ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

3 octobre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Article 3, paragraphe 1 – Appréciation du caractère abusif des clauses contractuelles – Article 4, paragraphe 2 – Article 5 – Obligation de rédaction claire et compréhensible des clauses contractuelles – Clauses imposant le paiement de coûts pour des services non spécifiés »

Dans l’affaire C‑621/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Kúria (Cour suprême, Hongrie), par décision du 26 octobre 2017, parvenue à la Cour le 3 novembre 2017, dans la procédure

Gyula Kiss

contre

CIB Bank Zrt.,

Emil Kiss,

Gyuláné Kiss,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de chambre, MM. F. Biltgen, J. Malenovský, C. G. Fernlund et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mars 2019,

considérant les observations présentées :

pour M. Kiss, par Mes I. Ölveczky et K. Czingula, ügyvédek,

pour CIB Bank Zrt., par Mes J. Burai-Kovács et G. Stanka, ügyvédek,

pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér, en qualité d’agent,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme Z. Lavery, en qualité d’agent, assistée de Mme A. Howard, barrister,

pour la Commission européenne, par MM. N. Ruiz García et A. Tokár, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 mai 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant à titre principal M. Gyula Kiss à CIB Bank Zrt. (ci-après « CIB ») au sujet d’une demande en constatation du caractère abusif de certaines clauses contenues dans un contrat de prêt.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les douzième, treizième, seizième, dix-neuvième et vingtième considérants de la directive 93/13 sont libellés comme suit :

« considérant, toutefois, qu’en l’état actuel des législations nationales, seule une harmonisation partielle est envisageable ; que, notamment, seules les clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle font l’objet de la présente directive ; qu’il importe de laisser la possibilité aux États membres, dans le respect du traité, d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de la présente directive ;

considérant que les dispositions législatives ou réglementaires des États membres qui fixent, directement ou indirectement, les clauses de contrats avec les consommateurs sont censées ne pas contenir de clauses abusives ; que, par conséquent, il ne s’avère pas nécessaire de soumettre aux dispositions de la présente directive les clauses qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des principes ou des dispositions de conventions internationales dont les États membres ou la Communauté sont partis ; que, à cet égard, l’expression “dispositions législatives ou réglementaires impératives” figurant à l’article 1er paragraphe 2 couvre également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu ;

[...]

considérant que l’appréciation, selon les critères généraux fixés, du caractère abusif des clauses notamment dans les activités professionnelles à caractère public fournissant des services collectifs prenant en compte une solidarité entre usagers, nécessite d’être complétée par un moyen d’évaluation globale des différents intérêts impliqués ; que ceci constitue l’exigence de bonne foi ; que, dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur ; que l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ;

[...]

considérant que, pour les besoins de la présente directive, l’appréciation du caractère abusif ne doit pas porter sur des clauses décrivant l’objet principal du contrat ou le rapport qualité/prix de la fourniture ou de la prestation ; que l’objet principal du contrat et le rapport qualité/prix peuvent, néanmoins, être pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif d’autres clauses ; [...]

considérant que les contrats doivent être rédigés en termes clairs et compréhensibles ; que le consommateur doit avoir effectivement l’occasion de prendre connaissance de toutes les clauses, et que, en cas de doute, doit prévaloir l’interprétation la plus favorable au consommateur ».

4

L’article 3, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »

5

Aux termes de l’article 4 de ladite directive :

« 1.   Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2.   L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

6

L’article 5 de la directive 93/13 prévoit :

« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. [...] »

Le droit hongrois

Le code civil

7

L’article 209/B de la Polgári Törvénykönyvről szóló 1959. évi IV. Törvény (loi no IV de 1959 instituant le code civil) énonce :

« 1)   Une condition générale contractuelle ou une clause d’un contrat conclu avec un consommateur est abusive lorsque, en violation des exigences de bonne foi, elle détermine unilatéralement et sans motif, au détriment d’une des parties, les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2)   Les droits et obligations défavorables sont réputés déterminés unilatéralement et sans motif :

a)

s’ils s’écartent sensiblement d’une disposition essentielle, applicable au contrat ; ou

b)

s’ils sont incompatibles avec l’objet ou le but du contrat.

