ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

14 décembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Articles 20 et 21 TFUE – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Enfant né dans l’État membre d’accueil de ses parents – Acte de naissance délivré par cet État membre mentionnant deux mères pour cet enfant – Refus par l’État membre d’origine de l’une de ces deux mères de délivrer un acte de naissance dudit enfant en l’absence d’informations sur l’identité de la mère biologique de celui‑ci – Possession d’un tel acte constituant la condition pour la délivrance d’une carte d’identité ou d’un passeport – Réglementation nationale de cet État membre d’origine n’admettant pas la parentalité de personnes de même sexe »

Dans l’affaire C‑490/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie), par décision du 2 octobre 2020, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure

V.М.А.

contre

Stolichna obshtina, rayon « Pancharevo »,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan, N. Jääskinen, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur), J.‑C. Bonichot, T. von Danwitz et N. Wahl, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 février 2021,

considérant les observations présentées :

pour V.М.А., par Me D. I. Lyubenova, advokat,

pour le gouvernement bulgare, par Mmes T. Mitova et L. Zaharieva, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, initialement par M. J. Möller ainsi que par Mme S. Heimerl, puis par M. J. Möller, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, initialement par Mmes S. Centeno Huerta et M. J. Ruiz Sánchez, puis par Mme M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme W. Ferrante, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér ainsi que par Mme Z. Biró-Tóth, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. S. Schillemans, en qualité d’agent,

pour le gouvernement polonais, par Mmes E. Borawska-Kędzierska et A. Siwek-Ślusarek ainsi que par M. B. Majczyna, en qualité d’agents,

pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, initialement par Mme E. Montaguti ainsi que par MM. I. Zaloguin et M. Wilderspin, puis par Mme E. Montaguti ainsi que par M. I. Zaloguin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 15 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, TUE, des articles 20 et 21 TFUE ainsi que des articles 7, 9, 24 et 45 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant V.M.A. à la Stolichna obshtina, rayon « Pancharevo » (commune de Sofia, arrondissement de Pancharevo, Bulgarie) (ci‑après la « commune de Sofia »), au sujet du refus de cette dernière de délivrer un acte de naissance de la fille de V.M.A. et de son épouse.

Le cadre juridique

Le droit international

3

L’article 2 de la convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1577, p. 3), dispose :

«1.   Les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation.

2.   Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille. »

4

L’article 7 de cette convention prévoit :

« 1.   L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

2.   Les États parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride. »

Le droit de l’Union

Le traité UE

5

L’article 4, paragraphe 2, TUE dispose :

« L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. »

Le traité FUE

6

L’article 20 TFUE prévoit :

« 1.   Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2.   Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres :

a)

le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;

[...]

Ces droits s’exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci. »

7

L’article 21, paragraphe 1, TFUE énonce :

« Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application. »

La Charte

8

L’article 7 de la Charte, intitulé « Respect de la vie privée et familiale », dispose :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

9

L’article 9 de la Charte, intitulé « Droit de se marier et droit de fonder une famille », prévoit :

« Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. »

10

L’article 24 de la Charte, intitulé « Droits de l’enfant », est libellé comme suit :

« 1.   Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.

2.   Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

3.   Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. »

11

L’article 45 de la Charte, intitulé « Liberté de circulation et de séjour », énonce :

« 1.   Tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

2.   La liberté de circulation et de séjour peut être accordée, conformément aux traités, aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un État membre. »

La directive 2004/38/CE

12

La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35), prévoit, à son article 2, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)

“citoyen de l’Union” : toute personne ayant la nationalité d’un État membre ;

2)

“membre de la famille” :

a)

le conjoint ;

b)

le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil ;

c)

les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ;

d)

les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ;

3)

“État membre d’accueil” : l’État membre dans lequel se rend un citoyen de l’Union en vue d’exercer son droit de circuler et de séjourner librement. »

13

L’article 4 de cette directive, intitulé « Droit de sortie », dispose :

« 1.   Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage, applicables aux contrôles aux frontières nationales, tout citoyen de l’Union muni d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité, ainsi que les membres de sa famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre munis d’un passeport en cours de validité, ont le droit de quitter le territoire d’un État membre en vue de se rendre dans un autre État membre.

[...]

