ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
18 décembre 2014 ( *1 )
«Pourvoi — Ententes — Marché européen des tuyaux marins — Succession d’entités juridiques — Imputabilité du comportement infractionnel — Réduction de l’amende par le Tribunal — Compétence de pleine juridiction»
Dans l’affaire C‑434/13 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 1er août 2013,
Commission européenne, représentée par MM. S. Noë, V. Bottka et R. Sauer, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant:
Parker Hannifin Manufacturing Srl, anciennement Parker ITR Srl, établie à Corsico (Italie),
Parker-Hannifin Corp., établie à Mayfield Heights (États‑Unis),
représentées par Mes F. Amato, F. Marchini Càmia et B. Amory, avocats,
parties demanderesses en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. S. Rodin, E. Levits, Mme M. Berger (rapporteur), et M. F. Biltgen, juges,
avocat général: M. M. Wathelet,
greffier: M. V. Tourrès, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juin 2014,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 septembre 2014,
rend le présent
Arrêt
1 |
Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Parker ITR et Parker Hannifin/Commission (T‑146/09, EU:T:2013:258, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé partiellement la décision C (2009) 428 final de la Commission, du 28 janvier 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/39406 – Tuyaux marins) (ci-après la «décision litigieuse»), et réduit le montant de l’amende qui avait été infligée par cette décision à Parker ITR Srl (ci-après «Parker ITR») ainsi que le montant pour lequel Parker‑Hannifin Corp. (ci-après «Parker‑Hannifin») avait été tenue pour solidairement responsable de cette amende. |
Le cadre juridique
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Le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit à son article 23, paragraphe 2: «La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence:
[...] Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent. [...]» |
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S’agissant du contrôle juridictionnel exercé sur le montant d’une amende infligée en vertu de cette disposition, l’article 31 du même règlement dispose que «la Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée». |
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Les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23 paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les «lignes directrices de 2006») indiquent à leur point 24 que, «[a]fin de prendre pleinement en compte la durée de la participation de chaque entreprise à l’infraction, le montant déterminé en fonction de la valeur des ventes [...] sera multiplié par le nombre d’années de participation à l’infraction. Les périodes de moins d’un semestre seront comptées comme une demie année; les périodes de plus de six mois mais de moins d’un an seront comptées comme une année complète». |
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Le point 28 des lignes directrices de 2006 prévoit que le montant de base de l’amende peut être augmenté lorsque la Commission constate l’existence de circonstances aggravantes, telles que le rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction. |
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
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Les activités dans le secteur des tuyaux marins en cause dans la présente affaire ont été créées en 1966 par Pirelli Treg SpA, une société appartenant au groupe Pirelli. Elles ont été reprises en 1990, à la suite de la fusion de deux filiales au sein du groupe Pirelli, par ITR SpA. |
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En 1993, ITR SpA a été acquise par Saiag SpA. |
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En 2001, Parker-Hannifin, société faîtière du groupe Parker-Hannifin, et Saiag SpA ont entamé des discussions au sujet de la possible acquisition par Parker-Hannifin des activités de tuyaux marins d’ITR SpA. Dans la perspective de cette vente, ITR SpA a créé au mois de juin 2001 une filiale dénommée ITR Rubber Srl (ci-après «ITR Rubber»). |
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Le 5 décembre 2001, Parker-Hannifin Holding Srl, une filiale à 100 % de Parker-Hannifin, a convenu avec ITR SpA d’acquérir 100 % des parts d’ITR Rubber. |
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Le contrat prévoyait notamment que le transfert du secteur des tuyaux en caoutchouc, y compris le secteur des tuyaux marins, d’ITR SpA à ITR Rubber s’effectuerait à la demande de Parker-Hannifin Holding Srl. |
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Le 19 décembre 2001, ITR SpA a transféré ses activités dans le secteur des tuyaux marins à ITR Rubber. |
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Le transfert a pris effet le 1er janvier 2002. |
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Le 31 janvier 2002, Parker-Hannifin Holding Srl a acquis auprès d’ITR SpA les parts d’ITR Rubber. ITR Rubber est ensuite devenue Parker ITR. |
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En 2007, la Commission a ouvert une instruction pour violation de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), sur le marché des tuyaux marins. |
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À l’article 1er de la décision litigieuse, la Commission a constaté que onze sociétés, parmi lesquelles Parker ITR et Parker-Hannifin, avaient commis une infraction unique et continue, constitutive d’une violation des articles 81 CE et 53 dudit accord, pendant différentes périodes comprises entre le 1er avril 1986 et le 2 mai 2007 dans le secteur des tuyaux marins à l’intérieur de l’Espace économique européen (EEE), l’infraction consistant en l’attribution d’appels d’offres, la fixation de prix, la fixation de quotas, l’établissement de conditions de ventes, le partage de marchés géographiques et l’échange d’informations sensibles sur les prix, les volumes des ventes et les appels d’offres. |
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En ce qui concerne les défenderesses au pourvoi, la Commission a constaté, à l’article 1er, sous i) et j), de la décision litigieuse, qu’elles avaient participé à l’entente du 1er avril 1986 au 2 mai 2007 pour Parker ITR et du 31 janvier 2002 au 2 mai 2007 pour Parker‑Hannifin. |
