CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 12 septembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑524/15

Luca Menci

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Bergamo (tribunal de Bergame, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Législation nationale prévoyant une sanction administrative et une sanction pénale pour les mêmes faits, relatifs au défaut de versement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Atteinte au principe non bis in idem – Identité des faits – Répétition des procédures ou des sanctions – Exceptions à l’interdiction du principe non bis in idem – Lien matériel et temporel suffisamment étroit entre les procédures »

1. 

Dans quelles conditions le principe non bis in idem s’applique‑t‑il lorsque le droit de certains États membres permet de cumuler les sanctions administratives et pénales pour sanctionner les défauts de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui portent sur des montants importants ? Voilà en résumé la problématique à laquelle la Cour est à nouveau confrontée.

2. 

Dans son arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson ( 2 ), la Cour a défini la ligne que les juridictions nationales devaient suivre concernant le droit d’une personne de ne pas être jugée deux fois pour le même manquement à l’obligation de payer la TVA. Elle l’a fait en intégrant des solutions développées par la Cour européenne des droits de l’homme, mais la réponse apportée dans cet arrêt a entraîné des difficultés et des controverses parmi les juges de certains États membres, par exemple en Italie.

3. 

De surcroît, la Cour européenne des droits de l’homme a considérablement modifié sa jurisprudence sur le principe non bis in idem dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 15 novembre 2016, A et B c. Norvège ( 3 ). La Cour devra décider si elle adopte cette nouvelle orientation plus restrictive du principe non bis in idem ou si elle maintient un niveau de protection supérieur. Partant, en précisant l’arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105), elle devra se prononcer sur la question de savoir si la limitation apportée au principe non bis in idem qui a été récemment validée par la Cour européenne des droits de l’homme s’applique en droit de l’Union.

4. 

Compte tenu du lien existant avec les affaires Garlsson Real State e.a. (C‑537/16), Di Puma (C‑596/16) et Consob (C‑597/16), les conclusions sur l’affaire sous objet sont présentées simultanément à celles des affaires précitées.

I. Le cadre juridique

A.   La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

5.

Le protocole no 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), conclue à Rome le 4 novembre 1950, a été signé à Strasbourg le 22 novembre 1984 (ci-après le « protocole no 7 ») et énonce à son article 4 le « droit à ne pas être jugé ou puni deux fois » dans les termes suivants :

« 1.   Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2.   Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3.   Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la convention ».

B.   Le droit de l’Union

6.

Conformément à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») :

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. »

7.

L’article 51 de la Charte définit son champ d’application :

« 1.   Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.

2.   La présente Charte ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour la Communauté et pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités. »

8.

L’article 52 réglemente la portée et l’interprétation des droits et des principes reconnus par la Charte dans les termes suivants :

« 1.   Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

[…]

3.   Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.

4.   Dans la mesure où la présente Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions.

[…]

6.   Les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte comme précisé dans la présente Charte. »

C.   Le droit italien

9.

L’article 13, paragraphe 1, du Decreto legislativo n. 471 ( 4 ) (décret législatif no 471), du 18 décembre 1997, dispose :

« Quiconque ne s’acquitte pas, en tout ou en partie, dans les délais prescrits, des acomptes, des versements périodiques, du versement de péréquation ou du solde de l’impôt résultant de la déclaration, déduction faite, dans ces cas, du montant des versements périodiques et des acomptes, même s’ils n’ont pas été acquittés, est passible d’une sanction administrative s’élevant à 30 % de chaque montant impayé, même lorsque, à la suite de la correction d’erreurs matérielles ou de calcul constatées lors du contrôle de la déclaration annuelle, il apparaît que le montant de l’impôt est plus important ou que l’excédent déductible est moindre. Pour les versements effectués avec un retard n’excédant pas quinze jours, la sanction visée à la première phrase, outre les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, du décret législatif no 472, du 18 décembre 1997, est encore réduite à un montant égal à un quinzième pour chaque jour de retard. La même sanction s’applique dans les cas de liquidation d’un montant d’impôt plus important au sens des articles 36 bis et 36 ter du décret no 600 du président de la République, du 29 septembre 1973, et de l’article 54 bis du décret no 633 du président de la République, du 26 octobre 1972 ( 5 ). »

10.

Le Decreto legislativo n. 74 ( 6 ) (décret législatif no 74), du 10 mars 2000, relatif aux infractions en matière d’impôts directs et de TVA (ci‑après le « décret législatif 74/2000 »), réglemente en son article 10 ter le « défaut de versement de la TVA » dans les termes suivants :

« La disposition de l’article 10 bis s’applique également, dans les limites qu’elle prévoit, à toute personne qui ne verse pas la taxe sur la valeur ajoutée, telle qu’elle est due sur la base de la déclaration annuelle, dans le délai prévu pour le versement de l’acompte relatif à la période d’imposition ultérieure. »

11.

En vertu de l’article 10 bis du décret législatif 74/2000 :

« Toute personne qui ne verse pas, dans le délai prévu pour la présentation de la déclaration annuelle de tiers payeur, les retenues qui résultent de la certification remise aux assujettis auxquels [ladite personne] se substitue, [lorsque le défaut de paiement porte sur] un montant supérieur à cinquante mille euros pour chaque période d’imposition, sera punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans. »

12.

Les articles 19 à 21 du décret législatif 74/2000, qui relèvent du titre « Rapports avec le système de sanction administratif et entre les procédures », indiquent, pour résumer, que : a) le droit spécifique s’applique quand un même fait est sanctionné par une disposition du titre II et par une disposition qui prévoit une sanction administrative ; b) la procédure pénale et la procédure administrative sont traitées séparément, autrement dit, aucune des deux ne doit être suspendue dans l’attente de l’issue de la seconde ; c) l’autorité compétente inflige les sanctions administratives relatives aux infractions fiscales qui constituent l’infraction pénale ; d) néanmoins, ces sanctions ne sont pas exécutoires, à moins que la procédure pénale n’ait été clôturée par une décision de classement ou par une décision irrévocable d’acquittement ou une décision mettant fin aux poursuites qui exclut que le fait soit pénalement répréhensible. Dans cette dernière hypothèse, le délai pour l’encaissement court à partir de la date de la communication de la décision d’acquittement.

13.

Après les faits à l’origine du présent renvoi préjudiciel, la législation italienne a été modifiée par le Decreto legislativo n. 158 (décret législatif no 158), du 24 septembre 2015 ( 7 ) (ci-après le « décret législatif 158/2015 »). Cette modification a touché les articles 10 bis et 10 ter du décret législatif 74/2000 et a introduit, au moyen du nouvel article 13 du décret législatif 74/2000, une cause supplémentaire d’exclusion de la possibilité de punir la conduite.

14.

Conformément à l’article 7 du décret législatif 158/2015, l’article 10 bis du décret législatif est désormais libellé comme suit :

« Toute personne qui ne verse pas, dans le délai prévu pour la présentation de la déclaration annuelle de tiers payeur, les retenues qui sont dues sur la base de cette déclaration ou les retenues résultant de la certification délivrée aux assujettis, pour un montant supérieur à cent cinquante mille euros pour chaque période d’imposition, sera punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans. »

15.

En vertu de l’article 8 du décret législatif 158/2015, l’article 10 ter du décret législatif 74/2000 est désormais libellé comme suit, à compter du 22 octobre 2015 :

« Toute personne qui ne verse pas, dans le délai prévu pour le versement de l’acompte afférent à la période d’imposition suivante, la taxe sur la valeur ajoutée, telle qu’elle est due sur la base de la déclaration annuelle, pour un montant supérieur à deux cent cinquante mille euros pour chaque période d’imposition, est punie d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans. »

II. Le litige national et la question préjudicielle

16.

M. Luca Menci a été poursuivi par les services fiscaux italiens en sa qualité de propriétaire de l’entreprise individuelle homonyme, pour avoir omis de verser la TVA correspondant à l’année d’imposition 2011, pour un montant total de 282495,76 euros. Cette procédure a abouti à la liquidation fiscale pertinente du 6 novembre 2013 et à l’imposition à M. Menci d’une sanction de 84748,74 euros. L’administration fiscale a accepté la demande de fractionnement du paiement formulée par M. Menci, lequel a procédé au versement des premières parts.

17.

Une fois la procédure administrative de sanction achevée et la sanction étant devenue définitive, le 13 novembre 2014, le procureur de la République a engagé une procédure pénale à l’encontre de M. Menci, en ce qu’il considérait que l’absence de paiement de la TVA constituait une infraction caractérisée à l’article 10 ter du décret législatif 74/2000.

18.

Dans le cadre de cette procédure pénale, le Tribunale di Bergamo (tribunal de Bergame, Italie) a posé à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 50 [de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne], interprété au regard de l’article 4 du [protocole] no 7 [à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales] et de la jurisprudence y afférente de la Cour européenne des droits de l’homme, s’oppose‑t‑il à des poursuites pénales ayant pour objet un fait (le non-versement de la TVA) pour lequel le prévenu s’est déjà vu infliger une sanction administrative définitive ? »

19.

La Cour a joint ce renvoi préjudiciel aux affaires Orsi (C‑217/15) et Baldetti (C‑350/15). Des observations écrites ont été déposées par M. Menci, le gouvernement italien et la Commission européenne, et l’audience (jointe pour les trois affaires) a eu lieu le 8 septembre 2016.

20.

Avant la lecture des conclusions, annoncée pour le 17 novembre 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a publié, le 15 novembre 2016, un arrêt, A et B c. Norvège, sur le fondement duquel la quatrième chambre de la Cour a décidé, le 30 novembre 2016, de disjoindre l’affaire Menci des deux autres et a suggéré de renvoyer l’affaire Menci à la grande chambre ( 8 ).

21.

La grande chambre, par ordonnance du 25 janvier 2017, a ordonné la réouverture de la phase orale. L’audience a eu lieu le 30 mai 2017, conjointement à celles des affaires Garlsson Real State (C‑537/16), Di Puma (C‑596/16) et Consob (C‑597/16) ( 9 ). Lors de l’audience, M. Menci, la Commission, et les gouvernements italien et allemand ont formulé des observations orales sur des questions relatives à ce renvoi.

III. Analyse de la question préjudicielle

22.

Le rapprochement méthodologique mis en œuvre par la Cour dans l’arrêt du 5 avril 2017, Orsi et Baldetti ( 10 ), lorsqu’elle a analysé l’article 50 de la Charte au regard de l’article 4 du protocole no 7, est présenté en ses points 15 et 24 de la manière suivante :

« Ainsi, l’examen de la question posée doit être opéré au regard uniquement des droits fondamentaux garantis par la Charte. »

À la fin de cet examen, « en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, dans la mesure où l’article 50 de celle-ci contient un droit correspondant à celui prévu à l’article 4 du protocole no 7 à la CEDH, il convient de s’assurer que l’interprétation susvisée de l’article 50 de celle-ci ne méconnaît pas le niveau de protection garanti par la CEDH ».

23.

Cependant, même pour interpréter l’article 50 de la Charte, il y a lieu de ne pas oublier que, selon l’article 52, paragraphe 3, « dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention» ( 11 ).

24.

J’aborderai donc en premier lieu l’analyse de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 50 de la Charte, en guise de référence obligée concernant l’application du principe non bis in idem aux cas de cumul de sanctions fiscales et pénales pour non-paiement de la TVA.

25.

J’exposerai ensuite mon opinion sur l’incidence que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris celle de l’arrêt A et B c. Norvège, pourrait avoir sur la jurisprudence de la Cour. J’étudierai en outre la possibilité pour la Cour de développer une voie autonome pour l’analyse des procédures mixtes (pénales et administratives) présentant un lien matériel et temporel suffisant.

26.

Enfin, une fois ces analyses achevées, je reviendrai sur les faits de la présente affaire afin de proposer une réponse qui permette au juge national de trancher le litige.

A.   La jurisprudence de la Cour sur l’application de l’article 50 de la Charte dans les situations de cumul des sanctions fiscales et pénales

27.

Le principe non bis in idem apparaît dans le droit de l’Union sous différentes variantes ( 12 ) dont le traitement n’a pas encore été homogénéisé par la Cour, en dépit des appels en ce sens émis par certains avocats généraux ( 13 ). Je ne m’arrêterai pas sur l’analyse de la jurisprudence plus restrictive qui l’interprète dans le cadre des règles de protection de la libre concurrence ni sur la jurisprudence afférente à l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, qui est plus large et protège davantage les droits des personnes inculpées.