3.   Les États membres, agissant conformément à leur législation, délivrent à leurs citoyens, ou renouvellent, une carte d’identité ou un passeport indiquant leur nationalité.

4.   Le passeport doit être valable au moins pour tous les États membres et pour les pays de transit direct entre ceux-ci. Lorsque la législation d’un État membre ne prévoit pas la délivrance d’une carte d’identité, la durée de la validité du passeport, lors de sa délivrance ou de son renouvellement, ne peut être inférieure à cinq ans. »

14

L’article 5 de ladite directive, intitulé « Droit d’entrée », énonce :

« 1.   Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage, applicables aux contrôles aux frontières nationales, les États membres admettent sur leur territoire le citoyen de l’Union muni d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité ainsi que les membres de sa famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui sont munis d’un passeport en cours de validité.

[...]

4.   Lorsqu’un citoyen de l’Union ou un membre de la famille qui n’a pas la nationalité d’un État membre ne dispose pas du document de voyage requis ou, le cas échéant, du visa nécessaire, l’État membre concerné accorde à ces personnes tous les moyens raisonnables afin de leur permettre d’obtenir ou de se procurer, dans un délai raisonnable, les documents requis ou de faire confirmer ou prouver par d’autres moyens leur qualité de bénéficiaires du droit de circuler et de séjourner librement, avant de procéder au refoulement.

[...] »

Le droit bulgare

15

Aux termes de l’article 25, paragraphe 1, de la Konstitutsia na Republika Bulgaria (Constitution de la République de Bulgarie), (ci‑après la « Constitution bulgare ») :

« A la nationalité bulgare toute personne dont au moins l’un des parents est de nationalité bulgare ou qui est née sur le territoire bulgare, s’il n’acquiert pas une autre nationalité par filiation. La nationalité bulgare peut également être acquise par naturalisation. »

16

Aux termes de l’article 8 du Zakon za balgarskoto grazhdanstvo (loi relative à la nationalité bulgare), du 5 novembre 1998 (DV no 136, du 18 novembre 1998, p. 1), « [a] la nationalité bulgare par filiation, toute personne dont au moins l’un des parents a la nationalité bulgare ».

17

Le Semeen kodeks (code de la famille), du 12 juin 2009 (DV no 47, du 23 juin 2009, p. 19), prévoit, à son article 60, intitulé « Filiation à l’égard de la mère » :

« (1)   La filiation à l’égard de la mère est déterminée par la naissance.

(2)   La mère de l’enfant est la femme qui lui a donné naissance, y compris en cas de procréation médicalement assistée.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18

V.M.A. est ressortissante bulgare et K.D.K. est ressortissante du Royaume-Uni. Cette dernière est née à Gibraltar, où les deux femmes se sont mariées en 2018. Depuis l’année 2015, elles résident en Espagne.

19

Au mois de décembre 2019, V.M.A. et K.D.K. ont eu une fille, S.D.K.A., laquelle est née et réside avec ses deux parents en Espagne. L’acte de naissance de cette fille, délivré par les autorités espagnoles, mentionne V.M.A. comme étant la « mère A » et K.D.K. comme étant la « mère » de celle-ci.

20

Le 29 janvier 2020, V.М.А. a demandé à la commune de Sofia de lui délivrer un acte de naissance de S.D.K.A., celui-ci étant notamment nécessaire pour la délivrance d’un document d’identité bulgare. À l’appui de sa demande, V.М.А. a présenté une traduction en langue bulgare, légalisée et certifiée conforme, de l’extrait du registre d’état civil de Barcelone (Espagne) relatif à l’acte de naissance de S.D.K.A.

21

Par courrier du 7 février 2020, la commune de Sofia a enjoint à V.М.А. de fournir, dans un délai de sept jours, des preuves relatives à la filiation de S.D.K.A., concernant l’identité de sa mère biologique. Elle a précisé à cet égard que le modèle d’acte de naissance figurant dans les modèles d’actes d’état civil en vigueur au niveau national ne prévoit qu’une seule case pour la « mère » et une autre pour le « père », un seul nom pouvant figurer dans chacune de ces cases.

22

Le 18 février 2020, V.М.А. a répondu à la commune de Sofia que, en vertu de la législation bulgare en vigueur, elle n’était pas tenue de fournir l’information demandée.

