CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NIILO JÄÄSKINEN
présentées le 16 juillet 2015 ( 1 )
Affaire C‑617/13 P
Repsol Lubricantes y Especialidades, SA, (anciennement Repsol Lubricantes YPF y Especialidades, SA)
Repsol Petróleo, SA
Repsol, SA
contre
Commission européenne
«Pourvoi — Ententes — Marché espagnol du bitume routier — Notion des faits ‘précédemment ignorés’ au sens du point 23, dernier alinéa de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant»
I – Introduction
1. |
Par leur pourvoi, Repsol Lubricantes y Especialidades, SA, Repsol Petróleo, SA, et Repsol SA (ci-après «Repsol e.a.») demandent à la Cour l’annulation de l’arrêt Repsol Lubricantes y Especialidades e.a./Commission (T‑496/07, ci-après l’«arrêt attaqué») ( 2 ), par lequel le Tribunal a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2007) 4441 final de la Commission ( 3 ) (ci-après la «décision litigieuse») ainsi que leur demande subsidiaire de réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée ( 4 ). |
2. |
Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse du deuxième moyen du pourvoi qui soulève, en substance, une question d’interprétation de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes dans sa version de l’année 2002 ( 5 ) (ci-après la «communication sur la clémence de 2002»). |
II – Cadre juridique
3. |
Sous le titre B de la communication sur la clémence de 2002, intitulé «Réduction du montant de l’amende», le point 23 prévoit: «Dans toute décision finale arrêtée au terme de la procédure administrative, la Commission déterminera:
Pour définir le niveau de réduction à l’intérieur de ces fourchettes, la Commission prendra en compte la date à laquelle les éléments de preuve remplissant la condition énoncée au point 21 ont été communiqués et le degré de valeur ajoutée qu’ils ont représenté. Elle pourra également prendre en compte l’étendue et la continuité de la coopération dont l’entreprise a fait preuve à partir de la date de sa contribution. En outre, si une entreprise fournit des éléments de preuve de faits précédemment ignorés de la Commission qui ont une incidence directe sur la gravité ou la durée de l’entente présumée, la Commission ne tiendra pas compte de ces faits pour fixer le montant de l’amende infligée à l’entreprise qui les a fournis.» |
III – Les antécédents du litige
4. |
Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 91 de l’arrêt attaqué auquel il est fait référence. |
5. |
Pour autant que de besoin, il suffit de rappeler que, le 20 juin 2002, British Petroleum (ci-après «BP») a présenté une demande de clémence au titre de la communication sur la clémence de 2002, concernant l’ensemble d’accords contraires à l’article 101 TFUE sur le marché du bitume de pénétration en Espagne ( 6 ). Le 31 mars 2004, Repsol e.a. ont présenté une demande de réduction de l’amende en vertu de la même communication. |
6. |
Le 3 octobre 2007, la Commission a adopté la décision litigieuse. La Commission a reconnu à BP le droit à l’immunité de l’amende qui aurait normalement dû lui être infligée après avoir constaté qu’elle avait satisfait aux conditions énoncées au point 11 de la communication sur la clémence de 2002 ( 7 ). S’agissant de la demande de Repsol e.a., la Commission leur a appliqué une réduction de 40 % du montant de l’amende qui aurait dû normalement leur être infligée ( 8 ). Par conséquent, Repsol e.a. ont été déclarées conjointement et solidairement responsables du paiement de 80496000 euros de l’amende. |
7. |
Par requête déposée devant le Tribunal de première instance entre le 18 et 20 décembre 2007, Repsol e.a. ont contesté le contenu de la décision litigieuse et demandé son annulation partielle ou totale. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté dans leur ensemble les huit moyens présentés à l’appui de leurs conclusions en annulation et en réformation. |
IV – Procédure devant la Cour et les conclusions des parties
8. |
Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 novembre 2013, Repsol e.a. ont formé un pourvoi par lequel elles demandent à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et la décision litigieuse; de réduire le montant de l’amende; de constater la durée excessive et injustifiée de la procédure juridictionnelle devant le Tribunal, et de condamner la Commission aux dépens. La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi, et de condamner Repsol e.a. à l’ensemble des dépens. |
9. |
Devant la Cour, les parties ont exposé leur position par écrit et ont été entendues à l’audience qui s’est tenue le 15 avril 2015. |
