ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

26 avril 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Impôt régional sur les grands établissements commerciaux – Liberté d’établissement – Protection de l’environnement et aménagement du territoire – Aide d’État – Mesure sélective – Lettre de la Commission informant du classement d’une plainte – Aide existante »

Dans l’affaire C‑233/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décision du 10 mars 2016, parvenue à la Cour le 25 avril 2016, dans la procédure

Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED)

contre

Generalitat de Catalunya,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, J.–C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev et E. Regan, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 juillet 2017,

considérant les observations présentées :

pour l’Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED), par Mes J. Pérez-Bustamante Köster et F. Löwhagen, abogados, ainsi que par M. J. M. Villasante García, procurador,

pour la Generalitat de Catalunya, par Mes R. Revilla Ariet et R. Riu Fortuny, letrados, ainsi que par M. F. Velasco Muñoz Cuellar, procurador,

pour la Commission européenne, par Mmes N. Gossement et P. Němečková ainsi que par M. G. Luengo, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 54 TFUE ainsi que de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED) à la Generalitat de Catalunya (gouvernement régional de Catalogne, Espagne) au sujet de la légalité d’un impôt auquel sont soumis les grands établissements commerciaux situés dans la Communauté autonome de Catalogne.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 1er, sous b) et d), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 1999, L 83, p. 1) dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

b)

“aide existante” :

[...]

ii)

toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil ;

[...]

iv)

toute aide réputée existante conformément à l’article 15 ;

v)

toute aide qui est réputée existante parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre. Les mesures qui deviennent une aide suite à la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation ;

[...]

d)

“régime d’aides” : toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite dans ladite disposition et toute disposition sur la base de laquelle une aide non liée à un projet spécifique peut être octroyée à une ou plusieurs entreprises pour une période indéterminée et/ou pour un montant indéterminé ».

4

L’article 15 du règlement no 659/1999 prévoit :

« 1.   Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.

2.   Le délai de prescription commence le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d’aide individuelle ou dans le cadre d’un régime d’aide. Toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l’égard de l’aide illégale interrompt le délai de prescription. Chaque interruption fait courir de nouveau le délai. Le délai de prescription est suspendu aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure devant la Cour de justice [de l’Union européenne].

3.   Toute aide à l’égard de laquelle le délai de prescription a expiré est réputée être une aide existante. »

5

Les dispositions qui précèdent ont été reprises à l’identique par le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9).

Le droit espagnol

6

La Ley 16/2000 del Parlamento de Cataluña, del impuesto sobre grandes establecimientos comerciales (loi 16/2000 du parlement de Catalogne relative à l’impôt sur les grands établissements commerciaux), du 29 décembre 2000 (DOGC no 3295, du 30 décembre 2000, et BOE no 20, du 23 janvier 2001, ci-après la « loi 16/2000 »), a institué l’impôt sur les grands établissements commerciaux (ci-après l’« IGEC ») sur le territoire de la Communauté autonome de Catalogne.

7

L’article 2 de la loi 16/2000 précise que cet impôt grève la capacité économique particulière des grands établissements commerciaux qui, compte tenu de leur grande surface de vente, peuvent acquérir une position dominante et engendrer des effets négatifs sur le territoire et sur l’environnement dont ils ne supportent pas les coûts.

8

L’article 3 de cette loi affecte les recettes de l’IGEC à des mesures de modernisation du commerce de proximité en Catalogne ainsi qu’à la réalisation de plans d’action dans les zones concernées par l’installation de grands établissements commerciaux.

9

L’article 4 de ladite loi prévoit que le fait générateur de l’IGEC est l’utilisation de surfaces de vente égales ou supérieures à 2500 m2 par les grands établissements commerciaux individuels de vente au détail.

10

En vertu de l’article 5 de la loi 16/2000, les grands établissements commerciaux individuels qui exercent leur activité dans les secteurs de la jardinerie et de la vente de véhicules, de matériaux de construction, de machines-outils ainsi que de fournitures industrielles sont exonérés de cet impôt.

11

L’article 6 de cette loi précise que les assujettis à l’IGEC sont les personnes physiques ou morales propriétaires d’un grand établissement commercial individuel, qu’il soit ou non situé dans un grand établissement commercial collectif.

12

L’article 8 de ladite loi prévoit que la base nette d’imposition est réduite de 60 % pour les établissements commerciaux dont l’activité porte essentiellement sur la vente de mobilier, d’articles d’assainissement et de portes et de fenêtres ainsi que pour les magasins de bricolage.