28.

La jurisprudence de la Cour sur l’application du principe non bis in idem au cumul des sanctions fiscales et pénales présentée par l’État comme une réponse au non-paiement des impôts (concrètement, de la TVA) a été fixée dans l’arrêt du 26 février 2013,Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105) (ci-après « arrêt Åkerberg Fransson »). Après avoir utilisé les critères dégagés dans l’arrêt Engel (ci-après « les critères Engel ») pour déterminer à quel moment une sanction fiscale possédait réellement un « caractère pénal », en dépit de son appellation la désignant comme étant de nature administrative, la Cour s’est explicitement référée au caractère efficace des sanctions, dont le lien avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme peut être difficile à établir.

29.

Dans l’arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson ( 14 ), après s’être déclarée compétente pour répondre à la question préjudicielle ( 15 ), la Cour a affirmé que le principe non bis in idem « ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la TVA, successivement une sanction fiscale et une sanction pénale dans la mesure où la première sanction ne revêt pas un caractère pénal, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier» ( 16 ). La liberté de choix des sanctions par les États membres est justifiée par la nécessité de garantir la perception de l’intégralité des recettes provenant de la TVA et, ce faisant, la protection des intérêts financiers de l’Union ( 17 ).

30.

Cependant, la Cour a fixé une limite au cumul des sanctions fiscales et pénales : « [C]e n’est que lorsque la sanction fiscale revêt un caractère pénal, au sens de l’article 50 de la Charte, et est devenue définitive que ladite disposition s’oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes faits soient diligentées contre une même personne. » Partant, s’il est possible d’infliger simultanément des sanctions fiscales et pénales, il n’est pas possible d’infliger à la fois une sanction nominalement administrative, qui est en réalité de nature répressive, et une sanction pénale ( 18 ).

31.

Afin de déterminer, à son tour, dans quelles circonstances une sanction fiscale revêt un caractère pénal, la Cour a utilisé, comme nous l’avons précédemment indiqué, les critères Engel qu’elle s’était au préalable appropriés dans l’arrêt Bonda ( 19 ). Cependant, au lieu d’appliquer elle-même ces critères à une législation telle que la législation suédoise, elle a confié cette tâche à la juridiction de renvoi ( 20 ), en l’assortissant du caveat selon lequel elle ne pourrait conclure que le cumul des sanctions fiscales et pénales était contraire à l’article 50 de la Charte qu’à la condition que les sanctions restantes soient effectives, proportionnées et dissuasives ( 21 ).

32.

L’efficacité de la poursuite de la fraude et de la protection des intérêts financiers de l’Union apparaissent donc comme des contrepoids dans le cadre de l’évaluation de l’incompatibilité du cumul des sanctions fiscales et pénales avec le principe non bis in idem, lorsque les impôts en cause affectent les intérêts précités.

33.

L’exigence d’efficacité des sanctions devient une condition, selon l’arrêt Taricco e.a. ( 22 ), qui module la liberté de choix des États membres étant donné que « des sanctions pénales peuvent cependant être indispensables pour combattre de manière effective et dissuasive certains cas de fraude grave à la TVA ». Cette limite est également fondée sur l’article 325 TFUE, en vertu duquel les États membres sont tenus de lutter contre les activités illicites portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures dissuasives et effectives et, en particulier, les oblige à prendre les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que celles qu’ils adoptent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers ( 23 ).

34.

En définitive, par l’intermédiaire des arrêts Bonda ( 24 ) et Åkerberg Fransson, la Cour a interprété l’article 50 de la Charte de manière conforme ( 25 ) à la jurisprudence jusqu’alors dominante de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’application du principe non bis in idem ( 26 ). Cette convergence était logique, compte tenu de la similitude entre la réglementation du principe non bis in idem prévue à l’article 4, du protocole no 7 et la réglementation figurant à l’article 50 de la Charte ( 27 ).

B.   La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au principe non bis in idem et au cumul des sanctions fiscales et pénales

35.

La protection conférée par le principe non bis in idem dans le cadre du Conseil de l’Europe n’est pas dépourvue de complications. Ce droit a été inscrit dans la CEDH, signée à Rome le 4 novembre 1950, et sa protection a ensuite été mise en œuvre par l’intermédiaire du protocole no 7, ratifié par 44 des 47 États membres du Conseil de l’Europe. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ne l’a pas signé et la République fédérale d’Allemagne et le Royaume des Pays‑Bas sont réticents à sa ratification. La République fédérale d’Allemagne a formulé des réserves lors de sa signature, tout comme d’autres pays ont formulé des réserves ou des déclarations dans leurs instruments de ratification lors de la conclusion du protocole (la République française, la République italienne, la République d’Autriche ou la République portugaise), et ce dans le but de restreindre la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme au domaine exclusivement pénal et pouvoir maintenir un cumul de sanctions administratives et pénales pour les mêmes faits ( 28 ).

36.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a limité les effets de ces réserves ou déclarations en exigeant, conformément à l’article 57 de la CEDH, que les conditions suivantes soient respectées pour que ces réserves ou déclarations soient déclarées valides. Elles doivent tout d’abord être formulées au moment de la signature du protocole ; ensuite, elles doivent renvoyer à des règles en vigueur à la date de la ratification ; de plus, elles doivent avoir un caractère général et contenir une brève exposition des règles visées ( 29 ). Dans l’arrêt Grande Stevens e.a. c. Italie ( 30 ), la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que ces conditions n’étaient pas remplies et partant, elle a estimé que la déclaration de l’Italie dans l’instrument de ratification du protocole no 7, qui avait pour objectif de réduire son application uniquement aux sanctions et procédures qualifiées de pénales par le droit italien, était invalide.

37.

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le principe non bis in idem interdit l’ouverture de deux procédures ou plus de caractère pénal (double accusation), ainsi que l’application de deux condamnations pénales définitives ou plus (double sanction) à une même personne pour les mêmes faits. L’objectif de ce principe est d’interdire la répétition de procédures pénales déjà achevées et de garantir la sécurité juridique de l’individu en le protégeant contre l’incertitude d’une éventuelle double poursuite, double procédure ou double condamnation. Une bonne partie de cette jurisprudence porte concrètement sur la double imposition de sanctions fiscales et pénales.

38.

L’application du principe non bis in idem par la Cour européenne des droits de l’homme exige la réunion de quatre conditions : il faut qu’il y ait 1) identité de la personne poursuivie ou sanctionnée ; 2) identité des faits visés par la procédure (idem), 3) cumul des procédures de sanctions (bis) et 4) que l’une des deux décisions ait été prononcée à titre définitif. En l’espèce, les conditions qui ont suscité la jurisprudence la plus importante et la plus controversée sont l’identité des faits (idem) et le cumul des procédures (bis).

1. L’identité des faits

39.

Cet élément du principe non bis in idem exige de déterminer s’il suffit que les procédures qui se répètent concernent le même comportement (idem factum) ou s’il est également nécessaire que la même qualification juridique (idem crimen) soit appliquée au comportement en cause.

40.

La jurisprudence initiale de la Cour européenne des droits de l’homme était très hétérogène et, dans certains cas de cumul de sanctions pénales et fiscales, la Cour a estimé que des faits identiques pouvaient faire l’objet d’une sanction pénale et d’une sanction administrative, car ces deux sanctions ne tenaient pas compte des mêmes éléments ( 31 ).

41.

En raison de l’influence de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen ( 32 ), la Cour européenne des droits de l’homme a révisé et procédé à un aménagement de sa jurisprudence dans l’arrêt crucial Zolotoukhine c. Russie ( 33 ). Dans cet arrêt, elle a affirmé que l’article 4 du protocole no 7 interdisait qu’une deuxième infraction soit punie sur le fondement d’actes identiques ou substantiellement égaux à ceux ayant servi de base à la première sanction, quelle que soit leur qualification juridique (elle a donc clairement opté pour le choix de l’idem factum et le rejet de l’idem crimen). La Cour européenne des droits de l’homme décrit l’identité des faits comme un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace ( 34 ).

42.

Dans sa jurisprudence ultérieure ( 35 ), la Cour européenne des droits de l’homme a maintenu cette position favorable aux garanties des individus, qui consiste à privilégier l’idem factum plutôt que l’idem crimen. Dans son arrêt A et B c. Norvège rendu en grande chambre ( 36 ), elle a de nouveau confirmé cette position.

2. La répétition des procédures de sanctions (notion du bis)

43.

Le cumul des procédures de sanction de nature pénale est la question qui a généré le plus de difficultés pour l’application de l’article 4 du protocole no 7. Lorsque des procédures ou condamnations s’ajoutent à d’autres procédures ou condamnations engagées par des juridictions de l’ordre pénal pour des actions identiques, l’application du principe ne soulève pas de difficultés majeures. Il existe néanmoins des normes de nature répressive que les législateurs nationaux peuvent concevoir comme des règles de sanction relevant du droit administratif, et non pas du droit pénal ( 37 ), dans le but d’éviter l’application des sauvegardes et garanties propres aux procédures pénales.

a) La jurisprudence générale de la Cour européenne des droits de l’homme

44.

La prolifération des règles de sanction de droit administratif ayant un caractère répressif explique que la Cour européenne des droits de l’homme ait développé des critères spécifiques et autonomes, à compter de l’arrêt Engel e. a. c. Pays-Bas ( 38 ), dans le but de clarifier la notion d’« accusation en matière pénale » figurant à l’article 6 CEDH, ainsi que la notion de « peine » prévue à l’article 7 CEDH. Concrètement, pour interpréter l’article 4 du protocole no 7, elle a également eu recours aux critères Engel ( 39 ), à savoir la qualification juridique de l’infraction en droit national, la nature de l’infraction, et la nature et l’intensité ou gravité de la sanction appliquée au contrevenant. Les deux derniers critères sont alternatifs, mais la Cour européenne des droits de l’homme peut, en fonction des particularités de l’affaire, les apprécier de manière cumulative ( 40 ).

45.

Dans son arrêt A et B c. Norvège, la Cour européenne des droits de l’homme a réaffirmé l’utilisation exclusive des critères Engel, même si certains des États intervenant dans ce litige ont suggéré des critères supplémentaires pour durcir l’application des critères Engel au-delà des strictes frontières du droit pénal ( 41 ).

46.

Le premier critère Engel concerne la qualification de l’infraction selon le droit national. La Cour européenne des droits de l’homme considère uniquement cette qualification comme étant un point de départ pour déterminer si une sanction revêt ou non un « caractère pénal ». Il s’agit d’une règle non déterminante, sauf si le droit national lui-même classe les deux sanctions dans la catégorie pénale, auquel cas le principe non bis in idem s’applique logiquement sans plus. Si, au contraire, l’ordre juridique interne qualifie la sanction comme étant une sanction administrative, il y a lieu de procéder à son analyse au regard des deux autres critères. En fonction du résultat de cette analyse, le juge devra décider si, malgré tout, cette sanction revêt un « caractère pénal » aux fins de l’article 4 du protocole no 7.

47.

Le deuxième critère Engel concerne la nature de l’infraction. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, pour déterminer si une infraction fiscale de nature administrative possède en réalité une nature pénale, le juge examine des facteurs tels que : a) les destinataires de la sanction ; ainsi, si celle-ci vise le public en général, et non un groupe de destinataires bien défini, elle a habituellement un « caractère pénal» ( 42 ) ; b) l’objectif de la sanction, car l’infraction ne sera pas de nature pénale si la sanction prévue a uniquement pour objectif de réparer les dommages patrimoniaux ( 43 ), en revanche, elle sera de nature pénale lorsque sa caractérisation obéit à des finalités de répression et de prévention ( 44 ) ; et c) l’intérêt juridique protégé par la disposition nationale de sanction, laquelle aura un caractère pénal si elle a pour objet de sauvegarder les intérêts juridiques dont la protection est normalement garantie par des règles de droit pénal ( 45 ).

48.

Le troisième critère Engel concerne la nature et le degré de gravité de la sanction. Les peines privatives de liberté sont, en elles‑mêmes, de nature pénale ( 46 ), tout comme les sanctions pécuniaires dont le manquement peut se traduire par une contrainte par corps ou qui emportent une inscription sur le registre du casier judiciaire ( 47 ).