V – Sur le deuxième moyen
A – Arguments des parties
10. |
Par le deuxième moyen de leur pourvoi, Repsol e.a. reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit aux points 339 à 349 de l’arrêt attaqué en ce qu’il aurait validé l’interprétation et l’application par la Commission de la notion des «faits précédemment ignorés» au sens du point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002. Or, ledit point ne ferait pas référence à une simple possession physique de documents, mais exigerait la prise en compte d’un critère distinct que Repsol e.a. qualifient de «critère cognitif». |
11. |
Repsol e.a. soulignent que c’est leur récit des faits qui aurait permis à la Commission de connaître la durée réelle de l’entente, à savoir que celle-ci se serait poursuivie non pas jusqu’en 1998, ainsi que BP en avait informé la Commission, mais jusqu’en 2002. En conséquence, Repsol e.a. ne devraient pas se voir infliger une amende pour la période allant de 1998 jusqu’en 2002. |
12. |
En outre, la motivation de l’arrêt attaqué serait entachée d’une confusion à l’égard de l’argumentation juridique avancée par Repsol e.a. en première instance. Le point 343 de l’arrêt attaqué justifiant l’inapplication du point 23 de la communication sur la clémence de 2002 ne répondrait pas à l’argumentation de Repsol e.a. selon laquelle non seulement Repsol e.a. auraient produit dans leur demande de clémence des documents prouvant la durée réelle de l’entente, mais ce serait leur relation des faits qui aurait permis à la Commission de découvrir que BP avait omis de dire la vérité concernant la durée de l’entente. |
13. |
Pour sa part, la Commission soutient que ce moyen est irrecevable. En effet, vu le moyen invoqué par Repsol e.a. en première instance (section 3.3 de la requête) ( 9 ), elles n’auraient jamais avancé qu’elles devaient bénéficier d’une réduction sur la base de l’application d’un critère dit «cognitif». |
14. |
La Commission estime que le moyen est en tout état de cause non fondé. Elle rappelle que la conclusion du Tribunal, selon laquelle la Commission avait déjà été informée de l’existence de l’entente depuis une certaine date, constitue une constatation de fait relevant du pouvoir d’appréciation du Tribunal ( 10 ). Elle relève enfin que, au regard du point 7 de la communication sur la clémence de 2002, la réduction d’une amende doit se limiter aux entreprises qui fournissent à la Commission des éléments de preuve qui confèrent une valeur ajoutée aux informations déjà en sa possession. Au demeurant, le critère préconisé par Repsol e.a. serait difficile, pour ne pas dire impossible, à appliquer. |
B – Sur la recevabilité du deuxième moyen
15. |
Vu les allégations de la Commission selon lesquelles le deuxième moyen du pourvoi constituerait un moyen nouveau, il convient tout d’abord de se prononcer sur la recevabilité du présent moyen. |
16. |
À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 58 du statut de la Cour de justice que les moyens du pourvoi doivent être fondés sur des arguments tirés de la procédure devant le Tribunal. En outre, selon l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, une partie ne saurait modifier l’objet du litige en soulevant pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle aurait pu soulever devant le Tribunal, mais qu’elle n’a pas soulevé, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Un tel moyen doit donc être considéré comme irrecevable au stade du pourvoi ( 11 ). |
17. |
S’agissant de la requête en première instance, il importe de relever que sa section 3.3.1 était intitulée «erreur manifeste d’appréciation du pourcentage de réduction au titre de la coopération avec la Commission, dans le cadre de la communication sur la clémence». Il ressort du point 147 de la requête, figurant dans ladite section, que Repsol e.a., tout en indiquant avoir été la deuxième entreprise à présenter une demande de clémence, afin d’obtenir une réduction de l’amende, ont clairement visé le point 23 de la communication sur la clémence de 2002 en reprochant à la Commission de ne pas avoir tenu compte de la valeur ajoutée des informations fournies et de la date à laquelle la demande de clémence a été présentée. |
18. |
