles 164 et 166 de la LIR conduisait à considérer que le traitement fiscal des ZORA du groupe Engie, au moyen des décisions fiscales anticipatives en cause, dérogeait à l’application « normale » de ces dispositions, conférant ainsi à ce groupe un avantage sélectif.

118

À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 112 du présent arrêt, c’est l’État membre concerné qui, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe et dans le respect de son autonomie fiscale, les caractéristiques constitutives de l’impôt, telles que l’assiette de ce dernier, son fait générateur et les éventuelles exonérations dont il est assorti, caractéristiques qui définissent, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal ».

119

De surcroît, le principe de légalité de l’impôt, qui fait partie de l’ordre juridique de l’Union en tant que principe général du droit, exige que toute obligation de paiement d’un impôt ainsi que tous les éléments essentiels qui définissent les caractéristiques fondamentales de celui-ci soient prévus par la loi, le contribuable devant être en mesure de prévoir et de calculer le montant de l’impôt dû et de déterminer à quel moment il sera exigible (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Związek Gmin Zagłębia Miedziowego, C‑566/17, EU:C:2019:390, point 39).

120

Il s’ensuit que, lors de la détermination du cadre de référence en vue de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE à des mesures fiscales, la Commission est en principe tenue d’accepter l’interprétation des dispositions pertinentes du droit national donnée par l’État membre concerné dans le cadre du débat contradictoire visé au point 111 du présent arrêt, pour autant que cette interprétation soit compatible avec le libellé de ces dispositions.

121

La Commission ne peut s’écarter de ladite interprétation que si elle est en mesure d’établir qu’une autre interprétation prévaut dans la jurisprudence ou la pratique administrative de cet État membre, en se fondant à cet égard sur des éléments fiables et concordants, soumis à ce débat contradictoire.

122

Conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE, ledit État membre est tenu par un devoir de coopération loyale pendant toute la procédure relative à l’examen d’une mesure au titre des dispositions du droit de l’Union en matière d’aides d’État (arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 83 ainsi que jurisprudence citée). Ce devoir implique, notamment, que le même État membre fournisse de bonne foi à la Commission toute information pertinente sollicitée par cette dernière concernant l’interprétation des dispositions du droit national pertinentes aux fins de déterminer le cadre de référence, résultant de la jurisprudence ou de la pratique administrative nationales.

123

En l’espèce, s’agissant du traitement fiscal d’instruments financiers tels que les ZORA, le Tribunal a indiqué, d’une part, au point 292 de l’arrêt attaqué, que l’article 166 de la LIR « ne subordonn[ait] pas formellement l’octroi de l’exonération des revenus de participations au niveau d’une société mère à l’imposition préalable des bénéfices distribués au niveau de sa filiale », à la suite de la Commission qui, au considérant 218 de la décision litigieuse, avait considéré qu’il n’y avait « aucun lien expressément établi entre l’article 166 [de la] LIR et l’article 164, paragraphes 1 et 2, [de la] LIR » et, d’autre part, au point 300 de l’arrêt attaqué, que « les accrétions sur ZORA ne sont pas, formellement, des distributions de bénéfices ».

124

Le Tribunal s’est donc écarté d’une interprétation littérale de ces dispositions. Confirmant l’approche de la Commission, il a, dans un premier temps, considéré que l’exonération des revenus de participations d’une holding ne pouvait être envisagée, en droit luxembourgeois, que si les revenus distribués par sa filiale avaient été préalablement imposés.

125

Il s’est appuyé à cet égard, aux points 295 et 296 de l’arrêt attaqué, sur deux éléments retenus par la Commission dans la décision litigieuse. Il s’agit, d’une part, du courrier du 31 janvier 2018, lequel serait « dépourv[u] de toute ambiguïté », dès lors que le Grand-Duché de Luxembourg y aurait admis que « toutes les participations dont les revenus p[ouvai]ent bénéficier du régime d’exonération au titre de l’article 166 [de la] LIR [étaie]nt aussi couvertes par les dispositions de l’article 164 [de la] LIR ». Le Tribunal s’est référé, d’autre part, à l’avis du Conseil d’État de 1965 sur le projet de loi incorporant l’article 166 dans la LIR, dans lequel celui-ci aurait souligné que cette disposition permettait, « pour des raisons d’équité fiscale et d’ordre économique », d’éviter la double ou la triple imposition des revenus distribués, mais non, en substance, d’éviter toute imposition desdits revenus.

