ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

11 mars 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2008/115/CE – Article 5 – Décision de retour – Père d’un enfant mineur, citoyen de l’Union européenne – Prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant lors de l’adoption de la décision de retour »

Dans l’affaire C‑112/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 6 février 2020, parvenue à la Cour le 28 février 2020, dans la procédure

M. A.

contre

État belge,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. C. Lycourgos (rapporteur) et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour M. A., par Me D. Andrien, avocat,

pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, M. Van Regemorter et C. Pochet, en qualité d’agents, assistées de Mes D. Matray et S. Matray, avocats,

pour la Commission européenne, par Mmes C. Cattabriga et E. Montaguti, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), lu en combinaison avec l’article 13 de cette directive ainsi qu’avec les articles 24 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un pourvoi intenté par M. A. contre l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers (Belgique) ayant rejeté son recours visant à l’annulation des décisions lui ordonnant de quitter le territoire belge et lui interdisant l’entrée sur ce territoire.

Le cadre juridique

Le droit international

3

L’article 3, paragraphe 1, de la convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, dispose :

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

Le droit de l’Union

4

Les considérants 22 et 24 de la directive 2008/115 énoncent :

« (22)

Conformément à la convention des Nations unies de 1989 relative aux droits de l’enfant, l’“intérêt supérieur de l’enfant” devrait constituer une considération primordiale pour les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive. Conformément à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[, signée à Rome le 4 novembre 1950], le respect de la vie familiale devrait constituer une considération primordiale pour les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive.

[...]

(24)

La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, en particulier, par la [Charte]. »

5

L’article 2, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. »

6

L’article 5 de ladite directive dispose :

« Lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, les États membres tiennent dûment compte :

a)

de l’intérêt supérieur de l’enfant,

b)

de la vie familiale,

c)

de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers,

et respectent le principe de non-refoulement. »

7

Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la même directive :

« Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5. »

8

L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/115 est ainsi libellé :

« Si nécessaire, les États membres prolongent le délai de départ volontaire d’une durée appropriée, en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée du séjour, l’existence d’enfants scolarisés et d’autres liens familiaux et sociaux. »

9

L’article 13, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« 1.   Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance. »

10

L’article 14, paragraphe 1, de ladite directive énonce :

« Sauf dans la situation visée aux articles 16 et 17, les États membres veillent à ce que les principes ci-après soient pris en compte dans la mesure du possible en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers au cours du délai de départ volontaire accordé conformément à l’article 7 et au cours des périodes pendant lesquelles l’éloignement a été reporté conformément à l’article 9 :

a)

l’unité familiale avec les membres de la famille présents sur le territoire est maintenue ;

b)

les soins médicaux d’urgence et le traitement indispensable des maladies sont assurés ;

c)

les mineurs ont accès au système éducatif de base en fonction de la durée de leur séjour ;

d)

les besoins particuliers des personnes vulnérables sont pris en compte. »

Le droit belge

11

L’article 74/13 de la loi du 15 décembre 1980, sur l’accès au territoire, l’établissement, le séjour et l’éloignement des étrangers (Moniteur belge du 31 décembre 1980, p. 14584), dispose :

« Lors de la prise d’une décision d’éloignement, le ministre ou son délégué tient compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, de la vie familiale, et de l’état de santé du ressortissant d’un pays tiers concerné. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

12

Le 24 mai 2018, M. A. a fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire belge ainsi que d’une interdiction d’entrée, qui lui ont été notifiés le lendemain. Tout en relevant que le requérant avait déclaré avoir une partenaire de nationalité belge et une fille née en Belgique, ces décisions étaient fondées sur les infractions qu’il avait commises sur ce territoire et le fait que, partant, le requérant devait être considéré comme pouvant compromettre l’ordre public.

13

Par un arrêt du 21 février 2019, le Conseil du contentieux des étrangers a rejeté le recours introduit par M. A. contre ces décisions.

14

Le 15 mars 2019, M. A. a introduit un pourvoi contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi.