De plus, il résulte des points 150 à 157 de la requête que cette problématique a été soumise à un débat au fond en première instance, quand bien même elle n’aurait pas été discutée sous l’appellation de critère dit «cognitif». Ainsi, en particulier, au point 156 de la requête en première instance, la décision litigieuse a clairement été critiquée en ce qu’elle n’aurait pas fait application du point 23 de la communication sur la clémence de 2002. En outre, au point 157 de ladite requête, Repsol e.a. soutenaient avoir fourni les informations qui auraient permis d’interpréter les documents auxquels la Commission se réfère et de connaître les faits survenus pendant la période 1998 à 2002. |
19. |
En ce qui concerne l’arrêt attaqué, le Tribunal a statué, aux points 339 à 349 de l’arrêt attaqué, sur le refus litigieux opposé par la Commission à Repsol e.a., de leur faire bénéficier du point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002, au motif, selon le considérant 592 de la décision litigieuse, que la Commission avait déjà en sa possession, avant même de recevoir, le 31 mars 2004, la déclaration de Repsol jointe à sa demande au titre de ladite communication de 2002, des informations pertinentes contenues dans des documents contemporains recueillis au cours des vérifications des 1er et 2 octobre 2002. En particulier, il résulte du point 343 de l’arrêt attaqué que «c’est donc à tort que les requérantes prétendent que c’est Repsol qui a produit dans sa demande au titre de la communication de 2002 les informations ayant permis à la Commission de savoir que l’entente s’était poursuivie de 1998 à 2002». |
20. |
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je considère que le présent moyen est recevable. |
C – Sur les critères d’application par la Commission du point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002
1. Observations générales sur le point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002
21. |
Par leur deuxième moyen, Repsol e.a. reprochent au Tribunal une erreur de droit affectant l’interprétation de la communication sur la clémence de 2002. |
22. |
Rappelons brièvement que l’objectif des programmes de clémence est d’obtenir la dénonciation de l’infraction par ses auteurs afin d’y mettre fin rapidement et complètement. Cette détection rapide et fiable répond à l’intérêt général des marchés et à la protection des intérêts individuels des victimes de cartels ( 12 ). |
23. |
À cette fin et dans un souci de transparence, la Commission a adopté des lignes directrices, dans lesquelles elle indique à quel titre elle prendra en considération telle ou telle circonstance de l’infraction et les conséquences qui pourront en être tirées sur le montant de l’amende. Il s’agit donc d’une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement ( 13 ). |
24. |
S’agissant de la communication sur la clémence de 2002, le Tribunal a jugé que la logique de cette communication était d’encourager les entreprises participant à des ententes illégales à coopérer avec la Commission dans le cadre de la lutte contre les cartels. Dans cette perspective, le point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002 vise à récompenser une entreprise, même si elle n’a pas été la première à présenter la demande d’immunité concernant l’entente en cause, si les éléments de preuve fournis par une entreprise concernent des faits qui permettent à la Commission de modifier l’appréciation qu’elle a, à ce moment-là, de la gravité ou de la durée de l’entente ( 14 ). |
25. |
Eu égard aux caractéristiques ainsi énoncées des communications et dans la mesure où la procédure de clémence revêt un caractère d’exception, par rapport aux dispositions du droit de l’Union interdisant les ententes anticoncurrentielles, le principe de sécurité juridique commande d’adopter une interprétation stricte des dispositions de la communication sur la clémence de 2002. |
2. Sur la notion des «faits précédemment ignorés»
26. |
Je rappelle que le point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002 se réfère aux éléments de preuve de «faits précédemment ignorés de la Commission». Le débat suscité par la présente affaire démontre que le libellé dudit point peut ouvrir la voie à deux interprétations distinctes. |
27. |
En vertu d’une interprétation littérale, il s’agirait de l’absence de connaissance par la Commission des faits pertinents, ce qui semble également ressortir d’autres versions linguistiques ( 15 ). |
28. |
Une seconde lecture, que je suis enclin à privilégier, peut voir dans ladite expression un critère objectif applicable à la communication ou à la transmission d’éléments de preuve à la Commission, permettant ainsi de distinguer les éléments de preuve portant sur des faits nouveaux par opposition aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission ( 16 ). Selon moi, cette deuxième lecture est davantage conforme aux deux premiers alinéas du point 23 de la communication sur la clémence de 2002, lesquels portent sur la possession des éléments de preuve en tant que critère définissant la valeur ajoutée sans mentionner la connaissance de la Commission. |
