ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

19 décembre 2019 ( *1 )

« Pourvoi – Refus d’accorder l’accès aux décisions du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) – Protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la BCE – Article 10, paragraphe 4 – Confidentialité des réunions – Résultat des délibérations – Faculté de divulgation – Décision 2004/258/CE – Accès aux documents de la BCE – Article 4, paragraphe 1, sous a) – Confidentialité des délibérations – Atteinte à la protection de l’intérêt public »

Dans l’affaire C‑442/18 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 5 juillet 2018,

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. F. Malfrère et M. Ioannidis, en qualité d’agents, assistés de Me H.-G. Kamann, Rechtsanwalt,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA, établie à Lisbonne (Portugal), représentée par Mes L. Soares Romão, J. Shearman de Macedo et D. Castanheira Pereira, advogados,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, M. M. Safjan, Mme L. S. Rossi, M. L. Bay Larsen (rapporteur) et Mme C. Toader, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 juin 2019,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 octobre 2019,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la Banque centrale européenne (BCE) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne, du 26 avril 2018, Espírito Santo Financial (Portugal)/BCE (T‑251/15, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:234), par lequel le Tribunal a annulé la décision de la BCE du 1er avril 2015, refusant partiellement l’accès à certains documents relatifs à la décision de la BCE du 1er août 2014 concernant Banco Espírito Santo SA (ci-après la « décision litigieuse »).

Le cadre juridique

2

Le considérant 3 de la décision 2004/258/CE de la Banque centrale européenne, du 4 mars 2004, relative à l’accès du public aux documents de la Banque centrale européenne (JO 2004, L 80, p. 42), telle que modifiée par la décision (UE) de la Banque centrale européenne, du 21 janvier 2015 (JO 2015, L 84, p. 64) (ci-après la « décision 2004/258 »), est ainsi rédigé :

« Un accès plus large aux documents de la BCE devrait être autorisé, tout en veillant à protéger l’indépendance de la BCE et des banques centrales nationales (BCN), prévue à l’article 108 du traité et à l’article 7 des statuts, ainsi que la confidentialité de certaines questions touchant à l’accomplissement des missions de la BCE. Afin de préserver l’efficacité de son processus décisionnel, y compris ses consultations et préparations internes, les réunions des organes de décision de la BCE sont confidentielles, sauf si l’organe concerné décide de rendre public le résultat de ses délibérations. »

3

L’article 4 de cette décision énonce :

« 1.   La BCE refuse l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

a)

de l’intérêt public, en ce qui concerne :

la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE, du conseil de surveillance prudentielle ou d’autre organes créés en application du règlement (UE) no1024/2013,

[...] »

4

Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de ladite décision, « [d]ans un délai de vingt jours ouvrables à partir de la réception de la demande, ou lors de la réception des clarifications requises conformément à l’article 6, paragraphe 2, le directeur général du secrétariat de la BCE soit octroie l’accès au document demandé et le fournit conformément à l’article 9, soit communique au demandeur, dans une réponse écrite, les motifs de son refus total ou partiel et l’informe de son droit de présenter une demande confirmative conformément au paragraphe 2. ».

Les antécédents du litige

5

Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA (ci-après « ESF ») est une société holding de droit portugais, qui était l’un des principaux actionnaires de Banco Espírito Santo SA (ci-après « BES »).

6

À partir du mois de mai 2014, BES a recouru aux opérations de crédit de l’Eurosystème et a commencé à recevoir, à compter du 17 juillet 2014, des liquidités d’urgence fournies par Banco de Portugal (Banque du Portugal).

7

Le 23 juillet 2014, le conseil des gouverneurs de la BCE (ci-après le « conseil des gouverneurs ») a décidé de ne pas s’opposer, jusqu’à la réunion ordinaire suivante, à l’octroi de la fourniture de liquidités d’urgence à BES dans la limite d’un certain plafond.