126

Le Tribunal a, dans un second temps, estimé qu’il y avait lieu de délaisser l’approche formaliste consistant à prendre isolément chacune des opérations composant le montage financier élaboré par les sociétés concernées et de dépasser les apparences juridiques pour appréhender la réalité économique et fiscale de ce montage, ce qui l’a amené à juger, au point 312 de l’arrêt attaqué, que les accrétions sur ZORA correspondaient matériellement, « dans les circonstances très particulières de l’espèce, à des distributions de bénéfices ».

127

C’est ainsi que, après avoir rappelé, aux points 340 à 342 de l’arrêt attaqué, l’existence d’un lien, en droit luxembourgeois, entre l’exonération des revenus des participations au niveau d’une société mère et la déductibilité des revenus distribués au niveau de sa filiale, le Tribunal a conclu, au point 343 de cet arrêt, que, « en raison dudit lien et de l’appréhension au niveau des [...] holdings concernées de l’effet combiné de ces deux opérations, les [décisions fiscales anticipatives] en cause dérog[eai]ent au cadre de référence » composé des articles 164 et 166 de la LIR. Il s’ensuivrait, selon l’analyse du Tribunal figurant aux points 344 et 345 du même arrêt, premièrement, que la Commission a pu, à juste titre, déduire de cet effet combiné, aux considérants 208 et 209 de la décision litigieuse, qu’il existait une dérogation à ce cadre de référence et, deuxièmement, que cette institution n’avait commis aucune erreur de droit en appréhendant, au niveau des holdings, l’effet combiné de la déductibilité d’un revenu au niveau d’une filiale et de son exonération ultérieure au niveau de sa société mère.

128

Or, les éléments sur lesquels le Tribunal a pris appui, rappelés au point 125du présent arrêt, ne lui permettaient pas de constater valablement que, conformément aux principes exposés aux points 120 à 122 de cet arrêt, la Commission avait pu établir à suffisance de droit que, s’agissant de la question de la subordination de l’exonération prévue à l’article 166 de la LIR à l’imposition, au niveau des filiales, du revenu exonéré au niveau des holdings, prévalait en droit luxembourgeois une interprétation autre que celle avancée par le Grand‑Duché de Luxembourg, cette dernière étant compatible avec le libellé de cette disposition qui ne prévoit pas formellement une telle subordination.

129

À cet égard, il importe de relever que, concernant le courrier du 31 janvier 2018, comme le soutiennent Engie e.a., c’est au prix d’une dénaturation des termes de ce dernier que le Tribunal a considéré, au point 295 de l’arrêt attaqué, que le lien de conditionnalité entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de celle-ci, tenant à une imposition préalable des revenus au niveau de l’entité distributrice en vue de bénéficier de l’exonération prévue à cette dernière disposition, ressortait expressément de la réponse du Grand-Duché de Luxembourg. En effet, c’est manifestement en sortant de son contexte la phrase de ce courrier citée à ce point que le Tribunal en a déduit, à la suite de la Commission, l’existence d’un tel lien. Cette appréciation est inconciliable avec d’autres passages dudit courrier, dans lesquels cet État membre a indiqué que ladite disposition « n’impose pas que les revenus de participations soient préalablement imposés pour bénéficier du régime d’exonération prévu », que les articles 164 et 166 de la LIR ne doivent pas recevoir une application « conjointe », et que « les dispositions de l’article 164 [de la] LIR ne constituent pas une condition sine qua non à l’application du régime d’exonération des revenus de participation tel que consacré à l’article 166 [de la] LIR ».

130

S’agissant de l’avis du Conseil d’État de 1965, il suffit de constater, comme l’a fait Mme l’avocate générale au point 121 de ses conclusions, que cet avis se borne à indiquer que la disposition qui y a été examinée, à laquelle correspond l’article 166 de la LIR, avait pour objectif d’éviter une imposition en chaîne de bénéfices sociaux au niveau d’une filiale et de sa société mère avant d’être distribués aux actionnaires, sans indiquer en revanche que cette disposition visait également à éviter toute situation de double non-imposition s’agissant des revenus de participation d’une société mère.

131

C’est dès lors au terme d’une analyse entachée d’une erreur de droit et d’une dénaturation des faits que le Tribunal, au point 298 de l’arrêt attaqué, a entériné le constat de la Commission tenant à l’existence d’un lien de conditionnalité entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de celle-ci en ce sens que l’exonération au niveau d’une société mère des revenus de participations serait subordonnée à l’imposition au niveau de sa filiale des bénéfices distribués.

132

Il y a donc lieu d’accueillir le premier moyen des pourvois, sans qu’il soit besoin d’examiner la seconde branche du premier moyen de pourvoi soulevé par le Grand-Duché de Luxembourg et pris d’erreurs concernant la dérogation au cadre de référence restreint aux articles 164 et 166 de la LIR.

