ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 septembre 2013 ( *1 )

«Réexamen de l’arrêt du Tribunal T‑268/11 P — Fonction publique — Décision de la Commission refusant le report d’un congé annuel payé n’ayant pu être pris par un fonctionnaire pendant la période de référence pour cause de congé de maladie de longue durée — Article 1er sexies, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne — Article 4 de l’annexe V de ce statut — Directive 2003/88/CE — Article 7 — Droit au congé annuel payé — Principe du droit social de l’Union — Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Atteinte à l’unité et à la cohérence du droit de l’Union»

Dans l’affaire C‑579/12 RX-II,

ayant pour objet le réexamen, au titre de l’article 256, paragraphe 2, second alinéa, TFUE, de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 novembre 2012, Commission/Strack (T‑268/11 P), rendu dans la procédure

Commission européenne,

contre

Guido Strack, ancien fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant à Cologne (Allemagne),

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, U. Lõhmus, M. Safjan et Mme A. Prechal (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour M. Strack, par Me H. Tettenborn, Rechtsanwalt,

pour la Commission européenne, par Mme B. Eggers ainsi que par MM. J. Curall et H. Kraemer, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par Mme P. Plaza Garcia ainsi que par MM. M. Bauer et J. Hermann, en qualité d’agents,

vu les articles 62 bis et 62 ter, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne,

l’avocat général entendu,

rend le présent

Arrêt

1

La présente procédure a pour objet le réexamen de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne (chambre des pourvois) du 8 novembre 2012, Commission/Strack (T‑268/11 P, ci-après l’«arrêt du 8 novembre 2012»), par lequel celui-ci a annulé l’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne du 15 mars 2011, Strack/Commission (F‑120/07), ayant annulé la décision de la Commission, du 15 mars 2007 limitant à douze jours le report du congé annuel non pris par M. Strack en 2004 (ci-après la «décision litigieuse»).

2

Le réexamen porte sur les questions de savoir si, eu égard à la jurisprudence de la Cour afférente au droit au congé annuel payé en tant que principe du droit social de l’Union, également expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») et notamment visé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO L 299, p. 9), l’arrêt du 8 novembre 2012 porte atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’Union en ce que le Tribunal de l’Union européenne, en tant que juridiction de pourvoi, a interprété:

l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le «statut») comme ne couvrant pas les prescriptions relatives à l’aménagement du temps de travail visées par la directive 2003/88, et, notamment, le congé annuel payé, et,

subséquemment, l’article 4 de l’annexe V dudit statut comme impliquant que le droit de report du congé annuel au-delà de la limite que fixe ladite disposition ne peut être accordé que dans le cas d’un empêchement lié à l’activité du fonctionnaire du fait de l’exercice de ses fonctions.

Le cadre juridique

La Charte

3

Sous l’intitulé «Conditions de travail justes et équitables», l’article 31 de la Charte dispose:

«1.   Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.

2.   Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.»

Le statut

4

Figurant dans le titre premier, intitulé «Dispositions générales», du statut, l’article 1er sexies, paragraphe 2, de celui-ci énonce:

«Les fonctionnaires en activité bénéficient de conditions de travail qui respectent les normes de santé et de sécurité appropriées, au moins équivalentes aux prescriptions minimales applicables en vertu des mesures arrêtées dans ces domaines en application des traités.»

5

L’article 57, premier alinéa, du statut dispose:

«Le fonctionnaire a droit, par année civile, à un congé annuel de 24 jours ouvrables au minimum et de 30 jours ouvrables au maximum, conformément à une réglementation à établir d’un commun accord entre les institutions [de l’Union] après avis du comité du statut.»

6

L’article 4 de l’annexe V du statut prévoit:

«Si un fonctionnaire, pour des raisons non imputables aux nécessités du service, n’a pas épuisé son congé annuel avant la fin de l’année civile en cours, le report de congé sur l’année suivante ne peut excéder [douze] jours.

Si un fonctionnaire n’a pas épuisé son congé annuel au moment de la cessation de ses fonctions, il lui sera versé, à titre de compensation, par jour de congé dont il n’a pas bénéficié, une somme égale au trentième de sa rémunération mensuelle au moment de la cessation de ses fonctions.

[…]»

La directive 2003/88

7

Aux termes de l’article 1er de la directive 2003/88, intitulé «Objet et champ d’application»:

«1.   La présente directive fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail.

2.   La présente directive s’applique:

a)

aux périodes minimales […] de congé annuel […]

[…]»

8

L’article 7 de ladite directive dispose:

«1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.   La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.»

Les antécédents de l’affaire soumise à réexamen

Les faits à l’origine du litige

9

M. Strack est un ancien fonctionnaire de la Commission européenne. Entre le 1er mars 2004 et sa mise à la retraite pour invalidité, avec effet au 1er avril 2005, il a été en congé de maladie.

10

Le 27 décembre 2004, M. Strack a sollicité le report sur l’année 2005 de 38,5 jours de congé non pris en 2004, en indiquant qu’il n’avait pas pu prendre ceux-ci en raison, notamment, de sa maladie professionnelle. Cette demande a été rejetée par décision du 30 mai 2005 en ce qui concerne les 26,5 jours excédant les 12 jours dont le report est opéré de plein droit en vertu de l’article 4 de l’annexe V du statut. Sur réclamation, cette décision a été confirmée par une décision du 25 octobre 2005, celle-ci ayant toutefois réservé la possibilité d’introduire ultérieurement une nouvelle demande de report du solde de congé de l’année 2004 en cas de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie de l’intéressé.

11

Une telle nouvelle demande de report ayant été introduite par M. Strack, le 22 novembre 2006, celle-ci a été rejetée par la décision litigieuse.

L’arrêt Strack/Commission, précité

12

Le 22 octobre 2007, M. Strack a saisi le Tribunal de la fonction publique d’un recours tendant notamment à l’annulation de la décision litigieuse en tant qu’elle limitait à douze jours le report de ses jours de congé annuel non pris en 2004 et réduisait, dès lors, dans la même proportion, la somme lui ayant été versée à titre de compensation de ces jours de congé lors de la cessation de ses fonctions.