49.

En appliquant ces critères aux sanctions fiscales qui sont cumulées à des sanctions pénales, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé, à de nombreuses reprises, que les premières revêtent un « caractère pénal » au sens des articles 6 et 7 de la CEDH et, par extension, au sens de l’article 4 de son protocole no 7 ( 48 ). En particulier, elle en a jugé ainsi dans des cas de sanctions pécuniaires infligées dans des procédures administratives pour cause de non-paiement d’impôts, même lorsque ces sanctions étaient de montant modeste ( 49 ). Pour parvenir à cette conclusion, le juge examine la nature et la sévérité de la sanction en évaluant la possibilité de son application intégrale, à savoir, sans prendre en considération le montant final résultant d’éventuelles réductions accordées par l’administration fiscale ( 50 ). En ce sens, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que le fait que la première des sanctions ait été déduite de la deuxième afin d’atténuer la double sanction n’avait pas d’importance ( 51 ).

50.

À l’inverse, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que les procédures et les mesures fiscales qui tendent à récupérer les impôts non versés et à récupérer les intérêts de retard, indépendamment de leur montant, ne présentaient pas un caractère pénal ( 52 ).

51.

Dans d’autres arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que la garantie inhérente au principe non bis in idem s’applique aux cas de double condamnation, mais également aux cas de double incrimination, c’est-à-dire, aux cas qui ont fait l’objet d’accusations n’ayant pas abouti à une condamnation. Elle a également confirmé qu’il était indifférent que la procédure administrative précède la procédure pénale ou lui succède, que la première sanction soit compensée avec la sanction appliquée dans la deuxième procédure, ou que la personne concernée ait été disculpée à l’issue de la deuxième ou de la première procédure ( 53 ).

52.

La jurisprudence extensive de la Cour européenne des droits de l’homme a favorisé la protection des particuliers face au pouvoir répressif des autorités nationales. Cette circonstance explique peut-être la réaction de certains États, réaction perceptible dans les positions qu’ils ont défendues dans l’affaire A et B c. Norvège ( 54 ), et à laquelle cette juridiction a été sensible.

b) L’exception dans les cas de procédures mixtes présentant un lien temporel et matériel suffisamment étroit : l’arrêt A et B c. Norvège

53.

Dans l’arrêt A et B c. Norvège, la Cour européenne des droits de l’homme accepte que, en présence de sanctions formellement administratives présentant un caractère pénal, l’article 4 du protocole no 7 n’est pas violé par le cumul des procédures pénales et administratives de sanction, à condition qu’il existe entre ces procédures un lien matériel et temporel suffisamment étroit. Si l’État établit que ces procédures sont temporellement et matériellement liées, il n’y a pas « répétition de procès ou de peines (bis)» ( 55 ).

54.

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, pour apprécier l’existence d’un lien matériel suffisamment étroit entre les procédures pénales et administratives de sanction, il convient d’examiner notamment les critères suivants ( 56 ) :

les finalités complémentaires des procédures et leurs liens avec différents aspects de l’acte préjudiciable pour la société. Les procédures seront d’autant plus complémentaires et cohérentes que les sanctions de la procédure administrative seront éloignées du « noyau dur du droit pénal » et vice-versa ( 57 ) ;

le caractère double en termes juridiques et pratiques des procédures lorsqu’il constitue une conséquence prévisible du même comportement sanctionné ;

le caractère complémentaire de l’instruction des procédures qui évite, dans la mesure du possible, des répétitions pour la collecte et l’appréciation des éléments de preuve, grâce à l’interaction des différentes autorités. Cette complémentarité permet d’intégrer dans une procédure les faits qui ont été établis dans l’autre procédure ;

le calcul et la prise en compte de la sanction prononcée dans la première procédure au moment du prononcé de la deuxième sanction, de sorte que la sanction visant le particulier n’implique pas une charge excessive, l’existence d’une procédure de compensation étant adéquate pour éviter ce risque.

55.

En ce qui concerne les voies à suivre pour établir un lien temporel suffisant entre les procédures, la Cour européenne des droits de l’homme est moins précise. Elle se limite à indiquer qu’il n’est pas nécessaire que la procédure pénale et la procédure administrative se déroulent simultanément, du début à la fin, et elle ajoute que plus le décalage temporel entre les deux procédures sera important, plus l’État aura du mal à établir la preuve de ce lien temporel ( 58 ).

56.

La comparaison entre les faits jugés dans l’arrêt A et B c. Norvège d’une part, et ceux de l’arrêt ultérieur du 18 mai 2017, Jóhannesson e.a. c. Islande ( 59 ) d’autre part, met en évidence les obstacles quasiment insurmontables que les juges nationaux devront affronter pour déterminer a priori, avec un minimum de certitude et de prévisibilité, à quel moment ce lien temporel existe.

C.   L’incidence de l’arrêt A et B c. Norvège sur le droit de l’Union

57.

Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, le sens et la portée de l’article 50 doivent être « les mêmes que ceux que leur confère » l’article corrélatif de la CEDH. Il convient de ne pas dissocier, dans l’interprétation, d’une part, le droit protégé par l’article 50 de la Charte et, d’autre part, l’article 4 du protocole no 7. Le défaut de ratification ou les réserves et les déclarations de certains États membres ( 60 ) n’ont aucune importance pour la Cour.

58.

Telle est l’orientation implicitement suivie par l’arrêt Åkerberg Fransson, dans lequel la Cour n’a pas accepté que le niveau de ratification d’un protocole de la CEDH puisse avoir une incidence sur son utilisation en tant que moyen pour interpréter l’article 50 de la Charte, en dépit des réserves exprimées en ce sens ( 61 ).

59.

La note explicative relative à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte indique que « [l]a référence à la CEDH vise à la fois la Convention et ses protocoles ». Elle n’établit aucune distinction en fonction du caractère contraignant ou non de ces derniers pour tous les États membres de l’Union ( 62 ). En outre, une différenciation de cette nature pourrait générer une interprétation et une application de la Charte non uniformes ( 63 ), qui dépendraient du fait qu’un État soit ou non lié par un protocole annexe à la CEDH.

60.

Cependant, le changement de jurisprudence opéré par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt A et B c. Norvège pose un défi important pour la Cour. Le respect institutionnel entre les deux juridictions s’oppose à la formulation de tout commentaire critique ( 64 ), mais cela n’empêche pas d’observer que, avec cette nouvelle approche, la Cour européenne des droits de l’homme a modifié de manière significative la portée qui avait été attribuée jusqu’alors au principe non bis in idem.

61.

Dans ce contexte, j’estime que la Cour peut choisir entre l’une des deux voies exposées ci-après :

accepter telle quelle la limitation au principe non bis in idem établie par l’arrêt A et B c. Norvège, et l’appliquer dans le cadre de l’article 50 de la Charte, en tenant compte de son article 52, paragraphe 3 ;

rejeter cette limitation et maintenir le niveau de protection fixé dans l’arrêt Åkerberg Fransson par renvoi à la jurisprudence (antérieure) générale de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette position mettrait en œuvre la clause de l’article 52, paragraphe 3, in fine, selon laquelle l’obligation de réaliser une interprétation homogène des articles de la Charte dont le contenu est similaire aux articles de la CEDH « ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ».

62.

Indépendamment de ces deux possibilités, compte tenu de l’arrêt A et B c. Norvège, la Cour peut aussi, en toute logique, développer une jurisprudence spécifique pour déterminer la compatibilité avec l’article 50 de la Charte de « procédure(s) mixte(s) (administrative et pénale) » présentant entre elles des liens suffisants.

1. Alignement avec la nouvelle jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

63.

Cette solution serait évidemment conforme avec le devoir d’interprétation harmonieuse des articles de la Charte et de la CEDH (et de ses protocoles), fondé sur l’article 52, paragraphe 3, de la Charte.

64.

Plusieurs des gouvernements qui sont intervenus dans la procédure soutiennent cet alignement en invoquant de surcroît les règles d’interprétation de la Charte qui figurent à l’article 52, paragraphes 4 et 6. La première règle d’interprétation indique que, « dans la mesure où la Charte reconnaît des droits fondamentaux qui résultent de traditions constitutionnelles communes aux États membres, ces droits sont interprétés en harmonie avec ces traditions ». Selon la seconde, « les législations et pratiques nationales seront pleinement prises en compte, conformément aux dispositions de la présente Charte ».

65.

Ces gouvernements soulignent qu’il existe de nombreuses différences entre les législations et les pratiques nationales quant à la possibilité de cumuler des sanctions pénales et administratives pour les mêmes faits. Compte tenu de cette réalité hétérogène, ils conseillent une interprétation restrictive de l’article 50 de la Charte afin de garantir aux États membres un pouvoir de répression adéquat, à l’instar de la position adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt A et B c. Norvège.

66.

Je ne suis pas d’accord avec ces arguments. La règle d’interprétation de l’article 52, paragraphe 6, ne s’applique pas à l’article 50 de la Charte car, ainsi que la Commission l’a affirmé, cet article ne fait aucun renvoi aux législations et aux pratiques nationales (à la différence d’autres articles, tels que les articles 16, 27, 28, 30, 34, 35 ou 36 de la Charte).

67.

La règle de l’article 52, paragraphe 4, n’est pas non plus adéquate pour déterminer la portée de l’article 50 de la Charte. D’une part, les mêmes gouvernements acceptent qu’il n’y ait pas de tradition constitutionnelle commune sur le contenu de ce droit ( 65 ). D’autre part, les traditions des États qui limitent l’efficacité du principe non bis in idem en l’appliquant exclusivement en matière de droit pénal conduiraient à une interprétation de l’article 50 qui serait encore plus restrictive que celle adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne l’article 4 du protocole no 7.

68.

Ce résultat serait incompatible avec l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, dans la mesure où, s’il existait sur ce point des traditions constitutionnelles communes, elles ne pourraient être utilisées comme critère d’interprétation de l’article 50 de la Charte que lorsqu’elles amènent à un degré de protection plus élevé du droit ( 66 ).

69.

Pour ma part, je ne vois pas de raisons, mais bien des inconvénients, à ce que la Cour rejoigne la position de la Cour européenne des droits de l’homme qui consiste à réduire le contenu de la protection que le principe du non bis in idem garantit aux particuliers lorsque les sanctions en cause sont de même nature (matériellement pénales) et infligées deux fois pour les mêmes faits. J’estime qu’il est difficile de renoncer au niveau de protection déjà atteint avec l’arrêt Åkerberg Fransson au seul motif que la Cour européenne des droits de l’homme a changé de position ( 67 ) en interprétant, dans le domaine qui lui correspond, l’article 4 du protocole no 7.

70.

En premier lieu, la Cour européenne des droits de l’homme elle-même reconnaît ( 68 ) que la meilleure manière de respecter le principe du non bis in idem prévu par l’article 4 du protocole no 7 est la voie unique de sanction, de sorte qu’elle conçoit la double voie dans les cas de procédures mixtes comme une exception à cette règle générale. S’il y a une double procédure, même si elle est mixte, la conséquence est normalement la violation du principe du non bis in idem.

71.

En second lieu, le revirement de jurisprudence destiné à protéger les « procédures mixtes présentant un lien temporel et matériel suffisant » s’inspire d’une position proche de celle des États signataires de la CEDH ( 69 ). La Cour européenne des droits de l’homme accorde un certain poids au fait que le principe non bis in idem ne figure pas dans la CEDH et qu’il n’y a été joint qu’en 1984 (par l’intermédiaire du protocole no 7), avec des réserves et des déclarations émanant de certains signataires. Les réticences de certains États à accepter le principe non bis in idem et les divergences entre les droits nationaux semblent avoir eu une incidence sur l’admission de cette exception notable à son application (non prévue, au moins de manière explicite, dans l’article 4 du protocole no 7) ( 70 ).

72.

Néanmoins, comme précédemment indiqué, je ne pense pas que la Cour doive suivre la Cour européenne des droits de l’homme sur cette voie. L’interprétation de l’article 50 de la Charte ne saurait dépendre de la prédisposition plus ou moins importante des États à respecter son contenu juridiquement contraignant. Si la Cour a consolidé une jurisprudence en vertu de laquelle deux procédures, parallèles ou successives, aboutissant à deux sanctions matériellement pénales, pour les mêmes faits, continuent de constituer deux procédures différentes (bis) et non pas une seule, j’estime qu’il n’y a pas de motifs sérieux pour l’abandonner.