23

Par la décision du 5 mars 2020, la commune de Sofia a dès lors rejeté la demande de V.M.A. tendant à la délivrance d’un acte de naissance de S.D.K.A. Elle a motivé cette décision de rejet par l’absence d’informations concernant l’identité de la mère biologique de l’enfant concerné et par le fait que la mention dans un acte de naissance de deux parents de sexe féminin était contraire à l’ordre public de la République de Bulgarie, lequel n’autorise pas le mariage entre deux personnes de même sexe.

24

V.M.A. a formé un recours contre cette décision de rejet devant l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie), la juridiction de renvoi.

25

Cette juridiction expose que, en vertu de l’article 25, paragraphe 1, de la Constitution bulgare et de l’article 8 de la loi relative à la nationalité bulgare, S.D.K.A. a la nationalité bulgare, en dépit du fait que, à ce jour, l’intéressée n’a pas d’acte de naissance délivré par les autorités bulgares. En effet, le refus de ces autorités de délivrer à celle-ci un tel acte ne signifierait pas que la nationalité bulgare lui soit refusée.

26

Ladite juridiction éprouve en revanche des doutes sur la question de savoir si le refus par les autorités bulgares d’enregistrer la naissance d’un ressortissant bulgare, qui est survenue dans un autre État membre et qui a été attestée par un acte de naissance mentionnant deux mères, délivré par les autorités compétentes de ce dernier État membre, porte atteinte aux droits conférés à un tel ressortissant aux articles 20 et 21 TFUE, ainsi qu’aux articles 7, 24 et 45 de la Charte. En effet, le refus par les autorités bulgares de délivrer un acte de naissance – même s’il n’aurait pas d’incidence juridique sur la nationalité bulgare de l’enfant concerné et, par conséquent, sur la citoyenneté de l’Union de ce dernier – serait susceptible de rendre plus difficile la délivrance d’un document d’identité bulgare et, partant, d’entraver pour cet enfant l’exercice du droit à la libre circulation et ainsi la pleine jouissance de ses droits de citoyen de l’Union.

27

En outre, dans la mesure où l’autre mère de S.D.K.A., K.D.K., est ressortissante du Royaume-Uni, la même juridiction se demande si les conséquences juridiques découlant de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’ « accord de retrait »), et notamment le fait que cet enfant ne puisse plus bénéficier du statut de citoyen de l’Union par la nationalité de K.D.K., sont pertinentes pour l’appréciation de cette question.

28

Par ailleurs, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) s’interroge sur la question de savoir si l’obligation faite, le cas échéant, aux autorités bulgares, dans le cadre de l’établissement d’un acte de naissance, de mentionner dans cet acte deux mères comme étant les parents de l’enfant concerné, est susceptible de porter atteinte à l’ordre public et à l’identité nationale de la République de Bulgarie, cet État membre n’ayant pas prévu la possibilité de mentionner dans un acte de naissance deux parents de même sexe pour cet enfant. Cette juridiction relève, à cet égard, que les dispositions régissant la filiation dudit enfant revêtent une importance fondamentale dans la tradition constitutionnelle bulgare, ainsi que dans la doctrine bulgare en matière de droit de la famille et des successions, tant du point de vue purement juridique que du point de vue des valeurs, compte tenu du stade actuel d’évolution de la société en Bulgarie.

29

Ainsi, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) estime qu’il est nécessaire de trouver un équilibre entre, d’une part, l’identité constitutionnelle et nationale de la République de Bulgarie et, d’autre part, les intérêts de l’enfant, et notamment le droit à la vie privée et à la libre circulation de celui-ci.

30

Cette juridiction se demande si, en l’occurrence, un tel équilibre pourrait être atteint en application du principe de proportionnalité et, en particulier, si la mention, sous la rubrique « Mère », du nom de l’une des deux mères figurant dans l’acte de naissance établi par les autorités espagnoles, laquelle pouvant, soit être la mère biologique de l’enfant, soit être celle qui le serait devenue selon une autre voie, par exemple celle de l’adoption, sans remplir la rubrique « Père », constituerait un équilibre approprié entre ces différents intérêts légitimes. Elle fait observer que, si une telle solution pourrait également engendrer certaines difficultés, en raison d’éventuelles différences entre l’acte de naissance établi par les autorités bulgares et celui établi par les autorités espagnoles, cette solution permettrait ainsi la délivrance d’un acte de naissance par les autorités bulgares, levant ou, à tout le moins, atténuant, d’éventuels obstacles à la libre circulation de l’enfant concerné. Ladite juridiction se demande, toutefois, si ladite solution serait compatible avec le droit à la vie privée et familiale de cet enfant, consacré à l’article 7 de la Charte.

