ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
18 juin 2015 ( *1 )
«Pourvoi — Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives prises à l’encontre de la République de Biélorussie — Recevabilité — Délai de recours — Aide judiciaire — Effet suspensif — Protection juridictionnelle effective — Droits de la défense — Principe de proportionnalité»
Dans l’affaire C‑535/14 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 novembre 2014,
Vadzim Ipatau, demeurant à Minsk (Biélorussie), représenté par Me M. Michalauskas, avocat,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. F. Naert et B. Driessen, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda, A. Rosas (rapporteur), E. Juhász et D. Šváby, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 |
Par son pourvoi, M. Ipatau demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil (T‑646/11, EU:T:2014:800, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui‑ci a rejeté son recours tendant à l’annulation:
en ce qu’ils concernent le requérant. |
Les antécédents du litige
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Les antécédents du litige sont présentés comme suit par le Tribunal:
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La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
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Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 décembre 2011, le requérant a déposé une demande d’aide judiciaire au titre des articles 94 et 95 du règlement de procédure du Tribunal en vue d’introduire, contre le Conseil, un recours tendant à l’annulation de la décision 2011/69, de la décision 2011/666, du règlement d’exécution no 84/2011 et du règlement d’exécution no 1000/2011, en ce que ces actes le concernent. |
4 |
Par ordonnance du président de la sixième chambre du Tribunal CD/Conseil (T‑646/11 AJ, EU:T:2012:279), le requérant a été admis au bénéfice de l’aide judiciaire. |
5 |
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 juin 2012, le requérant a formé un recours tendant à l’annulation de la décision 2011/666, du règlement d’exécution no 1000/2011 et de la lettre du 14 novembre 2011. Par la suite, le requérant a étendu les conclusions de son recours et a également demandé l’annulation de la décision 2012/642 et du règlement d’exécution no 1017/2012. |
6 |
Le Tribunal a tout d’abord examiné le respect des délais de recours à l’égard de l’ensemble des actes dont l’annulation est demandée. Ayant estimé que la demande d’annulation de la décision 2011/666 et du règlement d’exécution no 1000/2011 avait été introduite dans les délais de recours, il s’est prononcé sur la recevabilité du recours en ce qu’il était dirigé contre la lettre du 14 novembre 2011. Après avoir examiné la demande d’aide judiciaire, il a jugé, au point 58 de l’arrêt attaqué, qu’il ne saurait être considéré que, dans sa demande d’aide judiciaire, le requérant a mentionné clairement la lettre du 14 novembre 2011 comme étant un acte devant être visé par le recours à introduire. |
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Le délai prévu pour former un recours contre la lettre du 14 novembre 2011 n’aurait donc pas été suspendu, en application de l’article 96, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal, par l’introduction de la demande d’aide judiciaire. Par conséquent, le recours ayant été introduit le 27 juin 2012, soit plus de sept mois après la date de la communication de cette lettre, le Tribunal en a conclu qu’il a été introduit après l’expiration des délais prévus à l’article 263 TFUE et à l’article 102, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure. |
8 |
M. Ipatau avait soulevé cinq moyens au soutien de son recours, tirés, en premier lieu, d’une motivation insuffisante et d’une atteinte aux droits de la défense, en deuxième lieu, du caractère collectif de la responsabilité et de la mesure restrictive, en troisième lieu, d’une «absence d’élément légal», en quatrième lieu, d’une erreur d’appréciation et, en cinquième lieu, du non‑respect du principe de proportionnalité. Le Tribunal a jugé que chacun de ces moyens était non fondé et, par conséquent, a rejeté le recours. |
Les conclusions des parties
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Par son pourvoi, M. Ipatau demande à la Cour:
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Le Conseil demande à la Cour:
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Sur le pourvoi
Sur le premier moyen, tiré d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective
Argumentation des parties
11 |
Par son premier moyen, M. Ipatau soutient que le Tribunal, en ayant jugé irrecevable le recours en tant qu’il était dirigé contre la lettre du 14 novembre 2011, a violé le droit à une protection juridictionnelle effective. |
12 |