3)   Afin d’apprécier la nature abusive de la clause, il est tenu compte de toutes les circonstances ayant entouré la conclusion du contrat qui ont abouti à celle-ci, ainsi que de la nature des services prévus et des rapports entre la clause concernée, d’une part, et les autres stipulations du contrat ou d’autres contrats, d’autre part.

4)   Des dispositions spéciales peuvent désigner les clauses considérées comme abusives dans un contrat conclu avec un consommateur ou devant être considérées comme telles jusqu’à preuve du contraire.

5)   Les dispositions relatives aux clauses contractuelles abusives ne sont pas applicables aux stipulations qui définissent la prestation et sa contrepartie, pourvu que leur libellé soit rédigé de manière claire et compréhensible pour les deux parties.

6)   Une clause contractuelle ne peut pas être considérée comme abusive si elle est imposée par ou en vertu d’une disposition législative ou réglementaire. »

8

L’article 523 dudit code se lit comme suit :

« 1.   En vertu d’un contrat de prêt, l’établissement de crédit ou tout autre prêteur est tenu de mettre à la disposition de l’emprunteur le montant convenu ; l’emprunteur est tenu de rembourser ledit montant conformément au contrat.

2.   En l’absence de dispositions contraires, si le prêteur est un établissement de crédit, le débiteur est tenu de payer des intérêts (prêt bancaire). »

La loi Hpt

9

En vertu de l’article 210, paragraphe 2, de l’a hitelintézetekről és a pénzügyi vállalkozásokról szóló 1996. évi CXII. törvény (loi no CXII. de 1996 relative aux établissements de crédit et aux entreprises financières, ci-après la « loi Hpt ») :

« Un contrat de service financier ou un contrat de service financier complémentaire doit clairement déterminer les intérêts, les frais ainsi que toute autre somme ou condition, y compris les conséquences juridiques d’une exécution tardive ainsi que les modalités et conséquences d’une mise en œuvre des obligations secondaires garantissant le contrat. »

10

L’article 212 de la loi Hpt dispose :

« 1.   Un contrat de prêt conclu avec des consommateurs ou particuliers doit préciser le taux annualisé effectif global, exprimé en pourcentage et calculé conformément à des dispositions spéciales.

2.   Le coût effectif du crédit correspond à la somme qu’il incombe au consommateur de payer au titre du prêt et comprend les intérêts, les commissions de décaissement et tout autre frais à régler en relation avec l’utilisation du prêt.

3.   Le taux annualisé effectif global correspond au taux d’intérêt interne par application duquel le coût effectif du crédit et le capital à rembourser par le client équivalent au montant du crédit diminué des frais réglés par le client à l’établissement de crédit au moment du décaissement ».

11

Le point I.10.2.a de l’annexe no 2 de la loi Hpt définit les termes « octroi d’un prêt d’argent » comme suit :

« mise à disposition, en vertu d’un contrat de prêt ou de crédit conclu entre le prêteur et le débiteur, d’une somme d’argent que le débiteur devra rembourser – augmentée ou non d’intérêts – au moment défini par le contrat. »

12

Le point I.10.3 de cette annexe prévoit :

« Les prestations de services financiers tendant à l’octroi de crédits et de prêts d’argent couvrent les mesures liées à l’examen de la solvabilité, à la préparation des contrats de crédit ou de prêt, à l’enregistrement des prêts décaissés, ainsi qu’à leur suivi, à leur contrôle et à leur recouvrement. »

13

Le point III.7 de ladite annexe définit le terme « intérêt » comme suit :