8

Sur proposition du directoire de la BCE du 28 juillet 2014 (ci-après la « proposition du 28 juillet 2014 »), le conseil des gouverneurs a décidé, le même jour, de maintenir l’accès de BES aux instruments de crédit de la politique monétaire (ci-après la « décision du 28 juillet 2014 »). Le montant du crédit fourni à BES, à ses succursales et à ses filiales au moyen des opérations de crédit de l’Eurosystème a été plafonné au niveau auquel il se trouvait à la date du 28 juillet 2014 (ci-après le « montant du crédit concerné »). Cette décision a été consignée dans un procès-verbal, dans lequel figurait également ce montant.

9

Sur proposition du directoire de la BCE du 1er août 2014 (ci-après la « proposition du 1er août 2014 »), le conseil des gouverneurs a décidé, le même jour, notamment, de suspendre l’accès de BES aux instruments de crédit de la politique monétaire pour des raisons de prudence et a ordonné que BES rembourse l’intégralité du crédit octroyé dans le cadre de l’Eurosystème (ci-après la « décision du 1er août 2014 »). Cette décision a été consignée dans un procès‑verbal, dans lequel figurait également le plafond de la fourniture de liquidités d’urgence pouvant être accordé par la Banque du Portugal à BES.

10

Dans ce contexte, les autorités portugaises ont décidé de soumettre BES à une procédure de résolution et, le 27 octobre 2014, une procédure d’insolvabilité a été ouverte contre ESF.

11

Par lettre du 5 novembre 2014, ESF a demandé à la BCE l’accès à la décision du 1er août 2014 ainsi qu’à tous les documents en sa possession liés à cette décision.

12

Par lettre du 7 janvier 2015, la BCE a répondu à cette demande et a accordé à ESF l’accès, intégral ou partiel, à un certain nombre des documents sollicités par cette dernière dont, notamment, un accès partiel aux extraits des procès-verbaux actant les décisions des 28 juillet et 1er août 2014 ainsi qu’aux propositions des 28 juillet et 1er août 2014.

13

Par lettre du 4 février 2015, ESF a adressé une demande confirmative à la BCE, dans laquelle elle a considéré que la motivation fournie par la BCE visant à justifier le refus d’accorder l’accès intégral à certains documents sollicités était trop vague et générale.

14

En outre, elle a demandé l’accès, notamment, aux montants qui ont été omis dans les extraits des procès-verbaux actant les décisions des 28 juillet et 1er août 2014 mis à sa disposition, à savoir le montant du crédit concerné et le plafond de la fourniture de liquidités d’urgence pouvant être accordé par la Banque du Portugal à BES, ainsi qu’à certaines informations qui ont été occultées dans les propositions des 28 juillet et 1er août 2014.

15

Le 5 février 2015, la BCE a indiqué qu’une réponse serait apportée à sa demande confirmative le 4 mars 2015 au plus tard. Cependant, le 5 mars 2015, la BCE a prorogé le délai de réponse à cette demande.

16

Par sa décision litigieuse du 1er avril 2015, la BCE a divulgué à ESF des informations supplémentaires figurant dans les propositions des 28 juillet et 1er août 2014. Pour le reste, elle a confirmé le refus d’octroyer l’accès aux montants occultés dans les extraits des procès-verbaux actant les décisions du conseil des gouverneurs des 28 juillet et 1er août 2014 ainsi qu’à certains passages supprimés des propositions des 28 juillet et 1er août 2014.

Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

17

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2015, ESF a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision implicite prise par la BCE le 4 mars 2015 et de la décision litigieuse ainsi qu’à la condamnation de la BCE aux dépens.

18

La demande d’annulation de la décision litigieuse était fondée sur quatre moyens. Les trois premiers moyens portaient sur les montants qui ont été omis dans les extraits des procès-verbaux actant les décisions des 28 juillet et 1er août 2014 transmis à la requérante et étaient tirés, respectivement, d’une violation de l’obligation de motivation, d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier, deuxième et septième tirets, de la décision 2004/258 ainsi que d’une violation de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, de cette décision. Le quatrième moyen portait sur les informations qui ont été occultées dans les propositions des 28 juillet et 1er août 2014 fournies à la requérante.