73.

De surcroît, l’introduction en droit de l’Union d’un critère d’interprétation de l’article 50 de la Charte qui reposerait sur le lien matériel et temporel plus ou moins important entre des procédures pénales et des procédures administratives de sanction ajouterait une incertitude notable et rendrait plus complexe le droit des personnes de ne pas être jugées ni condamnées deux fois pour les mêmes faits. Les droits fondamentaux reconnus par la Charte doivent être facilement compréhensibles pour tous et leur exercice requiert une prévisibilité et une certitude qui, selon moi, ne sont pas compatibles avec ce critère.

2. Protection plus élevée du principe non bis in idem en droit de l’Union

74.

La Cour a rappelé que, même si l’article 52, paragraphe 3, de la Charte exige de donner aux droits énoncés dans la Charte et qui correspondent aux droits garantis par la CEDH le même sens et la même portée que ceux que leur confère la CEDH, cette dernière ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union ( 71 ).

75.

Cette jurisprudence souligne l’autonomie de la Cour en matière d’interprétation des dispositions de la Charte, ces dernières étant les seules applicables dans le domaine du droit de l’Union. Partant, il y a lieu de délaisser la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme lorsque, s’agissant de droits de la Charte dont le contenu est similaire à ceux inscrits dans la CEDH et ses protocoles, l’interprétation de la Cour aboutit à un niveau de protection plus élevé, à condition toutefois que cela ne se fasse pas au détriment d’un autre droit garanti par la Charte ( 72 ).

76.

Dans le cadre de cette autonomie, la Cour pourrait se livrer à une interprétation de l’article 50 de la Charte, qui maintienne la position préalablement adoptée et diverge de la ligne jurisprudentielle représentée par l’arrêt A et B c. Norvège. Il suffirait de s’assurer que cette interprétation respecte ( 73 ) et dépasse le niveau de protection garanti par l’article 4 du protocole no 7, tel qu’il est compris par la Cour européenne des droits de l’homme.

77.

Comme l’arrêt A et B c. Norvège réduit les garanties qui résultent de cet article, en autorisant le cumul des procédures, des peines et des sanctions administratives de contenu matériellement pénal dans les circonstances précitées, la Cour garantirait un niveau de protection supérieur dans le cadre de l’article 50 de la Charte, en maintenant sans réserve sa jurisprudence préalable conforme à l’arrêt Åkerberg Fransson.

D.   La question d’une voie autonome pour tempérer la portée de l’article 50 de la Charte

78.

L’article 50 de la Charte, tout comme l’article 4 du protocole no 7, consacre le principe du non bis in idem comme un droit fondamental de la personne qui n’est soumis à aucune exception. Cette qualité n’est parfois pas suffisamment prise en compte et il arrive que des considérations d’ordre économique (situation des finances publiques, par exemple) priment sur ce droit. Pourtant, même si ces considérations sont très légitimes dans d’autres domaines, elles ne sont pas suffisantes pour justifier cette restriction ( 74 ).

79.

Cependant, dans l’arrêt Spasic ( 75 ), la Cour a accepté certaines limitations à la protection du principe non bis in idem dans le cadre de l’article 50 de la Charte. Concrètement, elle a déclaré que l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen (qui soumet l’application de ce principe à la condition que, en cas de condamnation, la sanction « ait été exécutée », « soit en cours d’exécution » ou ne puisse plus être exécutée) est compatible avec l’article 50 de la Charte.

80.

Faudrait-il admettre, dans le même ordre d’idées, un cumul des sanctions pénales et fiscales de contenu matériellement pénal pour les mêmes faits lorsqu’il s’agit de procédures parallèles ? Conformément à l’article 52, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, toute limitation à l’application du principe non bis in idem doit être prévue par la loi et respecter son contenu essentiel. Selon la deuxième phrase du paragraphe, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées au principe non bis in idem que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ( 76 ).

81.

Parmi les quatre conditions indispensables pour légitimer la limitation du droit fondamental, la première et la dernière ne présenteraient pas en l’espèce de difficultés particulières. Le droit national couvre la double incrimination et celle-ci répond à une fin d’intérêt général reconnu par le droit de l’Union lui-même (c’est-à-dire la nécessité que les sanctions contre les fraudes graves de la TVA soient effectives et dissuasives, comme indiqué dans l’arrêt Åkerberg Fransson et réaffirmé ensuite dans l’arrêt Taricco e.a. ( 77 )).

82.

Néanmoins, je doute que dans ce contexte, le contenu essentiel du droit de n’être pas jugé ou condamné pénalement deux fois pour la même infraction soit respecté. En tout état de cause, et c’est là le facteur clef, la limitation que nous analysons en l’espèce me semble inutile, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

83.

Le fait que la réglementation des États membres prévoit des solutions diverses sur ce point illustre en soi, selon moi, le caractère inutile de cette limitation. Si elle était réellement indispensable, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, elle le serait pour tous les États membres et non pas seulement pour quelques-uns.

84.

L’examen de la réglementation de plusieurs États membres de l’Union met en exergue l’existence d’au moins deux systèmes distincts de sanction des fraudes pour non-paiement de la TVA.

85.

En premier lieu, les systèmes qui pourraient être qualifiés de double voie (le système italien du « doppio binario penale amministrativo in materia tributaria » ou le système suédois examiné dans l’arrêt Åkerberg Fransson) autorisent le développement parallèle de procédures administratives de sanction, à la charge des autorités fiscales, et de procédures pénales, à la charge du ministère public et des juridictions, et rendent possible le cumul de sanctions fiscales et pénales (y compris les peines privatives de liberté, les sanctions pécuniaires et autres peines privatives de droits) dans les cas de fraudes portant sur des sommes importantes.

86.

En second lieu, les systèmes qui pourraient être qualifiés de systèmes de voie unique autorisent, face aux impayés de TVA de montant élevé, l’engagement de procédures et l’application de sanctions fiscales ou pénales, mais interdisent leur cumul. Si le montant de la fraude dépasse un certain seuil, les droits nationaux considèrent souvent ce comportement comme délictueux et prévoient qu’il est uniquement susceptible d’être réprimé par des sanctions pénales (à nouveau, par des peines privatives de liberté, des amendes et autres) ( 78 ), bien que, logiquement, l’administration récupère, le cas échéant, le montant que le contribuable de la TVA a omis de verser.

87.

Avec les systèmes de voie unique, le principe non bis in idem de l’article 50 de la Charte est respecté et le contribuable a la garantie qu’il ne sera pas jugé ou condamné pénalement deux fois pour la même infraction. La certitude que, en dernière instance, les fraudes les plus graves seront combattues de manière efficace par des sanctions pénales qui peuvent impliquer l’emprisonnement pour le contrevenant dote ces dernières du pouvoir de dissuasion nécessaire pour protéger les intérêts financiers de l’Union. La situation n’est pas la même, selon moi, avec les systèmes de double voie.

88.

Ainsi, le cumul des procédures parallèles (administrative et pénale) – qu’elles soient plus ou moins rapprochées dans le temps – et des sanctions corrélatives de nature pénale à l’issue desdites procédures, qui sont exercées par deux autorités répressives de l’État qui se prononcent sur les mêmes faits illicites, ne constitue pas une condition nécessaire permettant de limiter le droit protégé par le principe non bis in idem, même avec l’objectif louable de protéger les intérêts financiers de l’Union et d’éviter l’impunité des fraudes graves.

89.

Rien n’empêche les États membres d’imposer des sanctions pénales et des sanctions administratives pour les mêmes faits, lorsque ces dernières sont dépourvues de caractère pénal. Selon moi, cette question devrait constituer le cœur du débat. Plutôt que de troubler la clarté nécessaire du droit protégé par le principe non bis in idem en le soumettant à des examens de complexité démesurée, il suffirait de refaire à l’envers le chemin qui a conduit à conférer une nature pénale aux sanctions pécuniaires imposées par les administrations fiscales.

90.

En revanche, si l’on maintient le caractère matériellement pénal de ces sanctions, ainsi que cela me semble adapté, la garantie de l’article 50 de la Charte doit être pleinement sauvegardée lorsqu’un même fait enfreint en même temps des règles fiscales qui entraînent une réponse matériellement pénale et des règles pénales stricto sensu (autrement dit, celles qui qualifient les délits).

91.

Il se produit dans ces cas-là une situation bien connue en droit punitif : à savoir un concours de lois, ou de règles (non de délits), qui doivent recevoir une réponse unique. En effet, lorsqu’un même fait est susceptible de relever de deux normes (ou plus) qui le sanctionnent, la réponse répressive doit nécessairement être apportée par l’une d’entre elles, celle dont l’application prévaut sur les autres ( 79 ).

92.

La réponse répressive unique pour un même fait ne diminue pas pour le reste la large capacité réglementaire du législateur national en ce qui concerne le contenu de cette dernière. Rien ne s’oppose à ce que cette réponse, qu’il faudra apporter en une seule fois pour respecter le principe non bis in idem, prévoie des peines de privation de liberté, des amendes, ainsi que des mesures privatives de droits (déchéances de droit, interdiction de signer un contrat ou d’exercer certaines activités, etc.) ( 80 ). De surcroît, pour atteindre l’objectif de dissuasion préalablement mentionné, les fraudes fiscales les plus graves pourraient être punies par une combinaison de ces sanctions, dans le respect du principe de proportionnalité.

93.

Si, ainsi que je le conseille, la possibilité d’intégrer dans une réponse unique plusieurs types de mesures répressives dissipe la crainte de l’impunité pour les fraudeurs fiscaux, il n’est pas nécessaire, dans le sens précédemment exposé, de limiter l’application du principe non bis in idem en excluant du domaine protégé par ce principe les (doubles) sanctions infligées après l’instruction de (deux) procédures (ou plus) qui permettent la répression des mêmes faits, que ces procédures soient dites parallèles, mixtes ou concurrentes.

94.

En résumé, je propose à la Cour de réaliser une interprétation de l’article 50 de la Charte qui soit conforme à sa jurisprudence précédente, mais qui ne limite pas le contenu de ce principe dans le sens retenu par l’arrêt A et B c. Norvège, ni en application de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

E.   Réponse à la question préjudicielle

95.

Après cette longue mais inévitable analyse de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour concernant le principe non bis in idem, je reviens au cas Menci pour examiner la question de la juridiction a quo.

96.

Sur la base de la jurisprudence Åkerberg Fransson, je pourrais proposer à la Cour d’offrir une réponse très simple, mais assurément peu utile à la juridiction de renvoi : il suffirait de lui rappeler l’arrêt précité et de l’inviter à appliquer elle-même les critères Engel, sans lui fournir d’autres éléments d’évaluation.

97.

Néanmoins, je pense que, compte tenu des divergences entre les différentes juridictions italiennes concernant les répercussions de l’arrêt Åkerberg Fransson ( 81 ) et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière, et surtout après le revirement de jurisprudence marqué par l’arrêt A et B c. Norvège, la Cour devrait aller plus loin pour permettre aux juridictions nationales d’appliquer l’article 50 de la Charte dans les litiges qui leur sont soumis.

98.

Sur le fondement de cette prémisse, je me propose de rechercher successivement s’il existe, dans la question préjudicielle posée : a) une identité entre les faits faisant l’objet de la procédure ; et b) deux procédures de sanction. L’identité de la personne et le caractère définitif de la sanction sont clairement établis dans un cas tel que celui de l’espèce et n’appellent pas de précisions supplémentaires. Enfin, j’aborderai la possibilité d’accepter des exceptions à l’interdiction posée par l’article 50 dans le sens indiqué par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt A et B. c. Norvège ou par la voie ouverte par la Cour avec la jurisprudence Spasic ( 82 ).

1. L’identité des faits

99.

En ce qui concerne la partie « idem » du principe non bis in idem, à savoir l’identité des faits, la jurisprudence de la Cour (notamment celle qui porte sur l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen) et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme postérieure à l’arrêt Zolotoukhine c. Russie ( 83 ) dégagent des solutions qui peuvent être transposées à l’application de l’article 50 de la Charte en cas de cumul de sanctions fiscales et pénales pour cause de non-paiement de la TVA .

