ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

12 mai 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des travailleurs – Égalité de traitement – Avantages sociaux – Plafonds liés aux ressources – Prise en compte des ressources perçues l’avant-dernière année précédant la période de paiement d’allocations – Travailleur retournant dans son État membre d’origine – Réduction des droits aux allocations familiales »

Dans l’affaire C‑27/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de grande instance de Rennes (France), par décision du 7 juin 2019, parvenue à la Cour le 21 janvier 2020, dans la procédure

PF,

QG

contre

Caisse d’allocations familiales (CAF) d’Ille-et-Vilaine,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Wahl, président de chambre, M. F. Biltgen (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour PF et QG, par eux-mêmes,

pour le gouvernement français, par Mme E. de Moustier et M. A. Ferrand, en qualité d’agents,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Vláčil et J. Pavliš, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. Giordano, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et B.–R. Killmann, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 20 et 45 TFUE, de l’article 4 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), ainsi que de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les époux PF et QG, ressortissants français, à la Caisse d’allocations familiales (CAF) d’Ille-et-Vilaine (France) au sujet de la détermination de l’année civile de référence aux fins de l’appréciation de leur droit à des allocations familiales et du calcul du montant de ces dernières.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 883/2004

3

En vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, celui-ci « s’applique aux ressortissants de l’un des États membres [...] résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants ».

4

Aux termes de l’article 4 de ce règlement :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci. »

Le règlement no 492/2011

5

L’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement no 492/2011 dispose :

« 1.   Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.

2.   Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. »

Le droit français

6

En vertu de l’article L. 521-1 du code de la sécurité sociale, des allocations familiales sont dues à partir du deuxième enfant à charge. Le montant des allocations familiales est déterminé en fonction du nombre d’enfants à charge ainsi qu’en fonction des ressources du ménage.

7

S’agissant du calcul des droits en vue de l’attribution des allocations familiales, l’article R 532-3 du code de la sécurité sociale précise que « [l]es ressources retenues sont celles perçues pendant l’année civile de référence » et que « [l]’année civile de référence est l’avant-dernière année précédant la période de paiement ».

Le litige au principal et la question préjudicielle

8

Les époux PF et QG, qui sont des ressortissants français, ont déclaré, en 2011 et 2012, des revenus imposables respectivement d’un montant de 59734 euros et d’un montant de 63680 euros. Ayant quatre enfants mineurs à charge, ils percevaient des allocations familiales d’un montant mensuel total de 458,02 euros.

9

Le versement de ces allocations a été interrompu à la suite du détachement de QG, magistrat de l’ordre judiciaire français, auprès de la Cour de justice de l’Union européenne située au Luxembourg, pour une période de trois ans. Du fait de son nouveau poste, QG a connu une augmentation de ses revenus annuels, lesquels ont correspondu à la somme de 123609 euros pour l’année 2015 et à la somme de 132499 euros pour l’année 2016.

10

À la suite du retour de QG en France et de sa réintégration dans son emploi d’origine au mois de septembre 2017, entraînant une baisse substantielle de revenus, les requérants au principal ont adressé, le 1er décembre 2017, une demande d’allocations familiales à la CAF d’Ille-et-Vilaine, en soutenant que les revenus à prendre en compte devaient être ceux du foyer à la date de cette demande et que l’application des dispositions de l’article R 532-3 du code de la sécurité sociale, définissant l’année civile de référence comme l’avant-dernière année précédant la période de paiement, soit, en l’occurrence, l’année 2015, devait être écartée.

11

Par décision du 24 janvier 2018, la CAF d’Ille-et-Vilaine leur a indiqué que le montant mensuel des allocations familiales serait de 115,65 euros.

12

Les requérants au principal ont formé un recours gracieux contre cette décision, qui a été rejeté.

13

Ils ont saisi la juridiction de renvoi aux fins de l’annulation de ladite décision et en vue de voir fixer le montant mensuel des allocations familiales à percevoir à 462,62 euros, montant qui tiendrait compte des revenus actualisés et du nombre d’enfants à charge.

14

Selon les requérants au principal, la CAF d’Ille-et-Vilaine n’aurait respecté ni les dispositions des articles 20 et 45 TFUE, ni l’article 4 du règlement no 883/2004, ni l’article 7 du règlement no 492/2011. En outre, l’article R 532-3 du code de la sécurité sociale violerait le principe d’égalité de traitement et serait donc manifestement illégal.