13

L’article 11 de cette même loi précise les modalités de calcul de l’impôt, lesquelles prennent notamment en compte le nombre d’habitants de la commune dans laquelle est situé l’établissement.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Par la loi 16/2000, un impôt régional sur les grands établissements commerciaux a été instauré sur l’ensemble du territoire de la Communauté autonome de Catalogne, afin de compenser les incidences territoriales et environnementales pouvant résulter de ces grands établissements commerciaux. Par le decreto 342/2001 por el que se aprueba el Reglamento del impuesto sobre grandes establecimientos comerciales (décret 342/2001, portant approbation du règlement relatif à l’impôt sur les grands établissements commerciaux), du 24 décembre 2001 (DOGC no 3542, du 28 décembre 2001), le gouvernement régional de Catalogne a mis en œuvre cet impôt.

15

Au cours de l’année 2002, l’ANGED, une association qui regroupe au niveau national de grandes entreprises de distribution, a introduit devant le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne, Espagne) un recours tendant à l’annulation de ce décret, au motif de son incompatibilité tant avec la liberté d’établissement qu’avec le droit des aides d’État. Cette juridiction a suspendu sa décision en attendant l’issue d’un recours porté par le gouvernement espagnol devant le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne) contre cette même législation. À la suite de l’arrêt de rejet rendu par le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle) le 5 juin 2012, le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne) a également rejeté le recours introduit par l’ANGED. Celle-ci a alors formé un pourvoi contre l’arrêt de rejet devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne).

16

L’ANGED avait également saisi la Commission d’une plainte concernant l’institution de l’IGEC et son prétendu caractère d’aide d’État. À la suite d’une demande d’éclaircissements adressée aux autorités espagnoles, la Commission a informé ces dernières, par lettre du 2 octobre 2003, qu’elle avait clôturé son enquête et classé la plainte. Elle a, en effet, considéré, après avoir analysé les caractéristiques de l’IGEC au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE, que cet impôt était conforme au droit des aides, dès lors que les recettes tirées de celui-ci n’étaient pas destinées à soutenir des entreprises commerciales ou un secteur d’activité en particulier.

17

Toutefois, à la suite d’une nouvelle plainte de l’ANGED déposée au cours de l’année 2013, la Commission a informé les autorités espagnoles, par lettre du 28 novembre 2014, que, à la suite d’une nouvelle évaluation préliminaire du régime de l’IGEC, l’exonération accordée aux petits établissements commerciaux ainsi qu’à certains établissements spécialisés pouvait être susceptible d’être considérée comme une aide d’État incompatible avec le marché intérieur, et qu’il convenait que le Royaume d’Espagne supprime ou modifie cet impôt.

18

C’est dans ce contexte que le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’existence d’une taxe régionale qui grève l’utilisation de grandes surfaces commerciales individuelles dont la surface de vente est supérieure ou égale à 2500 m2 en raison de l’impact qu’elles peuvent avoir sur le territoire, l’environnement et le commerce de proximité de cette région, mais qui légalement s’applique quel que soit le lieu où se trouvent réellement ces établissements commerciaux, hors ou dans le tissu urbain consolidé, et qui dans la plupart des cas grève, en pratique, les entreprises d’autres États membres, eu égard au fait que :

a)

elle ne concerne pas les commerçants ayant plusieurs établissements commerciaux d’une surface de vente individuelle inférieure à 2500 m2, quelle que soit la somme totale de la surface de vente de l’ensemble de leurs établissements ;

b)

en sont exonérés les grands établissements commerciaux collectifs ;

c)

en sont exonérés les établissements commerciaux individuels de jardinerie et de vente de véhicules, de matériaux de construction, de machinerie et de fournitures industrielles, et

d)

elle ne porte que sur 40 % de la base nette en ce qui concerne les établissements qui se consacrent essentiellement à la vente de mobilier, d’articles d’assainissement, et de portes et de fenêtres, et les magasins de bricolage ?

2)

L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens que constituent des aides d’État interdites, conformément à cette disposition,

a)

l’exonération totale de l’IGEC pour les établissements commerciaux individuels dont la surface de vente est inférieure à 2500 m2, et pour les établissements commerciaux collectifs ainsi que pour les établissements commerciaux individuels de jardinerie et de vente de véhicules, de matériaux de construction, de machinerie et de fournitures industrielles et

b)

l’exonération partielle de l’IGEC pour les établissements commerciaux individuels qui se consacrent essentiellement à la vente de mobilier, d’articles d’assainissement, de portes et de fenêtres ainsi que pour les magasins de bricolage ?