100.

Selon la thèse dominante de cette jurisprudence, l’interdiction de la double peine concerne les mêmes faits matériels (idem factum), compris comme étant un ensemble de circonstances concrètes indissolublement liées entre elles, indépendamment de leur qualification juridique (idem crimen) ou de l’intérêt juridique protégé.

101.

La juridiction de renvoi doit se prononcer, conformément à la règle exposée, sur la question de savoir si les sanctions fiscales pour non-paiement de la TVA et les sanctions pénales pour non-versement de la TVA due annuellement s’appliquent à des faits identiques.

102.

Dans ses observations écrites, le gouvernement de la République tchèque estime que cette identité devrait être interprétée de manière restrictive lorsqu’il s’agit d’un cumul de sanctions fiscales et pénales, conformément à la voie suivie par la Cour dans les affaires de protection de la concurrence ( 84 ). Le gouvernement tchèque renvoie concrètement à la triple condition d’identité des faits, d’unité du contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé ( 85 ).

103.

Bien que, à l’instar d’autres avocats généraux, j’estime que la Cour devrait homogénéiser sa jurisprudence relative à l’application du principe non bis in idem dans le domaine de la protection de la concurrence ( 86 ) avec celle qui s’est développée concernant l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen et autres dispositions de l’espace de liberté, sécurité et justice (ce qui est d’autant plus urgent depuis l’évolution marquée par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Zolotoukhine c. Russie) ( 87 ), je ne pense pas que la différence de nuance soulevée par le gouvernement de la République tchèque soit pertinente en l’espèce. En effet, selon moi, il suffit de rappeler que l’intérêt juridique protégé par les sanctions fiscales prévues pour défaut de paiement de la TVA coïncide avec celui des sanctions pénales prévues pour cette même notion.

104.

L’argument du gouvernement italien présente plus de difficultés. Il invoque en effet à son soutien la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) selon laquelle il n’y a pas d’identité de faits si les sanctions administratives punissent l’absence de versement périodique de la TVA chaque mois, ou trimestre, après la date d’échéance de cet impôt, alors que la sanction pénale punit l’omission du versement de la TVA (pour un montant supérieur à 50000 ou 250000 euros, selon la loi applicable à la date concernée) correspondant à la période annuelle. Pour cette juridiction, en synthèse, la condition de l’identité n’est pas remplie ( 88 ), ce à quoi le gouvernement italien ajoute que le principe non bis in idem concerne uniquement les procédures pénales et, par conséquent, qu’il ne saurait s’appliquer à l’imposition conjointe de sanctions pénales et de sanctions administratives fiscales, de sorte que le droit italien ne contrevient pas à l’article 50 de la Charte ni à l’article 4 du protocole no 7.

105.

La Commission soutient quant à elle dans ses observations écrites une position inverse que je partage, car elle me semble plus adaptée à la jurisprudence de la Cour et de la Cour européenne des droits de l’homme sur le critère de l’identité des faits.

106.

Lorsque l’omission consiste à ne pas satisfaire à l’obligation de verser la dette fiscale relative à la TVA, c’est l’ensemble des circonstances factuelles concrètes, indissociablement unies dans le temps et l’espace et qui impliquent un même contrevenant, qu’il importe d’examiner. Or, tant dans le cas des infractions fiscales que dans celui des infractions pénales du litige au principal, les différences qui, selon le gouvernement italien, sont à l’origine de l’application de ces deux types de sanctions ne sont pas de nature factuelle, mais juridique ( 89 ). Le fait matériel est toujours le même, à savoir le non‑paiement de la TVA pour un montant élevé. Outre ces défauts de paiement de la TVA, l’existence d’exigences liées à des obligations de présentation de la déclaration annuelle de la TVA à un seuil minimal et à un délai de référence ne constitue qu’un prérequis juridique et non pas factuel.

107.

La jurisprudence de la Cour (et de la Cour européenne des droits de l’homme) que j’ai précédemment mentionnée ( 90 ) souligne que la qualification juridique des faits ne doit pas être prise en compte lorsque les juges évaluent leur identité. C’est bien l’idem factum et non pas l’idem crimen qui importe en l’espèce. Si le gouvernement italien a raison lorsqu’il relève, dans la ligne de raisonnement des arrêts de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), qu’il y a lieu de considérer une « appréciation concrète » des faits, je ne suis pas convaincu par sa thèse sur la « progression de l’illégalité » dans le comportement constitué par l’absence de paiement de la TVA, qu’il utilise comme fondement à son interprétation selon laquelle, dans ces hypothèses, il n’y a pas d’identité entre les faits doublement sanctionnés. Ainsi, en ce qui concerne M. Menci, les circonstances factuelles concrètes qui ont donné lieu à l’imposition de la sanction fiscale et qui peuvent lui valoir, de surcroît une sanction pénale, sont les mêmes : l’absence de paiement de la TVA correspondant à la période d’imposition comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2011, pour un montant de 282495, 76 euros. La sanction fiscale s’applique à ces faits en utilisant des critères juridiques, alors que la sanction pénale exige une appréciation d’autres éléments juridiques, mais les circonstances factuelles, j’insiste sur ce point, ne sont pas différentes.

108.

Une dernière observation s’impose concernant la compatibilité de l’interprétation que je propose avec l’obligation qui pèse sur les États membres d’appliquer des sanctions effectives, dissuasives et proportionnées, qui garantissent le recouvrement de la TVA et la protection des intérêts financiers de l’Union. Ainsi que je l’ai indiqué, l’utilisation d’un système de double voie pour réprimer les fraudes à la TVA n’est pas nécessairement plus efficace que l’emploi d’un système de voie unique. Si la nécessité de recourir à des doubles procédures et à des doubles sanctions résulte, dans le fond, des déficiences des structures administratives ou judiciaires en matière de répression des fraudes à la TVA, ces objectifs peuvent également être atteints en améliorant ces procédures, et non en sacrifiant le droit fondamental de ne pas être jugé ou condamné pénalement deux fois pour les mêmes faits.

2. Répétition des procédures ou des sanctions

109.

Comme précédemment indiqué, l’article 50 de la Charte, selon l’arrêt Åkerberg Fransson :

est compatible avec l’existence d’un système de double voie (administrative et pénale) pour sanctionner les fraudes résultant du défaut de paiement de la TVA, compte tenu de la liberté des États membres pour choisir les modalités de répression des fraudes à la TVA.

Néanmoins, cet article est incompatible avec la double peine, à titre de sanction (ou procédure) pénale, d’une part, et à titre de sanction (ou procédure) fiscale, d’autre part, lorsqu’il est possible d’affirmer que la sanction fiscale possède réellement une nature pénale, même si elle est qualifiée de sanction administrative par le droit national. Dans cette hypothèse, je réitère que « [c]e n’est que lorsque la sanction fiscale revêt un caractère pénal, au sens de l’article 50 de la Charte, et est devenue définitive ( 91 ) que ladite disposition s’oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes faits soient diligentées contre une même personne» ( 92 ).

110.

En vertu du même arrêt, il revient aux juridictions de renvoi de décider si les sanctions fiscales infligées par l’administration fiscale italienne ont, en réalité, un caractère pénal. Elles devront, ainsi que précédemment indiqué, appliquer elles-mêmes les critères Engel, solution qui présente une certaine logique (car le juge national connaît son droit national mieux que la Cour), mais comporte aussi des risques ( 93 ). Il en résulte qu’il convient d’apporter à ces juridictions des voies d’interprétation supplémentaires pour les aider à mieux préciser, dans leurs litiges respectifs, les contours de ces critères, notamment en ce qui concerne les deuxième et troisième critères.

111.

Le premier critère Engel (la qualification juridique de l’infraction en droit national) est très peu pertinent en l’espèce, car, ainsi que le gouvernement italien l’a expliqué dans ses observations, les sanctions fiscales pour défaut de paiement de la TVA jouissent, nominalement, d’une nature administrative en droit italien, tant en raison de leur dénomination qu’en raison des organes qui les imposent et de la procédure qu’elles suivent. Cela ne doit cependant pas empêcher leur analyse ultérieure au regard des deux autres critères ( 94 ).

112.

Le deuxième critère Engel concerne la nature juridique de l’infraction, dont la vérification incombe au juge national. À cette fin, il peut être guidé, en s’inspirant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme précédemment mentionnée ( 95 ), par un ensemble d’éléments de comparaison, parmi lesquels le domaine subjectif, autrement dit, l’ensemble des destinataires de la règle de qualification de l’infraction. Dans le cas des infractions fiscales pour défaut de paiement de TVA, qui sont administrativement punies par des amendes, les destinataires sont tous les contribuables tenus au paiement de cet impôt, et non pas un groupe déterminé ou fermé de fraudeurs potentiels.

113.

Dans ce contexte, le but de la règle prévoyant la sanction est plus pertinent, ce but étant également invoqué, ainsi que je l’ai déjà indiqué, par la Cour européenne des droits de l’homme ( 96 ) et la Cour dans l’arrêt du 5 juin 2012, Bonda ( 97 ). Le fait que la peine tende à la répression et à la prévention des comportements illicites et non seulement à la réparation des dommages patrimoniaux renforce le caractère pénal de l’infraction. Or, il serait difficile de nier que les règles de sanction en droit fiscal ont à la fois l’objectif de punir les contribuables dont les fraudes ont été détectées et celui de servir d’avertissement ou de prévention pour le reste des contribuables, afin d’éviter qu’ils ne cèdent à la tentation de ne pas payer leurs impôts. D’autre part, de toute évidence, comme les sanctions administratives et pénales constituent le reflet du jus puniendi de l’État, je ne vois pas comment nier (excepté dans le cadre d’une construction artificielle, purement dogmatique) la double vocation préventive et répressive des premières, qui les rend analogues aux sanctions strictement pénales ( 98 ). De surcroît, je pense que toute sanction comporte, en réalité, un composant répressif et que son effet préventif ou dissuasif résulte, précisément, de la punition qu’elle entraîne ( 99 ).

114.

En outre, à l’inverse de ce que soutient le gouvernement italien, l’effet répressif des sanctions fiscales ne disparaît pas du fait que la législation nationale permet, dans certains cas, de réduire leur montant en raison du paiement ultérieur de l’impôt concerné ou autorise l’administration à renoncer à ces sanctions sous certaines conditions ou à conclure des accords et des transactions avec les fraudeurs qui reconnaissent leur culpabilité et ne les contestent pas. Ces dernières mesures, ou d’autres similaires, peuvent également se présenter dans le cadre de procédures pénales ( 100 ), sans que l’on mette pour autant en cause le fait que les sanctions prévues dans le code pénal (ou dans des lois spéciales) pour les délits fiscaux aient cette nature pénale. Les ordres juridiques nationaux peuvent prévoir, par exemple, que la régularisation a posteriori de la situation fiscale implique, sous certaines conditions, soit la disparition du caractère illégal inhérent au manquement initial à l’obligation fiscale (ce qui entraîne par voie de conséquence la disparition du délit pénal), soit l’atténuation de la réponse punitive.

115.

Enfin, il convient d’évaluer un dernier élément, suivant l’interprétation inspirée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir l’intérêt juridique protégé par la règle nationale qui sanctionne l’infraction. Celle-ci aura, en principe, un caractère pénal si son objectif est la sauvegarde des intérêts juridiques dont la protection est normalement garantie au moyen de règles de droit pénal ( 101 ).

116.

Le but des sanctions fiscales pour non-paiement de la TVA est précisément de garantir la collecte adéquate de cet impôt ainsi que la protection simultanée des intérêts financiers des États et de l’Union. Il s’agit donc d’intérêts juridiques qui, dans les cas les plus graves, doivent également être protégés par le droit pénal, ainsi que la Cour l’a répété dans l’arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. ( 102 ), les États étant tenus de réprimer efficacement les fraudes dans ce domaine.

117.

