ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

12 septembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique industrielle – Rapprochement des législations – Directive 98/34/CE – Procédure d’information dans le domaine des normes et des réglementations techniques ainsi que des règles relatives aux services de la société de l’information – Article 1er, point 11 – Notion de “règle technique” »

Dans l’affaire C‑299/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne), par décision du 8 mai 2017, parvenue à la Cour le 23 mai 2017, dans la procédure

VG Media Gesellschaft zur Verwertung der Urheber- und Leistungsschutzrechte von Medienunternehmen mbH

contre

Google LLC, venant aux droits de Google Inc.,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, Mme K. Jürimäe, MM. D. Šváby (rapporteur), S. Rodin et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 octobre 2018,

considérant les observations présentées :

pour VG Media Gesellschaft zur Verwertung der Urheber- und Leistungsschutzrechte von Medienunternehmen mbH, par Mes U. Karpenstein, M. Kottmann, R. Heine et M. J. Hegemann, Rechtsanwälte,

pour Google LLC, venant aux droits de Google Inc., par Mes A. Conrad, W. Spoerr et M. T. Schubert, Rechtsanwälte,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze, M. Hellmann et M. Kall, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par Mmes E.-M. Mamouna et N. Dafniou, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz ainsi que par Mme V. Ester Casas, en qualité d’agents,

pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et M. Figueiredo, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes K. Petersen, Y. Marinova et J. Samnadda, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 décembre 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, points 2, 5 et 11, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 1998, L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO 1998, L 217, p. 18) (ci-après la « directive 98/34 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VG Media Gesellschaft zur Verwertung der Urheber- und Leistungsschutzrechte von Medienunternehmen mbH (ci-après « VG Media » à Google LLC au sujet de la violation prétendue par Google de droits voisins au droit d’auteur.

Le cadre juridique

La directive 98/34

3

L’article 1er, points 2 à 5 et 11, de la directive 98/34 énonce :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

[...]

2)

“service” : tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par :

les termes “à distance” : un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes,

“par voie électronique” : un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques,

“à la demande individuelle d’un destinataire de services” : un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

Une liste indicative des services non visés par cette définition figure à l’annexe V.

[...]

3)

“spécification technique”: une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d’un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d’emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et les méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, ainsi que les procédures d’évaluation de la conformité.

Les termes “spécification technique” recouvrent également les méthodes et les procédés de production relatifs aux produits agricoles au titre de l’article 38, paragraphe 1, du traité, aux produits destinés à l’alimentation humaine et animale, ainsi qu’aux médicaments tels que définis à l’article 1er de la directive 65/65/CEE du Conseil [...], de même que les méthodes et procédés de production relatifs aux autres produits, dès lors qu’ils ont une incidence sur les caractéristiques de ces derniers ;

4)

“autre exigence” : une exigence, autre qu’une spécification technique, imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou d’élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation ;

5)

“règle relative aux services” : une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services visées au point 2 et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis au même point.

[...]

Aux fins de la présente définition :

une règle est considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information lorsque, au regard de sa motivation et du texte de son dispositif, elle a pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions ponctuelles, de réglementer de manière explicite et ciblée ces services,

une règle n’est pas considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information si elle ne concerne ces services que d’une manière implicite ou incidente.

[...]

11)

“règle technique” : une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 10, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.

Constituent notamment des règles techniques de facto :

les dispositions législatives, réglementaires ou administratives d’un État membre qui renvoient soit à des spécifications techniques ou à d’autres exigences ou à des règles relatives aux services, soit à des codes professionnels ou de bonne pratique qui se réfèrent eux-mêmes à des spécifications techniques ou à d’autres exigences ou à des règles relatives aux services, dont le respect confère une présomption de conformité aux prescriptions fixées par lesdites dispositions législatives, réglementaires ou administratives,

les accords volontaires auxquels l’autorité publique est partie contractante et qui visent, dans l’intérêt général, le respect de spécifications techniques ou d’autres exigences, ou de règles relatives aux services à l’exclusion des cahiers de charges des marchés publics,

les spécifications techniques ou d’autres exigences ou les règles relatives aux services liées à des mesures fiscales ou financières qui affectent la consommation de produits ou de services en encourageant le respect de ces spécifications techniques ou autres exigences ou règles relatives aux services ; ne sont pas concernées les spécifications techniques ou autres exigences ou les règles relatives aux services liées aux régimes nationaux de sécurité sociale.