3)

Si les exonérations totales et partielles de l’IGEC susmentionnées sont des aides d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, quelle serait la portée temporelle de cette décision, eu égard à l’existence et à la teneur de la [lettre du 2 octobre 2003 de la Commission] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

19

Le gouvernement régional de Catalogne conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif que la décision de renvoi serait insuffisamment motivée et n’exposerait pas de façon détaillée le cadre factuel et juridique du litige au principal.

20

Toutefois, la décision de renvoi contient tous les éléments de fait et de droit nécessaires à la Cour pour fournir des réponses utiles à la juridiction de renvoi sur les différentes questions posées.

21

Le gouvernement régional de Catalogne fait également valoir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable en ce qui concerne sa partie relative à la liberté d’établissement, au motif que la situation au principal serait purement interne.

22

Cependant, ainsi que l’a constaté Mme l’avocat général au point 21 de ses conclusions, la juridiction de renvoi étant saisie d’un recours en annulation de dispositions applicables non seulement aux ressortissants nationaux, mais également aux ressortissants des autres États membres, la décision que cette juridiction adoptera à la suite du présent arrêt produira des effets également à l’égard de ces derniers, de sorte qu’il convient que la Cour réponde aux questions qui lui ont été posées en rapport avec les dispositions du traité en dépit du fait que tous les éléments du litige au principal sont cantonnés à un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2013, Libert e.a., C‑197/11 et C‑203/11, EU:C:2013:288, point 35, ainsi que du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 51).

23

Quant au motif d’irrecevabilité soulevé par le gouvernement régional de Catalogne, tiré de ce que des mesures telles que celles en cause au principal n’affectent pas les échanges entre les États membres et ne faussent pas la concurrence compte tenu du caractère local de l’activité de commerce de détail, il suffit de constater qu’il s’agit d’une question d’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui n’est pas susceptible d’entraîner l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle.

24

En cours de procédure, le gouvernement régional de Catalogne a également fait valoir que la demande de décision préjudicielle devait être considérée comme irrecevable compte tenu de la perte de l’objet du litige au principal à la suite d’une modification de la loi 16/2000.

25

Toutefois, la juridiction de renvoi a informé la Cour, par courrier du 1er juin 2017, parvenu à la Cour le 7 juin 2017, de ce que le litige au principal avait, selon elle, conservé son objet malgré la modification de la législation en cause. Cette juridiction a, en outre, maintenu sa demande de décision préjudicielle.

26

Enfin, il convient de préciser que si l’illégalité, au regard du droit des aides d’État, de l’exonération d’un impôt, n’affecte pas la légalité du prélèvement fiscal lui-même, de sorte que ceux qui y sont assujettis ne sauraient exciper d’une telle illégalité pour se soustraire au paiement de cet impôt (arrêt du 27 octobre 2005, Distribution Casino France e.a., C‑266/04 à C‑270/04, C‑276/04 et C‑321/04 à C‑325/04, EU:C:2005:657, point 44), le litige au principal porte non pas sur une demande de décharge de l’impôt contesté, mais sur la légalité des règles qui y sont relatives au regard du droit de l’Union. Il n’apparaît donc nullement de manière manifeste que les deuxième et troisième questions ne présentent pas d’intérêt réel pour trancher le litige dont est saisie la juridiction de renvoi (voir, par analogie, arrêt du 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium, C‑393/04 et C‑41/05, EU:C:2006:403, point 25).

27

Par conséquent, la demande de décision préjudicielle est recevable dans son ensemble.

Sur le fond

Sur la première question

28

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un impôt frappant les grands établissements commerciaux, tel que celui en cause au principal.

29

Selon une jurisprudence constante, la liberté d’établissement vise à garantir le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil aux ressortissants d’un autre État membre et aux sociétés visées à l’article 54 TFUE, et interdit, pour ce qui concerne les sociétés, toute discrimination fondée sur le lieu de leur siège (voir, notamment, arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, C‑374/04, EU:C:2006:773, point 43, ainsi que du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France, C‑170/05, EU:C:2006:783, point 22).

30

Sont, à cet égard, prohibées non seulement les discriminations ostensibles fondées sur le lieu du siège des sociétés, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport-és Divatkereskedelmi, C‑385/12, EU:C:2014:47, point 30 et jurisprudence citée).

