CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 17 juin 2021 ( 1 )

Affaire C‑894/19 P

Parlement européen

contre

UZ

« Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaire – Procédure disciplinaire – Harcèlement moral – Sanction disciplinaire – Rétrogradation d’un grade – Rejet de la demande d’assistance de la requérante – Recours en annulation – Article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Exigence d’impartialité objective – Droit d’être entendu »

I. Introduction

1.

Par son pourvoi, le Parlement européen demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 20 septembre 2019, UZ/Parlement (T‑47/18, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:650), par lequel celui-ci a, d’une part, annulé la décision du secrétaire général du Parlement du 27 février 2017, infligeant à UZ la sanction disciplinaire de rétrogradation du grade AD 13, échelon 3, vers le grade AD 12, échelon 3, avec remise à zéro des points de mérite acquis dans le grade AD 13 et, d’autre part, rejeté le recours pour le surplus.

2.

Par son pourvoi incident, UZ demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où le Tribunal a rejeté la demande d’annulation de la décision de refus de sa demande d’assistance.

3.

Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions seront ciblées sur la première branche du premier moyen du pourvoi principal concernant le prétendu défaut d’impartialité du Parlement dans la conduite de l’enquête disciplinaire contre UZ. Le Parlement soutient que le Tribunal aurait jugé à tort que les enquêteurs nommés n’auraient pas offert les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à leur impartialité. Cette conclusion du Tribunal se fonderait, premièrement, sur une dénaturation des faits et, deuxièmement, sur une qualification juridique erronée de la notion d’« impartialité objective ».

4.

La présente affaire offre à la Cour l’occasion de se prononcer sur l’applicabilité des principes régissant cette notion d’« impartialité objective », déjà connue dans plusieurs domaines de l’ordre juridique de l’Union, à la fonction publique et, plus concrètement, à l’enquête administrative menée dans le cadre de procédures disciplinaires.

II. Le cadre juridique

5.

L’article 24 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version applicable au litige (ci‑après le « statut »), prévoit :

« L’Union assiste le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions.

Elle répare solidairement les dommages subis de ce fait par le fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l’origine de ces dommages et n’a pu obtenir réparation de leur auteur. »

6.

L’article 86 de ce statut dispose :

« 1.   Tout manquement aux obligations auxquelles le fonctionnaire ou l’ancien fonctionnaire est tenu, au titre du présent statut, commis volontairement ou par négligence, l’expose à une sanction disciplinaire.

2.   L’autorité investie du pouvoir de nomination [(AIPN)] ou l’Office européen de lutte antifraude [(OLAF)] peuvent ouvrir une enquête administrative, en vue de vérifier l’existence d’un manquement au sens du paragraphe 1, lorsque des éléments de preuve laissant présumer l’existence d’un manquement ont été portés à leur connaissance.

3.   Les règles, procédures et sanctions disciplinaires, ainsi que les règles et procédures régissant les enquêtes administratives, sont établies à l’annexe IX. »

7.

Aux termes de l’article 3 de l’annexe IX dudit statut :

« Sur la base du rapport d’enquête, après avoir communiqué au fonctionnaire concerné toutes les pièces du dossier et après l’avoir entendu, l’[AIPN] peut :

a)

décider qu’aucune charge ne peut être retenue contre le fonctionnaire concerné, auquel cas ce dernier en est alors informé par écrit ; ou

b)

décider, même en cas de manquement ou de manquement présumé aux obligations, qu’il convient de n’adopter aucune sanction disciplinaire et, le cas échéant, adresser au fonctionnaire une mise en garde ; ou

c)

en cas de manquement aux obligations, conformément à l’article 86 du statut,

i)

décider de l’ouverture de la procédure disciplinaire prévue à la section 4 de la présente annexe, ou

ii)

décider de l’ouverture d’une procédure disciplinaire devant le conseil de discipline. »

8.

L’article 16 de cette annexe énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Le fonctionnaire concerné est entendu par le conseil ; à cette occasion, il peut présenter des observations écrites ou verbales, personnellement ou par l’intermédiaire d’un représentant de son choix. Il peut faire citer des témoins.

2.   L’institution est représentée devant le conseil par un fonctionnaire mandaté à cet effet par l’autorité investie du pouvoir de nomination et disposant de droits équivalents à ceux du fonctionnaire concerné. »

9.

L’article 22 de ladite annexe est rédigé comme suit :

« 1.   Après avoir entendu le fonctionnaire, l’[AIPN] prend sa décision conformément aux articles 9 et 10 de la présente annexe, dans un délai de deux mois à compter de la réception de l’avis du conseil. Cette décision doit être motivée.

2.   Si l’[AIPN] décide de classer l’affaire sans prononcer de sanction disciplinaire, elle en informe le fonctionnaire concerné par écrit et sans délai. Le fonctionnaire concerné peut demander que cette décision figure dans son dossier individuel. »

III. Les antécédents du litige et la décision litigieuse

10.

Les antécédents du litige ressortent des points 1 à 27 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins du présent pourvoi, être résumés de la manière suivante.

11.

UZ occupait un poste de cheffe d’unité au Parlement depuis le 1er janvier 2009. Elle était classée, en dernier lieu, au grade AD 13, échelon 3.

12.

Le 24 janvier 2014, quatorze des quinze membres de son unité (ci‑après les « plaignants ») ont adressé au secrétaire général du Parlement une demande d’assistance, en vertu de l’article 24 du statut, arguant avoir fait l’objet de harcèlement moral de la part d’UZ.

13.

À la suite de cette demande, le directeur général de la direction générale du personnel (ci‑après la « DG PERS ») a indiqué aux plaignants que des mesures provisoires avaient été arrêtées. Il s’agissait notamment de confier la gestion du personnel de l’unité concernée à une autre personne et d’ouvrir une enquête administrative.

14.

À la suite de l’ouverture d’une enquête administrative, UZ a été entendue le 20 novembre 2014 par le directeur général de la DG PERS.

15.

Après l’établissement de deux rapports, en date des 3 mars et 17 novembre 2015, UZ a été entendue, respectivement le 17 juin et le 2 décembre 2015 par le directeur général de la DG PERS.

16.

Par courrier du 6 janvier 2016, UZ a été informée par le secrétaire général du Parlement de la saisine du conseil de discipline pour manquement aux obligations statutaires. Elle a été entendue par le conseil de discipline les 17 février, 9 mars, 8 avril et 26 mai 2016.

17.

Le 25 juillet 2016, le conseil de discipline a adopté à l’unanimité son avis par lequel, premièrement, il a proposé à l’AIPN de sanctionner l’ensemble des fautes commises par UZ avec une sanction globale qui consisterait en une rétrogradation, et deuxièmement, il a conclu à ce que l’AIPN considère sérieusement une réaffectation de celle-ci vers un autre emploi-type au sein du secrétariat-général.

18.

Par décision du 20 septembre 2016, le secrétaire général du Parlement a autorisé le directeur général de la DG PERS à le représenter lors de l’audition d’UZ prévue par l’article 22 de l’annexe IX du statut et l’a chargé de lui transmettre les éventuelles observations de cette dernière quant à l’avis prononcé par le conseil de discipline et transmis le 7 septembre 2016.

19.

Par courriel du 4 octobre 2016, le directeur général de la DG PERS a invité UZ à se présenter le 20 octobre 2016 à une audition, conformément à l’article 22, paragraphe 1, du statut, pour qu’elle puisse faire valoir ses observations sur l’avis du conseil de discipline.

20.

Le 14 novembre 2016, UZ a été entendue par le directeur général de la DG PERS. Au cours de cette audition, elle a remis une note et a demandé l’assistance du Parlement en raison de menaces qui auraient été portées à son égard par des membres de son unité.

21.

Sur proposition du directeur général de la DG PERS, UZ a alors été affectée, à titre temporaire, à une autre unité.

22.

Par décision du 27 février 2017, le secrétaire général du Parlement a pris la décision d’infliger à UZ la sanction disciplinaire de rétrogradation, dans le même groupe de fonctions, du grade AD 13, échelon 3, vers le grade AD 12, échelon 3, avec remise à zéro des points de mérite acquis dans l’ancien grade AD 13 (ci‑après la « décision litigieuse »).

23.

Par lettre du 6 juin 2017, UZ a saisi l’AIPN du Parlement d’une réclamation dirigée contre la décision litigieuse.

24.

Par lettre du 14 juin 2017, UZ a saisi le secrétaire général du Parlement d’une réclamation dirigée contre le rejet implicite de sa demande d’assistance. Par lettre du 20 juillet 2017, le directeur général de la DG PERS a rejeté cette demande d’assistance.

25.

Par lettre du 6 octobre 2017, le président du Parlement a rejeté les réclamations d’UZ formulées dans les courriers des 6 et 14 juin 2017.

IV. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

26.

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 janvier 2018, UZ a introduit un recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision litigieuse et, d’autre part, à l’annulation de la décision de rejet de sa demande d’assistance.

27.

Le Parlement a conclu au rejet du recours.

A.   Sur la demande d’annulation de la décision litigieuse

28.

À l’appui de ses conclusions en annulation de la décision litigieuse, UZ a invoqué deux moyens tirés, le premier, d’un défaut de régularité de l’enquête administrative et, le second, d’un défaut de régularité des travaux du conseil de discipline et d’une absence d’audience par l’autorité compétente à la fin de ceux-ci.

1. Sur le premier moyen, tiré d’un défaut de régularité de l’enquête administrative

29.

Dans le cadre de ce premier moyen, UZ soutenait, notamment, que deux des enquêteurs chargés de l’enquête administrative, à savoir celui en charge du volet « disciplinaire » et celui en charge du volet « harcèlement », n’avaient pas disposé de l’indépendance et de l’impartialité nécessaires afin de participer à cette enquête.

30.

En premier lieu, en ce qui concerne le prétendu défaut d’impartialité de l’enquêteur du volet « disciplinaire », le Tribunal a constaté, au point 51 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait du témoignage d’un des plaignants qu’un membre de la DG PERS avait rencontré ce dernier préalablement à l’ouverture de l’enquête et que, lors de cette rencontre, il avait rapporté au membre susmentionné, désigné ensuite enquêteur, avoir été dénoncé à l’OLAF par UZ et, plus spécifiquement, par l’intermédiaire de son mari, « à titre de revanche », au sujet de prétendues irrégularités.

31.

Or, selon le Tribunal, un tel témoignage pouvait susciter chez UZ un doute légitime quant à l’impartialité de l’enquêteur, qui aurait pu avoir été influencé par le caractère particulièrement malveillant de son prétendu comportement tel que celui-ci lui a été rapporté.

32.

Le Tribunal, aux points 53 à 55 de l’arrêt attaqué, a considéré que, puisque UZ avait informé le Parlement, lors de son audition du 14 novembre 2016, de ce manque d’impartialité, ce dernier était en mesure de choisir une personne qui n’avait aucune connaissance préalable des faits de l’espèce comme enquêteur.

33.

En deuxième lieu, quant au prétendu défaut d’impartialité de l’enquêteur du volet « harcèlement », le Tribunal a, au point 57 de cet arrêt, constaté qu’il résultait des explications données par le Parlement lors de l’audience que, avant d’être nommé enquêteur pour le volet « harcèlement » dans le cadre de l’enquête administrative, celui-ci avait présidé le comité consultatif sur le harcèlement et sa prévention sur le lieu de travail. Or, ce comité avait conclu à ce que la gestion de l’unité dont UZ était la cheffe soit confiée à une autre personne.

34.

Selon le Tribunal, eu égard à la conclusion de ce comité, lorsqu’il a été nommé enquêteur du volet « harcèlement », celui-ci pouvait déjà avoir une opinion négative d’UZ. Cette circonstance remettrait en cause son impartialité objective.

35.

Par conséquent, le Tribunal a jugé, au point 59 de l’arrêt attaqué, que, en nommant comme enquêteurs les deux personnes qui auraient pu avoir une connaissance préalable de l’affaire, le Parlement n’a pas offert les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime au sens de la jurisprudence de la Cour.

36.

En troisième lieu, le Tribunal, au point 60 de l’arrêt attaqué, a rappelé la jurisprudence constante selon laquelle, pour qu’une irrégularité procédurale puisse justifier l’annulation d’un acte, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent.

37.

Selon le Tribunal, il ne pouvait être exclu que si l’enquête administrative en l’espèce avait été conduite avec soin et impartialité, elle aurait pu entraîner une appréciation initiale des faits différente qui n’aurait pas nécessairement abouti à l’infliction de la sanction disciplinaire.

38.

Par conséquent, le Tribunal, au point 65 de l’arrêt attaqué, a considéré que les conclusions d’UZ tendant à l’annulation de la décision litigieuse devaient être accueillies.

39.

Toutefois, pour des raisons liées à une bonne administration de la justice, le Tribunal a considéré utile d’examiner le second moyen.

2. Sur le second moyen, tiré d’un défaut de régularité des travaux du conseil de discipline et de l’absence d’audition par l’autorité compétente à la fin de ceux-ci

40.