13

À l’appui dudit recours, M. Strack a invoqué un moyen unique tiré de la violation de l’article 4, premier et deuxième alinéas, de l’annexe V du statut. Lors de l’audience, il s’est en outre prévalu de l’arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a. (C-350/06 et C-520/06, Rec. p. I-179), entre-temps rendu par la Cour.

14

Aux points 55 à 58 de l’arrêt Strack/Commission, précité, le Tribunal de la fonction publique a jugé, tout d’abord, qu’il découle de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut qu’il incombe à la Commission, dans l’application et l’interprétation des règles statutaires relatives au congé annuel, et notamment de l’article 4, premier et deuxième alinéas, de l’annexe V du statut, de veiller à garantir le respect des prescriptions minimales applicables en matière de conditions de travail respectant les normes de santé et de sécurité que comporte la directive 2003/88, et, en particulier, l’article 7 de celle-ci relatif au droit au congé annuel payé.

15

Il ressort, ensuite, des points 59 à 69 dudit arrêt que le Tribunal de la fonction publique a constaté, d’une part, que, pendant presque toute l’année 2004, M. Strack avait, pour raisons médicales, été dans l’impossibilité d’exercer son droit au congé annuel payé. D’autre part, il a considéré, en se référant plus particulièrement, à cet égard, aux points 22, 23, 25, 41, 45, 50 et 61 de l’arrêt Schultz-Hoff e.a, précité, qu’il découle de l’article 7 de la directive 2003/88 que le droit au congé annuel payé – droit qui est par ailleurs constitutif d’un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière également consacré par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte – implique que M. Strack ne pouvait, en l’occurrence, se voir priver de la possibilité de bénéficier d’une indemnité financière pour congé annuel non pris.

16

Enfin, aux points 70 à 78 de l’arrêt Strack/Commission, précité, le Tribunal de la fonction publique a alors jugé, en substance, que l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut ne régit pas la question de savoir s’il y a lieu de reporter des jours de congé annuel lorsque le fonctionnaire a été dans l’impossibilité de les prendre pour des raisons indépendantes de sa volonté, telles que des raisons médicales. Ladite juridiction a considéré que les prescriptions minimales de sécurité et de santé visées à l’article 1er sexies du statut et, notamment, les dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88, viennent, à cet égard, compléter les dispositions proprement statutaires relatives aux congés et que l’interprétation donnée par la Cour dans l’arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, à propos dudit article 7 devait dès lors être transposée, en l’occurrence, par l’application combinée des articles 1er, sexies, et 57 du statut.

17

Partant, le Tribunal de la fonction publique a conclu, au point 79 dudit arrêt, que, en limitant à douze jours, dans les circonstances de l’espèce, par application de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut, le bénéfice d’un report des jours de congé annuel payé non pris au titre de l’année 2004 en raison d’un congé de maladie de longue durée, la Commission avait méconnu la portée de ladite disposition. En conséquence, il a annulé la décision litigieuse.

L’arrêt du 8 novembre 2012

18

Saisi par la Commission d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt Strack/Commission, précité, le Tribunal a, dans l’arrêt du 8 novembre 2012, tout d’abord, rejeté le troisième moyen de ce pourvoi, tiré de l’existence d’un vice de procédure.

19

Le Tribunal a, ensuite, accueilli le premier moyen et la première branche du deuxième moyen, tirés, respectivement, de la violation de l’article 4 de l’annexe V du statut et de l’article 1er sexies, paragraphe 2, de celui-ci, en se prononçant comme suit aux points 38 à 56 dudit arrêt:

«38

[…] [le Tribunal de la fonction publique] a considéré que l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut […] exigeait que les dispositions prévues par le statut relatives au temps d’aménagement du travail et, notamment, au congé annuel soient conformes ou, au moins, équivalentes aux prescriptions minimales fixées par l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, telles qu’interprétées par la jurisprudence de la Cour et, en particulier, l’arrêt Schultz-Hoff e.a., précité.

[…]

40

Il importe de relever, toutefois, que les directives sont adressées aux États membres et non aux institutions de l’Union. Les dispositions de la directive 2003/88 ne sauraient, par conséquent, être considérées comme imposant en tant que telles des obligations aux institutions dans leurs rapports avec leur personnel […]

[…]

42

Néanmoins, la circonstance qu’une directive ne lie pas, comme telle, les institutions et qu’elle ne puisse fonder une exception d’illégalité d’une disposition du statut ne saurait exclure que les règles ou principes édictés dans cette directive puissent être invoqués à l’encontre des institutions lorsqu’ils n’apparaissent, eux-mêmes, que comme l’expression spécifique de règles fondamentales du traité [CE] et de principes généraux qui s’imposent directement auxdites institutions (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 septembre 2003, Rinke, C-25/02, Rec. p. I-8349, points 25 à 28 […]).

43

De même, une directive pourrait lier une institution quand celle-ci a, dans le cadre de son autonomie organisationnelle et dans les limites du statut, entendu donner exécution à une obligation particulière énoncée par une directive ou encore dans l’occurrence où un acte de portée générale d’application interne renvoie, lui-même, expressément aux mesures arrêtées par le législateur de l’Union en application des traités (arrêt [du Tribunal de la fonction publique,] Aayhan e.a./Parlement, [F-65/07, RecFP p. I-A-1-1054 et II-A-1-567], point 116).

[…]

45

Toutefois, les exceptions susmentionnées, selon lesquelles les dispositions d’une directive peuvent indirectement lier une institution dans certaines circonstances […] ne s’appliquent pas en l’espèce.

46

À cet égard, il convient de relever, premièrement, […] que le droit au congé annuel payé visé à l’article 7 de la directive 2003/88 doit, selon une jurisprudence constante, être perçu comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive elle-même (voir arrêt de la Cour du 24 janvier 2012, Dominguez, C‑282/10, point 16 et la jurisprudence citée).