31

Par ailleurs, un prélèvement obligatoire qui prévoit un critère de différenciation apparemment objectif mais qui défavorise dans la plupart des cas, compte tenu de ses caractéristiques, les sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres et qui sont dans une situation comparable à celles ayant leur siège dans l’État membre d’imposition, constitue une discrimination indirecte fondée sur le lieu du siège des sociétés interdite par les articles 49 et 54 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport-és Divatkereskedelmi, C‑385/12, EU:C:2014:47, points 37 à 41).

32

Dans l’affaire au principal, la législation en cause pose un critère relatif à la surface de vente de l’établissement, lequel n’établit aucune discrimination directe.

33

Il ne ressort pas non plus des éléments soumis à la Cour que ce critère défavorise dans la plupart des cas des ressortissants d’autres États membres ou des sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres.

34

En particulier, ni les données contenues dans la lettre envoyée par la Commission aux autorités espagnoles le 7 juillet 2004, qui est citée dans la décision de renvoi, dont il résulte que les entreprises des autres États membres représenteraient 61,5 % de la surface occupée par des entreprises de plus de 2500 m2 soumises à l’IGEC, ni celles fournies par l’ANGED dans le cadre de ses observations écrites, desquelles il résulte notamment que 52 % de la charge fiscale de l’IGEC reposerait sur les grands établissements commerciaux des autres États membres, ne sauraient suffire, compte tenu, notamment, du niveau de ces pourcentages, pour étayer une telle démonstration.

35

Par conséquent, il convient de répondre à la première question que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à un impôt frappant les grands établissements commerciaux, tel que celui en cause au principal.

Sur la deuxième question

36

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si est constitutif d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, un impôt tel que celui en cause au principal qui frappe les grands établissements commerciaux en fonction, essentiellement, de leur surface de vente, en ce qu’il en exonère les établissements dont la surface de vente est inférieure à 2500 m2 et ceux dont l’activité est consacrée au jardinage, à la vente de véhicules, de matériaux de construction, de machines-outils et de fournitures industrielles, et en ce qu’il fait bénéficier d’un abattement à la base d’imposition de 60 % les établissements dont l’activité porte sur la vente de mobilier, de matériel sanitaire et de portes et de fenêtres ainsi que d’articles de bricolage.

37

La qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53).

38

En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage, dont il a davantage été fait état devant la Cour, il résulte d’une jurisprudence constante que l’appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de « discriminatoire » (voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

39

S’agissant en particulier de mesures nationales conférant un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de cette nature qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables est susceptible de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et constitue, partant, une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, ne constitue pas une telle aide au sens de cette disposition, un avantage fiscal résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 56).

40

À cet égard, la qualification d’une mesure fiscale de « sélective » suppose, dans un premier temps, d’identifier le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné et, dans un second temps, de démontrer que la mesure fiscale examinée y déroge, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

41

Il y a lieu également de rappeler que le cadre juridique de référence aux fins d’apprécier la sélectivité d’une mesure ne doit pas nécessairement être déterminé dans les limites du territoire de l’État membre concerné, mais peut être celui du territoire dans le cadre duquel une autorité régionale ou locale exerce la compétence qu’elle tient de la constitution ou de la loi. Tel est le cas lorsque cette entité dispose d’un statut de droit et de fait la rendant suffisamment autonome par rapport au gouvernement central d’un État membre pour que, par les mesures qu’elle adopte, ce soit cette entité, et non le gouvernement central, qui joue un rôle fondamental dans la définition de l’environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises [voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2008, Union General de Trabajadores de La Rioja (UGT-Rioja) e.a., C‑428/06 à C‑434/06, EU:C:2008:488, points 47 à 50 ainsi que jurisprudence citée].

42

N’est toutefois pas constitutive d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, une mesure introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélective, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elle s’inscrit (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

43

Une mesure portant exception à l’application du système fiscal général peut être justifiée par la nature et l’économie générale du système fiscal si l’État membre concerné peut démontrer que cette mesure résulte directement des principes fondateurs ou directeurs de son système fiscal. À cet égard, une distinction doit être établie entre les objectifs assignés à un régime fiscal particulier et qui lui sont extérieurs et, d’autre part, les mécanismes inhérents au système fiscal lui-même qui sont nécessaires à la réalisation de ces objectifs (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 81).