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Pour ce motif, la Commission a infligé à Parker ITR, à l’article 2, premier alinéa, sous e), de la décision litigieuse, une amende de 25610000 euros, en précisant que, sur ce montant, Parker‑Hannifin était tenue pour responsable conjointement et solidairement à hauteur de 8320000 euros. |
L’arrêt attaqué
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Parker ITR et Parker-Hannifin ont introduit devant le Tribunal un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse en tant qu’elle les concernait et, à titre subsidiaire, à la réduction de l’amende infligée. À l’appui de leur recours, elles faisaient valoir neuf moyens. |
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Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le premier moyen dans sa première branche, tirée d’une violation du principe de la responsabilité personnelle, et annulé l’article 1er, sous i), de la décision litigieuse dans la mesure où il retenait la responsabilité de Parker ITR pour la période antérieure au 1er janvier 2002. À cet égard, le Tribunal a jugé, aux points 115 et 116 de l’arrêt attaqué:
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S’agissant des cinquième et sixième moyens, concernant la majoration de l’amende infligée à Parker ITR et à Parker‑Hannifin en raison du rôle de meneur qu’aurait joué Parker ITR pendant la période allant du mois de juin 1999 au mois de septembre 2001, le Tribunal a constaté que, «dès lors qu’il [avait été] fait droit au premier moyen», il y avait lieu «en conséquence» de les accueillir (points 139 et 140, 145 et 146 ainsi que 253 et 254 de l’arrêt attaqué). |
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Le Tribunal a rejeté les autres moyens. S’agissant, en particulier, du huitième moyen, tiré notamment d’une violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 lors du calcul du plafond de 10 % du chiffre d’affaires applicable à la partie de l’amende pour laquelle Parker ITR a été tenue seule responsable, le Tribunal a jugé, aux points 227 et 228 de l’arrêt attaqué:
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Exerçant son pouvoir de pleine juridiction, le Tribunal a, aux points 246 à 255 de l’arrêt attaqué, recalculé le montant de l’amende infligée à Parker ITR et réduit celui-ci à 6 400 000 euros. S’agissant du montant dont Parker-Hannifin est tenue pour solidairement responsable, le Tribunal l’a réduit, au point 257 de l’arrêt attaqué, à 6 300 000 euros au motif que la responsabilité solidaire de cette société ne saurait être retenue pour la période allant du 1er au 31 janvier 2002. |
Les conclusions des parties
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La Commission demande à la Cour:
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Parker ITR et Parker-Hannifin demandent à la Cour:
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Sur la demande tendant à la réouverture de la phase orale de la procédure
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La phase orale de la procédure ayant été clôturée le 4 septembre 2014 à la suite de la présentation des conclusions de M. l’avocat général, les défenderesses au pourvoi ont demandé la réouverture de la phase orale de la procédure par lettre du 14 octobre 2014, déposée au greffe de la Cour le 20 octobre 2014. |
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À l’appui de cette demande, elles font valoir, en substance, que doit être soumise à un débat contradictoire la question, qui se poserait dans l’hypothèse d’une annulation de l’arrêt attaqué, de savoir comment devrait être appliqué, aux fins du calcul de l’amende infligée à Parker ITR, le plafond de 10 % prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 pour la période pendant laquelle cette société ne faisait pas partie du groupe Parker-Hannifin. Les défenderesses au pourvoi relèvent, en premier lieu, que la Cour a rendu, le même jour que la présentation des conclusions dans la présente affaire, un arrêt décisif pour cette question (arrêt YKK e.a./Commission, C‑408/12 P, EU:C:2014:2153). Elles soutiennent, en second lieu, que, en considérant que le Tribunal a examiné le bien-fondé des arguments qu’elles ont présentés à ce sujet avant de les rejeter, l’avocat général a fait une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Elles ajoutent qu’elles n’ont pas eu l’opportunité de s’exprimer sur les conséquences, dans la présente procédure, de l’absence d’un pourvoi incident. |
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À cet égard, il importe de rappeler que, en vertu de l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt Buono e.a./Commission, C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284, point 26 ainsi que jurisprudence citée). |
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En l’occurrence, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle est suffisamment éclairée pour statuer, que la présente affaire ne nécessite pas d’être tranchée sur la base d’arguments qui n’auraient pas été débattus entre les parties et que l’arrêt YKK e.a./Commission (EU:C:2014:2153) ne constitue pas un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur sa décision. |
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De surcroît, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par les conclusions de l’avocat général ni par la motivation au terme de laquelle il parvient à celles-ci (arrêt Buono e.a./Commission, EU:C:2014:2284, point 27 ainsi que jurisprudence citée). |
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Par conséquent, il convient de rejeter la demande de réouverture de la phase orale de la procédure. |
Sur le pourvoi
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À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque deux moyens. |
Sur le premier moyen, pris d’une application erronée de la jurisprudence relative au critère de la continuité économique
Argumentation des parties