« somme ou autre produit que le débiteur doit payer au prêteur (ou au déposant) au titre de l’usage et du risque du dépôt consenti ou du prêt obtenu, exprimée en pourcentage du montant du dépôt ou du prêt, et qu’il y a lieu de verser (ou de calculer) au pro rata temporis. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Le 16 septembre 2005, le requérant au principal a conclu avec la société aux droits de laquelle vient CIB un contrat de prêt d’un montant de 16451 euros assorti d’un taux d’intérêt annuel de 5,4 % et de frais de gestion au taux annuel de 2,4 % sur une durée de 20 ans. L’intéressé était également tenu de payer, en vertu des clauses du contrat, la somme de 40000 forints hongrois (HUF) (environ 125 euros) à titre de commission de décaissement. Le taux annualisé effectif global (TAEG) était fixé à 8,47 %.

15

Le requérant au principal a formé un recours auprès de la Győri Törvényszék (cour de Győr, Hongrie) tendant à faire constater le caractère abusif des clauses relatives aux frais de gestion et à la commission de décaissement, au motif que le contrat ne détaillait pas les services précis dont ils étaient censés représenter la contrepartie.

16

En défense, CIB a fait valoir qu’elle n’avait aucune obligation de détailler les services dont les frais de gestion et la commission de décaissement représentaient la contrepartie. Elle a néanmoins précisé que la commission de décaissement se rapportait aux démarches effectuées préalablement à la conclusion du contrat, tandis que les frais de gestion représentaient la contrepartie des diligences réalisées à la suite de la conclusion dudit contrat.

17

La Győri Törvényszék (cour de Győr) a déclaré abusive la clause relative à la commission de décaissement mais a rejeté le chef de conclusion visant celle relative aux frais de gestion.

18

Le requérant au principal et CIB ayant interjeté appel, la Győri Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Győr, Hongrie) a confirmé le jugement rendu en première instance. En ce qui concerne la clause portant sur les frais de gestion, cette juridiction a relevé que celle-ci était rédigée de façon claire et compréhensible, étant donné que le montant mis à la charge de l’emprunteur à ce titre était clairement défini et que la nature de la contrepartie était notoire. Elle a ajouté que ces frais incluaient des opérations telles que le traitement, la gestion, l’enregistrement et le recouvrement du prêt. En revanche, s’agissant de la commission de décaissement, ladite juridiction a souligné qu’il était difficile de déterminer les services précis dont celle-ci représentait la contrepartie, étant donné que le coût de tous les services notoirement connus était déjà compris dans les frais de gestion.

19

Le requérant au principal et CIB se sont pourvus en cassation devant la juridiction de renvoi.

20

Le requérant au principal fait valoir que le contrat ne mentionne pas clairement les services en contrepartie desquels il est tenu de régler les frais de gestion. Il prétend que CIB n’a pas démontré, au cours de la procédure, que le traitement et la gestion du prêt génèreraient des frais qui n’étaient pas déjà couverts par les intérêts.

21

De son côté, CIB conteste le caractère abusif de la clause relative à la commission de décaissement, en faisant observer, notamment, qu’aucune disposition juridique en vigueur à la date de la conclusion du contrat en cause au principal n’imposait de détailler précisément les services fournis en contrepartie de cette commission.

22

La juridiction de renvoi précise que, à la date des faits du litige au principal, la notion de « frais de gestion » n’était pas définie en droit hongrois et que, en général, les contrats de prêt n’indiquaient pas non plus les services dont les frais de gestion représentent la contrepartie. Les établissements financiers auraient eu recours à deux modèles de crédit différents en ce qui concerne ces frais, le premier stipulant des frais de gestion en sus des intérêts, le second ne prévoyant pas de frais de gestion mais fixant un taux d’intérêt plus élevé afin de couvrir ces frais. Par ailleurs, alors que la plupart des établissements financiers auraient facturé une commission de décaissement acquittée par versement unique, cette juridiction souligne que la loi hongroise en vigueur à la date de la conclusion du contrat en cause au principal ne définissait pas la contrepartie de cette commission, cette dernière étant seulement mentionnée à l’article 212 de la loi Hpt en tant que composante du coût total du prêt.