44

Il convient également de rappeler que, si, afin d’établir la sélectivité d’une mesure fiscale, il n’est pas toujours nécessaire que celle-ci ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal regardé comme étant commun, la circonstance qu’elle présente un tel caractère est tout à fait pertinente à cette fin lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun, alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 77).

45

S’agissant de la législation en cause au principal, il convient d’abord de relever qu’il n’a pas été contesté devant la Cour que le cadre de référence territorial devrait être celui de la Communauté autonome de Catalogne.

46

Ensuite, si le critère d’imposition relatif à la surface de vente ne se présente pas comme étant formellement dérogatoire à un cadre juridique de référence donné, il n’en a pas moins pour effet d’exclure les établissements commerciaux dont la surface de vente est inférieure à 2500 m2 du champ d’application de cet impôt. Ainsi, l’IGEC ne saurait être distingué d’un impôt régional auquel sont assujettis les établissements commerciaux dont la surface de vente excède un certain seuil.

47

Or, l’article 107, paragraphe 1, TFUE définit les interventions étatiques en fonction de leurs effets, indépendamment des techniques utilisées (arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates Association, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 89).

48

Il ne peut, dès lors, être a priori exclu qu’un tel critère permette de favoriser, en pratique, « certaines entreprises ou certaines productions » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en allégeant leurs charges par rapport à celles qui sont soumises au prélèvement en cause au principal.

49

Dans ce contexte, il convient par conséquent de déterminer si les établissements commerciaux qui sont ainsi exclus du champ d’application de cet impôt se trouvent ou non dans une situation comparable à celle des établissements qui en relèvent.

50

Dans le cadre de cette analyse, il importe de tenir compte de ce que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, relève de la compétence fiscale des États membres ou des entités infraétatiques disposant d’une autonomie fiscale la détermination des bases d’imposition et la répartition de la charge fiscale sur les différents facteurs de production et les différents secteurs économiques (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 97).

51

En effet, comme le rappelle la Commission au point 156 de sa communication relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2016, C 262, p. 1), « les États membres sont libres de décider de la politique économique qu’ils jugent la plus appropriée et, en particulier, de répartir comme ils l’entendent la charge fiscale entre les différents facteurs de production[,] [...] dans le respect du droit de l’Union ».

52

S’agissant de l’impôt en cause au principal, il ressort des indications données par la juridiction de renvoi qu’il a pour objectif de contribuer à la protection de l’environnement et à l’aménagement du territoire. Il s’agirait, en effet, de corriger et de compenser les conséquences environnementales et territoriales de l’activité de ces grands établissements commerciaux, résultant en particulier des flux de circulation engendrés, en les faisant contribuer au financement de plans d’action environnementaux et à l’amélioration des infrastructures.

53

À cet égard, il ne saurait être contesté que l’impact environnemental des établissements commerciaux dépend largement de leur taille. En effet, plus la surface de vente est élevée, plus grande est l’affluence du public, ce qui se traduit par des atteintes à l’environnement accrues. Il en résulte qu’un critère fondé sur le seuil de surface de vente, tel que celui retenu par la législation nationale en cause au principal, afin de distinguer entre les entreprises selon que leur impact environnemental est plus ou moins fort, est cohérent avec les objectifs poursuivis.

54

Il est également manifeste que l’implantation de tels établissements présente un enjeu particulier en termes de politique d’aménagement du territoire, quelle que soit la localisation de ceux-ci (voir, par analogie, arrêt du 24 mars 2011, Commission/Espagne, C‑400/08, EU:C:2011:172, point 80).

55

Dans ces conditions, un critère d’assujettissement à l’impôt fondé sur la superficie de vente tel que celui en cause dans l’affaire au principal conduit à distinguer des catégories d’établissements qui ne se trouvent pas dans une situation comparable au regard des objectifs poursuivis par la législation qui l’a fixé.

56

Dès lors, l’exonération fiscale dont bénéficient les établissements commerciaux dont la surface de vente est inférieure à 2500 m2 ne peut être regardée comme conférant un avantage sélectif à ces établissements et, partant, n’est pas susceptible de constituer une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

57

La juridiction de renvoi s’interroge également sur les autres caractéristiques de l’impôt en cause au principal. Elle se demande si l’exonération totale de cet impôt pour les établissements commerciaux collectifs et les établissements commerciaux individuels de jardinerie et de vente de véhicules, de matériaux de construction, de machinerie et de fournitures industrielles ainsi que l’abattement de 60 % de la base d’imposition pour les établissements qui exercent une activité de vente de mobilier, de matériel sanitaire, de portes et de fenêtres ainsi que d’articles de bricolage sont constitutifs d’avantages au profit de ces établissements.