M. Ipatau conteste les points 58 à 60 de l’arrêt attaqué. En premier lieu, il soutient que les actes doivent être interprétés de manière à faire prévaloir leur effet utile et que, en conséquence, la demande d’aide judiciaire du 11 décembre 2011 doit être interprétée en ce sens qu’elle visait nécessairement à l’annulation de la lettre du 14 novembre 2011. En deuxième lieu, il fait valoir qu’il n’était pas assisté d’un conseil lors de la rédaction de sa demande d’aide judiciaire. |
13 |
Le Conseil considère que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en excluant cette lettre de l’objet de la demande d’aide judiciaire du requérant. Il soutient que le fait que M. Ipatau ait rédigé lui‑même la demande d’aide judiciaire ne saurait altérer les conditions de recevabilité du recours. Il fait référence au libellé même de la demande d’aide judiciaire et rappelle que, en tant que directeur du Centre national de la législation et de la recherche juridique de la République de Biélorussie, le requérant a une certaine connaissance des règles juridiques, ce qui ressortirait des arguments juridiques particulièrement développés formulés dans cette demande. |
Appréciation de la Cour
14 |
Au préalable, il y a lieu de rappeler que ni le droit à une protection juridictionnelle effective ni le droit d’être entendu ne sont affectés par l’application stricte des réglementations de l’Union concernant les délais de procédure, laquelle, selon une jurisprudence constante, répond à l’exigence de la sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir ordonnance Page Protective Services/SEAE, C‑501/13 P, EU:C:2014:2259, point 39 et jurisprudence citée). |
15 |
L’article 96, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que, par exception aux règles relatives aux délais de procédure, le dépôt d’une demande d’aide judiciaire suspend le délai prévu pour l’introduction du recours jusqu’à la date de la notification de l’ordonnance statuant sur cette demande ou, si l’intéressé n’a pas proposé lui‑même un avocat ou s’il n’y a pas lieu d’entériner son choix, de l’ordonnance désignant l’avocat chargé de représenter le demandeur. |
16 |
Lors de l’examen de la recevabilité du recours en annulation en ce qu’il était dirigé contre la lettre du 14 novembre 2011, le Tribunal était tenu d’interpréter la demande d’aide judiciaire déposée par M. Ipatau le 11 décembre 2011, afin de vérifier si ladite lettre faisait l’objet du recours envisagé. |
17 |
Au point 55 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a cité le passage de la demande d’aide judiciaire mentionnant la lettre du 14 novembre 2011. Au point 56 de cet arrêt, il a également reproduit l’objet de la demande d’aide judiciaire, en exposant qu’elle tendait à l’annulation de la décision 2011/69, du règlement d’exécution no 84/2011, de la décision 2011/666 et du règlement d’exécution no 1000/2011. Au point 57 dudit arrêt, le Tribunal a procédé à l’analyse de la mention de la lettre du 14 novembre 2011 dans le contexte de la demande d’aide judiciaire ainsi qu’à celle de cette demande. À cet égard, il a constaté que le requérant avait mentionné ladite lettre uniquement dans ses développements sur les moyens et les principaux arguments exposés dans la partie «objet du recours» et que cette mention n’était faite qu’au milieu de l’exposé du premier moyen, cette même lettre n’ayant pas été visée dans le cadre des deux autres moyens. Le Tribunal a également souligné que, si les trois moyens concernaient de manière très explicite lesdits décisions et règlements d’exécution, tel n’était pas le cas pour la lettre du 14 novembre 2011. |
18 |
Eu égard à ces constatations, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal en a conclu, au point 58 de l’arrêt attaqué, qu’il ne saurait être considéré que, dans sa demande d’aide judiciaire, le requérant a mentionné la lettre du 14 novembre 2011 comme étant un acte devant être visé par le recours à introduire. |
19 |
S’agissant de l’argument selon lequel la demande d’aide judiciaire du 11 décembre 2011 devait être interprétée en ce sens qu’elle visait nécessairement à l’annulation de la lettre du 14 novembre 2011, il importe de rappeler que, par cette lettre, le Conseil a rejeté la demande de réexamen de l’inscription de M. Ipatau sur les listes des personnes faisant l’objet de mesures restrictives par la décision 2011/69 et le règlement d’exécution no 84/2011. Ladite lettre contenait également la décision 2011/666 et le règlement d’exécution no 1000/2011. |
20 |
Or, la demande d’aide judiciaire avait été introduite par le requérant aux fins de l’introduction de son recours en annulation de la décision 2011/69, du règlement d’exécution no 84/2011, de la décision 2011/666 et du règlement d’exécution no 1000/2011. Eu égard à la rédaction claire, précise et juridiquement argumentée de cette demande d’aide judiciaire, aucun élément ne permettait au Tribunal de considérer que ladite demande devait nécessairement viser, au surplus, l’annulation de la lettre du 14 novembre 2011. |