29. |
Selon la jurisprudence, il résulte du libellé du point 23 de la communication sur la clémence de 2002 que l’immunité partielle prévue par celle-ci exige que deux conditions soient remplies, à savoir, premièrement, que l’entreprise en cause soit la première à fournir des éléments de preuve sur des faits précédemment ignorés par la Commission et, deuxièmement, que ces faits, du fait de leur incidence directe sur l’appréciation de la gravité ou de la durée de l’entente présumée, permettent à la Commission de parvenir à de nouvelles conclusions sur l’infraction. Plus particulièrement, la Cour a souligné que, les termes «faits [...] ignorés de la Commission», relatifs à la première de ces conditions, sont dénués d’ambiguïté et autorisent à retenir une interprétation restrictive du point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002, en le limitant aux cas où une société partie à une entente fournit une information nouvelle à la Commission, relative à la gravité ou à la durée de l’infraction, et en excluant les cas où la société n’a fait que fournir des éléments permettant de renforcer les preuves relatives à l’existence de l’infraction ( 17 ). |
30. |
Cette interprétation trouve son fondement dans le fait que l’efficacité du programme de clémence serait affectée si les entreprises n’étaient plus incitées à être les premières à soumettre des informations dénonçant une entente à la Commission ( 18 ). |
31. |
Sur le plan général, la présente affaire suscite une réflexion quant à l’étendue de la jurisprudence précitée. En effet, une hypothèse susceptible d’enclencher l’application du point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002 qui n’a pas encore été envisagée par la jurisprudence est, selon moi, celle où le second délateur fournit un élément de preuve permettant à la Commission de «décoder» des éléments déjà détenus, mais non exploités en l’absence de l’information «clé» apportée ultérieurement. Une telle possibilité ne relève pas du «renforcement», mais de la «constitution» d’un élément de preuve nouveau. |
32. |
Or, en l’espèce, je me dois de constater que le critère dit «cognitif», tel que défendu par Repsol e.a., est inopérant, en ce qu’il ne résiste pas à une analyse fondée sur la «logique juridique ordinaire» ( 19 ), laquelle trouve à s’appliquer au mécanisme de clémence, tel qu’il résulte de la communication de la Commission. |
33. |
En effet, au regard de la logique juridique ordinaire, il est constant qu’en tant qu’institution, autrement dit un agent collectif, la Commission ne possède pas de capacité cognitive équivalente à celle d’un individu, mais peut l’avoir seulement de façon métaphorique ( 20 ). |
34. |
Par ailleurs, les règles classiques portant sur des conséquences juridiques attachées à la communication de faits ou d’informations se fondent sur la présomption selon laquelle la possession d’un document communiqué équivaut à la connaissance de son contenu ( 21 ). S’il n’en allait pas ainsi, un grand nombre de dispositions de droit civil, de droit administratif ou à caractère procédural serait privées d’efficacité. |
35. |
À mon sens une telle logique s’applique également, mutatis mutandis, au point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002. Ainsi, la Commission n’ignore pas les faits au sujet desquels elle possède des éléments de preuve, indépendamment du point de savoir si lesdits éléments ont ou non été examinés et analysés par ses agents, fonctionnaires ou services. J’observe, à cet égard, que, selon le point 23, deuxième alinéa, de la Communication sur la clémence de 2002, «la Commission prendra en compte la date à laquelle les éléments de preuve […] ont été communiqués» ( 22 ). |
36. |
Une approche différente générerait non seulement des difficultés probatoires insurmontables, mais engendrerait également une incertitude juridique inacceptable pour les entreprises ayant déposé des demandes d’applications dans le cadre de la clémence. |
37. |