15

La juridiction de renvoi rappelle d’abord que, aux termes de l’article 45 TFUE, la libre circulation des travailleurs implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

16

Elle se pose ensuite la question de savoir si la disposition nationale en cause au principal présente un caractère discriminatoire et, dans l’affirmative, si elle peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. En effet, il serait incompatible avec le droit de l’Union qu’un travailleur ressortissant d’un État membre se voie appliquer, à la suite de son retour dans cet État membre, un traitement moins favorable que celui dont il aurait bénéficié s’il n’avait pas fait usage des facilités ouvertes par le traité en matière de libre circulation.

17

C’est dans ces conditions que le tribunal de grande instance de Rennes a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le droit de l’Union, notamment les articles 20 et 45 [TFUE], ainsi que [l’article] 4 du règlement no 883/2004 et [l’article] 7 du règlement no 492/2011, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que l’article R 532-3 du code de la sécurité sociale, qui définit l’année civile de référence pour le calcul des prestations familiales comme l’avant-dernière année précédant la période de paiement, dont l’application aboutit, dans une situation où l’allocataire connaît, après une augmentation substantielle de ses revenus dans un autre État membre, une chute de ceux-ci [consécutive] à son retour dans son État d’origine, à ce que cet allocataire, à la différence des résidents n’ayant pas exercé leur droit de libre circulation, soit privé, pour partie des droits à allocations familiales ? »

Sur la question préjudicielle

18

À titre liminaire, il y a lieu de déterminer si l’ensemble des dispositions visées par la décision de renvoi sont applicables à la situation en cause au principal, ayant trait au détachement d’un fonctionnaire national au sein d’une institution de l’Union européenne.

19

S’agissant des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des travailleurs, il découle d’une jurisprudence constante qu’un ressortissant de l’Union travaillant dans un État membre autre que son État membre d’origine et qui a accepté un emploi dans une organisation internationale relève du champ d’application de l’article 45 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 1989, Echternach et Moritz, 389/87 et 390/87, EU:C:1989:130, point 11 ; du 6 octobre 2016, Adrien e.a., C‑466/15, EU:C:2016:749, point 24, ainsi que du 31 mai 2017, U, C‑420/15, EU:C:2017:408, point 13).

20

Il s’ensuit qu’un ressortissant de l’Union travaillant pour une institution ou un organe de celle-ci dans un État membre autre que son État membre d’origine ne saurait se voir refuser le bénéfice des droits et avantages sociaux que lui procure l’article 45 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 1989, Echternach et Moritz, 389/87 et 390/87, EU:C:1989:130, point 12, ainsi que du 6 octobre 2016, Adrien e.a., C‑466/15, EU:C:2016:749, point 25).

21

S’agissant de l’article 20 TFUE, il y a lieu de relever que, tout en instituant la citoyenneté de l’Union, cet article se borne à prévoir que les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le traité. Il ne saurait donc, à cet égard, recevoir une application autonome par rapport aux dispositions spécifiques du traité qui régissent les droits et les devoirs des citoyens de l’Union, telles que, notamment, l’article 45 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 2004, My, C‑293/03, EU:C:2004:821, point 32, et du 31 mai 2017, U, C‑420/15, EU:C:2017:408, point 17).

22

Par conséquent, l’interprétation de l’article 20 TFUE n’est pas pertinente pour la solution du litige au principal.

23

N’est pas davantage pertinente l’interprétation des dispositions en matière de coordination des systèmes de sécurité sociale. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, les fonctionnaires de l’Union ne sauraient être qualifiés de « travailleurs », au sens du règlement no 883/2004, dès lors qu’ils ne sont pas soumis à une législation nationale en matière de sécurité sociale, comme l’exige l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, définissant le champ d’application personnel de ce dernier (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2000, Ferlini, C‑411/98, EU:C:2000:530, point 41, et du 16 décembre 2004, My, C‑293/03, EU:C:2004:821, point 35).

24

Quant à l’article 7 du règlement no 492/2011, il convient de rappeler qu’il ne constitue que l’expression particulière, dans le domaine spécifique des conditions d’emploi et de travail, du principe de non-discrimination consacré à l’article 45, paragraphe 2, TFUE et qu’il doit, dès lors, être interprété de la même façon que ce dernier article (arrêts du 23 février 2006, Commission/Espagne, C‑205/04, non publié, EU:C:2006:137, point 15, et du 13 mars 2019, Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach, C‑437/17, EU:C:2019:193, point 16).