19

La BCE a conclu au rejet de ce recours et à la condamnation d’ESF aux dépens.

20

Le Tribunal a, en premier lieu, rejeté la demande d’annulation de la décision implicite. En deuxième lieu, il a rejeté les griefs soulevés contre le refus de la BCE d’accorder l’accès au plafond de la fourniture de liquidités d’urgence en considérant ce refus justifié sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième et septième tirets, de la décision 2004/258. En troisième lieu, s’agissant du refus de la BCE d’accorder l’accès au montant du crédit concerné, le Tribunal a constaté que la décision litigieuse était entachée d’une insuffisance de motivation concernant l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de le décision 2004/258 et a conclu que les deuxième et troisième moyens, tirés, respectivement, d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième et septième tirets, de la décision 2004/258 ainsi que de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, de cette décision étaient fondés pour autant qu’ils concernaient ledit montant. En quatrième lieu, le Tribunal a accueilli la première branche du quatrième moyen relatif aux informations occultées dans les propositions des 28 juillet et 1er août 2014.

21

Par conséquent, le Tribunal a, au point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, annulé la décision litigieuse en ce que la BCE a refusé l’accès au montant du crédit concerné ainsi qu’aux informations occultées dans les propositions des 28 juillet et 1er août 2014. Il a rejeté le recours pour le surplus et a décidé que ESF et la BCE supportent chacune leurs propres dépens.

Les conclusions des parties au pourvoi

22

Par son pourvoi, la BCE demande à la Cour :

d’annuler le premier point du dispositif de l’arrêt attaqué ;

de rejeter le recours introduit en première instance en ce qui concerne le refus de la BCE de divulguer le montant du crédit concerné ;

subsidiairement, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue, et

de condamner l’ESF aux deux tiers des dépens et la BCE à un tiers des dépens.

23

ESF demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi et

de condamner la BCE aux dépens de la procédure.

Sur le pourvoi

24

À l’appui de son pourvoi, la BCE invoque un moyen unique, tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 10, paragraphe 4, du protocole no 4 sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (ci-après le « protocole sur le SEBC et la BCE ») ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258.

Argumentation des parties

25

La BCE fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré, aux points 124 et 161 de l’arrêt attaqué, lus en combinaison avec ses points 54 à 56 et 75 à 81, que la marge d’appréciation dont dispose le conseil des gouverneurs s’agissant de la diffusion de ses procès-verbaux doit être exercée dans les conditions et les limites de la décision 2004/258. Le Tribunal aurait ainsi considéré à tort que la BCE devait fournir une motivation expliquant comment l’accès aux informations figurant dans les procès-verbaux des réunions du conseil des gouverneurs et consignant les décisions de celui-ci aurait, concrètement et effectivement, porté atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE.

26

Selon la BCE, l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258 doit être interprété conformément à l’article 10, paragraphe 4, première phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, lequel établit le principe général de confidentialité des réunions du conseil des gouverneurs, cette confidentialité couvrant l’intégralité des procès-verbaux du conseil des gouverneurs, y compris en ce qu’ils reflètent le résultat des délibérations.

27

La BCE soutient également que l’article 10, paragraphe 4, seconde phrase, du protocole sur la SEBC et la BCE consacre une exception au principe général de confidentialité, en permettant au conseil des gouverneurs, par une décision positive et discrétionnaire, de rendre public le résultat de ses délibérations. Cette marge d’appréciation dont disposerait le conseil des gouverneurs ne saurait être limitée par la décision 2004/258, qui se bornerait à réaffirmer à son article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, le principe de confidentialité.

28

La BCE fait valoir, en outre, que l’article 10, paragraphe 4, de ce protocole prévoit expressément que seul le conseil des gouverneurs lui-même peut décider de divulguer ses propres procès-verbaux, alors que la décision 2004/258 place la publication des documents de la BCE entre les mains du directeur général du secrétariat et du directoire.