À l’appui du second moyen, UZ a fait valoir, premièrement, que le Parlement ne pouvait pas être valablement représenté, lors de l’une de ses six réunions, par deux fonctionnaires et que les représentants du Parlement sont à tort restés dans la salle de réunion pour délibérer avec les membres du conseil de discipline. Deuxièmement, UZ a soutenu que seul le secrétaire général du Parlement était habilité à entendre un fonctionnaire avant de décider de lui infliger une sanction disciplinaire. Or, selon elle, une telle audition n’aurait pas eu lieu.

41.

Le Tribunal, au point 102 de l’arrêt attaqué, a accueilli le second moyen. Étant donné que le rappel du raisonnement du Tribunal sur les questions soulevées à l’occasion dudit moyen ne présente qu’un intérêt limité pour l’analyse du pourvoi dans le cadre des présentes conclusions, il suffit de renvoyer à cet égard aux points 68 à 101 de l’arrêt attaqué.

B.   Sur la demande d’annulation de la décision de rejet de la demande d’assistance

42.

Devant le Tribunal, UZ a soutenu, en substance, que le Parlement avait à tort rejeté sa demande d’assistance introduite par ses soins auprès de cette institution.

43.

Ledit moyen n’étant pas pertinent aux fins de l’analyse effectuée dans les présentes conclusions, il suffit de relever que la demande d’annulation de la décision de refus de la demande d’assistance a été rejetée par le Tribunal aux motifs figurant, notamment, aux points 107 à 110 de l’arrêt attaqué.

44.

Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal, par l’arrêt attaqué, d’une part, a annulé la décision litigieuse et, d’autre part, a rejeté le recours pour le surplus.

V. Les conclusions des parties

A.   Les conclusions du pourvoi principal

45.

Par son pourvoi, le Parlement conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

annuler l’arrêt attaqué et, par conséquent ;

rejeter le recours en première instance ;

décider que chacune des parties supportera ses propres dépens afférents à la présente instance, et

condamner UZ aux dépens afférents à la première instance.

46.

Par son mémoire en réponse, UZ demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi, et

de condamner le Parlement aux dépens des deux instances.

B.   Les conclusions du pourvoi incident

47.

Par son pourvoi incident, UZ conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il rejette la demande d’annulation de la décision de refus de sa demande d’assistance, et

en statuant par voie de dispositions nouvelles, annuler la décision du Parlement rejetant cette demande d’annulation, ainsi que

condamner le Parlement aux dépens des deux instances.

48.

Par son mémoire en réponse, le Parlement demande à la Cour :

de déclarer le pourvoi incident partiellement irrecevable en ce qui concerne le second moyen et non fondé dans son entièreté, et

de condamner UZ aux dépens.

VI. Analyse juridique

A.   Les moyens soulevés par le Parlement et l’étendue de l’examen à effectuer

49.

À l’appui de son pourvoi, le Parlement invoque trois moyens. Le premier moyen, qui vise les points 54, 58 et 59 de l’arrêt attaqué, est tiré d’une erreur de droit, d’une dénaturation des faits et d’un défaut de motivation ayant compromis la conclusion du Tribunal selon laquelle les enquêtes menées par le Parlement étaient entachées d’un défaut d’impartialité objective. Le deuxième moyen, dirigé contre le point 72 de cet arrêt, est tiré d’une erreur de droit, d’une dénaturation des faits et d’un défaut de motivation dans la conclusion du Tribunal établissant une violation du principe d’égalité des armes pendant les travaux du conseil de discipline. Le troisième moyen, dirigé contre les points 90, 99 et 102 dudit arrêt, est tiré d’une erreur de droit, d’une dénaturation des faits et d’un défaut de motivation que le Tribunal aurait commis en considérant qu’il y avait eu une violation du droit d’être entendue d’UZ.

50.

Le premier moyen se décompose en quatre branches. Comme il a déjà été indiqué dans l’introduction, les présentes conclusions porteront uniquement sur la première branche dudit moyen. Par conséquent, je me limiterai à présenter ci-après les arguments y afférents avancés par le Parlement.

51.

Le Parlement soutient, en substance, que, en jugeant, aux points 52, 58 et 59 de l’arrêt attaqué, que deux enquêteurs, à savoir l’un en charge du volet « disciplinaire » de l’enquête administrative et l’autre en charge du volet « harcèlement » de cette enquête, n’auraient pas offert les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à leur impartialité objective, le Tribunal se serait fondé sur une dénaturation des faits ainsi que sur des critères juridiques erronés dans le cadre de l’appréciation de la notion d’« impartialité objective » et, partant, aurait méconnu l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

52.

Selon le Parlement, la seule connaissance préalable des faits par l’enquêteur en charge du volet « disciplinaire », notamment, lorsque cette connaissance est limitée et ponctuelle, voire incomplète, comme en l’occurrence, ne saurait, en elle-même, donner automatiquement lieu à un doute légitime justifiant de faire appel à une autre personne qui n’a aucune connaissance préalable des faits de l’espèce. En outre, le Tribunal n’aurait guère examiné si les appréhensions d’UZ étaient réellement de nature à justifier un doute légitime concernant l’impartialité objective des enquêteurs. Or, selon le Parlement, en l’occurrence, ces appréhensions n’auraient pas justifié la nécessité de nommer d’autres enquêteurs, notamment eu égard à l’absence de tout conflit d’intérêts entre les enquêteurs concernés et cette partie.

53.

Il est possible de déduire de ce résumé d’arguments que les questions juridiques qui se posent dans le cadre du présent litige concernent, en substance, deux aspects principaux : d’une part, la notion d’« impartialité » et, de l’autre, son applicabilité à un cas tel que celui de l’espèce. Afin d’analyser ces questions juridiques de manière structurée et logique, il est nécessaire de clarifier, dans un premier temps, quels sont les domaines dans l’ordre juridique de l’Union auxquels s’applique généralement cette notion et, dans un second temps, si la fonction publique en fait partie. Ce n’est qu’après avoir examiné ces questions juridiques qu’il sera possible d’établir si le Tribunal a commis des erreurs de droit et si le grief soulevé par le Parlement peut être considéré comme étant fondé. Les considérations ci-après suivent cette structure d’analyse.

B.   La notion d’« impartialité » en droit de l’Union

1. Considérations préliminaires

54.

Selon l’usage courant, la notion d’« impartialité » signifie « neutralité ». Elle se réfère à la qualité ou au caractère de quelqu’un qui ne favorise aucune partie aux dépens d’une autre ou de ce qui est objectif, juste et équitable ( 2 ). Cela étant dit, il convient d’attirer l’attention sur le fait que le droit de l’Union accorde une importance particulière à l’impartialité de ceux qui sont appelés à exercer une fonction spécifique – généralement liée à la prise de décisions ou à la résolution de différends – dans sa structure institutionnelle, que ce soient les juges et les avocats généraux ( 3 ) à la Cour ou les fonctionnaires et autres agents auprès des divers institutions, organes et organismes. Cela est notamment dû au fait que l’ordre juridique de l’Union a adopté de nombreux principes qui trouvent leur origine dans les traditions constitutionnelles de ses États membres.

55.

En effet, bien que l’Union, en tant qu’organisation supranationale, n’ait pas elle-même la qualité d’« État » au sens des concepts des sciences politiques, il est manifeste que les traités l’ont dotée de compétences qui évoquent une série de caractéristiques propres aux États membres. Le principe d’équilibre institutionnel qui découle de l’article 13, paragraphe 2, TUE, en vertu duquel « [c]haque institution [de l’Union] agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci » ( 4 ), vise précisément à garantir le respect mutuel, au sein de l’Union, des pouvoirs conférés aux institutions. Il en va de même pour la reconnaissance des valeurs universelles qui constituent « les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l’égalité et l’État de droit », tels qu’évoqués dans le préambule du traité UE. Plusieurs dispositions dans les traités, et notamment dans la Charte, garantissent que l’Union respectera ces principes lors de l’exercice de ses pouvoirs. Au stade actuel de son évolution, l’ordre juridique de l’Union présente des parallèles remarquables avec l’ordre juridique de ses États membres.

56.

Vu sous un angle différent, il serait possible d’affirmer que la garantie desdits principes et valeurs constitue une condition impérative pour le transfert de pouvoirs en faveur de l’Union. Dans la mesure où elle assume de plus en plus de compétences qui incombaient autrefois aux États membres, se substituant à ces derniers, son ordre juridique a dû évoluer de sorte à refléter les valeurs et principes de ces derniers. Par ailleurs, étant donné que le droit de l’Union requiert souvent une mise en œuvre au niveau national, par exemple, au moyen de la transposition d’une directive par les organes législatifs nationaux ou de l’adoption d’actes administratifs par les autorités nationales, une homogénéité de valeurs et de principes a dû être assurée ( 5 ). Elle est indispensable pour le bon fonctionnement de tout système de gouvernance à plusieurs niveaux, que ce soit un pays à structure fédérale ou un système d’intégration régionale comme l’Union.

57.

En ce qui concerne spécifiquement la notion d’« impartialité », il y a lieu de noter que celle-ci étant reconnue dans tous les États membres sous diverses facettes, il est logique qu’elle fasse également partie intégrale de l’ordre juridique de l’Union. La question qui se pose dans ce contexte est de savoir quels sont les domaines auxquels s’applique cette notion, en tenant compte des précieux indices fournis par la jurisprudence de la Cour. Dans les présentes conclusions, je présenterai un aperçu de cette jurisprudence dans l’objectif de confirmer la reconnaissance de la notion d’« impartialité » en tant que principe central du droit de l’Union.

2. Application au système judiciaire

58.

L’indépendance et l’impartialité constituent les deux principes fondamentaux de tout système judiciaire ( 6 ). Ces principes garantissent aux justiciables que l’acte de juger sera seulement déterminé par les arguments du débat judiciaire, en dehors de toute pression ou de tout préjugé. L’impartialité, qui est un élément clé du droit à un procès équitable, consacré par des textes éminents, tels que l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), désigne l’absence de préjugés qui doit caractériser le juge. En ce sens, l’indépendance concerne plutôt les rapports du juge avec les autres pouvoirs et constitue une condition nécessaire, bien que nullement suffisante, de son impartialité dans ses rapports avec les justiciables.

59.

Les traités et le statut de la Cour de justice de l’Union européenne constituent le fondement d’une activité juridictionnelle indépendante au niveau supranational ( 7 ), permettant un traitement en toute impartialité des affaires portées devant elle. Lorsque ces actes ne prévoient pas de dispositions spécifiques pour traiter certaines questions de procédure de manière appropriée, la Cour s’inspire souvent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en tant qu’organe juridictionnel international chargé de l’interprétation de la CEDH, laquelle reflète les traditions constitutionnelles communes aux États membres. Dans la mesure où ces droits et traditions constitutionnels font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme possède une autorité notoire dès qu’il est question d’interpréter ces principes généraux au sein de l’Union.

60.

L’arrêt du 19 février 2009, Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement (C‑308/07 P, ci-après l’« arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement », EU:C:2009:103), se révèle particulièrement pertinent dans le présent contexte, étant donné que la Cour y a rappelé l’importance du droit à un procès équitable, consacré à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, déjà mentionné, et qui implique l’accès pour toute personne à un tribunal indépendant et impartial. La Cour a déclaré, en ce qui concerne son statut dans l’ordre juridique de l’Union, que le droit à un procès équitable constituait un droit fondamental que l’Union respectait en tant que principe général en vertu de l’article 6, paragraphe 2, UE ( 8 ). À cet égard, il y a lieu de préciser que l’arrêt en cause date d’une époque préalable à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ledit droit étant actuellement consacré à l’article 47 de la Charte, qui prévoit, entre autres, l’accès pour toute personne à un tribunal indépendant et impartial. On observe que le droit de l’Union vise à offrir un niveau de protection similaire ou, à tout le moins, équivalent à celui qui est garanti par la CEDH.

61.

Une des questions juridiques qui avaient été posées à la Cour à l’époque, dans le cadre d’un pourvoi dirigé contre une ordonnance du Tribunal, consistait à établir si le fait qu’un ou plusieurs juges soient présents dans deux formations successives et y exercent les mêmes fonctions, comme celles de président ou de juge rapporteur, était de nature à faire naître un doute en ce qui concernait l’impartialité du Tribunal. Pour rappel, le requérant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt en cause avait fait valoir que, selon lui, le respect du principe d’impartialité exigeait qu’un même juge ne puisse, y compris lorsqu’il s’agit du même degré de juridiction, connaître d’une affaire reposant sur des faits identiques ou suffisamment connexes à ceux d’une affaire qu’il a déjà jugée ( 9 ). À son avis, une violation du droit à un juge impartial avait résulté de l’attribution de l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance attaquée à une formation composée de juges, y compris ceux exerçant les fonctions de président et de juge rapporteur, ayant déjà siégé dans la formation de jugement qui avait rendu l’arrêt dans une affaire précédente, portant en partie sur les mêmes faits.

62.