Face à cette obligation, il y aurait lieu de se demander si la meilleure option ne serait pas de cumuler des sanctions fiscales et des sanctions pénales pour les mêmes faits, ce qui, très vraisemblablement, augmenterait l’efficacité en matière de répression des fraudes à la TVA (au moins pour les plus graves d’entre elles). Symétriquement, cette double mise en cause diminuerait l’avantage qu’implique l’application du principe non bis in idem pour les contribuables disposant du plus grand pouvoir économique, si l’on venait à conclure que l’existence d’une sanction administrative empêche de prononcer ultérieurement une sanction pénale pour les mêmes faits ( 103 ).

118.

Cependant, cette objection ne me semble pas convaincante. Il n’est pas nécessaire de cumuler les procédures de sanction administrative et pénale pour les mêmes faits, car une qualification adéquate du comportement frauduleux ou des omissions les plus graves du versement des impôts, jointe à l’action diligente des juridictions pénales dans chaque État membre, assure de manière suffisante la plus grande efficacité dissuasive à leur répression, tout en évitant de porter atteinte à une garantie aussi importante pour le contribuable que le droit de n’être pas jugé ou condamné deux fois pour la même infraction.

119.

Le troisième critère Engel concerne la nature et le degré de sévérité de la sanction. En vertu de l’interprétation donnée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui doit être reprise pour l’interprétation de l’article 50 de la Charte, les juges nationaux doivent se rappeler que, selon la Cour précitée, le fait que le montant des sanctions pécuniaires imposées dans les procédures administratives pour non-paiement des impôts soit modeste ne fait pas obstacle à leur caractère pénal ( 104 ). De fait, l’ordonnance de renvoi préjudiciel affirme que la sanction fiscale de l’article 13 du décret législatif no 471, du 18 décembre 1997 a, par sa nature et son ampleur (30 % du montant de la TVA non versé), un caractère pénal, sans que cela fasse obstacle à ce que d’autres sanctions accroissent ce pourcentage jusqu’à 100 % du montant de la TVA non versée, voire à des montants supérieurs ( 105 ).

3. Les éventuelles restrictions à l’interdiction posée par le principe non bis in idem en l’espèce

120.

À la lumière des éléments de droit décrits dans l’ordonnance émise par la juridiction de renvoi, éléments dont l’appréciation finale incombe à ladite juridiction, les deux procédures engagées contre M. Menci pour un même comportement (défaut de paiement de la TVA) pourraient violer son droit de ne pas être jugé et condamné deux fois pour les mêmes faits.

121.

Après avoir écarté l’idée qu’il y a lieu d’accepter, en ce qui concerne l’application du principe non bis in idem à des cas de fraude fiscale régis par le droit de l’Union, la limitation de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (arrêt Spasic) ( 106 ) je pourrais m’arrêter sans rien ajouter à mon discours.

122.

Néanmoins, dans l’hypothèse où la Cour choisirait d’explorer cette voie, j’estime, à titre subsidiaire, que son éventuelle application à cette affaire ne serait pas possible. La limitation n’est pas nécessaire au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et le cumul des procédures ou des sanctions prévues par le droit national ne respecte pas le critère de proportionnalité nécessaire pour pouvoir relever de l’article précité.

123.

Aux fins d’évaluer la proportionnalité, on pourrait apprécier la coordination entre les différentes procédures, la coopération entre les autorités durant leur déroulement, ainsi que la compensation des sanctions éventuelles. Cependant, ces éléments semblent jouer contre une législation telle que la législation italienne, appliquée à M. Menci. En effet, cette législation : i) ne prévoit pas de coordination entre les procédures pénales et administratives ; ii) n’impose pas une collaboration entre les autorités qui participent à ces procédures, afin d’éviter les perturbations maximales pour le particulier ; et iii) n’instaure pas de mécanisme de coordination ou de compensation des sanctions, en ce qu’elle prévoit uniquement que les sanctions administratives ne sont pas exigibles avant la fin de la procédure pénale.

124.

Toujours à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour déciderait de suivre la voie ouverte par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt A et B. c. Norvège pour interpréter l’article 50 de la Charte, j’estime qu’un cas tel que celui de M. Menci ne relève pas de cet arrêt.

125.

Pour corroborer cette appréciation, il suffit d’indiquer que les éléments du présent cas d’espèce ne semblent pas indiquer de caractère complémentaire ni une instruction combinée des procédures (pénales et administratives) dans l’affaire. Bien que l’appréciation finale des événements survenus incombe au juge de renvoi, tout indique qu’il y a eu une séparation nette entre la procédure administrative de sanction et la procédure pénale. On ne discerne pas non plus de lien temporel étroit entre les deux procédures (plus d’un an d’intervalle les sépare et la procédure pénale a été engagée après la fin de la procédure administrative, une fois la sanction imposée dans cette dernière devenue définitive).

IV. Conclusion

126.

Eu égard aux raisonnements qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Tribunale di Bergamo (tribunal de Bergamo, Italie) comme suit :

L’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :

requiert pour être appliqué qu’il y ait identité des faits matériels qui, indépendamment de leur qualification juridique, servent de fondement à l’adoption des sanctions fiscales et pénales ;

est violé si une procédure pénale est engagée ou si une condamnation pénale est infligée à une personne qui a déjà été punie pour le même fait au préalable par une sanction fiscale définitive lorsque cette dernière, en dépit de son appellation, est en réalité de nature pénale. La juridiction nationale détermine cette circonstance en utilisant les critères suivants : la qualification juridique de l’infraction en droit interne ; sa nature, laquelle est appréciée en tenant compte de l’objectif de la norme, de ses destinataires et de l’intérêt juridique protégé ; ainsi que la nature et le niveau de sévérité de la sanction.


( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105).

( 3 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, ci‑après l’« arrêt A et B c. Norvège »).

( 4 ) Decreto legislativo n. 471 – Riforma delle sanzioni tributarie non penali in materia di imposte dirette, di imposta sul valore aggiunto e di riscossione dei tributo, a norma dell’articolo 3, comma 133, lettera q), della legge 23 dicembre 1996, n. 662 [décret législatif no 471 portant réforme des sanctions fiscales non pénales dans le domaine des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et de la perception des taxes, conformément à l’article 3, paragraphe 133, point q), de la loi no 662, du 23 décembre 1996] (GURI no 5, du 8 janvier 1998, supplément ordinaire no 4).

( 5 ) Decreto legislativo n. 472 – Disposizioni generali in materia di sanzioni amministrative per le violazioni di norme tributarie, a norma dell’articolo 3, comma 133, della legge 23 dicembre 1996, n. 662 [décret législatif no 472 portant dispositions générales en matière de sanctions administratives pour les violations des règles fiscales, conformément à l’article 3, paragraphe 133, de la loi no 662 du 23 décembre 1996], du 18 décembre 1997 (GURI no 5, du 8 janvier 1998, supplément ordinaire no 4), qui prévoit à son article 13 la possibilité de réduction des sanctions dues pour non-versement des impôts.

( 6 ) Decreto legislativo n. 74 – Nuova disciplina dei reati in materia di imposte sui redditi e sul valore aggiunto, a norma dell’articolo 9 della legge 25 giugno 1999, n. 205 [décret législatif no 74 portant nouvelles dispositions en matière d’infractions relatives à l’impôt sur le revenu et à la taxe sur la valeur ajoutée, conformément à l’article 9 de la loi no 205 du 25 juin 1999] (GURI no 76, du 31 mars 2000).

( 7 ) Decreto legislativo n. 158 – Revisione del sistema sanzionatorio, in attuazione dell’articolo 8, comma 1, della legge 11 marzo 2014, n. 23 [décret législatif no 158 portant révision du système de sanctions, conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la loi no 23, du 11 mars 2014] (GURI no 233, du 7 octobre 2015, supplément ordinaire no 55).

( 8 ) L’arrêt relatif à ces deux affaires a été prononcé le 5 avril 2017, Orsi et Baldetti (C‑217/15 et C‑350/15, EU:C:2017:264).

( 9 ) Ces trois affaires portent également sur l’application du principe non bis in idem à des hypothèses de cumul de sanctions pénales et administratives, mais en matière d’abus de marché.

( 10 ) Arrêt du 5 avril 2017, Orsi et Baldetti (C‑217/15 et C‑350/15, EU:C:2017:264).

( 11 ) La note explicative de cet article affirme que « le paragraphe 3 vise à assurer la cohérence nécessaire entre la Charte et la CEDH en posant la règle que, dans la mesure où les droits de la présente Charte correspondent également à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée, y compris les limitations admises, sont les mêmes que ceux que prévoit la CEDH ».

( 12 ) Voir Van Bockel, W. B., The Ne Bis in Idem Principle in EU Law, Kluwer Law International, 2010, et Van Bockel, B. (ed.), Ne Bis in Idem in UE Law, Cambridge University Press, 2016. Voir également Oliver, P., ; Bombois, T., « Ne bis in idem en droit européen : un principe à plusieurs variantes », Journal de droit européen, 2012, p. 266 à 272 ; et Tomkin, J., « Article 50-Right not to be tried or punished twice in criminal proceedings for the same criminal offence », dans The EU Charter of Fundamental Rights : A Commentary, Peers, S., Hervey, T., Kenner, J. et Ward, A., Hart Publishing, Oxford and Portland, Oregon 2014, p. 1373 à 1412.

( 13 ) Voir les conclusions de l’avocat général Kokott présentées le 15 décembre 2011 dans l’affaire Bonda (C‑489/10, EU:C:2011:845, point 33), ainsi que les autres conclusions qui y sont citées.

( 14 ) L’hypothèse débattue en l’espèce était quasiment identique à celle de la présente espèce : M. Åkerberg Fransson avait été sanctionné par la voie administrative pour avoir omis de verser des montants élevés de TVA, et à la fin de cette procédure, une autre procédure avait été ouverte à son encontre, cette fois par la voie pénale, pour les mêmes faits.

( 15 ) La Cour s’est déclarée compétente, car les articles 2, 250, paragraphe 1, et 273 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), ainsi que l’article 325 TFUE s’appliquaient, au motif qu’il s’agissait d’un cas d’application du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Depuis lors, l’application de la Charte à ces affaires ne fait plus aucun doute. En revanche, les sanctions fiscales et pénales prononcées en Italie pour le non-paiement d’impôt sur le revenu n’impliquent pas l’application du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, raison pour laquelle la Cour s’est déclarée manifestement incompétente pour se prononcer sur une question préjudicielle dans l’ordonnance du 15 avril 2015, Burzio (C‑497/14, EU:C:2015:251).

( 16 ) Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 37).

( 17 ) Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 34).

( 18 ) Le règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1) contient en son article 6 des dispositions destinées à garantir le respect du principe non bis in idem qui ont pour objet d’éviter le cumul des sanctions administratives de l’Union avec des sanctions pénales adoptées par des États membres.

( 19 ) Arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 35), et du 5 juin 2012, Bonda (C‑489/10, EU:C:2012:319, point 37). Ce dernier cas portait sur l’existence du cumul d’une procédure pénale, en Pologne, avec des sanctions administratives de l’Union appliquées à des personnes percevant des aides agricoles.

( 20 ) Un auteur a critiqué la différence de positionnement de la Cour entre les affaires Bonda et Åkerberg Fransson. En effet, dans l’affaire Bonda, la Cour a appliqué elle-même les critères Engel pour reconnaître que la sanction administrative infligée aux agriculteurs percevant les aides illégales revêtait un caractère pénal ; à l’inverse, dans l’affaire Åkerberg Fransson (C‑617/10), la Cour a confié au tribunal suédois la charge d’appliquer ces critères. Voir Vervaele, J.A.E., « Ne bis in idem : ¿ Un principio transnacional de rango constitucional en la Unión Europea ? » (« Ne bis in idem : un principe international de rang constitutionnel de l’Union européenne ? »), Indret : Revista para el Análisis del Derecho, 2014, no 1, p. 28.

( 21 ) Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 36). Sur la base de cet arrêt, la Cour suprême suédoise a modifié sa jurisprudence et, dans des arrêts de juin et de juillet 2013, elle a considéré que le droit suédois qui autorisait le cumul de sanctions fiscales et pénales en cas de non-paiement de la TVA était contraire au principe du non bis in idem.

( 22 ) Arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555, point 39).