25

La circonstance que le travailleur en cause au principal est employé par une institution de l’Union n’est pas déterminante à cet égard, l’objectif d’égalité de traitement recherché par l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 visant précisément à étendre aux travailleurs ressortissants d’autres États membres tous les avantages sociaux qui, liés ou non à un contrat d’emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison principalement de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2019, Generálny riaditeľ Sociálnej poisťovne Bratislava e.a., C‑447/18, EU:C:2019:1098, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

26

Eu égard à ces considérations, et aux fins d’apporter à la juridiction de renvoi une réponse utile, il y a lieu de considérer que la question préjudicielle porte uniquement sur l’interprétation de l’article 45 TFUE et de l’article 7 du règlement no 492/2011.

27

Ainsi, par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 45 TFUE et l’article 7 du règlement no 492/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, qui retient comme année de référence pour le calcul des prestations familiales à attribuer l’avant-dernière année précédant la période de paiement, de sorte que, en cas d’augmentation substantielle des revenus perçus par un fonctionnaire national lors d’un détachement auprès d’une institution de l’Union située dans un autre État membre, le montant des allocations familiales se trouve, lors du retour de ce fonctionnaire dans l’État membre d’origine, fortement réduit durant deux années.

28

En ce qui concerne l’existence d’une éventuelle discrimination contraire à l’article 45, paragraphe 2, TFUE et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 492/2011, il importe de constater que la réglementation nationale en cause au principal, qui fixe le montant des allocations familiales dues en fonction du montant des revenus perçus par le travailleur au cours de l’année civile de référence définie comme étant l’avant-dernière année précédant la période de paiement, s’applique indistinctement à l’ensemble des travailleurs, quelle que soit leur nationalité, de sorte qu’elle ne saurait créer une discrimination fondée directement sur la nationalité.

29

En outre, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour que la juridiction de renvoi considère que cette réglementation puisse créer une discrimination indirecte, en ce qu’elle serait susceptible de traiter moins favorablement les travailleurs ressortissants d’autres États membres que les travailleurs nationaux.

30

S’agissant de la question de savoir si la réglementation nationale en cause au principal constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union prohibée par l’article 45, paragraphe 1, TFUE, il convient de rappeler que cette disposition s’oppose à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité ou à la résidence, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 45, ainsi que du 6 octobre 2016, Adrien e.a., C‑466/15, EU:C:2016:749, point 26).

31

À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, l’article 45 TFUE vise à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de l’Union et s’oppose à toute mesure nationale qui pourrait défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre (arrêts du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 44 ; du 21 janvier 2016, Commission/Chypre, C‑515/14, EU:C:2016:30, point 39, ainsi que du 7 mars 2018, DW, C‑651/16, EU:C:2018:162, point 21).

32

Ainsi, l’article 45 TFUE a pour objet notamment d’éviter qu’un travailleur qui, en faisant usage de son droit de libre circulation, a occupé des emplois dans plus d’un État membre soit, sans justification objective, traité de façon plus défavorable que celui qui a effectué toute sa carrière dans un seul État membre (voir, notamment, arrêts du 7 mars 1991, Masgio, C‑10/90, EU:C:1991:107, point 17 ; du 21 janvier 2016, Commission/Chypre, C‑515/14, EU:C:2016:30, point 42, et du 7 mars 2018, DW, C‑651/16, EU:C:2018:162, point 23).

33

En l’occurrence, il y a lieu de constater que les bénéficiaires des allocations familiales ayant exercé le droit à la libre circulation ne sont pas traités moins favorablement que les bénéficiaires de telles allocations n’ayant pas exercé ce droit.

34

En effet, en application d’une législation nationale telle que celle en cause au principal, un travailleur ressortissant d’un État membre qui a connu, lors de son déplacement dans un autre État membre, des variations dans le montant de ses revenus, à la hausse ou à la baisse, se voit appliquer les mêmes modalités de calcul des allocations familiales fondées sur les revenus perçus pendant la période de référence que celles applicables à un travailleur qui n’a pas quitté son État membre d’origine tout en connaissant des variations identiques dans ses revenus.

35

Ainsi, dans le cas des requérants au principal, ont été pris en compte, aux fins du calcul du montant à la baisse des allocations familiales en raison de leur retour dans l’État membre d’origine, les revenus plus élevés perçus lors de leur déplacement dans un autre État membre, de la même manière qu’une augmentation similaire des revenus perçus par un travailleur n’ayant pas fait usage de son droit de libre circulation aurait conduit à une diminution similaire du montant de ces allocations.