58

Il y a lieu de relever, tout d’abord, que ces mesures présentent un caractère dérogatoire par rapport au cadre de référence constitué par cette imposition spécifique.

59

Ensuite, le gouvernement régional de Catalogne fait valoir, dans ses observations écrites, que les activités des établissements commerciaux concernés, par leur nature même, nécessitent d’importantes surfaces de vente, sans que de telles superficies soient destinées à attirer le plus grand nombre de consommateurs ni qu’elles augmentent le flux d’acheteurs s’y déplaçant en véhicules privés. Ainsi, ces activités causeraient moins d’atteintes à l’environnement et à l’aménagement du territoire que les activités des établissements qui relèvent de l’imposition en cause.

60

Un tel élément peut être de nature à justifier la distinction retenue par la législation contestée au principal qui, dès lors, n’entraînerait pas l’attribution d’avantages sélectifs au profit des établissements commerciaux concernés. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est bien le cas.

61

Enfin, en ce qui concerne le critère de différenciation fiscale relatif au caractère individuel de l’établissement commercial, qui a pour effet d’exonérer de l’IGEC les grands établissements commerciaux collectifs, il conduit, en revanche, à distinguer deux catégories d’établissements qui se trouvent objectivement dans une situation comparable au regard des buts de protection de l’environnement et d’aménagement du territoire poursuivis par la législation en cause au principal. En conséquence, le non-assujettissement à cet impôt de ces grands établissements commerciaux collectifs présente un caractère sélectif et est, partant, susceptible de constituer une aide d’État si les autres conditions énoncées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE sont remplies.

62

À cet égard, il peut être constaté qu’une telle mesure est financée au moyen de ressources d’État et est imputable à l’État au sens de cette disposition.

63

En outre, contrairement à ce que soutient le gouvernement régional de Catalogne dans ses observations écrites, une telle mesure est également susceptible d’affecter les échanges et de fausser ou de menacer de fausser la concurrence au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

64

En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que, aux fins de qualifier une mesure d’« aide d’État », il y a lieu d’établir l’existence non pas d’une incidence réelle de l’aide sur les échanges entre les États membres ainsi que d’une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si cette aide est susceptible d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (voir, notamment, arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 78).

65

En particulier, lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position de certaines entreprises par rapport à celles d’autres entreprises concurrentes dans les échanges entre les États membres, ces derniers doivent être considérés comme étant influencés par l’aide et il n’est pas nécessaire que les entreprises bénéficiaires participent elles-mêmes aux échanges entre les États membres. En effet, lorsqu’un État membre octroie une aide à des entreprises, l’activité intérieure peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer le marché de cet État membre en sont diminuées (voir, notamment, arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 79).

66

Quant à la condition de distorsion de la concurrence, les aides qui visent à libérer une entreprise de coûts qu’elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales faussent en principe les conditions de concurrence (voir, notamment, arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 80).

67

Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que n’est pas constitutif d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, un impôt tel que celui en cause au principal, qui frappe les grands établissements commerciaux en fonction, essentiellement, de leur surface de vente, en ce qu’il en exonère les établissements dont la surface de vente est inférieure à 2500 m2. Un tel impôt n’est pas non plus constitutif d’une aide d’État, au sens de cette disposition, en ce qu’il en exonère les établissements dont l’activité est consacrée au jardinage, à la vente de véhicules, de matériaux de construction, de machines-outils et de fournitures industrielles ni en ce qu’il fait bénéficier d’un abattement à la base d’imposition de 60 % les établissements dont l’activité porte sur la vente de mobilier, de matériel sanitaire et de portes et de fenêtres ainsi que d’articles de bricolage, dès lors que ces établissements ne causent pas des atteintes à l’environnement et à l’aménagement du territoire aussi importantes que les autres, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

68

Un tel impôt est en revanche constitutif d’une aide d’État, au sens de cette même disposition, en ce qu’il en exonère les grands établissements commerciaux collectifs dont la surface de vente est égale ou supérieure au seuil de 2500 m2.

Sur la troisième question

69

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans le cas où il serait répondu par l’affirmative à la deuxième question, les aides d’État résultant des exonérations et des abattements d’un impôt frappant les grands établissements commerciaux, tel que celui en cause au principal, pourraient être considérées comme des aides existantes au sens de l’article 1er, sous b), du règlement no 659/1999, repris en substance à l’article 1er, sous b), du règlement 2015/1589.