29

La BCE estime qu’elle n’est pas tenue de fournir des explications quant à la question de savoir pourquoi la divulgation des procès-verbaux du conseil des gouverneurs pourrait porter, concrètement et effectivement, atteinte à l’intérêt public s’agissant de la confidentialité des délibérations du conseil des gouverneurs. Certes, la BCE serait soumise à l’obligation générale de motiver ses décisions. Elle serait ainsi tenue d’expliquer que certaines informations demandées figurent dans ces procès-verbaux et relèvent, par conséquent, de l’article 10, paragraphe 4, dudit protocole et de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258. Il existerait, toutefois, une présomption de confidentialité établie à l’article 10, paragraphe 4, du même protocole, selon laquelle la divulgation des procès-verbaux porterait atteinte à l’indépendance et à l’efficacité du processus décisionnel de la BCE.

30

ESF soutient que le pourvoi est, pour l’essentiel, une reproduction des arguments exposés par la BCE devant le Tribunal. Dès lors, elle précise que sa position est la même que celle qu’elle avait déjà exprimée devant le Tribunal.

Appréciation de la Cour

31

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’il découle de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C‑654/17 P, EU:C:2019:634, point 71).

32

Alors même que la BCE conclut à l’annulation du point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, selon lequel la décision litigieuse est annulée en ce qu’elle a refusé l’accès, d’une part, au montant du crédit concerné et, d’autre part, aux informations occultées dans les propositions du directoire de la BCE des 28 juillet et 1er août 2014, elle ne développe aucun moyen ni argument concernant l’annulation par le Tribunal de cette décision en tant qu’elle refuse l’accès aux informations occultées dans ces propositions du directoire de la BCE. Dès lors, cette partie du pourvoi doit être considérée comme étant irrecevable.

33

S’agissant de la partie du pourvoi visant l’analyse du Tribunal portant sur la décision litigieuse en ce que celle-ci refuse l’accès au montant du crédit concerné, il y a lieu de relever que, au point 80 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que, en vertu de l’article 10, paragraphe 4, seconde phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, le conseil des gouverneurs peut décider de rendre public le résultat de ses délibérations. Il a ensuite considéré que les décisions prises par le conseil des gouverneurs et, par voie de conséquence, les procès-verbaux les transcrivant ne bénéficient pas d’une protection absolue en ce qui concerne leur diffusion et que la marge d’appréciation dont il dispose à cet égard doit être exercée dans les conditions et les limites prévues par la décision 2004/258.

34

En outre, aux points 122 et 123, le Tribunal a, notamment, constaté que le montant du crédit concerné figurait dans le procès-verbal consignant la décision du 28 juillet 2014 et que la BCE s’était référée, pour refuser la divulgation de ce montant, à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 et à l’article 10, paragraphe 4, du protocole sur le SEBC et la BCE.

35

Au point 124 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que la BCE n’avait pas motivé à suffisance la décision litigieuse car elle aurait dû, d’une part, expliquer les raisons pour lesquelles le montant non divulgué à la requérante dans le cadre d’un accès partiel au document sollicité par cette dernière relevait du domaine visé par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 et, d’autre part, fournir une motivation permettant de comprendre et de vérifier comment, concrètement et effectivement, l’accès à cette information aurait porté atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE.

36

Il y a lieu de relever qu’une telle exigence de motivation résulte nécessairement d’une interprétation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 selon laquelle la confidentialité du résultat des délibérations du conseil des gouverneurs est seulement garantie si sa divulgation porte atteinte à la protection de l’intérêt public.

37

Certes, le libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de cette décision apparaît ouvert à une interprétation telle que celle retenue par le Tribunal en tant qu’il prévoit que la BCE refuse l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE, parmi lesquels se trouve le conseil des gouverneurs.

38

À cet égard, il importe de relever que l’article 7, paragraphe 1, de ladite décision confère au directeur général du secrétariat de la BCE le choix entre l’octroi de l’accès au document demandé et la communication au demandeur des motifs de son refus total ou partiel.