2.   Sur le deuxième moyen des pourvois

a)   Arguments des parties

133

Le deuxième moyen dans l’affaire C‑451/21 P comporte quatre branches tirées, la première, de l’adoption d’une prémisse manifestement erronée par le Tribunal et de la dénaturation par celui-ci du droit national, la deuxième, d’erreurs de droit commises par le Tribunal dans l’identification du cadre de référence qu’il a retenu en matière d’abus de droit et d’une motivation insuffisante et contradictoire entachant l’arrêt attaqué, la troisième, d’erreurs quant à la démonstration d’une dérogation à ce cadre de référence et, la quatrième, présentée à titre subsidiaire, de la violation des droits de la défense du Grand-Duché de Luxembourg.

134

Par la première branche de ce moyen, le Grand-Duché de Luxembourg fait, notamment, valoir que l’intégralité du raisonnement du Tribunal repose sur la prémisse erronée selon laquelle le même résultat fiscal que celui obtenu par le groupe Engie n’aurait pas été possible sans l’existence d’intermédiaires, lesquels seraient un maillon essentiel du montage financier mis en place par ce groupe. Il rappelle avoir pourtant exposé, en première instance, qu’un ZORA direct, conclu sans le recours à un intermédiaire, aurait abouti au même résultat imposable que celui découlant d’un ZORA indirect, le créancier étant en mesure, dans un premier temps, lors de la conversion du ZORA direct, de bénéficier de la neutralité fiscale permise par l’article 22 bis de la LIR, puis, dans un second temps, de l’exonération d’une éventuelle distribution ou plus-value, en vertu de l’article 166 de cette loi, ce qu’aurait admis le Tribunal en jugeant que ces articles n’excluaient pas formellement une telle exonération.

135

Ce serait donc à tort que le Tribunal aurait estimé que trois des critères de l’abus de droit, prévus à l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, étaient remplis et, partant, que les décisions fiscales anticipatives en cause avaient dérogé au cadre de référence.

136

Par la deuxième branche du deuxième moyen, le Grand-Duché de Luxembourg soutient, en premier lieu, que le Tribunal a considéré à tort qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de la pratique administrative, au motif que l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale n’aurait pas suscité de difficulté d’interprétation. Le Tribunal aurait ainsi méconnu la jurisprudence de la Cour, de laquelle résulterait l’obligation, lors de la définition du cadre de référence, d’une analyse détaillée du droit applicable dans l’État membre concerné ainsi que de sa pratique administrative et juridictionnelle. Cette analyse serait d’autant plus importante que l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale serait rédigé en des termes généraux et nécessiterait donc une appréciation au cas par cas. À cet égard, le grief tiré de ce que le Grand-Duché de Luxembourg n’aurait pas fourni à la Commission d’exemples de sa pratique administrative, outre qu’il renverserait la charge de la preuve, manquerait en fait, plusieurs exemples de décisions fiscales anticipatives ayant été transmis à la Commission par cet État membre.

137

En deuxième lieu, le cadre de référence retenu par le Tribunal serait incomplet, tout d’abord, en ce qu’il omettrait de rappeler le caractère exceptionnel du recours par l’administration luxembourgeoise au concept d’abus de droit, ensuite, en ce qu’il ne tiendrait pas compte du fait que le contribuable est entièrement libre de choisir la forme qui lui apparaît être la moins onéreuse du point de vue fiscal et, enfin, en ce que cette liberté de choix dont dispose le contribuable s’opposerait à ce que l’administration fiscale s’immisce dans les options que retient celui‑ci dans l’intérêt de son entreprise et substitue son appréciation à celle de ce dernier.

138

En troisième lieu, le Tribunal aurait invoqué une dérogation à l’objectif du système fiscal de référence, et non à ce système lui-même, alors qu’une jurisprudence constante rappellerait que seule une dérogation au cadre de référence permet d’établir la sélectivité d’une mesure. Il n’appartiendrait pas à la Commission ou au Tribunal, dans le cadre du droit des aides d’État, de définir, en lieu et place de l’État membre concerné, l’objectif du système fiscal national.

139

Par la troisième branche du deuxième moyen, le Grand-Duché de Luxembourg soutient, en particulier, que le Tribunal a ignoré l’aléa économique auquel étaient soumises les transactions en cause, dont les résultats dépendaient de la performance des filiales. Le Tribunal, s’il avait pris en compte cet aléa, aurait dû inévitablement considérer que le deuxième critère de l’abus de droit, tenant à la réduction de la charge fiscale, n’était pas rempli. De surcroît, la jurisprudence luxembourgeoise ne permettrait pas de conclure ex post à l’existence d’un abus de droit au moyen d’une transaction lorsque cette transaction a été précédemment approuvée par une décision fiscale anticipative valablement émise.