Sont concernées les règles techniques qui sont fixées par les autorités désignées par les États membres et qui figurent sur une liste à établir par la Commission [européenne] avant le 5 août 1999 dans le cadre du comité visé à l’article 5.

La modification de cette liste s’effectue selon cette même procédure. »

4

L’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive dispose :

« Sous réserve de l’article 10, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. »

5

La directive 98/34 a été abrogée par la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1), qui est entrée en vigueur le 7 octobre 2015, soit postérieurement aux faits en cause au principal.

Le droit allemand

6

Par le achtes Gesetz zur Änderung des Urheberrechtsgesetzes (huitième loi portant modification de la loi sur le droit d’auteur), du 7 mai 2013 (BGBl. 2013 I, p. 1161), la section 7, intitulée « Protection de l’éditeur de presse », relative aux droits voisins des éditeurs de presse, a été insérée, avec effet au 1er août 2013, dans la deuxième partie du Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins, ci-après l’« UrhG »). Cette section 7 comporte les trois articles suivants.

7

L’article 87f de l’UrhG, intitulé « Éditeur de presse », prévoit :

« 1.   Le producteur d’un produit de la presse (éditeur de presse) détient le droit exclusif de mettre à la disposition du public, en tout ou partie, le produit de la presse à des fins commerciales, sauf s’il s’agit de mots isolés ou de très courts extraits de texte. Si le produit de la presse a été produit dans le cadre d’une entreprise, le propriétaire de l’entreprise est réputé en être le producteur.

2.   Un produit de la presse est l’établissement technico-rédactionnel de contributions journalistiques dans le cadre d’un recueil publié périodiquement sous un titre sur un support quelconque qui, à la lumière de l’ensemble des circonstances, doit être considéré comme essentiellement typique de l’édition et qui n’est pas destiné principalement à l’autopromotion. Les contributions journalistiques sont en particulier des articles et illustrations qui sont destinés à la communication d’informations, à la formation d’opinions ou au divertissement. »

8

L’article 87g de l’UrhG, intitulé « Transmissibilité, durée et limites du droit », est libellé comme suit :

« 1.   Le droit de l’éditeur visé à l’article 87f, paragraphe 1, première phrase, est transposable. Les articles 31 et 33 sont applicables par analogie.

2.   Le droit expire un an après la publication du produit de la presse.

3.   Le droit de l’éditeur de presse ne peut pas être invoqué au détriment de l’auteur ou d’un titulaire de droits voisins dont l’œuvre ou l’objet protégé en vertu de la présente loi est contenu dans le produit de la presse.

4.   La mise à la disposition du public, en tout ou partie, de produits de la presse est licite, pour autant que cette mise à disposition n’est pas effectuée par des prestataires commerciaux de moteurs de recherche ou des prestataires commerciaux de services qui éditent de manière analogue des contenus. Les dispositions de la partie 1, section 6, s’appliquent, en outre, par analogie. »

9

L’article 87h de l’UrhG, intitulé « Droit de participation de l’auteur », dispose :

« L’auteur peut prétendre à une part appropriée de la rémunération. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10

VG Media est une société de gestion collective, agréée en Allemagne, qui défend les droits d’auteur et les droits voisins de chaînes de télévision et de stations de radio privées ainsi que les droits sur des offres éditoriales numériques. Dans ce contexte, VG Media conclut avec les titulaires de droits le « contrat d’exercice “Télévision, Radiodiffusion, Éditeur” », par lequel ces titulaires de droits lui concèdent à titre exclusif leurs droits actuels, ainsi que les droits qui leur seront octroyés en cours de contrat, sur des produits de la presse, dont ils sont les producteurs.

11

Google exploite plusieurs moteurs de recherche sur Internet, dont notamment le moteur de recherche du même nom, ainsi qu’un site d’information automatisé (« Google Actualités »). Sur le moteur de recherche « Google », après qu’un terme de recherche est saisi et que la fonction de recherche est activée, s’affiche un court texte ou extrait de texte (le « Snippet ») avec une image d’aperçu, destinée à permettre à l’utilisateur d’apprécier la pertinence du site Internet indiqué au regard de son besoin d’information. Quant au site d’information « Google Actualités », sont affichées sur celui-ci, à la manière d’une revue, des nouvelles provenant d’un cercle limité de sources d’informations. Les informations figurant sur ce site sont collectées par des ordinateurs au moyen d’un algorithme à partir d’un grand nombre de sources d’informations. Sur ledit site, le « Snippet » apparaît sous forme d’un court résumé de l’article issu du site Internet concerné, reprenant souvent les phrases introductives de cet article.