47

Il y a lieu de noter, deuxièmement, que le droit au congé annuel est expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la [Charte] à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE […] reconnaît la même valeur juridique que les traités (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 22 novembre 2011, KHS, C-214/10, [Rec. p. I-11757], point 37; du 3 mai 2012, Neidel, C‑337/10, point 40, et du 21 juin 2012, ANGED, C‑78/11, point 17).

48

Le droit au congé annuel ne saurait, troisièmement, être interprété de manière restrictive (voir arrêt ANGED, précité, point 18 et la jurisprudence citée).

49

Toutefois, à supposer même que le droit au congé annuel puisse être perçu comme un principe général de droit, au sens de la jurisprudence visée au point 42 ci-dessus, qui s’impose directement aux institutions et à l’aune duquel pourrait être appréciée la légalité d’un de leurs actes, il ne saurait, en tout état de cause, être considéré que l’article 4 de l’annexe V du statut a privé M. Strack de l’exercice de ce droit.

50

En effet, cet article se borne à définir les modalités de report et de compensation en cas de jours de congé annuel non pris, en autorisant le report automatique de douze jours de congé annuel non pris sur l’année suivante et en prévoyant une possibilité de report pour les jours dépassant ce seuil lorsque le non-épuisement du congé annuel est imputable aux nécessités du service. Ainsi, il ne saurait être considéré que l’article 4 de l’annexe V du statut subordonne l’octroi ou l’exercice du droit au congé annuel à une condition le vidant de sa substance ou qu’il est incompatible avec l’économie et la finalité de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88. Au demeurant, l’exigence de soumission du report et de la compensation relatifs au congé annuel non pris à certaines conditions apparaît justifiée tant par la nécessité d’éviter le cumul de congés non pris de manière illimitée que par la protection des intérêts financiers de l’Union.

[…]

52

Enfin, force est de relever que, à la lecture du libellé de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut, il ne saurait être considéré que cet article correspond à la situation évoquée au point 43 ci-dessus, selon laquelle les institutions auraient, par son insertion dans le statut, entendu donner exécution à une obligation particulière énoncée par la directive 2003/88, ou que la référence contenue dans cet article aux prescriptions minimales applicables en vertu des mesures arrêtées dans les domaines de santé et de sécurité en application des traités renvoie à l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive, dès lors que l’objet de cette dernière diffère de celui de l’article 1er sexies du statut.

53

En effet, premièrement, il importe de relever que l’article 1er sexies du statut, qui s’intègre dans les dispositions générales du titre I dudit statut, se réfère à la conformité des conditions de travail des fonctionnaires en activité, aux ‘normes de sécurité et de santé appropriées’, ce qui semble viser les normes techniques minimales de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs sur leur lieu de travail, non régies par les autres dispositions du statut, et non les prescriptions minimales de sécurité et de santé de manière générale, couvrant également celles relatives à l’aménagement du temps de travail visées par la directive 2003/88 et, notamment, le congé annuel. Ainsi que le fait valoir la Commission, une interprétation aussi large de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut irait à l’encontre de l’autonomie du législateur de l’Union en matière de fonction publique, consacrée à l’article 336 TFUE.

54

Deuxièmement, le statut contient des dispositions spécifiques sur l’aménagement du temps de travail et des congés, dans son titre IV et dans son annexe V. La question soulevée en l’espèce, relative aux modalités de report, ou de compensation, des jours de congé annuel non pris sur l’année suivante, est spécifiquement régie par l’article 4 de l’annexe V du statut. Dès lors que cette disposition énonce une règle claire et précise, limitant le droit de report et de compensation du congé annuel par rapport au nombre de jours de congé non pris, il ne saurait être fait usage, au terme d’un raisonnement tiré, par analogie, de l’arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, des dispositions de la directive 2003/88 en se fondant sur une autre disposition du statut, telle que l’article 1er sexies, comme constituant une règle d’application générale, permettant de déroger aux dispositions spécifiques du statut en la matière. Cela conduirait à une interprétation contra legem du statut, ainsi que l’a fait valoir à bon droit la Commission devant le Tribunal de la fonction publique.

55

Il s’ensuit que le Tribunal de la fonction publique a appliqué, à tort, l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut, au lieu de se fonder sur l’article 4 de l’annexe V dudit statut.

56

Partant, il convient de considérer que le Tribunal de la fonction publique a commis une double erreur de droit en transposant l’article 7 de la directive 2003/88 à la situation de M. Strack, sur la base de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut, en dépit des restrictions contenues à l’article 4 de l’annexe V du statut et en considérant que ce dernier ne régissait pas la question soulevée en l’espèce.»

20

En conséquence de ce qui précède, le Tribunal a considéré qu’il y avait lieu d’annuler l’arrêt Strack/Commission, précité, sans qu’il soit par ailleurs nécessaire de se prononcer sur la seconde branche du deuxième moyen, par laquelle la Commission soutenait que le Tribunal de la fonction publique avait, en violation de l’obligation de motivation, omis d’examiner la question du champ d’application de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut qui avait été soulevée par elle.

21

Statuant, enfin, sur le recours de première instance de M. Strack, le Tribunal l’a rejeté, en jugeant notamment ce qui suit aux points 65 à 67 de l’arrêt du 8 novembre 2012:

«65

[…] les termes ‘nécessités du service’, utilisés par l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut, doivent être interprétés comme visant des activités professionnelles empêchant le fonctionnaire, du fait des devoirs de sa charge, de bénéficier du congé annuel auquel il a droit [arrêt du Tribunal du 9 juin 2005, Castets/Commission, T-80/04, RecFP p. I-A-161 et II-729], point 29). Ainsi, s’il convient d’admettre que le terme ‘service’, utilisé dans l’expression ‘nécessités du service’, renvoie à l’‘activité de l’agent au service de l’administration’, il résulte des dispositions de l’article 59, paragraphe 1, premier alinéa, du statut qu’un fonctionnaire ne peut bénéficier d’un congé de maladie que s’il ‘justifie être empêché d’exercer ses fonctions’. Il en résulte que, lorsqu’un fonctionnaire bénéficie d’un congé de maladie, il est, par définition, dispensé d’exercer ses fonctions et n’est donc pas en service au sens de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut (voir arrêt du Tribunal du 29 mars 2007, Verheyden/Commission, T-368/04, RecFP p. I-A-2-93 et II-A-2-665, point 61 et la jurisprudence citée).