( 23 ) Voir arrêts du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555, point 37) ; du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 26), ainsi que la jurisprudence qui y est citée. Cette même obligation figure à l’article 2 de la Convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Luxembourg le 26 juillet 1995 (JO 1995, C 316, p. 48). Après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, son contenu devrait être communautarisé, mais la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre la fraude qui affecte les intérêts financiers de l’Union par l’intermédiaire du droit pénal [COM(2012) 363 final], du 11 juillet 2012, n’a toujours pas été adoptée. Cependant, suite à l’accord politique du Conseil du 7 février 2017, il semble que l’adoption de ce texte important puisse survenir à brève échéance.

( 24 ) Arrêt du 5 juin 2012, Bonda (C‑489/10, EU:C:2012:319).

( 25 ) Lenaerts, K., et Gutiérrez-Fons. J. A., « The place of the Charter in the EU Constitutional Edifice », dans Peers, S., Hervey, T., Kenner, J., et Ward, A., The EU Charter of Fundamental Rights : A Commentary, Hart Publishing, Oxford and Portland, Oregon 2014, p. 1600.

( 26 ) L’influence de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen s’était fait sentir au préalable dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment dans l’arrêt du 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie (CE:ECHR:2009:0210JUD001493903), auquel je renverrai un peu plus loin.

( 27 ) La Cour européenne des droits de l’homme, en renvoyant expressément à l’arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105), a également mentionné la convergence des deux juridictions européennes sur l’appréciation du caractère pénal d’une procédure fiscale et, a fortiori, sur l’utilisation du principe non bis in idem dans les domaines fiscal et pénal. Voir à cette fin l’arrêt du 30 avril 2015, Kapetanios e.a. c. Grèce (CE:ECHR:2015:0430JUD000345312, § 73).

( 28 ) Voir Garin, A., « Non bis in idem et Convention européenne des droits de l’homme. Du nébuleux au clair-obscur : état des lieux d’un principe ambivalent », Revue trimestrielle de droits de l’homme, 2016, p. 402 à 410.

( 29 ) Voir Cour EDH, 26 avril 2005, Põder e.a. c. Estonie (CE:ECHR:2005:0426DEC006772301), confirmé par Cour EDH, 2 novembre 2010, Liepãjnieks c. Lettonie (CE:ECHR:2010:1102DEC003758606, § 45).

( 30 ) Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens e. a. c. Italie (CE:ECHR:2014:0304JUD001864010, § 204 à 211).

( 31 ) Cour EDH, 14 septembre 1999, Ponsetti et Chesnel c. France, (CE:ECHR:1999:0914DEC003685597).

( 32 ) Convention d’application de l’accord de Schengen, signé à Schengen, le 19 juin 1990 (JO 2000, L 239, p. 19). Voir, entre autres, les arrêts du 11 février 2003, Gözütok et Brügge (C‑187/01 et C‑385/01, EU:C:2003:87) ; du 10 mars 2005, Miraglia (C‑469/03, EU:C:2005:156) ; du 9 mars 2006, Van Esbroeck (C‑436/04, EU:C:2006:165) ; du 28 septembre 2006, Van Straaten (C‑150/05, EU:C:2006:614), et du 27 mai 2014, Spasic (C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586).

( 33 ) Cour EDH, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie (CE:ECHR:2009:0210JUD001493903).

( 34 ) Cour EDH, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie (CE:ECHR:2009:0210JUD001493903, § 82 et 84).

( 35 ) Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens e.a. c. Italie (CE:ECHR:2014:0304JUD001864010, § 219 à 228) ; Cour EDH, 20 mai 2014, Nykänen c. Finlande (CE:ECHR:2014:0520JUD001182811, § 42) ; Cour EDH, 27 janvier 2015, Rinas c. Finlande (CE:ECHR:2015:0127JUD001703913, § 44 et 45), et Cour EDH, 30 avril 2015, Kapetanios e.a. c. Grèce (CE:ECHR:2015:0430JUD000345312, § 62 à 64).

( 36 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 108).

( 37 ) Une doctrine parle de « criministrative law ». Voir, par exemple, Bailleux, A., « The fiftieh shade of grey. Competition law, criministrative law and fairly fair trial, dans Galli, F ; Weyembergh, A. (eds), Do labels still matter ? Blurring boundaries between administrative and criminal law. The influence of the EU, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2014, p. 137.

( 38 ) Cour EDH, 8 juin 1976, Engel e. a. c. Pays-Bas (CE:ECHR:1976:0608JUD000510071, § 82).

( 39 ) Cour EDH, 10 février 2015, Kiiveri c. Finlande (CE:ECHR: 2015:0210JUD005375312, § 30 et jurisprudence citée).

( 40 ) Voir, entre autres, Cour EDH, 9 juin 2016, Sismanidis et Sitaridis c. Grèce (CE:ECHR:2016:0609JUD006660209, § 31), et Cour EDH, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande (CE:ECHR:2006:1123JUD007305301 § 30 et 31).

( 41 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 105 à 107).

( 42 ) Cour EDH, 2 septembre 1998, Lauko c. Slovaquie (CE:ECHR:1998:0902JUD002613895, § 58).

( 43 ) Cour EDH, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande (CE : ECHR:2006:1123JUD007305301, § 38).

( 44 ) Cour EDH, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie (CE:ECHR:2009:0210JUD001493903, § 55), et Cour EDH, 25 juin 2009, Maresti c. Croatie (CE:ECHR: 2009:0625JUD005575907, § 59).

( 45 ) Cour EDH, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie (CE:ECHR:2009:0210JUD001493903, § 55), et Cour EDH, 25 juin 2009, Maresti c. Croatie (CE:ECHR: 2009:0625JUD005575907, § 59).

( 46 ) Cour EDH, 8 juin 1976, Engel e.a. c. Pays-Bas (CE:ECHR:1976:1123JUD000510071 § 82).

( 47 ) Cour EDH, 31 mai 2011, Žugić c. Croatie (CE:ECHR:2011:0531JUD000369908, § 68).

( 48 ) Voir, entre autres, Cour EDH, 20 mai 2014, Nykänen c. Finlande (CE:ECHR:2014:0520JUD001182811) ; Cour EDH, 20 mai 2014, Häkkä c. Finlande (CE:ECHR:2014:0520JUD000075811) ; Cour EDH, 10 février 2015, Kiiveri c. Finlande (CE:ECHR:2015:0210JUD005375312), et Cour EDH, 30 avril 2015, Kapetanios e.a. c. Grèce (CE:ECHR:2015:0430JUD000345312).

( 49 ) Cour EDH, 23 novembre 2006, Jussila contre Finlande (CE: ECHR:2006:1123JUD007305301, § 37 et 38) ; Cour EDH, 20 mai 2014, Nykänen c. Finlande (CE:ECHR:2014:0520JUD001182811, § 40), et Cour EDH, 10 février 2015, Kiiveri c. Finlande (CE:ECHR:2015:0210JUD005375312, § 31).

( 50 ) Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens e.a. c. Italie, (CE:ECHR:2014:0304JUD001864010, § 98) ; Cour EDH, 11 septembre 2009, Dubus S.A. c. France (CE:ECHR:2009:0611JUD00052404, § 37), et Cour EDH, 30 avril 2015, Kapetanios e.a. c. Grèce (CE:ECHR:2015:0430JUD000345312, § 55).

( 51 ) Cour EDH, 18 octobre 2011, Tomasovic c. Croatie (CE:ECHR:2011:1018JUD005378509, § 23).

( 52 ) Cour EDH, 18 octobre 2001, Finkelberg c. Lettonie (CE:ECHR:2001:1018DEC005509100).

( 53 ) Dans les arrêts considérés, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’il y avait violation du principe non bis in idem, car les autorités fiscales ont infligé des amendes ou des hausses d’impôts lorsque la juridiction pénale a disculpé les contrevenants dans des procédures parallèles ou consécutives : voir arrêts du 30 avril 2015, Kapetanios e.a. c. Grèce (CE:ECHR:2015:0430JUD000345312) ; et du 9 juin 2016, Sismanidis et Sitaridis c. Grèce (CE:ECHR:2016:0609JUD006660209).

( 54 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 119).

( 55 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 130).

( 56 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 132) : « Les éléments pertinents […] sont notamment les suivants. » (mis en italique par nos soins). L’énumération des critères n’est donc pas exhaustive, ainsi que l’indique le gouvernement de la République tchèque dans sa réponse aux questions écrites de la Cour.

( 57 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 133).

( 58 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 134).

( 59 ) Cour EDH, 18 mai 2017, Jóhannesson e.a. c. Islande (CE:ECHR:2017:0518JUD002200711).

( 60 ) Comme précédemment indiqué, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a neutralisé, en grande partie, les effets des réserves ou les déclarations de certains États (Italie, entre autres) au sujet de l’article 4 du protocole no 7.

( 61 ) Je rappellerai que l’avocat général Cruz Villalón avait défendu au point 85 de ses conclusions dans l’affaire Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2012:340) une interprétation partiellement autonome de l’article 50 de la Charte, après avoir affirmé que « l’obligation d’interpréter la charte à la lumière de la CEDH doit être nuancée lorsque le droit fondamental en question, ou un aspect de celui-ci (comme c’est le cas de l’applicabilité de l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH à la double sanction administrative et pénale), n’a pas été pleinement repris par les États membres ». Voir, dans le même contexte, Van Bockel, B., Wattel, P., « New Wine into Old Wineskins : The Scope of the Charter of Fundamental Rights of the EU after Åkerberg Fransson », European Law Review, 2013, p. 880.

( 62 ) Il est vrai qu’un État membre peut être amené, par cette voie, à respecter les règles d’un protocole (ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui l’interprète), mais uniquement dans la mesure où ces règles sont « intégrées » dans le contenu du droit protégé par la Charte dans les domaines couverts par l’article 51 de celle-ci. Bien évidemment, un État membre ne peut invoquer l’absence de ratification ou les réserves formulées sur un protocole annexe à la CEDH comme motif pour ne pas appliquer un droit réglementé par la Charte, dont le contenu est similaire au droit correspondant protégé en vertu de ce protocole.

( 63 ) Cet avis a aussi été défendu par l’avocat général Jääskinen dans sa prise de position présentée le 2 mai 2014, dans l’affaire Spasic (C‑129/14 PPU, EU:C:2014:739, point 63).

( 64 ) L’arrêt A et B c. Norvège, adopté par une large majorité des juges de la grande chambre (16 sur 17), comporte l’avis dissident du juge Pinto de Alburquerque, qui la critique dans des termes particulièrement sévères.

( 65 ) Ce qui explique les réserves formulées pour l’article 4 du protocole no 7.

( 66 ) La note explicative de l’article 52 indique que, selon la règle d’interprétation du paragraphe 4, « plutôt que de suivre une approche rigide du “plus petit dénominateur commun”, il convient d’interpréter les droits en cause de la Charte d’une manière qui offre un niveau élevé de protection, adapté au droit de l’Union et en harmonie avec les traditions constitutionnelles communes ».

( 67 ) La Cour européenne des droits de l’homme cite, dans l’arrêt A et B c. Norvège, certains précédents, notamment l’arrêt du 13 décembre 2015, Nilsson c. Suède (CE:ECHR:2005:1213DEC007366101), dans lesquels elle aurait invoqué un lien matériel et temporel entre diverses procédures de sanction. Néanmoins, je pense que c’est réellement dans l’arrêt A et B c. Norvège que le revirement de jurisprudence majeur se produit.

( 68 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 130).

( 69 ) Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 119 à 124). Sur le fondement de l’autonomie des États pour organiser leur système juridique, la Cour européenne des droits de l’homme affirme que ces derniers doivent être libres d’apporter des réponses juridiques complémentaires à un même fait illicite, au moyen de procédures différentes gérées par des autorités différentes, à condition qu’elles forment un tout cohérent et qu’elles n’impliquent pas une charge excessive pour la personne concernée. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme admet que l’article 4 du protocole no 7 ne doit pas empêcher les États qui sont confrontés à des infractions fiscales de réagir avec une procédure administrative de sanction et une procédure pénale pour fraude fiscale, si le développement de ces procédures et les sanctions qu’elles imposent se complètent suffisamment.

( 70 ) Sur ce point, la Cour européenne des droits de l’homme fonde son raisonnement sur les conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2012:340), point 70, qui se faisait l’écho des disparités entre les droits nationaux et faisait référence aux racines du cumul de sanctions administratives et pénales dans les droits nationaux de nombreux États.