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La Commission soutient que, en jugeant, au point 116 de l’arrêt attaqué, que le principe de la responsabilité personnelle ne saurait être remis en cause par celui de la continuité économique dans le cas où, comme en l’espèce, une entreprise impliquée dans l’entente cède une partie de ses activités à un tiers indépendant et qu’il n’existe aucun lien structurel entre le cédant et le cessionnaire, le Tribunal a amalgamé deux opérations distinctes et confondu les critères juridiques applicables. Le Tribunal n’aurait considéré comme pertinente que la seconde des deux opérations, qui a porté sur la vente d’une filiale par un groupe à un autre, à savoir la vente d’ITR Rubber par le groupe Saiag au groupe Parker‑Hannifin. En revanche, il aurait ignoré la première opération, antérieure à cette vente, qui avait eu pour objet un transfert d’activités entre deux entités d’un même groupe, à savoir entre ITR SpA et ITR Rubber, appartenant toutes deux au groupe Saiag. Selon la Commission, ce transfert d’activités se serait déroulé dans les conditions requises par la jurisprudence pour y voir un cas de continuité économique dès lors que, à la date à laquelle il a eu lieu, les deux entités concernées étaient sous le contrôle d’une même personne et avaient des liens étroits sur le plan économique et organisationnel (voir, notamment arrêt ETI e.a., C‑280/06, EU:C:2007:775, points 48 et 49). |
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Afin d’imputer à l’entité cessionnaire la responsabilité d’un comportement infractionnel mis en œuvre par l’entité cédante, il n’est pas nécessaire, selon la Commission, que les liens structurels existant entre elles perdurent pendant toute la période de l’infraction. Le fait que, en l’espèce, ITR Rubber ne soit pas demeurée dans le groupe Saiag et qu’il ne se soit écoulé qu’une brève période entre sa création et sa vente au groupe Parker‑Hannifin serait donc sans incidence. |
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La Commission ajoute que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, au point 116 de l’arrêt attaqué, elle n’était pas tenue d’imputer la responsabilité du comportement infractionnel aux sociétés mères Saiag SpA et ITR SpA. En choisissant, dans la présente affaire, d’imputer la responsabilité de l’infraction à ITR Rubber en tant que successeur économique de ces sociétés, la Commission aurait fait usage du pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu par la jurisprudence. |
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En réponse, les défenderesses au pourvoi font valoir que, contrairement à ce que soutient la Commission, la Cour n’a pas instauré, dans l’arrêt ETI e.a. (EU:C:2007:775), une règle mécanique selon laquelle l’existence, dans le passé, d’un simple lien structurel entre le cédant et le cessionnaire d’une activité impliquée dans une infraction rend automatiquement le cessionnaire responsable de l’infraction commise par le cédant. La Cour aurait plus restrictivement jugé qu’une telle conséquence n’est possible qu’à la condition qu’il soit démontré que le cédant et le cessionnaire étaient sous le contrôle effectif de la même personne au moment où le lien structurel existait et qu’ils ont appliqué pour l’essentiel les mêmes directives commerciales. |
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Or, dans la décision litigieuse, la Commission aurait totalement omis d’apprécier si, pendant la courte durée du lien structurel ayant existé entre ITR SpA et ITR Rubber, ces conditions étaient remplies. Sur ce point, ladite décision ferait seulement mention de ce que, au moment du transfert des activités tuyaux marins par ITR SpA à ITR Rubber, cette dernière société était «détenue à 100 %» par la première. Elle ne ferait nullement référence à la jurisprudence en vertu de laquelle une société mère peut être présumée exercer une influence déterminante sur une filiale détenue à 100 %. Dans l’hypothèse d’ailleurs où la décision litigieuse se serait implicitement appuyée sur cette présomption, cela constituerait une violation des droits de la défense des défenderesses au pourvoi, puisque la communication des griefs ne s’y était pas clairement référée. |
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Les défenderesses au pourvoi en déduisent que, dès lors que la Commission a omis d’apprécier dans la décision litigieuse si ITR SpA et ITR Rubber constituaient une seule entreprise durant la courte période de temps pendant laquelle elles ont eu un lien structurel, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en concluant que Parker ITR ne pouvait pas être tenue responsable du comportement d’ITR SpA sur la seule base d’un tel lien structurel passé. |
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Au surplus, pour le cas où le premier moyen serait accueilli et où la Cour considérerait qu’il y a lieu de procéder à un nouveau calcul du montant de l’amende, les défenderesses au pourvoi font valoir que, faute d’avoir été contestés par la Commission dans son pourvoi, les points 139 et 140, 145 et 146 ainsi que 253 et 254 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a accueilli les cinquième et sixième moyens de leur recours et jugé que c’est à tort que le montant de l’amende qui leur avait été infligée avait été majoré au motif que Parker ITR aurait joué, pendant la période allant du mois de juin 1999 au mois de septembre 2001, un rôle de meneur de l’infraction, sont devenus définitifs. |
Appréciation de la Cour
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Selon une jurisprudence constante, le droit de l’Union relatif à la concurrence vise les activités des entreprises, et la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Lorsqu’une telle entité enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir, notamment, arrêt Versalis/Commission, C‑511/11, EU:C:2013:386, point 51 et jurisprudence citée). |
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La Cour a précisé que, lorsqu’une entité ayant commis une infraction aux règles de la concurrence fait l’objet d’un changement juridique ou organisationnel, ce changement n’a pas nécessairement pour effet de créer une nouvelle entreprise dégagée de la responsabilité des comportements contraires aux règles de la concurrence de la précédente entité si, du point de vue économique, il y a identité entre les deux entités. En effet, si des entreprises pouvaient échapper à des sanctions par le simple fait que leur identité ait été modifiée par suite de restructurations, de cessions ou d’autres changements juridiques ou organisationnels, l’objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et d’en prévenir le renouvellement au moyen de sanctions dissuasives serait compromis (arrêt ETI e.a., EU:C:2007:775, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée). |