66

En effet, les nécessités du service mentionnées à l’article 4 de l’annexe V du statut correspondent aux raisons susceptibles d’empêcher un fonctionnaire de prendre congé parce qu’il doit rester en fonction, afin d’effectuer les tâches requises par l’institution pour laquelle il travaille. Ces nécessités peuvent être ponctuelles ou permanentes, mais doivent nécessairement se rattacher à une activité au service de l’institution. A contrario, le congé de maladie permet d’excuser l’absence d’un fonctionnaire pour une raison valable. Compte tenu de sa situation de santé, celui-ci n’est plus tenu de travailler pour l’institution. En conséquence, la notion de ‘nécessités du service’ ne peut être interprétée comme recouvrant l’absence de service justifiée par un congé de maladie, et ce même en cas de maladie prolongée (arrêt Castets/Commission, précité, point 33). Un fonctionnaire en congé de maladie ne peut être censé travailler au service de l’institution, puisque précisément il en est dispensé (arrêt Verheyden/Commission, précité, points 62 et 63).

67

Compte tenu de l’interprétation particulièrement stricte de la notion de ‘nécessités du service’ par la jurisprudence mentionnée aux points 65 et 66 ci-dessus, il s’ensuit que, contrairement à ce que prétend M. Strack, le droit de report du congé annuel au-delà du seuil de douze jours doit découler nécessairement d’un empêchement lié à l’activité du fonctionnaire du fait de l’exercice de ses fonctions et ne peut être accordé en raison d’une maladie l’ayant empêché de les exercer, même à supposer que l’origine professionnelle de cette maladie ait été établie.»

La procédure devant la Cour

22

À la suite de la proposition du premier avocat général de réexaminer l’arrêt du 8 novembre 2012, la chambre de réexamen a considéré, par décision du 11 décembre 2012, Réexamen Commission/Strack (C‑579/12 RX), adoptée au titre des articles 62, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 193, paragraphe 4, du règlement de procédure de celle-ci, qu’il y avait lieu de procéder au réexamen de cet arrêt afin de déterminer s’il porte atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’Union.

23

Les questions devant, aux termes de ladite décision, faire l’objet du réexamen sont reproduites au point 2 du présent arrêt.

Sur le réexamen

24

Ainsi qu’il découle de la décision du 11 décembre 2012, Réexamen Commission/Strack, précitée, et du point 2 du présent arrêt, il y a lieu pour la Cour, en substance, d’examiner, dans un premier temps, si, eu égard notamment à la jurisprudence de celle-ci afférente au droit au congé annuel payé, les interprétations retenues par le Tribunal dans l’arrêt du 8 novembre 2012 à propos des articles 1er sexies, paragraphe 2, du statut et 4 de l’annexe V de celui-ci comportent d’éventuelles erreurs de droit.

25

Dans l’hypothèse où il y aurait lieu de constater que l’arrêt du 8 novembre 2012 est entaché d’une erreur de droit, il conviendrait, dans un second temps, d’examiner si ledit arrêt porte atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’Union.

Sur la jurisprudence de la Cour afférente au report du congé annuel payé n’ayant pas pu être pris en raison d’un congé de maladie de longue durée

26

Il convient, à titre liminaire, de rappeler que, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, développée en relation, d’abord, avec l’article 7 de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO L 307, p. 18), et, ensuite, avec l’article 7 de la directive 2003/88, le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière désormais expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités (voir arrêts du 26 juin 2001, BECTU, C-173/99, Rec. p. I-4881, point 43; du 6 avril 2006, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C-124/05, Rec. p. I-3423, point 28; Schultz-Hoff e.a., précité, point 22; du 15 septembre 2011, Williams e.a., C-155/10, Rec. p. I-8409, points 17 et 18; KHS, précité, point 37; Neidel, précité, point 40; ANGED, précité, point 17, ainsi que du 8 novembre 2012, Heimann et Toltschin, C‑229/11 et C‑230/11, point 22).

27

Selon les explications afférentes à l’article 31 de la Charte, lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci, l’article 31, paragraphe 2, de la Charte se fonde sur la directive 93/104 ainsi que sur l’article 2 de la charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961 et révisée à Strasbourg le 3 mai 1996, et sur le point 8 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée lors de la réunion du Conseil européen tenue à Strasbourg le 9 décembre 1989.

28

Ainsi qu’il ressort du premier considérant de la directive 2003/88, celle-ci a codifié la directive 93/104. L’article 7 de la directive 2003/88 afférent au droit au congé annuel payé reproduit à l’identique les termes de l’article 7 de la directive 93/104.

29

Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que le droit au congé annuel payé ne saurait être interprété de manière restrictive (arrêts précités ANGED, point 18, ainsi que Heimann et Toltschin, point 23).

30

À propos de situations dans lesquelles un travailleur n’a pu prendre ses jours de congé annuel payé pour cause de congé de maladie, la Cour a notamment jugé que, si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale qui prévoit des modalités d’exercice du droit au congé annuel payé expressément accordé par cette directive, comprenant même la perte dudit droit à la fin d’une période de référence ou d’une période de report, c’est, toutefois, à la condition que le travailleur dont le droit au congé annuel payé est perdu ait effectivement eu la possibilité d’exercer le droit qui lui est ainsi conféré (voir, notamment, arrêts précités Schultz-Hoff e.a., point 43, ainsi que KHS, point 26).