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S’agissant de l’argument selon lequel M. Ipatau n’était pas assisté d’un conseil lors de la rédaction de sa demande d’aide judiciaire, il y a lieu de constater que la demande d’aide judiciaire rédigée par M. Ipatau était claire, précise et juridiquement argumentée, ce qui atteste des compétences juridiques de celui‑ci. |
22 |
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le premier moyen n’est pas fondé et doit être rejeté. |
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense concernant la décision 2012/642 et le règlement d’exécution no 1017/2012
Argumentation de parties
23 |
Par son deuxième moyen, M. Ipatau fait valoir que le Tribunal, en jugeant que le Conseil pouvait adopter la décision 2012/642 et le règlement d’exécution no 1017/2012 sans l’entendre au préalable, a violé les droits de la défense. Il conteste ainsi les points 80 et 81 de l’arrêt attaqué, qui sont rédigés comme suit:
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24 |
Il fait valoir que l’absence de changement de la motivation des actes en cause ne saurait exonérer le Conseil de son obligation de recueillir l’avis de l’intéressé, lui donnant ainsi la possibilité d’actualiser sa situation et les informations le concernant. Il relève que la décision 2012/642 vise, dans son considérant 8, les élections parlementaires du 23 septembre 2012, en indiquant qu’elles «ont également été jugées incompatibles avec les normes internationales», alors que les motifs pour lesquels il a été inscrit sur la liste des personnes soumises à des mesures restrictives sont relatifs aux «atteintes aux normes électorales dans le cadre de l’élection présidentielle du 19 décembre 2010». |
25 |
Le Conseil conteste le bien‑fondé de ce moyen. |
Appréciation de la Cour
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Aux points 75 et 76 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, sans commettre d’erreur de droit, rappelé la jurisprudence selon laquelle, dans le cadre de l’adoption d’une décision maintenant le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives, le Conseil doit respecter le droit de cette personne ou de cette entité d’être préalablement entendue lorsqu’il retient à son égard, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur la liste, de nouveaux éléments, à savoir des éléments qui ne figuraient pas dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette liste (voir en ce sens, notamment, arrêt France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, points 62 et 63). |
27 |
Ainsi que l’a relevé à juste titre le Tribunal au point 80 de l’arrêt attaqué, les motifs du maintien de l’inscription du requérant sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives en cause n’ont pas substantiellement changé au cours de l’année 2012. En effet, il ressort de l’ensemble des actes dont le requérant a demandé l’annulation devant le Tribunal, que la responsabilité de M. Ipatau a toujours été retenue en qualité de vice‑président et de membre de la CEC pour les atteintes aux normes électorales dans le cadre de l’élection présidentielle du 19 décembre 2010. |
28 |
En tout état de cause, ainsi que l’a fait valoir le Conseil, le requérant avait déjà soumis des observations au Conseil et savait, de ce fait, qu’il disposait en permanence de ce droit, a fortiori à l’occasion des réexamens périodiques des mesures restrictives adoptées contre la République de Biélorussie, en vue d’une possible prorogation de celles‑ci. |
29 |
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le deuxième moyen n’est pas fondé et doit être rejeté. |
Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit quant au caractère suffisant des motifs prévus dans les actes dont l’annulation était demandée
Argumentation des parties
30 |
Par son troisième moyen, M. Ipatau soutient que le Tribunal, en jugeant que le Conseil n’avait pas commis d’erreur d’appréciation lorsqu’il a estimé que les motifs justifiant l’inscription du requérant sur la liste des personnes soumises à des mesures restrictives étaient fondés, a commis une erreur de droit. Il conteste ainsi les points 143 et 144 de l’arrêt attaqué. Les points 138 à 140 et 142 à 144 de l’arrêt attaqué sont rédigés comme suit:
[…]
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31 |