70

Compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il y a lieu de répondre à cette troisième question.

71

À cet égard, il convient de rappeler, à titre préalable, que la validité des actes comportant mise à exécution de mesures d’aide est affectée par la méconnaissance de la part des autorités nationales, de la dernière phrase du paragraphe 3 de l’article 108 TFUE et que les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables qui sont en mesure de se prévaloir d’une telle méconnaissance que toutes les conséquences en seront tirées, conformément à leur droit national, tant en ce qui concerne la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aide, que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d’éventuelles mesures provisoires (arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C‑354/90, EU:C:1991:440, point 12).

72

Toutefois, les aides existantes peuvent, conformément à l’article 108, paragraphe 1, TFUE, être régulièrement exécutées tant que la Commission n’a pas constaté leur incompatibilité, de sorte que l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ne confère pas aux juridictions nationales la compétence d’interdire leur exécution (arrêt du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, EU:C:2013:525, points 36 et 41).

73

Cependant, s’agissant de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, cité par la juridiction de renvoi, qui vise le cas où il peut être établi qu’une mesure, qui ne constituait pas une aide à la date de sa mise en vigueur, mais qui, alors même qu’elle n’a pas été modifiée par l’État membre concerné, est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché intérieur, il n’apparaît pas que de telles conditions pourraient être remplies dans les circonstances de l’affaire au principal.

74

Quant à la question de savoir si les aides dont ont bénéficié les établissements concernés dans le cadre de l’imposition en cause au principal pourraient être considérées comme ayant fait l’objet d’une décision d’autorisation de la Commission, au sens de l’article 1er, sous b), ii), du règlement no 659/1999, repris à l’article 1er, sous b), ii), du règlement 2015/1589, il convient de rappeler que, en matière d’aide d’État, un acte, quelle que soit sa forme, constitue une telle décision lorsque, compte tenu de sa substance et de l’intention de la Commission, celle-ci a définitivement fixé par cet acte, au terme de la phase préliminaire d’examen, sa position sur la mesure en cause et, partant, lorsqu’elle a conclu que celle-ci constituait ou non une aide et qu’elle ne suscitait pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission, C‑521/06 P, EU:C:2008:422, point 46, ainsi que du 9 juin 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑465/09 P à C‑470/09 P, non publié, EU:C:2011:372, point 94).

75

La Cour a également jugé que l’existence d’une telle décision de la Commission doit pouvoir être constatée à partir d’éléments objectifs et correspondre à une expression claire et définitive de la position de la Commission à l’égard de la mesure en cause (arrêt du 9 juin 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑465/09 P à C‑470/09 P, non publié, EU:C:2011:372, point 95).

76

En effet, il résulte du contrôle préventif en matière d’aides d’État exercé par la Commission et, notamment, de l’interdiction de mise en œuvre des aides nouvelles avant qu’une décision finale n’ait été adoptée par la Commission, en vertu de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, que l’existence d’une décision se prononçant sur la compatibilité d’une aide ne saurait faire aucun doute et que cela vaut d’autant plus lorsque les aides prétendument autorisées n’ont pas été notifiées à la Commission en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, mettant ainsi en péril la sécurité juridique que cette disposition vise à garantir (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑465/09 P à C‑470/09 P, non publié, EU:C:2011:372, points 96 ainsi que 97).

77

Par conséquent, dans l’affaire au principal, une telle autorisation ne saurait être déduite des termes de la lettre de la Commission du 2 octobre 2003 citée par la juridiction de renvoi et rappelée au point 16 du présent arrêt, ne serait-ce que parce qu’il résulte des indications fournies à la Cour que la Commission ne se prononce dans cette lettre que sur la question de la conformité des modalités d’affectation des recettes de l’IGEC avec le droit des aides d’État.

78

Enfin, il convient d’indiquer que, aux termes de l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999, repris en substance à l’article 1er, sous b), iv), du règlement 2015/1589, l’« aide existante » doit être entendue comme étant également « toute aide réputée existante conformément à l’article 15 de ce premier règlement ».