31

Enfin, dans l’hypothèse où la Cour conclurait que le droit de l’Union exige la mention des deux mères de l’enfant concerné dans l’acte de naissance établi par les autorités bulgares, la juridiction de renvoi se demande selon quelles modalités cette exigence devrait être mise en œuvre, cette juridiction ne pouvant remplacer le modèle d’acte de naissance figurant dans les modèles d’actes d’état civil en vigueur au niveau national.

32

Dans ces conditions, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Les articles 20 et 21 TFUE ainsi que les articles 7, 24 et 45 de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que les autorités administratives bulgares, saisies d’une demande de délivrance d’un acte de naissance attestant la naissance d’un enfant, ressortissant bulgare, survenue dans un autre État membre de l’[Union], et certifiée par un acte de naissance établi par les autorités espagnoles dans lequel figurent deux personnes de sexe féminin en tant que mères, sans préciser si l’une d’entre elles, et laquelle, est la mère biologique de cet enfant, refusent de délivrer l’acte de naissance demandé, au motif que la requérante refuse d’indiquer qui est cette mère biologique ?

2)

L’article 4, paragraphe 2, TUE et l’article 9 de la Charte doivent-ils être interprétés en ce sens que le respect de l’identité nationale et constitutionnelle des États membres de l’[Union] implique que ces derniers disposent d’un large pouvoir d’appréciation concernant les règles régissant la détermination de la filiation ? En particulier :

Convient-il d’interpréter l’article 4, paragraphe 2, TUE en ce sens qu’il permet aux États membres d’exiger des informations relatives à la filiation biologique de l’enfant ?

L’article 4, paragraphe 2, TUE, lu en combinaison avec l’article 7 et l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, doit-il être interprété en ce sens qu’il est nécessaire de rechercher un équilibre entre l’identité nationale et constitutionnelle d’un État membre et l’intérêt supérieur de l’enfant, étant donné qu’il n’existe pas actuellement de consensus, tant du point de vue des valeurs que du point de vue juridique, sur la possibilité de mentionner, en tant que parents, dans un acte de naissance, des personnes de même sexe, sans préciser si l’une des deux, et laquelle, est un parent biologique de l’enfant ? Dans l’affirmative, comment serait-il possible, concrètement, d’atteindre un tel équilibre ?

3)

Les conséquences juridiques [de l’accord de retrait] ont-elles une incidence sur la réponse à la première question, dans la mesure où l’une des mères mentionnées dans l’acte de naissance délivré dans un autre État membre est une ressortissante du Royaume-Uni et l’autre une ressortissante d’un État membre de l’[Union], étant donné, notamment, que le refus par les autorités bulgares de délivrer un acte de naissance empêche la délivrance d’un titre d’identité pour l’enfant concerné par un État membre de l’[Union] et, partant, est susceptible de rendre plus difficile le plein exercice par celui-ci de ses droits en tant que citoyen de l’Union ?

4)

En cas de réponse affirmative à la première question, le droit de l’Union, et notamment le principe d’effectivité, impose-t-il aux autorités nationales compétentes de s’écarter du modèle d’acte de naissance [figurant dans les modèles d’actes d’état civil] en vigueur [au niveau national] ? »

La procédure devant la Cour

33

Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi sollicite le traitement de l’affaire par procédure accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. Cette juridiction fait notamment valoir que le refus des autorités bulgares de délivrer à S.D.K.A., qui serait une ressortissante bulgare, un acte de naissance causerait à cet enfant des difficultés sérieuses pour obtenir un document d’identité bulgare et, dès lors, pour exercer son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, garanti à l’article 21 TFUE.