Imaginons que deux entreprises, A et B, envoient à la Commission des documents de valeur identique avec un mois d’écart. L’examen des demandes est confié à deux fonctionnaires au sein du service compétent de la Commission. Or, le fonctionnaire AA, en charge de l’examen de la demande déposée par l’entreprise A et parvenue en premier, est connu pour sa minutie et sa lenteur. Au final, c’est donc le fonctionnaire BB, en charge de l’examen de la demande de l’entreprise B, qui parvient en premier à la conclusion que cette seconde demande contient les éléments de preuve qui justifient l’immunité ( 23 ). Le fonctionnaire AA présente la même conclusion une semaine plus tard en ce qui concerne l’entreprise A. Dans un tel cas de figure, l’application du critère dit «cognitif» aurait pour conséquence de faire perdre à l’entreprise A la possibilité de bénéficier de l’immunité. Or, selon moi cela démontre qu’un tel critère n’est pas compatible avec les objectifs de la communication sur la clémence et le principe de sécurité juridique. |
38. |
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la connaissance doit être déterminée par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission au moment de la seconde demande de clémence. La fonction principale de l’article 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002 est donc d’établir la séquence et l’indexation des informations ou des éléments de preuve fournis à la Commission ( 24 ). |
3. Sur le raisonnement du Tribunal dans l’arrêt attaqué
39. |
Aux points 339 à 349 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est fondé sur deux éléments principaux. Tout d’abord, il s’est référé au point 592 de la décision litigieuse, dont le contenu n’a pas été contesté et dont il ressort que la Commission était bien en possession des documents prouvant la durée du cartel entre 1998 à 2002. Le Tribunal a donc pris, comme acquis, que le considérant 592 de la décision litigieuse, lequel renvoyait à 38 autres considérants, suffisait à réfuter les griefs de Repsol e.a. Deuxièmement, ce fait étant établi selon le Tribunal, il a apprécié la valeur ajouté des faits relatés par Repsol se rapportant à la période en question et est parvenu à la conclusion qu’ils ne peuvent pas être considérés comme conférant une valeur ajoutée exceptionnelle à leur coopération. |
40. |
À cet égard, je rappelle que, dans l’affaire LG Display et LG Display Taiwan/Commission, la Cour a constaté qu’«il ressort […] de l’arrêt attaqué que le Tribunal, dans le cadre de son appréciation souveraine des faits, a relevé, sans qu’aucune dénaturation ne soit alléguée sur ce point, que, ‘au moment de la déclaration des requérantes du 20 juillet 2006, la Commission n’ignorait pas, en raison des éléments fournis […], que des contacts bilatéraux entre certains participants à l’entente avaient continué en 2005’». Ce constat a conduit la Cour a confirmer l’arrêt du Tribunal ( 25 ). |
41. |
Certes, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a statué au point 341 que, «comme elle le relève au considérant 592 de la décision attaquée, la Commission avait déjà en sa possession, avant même […] de recevoir, le 31 mars 2004, la déclaration de Repsol […] des informations pertinentes[…]». Il est donc vrai que l’examen du Tribunal peut paraître laconique et il pourrait être même soutenu que le Tribunal s’est abstenu de vérifier que, dans la présente espèce, la possession des éléments de preuve équivalait à la connaissance de leur teneur. |
42. |
Néanmoins, compte tenu de l’absence de pertinence du critère dit «cognitif», je suis d’avis que la possession des éléments de preuve vaut, dans ce contexte, connaissance de leur teneur. Indépendamment du fait que, si ce raisonnement par le Tribunal devait être considéré comme la constatation des faits ou la qualification juridique des faits, le caractère inopérant du critère «cognitif» me conduit donc à rejeter les critiques de Repsol e.a. |
43. |
Dans ces conditions, les éléments de l’arrêt attaqué visés par le deuxième moyen du pourvoi ne sont entachés d’aucune erreur en droit, de sorte qu’il convient de rejeter ledit moyen comme non fondé. |
VI – Conclusion
44. |
Pour ces raisons et sans préjudice de l’examen d’autres moyens du pourvoi, je propose à la Cour de rejeter le deuxième moyen du pourvoi. Les dépens sont réservés. |
( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) EU:T:2013:464.
( 3 ) Décision du 3 octobre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE [affaire COMP/38.710 – Bitume (Espagne)].
( 4 ) À toutes fins utiles, je rappelle que la présente affaire fait partie d’un groupe de pourvois introduits devant la Cour contre les arrêts du Tribunal portant sur la décision litigieuse. Mes conclusions ciblées dans l’affaire C‑603/13 P, Galp Energía España e.a., qui en fait partie, seront présentées le 16 juillet 2015.