31

À cet égard, la Cour a ainsi jugé que ledit article 7, paragraphe 1, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé s’éteint à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national même lorsque le travailleur a été en congé de maladie durant tout ou partie de la période de référence et que son incapacité de travail a perduré jusqu’à la fin de sa relation de travail, raison pour laquelle il n’a pas pu exercer son droit au congé annuel payé (arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, point 52).

32

En effet, admettre, dans de telles circonstances spécifiques d’incapacité de travail, que les dispositions nationales fixant la période de report puissent prévoir l’extinction du droit du travailleur au congé annuel payé, sans que le travailleur ait effectivement eu la possibilité d’exercer ce droit, porterait atteinte à la substance du droit social directement conféré par l’article 7 de la directive 2003/88 à chaque travailleur (voir, en ce sens, arrêts précités BECTU, points 48 et 49, ainsi que Schultz-Hoff e.a., points 44, 45, 47 et 48).

33

Dans ces mêmes circonstances, l’indemnité financière à laquelle a droit le travailleur concerné doit être calculée de sorte que ce dernier soit placé dans une situation comparable à celle dans laquelle il aurait été s’il avait exercé ledit droit pendant la durée de sa relation de travail. Aussi, la rémunération ordinaire du travailleur, qui est celle qui doit être maintenue pendant la période de repos correspondant au congé annuel payé, est-elle également déterminante en ce qui concerne le calcul de l’indemnité financière de congé annuel non pris à la fin de la relation de travail (arrêt précités Schultz-Hoff e.a., points 61 et 62, ainsi que Heimann et Toltschin, point 25). Le droit au congé annuel et celui à l’obtention d’un paiement à ce titre doivent d’ailleurs être considérés comme constituant les deux volets d’un droit unique (voir, notamment, arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, point 60 et jurisprudence citée).

34

Aux termes de la jurisprudence ainsi rappelée, il est, dès lors, exclu que le droit d’un travailleur au congé annuel payé minimal, garanti par le droit de l’Union, soit diminué dans une situation caractérisée par le fait que le travailleur n’a pu répondre à son obligation de travailler en raison d’une maladie durant la période de référence (arrêt Heimann et Toltschin, précité, point 26).

35

Certes, ainsi que le rappellent le Conseil de l’Union européenne et la Commission, la Cour a également précisé que, au regard de la double finalité du droit au congé annuel, à savoir permettre au travailleur, d’une part, de se reposer par rapport à l’exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail et, d’autre part, de disposer d’une période de détente et de loisirs, le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives ne saurait répondre aux deux volets de cette finalité que dans la mesure où le report ne dépasse pas une certaine limite temporelle (arrêt KHS, précité, points 31 et 33).

36

Toutefois, la Cour n’en a pas moins clairement précisé, à cet égard, en se référant expressément à la circonstance que le droit au congé annuel payé est un principe de droit social d’une importance particulière également consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, que, afin de respecter ce droit dont l’objectif est la protection du travailleur, toute période de report doit dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée (arrêts précités KHS, points 37 et 38, ainsi que Neidel, points 40 et 41).

37

La Cour en a notamment déduit qu’une période de report de neuf mois, dès lors qu’elle est d’une durée inférieure à celle de la période de référence, ne saurait suffire (arrêt Neidel, précité, points 42 et 43), jugeant, en revanche, qu’il est raisonnablement possible de considérer qu’une période de report de quinze mois ne méconnaît pas la finalité du droit au congé annuel payé (arrêt KHS, précité, point 43).

Sur l’interprétation des articles 1er sexies, paragraphe 2, du statut et 4 de l’annexe V de celui-ci

38

Il y a lieu d’examiner si, à la lumière, notamment, de la jurisprudence de la Cour afférente au droit de congé annuel payé ainsi rappelée, les interprétations que le Tribunal a retenues, dans l’arrêt du 8 novembre 2012, à propos des articles 1er sexies, paragraphe 2, du statut et 4 de l’annexe V de celui-ci comportent d’éventuelles erreurs de droit.

39

À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, ainsi qu’il ressort de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent notamment aux institutions de l’Union qui sont, en conséquence, tenues de respecter les droits qu’elle consacre. Au nombre de ceux-ci figure le droit au congé annuel payé en tant que principe du droit social de l’Union consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, disposition qui est elle-même fondée, ainsi qu’il a été dit au point 27 du présent arrêt, notamment sur la directive 93/104, laquelle a été par la suite remplacée et codifiée par la directive 2003/88.

40

Il importe également de rappeler que, selon un principe général d’interprétation, un acte de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remet pas en cause sa validité et en conformité avec l’ensemble du droit primaire et, notamment, avec les dispositions de la Charte (voir en ce sens, notamment, arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh, C‑12/11, point 44 et jurisprudence citée).

41

Dès lors, c’est notamment en tenant compte dudit principe général d’interprétation qu’il y a lieu de vérifier si le Tribunal a commis d’éventuelles erreurs de droit dans l’interprétation des articles 1er sexies, paragraphe 2, du statut et 4 de l’annexe V de celui-ci.

42

S’agissant, en premier lieu, de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut, il ressort des points 52 et 53 de l’arrêt du 8 novembre 2012 que le Tribunal a considéré que la référence que comporte cette disposition aux prescriptions minimales applicables en matière de conditions de travail en vertu des mesures arrêtées dans les domaines de la santé et de la sécurité en application des traités ne vise que des normes techniques minimales de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs sur leur lieu de travail, mais non les prescriptions minimales de sécurité et de santé de manière générale, de sorte que ladite disposition ne couvrirait pas des prescriptions relatives à l’aménagement du temps de travail telles que celles que comporte la directive 2003/88.