Le requérant rappelle l’arrêt Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 119 ainsi que 121), selon lequel il appartient au Conseil d’apporter la preuve du bien‑fondé des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir une personne sur une liste de personnes visées par des sanctions, et l’arrêt Tay Za/Conseil (C‑376/10 P, EU:C:2012:138, point 71), par lequel la Cour a condamné toute présomption ou inclusion d’une personne sur une telle liste par référence aux seuls liens que celle‑ci entretient avec d’autres personnes. Il soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les motifs des actes litigieux étaient suffisants pour établir sa responsabilité dans les atteintes aux normes électorales internationales qui ont eu lieu lors des élections présidentielles du 19 décembre 2010. À cet égard, M. Ipatau fait valoir, en premier lieu, qu’il n’a pas eu de motif de se désolidariser du travail de la CEC. |
32 |
En deuxième lieu, il soutient qu’il ne peut être soutenu que la CEC a contribué à la falsification des résultats de l’élection du 19 décembre 2010, alors que seul un recours tendant à la remise en cause de la validité des élections a été formé devant elle, dont au surplus il appartient à la cour suprême d’en connaître en dernière instance et non à la CEC. Par ailleurs, il ne saurait être reproché à la CEC de valider les résultats d’une élection dont 90 % des candidats ont accepté les résultats. |
33 |
En troisième lieu, il conteste les critiques relevées par l’OSCE dans son rapport, et exposées au point 143 de l’arrêt attaqué, alors que le Tribunal n’a pas pu examiner les décisions de la CEC. |
34 |
Le Conseil rappelle la jurisprudence relative à la motivation des actes des institutions et fait valoir que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit, aux points 97 à 103 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il a examiné le moyen d’annulation tiré de la violation de l’obligation de motivation. |
35 |
Le Conseil examine également la question du bien‑fondé des mesures adoptées à l’encontre de M. Ipatau et de la preuve des faits à l’origine de ces mesures. Il rappelle qu’il a exposé, dans ses mémoires déposés en première instance, un certain nombre d’actions de la CEC qui ont porté atteinte aux normes électorales internationales et le rôle du requérant à cet égard. Il relève, par ailleurs, que si seul un candidat a contesté les résultats des élections, sept autres étaient détenus par les services de sécurité biélorusses à l’issue des élections et n’auraient, dès lors, pas été en mesure de contester les résultats de celles‑ci. |
36 |
Le Conseil souligne que le système électoral biélorusse ne peut fonctionner que grâce à la collaboration loyale de hauts fonctionnaires nationaux, tels que le requérant. Il considère que, en tant que haut fonctionnaire du régime, le requérant était associé, au sens retenu par la Cour dans l’arrêt Tay Za/Conseil (C‑376/10 P, EU:C:2012:138), au gouvernement biélorusse. Il en résulte que le Conseil aurait pu se limiter à exposer dans la motivation des décisions qu’il a adoptées ce lien entre le requérant et le gouvernement. |
Appréciation de la Cour
37 |
Il convient de rappeler que l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien‑fondé de la motivation, celui‑ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir, en ce sens, arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67). En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles‑ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle‑ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 181). Il s’ensuit que les griefs et les arguments visant à contester le bien‑fondé d’un acte sont dénués de pertinence dans le cadre d’un moyen tiré du défaut ou de l’insuffisance de motivation. |
38 |
Bien que le requérant ait qualifié son moyen de «tiré d’une erreur de droit quant au caractère suffisant des motifs prévus dans les actes litigieux», il y a lieu de constater qu’il critique le bien‑fondé des points 143 et 144 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a répondu au moyen tiré de l’erreur d’appréciation. Compte tenu de l’identification précise des points de motifs contestés, conforme à l’article 178, paragraphe 3, du règlement de procédure, il y a lieu, néanmoins, d’examiner le moyen. |
39 |
Dans le cadre du contrôle du bien‑fondé de l’inscription de M. Ipatau sur les listes des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, il importe d’examiner, en premier lieu, les critères généraux d’inscription sur les listes, en deuxième lieu, la motivation de l’inscription de M. Ipatau sur une telle liste et, en troisième lieu, la preuve du bien‑fondé de cette inscription (arrêts Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:247, point 40, et Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:248, point 41). |
40 |
Il y a lieu de rappeler que le Conseil dispose d’une large marge d’appréciation pour définir les critères généraux retenus pour appliquer des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêts Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée; Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:247, point 41, ainsi que Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:248, point 42). |