La Cour a rejeté cette argumentation, en répondant par la négative à la question juridique qui lui avait été posée. Selon la Cour, même si l’existence de garanties en matière de composition du tribunal représente la pierre angulaire du droit à un procès équitable, la circonstance que des juges ayant eu à connaître une première fois d’une affaire siègent dans une autre formation de jugement ayant de nouveau à connaître de la même affaire ne saurait être considérée par elle-même comme étant incompatible avec les exigences du droit à un procès équitable ( 10 ). La Cour a précisé que, en particulier, le fait qu’un ou plusieurs juges soient présents dans les deux formations successives et y exercent les mêmes fonctions est par lui-même sans incidence sur l’appréciation du respect de l’exigence d’impartialité dès lors que lesdites fonctions sont exercées dans une formation collégiale ( 11 ). De l’avis de la Cour, de telles considérations valent à plus forte raison lorsque les deux formations successives avaient à connaître non pas de la même affaire, mais de deux affaires distinctes présentant un certain degré de connexité ( 12 ).

63.

Il convient tout particulièrement de considérer que la Cour s’est appuyée sur la notion d’« impartialité » développée dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ( 13 ) afin de l’appliquer au système judiciaire de l’Union. Plus concrètement, la Cour a fait observer que l’exigence d’impartialité recouvre en réalité deux aspects. En premier lieu, le tribunal doit être subjectivement impartial, c’est-à-dire qu’aucun de ses membres ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, l’impartialité personnelle se présumant jusqu’à preuve du contraire. En second lieu, le tribunal doit être objectivement impartial, c’est-à-dire qu’il doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime ( 14 ).

64.

Revenant aux faits du cas d’espèce lui ayant été soumis pour décision, la Cour a relevé, d’une part, que le requérant n’avait invoqué aucun argument de nature à mettre en cause l’impartialité personnelle de membres du Tribunal et, d’autre part, qu’il n’avait allégué aucun élément objectif de nature à faire naître un doute en ce qui concernait l’impartialité du Tribunal ( 15 ). La Cour a constaté que le requérant s’était plutôt borné à invoquer la présence des mêmes juges dans les deux formations de jugement en cause, à savoir une circonstance qui n’était pas, en tant que telle, incompatible avec les exigences du droit à un procès équitable. La Cour a ainsi rejeté comme étant non fondé le moyen invoqué par le requérant, tiré d’une prétendue violation du droit à un juge impartial ( 16 ).

3. Application au droit administratif au sens large

65.

Bien que l’exigence d’impartialité soit particulièrement pertinente pour tout système judiciaire, compte tenu du rôle central que joue traditionnellement le pouvoir judiciaire dans l’interprétation et l’application du droit, elle n’est pas restreinte à ce domaine. Dans la mesure où l’ordre juridique confère des pouvoirs souverains aux organes de l’administration, leur permettant d’influer sur le statut juridique des personnes physiques et morales, s’impose la nécessité de soumettre l’exercice de ces pouvoirs à des conditions et de fixer même certaines limites afin de sauvegarder les intérêts légitimes de ces dernières ( 17 ). Cela doit se traduire également par la manière dont les organes de l’administration adoptent leurs décisions, c’est-à-dire sur le plan procédural. En effet, le droit de la procédure est au moins aussi important que les règles matérielles du droit administratif, étant donné qu’il permet aux justiciables de mettre en œuvre leurs droits. La détermination des conditions et des limites pour l’exercice des pouvoirs souverains par les organes de l’administration, généralement au niveau du droit constitutionnel, a pour objectif de créer un cadre de légalité, caractéristique essentielle de l’État de droit ( 18 ).

66.

Les considérations qui précèdent valent à plus forte raison pour une « union de droit » telle que l’Union dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes, notamment, aux traités et aux principes généraux du droit ( 19 ). Parmi les principes à la lumière desquels s’effectue ce contrôle de légalité figure le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte et qui garantit, entre autres, le droit de toute personne à « voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union » (mise en italique par mes soins).

67.

La particularité de l’article 41 de la Charte réside dans le fait qu’il transforme quelques éléments du principe objectif de légalité en un droit subjectif à une bonne administration. En tant que tel, il habilite le titulaire dudit droit à exiger de l’administration qu’elle agisse d’une certaine manière ou qu’elle s’abstienne d’agir ( 20 ). Cette disposition prévoit pour la procédure administrative des garanties équivalentes à celles qui sont prévues aux articles 47 et 48 de la Charte pour la procédure judiciaire. En conséquence, certains droits, tels que le droit d’être entendu, peuvent relever tant du droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, que du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable garantis aux articles 47 et 48 de la Charte ( 21 ). Dès lors, leur applicabilité dépend de la procédure en cause. La genèse de l’article 41 de la Charte révèle que cette disposition se fonde sur des traditions juridiques nationales et européennes ( 22 ), et notamment sur la jurisprudence de la Cour qui a invoqué occasionnellement la notion de « bonne administration » afin de renforcer le statut des assujettis ( 23 ).

68.

Étant donné que le droit administratif de l’Union n’est pas codifié par un instrument législatif unique, mais plutôt par une multiplicité d’actes juridiques régissant chacun un domaine respectif ( 24 ), les procédures administratives peuvent également varier considérablement ( 25 ). Nonobstant, certains principes régissant la procédure administrative s’appliquent de manière obligatoire, y compris les droits visés à l’article 41 de la Charte, qui, dans leur ensemble, consacrent le droit à une bonne administration. En raison de son rang constitutionnel dans l’ordre juridique de l’Union, l’article 41 de la Charte a pour effet d’établir un droit horizontal à une bonne administration qui trouve à s’appliquer à toute procédure administrative, même si un acte législatif établissant une telle procédure ne le prévoit pas expressément ( 26 ).

69.

Afin de mieux illustrer la portée de ce droit, et plus spécifiquement l’exigence d’impartialité en droit administratif de l’Union, je présenterai ci-après quelques exemples tirés de la jurisprudence de la Cour dans les domaines du droit de la concurrence ( 27 ), de l’autorisation de médicaments ( 28 ) et de la surveillance économique et budgétaire de la zone euro ( 29 ), ainsi que du droit de la fonction publique ( 30 ). L’analyse de cette jurisprudence constituera le point de départ pour examiner ensuite si l’exigence d’impartialité peut être appliquée aux enquêtes dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

a) Le droit de la concurrence

70.

L’arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission (C‑439/11 P, ci-après l’« arrêt Ziegler/Commission », EU:C:2013:513), fournit des enseignements utiles pour l’application du droit à une bonne administration aux procédures relevant du droit de la concurrence. Dans l’affaire en cause, qui portait sur la participation de plusieurs entreprises à une entente dans le secteur des services de déménagements internationaux, la Cour a été appelée à établir, entre autres, si les droits des entreprises impliquées avaient été respectés par la Commission, en tant qu’autorité en charge de sanctionner les ententes illicites. Selon une des entreprises impliquées, la décision par laquelle la Commission lui avait infligé une amende était viciée par une absence d’impartialité objective au motif que la Commission était concernée par l’infraction reprochée tant du fait que cette dernière en serait l’une des victimes que du fait que des fonctionnaires de la Commission avaient été impliqués dans les activités illicites. Cette argumentation s’est fondée sur la prémisse que les victimes d’une infraction ne pourraient être appelées à en juger ( 31 ).

71.

La Cour a examiné cette argumentation, établissant, tout d’abord, que si la Commission ne saurait être qualifiée de « tribunal » au sens de l’article 6 de la CEDH, elle n’en reste pas moins tenue de respecter les droits fondamentaux de l’Union au cours de la procédure administrative, parmi lesquels figure le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte. La Cour a précisé que c’est ce dernier, et non l’article 47 de la Charte, qui régit la procédure administrative en matière d’ententes devant la Commission ( 32 ). Ce constat apporte une clarification importante concernant les champs d’application respectifs et le rapport entre ces deux dispositions, aspects sur lesquels j’ai déjà attiré l’attention dans les présentes conclusions ( 33 ).

72.

Se référant à sa jurisprudence, notamment à l’arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement précité ( 34 ), la Cour a rappelé que, aux termes de l’article 41 de la Charte, toute personne a le droit, notamment, de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions de l’Union. Cette exigence d’impartialité recouvre, d’une part, l’impartialité subjective, en ce sens qu’aucun membre de l’institution concernée qui est en charge de l’affaire ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel et, d’autre part, l’impartialité objective, en ce sens que l’institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime ( 35 ).

73.

Faisant observer que seule la notion d’« impartialité objective » était en cause en l’espèce, la Cour a considéré au regard de l’argumentation présentée par l’entreprise impliquée que le seul fait que la Commission enquête sur une entente qui a porté atteinte aux intérêts financiers de l’Union et la sanctionne ne saurait emporter un défaut d’impartialité objective de celle-ci. Selon la Cour, s’il en allait autrement, la simple possibilité que la Commission, voire une autre institution de l’Union, ait pu être victime d’un comportement anticoncurrentiel aurait pour effet de la priver de sa compétence d’enquêter sur de tels comportements, ce qui ne saurait être admis. À cet égard, la Cour a considéré qu’il importait, en particulier, de souligner que, aux termes de l’article 105 TFUE, parmi les missions dévolues à la Commission par les traités figure précisément celle de veiller à l’application des principes fixés par les articles 101 TFUE et 102 TFUE ( 36 ).

74.

La Cour a ensuite estimé que le fait que les services de la Commission en charge de la poursuite des infractions au droit de la concurrence de l’Union et ceux responsables de la prise en charge des déménagements des fonctionnaires et des agents de cette institution appartiennent à la même structure organisationnelle ne saurait pas davantage, à lui seul, remettre en cause l’impartialité objective de cette institution, lesdits services faisant nécessairement partie de la structure à laquelle ils appartiennent ( 37 ). Enfin, la Cour a rappelé que les décisions de la Commission peuvent être soumises au contrôle du juge de l’Union et que le droit de l’Union prévoit un système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission, notamment relatives aux procédures d’application de l’article 101 TFUE, qui offre toutes les garanties requises par l’article 47 de la Charte ( 38 ).

75.

Au vu de tous ces éléments, la Cour a conclu qu’il n’y avait aucun indice faisant supposer que la Commission ait manqué à l’obligation d’impartialité qui s’imposait à elle. La Cour a ainsi jugé que c’était sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal avait rejeté le moyen soulevé par l’entreprise impliquée, tiré d’une violation du droit à une procédure équitable et du principe général de bonne administration ( 39 ).

b) L’autorisation de médicaments

76.

Si le droit de la concurrence pouvait possiblement apparaître comme un domaine particulier en droit administratif, compte tenu des larges pouvoirs de contrôle attribués à la Commission, de nature à justifier la reconnaissance de certaines garanties aux personnes morales soumises à ce régime juridique ( 40 ), l’arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission (C‑680/16 P, ci-après « l’arrêt Wolff/Commission », EU:C:2019:257), montre clairement que l’exigence d’impartialité consacrée à l’article 41 de la Charte est pleinement applicable aux procédures administratives devant les diverses institutions, organes et organismes de l’Union. De surcroît, cet arrêt contient de précieux éclaircissements sur la portée des obligations qui incombent aux fonctionnaires et agents qui y travaillent.

77.

À l’origine du litige ayant donné lieu audit arrêt se trouvait une décision adoptée par la Commission concernant les autorisations nationales de mise sur le marché des médicaments et qui se fondait sur l’avis émis par un comité des médicaments à usage humain (ci-après le « comité »), chargé d’élaborer l’avis de l’Agence européenne des médicaments (ci-après l’« EMA ») sur toute question relative à l’évaluation des médicaments à usage humain. Les parties requérantes demandant l’annulation de cette décision par le Tribunal avaient mis en exergue le fait que la rapporteuse principale, désignée par ledit comité pour préparer l’avis de celui-ci, avait agi en double qualité, car elle était également employée par l’autorité nationale qui avait déclenché la procédure de révision de l’autorisation de mise sur le marché devant le comité. Or, une telle circonstance constituerait un chevauchement de fonctions et un conflit d’intérêts faisant naître un doute légitime quant à l’impartialité de la procédure ( 41 ).

78.

La Cour a examiné les arguments invoqués par les parties requérantes, en rappelant d’emblée que les institutions, les organes et les organismes de l’Union sont tenus de respecter les droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union, parmi lesquels figure le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte. La Cour a attiré l’attention sur le fait que le paragraphe 1 de cette disposition énonce notamment que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions, les organes et les organismes de l’Union ( 42 ).

79.

À cet égard, la Cour a relevé que l’exigence d’impartialité, qui s’impose aux institutions, aux organes et aux organismes dans l’accomplissement de leurs missions, vise à garantir l’égalité de traitement qui est au fondement de l’Union. Cette exigence vise, notamment, à éviter des situations de conflits d’intérêts éventuels dans le chef de fonctionnaires et d’agents agissant pour le compte des institutions, des organes et des organismes. Compte tenu de l’importance fondamentale de la garantie d’indépendance et d’intégrité en ce qui concerne tant le fonctionnement interne que l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes de l’Union, l’exigence d’impartialité couvre toutes circonstances que le fonctionnaire ou l’agent amené à se prononcer sur une affaire doit raisonnablement comprendre comme étant de nature à apparaître, aux yeux des tiers, comme susceptible d’affecter son indépendance en la matière ( 43 ).