34

L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

35

En l’occurrence, le 19 octobre 2020, le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur et l’avocate générale entendus, de faire droit à la demande de procédure accélérée mentionnée au point 33 du présent arrêt. Cette décision a été motivée par le fait que S.D.K.A., enfant en bas âge, est actuellement privée de passeport, alors qu’elle réside dans un État membre dont elle n’a pas la nationalité. Dès lors que les questions posées visent à déterminer si les autorités bulgares sont tenues de délivrer un acte de naissance pour cet enfant et qu’il résulte de la demande de décision préjudicielle qu’un tel acte est nécessaire, selon le droit national, pour pouvoir obtenir un passeport bulgare, une réponse de la Cour intervenant dans des délais brefs est de nature à contribuer à ce que ledit enfant dispose plus rapidement d’un passeport (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 3 juillet 2015, Gogova, C‑215/15, non publiée, EU:C:2015:466, points 12 à 14).

Sur les questions préjudicielles

36

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union oblige un État membre à délivrer un acte de naissance, en vue d’obtenir un document d’identité selon la réglementation de celui-ci, pour un enfant, ressortissant de cet État membre, dont la naissance dans un autre État membre est attestée par un acte de naissance qui a été établi par les autorités de cet autre État membre, conformément au droit national de celui-ci, et qui désigne, comme étant les mères de cet enfant, une ressortissante du premier de ces États membres et son épouse, sans spécifier laquelle des deux femmes a donné naissance audit enfant. Dans l’affirmative, cette juridiction demande si le droit de l’Union exige qu’un tel acte comporte, à l’instar de celui établi par les autorités de l’État membre où l’enfant est né, la mention des noms de ces deux femmes en leur qualité de mères.

37

Ladite juridiction souhaite également savoir si le fait que l’autre mère de l’enfant concerné est ressortissante du Royaume-Uni, lequel n’est désormais plus un État membre, comporte une quelconque incidence sur la réponse à apporter à cette question.

38

À titre liminaire, il importe de rappeler que, d’une part, la définition des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre et que, d’autre part, dans des situations relevant du droit de l’Union, les règles nationales concernées doivent respecter ce dernier (arrêts du 2 mars 2010, Rottmann, C‑135/08, EU:C:2010:104, points 39 et 41, ainsi que du 12 mars 2019, Tjebbes e.a., C‑221/17, EU:C:2019:189, point 30).

39

Selon les constatations effectuées par la juridiction de renvoi, seule compétente à cet égard, S.D.K.A. a, par sa naissance, la nationalité bulgare en vertu de l’article 25, paragraphe 1, de la Constitution bulgare.

40

Aux termes de l’article 20, paragraphe 1, TFUE, est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. Il s’ensuit que, en tant que ressortissante bulgare, S.D.K.A. jouit, en vertu de cette disposition, du statut de citoyen de l’Union.

41

À cet égard, la Cour a relevé à maintes reprises que le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres [arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 31, et du 15 juillet 2021, A (Soins de santé publics), C‑535/19, EU:C:2021:595, point 41].

42

Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, un ressortissant d’un État membre qui a, en sa qualité de citoyen de l’Union, exercé sa liberté de circuler et de séjourner dans un État membre autre que son État membre d’origine peut se prévaloir des droits afférents à cette qualité, notamment de ceux prévus à l’article 21, paragraphe 1, TFUE, y compris, le cas échéant, à l’égard de son État membre d’origine (arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, point 31 ainsi que jurisprudence citée). Peuvent également se prévaloir de cette disposition et des dispositions prises pour son application les citoyens de l’Union qui sont nés dans l’État membre d’accueil de leurs parents et qui n’ont jamais fait usage du droit à la libre circulation (arrêt du 2 octobre 2019, Bajratari, C‑93/18, EU:C:2019:809, point 26 et jurisprudence citée).

43

En vertu de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application. Afin de permettre à leurs ressortissants d’exercer ce droit, l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2004/38 impose aux États membres, agissant conformément à leur législation, de délivrer à leurs citoyens une carte d’identité ou un passeport indiquant leur nationalité.