12

En outre, Google publie, à titre onéreux, au moyen de ses services en ligne, les annonces publicitaires de tiers sur ses propres sites Internet ainsi que sur les sites Internet de tiers.

13

VG Media a formé, devant la juridiction de renvoi, un recours en indemnité contre Google, dans le cadre duquel elle conteste, en substance, l’utilisation par Google, depuis le 1er août 2013, d’extraits de textes, d’images et d’images animées, provenant des offres de ses membres, sans verser de rémunération en contrepartie, pour l’affichage de résultats de recherche et de sommaires d’actualités.

14

La juridiction de renvoi cherche à savoir si les articles 87f et 87g de l’UrhG sont applicables au litige au principal. Elle se demande en effet si ces dispositions, résultant de la modification, avec effet au 1er août 2013, de l’UrhG, auraient dû être communiquées à la Commission au stade du projet, conformément à ce que prévoit l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 98/34. À cet égard, la juridiction de renvoi rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle les dispositions adoptées en violation de l’obligation de notification prévue à cette disposition sont inapplicables et ne peuvent, dès lors, être opposées aux particuliers.

15

Dans ces conditions, le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Une disposition nationale qui interdit exclusivement aux exploitants commerciaux de moteurs de recherche et aux prestataires commerciaux de services qui éditent des contenus, mais non aux autres utilisateurs, y compris commerciaux, de mettre à la disposition du public des produits de la presse, en tout ou partie (à l’exception de mots isolés ou de très courts extraits de texte), constitue-t-elle, au sens de l’article 1er, points 2 et 5, de la [directive 98/34], une règle qui ne vise pas spécifiquement les services définis [audit point 2],

et, dans la négative,

2)

une disposition nationale qui interdit exclusivement aux exploitants commerciaux de moteurs de recherche et aux prestataires commerciaux de services qui éditent des contenus, mais non aux autres utilisateurs, y compris commerciaux, de mettre à la disposition du public des produits de la presse, en tout ou partie (à l’exception de mots isolés ou de très courts extraits de texte), constitue-t-elle une règle technique au sens de l’article 1er, point 11, de la [directive 98/34], à savoir une règle obligatoire relative à la fourniture d’un service ? »

Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

16

À la suite du prononcé des conclusions de M. l’avocat général, VG Media a, par actes déposés au greffe de la Cour les 16 janvier et 18 février 2019, demandé que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure.

17

À l’appui de sa demande, VG Media fait valoir, en substance, que, d’une part, l’avocat général a présenté, notamment aux points 34 et 38 de ses conclusions, des appréciations erronées sur les dispositions nationales en cause au principal et s’est fondé sur des éléments de fait qui auraient nécessité un débat plus approfondi. D’autre part, VG Media estime que l’accord politique entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission, qui a précédé l’adoption de la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (JO 2019, L 130, p. 92), doit être pris en compte par la Cour aux fins des réponses aux questions préjudicielles.

18

Conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

19

À cet égard, il convient de relever que, dans ses conclusions, l’avocat général s’est fondé sur les éléments de fait et de droit tels qu’ils ont été soumis à la Cour par la juridiction de renvoi. Or, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national (arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 37 et jurisprudence citée).

20

Par ailleurs, il ressort du dossier soumis à la Cour que les faits du litige au principal sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la directive 2019/790, laquelle n’est donc pas applicable ratione temporis au litige au principal.

21

Dès lors, la Cour considère qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la demande de décision préjudicielle et qu’aucun des éléments invoqués par VG Media à l’appui de sa demande ne justifie la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 du règlement de procédure.

22

Dans ces conditions, la Cour estime, l’avocat général entendu, qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

Sur les questions préjudicielles

23

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 1er février 2017, Município de Palmela, C‑144/16, EU:C:2017:76, point 20 et jurisprudence citée).

24

En l’occurrence, par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi se demande, en substance, si l’article 1er, point 11, de la directive 98/34 doit être interprété en ce sens qu’une disposition nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui interdit aux seuls exploitants commerciaux de moteurs de recherche et prestataires commerciaux de services qui éditent de manière analogue des contenus de mettre à la disposition du public des produits de la presse, en tout ou partie (à l’exception de mots isolés ou de très courts extraits de texte), constitue une « règle technique », au sens de cette disposition, dont le projet doit faire l’objet d’une communication préalable à la Commission en vertu de l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive.