( 71 ) Voir arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10 : EU:C:2013:105, point 44) ; du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 45) ; du 28 juillet 2016, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑543/14, EU:C:2016:605, point 23) ; du 6 octobre 2016, Paoletti e.a. (C‑218/15, EU:C:2016:748, point 21), et du 5 avril 2017, Orsi et Baldetti (C‑217/15 et C‑350/15, EU:C:2017:264, point 15).

( 72 ) Les explications relatives à l’article 52 de la Charte indiquent que le paragraphe 3 de cet article entend garantir la cohérence nécessaire entre la Charte et la CEDH, « sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne » : voir arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 47). Ainsi que le prévoit l’article 52, paragraphe 3, deuxième phrase, de la Charte, la première phrase de ce même paragraphe ne s’oppose pas à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue que la CEDH : voir arrêt du 21 décembre 2016, Tele2 Sverige et Watson e.a. (C‑203/15 et C‑689/15, EU:C:2016:970, point 129).

( 73 ) Arrêts du 5 avril 2017, Orsi et Baldetti (C‑217/15 et C‑350/15, EU:C:2017:264, point 24), et, par analogie, du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 77).

( 74 ) Il n’est même pas possible de déroger à l’article 4 du protocole no 7 en application de la clause générale de l’état d’exception prévu par l’article 15 de la CEDH, lequel prévoit une situation de guerre ou autre danger public menaçant la vie de la nation.

( 75 ) Arrêt du 27 mai 2014, Spasic (C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586, point 55).

( 76 ) Arrêt du 27 mai 2014, Spasic (C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586, point 56).

( 77 ) Arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555, point 40).

( 78 ) Dans ces hypothèses, la législation prévoit habituellement le renvoi du dossier de l’administration fiscale vers le ministère public, afin que celui-ci engage la procédure pénale, et la procédure administrative de sanction prend fin sans que des sanctions fiscales ne soient infligées.

( 79 ) Les critères pour déterminer l’article à appliquer dépendent des codes pénaux correspondants ou des lois nationales qui leur sont assimilées. Parmi ces critères, on trouve celui de spécialité (la règle spéciale prévaut sur la règle générale), celui de la subsidiarité (la règle subsidiaire s’applique en cas de défaut de la règle principale) ou celui de l’absorption (l’infraction la moins sanctionnée est absorbée par l’infraction la plus sanctionnée).

( 80 ) Il est quasiment inutile de dire que la réponse répressive – ou l’acquittement de l’accusé – n’a pas d’incidence sur les facultés de l’administration fiscale de liquider l’impôt dû, en ajoutant à celui-ci, le cas échéant, les intérêts de retard ou d’autres intérêts qui n’ont pas une nature matériellement pénale.

( 81 ) Cette situation est reprise, parmi tant d’autres, par Dova, M., « Ne bis in idem e reati tributari : a che punto siamo ? », Diritto penale contemporaneo, 9 février 2016 ; Viganò, F., « Omesso versamento di IVA e diretta applicazione delle norme europee in materia di ne bis in idem ? », Diritto penale contemporaneo, 11 juillet 2016.

( 82 ) Arrêt du 27 mai 2014, Spasic (C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586).

( 83 ) Cour EDH, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie (CE:ECHR:2009:0210JUD001493903).

( 84 ) Le principe non bis in idem doit être respecté dans le cadre du droit de la concurrence et interdit qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 59).

( 85 ) Voir arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 338), et du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, point 97).

( 86 ) Lors de l’audience, la Commission a engagé la Cour à ne pas se prononcer sur la condition de l’idem en imposant l’examen de l’idem factum de manière générale pour tous les domaines du droit de l’Union. Selon elle, dans des domaines comme celui du droit de la concurrence, dans lesquels une procédure administrative nationale de sanction peut coexister avec une procédure engagée par la Commission, il y aurait lieu d’admettre le critère de l’idem crimen pour apprécier l’identité des faits, aux fins de l’application du principe non bis in idem. L’unité de l’intérêt juridique protégé serait, par conséquent, pertinent et la Commission a demandé à la Cour de s’abstenir en l’espèce de modifier la jurisprudence mentionnée dans la note précédente, jusqu’à l’arrivée d’autres affaires plus adaptées pour débattre de la question.

( 87 ) Cour EDH, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie (CE:ECHR:2009:0210JUD001493903).

( 88 ) Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), cassation pénal, assemblée plénière, no 37424, du 12 septembre 2013. Selon le raisonnement de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), « […] S’agissant de l’infraction administrative visée à l’article 13, paragraphe 1 du décret législatif du 18 décembre 1997, no 471, la condition préalable est la réalisation d’opérations imposables emportant l’obligation d’effectuer le versement périodique de la TVA […], l’omission est constituée par l’absence de versement périodique de la TVA, le délai pour satisfaire cette obligation étant fixé au 16 du mois (ou trimestre) suivant celui où la TVA est exigible. S’agissant de l’infraction pénale visée à l’article 10-ter du décret législatif du 10 mars 2000, no 74, la condition préalable peut être aussi bien la réalisation d’opérations imposables emportant l’obligation d’effectuer le versement périodique de la TVA […], que la présentation […] de la déclaration annuelle de la TVA relative à l’année précédente ; l’omission est constituée par l’absence de versement, pour un montant supérieur à 50000 euros, de la TVA due sur la base de la déclaration annuelle, le délai pour satisfaire cette obligation étant celui prévu pour le versement de l’acompte de la TVA relatif à la période d’imposition ultérieure. »

( 89 ) Pour la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), les conditions coïncident en partie (réalisation d’opérations imposables qui font naître l’obligation de verser périodiquement la TVA), tout comme le comportement sanctionnable (omission d’un ou de plusieurs versements périodiques dus), mais les éléments constitutifs des deux types d’infractions divergent sur d’autres aspects, qu’elle qualifie d’essentiels (la présentation de la déclaration annuelle de la TVA et le seuil minimal de l’omission, exigés uniquement dans le cas du délit fiscal, et la période de référence). C’est pourquoi elle estime que la relation entre les deux types d’infractions s’articule en termes de « progression », de sorte que l’infraction pénale constitue substantiellement une infraction beaucoup plus grave que l’infraction administrative. Même en englobant nécessairement cette dernière (sans manquement à l’obligation du délai périodique, il manquerait l’une des conditions du délit), elle la complète avec des éléments essentiels, tels que le seuil et le prolongement du délai, qui ne relèvent pas parfaitement de la catégorie de la spécialité (si cette dernière était appliquée, on n’examinerait que l’infraction pénale).

( 90 ) Voir les points 39 à 42 des présentes conclusions.

( 91 ) Dans le litige à l’origine de la présente question préjudicielle, il ne semble pas y avoir de doutes sur le caractère définitif des sanctions infligées par les autorités italiennes. Néanmoins, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si, conformément au droit national, les décisions de l’autorité fiscale italienne ont un caractère définitif et si elles ont tranché l’affaire au fond.

( 92 ) Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 34).

( 93 ) Les juges d’un même État membre peuvent parvenir à des solutions différentes et même contradictoires. En Italie, comme il a été rappelé, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a jugé que l’arrêt Åkerberg Fransson et les critères Engel étaient compatibles avec le système de double voie (administrative et pénale) de sanction pour les fraudes constituées par le défaut de paiement de la TVA, alors que la juridiction de renvoi semble avoir une position inverse.

( 94 ) Voir le point 46 des présentes conclusions.

( 95 ) Voir le point 47 des présentes conclusions.

( 96 ) Voir les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les notes 43 et 44 susmentionnées.

( 97 ) Arrêt du 5 juin 2012, Bonda (C‑489/10, EU:C:2012:319, points 39 à 42).

( 98 ) Voir, entre autres, Cour EDH, 20 mai 2014, Nykänen c. Finlande (CE:ECHR:2014:0520JUD001182811, § 39 et 40) ; Cour EDH, 10 février 2015, Häkkä c. Finlande (CE:ECHR:2014:0520JUD000075811, § 38 et 39) ; Cour EDH, 10 février 2015, Kiiveri c. Finlande (CE:ECHR:2015:0210JUD005375312), et Cour EDH, 30 avril 2015, Kapetanios e.a. c. Grèce (CE:ECHR:2015:0430JUD000345312). La doctrine qualifie ces mesures de « punitive administrative sanctions » (sanctions administratives punitives), en indiquant qu’elles partagent l’objectif punitif des sanctions pénales tel qu’il est compris au sens large ainsi que le contenu de ces dernières, sous la forme du paiement d’une somme d’argent et/ou de la privation d’un droit comme par exemple celui d’exercer une profession ou de participer à des marchés publics (Weyembergh, A., et Joncheray, N., « Punitive Administrative Sanctions and Procedural Safeguards : A Blurred Picture That Needs to Be Addressed », New Journal of European Criminal Law, 2016, no 2, p. 194 à 199 ; Caeiro, P., « The influence of the EU on the blurring between administrative and criminal law », dans Galli, F. ; Weyembergh, A. (eds), Do labels still matter ? Blurring boundaries between administrative and criminal law. The influence of the EU, éditions de l’Université de Bruxelles, 2014, p. 174).

( 99 ) Le débat académique (parfois même philosophique) sur le fondement, la justification et la finalité – ou les finalités – des peines dure depuis des siècles, avec des théories divergentes, dont certaines mettent l’accent sur leurs éléments répressifs et d’autres sur leurs effets préventifs (prévention générale ou prévention spéciale) ou d’intimidation. Une controverse analogue, plus récente dans l’histoire, mais qui n’est pas non plus achevée, porte sur la question de savoir s’il existe des critères qualitatifs qui conduisent à distinguer entre les infractions pénales et les infractions purement administratives, débat sur lequel il n’y a pas non plus de consensus. Il est réellement difficile de discerner ces critères qualitatifs lorsque, dans le cas des infractions et des délits fiscaux comme ceux du cas d’espèce, le défaut de paiement de la TVA pour un montant supérieur à 250000 euros a un caractère délictuel et le même défaut de paiement, pour un montant de 249000 euros, ne présente pas ce caractère.

( 100 ) Le gouvernement italien l’a reconnu dans le compte rendu d’audience, car son droit reconnaît le renoncement (total ou partiel) à l’exercice de l’action pénale dans certains cas, sous certaines conditions, ainsi que la possibilité d’adoption de « décisions concertées » entre le ministère public et l’accusé qui évitent la tenue d’un procès. Il existe dans certains États membres des mécanismes destinés à réduire la peine des personnes mises en examen qui, postérieurement à l’ouverture de la procédure pénale, règlent la dette fiscale ou collaborent dans le cadre de l’enquête judiciaire.

( 101 ) Voir les arrêts de la cour européenne des droits de l’homme cités en note 45 des présentes conclusions.

( 102 ) Arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e. a. (C‑105/14, EU:C:2015:555, point 40).

( 103 ) L’application d’une sanction fiscale, définitive, à la fraude rendrait non viable la sanction pénale ultérieure, partant, les contribuables les plus riches seraient tentés d’omettre de régler la TVA, sachant qu’ils s’exposent uniquement au paiement d’une amende, mais pas à des sanctions pénales, en cas de découverte par l’administration fiscale de leur comportement illicite.

( 104 ) Cour EDH, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande (CE:ECHR:2006:1123JUD007305301, § 37 à 38) ; Cour EDH, 20 mai 2014, Nykänen c. Finlande (CE:ECHR:2014:0520JUD001182811, § 40), et Cour EDH, 10 février 2015, Kiiveri c. Finlande (CE:ECHR:2015:0210JUD005375312, § 31).

( 105 ) J’ai déjà rappelé, en outre, que la nature et le degré de gravité de la sanction doivent être appréciés en évaluant la possibilité de leur application intégrale, à savoir sans tenir compte du montant final qui pourrait résulter, dans un cas particulier, des réductions accordées par l’administration fiscale. Voir Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens e.a. c. Italie (CE:ECHR:2014:0304JUD001864010, § 98) ; Cour EDH, 11 septembre 2009, Dubus SA c. France (CE:ECHR:2009:0611JUD000524204, § 37), et Cour EDH, 30 avril 2015, Kapetanios e.a. c. Grèce (CE:ECHR:2015:0430JUD000345312, § 55).

( 106 ) Arrêt du 27 mai 2014, Spasic (C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586).