41 |
M. Ipatau n’allègue pas d’erreur de droit à cet égard. |
42 |
S’agissant de la preuve du bien‑fondé de l’inscription de M. Ipatau sur les listes, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire le nom d’une personne sur la liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique, en l’espèce, une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous‑tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêts Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119; Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 73; Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:247, point 45, ainsi que Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:248, point 46). |
43 |
En premier lieu, M. Ipatau conteste le fait que la CEC a pu contribuer à falsifier les résultats de l’élection du 19 décembre 2010, alors que seul un recours a été formé devant elle. Cet argument ne saurait cependant remettre en cause les constatations de fait du Tribunal, aux points 142 et 143 de l’arrêt attaqué. |
44 |
En effet, auxdits points, le Tribunal a constaté, d’une part, que, en sa position d’instance la plus élevée dans l’administration chargée des élections, la CEC a d’autres compétences que le traitement des plaintes, telles qu’«un rôle important dans l’établissement de la liste des candidats aux élections présidentielles, dans la supervision des instances inférieures de l’administration chargée des élections, dans le contrôle du déroulement de la campagne électorale, dans la gestion des plaintes et des recours contre les décisions prises par les différentes commissions électorales inférieures ainsi que par les administrations locales». D’autre part, il a estimé que «la supervision et le contrôle des élections n’ont manifestement pas été effectués de manière suffisante» et que la «CEC a manqué d’indépendance, d’impartialité ainsi que de collégialité et [qu’]elle a annoncé les résultats officiels proclamant l’élection du Président Lukashenko, sans publier sous quelque forme que ce soit des résultats détaillés». |
45 |
En deuxième lieu, M. Ipatau conteste avoir eu un motif de se désolidariser du travail de la CEC. Or, eu égard au fait que M. Ipatau n’identifie pas d’erreur de droit du Tribunal en ce qui concerne la responsabilité de la CEC pour les atteintes aux normes électorales internationales dans le cadre des élections présidentielles du 19 décembre 2010, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir inféré la responsabilité personnelle du requérant pour ces atteintes de sa fonction en tant que vice‑président de la CEC ainsi que du fait qu’il ne s’est pas désolidarisé du travail de cette dernière. |
46 |
Ce sont ces constatations factuelles, qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler dans le cadre d’un pourvoi, qui ont permis au Tribunal de conclure, en substance, que la CEC portait une responsabilité pour atteintes aux normes électorales internationales dans le cadre des élections présidentielles du 19 décembre 2010 et que celles‑ci pouvaient également être imputées personnellement à M. Ipatau en tant que vice‑président de cette institution. Contrairement à ce que fait valoir M. Ipatau, le Tribunal n’a pas utilisé de présomption à son égard et, par conséquent, n’a pas agi en contradiction avec l’arrêt Tay Za/Conseil (C‑376/10 P, EU:C:2012:138) en incluant son nom sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives par référence aux seuls liens entretenus avec d’autres personnes. |
47 |
En troisième lieu, M. Ipatau reproche au Tribunal d’avoir repris les critiques adressées par l’OSCE à la CEC relatives à la qualité des décisions de cette dernière sans avoir examiné ces décisions. Or, par cette argumentation, M. Ipatau conteste en réalité l’appréciation des preuves opérée par le Tribunal et la valeur que celui‑ci leur a attribuée. |
48 |
À cet égard, il importe de rappeler que, dans certaines situations, le juge de l’Union peut prendre en considération des rapports d’organisations non gouvernementales internationales (voir, en ce sens, arrêt N. S. e.a., C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 90 ainsi que 91). A fortiori peut‑il prendre en considération un rapport d’une organisation internationale telle l’OSCE. |
49 |
Au point 140 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a contrôlé le degré de fiabilité du rapport de l’OSCE, en comparant les conclusions de ce rapport avec celles provenant d’institutions telles que le Conseil de l’Europe. |
50 |
Eu égard à l’ensemble des appréciations de fait du Tribunal, qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler dans le cadre d’un pourvoi, c’est sans commettre d’erreur de droit qu’il a rejeté comme non fondé, au point 145 de l’arrêt attaqué, le moyen tiré de l’erreur d’appréciation du Conseil. |
51 |