80.

Selon la Cour, il incombe aussi à ces institutions, organes et organismes de se conformer à l’exigence d’impartialité, dans ses deux composantes que sont, d’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel et, d’autre part, l’impartialité objective, conformément à laquelle cette institution doit offrir les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé ( 44 ). S’agissant, plus particulièrement, de cette seconde composante du principe d’impartialité, la Cour a relevé que, lorsque plusieurs institutions, organes ou organismes de l’Union se voient attribuer des responsabilités propres et distinctes dans le cadre d’une procédure susceptible d’aboutir à une décision faisant grief à un justiciable, chacune de ces entités est tenue, pour ce qui la concerne, de se conformer à l’exigence d’impartialité objective. Par conséquent, même dans l’hypothèse où c’est uniquement l’une d’entre elles qui a manqué à cette exigence, un tel manquement est susceptible d’entacher d’illégalité la décision adoptée par l’autre au terme de la procédure concernée ( 45 ).

81.

La Cour a partagé l’avis des parties requérantes, considérant que les circonstances particulières de l’affaire en l’espèce étaient susceptibles de susciter des doutes quant au respect de l’exigence d’impartialité. Plus concrètement, la Cour a estimé que l’impartialité objective du comité en cause pouvait être compromise à cause du conflit d’intérêts qu’entraînait le chevauchement de fonctions d’un de ses membres, et ce indépendamment de la conduite personnelle dudit membre ( 46 ). La Cour a considéré comme des facteurs décisifs le rôle conféré à la rapporteuse au sein dudit comité ainsi que l’absence de garanties suffisantes pour éviter toute influence indue sur l’avis du comité. En effet, la Cour a déclaré qu’il appartenait au comité, compte tenu des responsabilités propres assumées par la rapporteuse, de faire preuve d’une vigilance particulière en attribuant cette fonction, afin d’éviter de faire naître tout doute légitime quant à un éventuel préjugé ( 47 ).

82.

La Cour a rappelé que, afin de démontrer que l’organisation de la procédure administrative n’offrait pas les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé, il n’était pas requis d’établir l’existence d’un manque d’impartialité en raison des caractéristiques spécifiques du rôle de rapporteuse dans le cadre des procédures menées devant le comité. Il suffisait qu’un doute légitime à cet égard existe et ne puisse pas être dissipé ( 48 ). S’agissant du cas d’espèce, la Cour a considéré, en substance, que des tiers observateurs pouvaient légitimement estimer que l’autorité nationale ayant déclenché la procédure devant le comité était en mesure d’exercer une influence sur les décisions prises par ce dernier ( 49 ). La valeur de cet arrêt réside dans le fait d’avoir établi un certain niveau de preuve permettant de déterminer si l’impartialité objective a été compromise dans un cas particulier. On y reviendra ultérieurement dès qu’il sera question d’examiner la présente affaire à la lumière des critères développés dans la jurisprudence.

83.

Eu égard aux considérations précédentes, la Cour est arrivée à la conclusion que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que le comité avait donné l’assurance de garanties suffisantes pour exclure l’existence d’un doute légitime quant au respect de l’obligation d’impartialité consacrée à l’article 41 de la Charte.

c) La surveillance économique et budgétaire de la zone euro

84.

L’arrêt du 20 décembre 2017, Espagne/Conseil (C‑521/15, ci-après l’« arrêt Espagne/Conseil », EU:C:2017:982), mérite également d’être cité dans un aperçu de jurisprudence portant sur l’exigence d’impartialité dans le cadre d’une procédure administrative. La pertinence de cet arrêt résulte du fait que la procédure administrative en cause prévoit une phase d’enquête à l’encontre des États membres, ce qui soulève la question de savoir si ces derniers peuvent invoquer le droit à une bonne administration, garanti par l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, afin d’alléguer l’illégalité d’un acte administratif ( 50 ). La Cour s’est explicitement abstenue de juger si un État membre peut être regardé comme, ou assimilé à, une « personne », au sens de ladite disposition, et peut à ce titre se prévaloir du droit qu’elle énonce. Elle a tout de même déclaré que ce droit reflète un principe général du droit de l’Union, qui peut, pour sa part, être invoqué par les États membres et au regard duquel il convient, partant, d’apprécier la légalité de tout acte administratif adopté par les institutions de l’Union.

85.

L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Espagne/Conseil relève du domaine de la surveillance économique et budgétaire de la zone euro et concernait, plus concrètement, les pouvoirs d’enquête de l’office statistique de l’Union européenne (Eurostat) vis-à-vis des États membres. À l’origine de ce litige se trouvait une décision adoptée par le Conseil, dans laquelle ce dernier avait conclu que le Royaume d’Espagne avait fourni, par grave négligence, des déclarations erronées à Eurostat et avait, de ce fait, infligé une amende audit État membre. La décision litigieuse s’était fondée sur des données obtenues dans le cadre d’enquêtes portant sur la manipulation des statistiques en Espagne.

86.

S’opposant à la décision litigieuse, cet État membre avait introduit un recours en annulation, faisant valoir, notamment, une violation du droit à une bonne administration du fait que la procédure d’enquête avait été conduite dans des conditions n’assurant pas l’impartialité objective de la Commission ( 51 ). Plus concrètement, l’Espagne avait fait valoir que plusieurs agents parmi ceux ayant pris part aux visites effectuées par Eurostat en Espagne, préalablement à l’adoption de la décision d’ouverture de l’enquête, auraient fait partie de l’équipe qui a ultérieurement été mobilisée par la Commission dans le cadre de la procédure d’enquête.

87.

Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, la Cour a examiné l’illégalité alléguée de la décision litigieuse du Conseil sous l’angle du principe général que reflète le droit à une bonne administration consacré à l’article 41 de la Charte, rappelant sa jurisprudence, selon laquelle les institutions de l’Union sont tenues de respecter ledit principe général de droit dans le cadre des procédures administratives ouvertes à l’encontre des États membres et susceptibles d’aboutir à des décisions faisant grief à ces derniers ( 52 ). Faisant référence à l’arrêt Ziegler/Commission précité, la Cour a rappelé qu’il incombe à ces institutions de se conformer à l’exigence d’impartialité, dans ses deux composantes que sont, d’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, conformément à laquelle cette institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé ( 53 ).

88.

La Cour a rejeté l’accusation de partialité faite par l’Espagne en faisant valoir, en substance, que les visites, d’une part, et la procédure, d’autre part, relevaient de cadres juridiques distincts et avaient un objet différent ( 54 ). D’après la Cour, même si les données visées par ces visites, d’une part, et par cette procédure d’enquête, d’autre part, pouvaient en partie coïncider, les appréciations qu’Eurostat et la Commission étaient respectivement appelés à porter sur ces données étaient, en revanche, nécessairement différentes. Par conséquent, les appréciations portées par Eurostat sur la qualité de certaines de ces données, à l’issue de visites effectuées dans un État membre, ne préjugeaient pas, en elles-mêmes, de la position qui pourrait être prise par la Commission sur l’existence de déclarations erronées relatives à ces mêmes données dans le cas où cette institution déciderait par la suite d’ouvrir une procédure d’enquête à ce sujet ( 55 ).

89.

La Cour en a déduit que le fait de confier l’instruction d’une procédure d’enquête fondée sur une base juridique déterminée à une équipe composée, dans une large mesure, d’agents d’Eurostat ayant déjà participé à des visites organisées par ce service dans l’État membre concerné sur une base juridique distincte, antérieurement à l’ouverture de cette procédure, ne permettait pas, comme tel, à la Cour de conclure que la décision adoptée au terme de ladite procédure était entachée d’illégalité en raison d’un manquement à l’exigence d’impartialité objective pesant sur la Commission ( 56 ).

90.

De surcroît, la Cour a précisé qu’il ne revenait pas à Eurostat, mais plutôt à la Commission, et donc aux commissaires agissant collégialement, de décider d’ouvrir la procédure d’enquête, d’assumer la responsabilité de mener l’enquête et, finalement, de soumettre au Conseil les recommandations et les propositions qui s’imposent au terme de cette dernière. La Cour a précisé que, dans la mesure où le cadre juridique pertinent ne confiait aucune responsabilité propre aux agents d’Eurostat dans la conduite de la procédure d’enquête, le rôle confié aux agents d’Eurostat dans cette procédure d’enquête ne pouvait être considéré comme étant décisif ni pour le déroulement ni pour l’issue de cette procédure. Ainsi, la Cour a estimé qu’il ne pouvait pas être considéré que le fait d’avoir confié l’instruction de la procédure d’enquête à une équipe composée, dans une large mesure, d’agents d’Eurostat ayant déjà participé à des visites organisées par ce service en Espagne, antérieurement à l’ouverture de cette procédure, entachait la décision attaquée d’un prétendu manquement de la Commission à l’exigence d’impartialité objective. En conséquence, la Cour a rejeté le moyen invoqué par l’Espagne tiré d’une violation du droit à une bonne administration.

4. Application au droit de la fonction publique

91.

Les arrêts présentés aux points précédents illustrent la manière dont s’applique l’exigence d’impartialité dans le cadre de procédures administratives pendantes devant des institutions, des organes et des organismes de l’Union. Un aspect commun à ces affaires est le fait que les procédures en cause impliquaient des personnes morales ainsi que des États membres, c’est-à-dire des parties qui pourraient être considérées comme étant « externes » à l’administration de l’Union. Cela étant dit, je suis tout de même d’avis qu’aucune raison légitime ne vient justifier l’exclusion des fonctionnaires et des agents de l’administration du cercle de bénéficiaires de la protection garantie par l’article 41 de la Charte ( 57 ). Au contraire, je tiens à constater dans ce contexte que, premièrement, au titre de cette disposition, « toute personne » a le droit de voir ses affaires traitées impartialement et, deuxièmement, cette disposition ne distingue pas entre le droit administratif de l’Union proprement dit et la fonction publique européenne, cette dernière relevant également du droit administratif, au sens large du terme. Par conséquent, l’exigence d’impartialité doit être considérée comme un principe de portée générale, applicable à toute procédure administrative. Comme il sera expliqué ci-après au moyen d’exemples, cette interprétation a été confirmée par la jurisprudence de la Cour.

a) La procédure de levée de l’immunité d’un fonctionnaire

92.

À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que, ainsi qu’il ressort de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, le droit à une bonne administration comprend en réalité un faisceau de droits, qui inclut notamment le droit d’être entendu. Dans l’arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ (C‑831/18 P, ci-après l’« arrêt Commission/RQ », EU:C:2020:481), que je présenterai ensuite, la Cour s’est prononcée sur la portée du droit d’être entendu ( 58 ) dans le cadre d’une procédure ayant pour objet la levée de l’immunité d’un fonctionnaire de l’Union. L’arrêt en cause concernait dès lors un aspect essentiel de la fonction publique européenne, garanti par le protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ( 59 ) dans l’objectif d’assurer le bon fonctionnement des institutions, des organes et des organismes de l’Union. La pertinence de cet arrêt pour l’examen de la présente affaire réside dans le fait qu’il contient des considérations générales sur l’interprétation de l’article 41 de la Charte, qui, pour des raisons que j’évoquerai plus loin, me paraissent transposables à l’exigence d’impartialité.

93.

Dans la partie pertinente de l’analyse, la Cour a rappelé d’emblée que, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union ( 60 ). La Cour a noté que, s’agissant plus particulièrement du droit d’être entendu dans toute procédure, celui-ci fait partie intégrante dudit principe fondamental et est aujourd’hui consacré non seulement par les articles 47 et 48 de la Charte, qui garantissent le respect des droits de la défense ainsi que du droit à un procès équitable dans le cadre de toute procédure juridictionnelle, mais également par l’article 41 de celle-ci, qui assure le droit à une bonne administration ( 61 ). En effet, le paragraphe 2 dudit article 41 prévoit que ce droit à une bonne administration comporte notamment le droit pour toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise contre elle ( 62 ). Il convient de noter dans ce contexte que, comme il a déjà été indiqué dans les présentes conclusions en relation avec l’exigence d’impartialité, la Cour souligne le parallélisme existant entre les droits garantis par les articles 41 et 47 de la Charte, applicables respectivement à un type de procédure spécifique.

94.

La Cour a observé ensuite que, ainsi qu’il résulte de son libellé même, cette disposition est d’application générale. La Cour en a déduit que le droit d’être entendu doit être respecté dans toute procédure susceptible d’aboutir à un acte faisant grief, même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité. De plus, ledit droit garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ( 63 ). Dans la mesure où ces considérations coïncident avec les observations que j’ai exposées plus haut au soutien de la thèse selon laquelle l’exigence d’impartialité doit être comprise en tant que principe de portée générale régissant toute procédure administrative, il me semble évident que l’article 41 de la Charte a également vocation à s’appliquer à la fonction publique européenne en ce qui concerne cette exigence.

95.