41 |
La Cour a ainsi jugé que, lorsque deux entités constituent une même entité économique, le fait que l’entité ayant commis l’infraction existe encore n’empêche pas, par lui-même, que soit sanctionnée l’entité à laquelle elle a transféré ses activités économiques. En particulier, une telle mise en œuvre de la sanction est admissible lorsque ces entités ont été sous le contrôle de la même personne et ont, eu égard aux liens étroits qui les unissent sur le plan économique et organisationnel, appliqué pour l’essentiel les mêmes directives commerciales (arrêts ETI e.a., EU:C:2007:775, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée, et Versalis/Commission, EU:C:2013:386, point 52). |
42 |
En l’espèce, le premier moyen du pourvoi porte sur le point de savoir si, dans le cadre de l’infraction sanctionnée par la décision litigieuse, la responsabilité d’ITR Rubber peut être retenue, en vertu des principes dégagés par la jurisprudence mentionnée aux points 40 et 41 du présent arrêt, pour la période antérieure au 1er janvier 2002. |
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Selon la Commission, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que c’est à tort que cette institution a fait application de ladite jurisprudence dans la décision litigieuse dès lors qu’il n’existait pas, entre le cédant et le cessionnaire, de liens structurels. Les défenderesses au pourvoi sont, quant à elles, d’avis que le Tribunal a correctement appliqué cette jurisprudence dès lors que la Commission avait omis d’apporter la preuve qu’il existait, entre les deux entités concernées, des liens effectifs. |
– Sur l’appréciation de l’existence de liens structurels entre l’entité cédante et l’entité cessionnaire
44 |
À titre liminaire, il convient de rappeler que la Commission a reproché à ITR Rubber un comportement infractionnel s’étendant sur la période allant du 1er avril 1986 au 2 mai 2007, en distinguant deux périodes distinctes, la première allant du 1er avril 1986 au 31 décembre 2001, la seconde à partir du mois de janvier 2002. |
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S’agissant de la période allant du 1er avril 1986 au 31 décembre 2001, la Commission, ainsi qu’il ressort des considérants 328 et 370 de la décision litigieuse, a tout d’abord retenu que, à la date du 1er janvier 2002, ITR SpA était responsable de son propre comportement comme de celui de son prédécesseur Pirelli Treg SpA, qu’elle avait purement et simplement absorbé au mois de décembre 1990. La Commission a ensuite constaté que, à la même date du 1er janvier 2002, ITR SpA a transféré ses activités dans le secteur des tuyaux marins à sa filiale à 100 % ITR Rubber dans le cadre d’une réorganisation interne du groupe. La Commission a également constaté que, à la date de ce transfert, ITR SpA et ITR Rubber étaient unies sur le plan économique par un lien de société mère à filiale à 100 % et faisaient partie de la même entreprise. La Commission a considéré que, dans un tel cas, conformément à la jurisprudence de la Cour, la responsabilité pour le comportement infractionnel antérieur du cédant peut être transmise au cessionnaire, même si le cédant continue à exister juridiquement. |
46 |
Dans ce contexte, force est de constater que, en excluant, au point 116 de l’arrêt attaqué, que le principe de la continuité économique puisse trouver application dans un cas où, comme en l’espèce, il n’existe entre le cédant, à savoir Saiag SpA ou sa filiale ITR SpA, et le cessionnaire, identifié comme étant Parker-Hannifin, aucun lien structurel, le Tribunal a joint, dans son appréciation, deux opérations distinctes. Le Tribunal a omis de prendre en compte le fait que, dans un premier temps, ITR SpA avait transféré ses activités dans le secteur des tuyaux marins à l’une de ses filiales avant, dans un second temps, de céder cette filiale à Parker‑Hannifin. |
47 |
Quant aux considérations qui l’ont conduit à ignorer, dans le cadre de son raisonnement, le transfert d’activités par ITR SpA à sa filiale ITR Rubber, le Tribunal a relevé, au point 115 de l’arrêt attaqué, que cette filiale n’a eu que sept mois d’existence au sein du groupe et n’a exercé que brièvement, pendant un mois, des activités en lien avec les tuyaux marins et, plus généralement, qu’elle n’avait été constituée qu’en vue d’être vendue à une entreprise tierce. Le Tribunal en a déduit, au point 116 dudit arrêt, que, dans ces conditions, c’est l’ancien exploitant des activités en cause, c’est-à-dire ITR SpA et sa société mère Saiag SpA, qui aurait dû répondre de l’infraction pour la période antérieure au 1er janvier 2002. |
48 |
Afin d’examiner la cohérence du raisonnement développé par le Tribunal, il y a lieu, dès lors, d’examiner si ces considérations relatives, respectivement, à la date à laquelle des liens structurels doivent avoir existé entre le cédant et le cessionnaire et à la période pendant laquelle ces liens doivent avoir existé entre ceux-ci ainsi qu’à l’objectif poursuivi par le transfert d’activités sont pertinentes aux fins d’apprécier l’existence d’un cas de continuité économique. Il convient également de vérifier si, en l’espèce, la Commission était tenue d’imputer aux anciens exploitants la responsabilité de l’infraction commise avant ledit transfert. |
49 |
En ce qui concerne, en premier lieu, la date à laquelle des liens structurels doivent avoir existé entre le cédant et le cessionnaire et la période pendant laquelle ces liens doivent avoir existé entre ceux-ci pour qu’il puisse être conclu à un cas de continuité économique, il y a lieu de relever que la Cour a admis l’existence d’un tel cas tant dans des situations où le transfert d’activités avait eu lieu pendant la période infractionnelle et où des liens structurels entre le cédant et le cessionnaire avaient existé pendant cette période (arrêt ETI e.a., EU:C:2007:775, points 45 et 50) que dans des situations où ledit transfert avait eu lieu après la cessation de l’infraction, dès lors que les liens structurels entre les deux entités existaient à la date de ce transfert (voir, notamment, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 59, 351, 356 et 357). Dans aucun cas, la Cour n’a indiqué qu’il était nécessaire que ces liens perdurent jusqu’à l’adoption de la décision sanctionnant l’infraction. |
50 |
Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 68 de ses conclusions, il y a lieu d’en déduire que la date pertinente pour apprécier, aux fins d’établir l’existence d’une situation de continuité économique, s’il s’agit d’un transfert d’activités à l’intérieur d’un groupe ou bien d’un transfert entre entreprises indépendantes doit être celle du transfert lui-même. |
51 |
S’il est nécessaire qu’existent à cette date, entre le cédant et le cessionnaire, des liens structurels permettant de considérer, conformément au principe de la responsabilité personnelle, que les deux entités forment une seule entreprise, il n’est toutefois pas requis, au regard de la finalité poursuivie par le principe de la continuité économique, que ces liens perdurent pendant toute la période infractionnelle restante ou jusqu’à l’adoption de la décision sanctionnant l’infraction. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 40 du présent arrêt, l’application de ce principe vise à prévenir que l’effet utile des règles de concurrence soit compromis du fait de restructurations ou de cessions affectant les entreprises concernées. Il convient d’ajouter à cette considération que le principe de sécurité juridique requiert que l’imputation d’une responsabilité ne dépende pas de la réalisation d’un évènement fortuit et incertain, tel qu’un nouveau changement organisationnel décidé par les entreprises concernées. |
52 |
De la même façon et pour les mêmes raisons, il n’est pas nécessaire que les liens structurels permettant d’établir l’existence d’une situation de continuité économique perdurent pendant une période minimale qui ne pourrait, en tout état de cause, être définie qu’au cas par cas et de manière rétroactive. |
53 |
S’agissant, en deuxième lieu, de la prise en considération, aux fins de conclure à l’existence d’une continuité économique, de l’objectif poursuivi par le transfert d’activités, le principe de sécurité juridique conduit également à écarter comme étant dépourvue de pertinence la circonstance, relevée au point 115 de l’arrêt attaqué, que l’entité cessionnaire a été créée et a reçu les actifs en vue d’une cession ultérieure à un tiers indépendant. La prise en considération de la motivation économique à l’origine de la création d’une filiale comme de l’objectif, poursuivi à un terme plus ou moins éloigné, d’une cession de cette filiale à une entreprise tierce introduirait en effet, dans la mise en œuvre du principe de continuité économique, des facteurs subjectifs incompatibles avec une application transparente et prévisible de ce principe. |
54 |
Pour ce qui est, en troisième lieu, de l’affirmation, énoncée au point 116 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission, dans les conditions de l’espèce, aurait dû imputer aux anciens exploitants la responsabilité de l’infraction commise avant le transfert d’activités, il y a lieu de relever qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un raisonnement erroné, par lequel le Tribunal a écarté d’emblée l’existence d’une continuité économique. Il n’en demeure pas moins qu’il est de jurisprudence constante que, lorsqu’une telle situation est établie, le fait que l’entité ayant commis l’infraction existe encore n’empêche pas, par lui-même, que soit sanctionnée l’entité à laquelle elle a transféré ses activités économiques (voir, notamment, arrêt Versalis/Commission, EU:C:2013:386, points 52 à 54). |
55 |
Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en tant qu’il a jugé, aux points 115 et 116 de l’arrêt attaqué, sans prendre en considération les liens existant entre ITR SpA et ITR Rubber à la date du transfert d’activités intervenu entre ces deux entités, qu’une situation de continuité économique était exclue en l’espèce en raison d’une absence de liens structurels entre l’entité cédante et l’entité cessionnaire, qu’il avait identifiées comme étant Saiag SpA ou ITR SpA et Parker‑Hannifin. |
56 |
Une telle erreur pourrait néanmoins être inopérante dans l’hypothèse où, en tout état de cause, une situation de continuité économique devrait être exclue en raison de l’absence de liens effectifs entre ITR SpA et ITR Rubber. C’est dans cette perspective qu’il convient d’analyser l’argument des défenderesses au pourvoi selon lequel c’est à bon droit que le Tribunal a écarté l’existence d’une situation de continuité économique dès lors que la Commission avait omis, dans la décision litigieuse, de vérifier si ITR Rubber était bien sous le contrôle effectif d’ITR SpA. |
– Sur l’appréciation de l’existence de liens effectifs entre l’entité cédante et l’entité cessionnaire
57 |
À cet égard, il convient de relever que la Commission a expressément constaté, au considérant 370 de ladite décision, que, à la date du transfert d’activités entre ces deux sociétés, celles-ci étaient unies sur le plan économique par un lien de société mère à filiale à 100 % et faisaient partie de la même entreprise. |
58 |
Or, selon une jurisprudence établie, il existe, dans le cas particulier où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence de l’Union, une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale. Dans une telle situation, il suffit que la Commission prouve que la totalité ou la quasi-totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour considérer que ladite présomption est remplie (voir, notamment, arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, point 60; Eni/Commission, C‑508/11 P, EU:C:2013:289, point 47 et jurisprudence citée, ainsi que Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, points 105 à 111). |
59 |
Les défenderesses au pourvoi ne sauraient faire valoir que la décision litigieuse ne contient aucune mention de cette jurisprudence, dès lors qu’une référence explicite à cette dernière figure au considérant 325 de ladite décision. Elles ne sauraient non plus invoquer, au stade du pourvoi, une violation de leurs droits de la défense tirée de l’absence de discussion de cette présomption pendant la procédure administrative. Dès lors qu’elles ne se sont pas prévalues d’une telle violation dans leur requête introductive d’instance devant le Tribunal, où elles se sont bornées à contester le bien-fondé de l’application de ladite présomption dans leur cas, un tel argument doit, en tout état de cause, être rejeté comme irrecevable puisque nouveau (voir, notamment, arrêt Gascogne Sack Deutschland, C‑40/12 P, EU:C:2013:768, points 51 et 52). |
60 |