25

Il convient de rappeler que la notion de « règle technique » recouvre quatre catégories de mesures, à savoir, premièrement, la « spécification technique », au sens de l’article 1er, point 3, de la directive 98/34, deuxièmement, l’« autre exigence », telle que définie à l’article 1er, point 4, de cette directive, troisièmement, la « règle relative aux services », visée à l’article 1er, point 5, de ladite directive, et, quatrièmement, les « dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services », au sens de l’article 1er, point 11, de la même directive (arrêt du 26 septembre 2018, Van Gennip e.a., C‑137/17, EU:C:2018:771, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

26

Il importe de préciser, à cet égard, que, pour qu’une mesure nationale relève de la première catégorie de règles techniques visée à l’article 1er, point 3, de la directive 98/34, c’est-à-dire de la notion de « spécification technique », cette mesure doit se référer nécessairement au produit ou à son emballage en tant que tels et fixer, dès lors, l’une des caractéristiques requises d’un produit (arrêt du 19 juillet 2012, Fortuna e.a., C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495, point 28 ainsi que jurisprudence citée). Par ailleurs, la notion d’« autre exigence », au sens de l’article 1er, point 4, de cette directive, vise le cycle de vie d’un produit après sa mise sur le marché (arrêt du 4 février 2016, Ince, C‑336/14, EU:C:2016:72, point 72).

27

En l’occurrence, la disposition nationale en cause au principal ne relève pas des première et deuxième catégories de mesures mentionnées au point 25 du présent arrêt. En effet, cette disposition se réfère non pas à des produits en tant que tels, mais, ainsi que l’a relevé l’avocat général au point 22 de ses conclusions, à l’interdiction faite aux exploitants commerciaux de moteurs de recherche sur Internet et aux prestataires commerciaux de services qui éditent de manière analogue des contenus de mettre à la disposition du public des produits de la presse.

28

S’agissant de la question de savoir si la disposition nationale en cause au principal est une « règle relative aux services », au sens de l’article 1er, point 5, de la directive 98/34, il convient, tout d’abord, de rappeler que, en vertu de l’article 1er, point 2, de cette directive, un « service » est défini comme « tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ».

29

À cet égard, il ressort de la décision de renvoi et du libellé de la première question que la juridiction de renvoi considère que la disposition nationale en cause au principal est une « règle relative aux services », sans pour autant en expliquer les raisons. Elle se limite à indiquer que les prestataires de moteurs de recherche fournissent, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire qui active la recherche après la saisie d’un terme de recherche, un service de la société de l’information au sens de l’article 1er, point 2, de ladite directive.

30

Concernant les services fournis par les exploitants commerciaux de moteurs de recherche sur Internet, il ne fait, effectivement, pas de doute qu’ils constituent de tels services. En revanche, il n’en va pas forcément de même s’agissant des services fournis par les prestataires commerciaux de services qui éditent de manière analogue des contenus. En effet, ainsi que le relève la Commission, l’édition analogue de contenus de produits de la presse peut se faire autrement qu’au moyen d’Internet ou de communications électroniques, tel que, par exemple, sur support papier.

31

Ensuite, afin de déterminer si une règle peut être qualifiée de « règle relative aux services », elle doit, conformément à la définition figurant à l’article 1er, point 5, de la directive 98/34, viser « spécifiquement » les services de la société de l’information.

32

À cet égard, il convient de relever que, aux termes de l’article 1er, point 5, cinquième alinéa, premier tiret, de cette directive, une règle est considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information au regard tant de sa motivation que du texte de son dispositif. En outre, en vertu de cette même disposition, il n’est pas requis que la règle en cause ait dans sa totalité « pour finalité et pour objet spécifiques » de réglementer des services de la société de l’information, dès lors qu’il est suffisant que cette règle poursuive cette finalité ou cet objet dans certaines de ses dispositions (arrêt du 20 décembre 2017, Falbert e.a., C‑255/16, EU:C:2017:983, point 32).

33

En outre, même dans l’hypothèse où il ne ressort pas du seul libellé d’une règle nationale que celle-ci vise, au moins en partie, à réglementer spécifiquement des services de la société de l’information, cet objet peut néanmoins clairement découler de la motivation de cette règle, telle qu’elle ressort, conformément aux règles d’interprétation nationales pertinentes à cet égard, notamment des travaux préparatoires de ladite règle (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Falbert e.a., C‑255/16, EU:C:2017:983, point 33).

34

En l’occurrence, d’une part, il convient de constater que l’article 87g, paragraphe 4, de l’UrhG vise de manière expresse, notamment, les prestataires commerciaux de moteurs de recherche dont il est constant qu’ils fournissent des services relevant de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34.