Une autre raison pour laquelle l’arrêt Commission/RQ revêt une importance particulière résulte du fait qu’il contient des indications sur certains aspects du droit administratif général de l’Union, susceptibles de jouer un rôle déterminant pour l’examen de la présente affaire et sur lesquels je reviendrai plus tard dans les présentes conclusions ( 64 ), à savoir les conséquences juridiques qu’il y a lieu d’en tirer lorsque l’administration adopte une décision en violation des droits procéduraux de la personne concernée.

96.

À cet égard, la Cour a rappelé que, selon sa jurisprudence constante, une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent ( 65 ). Sur ce point, la Cour a précisé qu’il ne saurait être imposé à un requérant qui invoque la violation de ses droits de la défense de démontrer que la décision de l’institution de l’Union concernée aurait eu un contenu différent, mais uniquement qu’une telle hypothèse n’est pas entièrement exclue. L’appréciation de cette question doit être effectuée en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de chaque espèce ( 66 ).

b) La procédure de destitution d’un membre de la Commission

97.

Pour conclure cet aperçu de jurisprudence, il convient de citer l’arrêt du 25 février 2021, Dalli/Commission (C‑615/19 P, ci-après l’« arrêt Dalli/Commission », EU:C:2021:133), à titre d’exemple de l’application de l’exigence d’impartialité au domaine de la fonction publique. À l’origine de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt se trouvait un recours introduit devant le Tribunal par un ancien membre de la Commission européenne, tendant à la condamnation de cette dernière en réparation du préjudice, notamment moral, qu’il aurait subi en raison de comportements prétendument illégaux de la Commission et de l’OLAF, liés à la cessation de ses fonctions. À l’appui de son recours, le requérant avait fait valoir plusieurs griefs relatifs à l’illégalité du comportement de la Commission et de l’OLAF qui, néanmoins, ont tous été rejetés par le Tribunal.

98.

Par son pourvoi, le requérant avait fait valoir des erreurs de droit prétendument commises par le Tribunal du fait que ce dernier n’avait constaté aucune violation de l’exigence d’impartialité au titre de l’article 41 de la Charte dans le cadre de l’enquête conduite contre lui. Or, selon celui-ci, il y avait des éléments susceptibles de faire naître des doutes légitimes quant à l’impartialité de l’enquête. En premier lieu, le requérant avait critiqué la participation directe du directeur de l’OLAF, alors que, selon le requérant, la règlementation en vigueur ne lui conférait qu’une compétence à diriger les enquêtes. En second lieu, le requérant avait reproché au Tribunal d’avoir conclu à tort que la participation de représentants d’une autorité nationale à l’enquête ne portait pas atteinte à l’impartialité objective de l’OLAF, alors que l’un de ces représentants était également membre du comité de surveillance ( 67 ).

99.

La Cour n’a pas partagé l’avis du requérant et a, par la suite, rejeté le moyen tiré d’une erreur de droit fondée, en substance, sur une prétendue méconnaissance de l’exigence d’impartialité. Plus précisément, la Cour est arrivée à la conclusion qu’aucune des circonstances invoquées par le requérant n’était de nature à remettre en cause le respect de l’exigence d’impartialité.

100.

En premier lieu, en ce qui concerne l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal lorsqu’il s’est prononcé sur la participation du directeur de l’OLAF à l’enquête, la Cour a rappelé que l’article 41, paragraphe 1, de la Charte énonce notamment que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions, les organes et les organismes de l’Union ( 68 ). La Cour a expliqué qu’il incombe à ces institutions, à ces organes et à ces organismes de se conformer à l’exigence d’impartialité, dans ses deux composantes que sont, d’une part, l’impartialité subjective et, d’autre part, l’impartialité objective. La Cour a ensuite apporté des éclaircissements concernant les compétences du directeur de l’OLAF, rappelant à cet effet les dispositions pertinentes du règlement relatif aux enquêtes effectuées par ce service ( 69 ) et arrivant à la conclusion que celui-ci était appelé à jouer un rôle actif dans la conduite des enquêtes. La Cour a observé que le requérant n’avait pas démontré que la participation directe du directeur de l’OLAF à certaines activités d’enquête serait de nature à porter atteinte à l’impartialité objective de celui-ci. En outre, la Cour a remarqué que le requérant n’avait pas contesté la validité de ces dispositions. En conséquence, la Cour a estimé que l’appréciation du Tribunal, selon laquelle une telle participation directe ne portait pas atteinte à l’impartialité de l’enquête, n’était pas entachée d’une erreur de droit.

101.

En second lieu, s’agissant de la participation à une audition d’un représentant d’une autorité nationale également membre du comité de surveillance, la Cour a estimé que le fait que l’un de ses membres ait directement pris part à la réalisation d’une activité d’enquête de l’OLAF était de nature à faire naître un doute légitime quant à l’existence d’un éventuel préjugé, positif ou négatif, de sa part, dans l’exercice de ses fonctions de contrôle au sein de ce comité sur les conditions de réalisation de l’activité d’enquête en cause ( 70 ). Or, selon la Cour, si l’impartialité objective d’un membre du comité de surveillance pouvait ainsi être mise en cause à l’occasion de l’exercice des fonctions de contrôle qu’il exerçait en cette qualité, la circonstance que cette personne puisse être appelée ultérieurement à exercer un tel contrôle ne pouvait pas, en revanche, faire naître un doute légitime quant à son impartialité lors de sa participation à une activité d’enquête. La Cour en a déduit que, bien que le défaut d’impartialité objective soulevé par le requérant ait pu, le cas échéant, être invoqué à l’égard de l’avis rendu par le comité de surveillance quant à l’enquête de l’OLAF, il n’était pas susceptible de remettre en cause le respect du principe d’impartialité dans le cadre de cette enquête et, en particulier, au cours de l’audition à laquelle un membre de ce comité avait participé. À cet égard, la Cour a constaté que l’argumentation du requérant visait à contester la légalité de la collecte des éléments de preuve par l’OLAF et non celle de l’avis du comité de surveillance. La Cour a ainsi conclu que l’argument tiré d’une erreur de droit sur ce point devait être rejeté comme étant non fondé.

C.   Enseignements à tirer de la jurisprudence

102.

L’aperçu de jurisprudence qui précède nous invite à établir, dans un premier temps, les enseignements qu’il convient de tirer quant à la notion d’« impartialité » en droit de l’Union, avant de nous pencher, dans un second temps, sur l’examen du pourvoi formé par le Parlement ( 71 ) dans la présente affaire.

103.

Premièrement, les exemples que j’ai présentés dans cet aperçu de jurisprudence militent en faveur d’une application de l’exigence d’impartialité au domaine de la fonction publique. Cette conclusion résulte notamment du fait que les arrêts Commission/RQ ( 72 ) et Dalli/Commission ( 73 ) montrent clairement que l’article 41, paragraphe 1, de la Charte s’applique aux procédures administratives, prévoyant une phase d’enquête et ayant trait au statut juridique des fonctionnaires et des membres de la Commission, qu’elles concernent leur immunité ou le maintien même de leurs fonctions.

104.

Deuxièmement, il ressort de l’arrêt Wolff/Commission ( 74 ) que l’exigence d’impartialité vise à garantir l’égalité de traitement. De même, il est possible de déduire de cet arrêt que, dans la mesure où tant le fonctionnement interne que l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes dépendent du respect de cette exigence, celle-ci doit nécessairement s’étendre à tous les domaines d’activité de l’administration de l’Union, y compris les aspects liés à la gestion de la fonction publique, comme la nomination, la promotion et la sanction du personnel.

105.

Troisièmement, il convient de noter que la Cour s’appuie dans sa jurisprudence ( 75 ) sur une notion d’« impartialité » qui contient deux composantes. D’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, conformément à laquelle cette institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé.

106.

Quatrièmement, en ce qui concerne cette seconde composante, il ressort de l’arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement ( 76 ) qu’une connaissance préalable des faits par ceux qui sont appelés à participer à l’adoption d’une décision judiciaire ou administrative ne constitue pas, à elle seule, une circonstance susceptible de l’entacher d’un vice de procédure sous la forme d’un défaut d’impartialité. En effet, ainsi qu’il ressort des arrêts Wolff/Commission ( 77 ) et Espagne/Conseil ( 78 ), une telle connaissance préalable se révèle souvent inévitable compte tenu d’une activité professionnelle exercée antérieurement ou en parallèle par les personnes concernées. Il est plutôt nécessaire d’établir s’il existe dans le cas particulier un conflit d’intérêts dans le chef de fonctionnaires et d’agents agissant pour le compte des institutions, des organes et des organismes faisant naître un doute légitime quant à l’impartialité de la procédure.

107.

Cinquièmement, il ressort des arrêts Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement ( 79 ), Dalli/Commission ( 80 ) et Wolff/Commission ( 81 ) que la jurisprudence de la Cour exige de la personne concernée, d’un point de vue procédural, qu’elle invoque des arguments de nature à mettre en cause l’impartialité personnelle des fonctionnaires ou agents impliqués dans la procédure administrative. En effet, c’est uniquement sur la base des arguments présentés par les personnes concernées que la Cour peut effectuer un examen détaillé de la violation alléguée de l’impartialité objective. Dès lors, il s’ensuit que des allégations générales et abstraites, clairement dénuées de fondement, ne satisfont guère à cette exigence.

108.

Toutefois, il convient de faire observer que la Cour a précisé dans l’arrêt Wolff/Commission ( 82 ) que, afin de démontrer que l’organisation de la procédure administrative n’offre pas des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé, il n’est pas requis d’établir l’existence d’un manque d’impartialité en raison des caractéristiques spécifiques du rôle de rapporteuse dans le cadre des procédures menées devant le comité. Il suffit qu’un doute légitime à cet égard existe et ne puisse pas être dissipé. Par conséquent, la charge de la preuve ne semble pas être excessivement onéreuse.

109.

Sixièmement, il est possible de déduire des arrêts Ziegler/Commission ( 83 ) et Wolff/Commission ( 84 ) qu’un examen du respect de l’exigence d’impartialité subjective n’est pas nécessaire dans les cas dans lesquels une violation de l’impartialité objective a déjà été constatée. Un examen des faits à la lumière de la seconde composante de la notion d’« impartialité » suffit s’il n’existe pas d’éléments permettant d’établir avec certitude l’existence de préjugés dans le chef des fonctionnaires ou agents impliqués dans la procédure administrative.

110.

Septièmement, il découle des arrêts Espagne/Conseil ( 85 ) et Wolff/Commission ( 86 ) que lorsque plusieurs institutions, organes ou organismes de l’Union se voient attribuer des responsabilités propres et distinctes dans le cadre d’une procédure susceptible d’aboutir à une décision faisant grief à un justiciable, chacune de ces entités est tenue, pour ce qui la concerne, de se conformer à l’exigence d’impartialité objective. Par conséquent, même dans l’hypothèse où c’est uniquement l’une d’entre elles qui a manqué à cette exigence, un tel manquement est susceptible d’entacher d’illégalité la décision adoptée par l’autre au terme de la procédure concernée.

111.

Huitièmement, il résulte d’une comparaison entre, d’une part, l’arrêt Wolff/Commission ( 87 ), dans lequel la Cour a constaté que l’exigence d’impartialité n’avait pas été respectée et, d’autre part, l’arrêt Commission/RQ ( 88 ), qui portait sur la violation du droit d’être entendu, qu’une violation des droits visés à l’article 41 de la Charte et qui, dans leur ensemble, consacrent le droit à une bonne administration est apparemment susceptible d’avoir des conséquences différentes en fonction du droit enfreint en l’espèce.

112.

En effet, dans l’arrêt Commission/RQ ( 89 ), la Cour a rappelé que, selon sa jurisprudence constante, « une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent ». Or, il y a lieu de noter qu’une telle référence à la jurisprudence relative aux conséquences juridiques d’un vice de procédure résultant d’une violation des droits de la défense ne se trouve nulle part dans l’arrêt Wolff/Commission. En revanche, la Cour a exposé en détail dans cet arrêt les motifs pour lesquels elle a estimé que la participation d’un expert déterminé à la procédure de prise de décisions était de nature à susciter des doutes légitimes quant à l’impartialité du comité au sein de l’EMA parmi des tiers observateurs, concluant ainsi à une violation de l’exigence d’impartialité consacrée à l’article 41 de la Charte.

113.

Se pose donc la question de savoir si une telle distinction entre les droits en cause apparaît justifiée du point de vue juridique. À mon sens, cette question mérite une réponse nuancée, comme je l’expliquerai ci-après.

114.

Si une violation des droits garantis par l’article 41, paragraphe 2, de la Charte constitue certainement un vice de procédure susceptible d’entacher une décision administrative d’« illégalité », il est tout de même nécessaire de rappeler que le droit de la procédure administrative de l’Union et de ses États membres prévoit des mécanismes de régularisation pour y remédier ( 90 ). À titre d’exemple, le droit d’être entendu peut être accordé à l’intéressé à un stade ultérieur de la procédure, avant que celle-ci n’arrive à son terme et qu’une décision finale ne soit prise. De même, la Cour a récemment jugé dans l’arrêt Commission/Di Bernardo ( 91 ) qu’il est possible, sous certaines conditions strictes, de compléter la motivation insuffisante d’un acte administratif, évitant ainsi de porter atteinte aux droits du destinataire dudit acte ( 92 ).