15

À l’appui de son pourvoi, M. A. fait notamment valoir que le Conseil du contentieux des étrangers a considéré, à tort, que son grief tiré d’une violation de l’article 24 de la Charte était dépourvu d’intérêt au motif qu’il ne précisait pas qu’il agissait au nom de son enfant mineure. À cet égard, M. A. souligne, d’une part, que son enfant a la nationalité belge, n’est pas destinataire des actes attaqués devant le Conseil du contentieux des étrangers et n’a donc pas qualité pour agir et, d’autre part, qu’il ne doit pas agir au nom de l’enfant pour que l’intérêt supérieur de celle-ci puisse être défendu. M. A. expose, par ailleurs, que, afin de poursuivre sa vie familiale avec lui, son enfant est tenue de quitter le territoire de l’Union européenne et de se priver de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union.

16

La juridiction de renvoi estime que le Conseil du contentieux des étrangers a considéré, de manière implicite mais certaine, que l’intérêt supérieur de l’enfant ne doit être pris en compte que si la décision administrative en cause vise explicitement cette enfant. Elle relève que la critique adressée par M. A. à une telle affirmation porte sur l’interprétation de l’article 74/13 de la loi du 15 décembre 1980, sur l’accès au territoire, l’établissement, le séjour et l’éloignement des étrangers, qui transpose l’article 5 de la directive 2008/115.

17

En revanche, cette juridiction considère que l’obligation qu’aurait le requérant de contester la légalité de cette décision, au nom de son enfant, pour que l’intérêt de celle-ci soit pris en compte, relève de la question de la qualité à agir, laquelle ne concerne pas l’interprétation du droit de l’Union.

18

Dans ces conditions, le Conseil d’État (Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 5 de la directive 2008/115, qui impose aux États membres, lors de la mise en œuvre de cette directive, de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, combiné avec l’article 13 de la même directive et les articles 24 et 47 de la [Charte], [doit]-il être [interprété] comme exigeant de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, citoyen de l’Union, même lorsque la décision de retour est prise à l’égard du seul parent de l’enfant ? »

Sur la question préjudicielle

19

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5 de la directive 2008/115, lu en combinaison avec l’article 13 de cette directive ainsi qu’avec les articles 24 et 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de prendre dûment en compte l’intérêt supérieur de l’enfant avant d’adopter une décision de retour, assortie d’une interdiction d’entrée, même lorsque le destinataire de cette décision est non pas un mineur, mais le père de celui-ci.

20

À titre liminaire, premièrement, il y a lieu de relever que, selon M. A., le Conseil d’État ayant interrogé la Cour sur l’interprétation de l’article 47 de la Charte et de l’article 13 de la directive 2008/115, il convient d’examiner si ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le ressortissant d’un pays tiers, destinataire d’une décision de retour assortie d’une interdiction d’entrée, doit agir au nom de son enfant mineur devant la juridiction compétente pour statuer sur la légalité de cette décision afin que l’intérêt supérieur de ce dernier soit pris en compte.

21

Aux termes de l’article 267 TFUE, il appartient au juge national et non aux parties au litige au principal de saisir la Cour. La faculté de déterminer les questions à soumettre à la Cour est donc dévolue au seul juge national et les parties ne sauraient en changer la teneur. Par ailleurs, répondre à des demandes de modification des questions formulées par les parties au principal serait incompatible avec le rôle dévolu à la Cour par l’article 267 TFUE ainsi qu’avec l’obligation de la Cour d’assurer la possibilité aux gouvernements des États membres et aux parties intéressées de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées (arrêt du 6 octobre 2015, T-Mobile Czech Republic et Vodafone Czech Republic, C‑508/14, EU:C:2015:657, points 28 et 29 ainsi que jurisprudence citée).

22

En l’occurrence, il ressort explicitement de la motivation de la décision de renvoi que la question de la qualité pour agir, au sens du droit procédural national, ne fait pas l’objet du présent renvoi préjudiciel.

23

Dès lors, il convient de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi sans tenir compte de la demande formulée par M. A. De plus, dans cette circonstance, l’interprétation de l’article 47 de la Charte et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 n’apparaît pas nécessaire afin de fournir une réponse utile à cette juridiction.

24

Deuxièmement, il convient d’observer que la question préjudicielle est fondée sur la prémisse du caractère irrégulier du séjour de M. A. sur le territoire belge. En effet, il découle de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115 qu’une décision de retour ne peut être adoptée contre un ressortissant d’un pays tiers que si ce dernier ne séjourne pas ou ne séjourne plus légalement sur le territoire de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, points 37 et 38).