43

Or, à cet égard, force est de constater, tout d’abord, que le libellé dudit article 1er sexies, paragraphe 2, du statut ne reflète en rien la distinction ainsi opérée par le Tribunal. En revanche, en tant qu’il se réfère aux «prescriptions minimales applicables en vertu des mesures arrêtées […] en application des traités» dans les «domaines» de «santé et de sécurité» et relatives aux conditions de travail, ledit libellé envisage des règles telles que celles que comporte la directive 2003/88, dès lors que celle-ci a elle-même pour objet, ainsi qu’il ressort de son article 1er, paragraphe 1, de fixer les «prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail», au nombre desquelles figurent les périodes minimales de congé annuel.

44

Ensuite, il convient de relever que l’interprétation retenue par le Tribunal et la distinction sur laquelle elle repose ne tiennent aucun compte des enseignements découlant notamment des points 36 à 39 et 59 de l’arrêt du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil (C-84/94, Rec. p. I-5755), dans lesquels la Cour a jugé que les mesures relatives à l’aménagement du temps de travail faisant l’objet de la directive 93/104, et notamment celles relatives aux congés annuels payés prévus à l’article 7 de cette directive, contribuent directement à l’amélioration de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs au sens de l’article 118 A du traité CE et que l’évolution de la législation sociale tant au niveau national qu’international confirme le lien qui existe entre les mesures relatives au temps de travail, d’une part, et la santé et la sécurité des travailleurs, d’autre part. Ainsi, la Cour a-t-elle notamment relevé à cet égard, au point 15 dudit arrêt, qu’une telle interprétation des termes «sécurité» et «santé» peut notamment s’appuyer sur le préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont font partie tous les États membres, qui définit la santé comme un état complet de bien-être physique, mental et social, et non pas seulement comme un état consistant en une absence de maladie ou d’infirmité.

45

Enfin, il s’impose de constater que l’interprétation retenue par le Tribunal méconnaît le principe général d’interprétation rappelé au point 40 du présent arrêt.

46

En effet, en vertu dudit principe, il incombait au Tribunal de privilégier une interprétation de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut qui permette d’assurer la conformité de ce dernier avec le droit au congé annuel payé en tant que principe du droit social de l’Union désormais expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte. Or, cela exigeait d’interpréter cet article 1er sexies, paragraphe 2, en ce sens qu’il permet l’intégration dans le statut de la substance de l’article 7 de la directive 2003/88 en tant que règle de protection minimale venant, le cas échéant, compléter les autres dispositions statutaires traitant du droit au congé annuel payé et, en particulier, l’article 4 de l’annexe V de ce statut.

47

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne retenant pas, contrairement à ce qu’avait fait le Tribunal de la fonction publique, dans son arrêt Strack/Commission, précité, une interprétation de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut selon laquelle cette disposition renvoie notamment à l’article 7 de la directive 2003/88 afférent au congé annuel payé.

48

S’agissant, en second lieu, de l’article 4 de l’annexe V du statut, le Tribunal a considéré, ainsi qu’il ressort notamment du point 67 de l’arrêt du 8 novembre 2012, que cet article doit être interprété en ce sens qu’il exclut tout report de congé annuel payé n’ayant pu être pris pour cause de congé de maladie de longue durée au-delà des douze jours pour lesquels il est prévu un report automatique.

49

Or, ce faisant, le Tribunal a également commis une erreur de droit.

50

En effet, il convient de relever, tout d’abord, que le libellé de l’article 4 de l’annexe V du statut ne comporte aucune référence expresse à la situation spécifique d’un fonctionnaire s’étant trouvé dans l’impossibilité de prendre un congé annuel payé durant la période de référence en raison d’un congé de maladie de longue durée.

51

Ensuite, il y a lieu d’observer que, consécutivement à l’erreur de droit commise par le Tribunal en ce qui concerne l’interprétation de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut, cette juridiction n’a pas non plus tenu compte de la circonstance qu’il découle du contexte réglementaire global dans lequel s’inscrit l’article 4 de l’annexe V du statut qu’une autre disposition de celui-ci a précisément pour conséquence que les prescriptions découlant de l’article 7 de la directive 2003/88 en ce qui concerne le droit au congé annuel payé font partie intégrante du statut en tant que prescriptions minimales devant, à titre complémentaire et sous réserve de dispositions plus favorables contenues dans celui-ci, être appliquées aux fonctionnaires.

52

Enfin, il doit être relevé que le Tribunal a, dans ces conditions, méconnu le principe général d’interprétation rappelé au point 40 du présent arrêt. En effet, au lieu de privilégier une interprétation de l’article 4 de l’annexe V du statut lu en combinaison avec l’article 1er sexies, paragraphe 2, de celui-ci, permettant d’assurer la conformité de ce statut avec le droit au congé annuel payé en tant que principe du droit social de l’Union désormais expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et visé, notamment, à l’article 7 de la directive 2003/88, le Tribunal a retenu une interprétation de cet article 4 qui ne permet pas d’assurer une telle conformité et qu’il qualifie en outre lui-même de «particulièrement stricte» au point 67 de l’arrêt du 8 novembre 2012.

53

À cet égard, il s’impose de constater que c’est au prix de diverses erreurs de droit que le Tribunal a jugé, aux points 49 à 51 de l’arrêt du 8 novembre 2012, que l’interprétation qu’il a retenue dans ledit arrêt en ce qui concerne l’article 4 de l’annexe V du statut n’avait pas pour conséquence une méconnaissance dudit droit au congé annuel payé.

54

En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 30 à 37 du présent arrêt, le respect du contenu essentiel du droit à congé annuel payé implique, notamment, que tout travailleur ayant été privé de la possibilité de l’exercer en raison d’un congé de maladie de longue durée puisse bénéficier d’un report de ce droit, sans réduction de celui-ci, et à raison d’une période de report dont la durée doit dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée, sans que les considérations tirées de la nécessité d’éviter le cumul de congés non pris de manière illimitée auxquelles se réfère le Tribunal au point 50 de l’arrêt du 8 novembre 2012 puissent y faire obstacle.