115.

En outre, il convient de rappeler que les vices de procédure ne sont pas tous de nature à influer sur le fond d’une décision administrative. En d’autres termes, une erreur de la part de l’administration dans la gestion de la procédure peut se révéler inoffensive au regard des différents intérêts en jeu. En effet, pour des raisons notamment d’efficacité administrative, de sécurité juridique et d’économie procédurale, l’administration peut se voir exemptée de la sanction de « nullité » que prévoit généralement tout ordre juridique pour les cas les plus graves d’illégalité d’une décision administrative. Selon ce modèle, l’« illégalité formelle » de l’acte juridique par lequel cette décision est prise est acceptée pour autant qu’elle ne porte pas atteinte au « droit matériel » de l’intéressé. Cela étant dit, il me semble que la Cour est consciente de tous ces aspects et applique le modèle que je viens d’illustrer à l’ordre juridique de l’Union, dans la mesure où elle exige, conformément à la jurisprudence précitée, d’examiner, dans chaque cas particulier, les conséquences d’une violation des droits de la défense, notamment du droit d’être entendu, avant de décider sur le sort de la décision administrative en cause.

116.

Pour ce qui concerne spécifiquement la violation de l’exigence d’impartialité qui fait l’objet de la présente affaire, j’estime que l’approche à suivre dépend de la gravité de chaque cas particulier. À cet égard, je tiens à attirer l’attention sur le fait que la notion d’« impartialité », telle qu’elle ressort de la jurisprudence de la Cour, ainsi que des divers codes de conduite utilisés par les institutions, organes et organismes de l’Union, n’est pas définie de la même manière. La Cour semble s’appuyer sur une notion plutôt générale, ouverte à l’interprétation, alors que le Code de bonne conduite administrative du Médiateur européen vise des cas spécifiques et particulièrement graves, tels que les conflits d’intérêts pour des raisons personnelles, familiales, politiques ou financières ( 93 ). Englober une diversité d’hypothèses impose de déterminer dans chaque cas les circonstances concrètes qui soulèvent des doutes au regard de l’impartialité de l’administration.

117.

D’un côté, il est vrai qu’une absence d’impartialité objective est susceptible d’ébranler la confiance de l’assujetti dans la neutralité de l’administration. Le soupçon d’être soumis à un traitement arbitraire et, en conséquence, injuste peut avoir un effet néfaste sur la perception des assujettis ( 94 ) et, dans le cas de la fonction publique, sur l’attitude des fonctionnaires et des agents concernés à l’égard de l’entité pour laquelle ceux-ci travaillent. Dans la mesure où les enjeux, tant pour le fonctionnement interne que pour l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes de l’Union, sont considérables, il est évident qu’il ne saurait être aisément remédié à une violation de l’exigence d’impartialité objective ( 95 ). Au contraire, il me semble qu’un tel cas de figure est de nature à compromettre la légalité de la procédure administrative dans son ensemble. Vu sous cet angle, on comprend mieux pourquoi la Cour s’est abstenue d’examiner dans l’arrêt Wolff/Commission ( 96 ) si la participation d’un certain expert avait influé ou non sur la décision adoptée, se limitant à constater qu’il existait un doute légitime à l’égard de l’impartialité objective qui ne pouvait pas être dissipé.

118.

D’un autre côté, il n’en est pas moins vrai que, dans la mesure où l’exigence d’« impartialité » vise à interdire des comportements différents, allant d’infractions mineures jusqu’à des actes délictueux, les conséquences juridiques d’une violation de cette exigence doivent être proportionnées et tenir dûment compte des intérêts inhérents à tout ordre juridique. Aux intérêts du destinataire d’un acte administratif entaché d’illégalité à cause d’un vice de procédure s’opposent des principes tels que ceux de l’efficacité administrative, de la sécurité juridique et de l’économie procédurale. Pour cette raison, je ne considère pas que tout doute légitime quant au respect de l’exigence d’impartialité objective soit de nature à entraîner automatiquement la nullité d’un acte administratif. Comme il a déjà été expliqué dans les présentes conclusions ( 97 ), une telle conséquence juridique devrait être réservée aux cas les plus graves d’illégalité, notamment ceux impliquant un conflit d’intérêts pour des raisons personnelles, familiales, politiques ou financières, ainsi que des actes délictueux, comme ceux liés à la corruption dans la fonction publique. En revanche, pour ce qui est d’autres cas de figure, il serait approprié de conditionner la possibilité de demander l’annulation de l’acte administratif entaché d’un vice procédural lié à la violation de cette exigence à la question de savoir si, en l’absence de cette irrégularité, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent, comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt Commission/RQ précité ( 98 ). Dans la négative, une telle possibilité devrait être exclue.

D.   Examen du pourvoi à la lumière de la jurisprudence

1. Considérations préliminaires

119.

Après avoir établi les enseignements de la jurisprudence de la Cour relative à l’exigence d’impartialité, il y a lieu de les appliquer ensuite au cas d’espèce dans le cadre de l’examen du pourvoi.

120.

Pour autant que le Parlement invoque une dénaturation des éléments de fait, il suffit de rappeler qu’il résulte de l’article 256 TFUE ainsi que de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Une telle dénaturation doit apparaître de manière manifeste dans les pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves ( 99 ).

121.

À cet égard, je tiens à constater que le Parlement ne démontre pas en quoi le Tribunal aurait dénaturé les faits sur la base desquels celui-ci a jugé, au point 59 de l’arrêt attaqué, que le Parlement n’avait pas offert les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à l’impartialité objective des enquêteurs concernés. Le Parlement se borne plutôt à alléguer que les enquêteurs nommés n’auraient eu qu’« une connaissance superficielle et incomplète du cas », ce qui ne serait pas suffisant pour conclure à un défaut d’impartialité objective. Or, il ressort d’une lecture de l’arrêt attaqué que le Tribunal a examiné en détail plusieurs aspects liés aux rapports entre les enquêteurs, d’un côté, et UZ, de l’autre, permettant d’entrevoir l’existence d’un conflit interpersonnel ou, en tout état de cause, la possibilité d’une opinion négative des enquêteurs à l’égard d’UZ à un stade préalable à l’ouverture de l’enquête administrative.

122.

Ces cas de figure se distinguent clairement de celui évoqué par le Parlement, concernant une simple « connaissance préalable » du sujet en cause dans le cadre de la procédure administrative. Il s’agit plutôt du risque d’opinions préconçues qui pourraient éventuellement fausser la perception de la réalité. Dès lors, il me semble que, contrairement à ce que fait valoir le Parlement, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré qu’il existait des circonstances susceptibles de remettre en cause l’impartialité objective des enquêteurs.

2. Application de la notion d’« impartialité » à la procédure d’enquête

123.

Par souci d’exhaustivité, il convient d’examiner ci-après si le Tribunal était fondé en droit à considérer que le Parlement avait manqué à l’obligation d’impartialité objective qui s’imposait à lui au motif que deux enquêteurs avaient, avant l’ouverture de l’enquête administrative, une connaissance préalable des faits de l’espèce de sorte que ceux-ci pouvaient avoir une opinion négative d’UZ.

124.

D’emblée, je note que le Tribunal a reconnu correctement, au point 38 de l’arrêt attaqué, que l’article 41 de la Charte trouvait à s’appliquer au stade de l’enquête administrative dans le cadre d’une procédure disciplinaire relevant du domaine de la fonction publique. De même, j’observe que le Tribunal a correctement fait référence à la notion d’« impartialité », telle que reconnue dans la jurisprudence de la Cour, pour déclarer, au point 39 de l’arrêt attaqué, que c’était à la lumière de cette notion qu’il fallait examiner, notamment, l’argument tiré du défaut d’impartialité des enquêteurs nommés par le Parlement. Par conséquent, il y a lieu de retenir que le Tribunal a appliqué au cas d’espèce certains des enseignements qu’il convient de tirer de la jurisprudence de la Cour ( 100 ).

125.

Le Tribunal a ensuite procédé à une appréciation des faits, arrivant à la conclusion que la nomination des enquêteurs en cause était susceptible de susciter des doutes légitimes quant à leur impartialité objective.

a) La nomination de l’enquêteur du volet « disciplinaire »

126.

Plus concrètement, le Tribunal a pris en compte le fait que l’un des enquêteurs en charge du volet « disciplinaire » avait rencontré un des plaignants à une date antérieure à l’ouverture de l’enquête administrative visant UZ. Selon le témoignage de ce plaignant, il s’était rendu à Luxembourg (Luxembourg) pour se renseigner quant à une éventuelle enquête de l’OLAF ouverte à son égard, des collègues lui ayant expliqué que le mari d’UZ l’avait dénoncé, à l’initiative de celle-ci, auprès de cet organisme, au sujet de prétendues irrégularités liées à un congé parental, et ce « à titre de revanche », « parce que le collègue concerné [aurait] saboté son travail ». Comme l’a constaté le Tribunal au point 48 de l’arrêt attaqué, le Parlement n’a pas nié l’existence de cette rencontre antérieure à l’ouverture de l’enquête administrative entre l’un des plaignants et le futur enquêteur. Le Parlement a tout de même soutenu, premièrement, qu’aucune information concernant l’affaire en objet n’avait été communiquée par ce dernier et, deuxièmement, que personne ne pouvait se douter que le futur enquêteur serait appelé à exercer cette fonction.

127.

J’estime que, sur le fondement des informations disponibles, il est possible de conclure que c’est à bon droit que le Tribunal a choisi de ne pas suivre l’argumentation du Parlement. Afin de faciliter la compréhension des motifs qui ont conduit à cette conclusion, il convient d’examiner de façon plus détaillée le raisonnement développé par le Tribunal.

128.

En premier lieu, le Tribunal a constaté, au point 49 de l’arrêt attaqué, qu’il n’existait aucun support du contenu de la conversation entre l’un des plaignants et le futur enquêteur. Par conséquent, on ne pouvait pas prouver de manière satisfaisante le sujet de conversation des personnes impliquées dans cette rencontre. L’affirmation du Parlement, selon laquelle aucune information concernant l’affaire n’aurait été communiquée, ne pouvait donc pas être prouvée. En l’absence de preuves fiables, le témoignage en cause ne pouvait être qu’un indice que seules les personnes impliquées pouvaient confirmer. Or, il me semble qu’un tel témoignage est susceptible de soulever des questions quant à l’attitude desdites personnes à l’égard d’UZ, surtout s’il est proprement documenté lors d’une audition, comme c’était le cas en l’espèce. Cela nous amène à un aspect central de l’affaire, que le Tribunal a examiné ensuite.

129.

En second lieu, le Tribunal a rappelé que l’impartialité objective supposait que l’institution offre des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime. Ainsi qu’il a été indiqué dans les présentes conclusions ( 101 ), c’est précisément ce que la Cour a toujours exigé dans sa jurisprudence afin d’éviter toute situation compromettante. Conscient de cette exigence, le Tribunal a constaté qu’un tel témoignage pouvait susciter chez UZ un doute légitime quant à l’impartialité de l’enquêteur, qui aurait pu avoir été influencé par le caractère particulièrement malveillant de son prétendu comportement tel que celui-ci lui a été rapporté. En effet, il me semble que, indépendamment de la véracité de cette information, le fonctionnaire en cause risquait d’avoir une impression assez défavorable d’UZ, avant même d’être appelé à exercer la fonction d’enquêteur. Dès lors, on ne saurait reprocher à UZ le fait d’avoir remis en cause l’impartialité de la procédure à l’égard du Parlement, comme le Tribunal l’a fait observer au point 52 de l’arrêt attaqué. En conformité avec la jurisprudence de la Cour, le Tribunal n’était pas tenu de vérifier si l’enquêteur avait effectivement des préjugés à l’égard d’UZ. Il suffisait qu’un doute légitime à cet égard existe et ne puisse pas être dissipé ( 102 ). Comme le Tribunal l’a constaté correctement, ces conditions étaient réunies dans le cas d’espèce.

130.

À cet égard, il me paraît que, compte tenu de la situation décrite ci-dessus, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a affirmé, au point 55 de l’arrêt attaqué, que le Parlement n’aurait pas dû nommer un enquêteur ayant rencontré un des plaignants préalablement à l’ouverture de l’enquête. Dans la mesure où le Parlement était obligé d’offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime, conformément à la jurisprudence de la Cour, il me semble que c’est à bon droit que le Tribunal a établi, au point 54 de l’arrêt attaqué, que rien n’indiquait qu’il aurait été difficile pour le Parlement de choisir, parmi ses fonctionnaires, une personne n’ayant aucune connaissance préalable des faits de l’espèce et ne soulevant, ainsi, aucun doute légitime au regard d’UZ. Au vu des considérations précédentes, j’estime que le Tribunal a appliqué correctement la notion d’« impartialité » au cas d’espèce en ce qui concerne la nomination de l’enquêteur en charge du volet « disciplinaire ».

b) La nomination de l’enquêteur du volet « harcèlement »

131.