39

Partant, l’interprétation sur laquelle repose la conclusion du Tribunal implique qu’il incombe à ce directeur de vérifier si la divulgation du résultat des délibérations porterait atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité de ces délibérations et, à défaut, d’octroyer l’accès au document consignant ce résultat.

40

Toutefois, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’un texte de droit dérivé de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité avec les dispositions des traités (arrêt du 16 avril 2015, Parlement/Conseil, C‑540/13, EU:C:2015:224, point 38 et jurisprudence citée).

41

Comme l’a relevé la BCE, l’article 10, paragraphe 4, seconde phrase, du protocole sur la SEBC et la BCE prévoit qu’il appartient au conseil des gouverneurs de décider s’il y a lieu de rendre public le résultat de ses délibérations, alors que, ainsi qu’il résulte du point 38 du présent arrêt, l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2004/258 confère au directeur général du secrétariat de la BCE le choix entre l’octroi de l’accès au document demandé et la communication au demandeur des motifs de son refus total ou partiel d’octroyer cet accès.

42

Dans ces conditions, ce directeur se verrait attribuer la faculté de décider s’il y a lieu d’accorder l’accès au résultat des délibérations en empiétant ainsi sur la compétence exclusive attribuée au conseil des gouverneurs en vertu de l’article 10, paragraphe 4, seconde phrase, dudit protocole.

43

Dès lors, afin de préserver cette compétence, il y a lieu de considérer que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258, lu en combinaison avec l’article 10, paragraphe 4, seconde phrase, du protocole sur la SEBC et la BCE, doit être interprété comme protégeant la confidentialité du résultat des délibérations du conseil des gouverneurs, sans qu’il soit nécessaire que le refus d’accès aux documents qui contiennent ce résultat soit subordonné à la condition que la divulgation de celui-ci porte atteinte à la protection de l’intérêt public.

44

En conséquence, en application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, et de l’article 7, paragraphe 1, de ladite décision, le directeur général du secrétariat de la BCE est tenu de refuser l’accès au résultat des délibérations du conseil des gouverneurs, excepté si ce dernier a décidé de le rendre, intégralement ou partiellement, public.

45

En outre, il convient de relever qu’une telle interprétation est corroborée par l’énoncé du considérant 3 de la décision 2004/258, selon lequel les réunions des organes de décision de la BCE sont confidentielles, sauf si l’organe concerné décide de rendre public le résultat de ses délibérations.

46

Ainsi, la motivation du refus d’accorder l’accès au résultat des délibérations du conseil des gouverneurs peut être limitée à l’invocation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 pour des documents reflétant le résultat de ces délibérations.

47

Par conséquent, le Tribunal a, à tort, considéré, au point 124 de l’arrêt attaqué, que la BCE aurait dû, d’une part, expliquer les raisons pour lesquelles le montant non divulgué à la requérante dans le cadre d’un accès partiel au document sollicité par cette dernière relevait du domaine visé par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 et, d’autre part, fournir une motivation permettant de comprendre et de vérifier comment, concrètement et effectivement, l’accès à cette information aurait porté atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE. En statuant ainsi, le Tribunal a commis une erreur de droit.

48

Il y a lieu, partant, d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué dans la mesure où, par ce point, le Tribunal a annulé la décision litigieuse en tant que, par cette décision, la BCE a refusé l’accès au montant du crédit concerné.

Sur le litige en première instance

49

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

50

Tel est le cas en l’espèce.

51

Dans la mesure où, ainsi qu’il ressort, notamment, du point 47 du présent arrêt, l’analyse du Tribunal concernant le premier moyen soulevé en première instance, dans sa partie relative au refus d’accorder l’accès au montant du crédit concerné, est entachée d’une erreur de droit, il convient d’analyser ce moyen ainsi que le deuxième moyen soulevé en première instance dans son grief tiré d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258.

52

Par son premier moyen soulevé en première instance, dans sa partie relative au refus d’accorder l’accès au montant du crédit concerné, la requérante reproche à la BCE d’avoir méconnu l’obligation de motivation lorsqu’elle a refusé cet accès sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258.