79

L’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, repris à l’article 17 du règlement 2015/1589, précise que les pouvoirs de la Commission en matière de récupération d’une aide illégale sont soumis à un délai de prescription de dix ans. En vertu du paragraphe 2 de cet article, ce délai de prescription commence à courir à la date à laquelle l’aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d’aide individuelle ou dans le cadre d’un régime d’aides, et toute mesure prise par la Commission ou par un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l’égard de l’aide illégale interrompt ce délai. Par ailleurs, aux termes du paragraphe 3 dudit article, toute aide à l’égard de laquelle le délai de prescription a expiré est réputée être une aide existante.

80

Indépendamment même de la portée qu’il convient de donner à cette disposition lorsqu’elle est invoquée devant le juge national, il y a lieu de constater que les conditions qu’elle prévoit ne sont en tout état de cause pas remplies dans l’affaire au principal.

81

Il importe en effet de constater que, dans la mesure où les bénéficiaires des aides résultant d’un impôt tel que celui en cause au principal sont définis de manière générale et abstraite et où le montant de l’aide qui leur est ainsi accordée reste indéterminé, ces aides relèvent de la notion de « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement no 659/1999, dont le libellé est repris en des termes identiques à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589.

82

Par conséquent, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 659/1999, la date à laquelle l’aide illégale est effectivement accordée à son bénéficiaire constitue le point de départ du délai de prescription (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, points 80 à 82, et ordonnance du 7 décembre 2017, Irlande/Commission, C‑369/16 P, non publiée, EU:C:2017:955, point 41).

83

Cependant, il ressort de la décision de renvoi que, par une lettre de la Commission du 28 novembre 2014 mentionnée par la décision de renvoi et rappelée au point 17 du présent arrêt, cette institution a informé les autorités espagnoles que l’IGEC est susceptible de conférer des aides d’État et que cet impôt doit être modifié ou supprimé. Un tel document constitue dès lors une mesure prise par la Commission au sens de l’article 15, deuxième paragraphe, du règlement no 659/1999, qui interrompt le délai prescription, de sorte que les aides octroyées dans la période de dix ans qui précède cette lettre ne peuvent pas être considérées comme des aides existantes.

84

Pour ce qui concerne les aides octroyées antérieurement, il ressort également tant de cette lettre de 2014 que de la lettre de la Commission du 2 octobre 2003 citée par la juridiction de renvoi que celles-ci ont été envoyées à la suite d’échanges et de demandes d’informations aux autorités espagnoles portant sur le régime de l’IGEC.

85

Dans de telles circonstances, de telles demandes ont également interrompu le délai de prescription fixé à l’article 15 du règlement no 659/1999 (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2005, Scott/Commission, C‑276/03 P, EU:C:2005:590, point 36).

86

Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que, dans des circonstances telles que décrites par la juridiction de renvoi, les aides d’État résultant du régime d’un impôt tel que celui en cause au principal ne peuvent pas constituer des aides existantes au sens de l’article 1er, sous b), du règlement no 659/1999, dont le libellé est repris à l’article 1er, sous b), du règlement 2015/1589.

Sur les dépens

87

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

1)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à un impôt frappant les grands établissements commerciaux, tel que celui en cause au principal.

 

2)

N’est pas constitutif d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, un impôt tel que celui en cause au principal, qui frappe les grands établissements commerciaux en fonction, essentiellement, de leur surface de vente, en ce qu’il en exonère les établissements dont la surface de vente est inférieure à 2500 m2. Un tel impôt n’est pas non plus constitutif d’une aide d’État, au sens de cette disposition, en ce qu’il en exonère les établissements dont l’activité est consacrée au jardinage, à la vente de véhicules, de matériaux de construction, de machines-outils et de fournitures industrielles ni en ce qu’il fait bénéficier d’un abattement à la base d’imposition de 60 % les établissements dont l’activité porte sur la vente de mobilier, de matériel sanitaire et de portes et de fenêtres ainsi que d’articles de bricolage, dès lors que ces établissements ne causent pas des atteintes à l’environnement et à l’aménagement du territoire aussi importantes que les autres, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Un tel impôt est en revanche constitutif d’une aide d’État, au sens de cette même disposition, en ce qu’il en exonère les grands établissements commerciaux collectifs dont la surface de vente est égale ou supérieure au seuil de 2500 m2.

 

3)

Dans des circonstances telles que décrites par la juridiction de renvoi, les aides d’État résultant du régime d’un impôt tel que celui en cause au principal ne peuvent pas constituer des aides existantes au sens de l’article 1er, sous b), du règlement no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE, dont le libellé est repris à l’article 1er, sous b), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.