S’agissant du prétendu défaut d’impartialité de l’enquêteur du volet « harcèlement », le Tribunal a constaté, au point 57 de l’arrêt attaqué, que, avant d’être nommé enquêteur, celui-ci avait présidé le comité consultatif sur le harcèlement et sa prévention sur le lieu de travail qui avait conclu, à la suite de la demande d’assistance des plaignants, à ce que la gestion de l’unité dont UZ était la cheffe soit confiée à une autre personne. Le Tribunal en a conclu que, eu égard à la conclusion dudit comité consultatif, lorsqu’il a été nommé enquêteur du volet « harcèlement », celui-ci pouvait déjà avoir une opinion négative d’UZ. Selon le Tribunal, ce fait était également de nature à remettre en cause l’impartialité objective des enquêteurs.

132.

D’un côté, il pourrait être soutenu, comme le suggère le Parlement, que la situation décrite au paragraphe précédent présente une certaine similitude avec le cas de figure lié à une « connaissance préalable » des faits par ceux qui sont appelés à participer à l’adoption d’une décision judiciaire ou administrative, une circonstance qui, selon la jurisprudence de la Cour ( 103 ), n’est pas, à elle seule, susceptible d’entacher cette décision d’un vice de procédure prenant la forme d’un défaut d’impartialité. D’un autre côté, un examen plus approfondi révèle que la situation en cause est en réalité très différente, compte tenu du fait que le fonctionnaire appelé à exercer la fonction d’enquêteur avait participé antérieurement à l’adoption d’une décision visant à remplacer UZ en tant que cheffe d’unité, et ce précisément pour des motifs de harcèlement. Une telle situation me semble particulièrement délicate, vu qu’elle suppose un engagement actif et à plusieurs stades d’une procédure administrative susceptible de conduire à infliger une sanction disciplinaire ( 104 ). Dans ces circonstances, il me semble presque impossible d’attendre un traitement entièrement exempt de préjugés de la part des fonctionnaires impliqués ( 105 ).

133.

Partant, contrairement à ce que fait valoir le Parlement, il ne s’agit pas en l’espèce tout simplement d’un cas de « connaissance préalable » des faits, mais plutôt d’une « participation préalable » à la procédure administrative, soulevant des doutes légitimes quant à l’attitude du fonctionnaire à l’égard d’UZ. Dès lors, j’estime que c’est à juste titre que le Tribunal n’a même pas envisagé la possibilité d’une application par analogie de la jurisprudence susmentionnée dans son raisonnement, arrivant plutôt à la conclusion, au point 58 de l’arrêt attaqué, que la nomination du fonctionnaire concerné était de nature à remettre en cause l’impartialité objective de l’enquêteur au motif qu’on ne saurait exclure que ce dernier pouvait déjà avoir une opinion négative d’UZ. Cette conclusion me semble cohérente et, partant, inattaquable d’un point de vue juridique.

134.

J’estime que, dans les circonstances de l’espèce, on ne saurait raisonnablement reprocher au Tribunal d’avoir appliqué les critères relevant de la notion d’« impartialité » de manière excessivement stricte. Dans la mesure où, d’une part, les institutions sont tenues d’offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé dans le cadre d’enquêtes administratives et, d’autre part, compte tenu du fait qu’il s’agit, en l’espèce, d’une procédure administrative susceptible de donner lieu à une sanction disciplinaire entraînant de graves conséquences pour le fonctionnaire concerné sur le plan professionnel, il me semble qu’une approche prudente s’impose. En effet, il ne faut pas oublier que la mise en place de mesures adéquates afin de tenir compte de l’exigence d’impartialité objective n’est pas une fin en soi, mais une manière de garantir que la procédure administrative se déroule dans le plein respect des droits de la personne concernée. De surcroît, étant donné que, comme il a déjà été rappelé dans les présentes conclusions, l’exigence d’impartialité objective sert à protéger tant le fonctionnement interne que l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes de l’Union ( 106 ), je considère qu’il serait erroné de supposer que les obligations en découlant puissent être prises à la légère.

c) Conclusion préliminaire concernant la nomination des enquêteurs

135.

Le raisonnement exposé dans l’arrêt attaqué montre que le Tribunal était conscient des enjeux et a tiré les conséquences adéquates lorsqu’il a estimé que le Parlement ne s’était pas conformé aux obligations qui découlaient de l’exigence d’« impartialité », telle qu’interprétée par la Cour dans sa jurisprudence. Contrairement à ce qu’affirme le Parlement, rien ne permet de déduire que le Tribunal a dénaturé ou effectué une appréciation incorrecte des faits. Pour les raisons susmentionnées, j’estime que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a établi, au point 59 de l’arrêt attaqué, que, lors de la nomination des enquêteurs susmentionnés, le Parlement n’avait pas offert les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime.

3. Les conséquences juridiques d’une violation de l’exigence d’« impartialité »

136.

Cela étant dit, je tiens à noter que le Tribunal a ensuite examiné, aux points 60 à 64 de l’arrêt attaqué, si cette violation de l’exigence d’impartialité était de nature à influer sur la décision d’infliger une sanction disciplinaire à UZ. Évoquant sa propre jurisprudence ( 107 ), le Tribunal a déclaré que, pour qu’une irrégularité procédurale puisse justifier l’annulation d’un acte, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent. Autrement dit, le Tribunal suggère, en premier lieu, que les vices de procédure ne sont pas tous de nature à entacher un acte administratif de nullité et, en second lieu, qu’une violation de l’exigence d’impartialité ne constitue pas une exception à cette règle.

137.

Comme cela a déjà été expliqué, l’exigence d’impartialité vise à interdire des comportements divers, allant d’infractions mineures jusqu’à des actes délictueux. Dès lors, les conséquences juridiques d’une violation de cette exigence doivent être proportionnées et tenir dûment compte des intérêts inhérents à tout ordre juridique, tels que ceux de l’efficacité administrative, de la sécurité juridique et de l’économie procédurale, qui peuvent nécessiter le maintien d’un acte administratif malgré son illégalité. Conformément à l’approche proposée ( 108 ), il doit être examiné tout d’abord si l’obligation d’impartialité a été enfreinte par la commission d’actes d’une gravité telle que la décision administrative en cause mériterait une sanction de nullité. À cet égard, je note que, en l’absence d’informations plus précises, les circonstances de l’espèce ne révèlent l’existence ni d’un acte délictueux de la part des enquêteurs ni d’un conflit d’intérêts pour des raisons personnelles, familiales, politiques ou financières. Partant, il me semble que l’option de déclarer la nullité ab initio de la décision litigieuse doit être écartée.

138.

L’étape suivante de l’analyse consiste, conformément à l’approche proposée, à vérifier si cette violation de l’exigence d’impartialité est de nature à influer sur la décision d’infliger une sanction disciplinaire à UZ. En ce qui concerne cette question, il convient d’observer que, au point 64 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu qu’« il ne peut être exclu que, si l’enquête administrative avait été conduite avec soin et impartialité, ladite enquête aurait pu entraîner une autre appréciation initiale des faits et ainsi déboucher sur des conséquences différentes ». Cette conclusion se fonde sur l’idée que l’enquête administrative conditionne l’exercice par l’AIPN de son pouvoir d’appréciation des suites à y donner et que ces suites peuvent aboutir, in fine, à infliger une sanction disciplinaire.

139.

Comme le Tribunal l’a expliqué correctement, au point 63 de l’arrêt attaqué, c’est sur le fondement de cette enquête et de l’audition de l’agent concerné que l’AIPN apprécie, premièrement, s’il y a lieu ou non d’ouvrir une procédure disciplinaire, deuxièmement, si celle-ci doit, le cas échéant, consister ou non en la saisine du conseil de discipline et, troisièmement, lorsqu’il engage la procédure devant le conseil de discipline, les faits dont est saisi ledit conseil. En d’autres termes, une base factuelle erronée, établie dans le cadre d’une enquête administrative présentant plusieurs irrégularités procédurales, peut avoir des conséquences graves pour le fonctionnaire concerné. Plus concrètement, une telle circonstance peut donner lieu à des décisions erronées et, partant, entachées d’illégalité de la part de l’AIPN ainsi que des entités intervenant dans la procédure disciplinaire. Un tel raisonnement me semble logique et inattaquable d’un point de vue juridique.

140.

Cela étant dit, il convient de faire observer dans ce contexte que la conclusion du Tribunal, au point 64 de l’arrêt attaqué, reflète, en substance, la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle ressort de l’arrêt Commission/RQ précité ( 109 ). En effet, le Tribunal a appliqué des critères similaires lorsqu’il a établi qu’il ne pouvait pas être exclu que la violation de l’exigence d’impartialité ait eu une influence sur l’appréciation initiale des faits. Ce faisant, le Tribunal a indirectement reconnu la possibilité que la décision litigieuse aurait pu avoir un contenu différent si l’exigence d’impartialité avait été respectée.

141.

Pour les raisons exposées ci-dessus, j’estime que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en ce qui concerne le résultat de son analyse. Le Tribunal a correctement interprété et appliqué au cas d’espèce la notion d’« impartialité », telle que reconnue dans la jurisprudence de la Cour. Il s’ensuit que c’est à bon droit que le Tribunal a conclu que la décision litigieuse était entachée d’un vice de procédure important et qu’il y avait lieu de l’annuler. Dès lors, je considère que la première branche du premier moyen du pourvoi principal devrait être rejetée comme étant non fondée.

VII. Conclusion

142.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de déclarer non fondée la première branche du premier moyen du pourvoi principal.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) La notion d’« impartialité » est intrinsèquement liée au concept de « justice ». L’impartialité est considérée dans la philosophie du droit comme une condition de nature éthique nécessaire pour assurer l’application uniforme, et donc égalitaire ou équitable, de la loi aux justiciables, évitant ainsi des décisions arbitraires (voir, en ce sens, Petersen, J., Nietzsches Genialität der Gerechtigkeit, Berlin, 2008, p. 102, et Drews, A., Kants Naturphilosophie als Grundlage seines Systems, Berlin, 1894, p. 250). Elle implique un détachement par le décideur de ses intérêts personnels ainsi que la prise d’une décision indépendamment du statut de la personne concernée (voir, à cet égard, Guinchard, S., « La gestion des conflits d’intérêts du juge : entre statut et vertu », Pouvoirs, 2013/4, no 147, p. 39). Selon une tradition qui remonte au Moyen Âge, l’impartialité qui sous-tend les systèmes judiciaires des États membres est symbolisée par l’image d’une femme aux yeux bandés, une personnification allégorique inspirée par les déesses Iustitia et Thémis, issues de la mythologie romaine et grecque respectivement.

( 3 ) En vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention (voir, à cet égard, arrêts du 3 décembre 2015, Banif Plus Bank, C‑312/14, EU:C:2015:794, point 33, et du 9 juin 2016, Pesce e.a., C‑78/16 et C‑79/16, EU:C:2016:428, point 25).

( 4 ) Arrêts du 14 avril 2015, Conseil/Commission (C‑409/13, EU:C:2015:217, point 64) ; du 16 juillet 2015, Commission/Conseil (C‑425/13, EU:C:2015:483, point 69) ; du 6 octobre 2015, Conseil/Commission (C‑73/14, EU:C:2015:663, point 61), et du 28 juillet 2016, Conseil/Commission (C‑660/13, EU:C:2016:616, point 32).

( 5 ) En droit administratif, l’effort de garantir cette homogénéité de valeurs et de principes qui caractérisent la bonne administration se manifeste dans l’application, d’une part, de l’article 41 de la Charte aux institutions et organes de l’Union, auxquels s’adresse cette disposition, et, d’autre part, du principe général du droit de l’Union, que reflète cette disposition, aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre ce droit. Voir, à cet égard, arrêts du 8 mai 2019, PI (C‑230/18, EU:C:2019:383, point 57), et du 24 novembre 2020, Minister van Buitenlandse Zaken (C‑225/19 et C‑226/19, EU:C:2020:951, point 34).

( 6 ) Pour un aperçu de la mise en œuvre de ces deux principes au niveau international, voir Olbourne, B., « Independence and impartiality : International standards for national judges and courts », Law and practice of international courts and tribunals, vol. 2, no 1, avril 2003, p. 97.

( 7 ) Voir, à cet égard, Voßkuhle, A., « The cooperation between European courts : the Verbund of European courts and its legal toolbox », The Court of Justice and the Constitution of Europe : analyses and perspectives on sixty years of case-law, La Haye, 2013, p. 82, qui explique que la Cour constitutionnelle allemande a expressément reconnu la compétence de la Cour de contribuer au développement du droit de l’Union.

( 8 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, point 41.

( 9 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, point 39.

( 10 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, point 43.

( 11 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, point 44.

( 12 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, point 45.

( 13 ) Arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 24 février 1993, Fey c. Autriche (CE:ECHR:1993:0224JUD001439688, §28) ; du 25 février 1997, Findlay c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1997:0225JUD002210793, §73), et du 4 octobre 2007, Forum Maritime SA c. Roumanie(CE:ECHR:2007:1004JUD006361000, §116).

( 14 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, point 46.

( 15 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, point 47.