36

Partant, ce n’est pas l’exercice du droit à la libre circulation en tant que tel qui a entraîné, dans le chef des requérants au principal, une diminution du montant des allocations dues, mais la circonstance que les revenus perçus par ces derniers lors de leur déplacement dans un autre État membre ont été plus élevés que ceux perçus avant ou après ce déplacement.

37

Si les requérants au principal affirment ne pas contester la compétence de leur État membre d’origine pour aménager son système de sécurité sociale en adoptant notamment les modalités de détermination des allocations à percevoir, ils soutiennent néanmoins qu’un ménage ayant connu une augmentation de ses ressources semblable à la leur tout en étant resté sur le territoire de l’État membre d’origine, aurait continué à percevoir durant deux années des allocations familiales majorées, alors même que les revenus courants auraient excédé le plafond de revenus fixé par la réglementation en cause au principal, et que ce ne serait qu’à compter de la troisième année que ces allocations auraient connu une baisse.

38

En arguant que la situation d’un tel ménage aurait été parfaitement neutre, malgré la prise en compte différée de l’évolution effective de ses ressources, les requérants au principal critiquent, en réalité, non pas les modalités de détermination du montant des allocations familiales, mais plutôt le fait de ne pas avoir pu continuer à percevoir, en vue d’une éventuelle compensation en cas de retour, des allocations familiales majorées pendant leur déplacement dans un autre État membre.

39

Or, le droit primaire ne saurait garantir à un assuré qu’un déplacement dans un État membre autre que son État membre d’origine soit neutre en matière de sécurité sociale, notamment en matière de prestations de maladie ou de pensions de vieillesse, voire même d’allocations familiales. En effet, il convient de rappeler que le déplacement d’un travailleur dans un autre État membre peut, selon le cas et en raison des disparités existant entre les régimes et les législations des États membres, être plus ou moins avantageux pour la personne concernée sur le plan de la protection sociale (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2016, Adrien e.a., C‑466/15, EU:C:2016:749, point 27, ainsi que du 18 juillet 2017, Erzberger, C‑566/15, EU:C:2017:562, point 34).

40

Par conséquent, la circonstance que les requérants au principal n’ont pas pu bénéficier, lors de leur déplacement dans un autre État membre, des allocations familiales versées par leur État membre d’origine, et que les allocations familiales perçues en cas de retour dans ce dernier État ne se trouvent pas, durant deux années, être en adéquation avec leurs revenus perçus lors de cette période, ne saurait constituer un traitement moins favorable contraire à la libre circulation des travailleurs et, plus particulièrement, à l’article 45 TFUE.

41

La même conclusion s’impose au regard de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011, cette disposition devant, ainsi qu’il a été rappelé au point 24 du présent arrêt, être interprétée de la même manière que l’article 45 TFUE.

42

Par ailleurs, s’agissant de l’argumentation des requérants au principal selon laquelle la réglementation nationale en cause au principal est susceptible d’influencer la décision d’un travailleur ressortissant d’un État membre de se déplacer dans un autre État membre pour y travailler et percevoir des revenus plus élevés, dès lors que, à son retour dans l’État membre d’origine, il se trouve être pénalisé du fait de versements d’allocations familiales d’un montant fortement réduit, il convient de rappeler que les motifs pour lesquels un travailleur migrant choisit de faire usage de sa liberté de circulation à l’intérieur de l’Union ne sauraient être pris en compte pour apprécier le caractère discriminatoire d’une disposition nationale (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken, C‑514/12, EU:C:2013:799, point 33).

43

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre qui retient comme année de référence pour le calcul des prestations familiales à attribuer l’avant-dernière année précédant la période de paiement, de sorte que, en cas d’augmentation substantielle des revenus perçus par un fonctionnaire national lors d’un détachement auprès d’une institution de l’Union située dans un autre État membre, le montant des allocations familiales se trouve, lors du retour de ce fonctionnaire dans l’État membre d’origine, fortement réduit durant deux années.

Sur les dépens

44

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

L’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre qui retient comme année de référence pour le calcul des prestations familiales à attribuer l’avant-dernière année précédant la période de paiement, de sorte que, en cas d’augmentation substantielle des revenus perçus par un fonctionnaire national lors d’un détachement auprès d’une institution de l’Union européenne située dans un autre État membre, le montant des allocations familiales se trouve, lors du retour de ce fonctionnaire dans l’État membre d’origine, fortement réduit durant deux années.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le français.