23

La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant au point de savoir si les clauses en cause au principal sont rédigées de manière claire et compréhensible et elle s’interroge sur la façon dont elle doit apprécier le caractère éventuellement abusif de celles-ci. En outre, bien que la jurisprudence nationale ne soit pas uniforme en la matière, il aurait été jugé dans une majorité des cas qu’il suffit que le coût total du prêt concerné soit clair, sans qu’il soit nécessaire de préciser la nature de tous les services fournis en contrepartie.

24

Toutefois, il ne ressortirait pas clairement de cette jurisprudence quels sont les services qui sont fournis en contrepartie des frais de gestion, ni si ces services peuvent être distingués de la prestation principale, à savoir la mise à disposition d’une somme d’argent et le remboursement de cette somme majorée d’intérêts. En tout état de cause, dans la mesure où il comprend tant l’intérêt que les frais, le TAEG permettrait de connaître le coût total du prêt et de comparer les différentes offres de prêt sur le marché.

25

Selon une jurisprudence minoritaire, en revanche, les services fournis en contrepartie des frais de gestion doivent être détaillés. En effet, il serait utile pour le consommateur de pouvoir comparer non seulement les montants du TAEG, mais également la nature de ces services. À cet égard, la dissociation en deux éléments de la contrepartie de la prestation principale – intérêts et frais de gestion – ne serait pas justifiée, l’assiette des frais de gestion étant en outre différente de celle utilisée pour le calcul des intérêts. Enfin, selon ladite jurisprudence, les services fournis en contrepartie de la commission de décaissement devraient être connus, afin de pouvoir s’assurer que ces services ne sont pas doublement facturés.

26

La juridiction de renvoi relève par ailleurs que la jurisprudence des différents États membres diverge également s’agissant de la nature des frais de gestion. Ainsi, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) estimerait que le caractère abusif d’une clause relative aux frais de gestion peut être apprécié, étant donné que les intérêts, et non ces frais, représenteraient la contrepartie de la prestation principale. Une telle clause serait abusive dès lors que l’établissement de crédit, au moyen de ces frais de gestion, fait supporter au seul consommateur, notamment, la charge de frais de fonctionnement exposés dans l’intérêt exclusif dudit établissement. En revanche, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) considérerait qu’une clause contractuelle stipulant des frais de gestion relève de la prestation principale, ce qui ferait obstacle à l’examen de son caractère abusif.

27

S’agissant de l’affaire en cause au principal, la juridiction de renvoi estime que la détermination des services fournis en contrepartie des frais de gestion et de la commission de décaissement est susceptible d’être pertinente pour déterminer si les clauses du contrat conclu par le requérant au principal sont suffisamment claires et compréhensibles au sens de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13. En outre, dans l’hypothèse où il serait constaté que l’une de ces clauses n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible, la question se poserait de savoir si ce constat doit conduire ipso facto à la conclusion que cette clause est abusive ou si, pour parvenir à cette conclusion, il est également nécessaire, au regard notamment de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, d’examiner si, en dépit de l’exigence de bonne foi, ladite clause crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

28

Enfin, elle nourrit des doutes sur le point de savoir s’il convient d’examiner uniquement les prestations et leurs contreparties afférentes auxdites clauses, ou s’il convient de tenir compte de toutes les clauses du contrat et de procéder à un bilan de l’ensemble des avantages et des désavantages.

29

Dans ces circonstances, la Kúria (Cour suprême, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Convient-il d’interpréter l’exigence d’une rédaction claire et compréhensible énoncée [à l’article] 4, paragraphe 2, et [à l’article] 5 de la directive [93/13] en ce sens que, dans un contrat de prêt conclu avec des consommateurs, cette exigence est satisfaite par une clause contractuelle n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle qui détermine précisément le montant des frais, commissions et autres coûts (ci-après conjointement dénommés “frais”) mis à la charge du consommateur, leur méthode de calcul et leur date d’exigibilité, sans pour autant préciser de quel service ils représentent la contrepartie, ou bien le contrat doit-il également détailler les services précis dont ces frais représentent la contrepartie ? Dans ce dernier cas, suffit-il que la nature du service fourni puisse être déduite de la dénomination donnée aux frais ?