140

Par la quatrième branche de ce moyen, le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir que ses droits de la défense ont été violés, étant donné que, dans la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, la Commission n’aurait mentionné que de manière incidente et dans un paragraphe unique l’existence d’un possible abus de droit non spécifiquement défini, mais en lien avec la possibilité pour les filiales de procéder à la déduction des accrétions sur ZORA. Or, ce grief ne correspondrait pas à celui figurant dans la décision litigieuse.

141

Le deuxième moyen dans l’affaire C‑454/21 P comporte trois branches tirées, la première, d’erreurs de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commises le Tribunal dans la détermination du cadre de référence, la deuxième, de l’erreur de droit qui résulterait de l’identification, par le Tribunal, d’un avantage sélectif au regard de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale et, la troisième, de l’erreur manifeste d’appréciation résultant de l’interprétation du droit luxembourgeois par le Tribunal.

142

Par la première branche de ce moyen, Engie e.a. estiment que le Tribunal a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant qu’elles n’avaient pas contesté la définition du cadre de référence en tant qu’il était élargi à l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale. En effet, elles auraient mis en cause, dans leur requête devant le Tribunal, la compétence de la Commission et son interprétation in abstracto des critères de l’abus de droit posés par la juridiction administrative luxembourgeoise, et auraient soutenu qu’il était nécessaire de tenir compte de la pratique administrative et juridictionnelle des autorités luxembourgeoises dans des situations comparables à la leur.

143

S’agissant des erreurs de droit, le Tribunal aurait, à la suite de la Commission, interprété l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale sans prendre en compte les règles de droit applicables ni la pratique administrative et juridictionnelle des autorités luxembourgeoises dans des situations comparables à la leur, pour des montages analogues. De plus, il aurait procédé à une réécriture de la décision litigieuse à cet égard.

144

Par la deuxième branche du deuxième moyen, Engie e.a. soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit et méconnu sa propre jurisprudence en excluant que la notion d’« abus de droit », bien que d’interprétation stricte, doive toujours être appréciée au cas par cas.

145

Par la troisième branche du deuxième moyen, Engie e.a. fait valoir que, à supposer même que le cadre de référence comprenne l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, le Tribunal a commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’interprétation de cette disposition et dans son application. Ainsi, celui-ci se serait contredit en jugeant que la conversion directe du ZORA ne pouvait donner lieu à un revenu exonéré d’impôt au sens de l’article 166 de la LIR au regard de la finalité de l’article 22 bis de cette loi, avant d’admettre que ces dispositions n’excluaient pas formellement l’exonération des revenus.

146

La Commission conteste le deuxième moyen des pourvois.

147

Elle indique, notamment, que le Tribunal n’a commis aucune dénaturation en jugeant que la définition du cadre de référence comprenant l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale n’était pas contestée par le Grand-Duché de Luxembourg et Engie e.a. Le Tribunal n’aurait, en tout état de cause, pas nié la nécessité d’une appréciation de l’abus de droit au cas par cas, mais aurait simplement précisé que les critères de l’existence d’un abus de droit posés par le droit luxembourgeois étaient clairs.

148

À titre subsidiaire, si la Commission ne conteste pas le libre choix du contribuable de retenir la voie la moins imposée et l’interdiction faite à l’administration fiscale de substituer son propre choix à celui de l’entreprise, elle estime cependant que ces principes trouvent leur limite légale, en droit luxembourgeois, dans l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale et que toute interprétation contraire de cet article viderait celui-ci de sa substance.

149

Quant à la mention, par le Tribunal, de la circonstance que l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale avait déjà été appliqué, il ne conviendrait pas d’en déduire que le Tribunal aurait estimé que les mesures en cause étaient sélectives de ce seul fait, mais simplement qu’il entendait se prémunir de la critique selon laquelle cette disposition serait restée lettre morte.

150

La Commission indique également qu’elle n’a pas présumé l’existence d’un abus de droit. Elle soutient qu’un ZORA direct n’aboutit pas au même résultat fiscal qu’un ZORA indirect et que, quand bien même cela serait le cas, l’existence d’un abus de droit demeurerait. De plus, elle aurait analysé les quatre critères constitutifs d’un abus de droit au regard des faits de l’espèce, avant de conclure que ces critères étaient réunis. À cet égard, le fait que les activités en cause soient soumises à un aléa économique ne serait pas pertinent. Seule importerait la question de savoir si le traitement fiscal en cause était ou non abusif.

b)   Appréciation de la Cour

151

Il convient d’examiner d’emblée l’argumentation du Grand-Duché de Luxembourg et d’Engie e.a., tirée de ce que le Tribunal aurait à tort considéré que la Commission pouvait établir le caractère sélectif des décisions fiscales anticipatives en cause au regard du cadre de référence constitué de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale sans tenir compte de la pratique administrative nationale relative à cette disposition, au motif que cette dernière n’aurait pas suscité de difficulté d’interprétation.