44

Partant, dans la mesure où S.D.K.A. est une ressortissante bulgare, les autorités bulgares sont tenues de lui délivrer une carte d’identité ou un passeport indiquant sa nationalité ainsi que son nom patronymique tel qu’il résulte de l’acte de naissance établi par les autorités espagnoles, la Cour ayant déjà eu l’occasion de constater que l’article 21 TFUE s’oppose à ce que les autorités d’un État membre, en appliquant leur droit national, refusent de reconnaître le nom patronymique d’un enfant tel qu’il a été déterminé et enregistré dans un autre État membre, où cet enfant est né et réside depuis lors (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2008, Grunkin et Paul, C‑353/06, EU:C:2008:559, point 39).

45

Il importe encore de préciser que l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2004/38 impose aux autorités bulgares de délivrer une carte d’identité ou un passeport à S.D.K.A. indépendamment de l’établissement d’un nouvel acte de naissance pour cet enfant. Ainsi, dans la mesure où le droit bulgare exige l’établissement d’un acte de naissance bulgare préalablement à la délivrance d’une carte d’identité ou d’un passeport bulgare, cet État membre ne saurait invoquer son droit national pour refuser d’établir, pour S.D.K.A., une telle carte d’identité ou un tel passeport.

46

Un tel document, seul ou associé à d’autres documents, le cas échéant à un document délivré par l’État membre d’accueil de l’enfant concerné, doit permettre à un enfant, qui se trouve dans une situation telle que celle de S.D.K.A., d’exercer son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, garanti à l’article 21, paragraphe 1, TFUE, avec chacune de ses deux mères, dont le statut en tant que parent de cet enfant a été établi par l’État membre d’accueil de celles-ci lors d’un séjour conforme à la directive 2004/38.

47

Il convient de rappeler que les droits reconnus aux ressortissants des États membres à l’article 21, paragraphe 1, TFUE incluent celui de mener une vie familiale normale tant dans leur État membre d’accueil que dans l’État membre dont ils possèdent la nationalité, lors du retour sur le territoire de cet État membre, en y bénéficiant de la présence, à leurs côtés, des membres de leur famille (arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

48

Il est constant que, dans l’affaire au principal, les autorités espagnoles ont légalement établi l’existence d’un lien de filiation, biologique ou juridique, entre S.D.K.A. et ses deux parents, V.M.A. et K.D.K., et ont attesté celui-ci dans l’acte de naissance délivré pour l’enfant de ces dernières. V.M.A. et K.D.K. doivent dès lors, en application de l’article 21 TFUE et de la directive 2004/38, en tant que parents d’un citoyen de l’Union mineur dont ils assurent effectivement la garde, se voir reconnaître par l’ensemble des États membres le droit d’accompagner ce dernier lors de l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (voir, par analogie, arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín, C‑165/14, EU:C:2016:675, points 50 à 52 et jurisprudence citée).

49

Partant, les autorités bulgares, à l’instar des autorités de tout autre État membre, sont tenues de reconnaître ce lien de filiation aux fins de permettre à S.D.K.A., dès lors que celle-ci a obtenu, selon la juridiction de renvoi, la nationalité bulgare, d’exercer sans entrave, avec chacun de ses deux parents, son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, garanti à l’article 21, paragraphe 1, TFUE.

50

En outre, afin de permettre effectivement à S.D.K.A. d’exercer son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres avec chacun de ses deux parents, il est nécessaire que V.M.A. et K.D.K. puissent disposer d’un document qui les mentionne comme étant des personnes habilitées à voyager avec cet enfant. En l’occurrence, les autorités de l’État membre d’accueil sont les mieux placées pour établir un tel document, qui peut consister en l’acte de naissance. Les autres États membres ont l’obligation de reconnaître ce document.

51

Certes, ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé, l’article 9 de la Charte prévoit que le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.

52

À cet égard, en l’état actuel du droit de l’Union, l’état des personnes, dont relèvent les règles relatives au mariage et à la filiation, est une matière relevant de la compétence des États membres et le droit de l’Union ne porte pas atteinte à cette compétence. Les États membres sont ainsi libres de prévoir ou non, dans leur droit national, le mariage pour des personnes de même sexe ainsi que la parentalité de ces dernières. Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, chaque État membre doit respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, en reconnaissant, à cette fin, l’état des personnes établi dans un autre État membre conformément au droit de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, points 36 à 38 ainsi que jurisprudence citée).