2)

Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 1, de la directive [93/13] en ce sens que la clause contractuelle relative aux frais utilisée dans le contrat en cause dans l’affaire au principal, qui ne permet pas d’identifier sans ambiguïté, en vertu du contrat, le service concret fourni en contrepartie, crée au détriment du consommateur, en dépit de l’exigence de bonne foi, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

30

Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible doit s’entendre comme imposant que des clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle contenues dans un contrat de prêt conclu avec des consommateurs, telles que celles en cause au principal, qui déterminent précisément le montant des frais de gestion et d’une commission de décaissement mis à la charge du consommateur, leur méthode de calcul et leur date d’exigibilité, doivent également détailler tous les services fournis en contrepartie des montants concernés.

31

Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

32

À cet égard, la Cour a déjà jugé que les clauses du contrat qui relèvent de la notion d’« objet principal du contrat », au sens de ladite disposition, doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. En revanche, les clauses qui revêtent un caractère accessoire par rapport à celles qui définissent l’essence même du rapport contractuel ne sauraient relever de ladite notion (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).

33

Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, eu égard à la nature, à l’économie générale et aux stipulations du contrat de prêt concerné ainsi qu’au contexte juridique et factuel dans lequel ce dernier s’inscrit, si la clause concernée constitue un élément essentiel de la prestation du débiteur consistant dans le remboursement du montant mis à sa disposition par le prêteur (arrêt du 26 février 2015, Matei, C‑143/13, EU:C:2015:127, point 54 et jurisprudence citée).

34

Par ailleurs, il ressort des termes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 que la seconde catégorie de clauses dont le caractère éventuellement abusif ne saurait faire l’objet d’une appréciation a une portée réduite, dès lors qu’elle ne concerne que l’adéquation entre le prix ou la rémunération prévus et les services ou les biens à fournir en contrepartie, cette exclusion s’expliquant par le fait qu’il n’existe aucun barème ou critère juridique pouvant encadrer et guider le contrôle de cette adéquation (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Matei, C‑143/13, EU:C:2015:127, point 55 et jurisprudence citée).

35

Les clauses relatives à la contrepartie due par le consommateur au prêteur ou ayant une incidence sur le prix effectif devant être payé à ce dernier par le consommateur ne relèvent donc pas, en principe, de cette seconde catégorie de clauses, sauf en ce qui concerne la question de savoir si le montant de la contrepartie ou du prix tel que stipulé dans le contrat est en adéquation avec le service fourni en contrepartie par le prêteur (arrêt du 26 février 2015, Matei, C‑143/13, EU:C:2015:127, point 56). Toutefois, en l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour, ce qu’il incombe néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier, que le caractère prétendument abusif des clauses en cause au principal ne concerne pas le rapport entre le montant des frais de gestion et de la commission de décaissement et les services fournis en contrepartie.

36

En tout état de cause, que les clauses en cause au principal relèvent ou non de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, la même exigence de transparence que celle visée à cette disposition figure également à l’article 5 de cette directive, qui prévoit que les clauses contractuelles écrites doivent « toujours » être rédigées de façon claire et compréhensible. Comme la Cour l’a déjà jugé, l’exigence de transparence telle que figurant à la première de ces dispositions a la même portée que celle visée à la seconde de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, points 67 à 69).

37

Enfin, ladite exigence de transparence doit s’entendre comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais que ce consommateur soit également mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, Bucura, C‑348/14, non publié, EU:C:2015:447, point 55 et jurisprudence citée).

38

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le contrat de prêt en cause au principal prévoyait l’existence de frais de gestion au taux annuel de 2,4 % sur une durée de 240 mois, ces frais étant calculés, au cours de la première période annuelle, sur l’intégralité du montant du prêt, et, au cours des périodes suivantes, sur le montant restant dû au premier jour de la période annuelle considérée. En outre, conformément au contrat, le requérant était tenu de verser la somme de 40000 HUF à titre de commission de décaissement.