( 5 ) Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).
( 6 ) Les autres parties impliquées, outre BP, ont été les entreprises: Productos Asfalticos, SA, Nynäs Petroleo SA et Galp Energía España SA.
( 7 ) Ces conditions sont relatives à la coopération avec la Commission, à la cessation de la participation à l’infraction et à l’absence de mesures visant à contraindre d’autres entreprises à participer à l’infraction (considérant 573 de la décision litigieuse).
( 8 ) Voir considérant 580 de la décision litigieuse.
( 9 ) Ce point faisait référence à une prétendue «erreur manifeste d’appréciation ou, subsidiairement, violation des principes généraux de confiance légitime, de proportionnalité et d’égalité de traitement, en fixant le pourcentage de réduction de l’amende en vertu de la communication sur la clémence».
( 10 ) Ordonnance Otis Luxembourg e.a./Commission (C‑494/11 P, EU:C:2012:356, point 88).
( 11 ) Arrêt Elf Aquitaine/Commission (C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 35).
( 12 ) Chaput, Y., «Philosophie des programmes de clémence et de transaction», dans Clémence et transaction en matière de concurrence – Actes du colloque du 19 janvier 2005, p. 5, disponible sur le site du CREDA (www.creda.ccip.fr).
( 13 ) Arrêts Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (C‑397/03 P, EU:C:2006:328, point 91) et Chalkor/Commission (C‑386/10 P, EU:C:2011:815, points 59 à 60).
( 14 ) Arrêt Transcatab/Commission (T‑39/06, EU:T:2011:562, points 378 à 382).
( 15 ) Version anglaise: «In addition, if an undertaking provides evidence relating to facts previously unknown to the Commission[…].»; version allemande: «Falls ein Unternehmen Beweismittel für einen Sachverhalt vorlegt, von denen die Kommission zuvor keine Kenntnis hatte […]».
( 16 ) Ma lecture du point 23, dernier alinéa, de la communication sur la clémence de 2002 est fondée sur la distinction communément admise entre le fait juridique à prouver («Beweistatsache») et le moyen de preuve utilisé («Beweismittel»).
( 17 ) Arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission (C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 79) et, également en ce sens, ordonnance Kuwait Petroleum e.a./Commission (C‑581/12 P, EU:C:2013:772, point 19).
( 18 ) En ce sens, arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission (EU:C:2015:258, point 84) et ordonnance Kuwait Petroleum e.a./Commission, (C‑581/12 P, EU:C:2013:772, point 20).
( 19 ) Je me réfère ici aux différentes hypothèses non conceptualisées du fait de leur évidence qui constituent le fondement de la conception de notre culture juridique.
( 20 ) Ainsi, la connaissance ou l’absence de connaissance d’un élément ne peut être déterminée, dans le chef de la Commission, que par le biais de la connaissance acquise par un de ses agents ou fonctionnaires. Le critère dit «cognitif» tel que proposé par Repsol e.a. exigerait la détermination des individus dont la connaissance est suffisante afin d’établir la connaissance de l’institution.
( 21 ) Habituellement, une remise personnelle et certaine comme celle réalisée par lettre recommandée avec accusé de réception vaut communication valide. Le destinataire ne peut pas faire valoir qu’il a bien reçu la lettre, mais qu’il ignorait son contenu faute de l’avoir ouverte.
( 22 ) Souligné par mes soins.
( 23 ) Je précise que la communication sur la clémence de 2002 définit les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours d’une enquête diligentée par celle-ci sur une entente pourront être exemptées d’amendes ou bénéficier d’une réduction du montant de celle qu’elles auraient autrement dû acquitter. Dans l’hypothèse de plusieurs demandes de clémence reçues pour une même infraction, la première demande est considérée comme demande d’immunité, les demandes suivantes comme demande de réduction d’amende, à moins que la première ne soit rejetée. En l’espèce, Repsol e.a. ont été considérées comme ayant demandé une réduction du montant de l’amende.
( 24 ) Comme l’illustre l’arrêt Solvay/Commission (C‑110/10 P, EU:C:2011:687), il existe aussi des situations dans lesquelles la Commission perd une partie des éléments de preuve, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
( 25 ) EU:C:2015:258, point 80.