53

Par son deuxième moyen, la requérante conteste le bien-fondé de l’invocation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de ladite décision pour justifier le refus d’accorder l’accès au montant du crédit concerné. En particulier, elle soutient que ce montant ne pouvait être considéré comme faisant partie des délibérations des organes de décision de la BCE et que les informations demandées ne semblaient pas être de nature confidentielle puisque la Banque du Portugal avait divulgué un montant que la communication des extraits des décisions du conseil des gouverneurs permettrait de confirmer.

54

À cet égard, selon une jurisprudence constante, si la motivation d’un acte de l’Union, exigée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte concerné de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle, il n’est toutefois pas exigé qu’elle spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents. Le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, points 31 et 33 ainsi que jurisprudence citée).

55

Eu égard au point 46 du présent arrêt, il convient de constater que la motivation fournie par la BCE permettait à la requérante de comprendre que la BCE invoquait la confidentialité dont bénéficie le résultat des délibérations pour refuser l’accès au montant du crédit concerné et qu’il s’agissait d’un document reflétant ce résultat. Ainsi, il y a lieu de considérer que la décision litigieuse était motivée à suffisance de droit.

56

En outre, s’agissant des griefs au fond, il suffit de relever qu’il ressort du point 43 du présent arrêt que la confidentialité du résultat des délibérations du conseil des gouverneurs est garantie sans qu’il soit nécessaire que ce résultat reflète ces délibérations. Par ailleurs, si la confidentialité du résultat des délibérations peut être invoquée pour autant que ce résultat n’a pas été rendu public par la BCE, la circonstance qu’un montant approximatif du montant du crédit concerné avait été publié par la Banque du Portugal n’est pas, en tant que telle, de nature à obliger la BCE à communiquer ce montant. Il s’ensuit que la BCE n’a pas violé l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 lorsqu’elle a fondé sur cette disposition son refus d’accorder l’accès au montant du crédit concerné.

57

Par conséquent, le premier et le deuxième moyens invoqués en premier instance doivent être rejetés, dans la mesure où ils visent le refus de la BCE, fondé sur l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258, d’accorder l’accès au montant du crédit concerné.

Sur les dépens

58

En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

59

L’article 138, paragraphe 3, de ce même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit, en outre, que, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

60

En l’occurrence, le pourvoi de la BCE a été, en partie, accueilli et, en partie, déclaré irrecevable et le recours introduit devant le Tribunal par ESF ayant été accueilli, après l’examen par la Cour, seulement en ce qui concerne le refus d’accorder l’accès aux informations occultées dans les propositions du directoire du 28 juillet et du 1er août 2014, il y a lieu de condamner ESF à supporter, outre ses propres dépens, un tiers de ceux exposés par la BCE relatifs tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi. La BCE supportera la partie restante de ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le point 1 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 26 avril 2018, Espírito Santo Financial (Portugal)/BCE (T‑251/15, EU:T:2018:234), est annulé dans la mesure où, par ce point, le Tribunal a annulé la décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 1er avril 2015 refusant partiellement l’accès à certains documents relatifs à la décision de la BCE du 1er août 2014 concernant Banco Espírito Santo SA en tant que, par cette décision, la BCE a refusé l’accès au montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 28 juillet 2014.

 

2)

Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

 

3)

Le recours de Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA est rejeté dans la mesure où il tend à l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 1er avril 2015 refusant partiellement l’accès à certains documents relatifs à la décision de la BCE du 1er août 2014 concernant Banco Espírito Santo SA en tant que, par ladite décision, la BCE a refusé l’accès au montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 28 juillet 2014.

 

4)

Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA supporte ses propres dépens ainsi qu’un tiers de ceux exposés par la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre du présent pourvoi et de la procédure de première instance.

 

5)

La Banque centrale européenne (BCE) supporte les deux tiers de ses propres dépens relatifs au présent pourvoi et à la procédure de première instance.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.