25

Cela étant, il ressort de la décision de renvoi que la fille de M. A. est une mineure de nationalité belge.

26

Or, une telle circonstance peut aboutir à ce qu’un titre de séjour sur le territoire belge doive être reconnu à M. A. en vertu de l’article 20 TFUE. Tel serait, en principe, le cas si, à défaut d’un tel titre de séjour, M. A. et sa fille se voyaient contraints de quitter le territoire de l’Union pris dans son ensemble [voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2020, Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real (Conjoint d’un citoyen de l’Union), C‑836/18, EU:C:2020:119, points 41 à 44 et jurisprudence citée]. Dans le cadre de cette appréciation, les autorités compétentes doivent dûment tenir compte du droit au respect de la vie familiale ainsi que de l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnus à l’article 7 et à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte.

27

À cet égard, la Cour a déjà constaté que, aux fins d’une telle appréciation, la circonstance que l’autre parent de l’enfant est réellement capable de et prêt à assumer seul la charge quotidienne et effective de l’enfant constitue un élément pertinent, mais qui n’est pas à lui seul suffisant pour pouvoir constater qu’il n’existe pas, entre le parent ressortissant d’un pays tiers et l’enfant, une relation de dépendance telle que ce dernier serait contraint de quitter le territoire de l’Union si un droit de séjour était refusé à ce ressortissant d’un pays tiers. En effet, une telle constatation doit être fondée sur la prise en compte, dans l’intérêt supérieur de l’enfant concerné, de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment de son âge, de son développement physique et émotionnel, du degré de sa relation affective avec chacun de ses parents, ainsi que du risque que la séparation du parent ressortissant d’un pays tiers engendrerait pour l’équilibre de cet enfant (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C‑133/15, EU:C:2017:354, points 70 et 71).

28

Toutefois, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 267 TFUE institue une procédure de coopération directe entre la Cour et les juridictions des États membres. Dans le cadre de cette procédure, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national, auquel il appartient d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, alors que la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par le juge national (arrêt du 25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo, C‑106/16, EU:C:2017:804, point 27 et jurisprudence citée).

29

Dès lors, il y a lieu de répondre à la question posée sur la base de la prémisse selon laquelle M. A. se trouve en séjour irrégulier sur le territoire belge, prémisse dont il incombe, cependant, à la juridiction de renvoi de vérifier le bien‑fondé.

30

À cet égard, il convient de rappeler que, dès lors qu’un ressortissant d’un pays tiers relève du champ d’application de la directive 2008/115, il doit, en principe, être soumis aux normes et aux procédures communes prévues par celle-ci en vue de son éloignement, et cela tant que le séjour n’a pas été, le cas échéant, régularisé (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 2016, Affum, C‑47/15, EU:C:2016:408, point 61, ainsi que du 19 mars 2019, Arib e.a., C‑444/17, EU:C:2019:220, point 39).

31

Or, l’article 5, sous a), de la directive 2008/115 impose aux États membres de tenir dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la mise en œuvre de cette directive.

32

Ainsi qu’il ressort de son libellé même, cette disposition constitue une règle générale s’imposant aux États membres dès que ces derniers mettent en œuvre ladite directive, ce qui est, notamment, le cas lorsque, comme en l’occurrence, l’autorité nationale compétente adopte une décision de retour, assortie d’une interdiction d’entrée, contre un ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier sur le territoire de l’État membre concerné, et qui est, par ailleurs, le père d’un mineur séjournant régulièrement sur ce territoire.

33

Partant, comme la Cour l’a déjà jugé, il ne saurait être déduit de cette disposition que l’intérêt supérieur de l’enfant ne doit être pris en compte que lorsque la décision de retour est prise à l’égard d’un mineur, à l’exclusion des décisions de retour adoptées contre les parents de ce mineur [voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique), C‑82/16, EU:C:2018:308, point 107].

34

Une telle interprétation est, au demeurant, corroborée tant par l’objectif poursuivi par l’article 5 de la directive 2008/115 que par l’économie générale de cette directive.