( 16 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, points 48 et 49.

( 17 ) Voir Kanska, K., « Towards Administrative Human Rights in the EU. Impact of the Charter of Fundamental Rights », European Law Journal, vol. 10, no 3, mai 2004, p. 303. L’auteur considère que doter les citoyens de pouvoirs administratifs européens contribue à renforcer le statut de citoyenneté au-delà du cadre strictement national. Selon l’auteur, ceci est une nécessité face au gain en puissance des institutions de l’Union.

( 18 ) Batalli, M., et Fejzullahu, A., « Principles of Good Administration under the European Code of Good Administrative Behavior », Pécs Journal of International and European Law, 2018, no 1, p. 31. Les auteurs indiquent que le principe de légalité est considéré comme le fondement de tout ordre juridique, ce qui, en substance, définit l’État de droit. Conformément à ce principe, toutes les activités administratives doivent se fonder sur des normes juridiques.

( 19 ) Arrêts du 26 juin 2012, Pologne/Commission (C‑336/09 P, EU:C:2012:386, point 36), et du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a. (C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, point 54).

( 20 ) Voir, en ce sens, Kanska, K., « Towards Administrative Human Rights in the EU. Impact of the Charter of Fundamental Rights », European Law Journal, vol. 10, no 3, mai 2004, p. 300.Voir également Bousta, R., « Who said there is a “right to good administration” ? A Critical Analysis of Article 41 of the Charter of Fundamental Rights of the European Union », European Public Law, 2013, no 3, p. 488, où l’auteur considère, en revanche, que le droit à une bonne administration prévoit des garanties procédurales pour la réalisation des droits fondamentaux.

( 21 ) Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire M. (C‑277/11, EU:C:2012:253, point 31).

( 22 ) Les traités de l’Union prévoient déjà quelques dispositions qui ont servi de source d’inspiration pour la codification de l’article 41 de la Charte. Ainsi, l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte se fonde sur l’article 296 TFUE ; l’article 41, paragraphe 3, de la Charte se fonde sur l’article 340 TFUE ; l’article 41, paragraphe 4, de la Charte se fonde sur l’article 20, paragraphe 2, sous d), TFUE. En revanche, l’exigence d’« impartialité » ne se trouve pas expressément mentionnée dans les traités. Seul l’article 298 TFUE parle d’une administration européenne « indépendante ».

( 23 ) Voir, à cet égard, les explications relatives à l’article 41 de la Charte (JO 2007, C 303, p. 17), ainsi que les arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, EU:C:1966:41, p. 501) ; du 9 juillet 1970, Tortora/Commission (32/69, EU:C:1970:68, point 11), et du 31 mars 1992, Burban/Parlement (C‑255/90 P, EU:C:1992:153, point 7).

( 24 ) Voir, à cet égard, Mendes, J., « The EU Administrative Institutions, Their Law, and Legal Scholarship », The Oxford Handbook of Comparative Administrative Law, Oxford, 2020, p. 544 ; Stelkens, U., et Andrijauskaite, A., « How to Assess the Effectiveness of the Pan-European General Principles of Good Administration », Good Administration and the Council of Europe, Oxford, 2020, p. 68. Ces auteurs parlent de la « fragmentation » actuelle du droit administratif de l’Union, y compris la procédure administrative, en plusieurs actes législatifs.

( 25 ) Dans le passé, il y a tout de même eu des initiatives visant à créer un code unique de procédure administrative, à savoir la résolution du Parlement du 15 janvier 2013, adoptée au titre de l’article 225 TFUE, contenant des recommandations à la Commission sur un droit de la procédure administrative de l’Union européenne (2012/2024 (INL) ; A7‑0369/2012), ainsi que la « Proposition de règlement pour une administration européenne ouverte, efficace et indépendante » (2016/2610(RSP) ; P8_TA(2016)0279), approuvée par le Parlement par résolution du 9 juin 2016, dans laquelle celui-ci a invité la Commission à examiner ladite proposition de règlement et lui a demandé de lui présenter une proposition législative. Néanmoins, la Commission ne semble pas avoir donné suite à cette demande.

( 26 ) Voir, en ce sens, Ladenburger, C., « Evolution oder Kodifikation eines allgemeinen Verwaltungsrechts in der EU », Allgemeines Verwaltungsrecht – zur Tragfähigkeit eines Konzepts, Tübingen, 2008, S. 116. L’auteur considère que l’article 41 de la Charte constitue une « codification comprimée et générale » qui stipule les principaux droits procéduraux en tant que droits subjectifs.

( 27 ) Voir points 70 et suivants des présentes conclusions.

( 28 ) Voir points 76 et suivants des présentes conclusions.

( 29 ) Voir points 84 et suivants des présentes conclusions.

( 30 ) Voir points 91 et suivants des présentes conclusions.

( 31 ) Arrêt Ziegler/Commission, point 146.

( 32 ) Arrêt Ziegler/Commission, point 154.

( 33 ) Voir point 67 des présentes conclusions.

( 34 ) Voir point 63 des présentes conclusions.

( 35 ) Arrêt Ziegler/Commission, point 155.

( 36 ) Arrêt Ziegler/Commission, points 155 et 156.

( 37 ) Arrêt Ziegler/Commission, point 158.

( 38 ) Arrêt Ziegler/Commission, point 159.

( 39 ) Arrêt Ziegler/Commission, point 160.

( 40 ) Voir, en ce sens, Craig, P., The EU Charter of Fundamental Rights (édité par Peers/Hervey/Kenner/Ward), Oxford, 2014, article 41, 41.25, p. 1077.

( 41 ) Arrêt Wolff/Commission, point 21.

( 42 ) Arrêt Wolff/Commission, points 24 et 25.

( 43 ) Arrêt Wolff/Commission, point 26.

( 44 ) Arrêt Wolff/Commission, point 27.

( 45 ) Arrêt Wolff/Commission, point 28.

( 46 ) Arrêt Wolff/Commission, point 30.

( 47 ) Arrêt Wolff/Commission, point 38.

( 48 ) Arrêt Wolff/Commission, point 37.

( 49 ) Arrêt Wolff/Commission, point 39.

( 50 ) Arrêt Espagne/Conseil, point 89.

( 51 ) Arrêt Espagne/Conseil, point 86.

( 52 ) Arrêt Espagne/Conseil, point 90.

( 53 ) Arrêt Espagne/Conseil, point 91.

( 54 ) Arrêt Espagne/Conseil, point 96.

( 55 ) Arrêt Espagne/Conseil, points 99 et 100.

( 56 ) Arrêt Espagne/Conseil, point 101.

( 57 ) Voir, en ce sens, Jarass, H., Charta der Grundrechte der Europäischen Union, 4e édition, Berlin, 2021, article 41, point 10.

( 58 ) Voir aussi arrêt du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker (C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 70), concernant également le droit d’être entendu dans le domaine de la fonction publique.

( 59 ) JO 2010, C 83, p. 266.

( 60 ) Arrêt Commission/RQ, point 64.

( 61 ) Arrêt Commission/RQ, point 65.

( 62 ) Arrêt Commission/RQ, point 66.

( 63 ) Arrêt Commission/RQ, point 67.

( 64 ) Voir points 111 à 118 des présentes conclusions.

( 65 ) Arrêt Commission/RQ, point 105.

( 66 ) Arrêt Commission/RQ, points 106 et 107.

( 67 ) Arrêt Dalli/Commission, points 106 et 107.

( 68 ) Arrêt Dalli/Commission, points 111 à 118.

( 69 ) Règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) (JO 1999, L 136, p. 1).

( 70 ) Arrêt Dalli/Commission, points 119 à 124.

( 71 ) Voir points 119 et suivants des présentes conclusions.

( 72 ) Arrêt Commission/RQ, point 65.

( 73 ) Arrêt Dalli/Commission, point 111.

( 74 ) Arrêt Wolff/Commission, point 26.

( 75 ) Voir points 80, 87, 98 et 100 des présentes conclusions.

( 76 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, points 43 à 45.

( 77 ) Arrêt Wolff/Commission, point 39.

( 78 ) Arrêt Espagne/Conseil, point 99.

( 79 ) Arrêt Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, point 47.

( 80 ) Arrêt Dalli/Commission, point 117.

( 81 ) Arrêt Wolff/Commission, point 30.

( 82 ) Arrêt Wolff/Commission, point 37.

( 83 ) Arrêt Ziegler/Commission, point 156.

( 84 ) Arrêt Wolff/Commission, point 41.

( 85 ) Arrêt Espagne/Conseil, point 94.

( 86 ) Arrêt Wolff/Commission, point 28.

( 87 ) Arrêt Wolff/Commission, point 39.

( 88 ) Arrêt Commission/RQ, point 112.

( 89 ) Arrêt Commission/RQ, point 105.

( 90 ) Voir arrêts du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 91), concernant la régularisation de vices de procédure dans le cadre d’un processus décisionnel touchant l’environnement ; du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 56), pour la régularisation de vices de procédure dans le cadre de procédures de la Commission en matière d’ententes, et du 16 janvier 1992, Marichal-Margrève (C‑334/90, EU:C:1992:15, point 25), pour ce qui est du droit procédural douanier.

( 91 ) Arrêt du 11 juin 2020 (C‑114/19 P, EU:C:2020:457).

( 92 ) Arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo (C‑114/19 P, EU:C:2020:457, points 51 à 60).

( 93 ) Conformément à l’article 8 (« Impartialité et indépendance ») du Code européen de bonne conduite administrative, développé par le Médiateur européen et approuvé par le Parlement par voie de résolution au cours de sa session plénière du 6 septembre 2001, l’obligation d’impartialité exige que le fonctionnaire s’abstienne « de toute action arbitraire qui lèse les membres du public, ainsi que de tout traitement préférentiel pour quelque raison que ce soit ». Ledit code exige que la conduite du fonctionnaire ne soit jamais guidée par « des intérêts personnels, familiaux ou nationaux ou par des pressions politiques ». Le fonctionnaire ne doit pas non plus « [prendre] part à une décision dans laquelle il/elle, ou un de ses proches, a des intérêts financiers ».

( 94 ) Batalli, M., et Fejzullahu, A., « Principles of Good Administration under the European Code of Good Administrative Behavior », Pécs Journal of International and European Law, 2018, no 1, p. 35. Les auteurs rappellent que le non-respect des principes de « bonne administration » peut entraîner une « mauvaise administration », c’est-à-dire une situation caractérisée par des institutions étatiques faibles et incapables de promouvoir le bien-être des administrés. Tout cela peut conduire à un mécontentement général parmi les citoyens.

( 95 ) Voir, à cet égard, Mouly, J., « Du caractère substantiel des dispositions garantissant le principe d’impartialité dans la procédure disciplinaire », Droit Social, Dalloz, 2016, no 10, p. 869, où l’auteur souligne l’importance de l’exigence d’impartialité. L’auteur considère que certaines règles de procédure disciplinaire, particulièrement importantes, constituent des garanties substantielles dont la violation doit entraîner de plein droit la nullité de la sanction prononcée, sans que le salarié ait besoin de démontrer qu’il n’avait pas pu faire valoir ses droits à la défense.

( 96 ) Arrêt Wolff/Commission, points 37 à 41.

( 97 ) Voir point 115 des présentes conclusions.

( 98 ) Voir point 112 des présentes conclusions.

( 99 ) Voir arrêts du 12 janvier 2017, Timab Industries et CFPR/Commission (C‑411/15 P, EU:C:2017:11, point 89), et du 1er octobre 2020, CC/Parlement (C‑612/19 P, non publié, EU:C:2020:776, point 51 et jurisprudence citée).

( 100 ) Voir points 103 et 104 des présentes conclusions.

( 101 ) Voir point 105 des présentes conclusions.

( 102 ) Voir point 108 des présentes conclusions.

( 103 ) Voir point 106 des présentes conclusions.

( 104 ) Voir, à cet égard, Van Reenen, P., « Impartiality in the EU Asylum Procedure », European Journal of Migration and Law, 2018, no 20, p. 345. L’auteur considère que le cas de figure dans lequel un juge a participé à plusieurs reprises à l’adoption de décisions défavorables pour un individu est de nature à soulever des doutes légitimes quant à son impartialité.

( 105 ) Il convient de citer dans ce contexte l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 28 octobre 1998, Castillo Algar c. Espagne (CE:ECHR:1998:1028JUD002819495), qui portait sur l’impartialité d’une juridiction militaire, dont deux membres avaient déjà eu à connaître, dans une autre chambre, de l’appel contre une ordonnance inculpant l’intéressé. Selon cette cour, il existait des éléments donnant à penser que les juges avaient fait leur le point de vue préalablement adopté par la juridiction précédente, d’après lequel il existait « des indices suffisants permettant de conclure qu’un délit militaire avait été commis ». En conséquence, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

( 106 ) Voir point 104 des présentes conclusions.

( 107 ) Arrêt du 14 février 2017, Kerstens/Commission (T‑270/16 P, non publié, EU:T:2017:74).

( 108 ) Voir point 118 des présentes conclusions.

( 109 ) Voir point 118 des présentes conclusions.