Ce faisant, le Tribunal a respecté les principes, découlant de la jurisprudence rappelée au point 42 du présent arrêt, relatifs au contrôle de la légalité des motifs sur lesquels sont fondés des actes tels que les actes litigieux. |
52 |
Il y a lieu, dès lors, de rejeter le troisième moyen comme non fondé. |
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité
Argumentation des parties
53 |
Par son quatrième moyen, M. Ipatau soutient que le Tribunal, en validant les mesures prises à l’encontre de celui‑ci, au cours des années 2011 et 2012, alors que le rapport de l’OSCE ne préconisait aucune mesure restrictive à l’encontre des membres de la CEC, a méconnu le principe de proportionnalité. Il souligne que les recommandations générales de l’OSCE quant à la CEC ne concernent que la composition de cette commission et la qualité des instructions qu’elle adresse aux commissions locales. Or, la sanction collective des membres de la CEC paraîtrait manifestement disproportionnée et inefficace, puisqu’elle empêche les membres de la CEC de connaître les expériences et les bonnes pratiques européennes. |
54 |
Il fait valoir en outre que, afin de promouvoir l’amélioration du système électoral biélorusse, qui ne dispose pas de traditions anciennes, il paraît indispensable que les acteurs du système électoral, notamment les membres de la CEC, soient davantage sensibilisés aux normes électorales internationales. À ce titre, des formations pourraient leur être proposées par les États membres de l’Union et des visites d’observation pourraient être organisées lors des élections dans les États de l’Union. Or, l’interdiction de se déplacer sur le territoire de l’Union irait manifestement à l’encontre des objectifs du rapport de l’OSCE. |
55 |
Le Conseil souligne tout d’abord que le rapport de l’OSCE ne constitue pas l’unique fondement des mesures restrictives à l’encontre du requérant. Il fait valoir ensuite qu’il n’y a aucune contradiction entre le rapport de l’OSCE et les politiques du Conseil et de l’Union. Au contraire, ces politiques, y compris celles comportant des mesures restrictives, visent à faire pression sur le régime biélorusse et sur ceux qui y sont associés, pour qu’il soit mis fin aux violations graves des droits de l’homme, à la répression de la société civile et de l’opposition démocratique et pour que soient respectés la démocratie et l’État de droit en Biélorussie, y inclus les normes électorales internationales. Par ailleurs, les mesures restrictives du Conseil ne font pas obstacle à ce que les personnes en charge de l’administration des élections reçoivent une formation en Biélorussie dans le domaine des normes électorales internationales. En outre, l’article 3, paragraphe 6, de la décision 2012/642 prévoit des possibilités de dérogation à l’interdiction de se déplacer sur le territoire de l’Union. |
Appréciation de la Cour
56 |
Conformément à l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, les moyens et les arguments de droit invoqués dans le cadre d’un pourvoi doivent identifier avec précision les points de motifs de la décision du Tribunal qui sont contestés (voir ordonnance Thesing et Bloomberg Finance/BCE, C‑28/13 P, EU:C:2014:230, point 25, ainsi que arrêt Klein/Commission, C‑120/14 P, EU:C:2015:252, point 85). |
57 |
Ainsi, ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui, sans même identifier spécifiquement l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt faisant l’objet de ce pourvoi, se limite à reproduire les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (voir arrêt Klein/Commission, C‑120/14 P, EU:C:2015:252, point 86). |
58 |
Or, en se limitant à affirmer que le Tribunal a, à tort, jugé que les mesures du Conseil en cause n’étaient pas disproportionnées sans identifier avec précision les points de motifs du cinquième moyen de l’arrêt attaqué qu’il entend contester, M. Ipatau n’a pas répondu aux exigences de l’article 169, paragraphe 2, dudit règlement de procédure. En outre, les arguments avancés dans le cadre du quatrième moyen du pourvoi sont dirigés non pas contre l’arrêt attaqué, mais contre lesdites mesures du Conseil et répètent en substance les arguments déjà présentés devant le Tribunal. |
59 |
Le quatrième moyen constituant ainsi en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête que M. Ipatau a présentée en première instance, il y a lieu de le rejeter comme irrecevable. |
60 |
Les quatre moyens de M. Ipatau ayant été rejetés, il y a lieu de rejeter le pourvoi. |
Sur les dépens
61 |
En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. |
62 |
Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. |
63 |
Le Conseil ayant conclu à la condamnation de M. Ipatau et celui‑ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil. |
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête: |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: le français.