152

À cet égard, il convient en premier lieu de rappeler que qualifier une mesure fiscale de « sélective » présuppose non seulement la connaissance du contenu des règles de droit pertinentes, mais exige également l’examen de la portée de celles-ci fondé, entre autres, sur la pratique administrative et juridictionnelle de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 20).

153

En second lieu, ainsi que Mme l’avocate générale l’a souligné en substance aux points 146 à 148 de ses conclusions, une disposition visant à prévenir de manière horizontale les abus en matière fiscale, telle que l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, présente par nature un degré particulièrement élevé de généralité, étant susceptible de s’appliquer dans une gamme très large de contextes et de situations.

154

Conformément à la jurisprudence rappelée au point 112 du présent arrêt, le choix de prévoir une telle disposition dans le droit national et de définir les modalités selon lesquelles les autorités fiscales devront la mettre en œuvre relève des compétences propres des États membres en matière de fiscalité directe dans les domaines n’ayant pas fait l’objet d’une harmonisation en droit de l’Union et, partant, de leur autonomie fiscale.

155

Or, compte tenu de la nature d’une disposition anti-abus telle que celle visée au point 153 du présent arrêt, la Commission ne saurait aboutir à la conclusion que l’omission des autorités fiscales d’en avoir fait application en vue de refuser un traitement fiscal sollicité par un contribuable dans une demande de décision fiscale anticipative a entraîné l’octroi d’un avantage sélectif que pour autant que cette omission s’écarte de la jurisprudence ou de la pratique administrative nationales relatives à cette disposition. En effet, s’il en allait autrement, la Commission serait en mesure de définir elle-même ce qui constitue ou non une application correcte d’une telle disposition, ce qui excéderait les limites des compétences dont elle est investie par les traités en matière de contrôle des aides d’État et serait incompatible avec l’autonomie fiscale des États membres rappelée au point précédent.

156

Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré, au point 409 de l’arrêt attaqué, que la prise en compte par la Commission de la pratique administrative des autorités fiscales luxembourgeoises relative à l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale n’était pas requise, au motif que cette disposition n’aurait suscité aucune difficulté d’interprétation.

157

Certes, le Tribunal a par ailleurs souligné, à ce point 409, que la Commission, aux considérants 293 à 298 de la décision litigieuse, s’était référée à une note de service de l’administration luxembourgeoise ainsi qu’à la pratique juridictionnelle dans cet État membre, dont elle a extrait les quatre critères permettant de constater, en droit luxembourgeois, un abus de droit en matière fiscale au sens de cette disposition.

158

Toutefois, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 153 et 154 de ses conclusions, la Commission s’est limitée, dans ce passage de la décision litigieuse, à un examen général des conditions d’application de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, sans établir que l’administration fiscale luxembourgeoise s’était écartée dans les décisions fiscales anticipatives en cause, en particulier, de sa propre pratique concernant des opérations comparables à celles en cause.

159

Il convient donc également d’accueillir, pour ce motif, le deuxième moyen des pourvois, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments invoqués par le Grand-Duché de Luxembourg et par Engie e.a. au soutien dudit moyen.

160

Eu égard au bien-fondé des premier et deuxième moyens des pourvois, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens des pourvois. En effet, le bien-fondé de ces moyens a pour conséquence qu’est privé de fondement le constat opéré par le Tribunal au point 478 de l’arrêt attaqué, selon lequel le rejet des moyens d’annulation visant en substance l’analyse, dans la décision litigieuse, d’un cadre de référence restreint aux articles 164 et 166 de la LIR, ou d’un cadre de référence constitué de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, suffisait à établir la sélectivité des décisions fiscales anticipatives en cause.

V. Sur les recours devant le Tribunal

161

Conformément à l’article 61, premier alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

162

Tel est le cas en l’espèce, les moyens des recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse ayant fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et leur examen ne nécessitant d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction du dossier.

163

Il convient d’examiner, en premier lieu, les premier et deuxième moyens du recours dans l’affaire T‑516/18 et les deuxième et troisième moyens du recours dans l’affaire T‑525/18, dans la mesure où les requérantes reprochent par ceux-ci à la Commission d’avoir erronément conclu que les décisions fiscales anticipatives en cause avaient accordé des avantages sélectifs à la lumière du cadre de référence restreint aux articles 164 et 166 de la LIR et du cadre de référence constitué de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, analysés par le Tribunal dans l’arrêt attaqué et correspondant aux deuxième et quatrième voies de raisonnement visées au point 31 du présent arrêt.