53

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si l’article 4, paragraphe 2, TUE pourrait justifier le refus des autorités bulgares de délivrer un acte de naissance de S.D.K.A. et, ainsi, une carte d’identité ou un passeport pour cet enfant. Cette juridiction expose, notamment, qu’une éventuelle obligation pour ces autorités d’établir un acte de naissance mentionnant, comme étant les parents dudit enfant, deux personnes de sexe féminin pourrait porter atteinte à l’ordre public ainsi qu’à l’identité nationale de la République de Bulgarie, dans la mesure où la Constitution bulgare et le droit de la famille bulgare ne prévoiraient pas la parentalité de deux personnes de même sexe.

54

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union respecte l’identité nationale de ses États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles.

55

Par ailleurs, la Cour a itérativement jugé que la notion d’« ordre public » en tant que justification d’une dérogation à une liberté fondamentale doit être entendue strictement, de telle sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de l’Union. Il en découle que l’ordre public ne peut être invoqué qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

56

Or, ainsi que Mme l’avocate générale l’a en substance relevé aux points 150 et 151 de ses conclusions, l’obligation pour un État membre, d’une part, de délivrer à un enfant, ressortissant de cet État membre, qui est né dans un autre État membre et dont l’acte de naissance délivré par les autorités de cet autre État membre désigne comme ses parents deux personnes de même sexe, une carte d’identité ou un passeport et, d’autre part, de reconnaître le lien de filiation entre cet enfant et chacune de ces deux personnes dans le cadre de l’exercice par celui‑ci de ses droits au titre de l’article 21 TFUE et des actes de droit dérivé qui y sont relatifs, ne méconnaît pas l’identité nationale ni ne menace l’ordre public de cet État membre.

57

En effet, une telle obligation n’implique pas, pour l’État membre dont l’enfant concerné est ressortissant, de prévoir, dans son droit national, la parentalité de personnes de même sexe ou de reconnaître, à des fins autres que l’exercice des droits que cet enfant tire du droit de l’Union, le lien de filiation entre ledit enfant et les personnes mentionnées comme étant les parents de celui-ci dans l’acte de naissance établi par les autorités de l’État membre d’accueil (voir, par analogie, arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, points 45 et 46).

58

Il importe d’ajouter qu’une mesure nationale qui est de nature à entraver l’exercice de la libre circulation des personnes ne peut être justifiée que lorsque cette mesure est conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte dont la Cour assure le respect (arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, point 47).

59

Dans la situation faisant l’objet du litige au principal, le droit au respect de la vie privée et familiale garanti à l’article 7 de la Charte ainsi que les droits de l’enfant garantis à l’article 24 de celle-ci, notamment le droit à la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que considération primordiale dans tous les actes relatifs aux enfants ainsi que celui d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sont fondamentaux.

60

À cet égard, ainsi qu’il résulte des explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les droits garantis à l’article 7 de celle-ci ont le même sens et la même portée que ceux garantis à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

61

Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que l’existence d’une « vie familiale » est une question de fait dépendant de la réalité pratique de liens personnels étroits et que la possibilité pour un parent et son enfant d’être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Cour EDH, 12 juillet 2001, K. et T. c. Finlande, CE:ECHR:2001:0712JUD002570294, §§ 150 et 151). En outre, ainsi que la Cour a eu l’occasion de le constater, il découle de cette jurisprudence que la relation entretenue par un couple homosexuel est susceptible de relever de la notion de « vie privée » ainsi que de celle de « vie familiale » au même titre que celle d’un couple de sexe opposé se trouvant dans la même situation (arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

62

Partant, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 153 de ses conclusions, la relation de l’enfant concerné avec chacune des deux personnes avec lesquelles il mène une vie familiale effective dans l’État membre d’accueil et qui sont mentionnées comme étant ses parents dans l’acte de naissance établi par les autorités de celui-ci est protégée à l’article 7 de la Charte.