35

Ainsi, s’agissant, en premier lieu, de la finalité poursuivie par l’article 5 de la directive 2008/115, il convient de relever, d’une part, que, comme le confirment les considérants 22 et 24 de cette directive, cet article vise à garantir, dans le cadre de la procédure de retour établie par ladite directive, le respect de plusieurs droits fondamentaux, dont les droits fondamentaux de l’enfant, tels qu’ils sont consacrés à l’article 24 de la Charte. Il s’ensuit que, au vu de l’objectif qu’il poursuit, cet article 5 ne saurait être interprété de manière restrictive [voir, par analogie, arrêts du 14 février 2019, Buivids, C‑345/17, EU:C:2019:122, point 51, et du 26 mars 2019, SM (Enfant placé sous kafala algérienne), C‑129/18, EU:C:2019:248, point 53].

36

D’autre part, l’article 24, paragraphe 2, de la Charte prévoit que, dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Il s’ensuit qu’une telle disposition est, elle-même, libellée en des termes larges et qu’elle s’applique à des décisions qui, telle une décision de retour adoptée contre un ressortissant d’un pays tiers, parent d’un mineur, n’ont pas pour destinataire ce mineur, mais emportent des conséquences importantes pour ce dernier.

37

Un tel constat est confirmé par l’article 3, paragraphe 1, de la convention internationale des droits de l’enfant, auquel se réfèrent expressément les explications relatives à l’article 24 de la Charte.

38

Selon cet article 3, paragraphe 1, la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant doit intervenir dans toutes les décisions qui concernent les enfants. Partant, une telle disposition vise, de manière générale, toutes les décisions et toutes les actions qui touchent directement ou indirectement les enfants, comme l’a relevé le Comité des droits de l’enfant des Nations unies [voir, à cet égard, Observation générale no 14 (2013) du Comité des droits de l’enfant sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art. 3, par. 1), CRC/C/GC/14, point 19].

39

En ce qui concerne, en deuxième lieu, le contexte dans lequel s’insère l’article 5, sous a), de la directive 2008/115, il convient de relever, premièrement, que, lorsque le législateur de l’Union a voulu que les éléments énumérés audit article 5 ne soient pris en compte que dans le chef du ressortissant d’un pays tiers faisant l’objet de la décision de retour, il l’a prévu expressément.

40

Ainsi, à la différence de l’article 5, sous a) et b), de la directive 2008/115, il ressort explicitement de l’article 5, sous c), de cette directive que les États membres ne doivent prendre dûment en compte que l’état de santé du « ressortissant concerné d’un pays tiers », à savoir exclusivement l’état de santé du destinataire de la décision de retour.

41

Deuxièmement, il découle de l’article 5, sous b), de cette directive que, lorsqu’ils envisagent d’adopter une décision de retour, les États membres doivent également tenir dûment compte de la vie familiale. Or, l’article 7 de la Charte, relatif notamment au droit au respect de la vie familiale, dont peut se prévaloir un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier qui, comme M. A., est le père d’un enfant mineur, doit être lu en combinaison avec l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, prévoyant l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de son enfant mineur [voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2019, SM (Enfant placé sous kafala algérienne), C‑129/18, EU:C:2019:248, point 67 et jurisprudence citée].

42

Troisièmement, d’autres dispositions de la directive 2008/115, telles que l’article 7, paragraphe 2, et l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci, mettent en œuvre l’obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris lorsque ce dernier n’est pas le destinataire de la décision en cause.

43

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 5 de la directive 2008/115, lu en combinaison avec l’article 24 de la Charte, doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de prendre dûment en compte l’intérêt supérieur de l’enfant avant d’adopter une décision de retour, assortie d’une interdiction d’entrée, même lorsque le destinataire de cette décision est non pas un mineur, mais le père de celui-ci.

Sur les dépens

44

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 5 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lu en combinaison avec l’article 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de prendre dûment en compte l’intérêt supérieur de l’enfant avant d’adopter une décision de retour, assortie d’une interdiction d’entrée, même lorsque le destinataire de cette décision est non pas un mineur, mais le père de celui-ci.

 

Ilešič

Lycourgos

Jarukaitis

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 mars 2021.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la Xème chambre

M. Ilešič


( *1 ) Langue de procédure : le français.