164

S’agissant de la deuxième voie de raisonnement sur la sélectivité visée au point 31 du présent arrêt, il est constant que la Commission a inclus l’article 166 de la LIR dans le cadre de référence restreint aux dispositions du droit luxembourgeois relatives à l’imposition des distributions de bénéfices et à l’exonération des revenus de participations. Cette institution a néanmoins considéré que les décisions fiscales anticipatives en cause procédaient d’une application erronée de cette disposition.

165

Ainsi, au considérant 202 de la décision litigieuse, la Commission, après avoir constaté que la notion de « revenus de participations », au sens de l’article 166 de la LIR, n’était pas définie dans la loi, a pris appui, afin de définir cette notion, sur le courrier du 31 janvier 2018, dans lequel le Grand-Duché de Luxembourg a indiqué que « toutes les participations dont les revenus peuvent bénéficier du régime d’exonération au titre de l’article 166 [de la] LIR sont aussi couvertes par les dispositions de l’article 164 de la LIR ». Elle en a déduit que la notion de « revenus de participations », bénéficiant de l’exonération prévue à l’article 166 de la LIR, se composait des « distributions » en faveur de porteurs des titres, telles que visées à l’article 164 de cette loi, tout en précisant que ces distributions de bénéfices devaient avoir été imposées au niveau de l’entité distributrice. Elle a souligné, aux considérants 204 et 213 de la décision litigieuse, que cette dernière condition était applicable, sans que soit pertinente la qualification des revenus en cause de distributions de bénéfices ou de plus-values.

166

En outre, au considérant 212 de la décision litigieuse, la Commission a expressément admis que, d’un point de vue économique, le revenu perçu par LNG Holding et CEF découlant de la conversion des ZORA était équivalent à une telle distribution de bénéfices.

167

Cette distribution n’ayant toutefois pas été imposée au niveau de LNG Supply et de GSTM, la Commission a constaté une dérogation à un cadre de référence constitué des règles du droit luxembourgeois relatives à l’exonération des revenus de participations et à l’imposition des distributions de bénéfices. Plus précisément, elle a déduit cette dérogation de la circonstance que l’administration fiscale luxembourgeoise, au moyen des décisions fiscales anticipatives en cause, a accepté que la réalisation des accrétions sur ZORA au niveau de LNG Holding et de CEF bénéficie de l’exonération des revenus de participations au titre de l’article 166 de la LIR, alors même que ces accrétions avaient été déduites des bénéfices imposables de LNG Supply et de GSTM.

168

Cette analyse est toutefois entachée d’une erreur qui, conformément à la jurisprudence rappelée au point 110 du présent arrêt, vicie l’ensemble de la deuxième voie de raisonnement sur la sélectivité visée au point 31 de cet arrêt.

169

À cet égard, d’une part, il résulte de l’analyse des premiers moyens des pourvois, en particulier des points 128 à 131 du présent arrêt, que c’est à tort que la Commission a cru pouvoir déduire du courrier du 31 janvier 2018 ainsi que de l’avis du Conseil d’État de 1965 l’existence d’un lien de conditionnalité entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de celle‑ci, tenant à une imposition préalable des revenus au niveau de l’entité distributrice en vue de bénéficier de l’exonération prévue à cette dernière disposition.

170

D’autre part, la Commission n’a pas examiné, ni a fortiori démontré, que, en droit luxembourgeois, la notion de « distributions » au sens de l’article 164 de la LIR, par référence à laquelle doivent, selon le Grand‑Duché de Luxembourg, être définis les « revenus de participations » au sens de l’article 166 de cette loi, serait incompatible avec la notion de « charge fiscalement déductible » au niveau de l’entité distributrice.

171

Par conséquent, à supposer que, comme l’a indiqué la Commission au considérant 212 de la décision litigieuse, les accrétions sur ZORA couvertes par les décisions fiscales anticipatives en cause aient constitué, d’un point de vue économique, une distribution de bénéfices au sens de l’article 164 de la LIR, ces dernières décisions n’ont, pour autant, pas pu déroger à l’article 166 de cette loi en qualifiant ces accrétions de revenus de participations pour LNG Holding et CEF, ainsi que, partant, en exonérant ces revenus au titre de cette dernière disposition. Force est ainsi de constater que, s’agissant de la deuxième voie de raisonnement, la Commission ne s’est pas conformée aux principes énoncés aux points 120 à 122 du présent arrêt.