63

En outre, ainsi qu’il a été rappelé au point 59 du présent arrêt, le droit au respect de la vie familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la Charte, doit être lu en combinaison avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte. Or, dès lors que l’article 24 de la Charte constitue, ainsi que le rappellent les explications relatives à la charte des droits fondamentaux, une intégration dans le droit de l’Union des principaux droits de l’enfant consacrés dans la convention relative aux droits de l’enfant, qui a été ratifiée par l’ensemble des États membres, il y a lieu, dans l’interprétation de cet article, de tenir dûment compte des dispositions de cette convention [voir, en ce sens, arrêts du 14 février 2008, Dynamic Medien, C‑244/06, EU:C:2008:85, point 39, et du 11 mars 2021, État belge (Retour du parent d’un mineur), C‑112/20, EU:C:2021:197, point 37].

64

En particulier, l’article 2 de cette convention établit, pour l’enfant, le principe de non-discrimination, lequel exige que les droits énoncés dans ladite convention, parmi lesquels figure, à l’article 7 de celle-ci, le droit d’être enregistré dès sa naissance, d’avoir un nom, et d’acquérir une nationalité, soient garantis à cet enfant, sans que celui-ci subisse, à cet égard, une discrimination, y compris une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle de ses parents.

65

Dans ces conditions, il serait contraire aux droits fondamentaux que les articles 7 et 24 de la Charte garantissent à cet enfant de priver celui-ci de la relation avec l’un de ses parents dans le cadre de l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ou de lui rendre l’exercice de ce droit, de fait, impossible ou excessivement difficile au motif que ses parents sont de même sexe.

66

Enfin, la circonstance que l’un des parents de l’enfant concerné est une ressortissante du Royaume-Uni, lequel n’est désormais plus un État membre, est sans incidence à cet égard.

67

Par ailleurs, dans l’hypothèse où, après vérification, S.D.K.A. ne devait pas posséder la nationalité bulgare, il importe de rappeler que, quelle que soit leur nationalité et indépendamment du point de savoir si elles ont elles‑mêmes la qualité de citoyens de l’Union, K.D.K. et S.D.K.A. doivent être considérées par l’ensemble des États membres comme étant, respectivement, la conjointe et la descendante directe, au sens de l’article 2, point 2, sous a) et c), de la directive 2004/38, et, par conséquent, comme étant des membres de la famille de V.M.A. (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, points 36 et 51).

68

En effet, un enfant mineur dont la qualité de citoyen de l’Union n’est pas établie et dont l’acte de naissance délivré par les autorités compétentes d’un État membre désigne comme ses parents deux personnes de même sexe dont l’une est citoyenne de l’Union doit être considéré, par l’ensemble des États membres, comme un descendant direct de cette citoyenne de l’Union, au sens de la directive 2004/38, pour les besoins de l’exercice des droits conférés à l’article 21, paragraphe 1, TFUE et les actes de droit dérivé qui y sont relatifs.

69

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 4, paragraphe 2, TUE, les articles 20 et 21 TFUE ainsi que les articles 7, 24 et 45 de la Charte, lus en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2004/38, doivent être interprétés en ce sens que, s’agissant d’un enfant mineur, citoyen de l’Union dont l’acte de naissance délivré par les autorités compétentes de l’État membre d’accueil désigne comme ses parents deux personnes de même sexe, l’État membre dont cet enfant est ressortissant est obligé, d’une part, de lui délivrer une carte d’identité ou un passeport, sans requérir l’établissement préalable d’un acte de naissance par ses autorités nationales, ainsi que, d’autre part, de reconnaître, à l’instar de tout autre État membre, le document émanant de l’État membre d’accueil permettant audit enfant d’exercer, avec chacune de ces deux personnes, son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

Sur les dépens

70

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

L’article 4, paragraphe 2, TUE, les articles 20 et 21 TFUE ainsi que les articles 7, 24 et 45 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lus en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doivent être interprétés en ce sens que, s’agissant d’un enfant mineur, citoyen de l’Union dont l’acte de naissance délivré par les autorités compétentes de l’État membre d’accueil désigne comme ses parents deux personnes de même sexe, l’État membre dont cet enfant est ressortissant est obligé, d’une part, de lui délivrer une carte d’identité ou un passeport, sans requérir l’établissement préalable d’un acte de naissance par ses autorités nationales, ainsi que, d’autre part, de reconnaître, à l’instar de tout autre État membre, le document émanant de l’État membre d’accueil permettant audit enfant d’exercer, avec chacune de ces deux personnes, son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.