Dans la mesure où les défenderesses au pourvoi font valoir que, dans l’arrêt ETI e.a. (EU:C:2007:775, points 50 et 51), la Cour, tout en ayant pris acte de l’existence d’un lien structurel entre deux des entités en cause, à savoir qu’elles étaient détenues par la même autorité publique, a néanmoins laissé au juge national le soin de vérifier si ces entités avaient été «sous la tutelle» de ladite autorité, il suffit de relever qu’il est normal que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel où l’appréciation des faits incombe au juge national, la Cour laisse à ce dernier la responsabilité de vérifier les rapports qu’entretenaient les entités en cause dans cette affaire, dont deux étaient des organismes publics. |
61 |
En l’espèce, en revanche, seules sont en cause deux sociétés commerciales, dont l’une détient la totalité du capital de l’autre, situation qui correspond au cas de figure visé par l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission (EU:C:2009:536). Contrairement à la thèse défendue par les défenderesses au pourvoi, la Commission était donc fondée à s’appuyer sur la présomption de l’exercice, par la société mère ITR SpA, d’une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale ITR Rubber. |
62 |
Toutefois, il convient de souligner que ladite présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante est réfragable et peut être renversée par la production d’éléments de preuve suffisants pour démontrer que la filiale se comporte de façon autonome sur le marché. À cet effet, il appartient aux entités concernées d’apporter tout élément relatif aux liens économiques, organisationnels et juridiques unissant la filiale en question à la société mère et qu’elles considèrent comme étant de nature à démontrer que la filiale a déterminé de manière autonome son comportement sur le marché et que, dès lors, elles ne constituaient pas une entité économique unique (voir, notamment, arrêt Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, points 56, 58 et 65 ainsi que jurisprudence citée). |
63 |
En l’espèce, il ressort du dossier transmis à la Cour que, dans leur requête introductive d’instance devant le Tribunal, les défenderesses au pourvoi ont soutenu que les liens économiques, organisationnels et juridiques qui ont uni ITR SpA et ITR Rubber pendant la période s’étendant de la création de cette dernière société, le 27 juin 2001, à sa cession à Parker‑Hannifin, le 31 janvier 2002, ne permettaient pas à ITR SpA d’exercer une influence déterminante sur sa filiale. Elles ont fait valoir à cet égard que, de sa création jusqu’au 1er janvier 2002, ITR Rubber n’a exercé aucune activité économique. À compter de la conclusion, le 5 décembre 2001, entre ITR SpA et Parker‑Hannifin du contrat portant sur la cession et l’acquisition d’ITR Rubber, les rapports entre ITR SpA et ITR Rubber auraient été régis par ce contrat, produit devant le Tribunal, dont les stipulations auraient empêché ITR SpA d’exercer une quelconque influence sur ITR Rubber. Ces arguments ont toutefois été contestés par la Commission. |
64 |
Le Tribunal, ayant exclu d’emblée l’existence d’une situation de continuité économique, n’a examiné ni les arguments ni les éléments de preuve présentés par Parker ITR et Parker‑Hannifin, pas plus que les objections de la Commission. |
65 |
Il découle des considérations qui précèdent que le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant d’examiner, aux fins de vérifier si la Commission avait fait une application correcte du principe de la continuité économique, les éléments qui lui avaient été soumis par les parties quant à l’existence ou à l’absence de liens effectifs sous la forme d’une influence déterminante d’ITR SpA sur ITR Rubber. |
66 |
Il s’ensuit que le premier moyen doit être accueilli et que l’arrêt attaqué doit être annulé dans la mesure où le Tribunal a jugé, pour les motifs indiqués aux points 115 et 116 de cet arrêt, que la responsabilité de Parker ITR ne peut être retenue pour la période infractionnelle antérieure au 1er janvier 2002. |
67 |
Dans un souci de cohérence et dans l’intérêt de la sécurité juridique, il y a lieu de préciser que, contrairement à ce que font valoir les défenderesses au pourvoi, l’arrêt attaqué doit être également annulé dans la mesure où, par voie de conséquence et sans aucun examen au fond, le Tribunal a annulé, aux points 139 et 140, 145 et 146 ainsi que 253 et 254 de cet arrêt, la majoration de l’amende infligée dans la décision litigieuse en raison du rôle de meneur joué par Parker ITR dans le cadre de l’entente pendant la période allant du mois de juin 1999 au mois de septembre 2001. |
Sur le second moyen, tiré de ce que le Tribunal a statué ultra petita et a violé le principe de non-discrimination
Argumentation des parties
68 |
La Commission soutient que, en réduisant de 100000 euros le montant à hauteur duquel Parker-Hannifin, en tant que société mère, doit être tenue pour conjointement responsable du paiement de l’amende infligée à Parker ITR, le Tribunal a statué ultra petita. En effet, dans son recours, Parker‑Hannifin n’aurait contesté ni la durée effective de sa participation à l’infraction, que le Tribunal a d’ailleurs confirmée aux points 129 et 256 de l’arrêt attaqué, ni le facteur lié à la durée appliqué par la Commission dans le calcul du montant de l’amende. |
69 |
La Commission observe que la motivation donnée au point 257 de l’arrêt attaqué pour justifier cette réduction, selon laquelle «la responsabilité solidaire de Parker‑Hannifin ne saurait être retenue pour la période allant du 1er au 31 janvier 2002», est dénuée de pertinence dès lors que, dans la décision litigieuse, la responsabilité de Parker‑Hannifin n’a pas été retenue pour la période en question. |
70 |
Pour autant que le Tribunal a voulu faire référence à la circonstance que la durée de la participation de Parker ITR à l’infraction, telle que retenue dans l’arrêt attaqué, a été plus longue d’un mois que celle retenue à l’encontre de Parker‑Hannifin, la Commission fait valoir que cette circonstance ne saurait justifier une réduction. En effet, compte tenu de la méthode d’arrondi prévue au point 24, seconde phrase, des lignes directrices de 2006, qui ont été appliquées à tous les destinataires de la décision litigieuse et auxquelles le Tribunal s’est référé dans l’arrêt attaqué, une différence d’un mois dans la durée de l’infraction ne pourrait être prise en compte aux fins de la détermination du montant de base de l’amende. En procédant néanmoins à une réduction pour un tel motif, le Tribunal aurait violé le principe de non-discrimination. |