39

Il apparaît, dès lors, que les clauses concernées permettaient au requérant au principal d’évaluer les conséquences économiques qui en découlaient pour lui.

40

Il importe de rappeler, à cet égard, que la Cour a jugé en substance, s’agissant d’une clause d’un contrat de prêt prévoyant une « commission de risques », que ce contrat ne pouvait être regardé comme exposant de manière transparente les motifs justifiant la rémunération correspondant à cette commission, dès lors qu’il était contesté que le prêteur soit tenu de fournir une réelle contrepartie aux fins de l’obtention de ladite commission (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Matei, C‑143/13, EU:C:2015:127, point 77).

41

En l’occurrence, s’agissant de la clause portant sur la commission de décaissement, il est constant que le requérant au principal conteste l’existence d’une quelconque contrepartie réelle à cette commission. Dans ces circonstances, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si l’intéressé a été informé des motifs justifiant le paiement de cette commission.

42

En ce qui concerne la clause relative aux frais de gestion, si le requérant au principal ne semble pas conclure à l’absence de toute contrepartie à ces frais, il prétend néanmoins que la nature exacte des différents services correspondants n’est pas transparente.

43

Certes, il ne découle pas de la jurisprudence visée au point 37 du présent arrêt que le prêteur est tenu de détailler dans le contrat concerné la nature de tous les services fournis en contrepartie des frais prévus par une ou plusieurs clauses contractuelles. Toutefois, eu égard à la protection que la directive 93/13 vise à accorder au consommateur en raison du fait qu’il se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, il importe que la nature des services effectivement fournis puisse être raisonnablement comprise ou déduite à partir du contrat considéré dans sa globalité. En outre, le consommateur doit être en mesure de vérifier qu’il n’existe pas de chevauchement entre les différents frais ou entre les services que ces derniers rémunèrent.

44

Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi doit examiner si tel est le cas au regard de l’ensemble des éléments de fait pertinents, au nombre desquels figurent non seulement les clauses contenues dans le contrat concerné, mais également la publicité et l’information fournies par le prêteur dans le cadre de la négociation du contrat (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Matei, C‑143/13, EU:C:2015:127, point 75).

45

Partant, il convient de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible n’impose pas que des clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle contenues dans un contrat de prêt conclu avec des consommateurs, telles que celles en cause au principal, qui déterminent précisément le montant des frais de gestion et d’une commission de décaissement mis à la charge du consommateur, leur méthode de calcul et leur date d’exigibilité, doivent également détailler tous les services fournis en contrepartie des montants concernés.

Sur la seconde question

46

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle telle que celle en cause au principal, relative à des frais de gestion du prêt, qui ne permet pas d’identifier sans ambiguïté les services concrets fournis en contrepartie, crée au détriment du consommateur, en dépit de l’exigence de bonne foi, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

47

Il importe de préciser d’emblée que, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour en la matière porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte de ces critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il en ressort que la Cour doit se limiter à fournir à la juridiction de renvoi des indications dont cette dernière est censée tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 66 et jurisprudence citée).

48

Étant donné la situation d’infériorité du consommateur à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, la directive 93/13 oblige les États membres à prévoir un mécanisme assurant que toute clause contractuelle n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle puisse être contrôlée afin d’en apprécier le caractère éventuellement abusif. Dans ce cadre, il incombe au juge national de déterminer, en tenant compte des critères énoncés à l’article 3, paragraphe 1, ainsi qu’à l’article 5 de cette directive, si, eu égard aux circonstances propres au cas d’espèce, une telle clause satisfait aux exigences de bonne foi, d’équilibre et de transparence posées par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 50 et jurisprudence citée).