172

Cela étant, une telle conclusion est sans préjudice d’un examen du caractère éventuellement sélectif des décisions fiscales anticipatives en cause à l’aune du constat selon lequel les revenus de LNG Supply et de GSTM, au cours de chaque exercice concerné, ont, en contrepartie de la déduction en tant que charges des accrétions sur ZORA, été imposés sur la marge convenue avec les autorités fiscales luxembourgeoises et non en application des règles de droit fiscal commun, dont il découle que la charge fiscale pesant sur une société est en principe calculée par l’application d’un taux d’imposition standard aux revenus réellement réalisés, déduction faite des dépenses d’exploitation et des autres charges.

173

S’agissant de la quatrième voie de raisonnement visée au point 31 du présent arrêt, il ressort des points 153 à 158 de cet arrêt que l’analyse de la Commission relative à un avantage sélectif résultant de l’absence d’application de l’article 6 de la loi d’adaptation fiscale, portant sur l’abus de droit, est également viciée en droit en ce que la Commission a omis d’établir que l’administration fiscale luxembourgeoise s’était écartée, dans les décisions fiscales anticipatives en cause, de sa propre pratique concernant des opérations comparables à celles en cause.

174

Il convient d’examiner, en second lieu, les premier et deuxième moyens du recours dans l’affaire T‑516/18 et les deuxième et troisième moyens du recours dans l’affaire T‑525/18, dans la mesure où les requérantes reprochent par ceux-ci à la Commission d’avoir erronément conclu que les décisions fiscales anticipatives en cause avaient accordé des avantages sélectifs à LNG Holding et à CEF ou au groupe Engie à la lumière d’un cadre de référence étendu au système luxembourgeois d’imposition des sociétés, correspondant aux première et troisième voies de raisonnement visées au point 31 du présent arrêt.

175

À cet égard, s’agissant de la première voie de raisonnement visée au point 31 du présent arrêt, il convient de relever que, ainsi qu’il résulte des considérants 166 et 196 de la décision litigieuse, la Commission n’a pas estimé que les exonérations prévues par le système luxembourgeois d’imposition des sociétés et, en particulier, celle prévue à l’article 166 de la LIR étaient en elles-mêmes constitutives d’un régime d’aide, mais que leur application au moyen des décisions fiscales anticipatives en cause avait conféré au groupe Engie un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, la Commission n’a ni allégué ni établi qu’une violation de cette dernière disposition serait intervenue en raison de l’existence même des dispositions de droit fiscal luxembourgeois pertinentes.

176

Par conséquent, le cas de figure mentionné au point 114 du présent arrêt, dans lequel le cadre de référence lui-même, tel qu’il découle du droit national, est considéré par la Commission comme incompatible avec le droit de l’Union en matière d’aides d’État, ne correspond pas à la présente affaire.

177

Or, ainsi qu’il ressort des points 112 et 118 du présent arrêt, le système de référence ou le régime fiscal « normal », à partir duquel il convient d’analyser la condition relative à la sélectivité, doit inclure les dispositions prévoyant les exonérations que l’administration fiscale nationale a considérées applicables au cas d’espèce, lorsque ces dispositions ne confèrent pas, en elles-mêmes, d’avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans une telle hypothèse, eu égard aux compétences propres des États membres en matière de fiscalité directe et au respect dû à leur autonomie fiscale, rappelés au point 118 du présent arrêt, la Commission ne peut établir une dérogation à un cadre de référence en se limitant à constater qu’une mesure s’écarte d’un objectif général d’imposition de toutes les sociétés résidentes dans l’État membre concerné, sans tenir compte de dispositions du droit national spécifiant les modalités selon lesquelles cet objectif est mis en œuvre.

178

En l’occurrence, prenant appui sur un cadre de référence étendu au système luxembourgeois d’imposition des sociétés, la Commission, ainsi qu’il ressort des considérants 171 à 176 de la décision litigieuse, n’a pas inclus l’article 166 de la LIR dans ledit cadre.

179

Aux considérants 179, 182, 184, 185, 187, 188, 190 et 192 de cette décision, la Commission a écarté la pertinence de l’article 166 de la LIR au motif, en substance, que l’application de cette disposition ne saurait remettre en cause la conclusion selon laquelle l’effet combiné de la déductibilité des accrétions sur ZORA au niveau de LNG Supply et de GSTM et de l’exonération des revenus correspondants au niveau de LNG Holding et de CEF dérogeait à l’objectif du système général luxembourgeois d’imposition des sociétés, consistant à imposer les bénéfices de toutes les sociétés assujetties à l’impôt au Luxembourg. C’est sur la base d’une telle analyse que la Commission a conclu, ainsi qu’il ressort des considérants 192 et 193 de ladite décision, que la dérogation à ce cadre de référence avait pris la forme d’une exonération des revenus perçus par LNG Holding et par CEF en tant que holdings de LNG Supply et de GSTM respectivement.