71 |
Selon la Commission, le Tribunal aurait dû à tout le moins motiver les raisons pour lesquelles il s’est écarté de cette méthode. |
72 |
À titre liminaire, les défenderesses au pourvoi soutiennent que, l’arrêt attaqué ayant été rendu dans le cadre d’une procédure ne concernant qu’elles-mêmes, le Tribunal n’était pas tenu, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, par la méthode de calcul de l’amende utilisée par la Commission. |
73 |
En réduisant la partie de l’amende infligée à Parker ITR dont Parker Hannifin est tenue pour solidairement responsable, le Tribunal aurait à juste titre tenu compte du fait que la participation de cette dernière, en tant que société mère de Parker ITR, dans l’infraction avait été plus courte d’un mois que la participation directe de sa filiale. Toute autre approche aurait constitué une discrimination de Parker‑Hannifin. |
Appréciation de la Cour
74 |
En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission infligeant une amende pour violation des règles de concurrence, le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement no 1/2003. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir, notamment, arrêt KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, EU:C:2011:816, point 130 ainsi que jurisprudence citée). |
75 |
Afin de satisfaire aux exigences d’un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en ce qui concerne l’amende, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 TFUE et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction (arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 200). |
76 |
L’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut cependant pas à un contrôle d’office et la procédure est contradictoire. C’est à la partie requérante qu’il appartient, en principe, de soulever les moyens à l’encontre de la décision attaquée et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (voir, notamment, Telefónica et Telefónica de España/Commission, EU:C:2014:2062, point 213 ainsi que jurisprudence citée). |
77 |
Au surplus, ainsi que l’a rappelé M. l’avocat général au point 113 de ses conclusions, le Tribunal est tenu, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, par certaines obligations. Parmi celles-ci figurent l’obligation de motivation, qui s’impose à lui en vertu de l’article 36 du statut de la Cour, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que le principe de l’égalité de traitement. L’exercice d’une compétence de pleine juridiction ne saurait en effet entraîner, lors de la détermination du montant des amendes qui leur sont infligées, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à une infraction aux règles de concurrence (arrêt Sarrió/Commission, C‑291/98 P, EU:C:2000:631, point 97). |
78 |
En l’espèce, la Commission a, dans la décision litigieuse, constaté que Parker ITR avait participé à l’entente du 1er avril 1986 au 2 mai 2007 et Parker Hannifin du 31 janvier 2002 au 2 mai 2007. Pour ce motif, elle a infligé à Parker ITR une amende de 25610000 euros, en précisant que, sur ce montant, Parker‑Hannifin était tenue pour responsable conjointement et solidairement à hauteur de 8320000 euros. Ainsi qu’il ressort notamment du point 448 de la décision litigieuse, le fait que la responsabilité solidaire de Parker‑Hannifin n’a été retenue que pour une partie de la totalité de l’amende infligée à Parker ITR s’explique notamment par l’application, conformément au point 24, première phrase, des lignes directrices de 2006, d’un multiplicateur, égal au nombre d’années de participation à l’infraction, différent dans le cas des deux sociétés. |
79 |
Dans leur requête introductive d’instance, Parker ITR et Parker Hannifin ont contesté la durée de l’infraction qui avait été retenue à leur encontre dans la décision litigieuse et ont demandé au Tribunal de réduire, pour ce motif, le montant de l’amende qui leur avait été infligée dans cette décision. |
80 |
Au terme de son examen des moyens et des éléments de preuve présentés par Parker ITR et Parker‑Hannifin, le Tribunal a tout d’abord jugé qu’aucune infraction ne pouvait être retenue à l’encontre de Parker ITR pour la période antérieure au 1er janvier 2002. Par voie de conséquence, il a également annulé la majoration appliquée dans la décision litigieuse à l’amende infligée à Parker ITR et à Parker‑Hannifin en raison du rôle de meneur joué par Parker ITR dans le cadre de l’entente pendant la période allant du mois de juin 1999 au mois de septembre 2001. |
81 |
Exerçant ensuite son pouvoir de pleine juridiction, il a réduit le montant de l’amende infligée à Parker ITR à 6 400 000 euros, montant dont la Commission ne conteste pas l’adéquation. |
82 |
À ce stade, il incombait donc au Tribunal, conformément aux conclusions de Parker‑Hannifin, de recalculer à quelle hauteur cette société devait être tenue pour conjointement et solidairement responsable du nouveau montant de l’amende infligée à Parker ITR. |
83 |
À cet effet, le Tribunal s’est appuyé, au point 257 de l’arrêt attaqué, sur la circonstance, incontestée dans le recours dont il avait été saisi et confirmée dans l’arrêt attaqué, que Parker‑Hannifin ne pouvait être tenue pour responsable de l’infraction, en sa qualité de société mère, pour la période allant du 1er au 31 janvier 2002. Dans cette mesure et contrairement à ce que fait valoir la Commission, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir statué ultra petita. |
84 |
Toutefois, il y a lieu de relever que c’est sans se référer à un quelconque autre élément pouvant tenir lieu de motivation que le Tribunal a fixé à 6 300 000 euros le montant à concurrence duquel Parker‑Hannifin devait être tenue pour conjointement et solidairement responsable de l’amende infligée à Parker ITR. |
85 |
Dans ces conditions, force est de constater que le Tribunal a omis de fournir les éléments nécessaires pour permettre, d’une part, aux intéressées de connaître les raisons pour lesquelles il a fixé à ce niveau le montant de l’amende imputable à Parker‑Hannifin et, d’autre part, à la Cour d’exercer son contrôle sur la légalité de la réduction opérée, notamment au regard du respect du principe de l’égalité de traitement tel qu’il est invoqué par la Commission. |
86 |