49

Ainsi, le caractère transparent d’une clause contractuelle, tel qu’exigé à l’article 5 de la directive 93/13, constitue l’un des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif de cette clause qu’il appartient au juge national d’effectuer en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive. Dans le cadre de cette appréciation, il incombe audit juge d’évaluer, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire, dans un premier temps, le possible non-respect de l’exigence de bonne foi et, dans un second temps, l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif au détriment du consommateur, au sens de cette dernière disposition (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 56).

50

S’agissant de la question de savoir si l’exigence de bonne foi, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, est respectée, il importe de constater que, eu égard au seizième considérant de celle-ci, le juge national doit vérifier à ces fins si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte une telle clause à la suite d’une négociation individuelle (arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 69).

51

Quant à l’examen de l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif, il ne saurait se limiter à une appréciation économique de nature quantitative, reposant sur une comparaison entre le montant total de l’opération ayant fait l’objet du contrat, d’une part, et les coûts mis à la charge du consommateur par cette clause, d’autre part. En effet, un déséquilibre significatif peut résulter du seul fait d’une atteinte suffisamment grave à la situation juridique dans laquelle le consommateur, en tant que partie au contrat en cause, est placé en vertu des dispositions nationales applicables, que ce soit sous la forme d’une restriction au contenu des droits que, selon ces dispositions, il tire de ce contrat ou d’une entrave à l’exercice de ceux‑ci ou encore de la mise à sa charge d’une obligation supplémentaire, non prévue par les règles nationales (arrêt du 16 janvier 2014, Constructora Principado, C‑226/12, EU:C:2014:10, points 22 et 23).

52

Par ailleurs, il ressort de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 que le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

53

C’est à la lumière de ces critères qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier le caractère éventuellement abusif des clauses en cause au principal.

54

À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 43 du présent arrêt, le fait que les services fournis en contrepartie des frais de gestion et de la commission de décaissement ne sont pas détaillés ne signifie pas que les clauses y afférentes ne répondent pas à l’exigence de transparence visée à l’article 4, paragraphe 2, et à l’article 5 de la directive 93/13, pour autant que la nature des services effectivement fournis puisse être raisonnablement comprise ou déduite à partir du contrat considéré dans sa globalité.

55

S’agissant du point de savoir si les clauses en cause au principal créent, en dépit de l’exigence de bonne foi, un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, il importe de considérer, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, que la perception de frais de gestion et d’une commission de décaissement est prévue dans le droit interne. À moins que les services fournis en contrepartie ne relèvent pas raisonnablement des prestations effectuées dans le cadre de la gestion ou du décaissement du prêt, ou que les montants mis à la charge du consommateur au titre desdits frais et de ladite commission soient disproportionnés par rapport au montant du prêt, il n’apparaît pas, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, que ces clauses affectent de manière défavorable la position juridique du consommateur telle que prévue par le droit national. Il appartient à la juridiction de renvoi de tenir compte, en outre, de l’effet des autres clauses contractuelles afin de déterminer si lesdites clauses créent un déséquilibre significatif au détriment de l’emprunteur.

56

Partant, il convient de répondre à la seconde question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle telle que celle en cause au principal, relative à des frais de gestion d’un contrat de prêt, qui ne permet pas d’identifier sans ambiguïté les services concrets fournis en contrepartie, ne crée pas, en principe, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat au détriment du consommateur, en dépit de l’exigence de bonne foi.

Sur les dépens

57

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible n’impose pas que des clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle contenues dans un contrat de prêt conclu avec des consommateurs, telles que celles en cause au principal, qui déterminent précisément le montant des frais de gestion et d’une commission de décaissement mis à la charge du consommateur, leur méthode de calcul et leur date d’exigibilité, doivent également détailler tous les services fournis en contrepartie des montants concernés.

 

2)

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle telle que celle en cause au principal, relative à des frais de gestion d’un contrat de prêt, qui ne permet pas d’identifier sans ambiguïté les services concrets fournis en contrepartie, ne crée pas, en principe, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat au détriment du consommateur, en dépit de l’exigence de bonne foi.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.