55

S’agissant des considérations tirées de la nécessité de protéger les intérêts financiers de l’Union, également mentionnées audit point 50, il suffit de relever que de telles considérations ne sauraient, en tout état de cause, être invoquées pour justifier une atteinte audit droit au congé annuel payé.

56

Il découle de tout ce qui précède que le Tribunal aurait dû, à l’instar de ce qu’avait fait le Tribunal de la fonction publique dans son arrêt Strack/Commission, précité, interpréter l’article 4 de l’annexe V du statut en ce sens qu’il ne traite pas de la question du report d’un congé annuel payé n’ayant pu être pris par le fonctionnaire durant la période de référence en raison d’un congé de maladie de longue durée, de sorte que les prescriptions découlant à cet égard de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut et, en l’occurrence, plus précisément de l’article 7 de la directive 2003/88 doivent être prises en considération en tant que prescriptions minimales applicables sous réserve des dispositions plus favorables contenues dans le statut.

Sur l’existence d’une atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’Union

57

Les erreurs de droit entachant l’arrêt du 8 novembre 2012 telles qu’identifiées aux points 47 et 56 du présent arrêt sont de nature à porter atteinte à l’unité et à la cohérence du droit de l’Union.

58

En effet, en s’écartant, dans le cadre de l’interprétation des dispositions du statut qu’il a retenue, de la notion de droit au congé annuel payé de chaque travailleur en tant que principe du droit social de l’Union désormais consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et visé notamment à l’article 7 de la directive 2003/88, telle qu’interprétée par la jurisprudence constante de la Cour, le Tribunal a, en particulier, porté atteinte à l’unité du droit de l’Union dès lors qu’une disposition telle que celle susmentionnée de la Charte a, conformément à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, la même valeur juridique que les dispositions des traités et que son respect s’impose au législateur de l’Union lorsqu’il édicte tant un acte tel que le statut sur le fondement de l’article 336 TFUE que d’autres actes du droit de l’Union en vertu du pouvoir normatif dont il se trouve investi au titre d’autres dispositions des traités, ainsi que, au demeurant, aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre de tels actes.

59

En outre, en jugeant, dans le contexte de l’interprétation de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut, que la référence que comporte cette disposition aux prescriptions minimales applicables en vertu des mesures arrêtées en application des traités en matière de conditions de travail dans les domaines de la santé et de la sécurité des travailleurs ne couvre pas des dispositions telles que celles relatives à l’aménagement du temps de travail visées par la directive 2003/88, en particulier celles relatives au congé annuel payé, le Tribunal a porté atteinte à la cohérence du droit de l’Union. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 44 du présent arrêt, la Cour a déjà jugé que de telles mesures contribuent directement à l’amélioration de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs au sens de l’article 118 A du traité CE, et, partant, des articles 137 CE et 153 TFUE, qui se sont depuis lors substitués à cet article 118 A du traité CE, en soulignant en outre, à cet égard, que le lien entre les mesures relatives au temps de travail et la santé ainsi que la sécurité des travailleurs était également attesté par l’évolution de la législation sociale tant au niveau national qu’international.

60

Dans ces conditions, il convient de constater que l’arrêt du 8 novembre 2012 porte atteinte à l’unité et à la cohérence du droit de l’Union en ce que le Tribunal, en tant que juridiction de pourvoi, a interprété, en méconnaissance du droit au congé annuel payé en tant que principe du droit social de l’Union, également expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et, notamment, visé par la directive 2003/88 tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour:

l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut comme ne couvrant pas les prescriptions relatives à l’aménagement du temps de travail visées par la directive 2003/88, et, notamment, le congé annuel payé, et,

subséquemment, l’article 4 de l’annexe V dudit statut comme impliquant que le droit de report du congé annuel au-delà de la limite que fixe ladite disposition ne peut être accordé que dans le cas d’un empêchement lié à l’activité du fonctionnaire du fait de l’exercice de ses fonctions.

Sur les conséquences à tirer du réexamen

61

L’article 62 ter, premier alinéa, du statut de la Cour dispose que, si la Cour constate que la décision du Tribunal porte atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’Union, elle renvoie l’affaire devant le Tribunal qui est lié par les points de droit tranchés par la Cour. En renvoyant l’affaire, la Cour peut, en outre, indiquer les effets de la décision du Tribunal qui doivent être considérés comme définitifs à l’égard des parties au litige. À titre d’exception, la Cour peut elle-même statuer définitivement, si la solution du litige découle, compte tenu du résultat du réexamen, des constatations de fait sur lesquelles est fondée la décision du Tribunal.

62

Il s’ensuit que la Cour ne saurait se borner à constater l’atteinte à la cohérence et/ou à l’unité du droit de l’Union sans tirer de conséquences de cette constatation à l’égard du litige en cause (arrêt du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, C‑334/12 RX‑II, point 57).

63

En l’occurrence, il convient, en premier lieu, et pour le motif indiqué au point 60 du présent arrêt, d’annuler l’arrêt du 8 novembre 2012 en tant que celui-ci a accueilli le premier moyen et la première branche du deuxième moyen du pourvoi de la Commission et, a, en conséquence, annulé l’arrêt Strack/Commission, précité, et rejeté le recours de première instance de M. Strack.

64

En second lieu, et quant au sort à réserver au pourvoi de la Commission, il importe de relever, tout d’abord, que le troisième moyen invoqué par cette dernière a été rejeté par le Tribunal dans son arrêt du 8 novembre 2012 et que ce rejet doit être tenu pour définitif en l’absence de réexamen sur ce point.

65

Ensuite, s’agissant de la seconde branche du deuxième moyen du pourvoi de la Commission, tiré de ce que le Tribunal de la fonction publique aurait méconnu l’obligation de motivation en omettant d’examiner la question du champ d’application de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut, force est de constater que, bien que cette branche n’ait pas été examinée par le Tribunal dans l’arrêt du 8 novembre 2012, le rejet de celle-ci s’impose à l’évidence. En effet, ainsi qu’il résulte, en particulier, des points 55 à 57 de l’arrêt Strack/Commission, précité, le Tribunal de la fonction publique s’est prononcé de manière claire en ce qui concerne ce champ d’application en considérant que, au vu de son libellé même, cette disposition doit être comprise comme opérant un renvoi aux prescriptions minimales en matière de sécurité et de santé applicables en vertu des mesures arrêtées en ces domaines en application des traités, au nombre desquelles figurent les prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail que comporte la directive 2003/88.