180

Or, eu égard à ce qui a été exposé au point 177 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que cette conclusion est viciée en droit. En effet, l’article 166 de la LIR, qui constitue la base juridique des décisions fiscales anticipatives en cause, aurait dû faire partie du cadre de référence définissant le système « normal » d’imposition, puisque la Commission n’a pas considéré que cette disposition, en elle-même, conférait un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

181

Cette erreur a, conformément à la jurisprudence rappelée au point 110 du présent arrêt, elle aussi nécessairement vicié l’ensemble de l’analyse de sélectivité opérée par la Commission au titre d’un cadre de référence étendu au système luxembourgeois d’imposition des sociétés.

182

S’agissant enfin de la troisième voie de raisonnement visée au point 31 du présent arrêt, les erreurs constatées aux points 168 à 171 ainsi que 180 de cet arrêt vicient également l’analyse de la Commission relative aux effets engendrés par les décisions fiscales anticipatives en cause au niveau du groupe Engie.

183

En effet, d’une part, aux considérants 252 à 254 de la décision litigieuse, consacrés à l’exonération des revenus de participations en application de l’article 166 de la LIR, la Commission a reproduit, en substance, l’analyse effectuée dans le cadre de la deuxième voie de raisonnement, prenant appui sur un cadre de référence restreint aux dispositions du droit luxembourgeois relatives à l’imposition des distributions de bénéfices et à l’exonération des revenus de participations, et a, notamment, renvoyé, à cet effet, au considérant 202 de la même décision. Il s’ensuit que cette analyse est entachée de la même erreur que celle constatée aux points 168 à 171 du présent arrêt.

184

D’autre part, il ressort du considérant 245 de la décision litigieuse que, aux fins de cette analyse, la Commission a tenu compte, en tant que cadre de référence, du système luxembourgeois d’imposition des sociétés, tel que décrit aux considérants 171 à 190 de cette décision. Or, ainsi qu’il a été exposé aux points 180 et 181 du présent arrêt, cette définition du cadre de référence est erronée en ce qu’elle n’inclut pas l’article 166 de la LIR.

185

Du reste, pour les motifs exposés au point 177 du présent arrêt, la Commission ne pouvait valablement établir une dérogation au système « normal » d’imposition dans le cadre de cette troisième voie de raisonnement par référence uniquement à un objectif général du système luxembourgeois tendant à l’imposition des bénéfices des sociétés résidentes au Luxembourg, comme elle l’a fait au considérant 256 de la décision litigieuse.

186

Il résulte de l’ensemble de ces considérations qu’il y a lieu d’accueillir les premier et deuxième moyens du recours dans l’affaire T‑516/18 et les deuxième et troisième moyens du recours dans l’affaire T‑525/18, tirés, en substance, d’erreurs d’appréciation et de droit dans l’identification d’un avantage sélectif. Par voie de conséquence, la décision litigieuse doit être annulée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens des recours en annulation.

VI. Sur les dépens

187

En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

188

L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

189

En l’espèce, s’agissant du pourvoi formé dans l’affaire C‑451/21 P, le Grand-Duché de Luxembourg ayant obtenu gain de cause, il y a lieu, conformément à ses conclusions, de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens, ceux du Grand-Duché de Luxembourg.

190

S’agissant du pourvoi formé dans l’affaire C‑454/21 P, Engie e.a. ayant obtenu gain de cause, il y a lieu, conformément à leurs conclusions, de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens, ceux d’Engie e.a.

191

Par ailleurs, les recours devant le Tribunal étant accueillis, la Commission est condamnée à supporter l’entièreté des dépens afférents à la procédure de première instance.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

 

1)

Les affaires C‑451/21 P et C‑454/21 P sont jointes aux fins de l’arrêt.

 

2)

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mai 2021, Luxembourg e.a./Commission (T‑516/18 et T‑525/18, EU:T:2021:251), est annulé.

 

3)

La décision (UE) 2019/421 de la Commission, du 20 juin 2018, concernant l’aide d’État SA.44888 (2016/C) (ex 2016/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Engie, est annulée.

 

4)

La Commission européenne est condamnée aux dépens des pourvois dans les affaires C‑451/21 P et C‑454/21 P.

 

5)

La Commission européenne est condamnée aux dépens de la procédure en première instance.

 

Lenaerts

Bay Larsen

Arabadjiev

Lycourgos

Regan

von Danwitz

Biltgen

Csehi

Safjan

Rodin

Wahl

Passer

Gratsias

Arastey Sahún

Gavalec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 décembre 2023.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président

K. Lenaerts


( *1 ) Langue de procédure : le français.