Il y a lieu dès lors d’accueillir le second moyen invoqué par la Commission à l’appui de son pourvoi pour autant qu’il est pris d’une violation de l’obligation de motivation. |
87 |
Par conséquent, l’arrêt attaqué doit être annulé en ce que, au point 257 de cet arrêt, le Tribunal a réduit, sans aucune motivation, de 100000 euros le montant à hauteur duquel Parker-Hannifin, en tant que société mère, doit être tenue pour conjointement responsable du paiement de l’amende infligée à Parker ITR. |
Sur l’argumentation des défenderesses au pourvoi, tirée de la violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003
Argumentation des parties
88 |
Dans leur mémoire en réponse, les défenderesses au pourvoi soutiennent que, dans l’hypothèse où le premier moyen serait accueilli, la partie de l’amende dont Parker ITR pourrait être jugée seule responsable ne saurait, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, excéder 10 % du chiffre d’affaires qu’elle a réalisé au cours de l’exercice social ayant précédé l’adoption de la décision litigieuse. |
89 |
À cet égard, elles rappellent que, jusqu’au 31 janvier 2002, Parker ITR et Parker‑Hannifin étaient deux entreprises distinctes. Pour ce motif, elles ont fait valoir devant le Tribunal, dans le cadre de leur huitième moyen, que, aux fins de déterminer le plafond de 10 % applicable au montant de l’amende dont Parker ITR pourrait être tenue pour seule responsable au titre de la période antérieure au 31 janvier 2002, il y aurait lieu, contrairement à ce qu’a fait la Commission dans la décision litigieuse, de ne prendre en considération que le chiffre d’affaires réalisé par Parker ITR en 2008, et non le chiffre d’affaires consolidé du groupe Parker‑Hannifin pour cette même année. Les défenderesses au pourvoi ajoutent que c’est en ce sens que s’est prononcé M. l’avocat général Wathelet dans ses conclusions dans l’affaire YKK e.a./Commission (EU:C:2014:66, points 96 à 145). |
90 |
Lors de l’audience, la Commission a fait valoir que cette argumentation doit être rejetée comme étant irrecevable au motif qu’elle n’a pas été présentée dans le cadre d’un pourvoi incident. Les défenderesses au pourvoi ont répliqué que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur cette question dans l’arrêt attaqué. |
Appréciation de la Cour
91 |
Conformément à l’article 172 du règlement de procédure, entré en vigueur le 1er novembre 2012, toute partie à l’affaire en cause devant le Tribunal ayant un intérêt à l’accueil ou au rejet du pourvoi peut présenter un mémoire en réponse dans un délai de deux mois à compter de la signification du pourvoi. L’article 176, paragraphe 1, de ce règlement prévoit en outre que les parties visées à cet article 172 peuvent présenter un pourvoi incident dans le même délai que celui prévu pour la présentation du mémoire en réponse. À cet effet, l’article 176, paragraphe 2, dudit règlement, dispose que le pourvoi incident doit être formé par acte séparé, distinct du mémoire en réponse. |
92 |
Afin d’établir si cette dernière disposition est applicable dans le présent contexte, il est nécessaire de rechercher préalablement si le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, examiné et tranché la question de droit soulevée par Parker ITR et Parker‑Hannifin. |
93 |
À cet égard, il y a lieu de relever que, au point 227 dudit arrêt, le Tribunal s’est tout d’abord référé à son arrêt Tokai Carbon e.a./Commission (EU:T:2005:220). Il est à noter que c’est sur ce même arrêt que cette juridiction s’est appuyée, pour trancher une question de droit similaire, dans son arrêt YKK e.a./Commission (T‑448/07, EU:T:2012:322, point 193), lequel a fait l’objet de la procédure de pourvoi à laquelle les défenderesses au pourvoi se sont référées dans leur mémoire en réponse. |
94 |
Au point 228 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ensuite jugé le huitième moyen du recours non fondé en ce qu’il portait sur la période infractionnelle postérieure au 1er janvier 2002, en ce comprise la période allant du 1er au 31 janvier 2002 pendant laquelle ITR Rubber n’appartenait pas encore au groupe Parker‑Hannifin. |
95 |
L’appréciation portée par le Tribunal se reflète dans la méthode de calcul qu’il a utilisée pour recalculer le montant de l’amende infligée à Parker ITR ainsi qu’au point 3 du dispositif de l’arrêt attaqué, où il n’a pas distingué entre la période allant du 1er au 31 janvier 2002 et la période postérieure à cette date. |
96 |
Dès lors, il y a lieu de constater que le Tribunal a bien examiné et tranché, dans le cadre du huitième moyen du recours, la question de droit soulevée par Parker ITR et de Parker‑Hannifin, en rejetant leur argumentation. |
97 |
Dans ces conditions, dès lors que les défenderesses au pourvoi n’ont pas, ainsi que le requiert l’article 176, paragraphe 2, du règlement de procédure, formé un pourvoi incident par acte séparé, distinct de leur mémoire en réponse, dirigé contre l’appréciation portée par le Tribunal sur le huitième moyen de leur recours, leur argumentation relative à l’application de l’article 23, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 doit être rejetée comme irrecevable. |
98 |
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, notamment aux points 55, 66, 67 et 87 du présent arrêt, les points 1 à 3 du dispositif de l’arrêt attaqué doivent être annulés. |
Sur le recours devant le Tribunal
99 |
Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour, celle-ci, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue. |
100 |
En l’occurrence, la Cour considère que le litige n’est pas en état d’être jugé dès lors que, pour apprécier si la Commission était ou non fondée à faire application, dans la décision litigieuse, du principe de la continuité économique à l’égard des défenderesses au pourvoi, il convient au préalable d’examiner si les éléments que ces dernières avaient présentés dans leur recours devant le Tribunal sont suffisants pour renverser la présomption selon laquelle ITR SpA, en tant que société mère détenant 100 % du capital d’ITR Rubber, a exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. |
101 |
Il y a lieu, par conséquent, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue sur le fond. |
Sur les dépens
102 |
L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents au présent pourvoi. |
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête: |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.