35

D’autre part, il apparaît que la règle nationale en cause au principal a pour finalité et pour objet spécifiques de réglementer de manière explicite et ciblée les services de la société de l’information.

36

En effet, si la juridiction de renvoi ne fournit pas d’indications claires sur la finalité et l’objet spécifiques de la réglementation nationale en cause au principal, il ressort toutefois des observations soumises par le gouvernement allemand lors de l’audience devant la Cour que, initialement, la modification de l’UrhG visait spécifiquement les prestataires de moteurs de recherche sur Internet. Par ailleurs, les parties au principal et la Commission indiquent, dans leurs observations écrites, que l’objectif de cette réglementation était de protéger les intérêts légitimes des éditeurs de la presse dans le monde du numérique. Il apparaît, dès lors, que l’objet principal et la finalité de la disposition nationale en cause au principal étaient de protéger ces éditeurs contre les atteintes au droit d’auteur par les moteurs de recherche en ligne. Dans ce cadre, une protection semble avoir été considérée comme nécessaire uniquement contre des atteintes systématiques aux œuvres des éditeurs en ligne, commises par des prestataires de services de la société de l’information.

37

Certes, l’interdiction de mise à la disposition du public de produits de la presse prévue à l’article 87g, paragraphe 4, de l’UrhG vise non seulement les prestataires de services en ligne, mais aussi les prestataires de services hors ligne. Cependant, il ressort des considérants 7 et 8 de la directive 98/48, par laquelle la directive 98/34 a été modifiée, que la directive 98/48 a pour objectif d’adapter les réglementations nationales existantes aux nouveaux services de la société de l’information et d’éviter les « restrictions à la libre circulation des services et à la liberté d’établissement conduisant à une refragmentation du marché intérieur ». Or, il irait à l’encontre de cet objectif d’exclure une règle ayant vraisemblablement pour finalité et pour objet de réglementer les services en ligne afférents à des produits de la presse, de la qualification de règle visant spécifiquement de tels services au sens de l’article 1er, point 5, de la directive 98/34, au seul motif que son libellé ne fait pas uniquement mention des services en ligne, mais fait également mention des services prestés hors ligne (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Falbert e.a., C‑255/16, EU:C:2017:983, points 34 et 35).

38

Par ailleurs, la circonstance que l’article 87g, paragraphe 4, de l’UrhG s’inscrit dans le cadre d’une réglementation nationale relative au droit d’auteur ou aux droits voisins n’est pas de nature à remettre en cause cette appréciation. En effet, les règles techniques en matière de propriété intellectuelle ne sont pas expressément exclues du champ d’application de l’article 1er, point 5, de la directive 98/34, contrairement à celles faisant l’objet d’une réglementation européenne en matière de services de télécommunications ou de services financiers. En outre, il ressort de l’arrêt du 8 novembre 2007, Schwibbert (C‑20/05, EU:C:2007:652), que des dispositions d’une loi nationale en matière de propriété intellectuelle sont susceptibles de constituer une « règle technique » soumise à notification en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de ladite directive.

39

Dans la mesure où une règle, telle que celle en cause au principal, vise spécifiquement les services de la société de l’information, le projet de règle technique doit faire l’objet d’une notification préalable à la Commission en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34. À défaut, selon une jurisprudence constante, l’inapplicabilité d’une règle technique nationale qui n’a pas été notifiée conformément à cette disposition peut être invoquée dans un litige entre particuliers (arrêt du 27 octobre 2016, James Elliott Construction, C‑613/14, EU:C:2016:821, point 64 et jurisprudence citée).

40

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 1er, point 11, de la directive 98/34 doit être interprété en ce sens qu’une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit aux seuls exploitants commerciaux de moteurs de recherche et prestataires commerciaux de services qui éditent de manière analogue des contenus de mettre à la disposition du public des produits de la presse, en tout ou partie (à l’exception de mots isolés ou de très courts extraits de texte), constitue une « règle technique », au sens de cette disposition, dont le projet doit faire l’objet d’une communication préalable à la Commission en vertu de l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive.

Sur les dépens

41

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

 

L’article 1er, point 11, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998, doit être interprété en ce sens qu’une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit aux seuls exploitants commerciaux de moteurs de recherche et prestataires commerciaux de services qui éditent de manière analogue des contenus de mettre à la disposition du public des produits de la presse, en tout ou partie (à l’exception de mots isolés ou de très courts extraits de texte), constitue une « règle technique », au sens de cette disposition, dont le projet doit faire l’objet d’une communication préalable à la Commission européenne en vertu de l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 98/34, telle que modifiée par la directive 98/48.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.