66

Enfin, il convient de relever que, bien que l’arrêt du 8 novembre 2012 n’en fasse pas état, la Commission s’est également prévalue, dans le cadre du deuxième moyen de son pourvoi, à titre subsidiaire, du fait que le Tribunal de la fonction publique aurait transposé et appliqué de manière erronée les exigences découlant de la jurisprudence issue de l’arrêt Schultz-Hoff e.a., précité. Ainsi la Commission fait-elle valoir que la présente affaire concerne non pas exclusivement le droit de report du congé annuel, mais une indemnité en tenant lieu, qu’elle implique la perte non pas de l’intégralité du droit de congé annuel, mais d’une partie seulement de celui-ci et qu’elle concerne non seulement des jours de congé non pris au titre de la période de référence immédiatement antérieure à l’année de cessation des fonctions, mais également des jours de congé ayant déjà fait l’objet d’un report au titre de l’année précédant cette année antérieure. Par ailleurs, le Tribunal de la fonction publique a, selon la Commission, ignoré que l’article 7 de la directive 2003/88 ne garantit un report de congé annuel payé qu’à concurrence du minimum de quatre semaines visé par ladite disposition.

67

À cet égard, il convient toutefois de relever que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 30 à 37 du présent arrêt, des distinctions telles que celles que la Commission prétend opérer, d’une part, entre le droit de bénéficier d’un report du congé annuel payé non pris pour cause de maladie de longue durée et l’obtention de l’indemnité financière compensatoire y relative en cas de cessation de la relation de travail et, d’autre part, entre la privation partielle et la privation totale du droit de congé annuel n’ayant pu être pris pour cause de maladie de longue durée sont dépourvues de pertinence et ne sauraient être retenues.

68

Par ailleurs, c’est également à bon droit que le Tribunal de la fonction publique a jugé, au point 77 de l’arrêt Strack/Commission, précité, que, dès lors que le législateur de l’Union a fixé à 24 jours le congé annuel pour les fonctionnaires, l’interprétation donnée par la Cour dans l’arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, de l’article 7 de la directive 2003/88 est, en l’absence d’autres dispositions pertinentes dans le statut en ce qui concerne le report de congé annuel payé non pris pour cause de maladie de longue durée, transposable à la durée du congé annuel ainsi fixée par le statut par application combinée des articles 1er sexies et 57 dudit statut.

69

Eu égard à tout ce qui précède, et dès lors que l’atteinte à l’unité et à la cohérence du droit de l’Union résulte, en l’espèce, d’une interprétation erronée des articles 1er sexies, paragraphe 2, du statut ainsi que 4 de l’annexe V de celui-ci, et qu’une interprétation correcte desdites dispositions, à savoir, en substance, celle que le Tribunal de la fonction publique a retenue dans son arrêt Strack/Commission, précité, commandait, ainsi qu’il ressort notamment des points 47 et 56 du présent arrêt, un rejet des premier et deuxième moyens invoqués par la Commission à l’appui de son pourvoi et, partant, du pourvoi dans son ensemble, il y a lieu pour la Cour de statuer définitivement sur le litige en rejetant ledit pourvoi.

Sur les dépens

70

Selon l’article 195, paragraphe 6, du règlement de procédure de la Cour, lorsque la décision du Tribunal faisant l’objet du réexamen a été rendue en vertu de l’article 256, paragraphe 2, TFUE, la Cour statue sur les dépens.

71

En l’absence de règles particulières régissant la répartition des dépens dans le cadre d’une procédure de réexamen et dès lors que la Commission a, en conséquence de l’annulation de l’arrêt du Tribunal du 8 novembre 2012 et du rejet définitif du pourvoi qu’elle avait introduit contre l’arrêt Strack/Commission, précité, succombé dans le cadre dudit pourvoi, il convient, en l’occurrence, de la condamner à supporter les dépens exposés par M. Strack dans le cadre tant de la procédure devant le Tribunal que de la présente procédure de réexamen.

72

Le Conseil, qui a déposé des observations écrites devant la Cour sur les questions faisant l’objet du réexamen, supportera ses propres dépens afférents à cette procédure.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

 

1)

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne (chambre des pourvois) du 8 novembre 2012, Commission/Strack (T‑268/11 P), porte atteinte à l’unité et à la cohérence du droit de l’Union en ce que le Tribunal, en tant que juridiction de pourvoi, a interprété, en méconnaissance du droit au congé annuel payé en tant que principe du droit social de l’Union, également expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, notamment, visé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne:

l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne comme ne couvrant pas les prescriptions relatives à l’aménagement du temps de travail visées par la directive 2003/88, et, notamment, le congé annuel payé, et,

subséquemment, l’article 4 de l’annexe V dudit statut comme impliquant que le droit de report du congé annuel au-delà de la limite que fixe ladite disposition ne peut être accordé que dans le cas d’un empêchement lié à l’activité du fonctionnaire du fait de l’exercice de ses fonctions.

 

2)

Ledit arrêt du Tribunal de l’Union européenne est annulé.

 

3)

Le pourvoi de la Commission européenne dirigé contre l’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne du 15 mars 2011, Strack/Commission (F-120/07), est rejeté.

 

4)

La Commission européenne est condamnée à supporter les dépens de M. Guido Strack afférents tant à la procédure de réexamen qu’à celle devant le Tribunal de l’Union européenne.

 

5)

Le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne supportent leurs propres dépens afférents à la procédure de réexamen.

 

6)

La Commission européenne supporte ses propres dépens afférents à la procédure devant le Tribunal de l’Union européenne.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.